Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/LOIZEROLLES (Jean-Simon AVED DE), né à Paris en 1732, décapité la veille du 9 thermidor an II (26 juillet 1794)

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Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 2p. 643-644).

LOIZEROLLES (Jean-Simon Aved de), né à Paris en 1732, décapité la veille du 9 thermidor an II (26 juillet 1794). La seule illustration de ce personnage, c’est qu’il passe assez généralement pour être monté sur l’échafaud à la place de son fils, par suite d’une erreur monstrueuse du tribunal révolutionnaire, erreur à laquelle lui-même se serait prêté par dévouement paternel. C’est un point historique que nous allons examiner, en nous efforçant de dégager cette affaire des nuages de la fiction, pour la ramener à la simplicité prosaïque de l’histoire.

Sans doute, les belles légendes de la nature de celle-ci sont respectables et touchantes ; de plus, elles présentent des thèmes tout faits pour les amplifications morales. Mais si la poésie a des privilèges, la vérité a des droits contre la violation desquels il est toujours permis de protester. Si nous sommes obligés de nous contenter des à peu près de l’histoire ancienne, n’ayant rien de mieux à leur substituer, il ne saurait être interdit de chercher l’histoire vraie d’hier, à travers l’épaisse alluvion de mensonges et d’erreurs sous laquelle elle est déjà presque submergée. C’est d’ailleurs un travail d’autant plus ingrat, que la roman est plus attrayant, plus littéraire que la réalité, et qu’on risque fort, quelque consciencieuse réserve qu’on y apporte, d’être parfois confondu avec une école de douteurs systématiques, faiseurs littéraires qui se sont fait une industrie d’un scepticisme facile et vulgaire, non moins éloigné de la saine critique historique que la crédulité banale de leurs devanciers.

Loizerolles était avocat au parlement de Paris et jurisconsulte estimé, quand Maupeou lui proposa, en 1771, la présidence de son fameux parlement. D’après une notice biographique écrite par son fils, il refusa et resta pendant quatre ans livré à l’étude de l’histoire et de la littérature. Il parait même qu’il aurait publié, sous le voile de l’anonyme, plusieurs articles dans la Bibliothèque des romans.

Dans la suite, il devint conseiller d’État, lieutenant général honoraire du gouvernement de l’artillerie de France et bailli, premier président du bailliage et chambre royale de l’arsenal. Survint la Révolution.

C’est ici que se place le fait auquel le nom de Loizerolles a dû sa célébrité. Rapportons d’abord la version royaliste. « Loizerolles, dit M. Michaud, fut conduit avec son fils à Saint-Lazare. Le 7 thermidor an II (juillet 1794), deux jours avant la chute de Robespierre, l’huissier du tribunal révolutionnaire vient à cette prison avec une liste de victimes, et il appelle Loizerolles fils. Le jeune homme dormait ; son père, n’hésitant pas à faire le sacrifice de sa vie pour le sauver, se présente, est conduit à la Conciergerie, et paraît le lendemain à l’audience. Le greffier, ne voyant qu’une erreur dans le chiffre d’âge, substitue soixante à vingt-deux, change les prénoms et ajoute à l’acte d’accusation les anciennes qualités du père, qui est ainsi conduit à l’échafaud, où il consomme, sans rien dire, son héroïque sacrifice, et son fils est sauvé. »

