Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/LE BRUN ou LEBRUN (Charles), le plus célèbre des peintres français du siècle de Louis XIV

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Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 1p. 291-292).

LE BRUN ou LEBRUN (Charles), le plus célèbre des peintres français du siècle de Louis XIV, né à Paris le 24 février 1619, mort dans la même ville le 12 février 1690. Comme tant d’autres artistes de génie, il manifesta dès sa plus tendre enfance sa vocation pour la peinture. Son père, qui était ■sculpteur, lui donna les premières leçons de dessin. Un jour qu’il l’avait mené avec lui. dans l’hôtel du chancelier Séguier, où il était employé à quelque ouvrage, le chancelier remarqua le petit Charles qui dessinait avec beaucoup d’application ; il s’approcha de cet enfant, le questionna, lui trouva de la gentillesse, de l’esprit et des dispositions pour la peinture qui méritaient d’être cultivées ; il se chargea de son avancement, et l’envoya à l’école de Simon Vouet, le meilleur maître du temps. Le Brun n’avait alors que onze ans. Il étonna tout le monde par la rapidité de ses progrès. À douze ans, il fit avec succès le portrait de Son aïeul ; à quinze ans, il peignit des tableaux d’histoire, entre autres un Hercule assommant les chevaux de Diomède, qui fut placé au Palais - Royal. Après un séjour à Fontainebleau, où il étudia les peintures qui décorent le château, il exécuta pour la communauté des maîtres peintres et sculpteurs de Saint-Luc, de Paris, un Saint Jean plongé dans l’huile bouillante.

Ces premiers travaux valurent à Le Brun de nombreux applaudissements. Le chancelier Seguier, qui n’avait pas cessé de le protéger et lui avait même donné un logement dans son hôtel, pensa qu’il était temps de le faire voyager eu Italie. Cet homme illustra lui assigna, à cet effet, une pension et lui donna des lettres de recommandation pour les personnes les plus qualifiées de Rome. Eu passant à Lyon, Le Brun rencontra Poussin, qui retournait lui-même en Italie (1642), et qui, charmé de ses talents et de son enthousiasme pour l’art, le prit en amitié et lui donna des conseils. Arrivé k Rome, le jeune artiste étudia avec soin les monuments de l’antiquité, travailla sous la direction du Poussin, et fit des morceaux qui, dans une exposition publique, furent attribués à ce grand maître. «On croit cependant reconnaître, dit l’abbé de Fontenai, que la manière des Carraches est celle à laquelle il donna la préférence. Peut-être lui a-t-il manqué, selon la remarque de M. de Piles, d’aller à Venise pour profiler des ouvrages du Titien et de Paul Vêronèse ; on ne sait pas pourquoi il n’eut pas cette curiosité. •

Charles Le Brun revint à Paris en 1646, précédé d’une réputation méritée. Les commandes lui arrivèrent de tous côtés. En 1047, il exécuta, pour la corporation des orfèvres, un Martyre de saint André qui fut placé à Notre - Dame. Dès cette époque, il se préoccupa de fonder à Paris une Académie de peinture et de sculpture semblable à celle de Rome, et il se servit du crédit qu’il avait auprès du chancelier Séguier pour obtenir, au commencement de 1648, des lettres patentés qui amenèrent la fondation de cette institution. Il occupa successivement tous lus grades de cette compagnie célèbre : après avoir exercé les fonctions de professeur à diverses reprises, il lut nommé recteur et chancelier en 1655, réélu recteur en 1659, chancelier à vie en 1663 ; en 1668, les charges de recteur et de chancelier ayant été réunies et rendues immuables lui furent déférées ; enfin, il devint directeur en 1633.

