Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/LE PELTIER DE SAINT-FARGEAU (Louis-Michel), homme politique et conventionnel, fils aîné du précédent

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Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 2p. 384).

LE PELTIER DE SAINT-FARGEAU (Louis-Michel), homme politique et conventionnel, fils aîné du précédent, né à Paris le 29 mai 1760, assassiné dans la même ville le 20 janvier 1793. Avocat général, puis président à mortier au parlement de Paris, il fut nommé par la noblesse de cette ville député aux états généraux de 1789. Il défendit d’abord les intérêts de son ordre ; mais, au 12 juillet 1789, entraîné tout à coup par le mouvement généreux qui emportait alors tous les esprits, il se jeta dans le parti populaire. Dès le lendemain, il réclama avec force le rappel de Necker, sacrifié aux passions de la réaction, et prononça cette parole mémorable qui eût dû faire réfléchir les partisans obstinés de la résistance : « Représentons le peuple, si nous ne voulons pas qu’il se représente lui-même. » Il fut depuis, dans l’Assemblée dont il faisait partie, le défenseur constant des idées libérales et démocratiques. Appelé en 1790 au comité de jurisprudence criminelle, il s’y distingua par la netteté et la précision de ses vues, combattit énergiquement la peine de mort, et, n’ayant pu faire prévaloir ses idées sur ce sujet, il obtint du moins que la décapitation serait désormais substituée dans tous les cas aux anciens supplices. On voit que si la peine de mort s’est retournée ensuite contre les adversaires de Le Peltier, il n’y a du moins pas eu de la faute de ce généreux patriote. La même année, il proposa et fit voter le décret qui enjoignait aux nobles de reprendre leur nom de famille à l’exclusion de tout autre, et renonça lui-même au nom de Saint-Fargeau.

Élu en 1792 député à la Convention nationale par le département de l’Yonne, où il possédait de grands biens, Le Peltier défendit avec autant d’ardeur que d’éloquence la liberté de la presse. Il soutint ensuite le droit de l’Assemblée à juger Louis XVI, et vota la mort sans appel ni sursis. De quelque manière qu’on juge cet acte de Le Peltier, qui vota du reste avec la majorité de la Convention, il n’est pas douteux qu’il fut poussé dans cette solennelle occasion uniquement par la voix de sa conscience. Vouloir, avec certains écrivains royalistes, attribuer à la peur la détermination terrible qu’il crut devoir prendre, c’est méconnaître à la fois et le caractère de Le Peltier, et l’énergie singulière que donnait alors à tous les cœurs la gravité des circonstances. Quant aux paroles qu’on lui attribue : « Quand on a six cent mille livres de rente, il faut être à Coblentz ou au faîte de la Montagne, » elles sont trop absurdes pour pouvoir être même discutées. C’est une des mille inventions odieuses dont les royalistes ne se sont pas fait faute. La conviction sincère de Le Peltier, en cette occasion, est démontrée surabondamment par le zèle extrême qu’il déploya et auquel rien ne l’obligeait. Eût-il vu des dangers personnels dans un vote favorable au roi, il ne pouvait cependant se croire obligé d’écrire contre l’appel au peuple cette brochure violente jusqu’à la menace, qui faillit un instant le compromettre devant la Convention, dont on l’accusait d’avoir méconnu les droits. Le discours qu’il prononça pour sa défense n’eut pas seulement pour effft de le justifier, il entraîna quelques députés encore hésitants et contribua à faire rejeter l’appel au peuple, dernier espoir de salut auquel s’étaient rattachés les partisans du roi. Louis XVI fut donc condamné sans appel ; mais Le Peltier, qui avait puissamment coopéré à ce résultat, ne devait pas voir le jour de l’exécution.

Le 20 janvier, veille de la mort du roi, Le Peltier était allé dîner au Palais-Royal, dans l’établissement d’un nommé Février. Au moment où, debout devant le comptoir, il réglait sa dépense, un ancien garde du corps, du nom de Pâris, se présenta à lui et lui demanda s’il se nommait Le Peltier et s’il avait voté la mort du roi. « Oui, » répondit-il. Et il ajouta aussitôt : « Au surplus, qu’est-ce que cela vous fait ? » À l’instant même, Paris enfonça un large couteau dans le cœur du député, qui tomba expirant. Avant de rendre le dernier soupir, Le Peltier eut, dit-on, le temps de prononcer encore ces belles paroles : « Je suis satisfait de verser mon sang pour la patrie ; j’espère qu’il servira à consolider la liberté et l’égalité et à faire reconnaître ses ennemis. » L’authenticité de ces paroles a été contestée. Les funérailles de Le Peltier Saint-Fargeau furent un deuil immense pour la ville de Paris. Son corps sanglant, exposé nu sur le piédestal de la place Vendôme, d’où l’on avait enlevé la statue de Louis XIV, fut ensuite transporté solennellement au Panthéon, au milieu d’un immense concours de population. La Convention, la société des jacobins, les sections de Paris assistaient en corps à la cérémonie ; toutes les corporations s’y trouvaient avec leurs bannières, parmi lesquelles on voyait au bout d’une lance les vêtements sanglants de la victime. David fit de la mort de Le Peltier un tableau, qui fut placé dans la salle des séances de la Convention. L’Assemblée adopta la fille unique de Le Peltier.

Le Peltier a laissé quelques écrits : un Plan d’éducation publique, lu par Robespierre devant la Convention ; des Discours et des Rapports ; le tout a été publié par son frère (Bruxelles, 1826, in-8°).

Le Peltier (mort de), tableau de David. Un mois après l’assassinat de son collègue, David présentait à la Convention un tableau commémoratif de cet événement. Ce tableau n’existe plus. Son dernier possesseur, obéissant à un sentiment de haine politique contre le personnage mis en scène par l’illustre artiste, le lacéra et le brûla ; il n’en reste d’autre souvenir qu’un dessin à la plume fait d’après la tête de la victime. Ce dessin est fort beau, émouvant et vrai. Le Peltier est tombé foudroyé sous le coup de l’assassin ; les traits du visage n’ont pas été altérés par l’agonie ; ils sont restés beaux et fins, et la mort n’a fait que les affermir davantage. La tête de Le Peltier est du même sentiment que celle du Marat expirant, et tout aussi puissante peut-être, mais d’un profil plus pur. Quant au tableau lui-même, placé surtout comme il l’était dans la salle des séances de la Convention, il impressionnait vivement au premier abord, mais il laissait beaucoup à désirer, paraît-il, sous le rapport de la composition.