Ce récit est entièrement démenti par les faits, ou du moins a été arrangé en forme de légende. Loizerolles fut en effet arrêté comme suspect et emprisonné à Saint-Lazare avec sa femme et son fils. Ils y étaient à l’époque des fameuses conspirations des prisons, probablement fictives, du moins en partie, mais pour lesquelles tant de malheureux furent envoyés à la mort. Loizerolles père fut dénoncé par quelques-uns de ces misérables qui faisaient le métier de moutons, ou policiers spéciaux, des prisons, et il fut compris dans une fournée destinée au tribunal révolutionnaire. Le 7 thermidor au soir, ordre fut donné de le transférer à la Conciergerie. Mais il advint que l’huissier chargé d’aller prendre à Saint-Lazare les prénoms, âge et qualités du père, n’ayant point demandé s’il y avait plusieurs Loizerolles, copia maladroitement sur le registre les prénoms, âge et qualités du fils, lesquels se trouvèrent, en conséquence, portés sur l’acte d’accusation qui fut signifié à Loizerolles. Craignant sans doute d’appeler l’attention sur son fils, il garda le silence ; mais en cela seul consiste son dévouement paternel ; car le reste de l’acte d’accusation le concernait bien lui-même ; c’était bien Loizerolles père qui avait été dénoncé, c’était bien lui qu on avait entendu traduire au tribunal comme conspirateur. À l’audience, son identité fut constatée ; mais alors on s’aperçut de l’erreur du copiste, et une rectification devint nécessaire. Coffinhal rectifia l’erreur séance tenante et rétablit les prénoms, âge et qualités du véritable accusé. C’est cette correction indispensable qu’on a plus tard voulu présenter comme un faux. Mais la minute du jugement et toutes les pièces portent bien que ce fut le père qu’on accusait et qui fut condamné. Le fils n’était ni dénoncé ni accusé. Il n’y eut donc point substitution de personnes, et le père ne put avoir la noble illusion qu’il mourait pour son fils. Et n’est-il pas de la dernière évidence que, dans le cas d’une grossière erreur, ce vieillard de soixante et un ans n’aurait pu se faire passer pour son propre fils, qui en avait vingt-deux ?

C’était si bien le père qu’on avait condamné, que ses biens furent confisqués, suivant la loi. Si c’eût été le fils, on n’aurait pas confisqué les biens du père, à moins de supposer gratuitement une nouvelle erreur ou un nouveau brigandage dont les comités de la Convention se seraient rendus complices.

Cette affaire si simple d’une erreur de copiste est devenue avec le temps un thème auquel chaque écrivain s’est cru le droit d’ajouter des ornements. M. Thiers (t. V, ch. VI) ne se contente pas de faire mourir le père pour le fils, ce qui était la version consacrée par tous les scribes de la réaction, il ajoute encore : « Le fils fut jugé à son tour, et il se trouva qu’il aurait dû ne plus exister ; car un individu ayant tous ses noms avait été exécuté : c’était son père. Il n’en périt pas moins. »

Et voilà justement comme on écrit l’histoire !

Heureusement Loizerolles fils, guillotiné par M. Thiers, continua à se bien porter pendant de longues années encore et à exploiter, fructueusement la fable qui a rendu son nom célèbre. Jamais il n’a été jugé, ni conséquemment condamné. Il a déposé au procès de Fouquier-Tinville, et c’est précisément sa déposition qui a été l’origine de tous les récits relatifs à cette affaire. Plus tard, il a composé un poème, la Mort de Loizerolles ou le Triomphe de l’amour paternel. V. plus bas sa biographie.

M. Berriat Saint-Prix (la Justice révolutionnaire) a essayé de raviver cette légende de l’amour paternel, mais sans apporter aucun fait nouveau. Il a été combattu victorieusement par M. Louis Blanc (Histoire de la Révolution, t. XI, p. 123, 124, 460 ; t. XII, p. 620). En outre, un écrivain tout à fait hostile aux hommes de la Révolution, M. Campardon (Histoire du tribunal révolutionnaire, t. II p. 117 et suiv.), après un examen approfondi des dossiers et de toutes les pièces, déclare loyalement que les assertions de Fouquier-Tinville sont exactes. Il a trouvé, notamment aux Archives, la dénonciation des moutons, Ch. Jeaubert, Robinet et Leymandi, laquelle dénonciation a motivé la mise en accusation. Cette pièce commence ainsi : « Loizerolles père n a pas cessé de lancer des sarcasmes contre la Convention et les patriotes, qu’il qualifiait d’hommes de sang, etc. »

Loizerolles fils n’a donc jamais été en cause, et conséquemment son père n’a pu mourir pour lui.

Il y aurait encore bien des contradictions et des impossibilités à relever dans le récit convenu de cette affaire ; mais nous avons mis nos lecteurs sur la voie, en indiquant les sources, et nous laissons à leur sagacité le soin de conclure, par la nécessité où nous sommes de ne pas gonfler démesurément cet article.

La Mort de Loizerolles, poëme en trois chants, par Loizerolles, avec des notes soi-disant historiques, a été publiée en 1813 (in-18) et rééditée en 1828 (in-8°), avec des additions. C’est une œuvre fort plate sous le rapport poétique, et grossièrement fabuleuse au point de vue des faits. Loizerolles fils vivait dès lors de cette mythologie.