En 1649, Le Brun fut chargé, avec Eustache Lesueur, de la décoration de l’hôtel du président Lambert, qui est situé à l’extrémité de l’Ile Saint-Louis. Lesueur était le seul rival capable d’être opposé à Le Brun et da balancer sa réputation. Les deux artistes choisirent des sujets bien propres à faire ressortir la différence do leur génie : Le Bruu peignit les Travaux d’Hercule ; Lesueur, l’Histoire de l’Amour. Ils firent preuve, dans l’exécution, de qualités fort dissemblables. « Autant Le Brun était énergique, dit M. Charles Blanc, autant Lesueur était suave et tendre. L’un, tourmenté par le souvenir d’Annibal Carrache, faisait contraster les groupes, les attitudes, les membres et les draperies, étalait son savoir académique, remuait sa composition et lui imprimait, par des touches mâles et par la violence de certains tons, un aspect grandiose ; l’autre, devinant Raphafil, restait simple, tranquille et doux, laissait suivre à ses lignes et à ses figures les mouvements naturels de la grâce, et, recouvrant de tons attiédis ses délicates et ingénieuses pensées, leur donnait le caractère d’un rêve charmant. • Lesueur mourut en 1655, ù l’âge de trente-huit ans. On lit dans les Mélanges de Vigneul-Marville que, pendant la maladie de ce grand artiste, Le Brun, qui l’estimait infiniment et le craignait peut-être, alla le visiter plusieurs fois, et qu’ayant appris sa tin, il ne put s’empêcher de dire que cette mort venait « de lui tirer une grosse épine du pied. »

Fouquet, le surintendant, chargea Le Brun de décorer sa fastueuse résidence de Vaux, et lui donna, indépendamment du prix de ses ouvrages, une pension de 12,000 livres. L’artiste exécuta dans ce château plusieurs peintures remarquables, notamment deux plafonds représentant, l’un l’Apothéose d’Hercule, l’autre une allégorie en l’honneur du surintendant. Il fit aussi, de concert avec Torelli, des décorations pour les fêtes brillantes que ce ministre donna à la cour. Mazarin, que ces divers ouvrages avaient frappé, recommanda, dit-on, Le Brun à Louis XIV ; mais le véritable protecteur du peintre fut Colbert, qui, pendant toute la durée de son glorieux ministère, ne cessa de le soutenir et lui fit confier d’immenses travaux. La reine mère lui donna aussi d’éclatants témoignages de sa faveur ; il peignit, d’après une idée qu’elle lui avait fournie, le Crucifix aux anges, qui est aujourd’hui au musée du Louvre.

À l’occasion du mariage de Louis XIV avec l’infante Marie-Thérèse en 1660, Le Brun exécuta, par ordre des échevins, de magnifiques décorations pour la place Dauphine. Dans la même année, Colbert le fit nommer directeur des Gobelins, où étaient établis les ateliers de tapisseries, de meubles, de pièces d’orfèvrerie, de mosaïque et de marqueterie de la couronne. Vers la même époque, Louis XIV fit venir Le Brun à Fontainebleau, lui fit disposer un appartement à côté du sien, et lui commanda de peindre des sujets tirés de l’histoire d’Alexandre. Le tableau de la Famille de Darius, fait sous les yeux du monarque, fut le premier de cette suite remarquable que complétèrent le Passage du Granique, la Bataille d’Arbelles, Alexandre et Porus, l’Entrée d’Alexandre dans Babylone , toiles justement célèbres, dont la couleur s’est beaucoup refroidie avec le temps, mais que l’on ne cessera jamais d’admirer dans les merveilleuses estampes de Gérard Audran. « Le Brun s’était préparé à ces vastes compositions, dit M. Ch. Blanc, par de grands dessins à la pierre noire, d’un caractère mâle, d’une touche expressive et ressentie, qui pour la plupart, sont conservés au Louvre. Il se livra aux études les plus sévères touchant le costume, et poussa le scrupule jusqu’à faire dessiner, à Alep, des chevaux de Perse, dont le corsage est différent de celui des chevaux grecs, afin qu’on pût distinguer, dans ses tableaux, les indiens et les Persans d’avec les soldats macédoniens. »

