Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/LACRETELLE Jeune (Jean-Charles-Dominique DE), historien et publiciste français, frère du précédent

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Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 1p. 38-39).

LACRETELLE Jeune (Jean-Charles-Dominique DE), historien et publiciste français, frère du précédent, né à Metz en 1766, mort à Mâcou en 1855. Avocat dès l’âge de dix-huit ans, il composa à cette époque divers opuscules, un Mémoire couronné par l’Académie de Nancy, un Discours sur t’influence des mœurs sur les lois et des lois sur les mœurs, une tragédie intitulée Cuton d’Utique. En 1787, il alla rejoindre à Paris son frère aîné, qui le mit en relation avec Turgot, Malesherbes, etc. Peu après, Maret, futur duc de Bassano, alors directeur du Moniteur universel, le lit attacher à la rédaction du Journal des Débats. Dans cette feuille, Lacretelle analysait ou reproduisait les discours des orateurs parlementaires, et, comme ce travait lui plaisait, il s’en acquittait à merveille. Du parti des modérés, ainsi que son frère aîné, il débuta, comme orateur, à la tribune des Feuillants, où il lui arriva plusieurs fois d’avoir Barnave pour adversaire. Il renonça ensuite

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au journalisme pour devenir secrétaire ds La Rochefoueauld-Liancourt et précepteur de l’un des fils de ce duc. Mais bientôt la situation critique dans laquelle se trouvait Louis XVI arracha le duc et son secrétaire intime à leur paisible retraite, et ils revinrent se mêler aux ardeurs de la lutte. Lacretelle reparut alors au club des Feuillants, et, peu après, il devint, avec André Chénier et Roucher, rédacteur du Journal de Paris, que venait de fonder Suard.

Confident du duc de La Rochefoucauld, Lacretelle fut associé au projet conçu par ce dernier pour l’évasion de Louis XVI, projet qui échoua par suite de l’hésitation du roi. Le duc quitta la France et laissa au précepteur de son fils le soin de recueillir les débris de sa fortune et de les lui faire parvenir. Ce fut vers cette époque que Lacretelle fit à Rouen la connaissance de la famille Le Sénéchal, où il fut bientôt regardé comme un fils adoptif, et il demanda la main de la troisième fille de M. Le Sénéchal. Mais elle était fiancée à Florian, auquel l’amoureux évincé ne garda pas rancune, car ce fut lui qui, plus tard, prononça, à l’Académie française, l’éloge de son ancien rival.

De retour à Paris, le futur historien fut témoin du procès et de la fin tragique de Louis XVI, et ce fut lui qui prêta à l’abbé Eilgeworth ces paroles apocryphes : Fils de saint Louis, montez au ciel ! bien que, de son propre aveu, elles n’aient point été prononcées.

Sans fortune, et n’ayant plus de protecteur, Lacretelle se vit réduit à donner, pour vivre, des leçons d’histoire. Quoique ancien adversaire des girondins, il crut devoir embrasser leur parti, et il écrivit plusieurs articles en leur faveur. Un mandat d’arrêt ayant été lancé contre lui, il s’enrôla dans l’armée de Sambre-et-Meuse, et en fit partie jusqu’au 9 thermidor. Peu après, il put obtenir son congé, et, de retour à Paris, s’associa à la rédaction du Républicain français, journal qui, malgré son titre, avait été londé pour propager les idées monarchiques.

aime Tallien prêta son puissant appui a Lacretelle, qui devint l’un des chefs les plus ardents de la jeunesse dorée, fit une rude guerre aux jacobins, mais n’hésita point a flétrir les massacres odieux commis dans le Midi par les réactionnaires connus sous le nom à’Enfants du soleil et de Compagnons de Jéhu. Nommé, quelque temps après, secrétaire g’énéral du bureau de l’agriculture et du commerce, il usa de son influence pour délivrer des prisonniers et obtenir la radiation de plusieurs émigrés..

Après le 13 vendémiaire, Lacretelle, forcé de s’éloigner de Paris, resta quelque temps caché à Epinay, chez M. Boissel de Monville. Il profita de cette retraite (1795) pour composer l’introduction de son Histoire de France pendant le xvme siècle, publiée dix ans plus tard. De retour à.Paris, il rentra, grâce à Suard, à la rédaction du Journal des Débats. Atteint par le coup d’État du 18 fructidor avec ses amis du conseil des Anciens, Portails, Barbé-Alarbois, Siméon, Mathieu Dumas et Tronçon Du Coudray, il fut arrêté, et même désigné pour la déportation à Sinnamari. Pendant une captivité qui ne dura pas moins de vingt-deux mois, il fit la connaissance de M. de Norvins, le futur auteur de l’Histoire de Napoléon, et, sur la demande de Treiittel et Wurtz, éditeurs, il continua le Précis historique de la Révolution, commencé par Rabaut-Saint-Étienne. Rendu a la liberté en 1799, par Fouchè, il devint le partisan de Sieyès, qui lui paraissait le vrai représentant des idées modérées au sein du Directoire ; mais, dénoncé aux autres directeurs, il dut encore s’enfuir, et se retira dans les environs d’Auxerre, chez un riche négociant ami de son frère, et fut le précepteur de ses deux fils.

