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Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/LOUIS-PHILIPPE Ier

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Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 2p. 717-720).

LOUIS-PHILIPPE Ier, né à Paris, au Palais-Royal, le 6 octobre 1773, mort à Claremont (Angleterre) le 26 août 1850. Il était fils de Louis-Philippe-Joseph, duc d’Orléans, fameux dans la Révolution sous le nom d’Égalité, et qui descendait de Monsieur, frère de Louis XIV. Sa mère, Louise-Marie-Adélaïde de Bourbon, descendait elle-même, par son père le duc de Penthièvre, du comte de Toulouse, fils légitimé de Louis XIV et de Mme de Montespan.

Il porta successivement les titres de duc de Valois, de Chartres, puis d’Orléans. Confié aux soins de Mme de Genlis, ainsi que sa sœur Adélaïde et plus tard ses frères de Montpensier et de Beaujolais, il fut élevé par elle suivant le système exposé par Jean-Jacques, dans l’Émile. Son éducation, trop encyclopédique pour ne pas être artificielle, lui donna néanmoins une grande variété de connaissances. En outre, il fut exercé, comme ses frères et sa sœur, à cultiver un petit carré de jardin et à différents petits arts manuels, comme de fabriquer des portefeuilles, de la gaze, du cartonnage, des fleurs artificielles, des paniers, des grillages, des ouvrages de menuiserie, etc. Il faut ajouter les visites fréquentes aux manufactures, aux usines, aux collections, etc., les exercices du corps, les longues marches à pied, des habitudes de sobriété et de rudesse, comme d’endurer le froid et le chaud, la soif et la faim, de coucher sur une simple natte, etc.

Excellent système d’éducation, pour le dire en passant, mais qui n’est guère à la portée que des riches. Appliqué aux princes, il leur donne l’énergie, la patience, le ressort, arme leur ambition de mille qualités fortes, et en définitive ne les rend que plus redoutables pour les peuples, plus aptes à se saisir du pouvoir et à le conserver, à tout emplir de leur personnalité. Qu’on ne prenne pas ceci pour une boutade de misanthropie. N’admettant guère les princes dans l’organisation politique et sociale que nous rêvons, nous sommes naturellement porté à désirer que ceux que nous subissons provisoirement aient, sous tous les rapports, le moins de qualités possible.

Dans les voyages que Mme de Genlis faisait faire à ses élèves, elle les conduisit une fois au Mont-Saint-Michel ; on sait que le futur roi des Français, rempli d’indignation contre les pratiques du despotisme, voulut porter les premiers coups pour démolir la fameuse cage où depuis Louis XIV on avait enfermé divers prisonniers, et qui même servait parfois encore comme lieu de punition temporaire.

Cet acte d’humanité ne doit pas faire oublier que précisément au même lieu, sous le règne de Louis-Philippe, on enferma les prisonniers républicains, non dans une cage, sans doute, mais isolément dans des cellules, où ils subirent un régime et les traitements les plus odieux.

En 1785, lorsque son père devint duc d’Orléans, le jeune prince, suivant l’usage de sa famille, reçut à son tour le titre de duc de Chartres et fut nommé colonel de dragons. Il avait douze ans. Ces promotions ridicules étaient, comme on le sait, consacrées dans l’ancien régime. Dès le début de la Révolution, Louis-Philippe, encore adolescent, suivit l’exemple de son père en se prononçant avec éclat pour les idées nouvelles, tactique ordinaire des branches collatérales pour conquérir la popularité. Il entra dans la garde nationale, prit pour seul titre celui de citoyen de Paris, assista régulièrement aux séances de l’Assemblée constituante, se fit recevoir membre de la Société des jacobins, et adressa même, dit-on, quelques articles anonymes à la feuille de Marat.

Lors de sa réception aux Jacobins (1er novembre 1790), il prononça un discours qui fut chaleureusement applaudi et reproduit par les feuilles patriotiques. À cette époque, il commença la rédaction d’un journal de ses actions et de ses pensées, qui est un peu plus intéressant que l’inepte carnet de Louis XVI. Ce sont des notes jetées à la hâte sur le papier ; mais, outre qu’elles sont une relation assez vivante de quelques-uns des épisodes dramatiques de ce temps prodigieux, l’homme s’y peint naïvement tel qu’il était alors. On voit la physionomie singulièrement originale de ce jeune prince, poussé sans doute par l’ambition héréditaire, mais entraîné aussi par l’enthousiasme de la jeunesse et par ses tendances philosophiques en pleine agitation révolutionnaire, et savourant comme un fruit nouveau les doctrines et la pratique de l’égalité.