Louis XIV, ravi du talent de Le Brun, lui donna son portrait enrichi de diamants, le nomma, au mois de juillet 1662, son premier peintre, avec des appointements de 12,000 livres, l’anoblit par des lettres de grâce, au mois de décembre de la même année, et lui confia la direction et la garde générale des tableaux et des dessins de son cabinet, avec mission d’acheter tous les ouvrages de peinture et de sculpture qu’il jugerait dignes d’enrichir la collection royale. Un incendie ayant détruit la petite galerie du Louvre, dite galerie des Peintures, Le Brun fut chargé de sa reconstruction et de sa décoration. L’histoire du dieu du jour, qu’il y traita allégoriquement et par allusion à la devise du roi-soleil, valut à la nouvelle galerie le nom de galerie d’Apollon, qu’elle a conservé depuis. Ce travail, souvent interrompu, ne fut pas terminé par Le Brun ; il ne peignit que deux des cartouches du plafond (le Soir ou Morphée, la Nuit ou Diane) et une des voussures (le Triomphe de Neptune et de Thétis) ; il donna les dessins et même les esquisses de la plupart des autres cartouches et médaillons, et même des cariatides, des génies et autres ornements exécutés en stuc pour la décoration de cette magnifique galerie. Dans le grand cartouche central, où se voit aujourd’hui l’Apollon Pythien d’Eugène Delacroix, il avait le projet de représenter le dieu du jour debout sur son char et parvenu au milieu de sa carrière.

Une entreprise des plus considérables absorba Le Brun pendant près de quinze années. Louis XIV lui confia le soin de faire du palais de Versailles la plus magnifique résidence de l’univers. « Tout, dans ce palais superbe, dit l’abbé de Fontenai, retentit du nom de Le Brun : on y voit de toutes parts les traces de son génie. En même temps qu’il dirigeait les ornements pittoresques de l’intérieur, il donnait les dessins de la plupart des bosquets et des fontaines, de la plus grande partie des statues, des vases, de l’architecture de la galerie et des appartements, et même de la menuiserie et des serrures. Il semblait animer de ses talents tous les peintres et les sculpteurs qui travaillaient sous ses ordres. » Les travaux qu’il exécuta de sa propre main seraient trop longs à énumérer. Il décora l’escalier des ambassadeurs, les salons de la Paix et de la Guerre et la grande galerie. Dans cette dernière partie du palais il représenta, en vingt et un tableaux et six bas-reliefs peints, les principaux événements de l’histoire de Louis XIV, compositions où l’allégorie tient une place beaucoup trop grande. Il trouva encore l’occasion de déployer son infatigable activité au château royal de Marly et au château de Sceaux, qui appartenait à Colbert, son protecteur. Ce grand ministre, chargé de la surintendance des bâtiments, avait compris que nul n’était plus capable que Le Brun de réaliser les gigantesques projets qu’il avait conçus pour la plus grande gloire du monarque. Il lui confia la direction de tous les travaux d’art exécutés pour le compte de la couronne. Le Brun usa parfois, en véritable despote, de cette haute autorité, mais il en profita souvent aussi dans l’intérêt de l’art et des artistes, notamment pour obtenir la fondation d’une école française à Rome (1666).

Après la mort de Colbert (1683), l’étoile de Le Brun commença de pâlir. Le nouveau surintendant, Louvois, qui n’aimait ni Colbert ni ses créatures, affecta de vanter Mignard et l’opposa à Le Brun. Bien que le roi continuât à témoigner à son premier peintre une faveur marquée, le grand artiste, fatigué des tracasseries que ses ennemis lui suscitaient, cessa d’aller à la cour et tomba dans une maladie de langueur. On le ramena expirant de sa maison de Montmorency aux Gobelins, où il mourut le 12 février 1690. Il fut enterré à Saint-Nicolas-du-Chardonnet, dans la chapelle de Saint-Charles, qu’il avait décorée et où il avait érigé à sa mère un mausolée de marbre sculpté, d’après ses dessins, par Tuby et Colignon. Son propre tombeau fut sculpté par Coysevox.