À la nouvelle du 18 brumaire, Lacretelle sa hâta de revenir à Paris et se servit du Journal des Débats pour plaider la cause des proscrits et des prêtres. Fouché céda à ses prières, et beaucoup de prisonniers furent élargis.

Comme on le proposait à Bonaparte pour faire partie du Tribunat : * Je n’en veux pas, s écria brusquement le général, c’est un bourbonien. »

À dater du Consulat, Lacretelle disparut de la scène politique et se renferma dans le cercle de ses travaux historiques et littéraires. Nommé membre du bureau de la presse en 1800, professeur d’histoire adjoint à la Faculté des lettres de Paris en 1809, il devint professeur en titre en 1812, et ne quitta qu’en 1848 cette chaire, dans laquelle il fit preuve d’un remarquable talent. En 1811, il avait été élu membre de l’Académie française. Las du despotisme impérial, Lacretelle salua avec joie, en 1814, la rentrée des Bourbons et l’avénement du régime constitutionnel, dont il avait toujours été le champion fidèle à toutes les époques de sa carrière. Cette même année, comme préside, t de l’Académie française, il présenta l’Institut à l’empereur de Russie, Alexandre Ier, se mafia ei devint censeur royal. Pendant les Cent-Jours, Lacretelle jugea bon de suivre le roi à Gand ; mais il revint bientôt à Versailles, puis à Paris. En 1822, il reçut de Louis XVIII des lettres de noblesse, et, trois ans plus tard, représenta, au sacre de Charles X, l’Académie française, dont il était le président. Dans le même temps, il prononça plusieurs discours à la Société dite des bonnes lettres et se déclara avec enthousiasme pour l’affranchissement du peuple grec. En 1827, quoique censeur, il se montra un des adversaires les plus énergiques de la loi contre la presse dite loi de justice et d’amour, présentée par M. de Peyronnet, et proposa à l’Académie française, qui se rangea à son avis, d’envoyer au roi une énergique protestation contre le projet du ministre. Cette attitude hardie lui valut une destitution. Comprenant l’impossibilité de voir se fonder un véritable gouvernement libéral et constitutionnel avec les Bourbons, Lacretelle vit avec sympathie s’accomplir la révolution de Juillet. Toutefois, sous Louis-Philippe, il ne fut point en faveur à la cour. Le nouveau roi, irrité contre lui de ce qu’il avait jugé avec une juste sévérité la conduite de son père, Philippe-Égalité, ne voulut point l’appeler à la pairie, ni le laisser nommer membre du conseil royal de l’instruction publique.

En 1848, affaibli par la vieillesse, il se retira à Mâcon. « Après une vie si laborieusement employée, dit M. Desjardins, sa retraite ne fut point oisive : il fit de sa campagne de Bel-Air un rendez-vous littéraire, où vinrent le visiter MM. de Lamartine, dont il était devenu le compatriote, Villemain, Patin, Guigniaut, Gérusez, Jules Janin. » Il correspondait avec Alfred de Vigny, Victor Hugo, Émile Deschamps, Salvandy, Brifaut, Leclerc, Damiron, etc. C’était un homme aimable, bienveillant, libéral, bien que monarchiste, opposé aux idées extrêmes, et un causeur charmant. Ses cours publics eurent la vogue de ceux de Guizot, Villemain, Cousin, Lerminier, etc. Jusqu’à la fin, il conserva le plein usage de ses facultés intellectuelles, et, l’année même de sa mort, il composa, pour l’Académie, son Éloge de Delille. Il était chevalier de l’ordre de Saint-Michel (1826) et commandeur de la Légion d’honneur (1845). On doit à cet écrivain : Précis historique de la Révolution française (1801-1806, 5 vol. in-18) ; Histoire de France pendant les guerres de religion (1814-1816, 4 vol. in-8o) ; Histoire de France pendant le XVIIIe siècle (1808, 5 vol. in-8o) ; histoire de l’Assemblée constituante (1821, 2 vol. in-18) ; l’Assemblée législative (1824, in-8o) ; la Convention nationale (1824-1825, 3 vol. in-8o). Ces trois ouvrages font suite à l’Histoire de France pendant le XVIIIe siècle ; Considérations sur la cause des Grecs (1825) ; Histoire de France depuis la Restauration (1829-1835, 3 vol, in-8o) ; Testament philosophique et littéraire (1840, 2 vol. in-8o) ; Dix années d’épreuves pendant la Révolution (1840, in-8o) ; histoire du Consulat et de l’Empire (1848, 4 vol. in-8o). Il a, en outre, fourni une foule d’articles aux Débats, au Journal de Paris, au Républicain français ; la plupart ne sont point signés. Parmi les discours qu’il a prononcés à l’Académie française, il faut citer : l’Éloge de Florian, l’Éloge de Bailly (3 mai 1836), Olivier Cromwell et Bonaparte (2 mai 1837), l’Éloge de Delille (8 septembre 1854).