Ayant pris le commandement effectif de ses dragons, il alla tenir garnison à Vendôme, en vertu du décret qui obligeait tous les colonels propriétaires de régiment à rejoindre leur corps (juin 1791). La modération qu’il montra dans les troubles qui éclatèrent après la fuite de Louis XVI augmenta sa popularité. Ce fut dans cette ville aussi qu’il eut le bonheur de sauver un homme qui se noyait. À cette occasion, la municipalité récompensa son courage en lui décernant solennellement une couronne civique. En août de cette même année, il alla prendre le commandement de la place de Valenciennes. En avril 1792, il prit part, sous les ordres de Biron, aux opérations sur la frontière de Belgique, et se distingua d’une manière brillante aux affaires de Quiêvrain, de Boussu, de Mons, etc. Nommé maréchal de camp, il passa sous les ordres de Luckner, contribua à la prise de Courtrai, reçut le grade de lieutenant général (11 septembre) et fut assez heureux pour participer avec honneur aux premières et glorieuses victoires de la République, Valmy et Jemmapes. Il combattit encore avec intrépidité pendant la campagne de Hollande, aux sièges de Venloo, de Maastricht, et dans la déroute de Neervinden (mars 1793), où il reprit deux fois le village de ce nom. Il servait alors sous Dumouriez. Entraîné dans la trahison de ce général, qui passait pour conspirer en faveur de la famille d’Orléans, le jeune Égalité (c’était le nom qu’avait pris son père) passa à l’ennemi avec son chef. Cet acte était de sa part d’autant plus coupable et inconsidéré qu’il devait amener et amena, en effet, l’arrestation de son père, déjà menacé comme Bourbon.

D’ailleurs, il se conduisit avec dignité dans l’émigration, et jamais il ne consentit à porter les armes contre sa patrie. Son exil devait durer vingt et un ans. À la douleur d’être éloigné de la France vint bientôt s’ajouter pour lui celle de perdre son père, qui fut envoyé à l’échafaud.

Après sa fuite, le duc de Chartres s’était réfugié à Mons, au quartier général de l’armée autrichienne. Le prince de Saxe-Cobourg lui offrit un commandement dans les armées de l’empire ; mais il refusa avec fermeté, se dirigea sur Coblentz, puis sur Francfort, Bâle, Schaffhouse, Zurich, voyagea quelque temps dans les montagnes de la Suisse, et enfin, ses ressources étant complètement épuisées, il sollicita et il obtint un emploi de professeur au collège de Reichenau (Grisons), aux appointements de 1,400 francs par an. Il remplit pendant quinze mois, sous le nom de Chabaud-Latour, ces modestes et honorables fonctions, enseignant les langues, l’histoire, la géographie et les mathématiques. Au milieu de toutes ces épreuves, il dut apprécier les bienfaits de l’éducation philosophique qu’il avait reçue et qui lui donnait le courage de supporter avec une tranquille résignation toutes les vicissitudes de la fortune.

Les troubles politiques l’obligèrent à quitter ce canton. Il partit à pied, le sac sur l’épaule, sous le nom de Corby, séjourna quelque temps au camp du général Montesquiou, à Bremgarten, puis voyagea en Danemark, en Suède, en Norvège, en Laponie, s’avança vers le pôle nord à cinq degrés plus près que ne l’avait fait Maupertuis, et enfin partit en 1796 pour les États-Unis, sur l’invitation de sa mère, qui lui annonçait que son départ en Amérique était la condition que mettait le Directoire à la mise en liberté de ses frères. Il se fixa à Philadelphie, où ses frères, les ducs de Montpensier et de Beaujolais, vinrent le rejoindre. Pendant son séjour en Amérique, comme pour son départ d’Europe, il eut les plus grandes obligations à Gouverneur-Morris, ministre des États-Unis en France, qui l’aida généreusement de sa bourse et de son influence et lui rendit tous les services possibles. Après de longs voyages dans les États de l’Union, il revint en Europe en 1800 et alla s’établir à Londres. Un rapprochement s’opéra alors entre les deux branches de la maison de Bourbon. Le duc d’Orléans eut une entrevue avec le comte d’Artois et fit hommage de sa fidélité à Louis XVIII. Reconnu comme prince français par la Russie, il en reçut un subside, signa la protestation des princes de Bourbon contre l’élévation de Bonaparte au trône et protesta avec éclat contre l’assassinat du duc d’Enghien. Ses deux frères étant morts, il alla se fixer à Palermne, auprès du roi Ferdinand IV, chassé de Naples, dont il épousa la fille, Marie-Amélie, le 25 novembre 1809.