Indépendamment des grands travaux que nous avons cités, Charles Le Brun exécuta, pour des églises et des particuliers, une foule d’ouvrages, parmi lesquels il nous suffira de mentionner : Pandore apportant sur la terre la boite où tous les maux sont renfermés, plafond de la maison de Mansart ; l’Assomption, plafond de la chapelle du séminaire de Saint-Sulpice ; le Père éternel adoré par les anges, peinture de la tribune de l’église de la Sorbonne. Le superbe tombeau du cardinal de Richelieu, placé dans ce dernier édifice, fut sculpté par Girardon d’après les dessins de Le Brun. Il donna aussi les dessins du tombeau de Colbert et de la chaire à prêcher pour l’église Saint-Eustache ; du tombeau de Turenne, pour Saint-Denis ; du principal autel de l’église des Grands-Augustins et de celui de la Sorbonne ; des décorations de l’appartement de Louis XIV aux Tuileries ; des figures de la Hollande vaincue et du Rhin, sculptées sur la porte Saint-Denis, etc. Il composa aussi des illustrations pour les éditions de luxe ; il grava des eaux-fortes dans le goût d’Audran : il fit à l’Académie des lectures et des conférences, dont plusieurs ont été imprimées, et publia un Livre de portraiture pour ceux qui commencent à dessiner. Les plus habiles graveurs de son temps, Edelinck, les Audran, les Picart, les Poilly, Sébastien Le Clerc, Chauveau, reproduisirent à l’envi ses compositions.

Le Louvre possède les meilleurs tableaux de Le Brun : les Batailles d’Alexandre, le Crucifix aux anges, la Madeleine repentante (autrefois aux Carmélites), la Sainte Famille, dite le Bénédicité, le Christ serai dans le désert par les anges, l’Entrée de Jésus-Christ à Jérusalem, l’Élévation de croix, le Martyre de saint Étienne (autrefois à Notre-Dame de Paris), la Descente du Saint-Esprit (autrefois dans la chapelle du séminaire de Saint-Sulpice), Saint Michel foudroyant les anges rebelles, une Pietà ou le Christ mort sur les genoux de la Vierge, Mucius Scævola devant Porsenna, la Mort de Caton, la Chasse de Méléagre et la Mort de Méléagre, enfin le portrait de l’artiste lui-même et celui de Du Fresnoy. À Versailles, outre les peintures décoratives dont nous avons parlé, on conserve dans le musée plusieurs toiles historiques de Le Brun. Le musée de Rennes possède de ce maître une Descente de croix ; le musée de Bordeaux, une Nymphe poursuivie par un Fleuve ; le musée de Caen, Daniel dans la fosse aux lions, le Baptême de Jésus, le Jugement dernier ; le musée de Lille, Hercule assommant Cacus ; le musée de Nîmes, Saint Jean l’Évangéliste dans l’extase.

Les tableaux de Le Brun sont rares à l’étranger. Un de ses meilleurs ouvrages, le Massacre des Innocents, provenant de l’ancienne galerie d’Orléans, se voit aujourd’hui à Dulwich-College, à Londres. À la pinacothèque de Munich est une Madeleine pénitente ; au musée de Dresde, une Sainte Famille ; aux Offices, à Florence, le Sacrifice de Jephté et le portrait de l’artiste.

Le Brun (PORTRAIT DE CHARLES), par Largillière (musée du Louvre). Le célèbre artiste est représenté assis, presque de face, les jambes couvertes d’un manteau de velours rouge. De la main droite il montre, sur un chevalet, l’esquisse d’un de ses tableaux de la grande galerie de Versailles, la Conquête de la Franche-Comté. Près de lui, sur une table, une gravure de la Famille de Darius est placée à côté d’une réduction du Gladiateur antique et d’un buste d’Antinous. À terre, on voit une tête et un torse moulés sur l’antique, un globe, un livre, des cartons, des papiers.

Cette peinture, que Largillière exécuta pour sa réception à l’Académie, en 1686, donne bien l’idée de la correction savante, de l’exécution libre et forte de cet éminent portraitiste. Elle a été gravée par Edelinck. C’était le seul ouvrage de Largillière qu’eût recueilli le Louvre avant que la générosité de M. La Caze eût enrichi notre musée national.

Le Brun a fait de lui-même, dans sa jeunesse, un portrait qui est au Louvre. Il s’est peint plus tard dans un tableau qui appartient à la célèbre collection iconographique de Florence. Au Louvre encore est un tableau dans lequel Rigaud a réuni les portraits de Le Brun et de Pierre Mignard. Le même musée possède un admirable buste en marbre de Le Brun, par Coysevox, qui en exécuta un second pour le mausolée de cet artiste. Un autre buste a été exécuté en 1806 par Espercieux.