S’écartant pour la première fois de la réserve qu’il avait montrée jusqu’alors, il avait tenté l’année précédente de pénétrer en Espagne pour y combattre les français, de concert avec Léopold, second fils de Ferdinand IV. Soupçonné d’aspirer à la régence de la péninsule, il vit ses projets traversés par les Anglais, qui l’empêchèrent d’entrer en Espagne. Appelé deux ans après par la junte de Séville, il ne fut pas plus heureux ; la même influence l’empêcha successivement de mettre le pied à Tarragone, puis à Séville. Dès lors, il vécut inactif à la cour de Palerme jusqu’aux événements de 1814, qui lui permirent de rentrer en France. Louis XVIII le remit en possession des biens de sa famille et le nomma colonel général des hussards, bien qu’il l’aimât peu et même se défiât de lui. Fils de régicide, ayant lui-même trempé dans la Révolution, sa situation était assez singulière à cette cour, et les royalistes ne pouvaient consentir à lui pardonner le rôle de son père et le sien ; d’autant plus qu’on lui supposait des vues ambitieuses assez ordinaires chez les branches collatérales. On n’ignorait pas que quelques hommes considérables songeaient à l’opposer à la branche aînée et aux ultra-royalistes, et l’on assure même qu’il y eut dès cette époque un complot ébauché en sa faveur.

Lors du retour de l’île d’Elbe, le duc d’Orléans fut adjoint au comte d’Artois et à Macdonald pour commander l’armée de Lyon, qui fut impuissante à arrêter la marche de Napoléon et dut même se retirer sans combattre. Il reçut ensuite le commandement des départements du Nord ; mais il n’eut aucune occasion d’agir, et il n’eut bientôt plus qu’à se démettre entre les mains du maréchal Mortier, et alla à Twickenham rejoindre sa famille, qu’il avait fait passer récemment en Angleterre, en prévision des événements.

On songea encore à lui après la chute définitive de Napoléon, et sa candidature au trône de France fut même un instant posée dans le congrès de Vienne par l’empereur Alexandre. Fouché et Talleyrand travaillaient en ce sens. Mais cette solution fut définitivement repoussée par les souverains coalisés.

À son retour d’Angleterre, il protesta d’ailleurs chaleureusement de sa fidélité à Louis XVIII ; et il est, en effet, probable qu’il n’eût pas voulu devoir la couronne à l’intervention de l’étranger ; il avait trop de sens et d’espoir pour ne pas sentir que c’eût été là une origine déplorable et un souvenir trop lourd à porter.

Cependant, son attitude libérale à la Chambre des pairs, sa modération naturelle, qui contrastait avec les fureurs de ces hommes qui, dans l’émigration, n’avaient rien oublié ni rien appris, semblaient le désigner aux espérances des libéraux constitutionnels. Cette situation lui créa quelques embarras, et il repartit pour l’Angleterre en octobre 1815, autant pour se soustraire aux attaques de ses ennemis que pour modérer les espérances prématurées de quelques-uns de ses partisans. Il se crut même obligé de repousser dans un manifeste public les imputations dont il était l’objet. Peut-être aussi son exil ne fut-il pas volontaire. Quoi qu’il en soit, il revint au commencement de 1817. Au milieu des réactions sanglantes de cette époque, il garda une réserve fort prudente, mais sans parvenir à effacer les préventions de Louis XVIII, qui flairait en lui un héritier de la branche aînée et qui ne voulut jamais lui rendre le titre d’Altesse royale (il l’obtint sous Charles X).

Le duc d’Orléans avait trop de circonspection pour prêter son appui à toutes les conspirations qui furent tramées contre les Bourbons, et c’est probablement bien à tort qu’on a formulé à cet égard des accusations contre lui, notamment à propos de la mystérieuse affaire de Didier, à Grenoble. Néanmoins, il n’en travaillait pas moins à se faire une popularité, désapprouvait les réactions, au moins par son silence et sa réserve, courtisait les chefs du parti libéral, faisait élever ses fils au collège Henri IV, sur les mêmes bancs que ceux des simples citoyens, affichait d’habiles préférences pour les classes bourgeoises, séduisait les écrivains de l’opposition en leur venant en aide dans les poursuites dont ils étaient l’objet, en les recueillant même chez lui, se faisait pour ainsi dire le point de ralliement des intérêts créés par la Révolution, attirait à lui les notabilités politiques, financières et industrielles, recevait dans sa somptueuse demeure du Palais-Royal les Paul-Louis Courier, les Benjamin Constant, les Casimir Périer, etc., encourageait les sciences et les arts, ne négligeait rien enfin de ce qui pouvait, sans compromettre sa haute position, lui gagner les cœurs et les esprits.

Lors de la naissance du duc de Bordeaux, une protestation contre la légitimité de l’enfant parut à Londres dans le Morning Chronicle (novembre 1820). Cette pièce, datée de Paris, du 30 septembre 1820, portait pour titre : Protestation du duc d’Orléans.

Aussitôt que celui-ci eut connaissance de cette publication, il accourut aux Tuileries pour la démentir et la désavouer. Il parait que Louis XVIII accueillit sa justification avec quelque méfiance.

On n’a jamais bien su, d’ailleurs, si cette pièce était ou non apocryphe.

Louis-Philippe, de mœurs simples et d’habitudes sévères, vivait surtout de la vie de famille et administrait avec une économie un peu sordide ses biens immenses, augmentés encore par le gain de divers procès et par une large part dans le milliard des émigrés. Convaincu que lui-même ou sa famille aurait son tour, suivant une expression de l’empereur Alexandre, prôné par un parti qui grandissait tous les jours, par des écrivains comme Courier, il suivait d’un œil attentif la marche de la Restauration, prévoyant bien l’inévitable dénoûment, mais sans rien faire pour le précipiter, sans se mêler activement aux agitations de la politique. Il sentait qu’il n’avait qu’à attendre, et que les événements viendraient pour ainsi dire le chercher. Assez bien en cour depuis l’avènement de Charles X, fort soucieux de ses intérêts privés, il caressait l’opposition, mais ne prenait d’engagement avec personne.

Quelque temps avant la révolution de Juillet, dont on sentait déjà l’approche, il donna au Palais-Royal une fête de nuit en l’honneur du roi de Naples, qui était venu visiter Paris. Charles X assistait à cette réception d’apparat, et il dut être fort choqué d’y rencontrer les membres les plus ardents du parti libéral. Mais l’invariable tactique du duc d’Orléans était, pour employer une expression familière, de nager entre deux eaux, de caresser à la fois le pour et le contre, enfin de ménager à la fois sa position présente et ses espérances d’avenir,

C’est pendant cette fête que M. de Salvandy, en complimentant l’amphitryon, lui dit le mot fameux : « Monseigneur, c’est une fête toute napolitaine : nous dansons sur un volcan. »

Deux mois plus tard, en effet, eut lieu l’explosion attendue et qui fut déterminée par le coup d’État des Ordonnances. Pendant le combat, Louis-Philippe resta absolument inactif, comme sa situation d’ailleurs le lui commandait. Il s’était retiré dans son palais de Neuilly avec sa famille et s’était même caché dans un petit pavillon du parc. Bientôt cette retraite ne lui parut pas assez sûre, et le 29 il partit déguisé pour le Raincy. Toujours prudent et réservé, peut-être un peu pusillanime, il voulait bien accepter la couronne, mais non la prendre. Naturellement, il n’eut pas un instant l’idée de défendre Charles X, qu’il avait si souvent accablé de ses protestations de dévouement.

Cependant la petite faction orléaniste travaillait vigoureusement l’opinion en faveur du prince, dont M. Thiers publia le panégyrique dans le National, pendant que des groupes de députés réunis chez Laffitte recommandaient sa candidature dans une proclamation. Des députations furent envoyées à Neuilly pour vaincre la résistance de Louis-Philippe (qui était toujours caché au Raincy). Enfin les députés présents à Paris se réunirent au Palais-Bourbon et décidèrent que le chef de la branche cadette serait supplié d’accepter les fonctions de lieutenant général du royaume. Quelques pairs réunis à la hâte donnèrent leur adhésion, ainsi que la commission de l’Hôtel de ville. Tous ces agissements eurent le caractère d’une scène de haute comédie préparée de longue main. Louis-Philippe se laissa convenablement prier, supplier par ses affidés, et finit par se sacrifier à la chose publique en acceptant le fardeau du pouvoir, mais l’âme pénétrée de douleur et tout en faisant parvenir l’expression de son dévouement à Charles X, retiré à Saint-Cloud. Puis il publia une proclamation dans laquelle il déclarait que la Charte serait désormais une vérité, et se rendit à l’Hôtel de ville comme pour faire consacrer sa nomination. On connaît cette scène mémorable. La Fayette, la grande popularité du jour, mit un drapeau tricolore entre les mains du prince, le présenta du haut d’une fenêtre au peuple qui remplissait la place et l’embrassa au milieu des acclamations. Le vieux général a nié plus tard qu’il eût présenté Louis-Philippe comme la meilleure des républiques (phrase qu’on a également attribuée à Odilon Barrot). Il paraît aussi qu’il ne fut pas question entre eux de ce fameux Programme de l’Hôtel de ville, série de formules politiques rédigées à la hâte, et qui ne fut pas présenté ; mais ils tombèrent d’accord sur la nécessité de fonder un trône populaire entouré d’institutions républicaines.

Ceci se passait le 31 juillet. Le lendemain, Charles X, qui s’était replié sur Rambouillet et qui peut-être s’aveuglait encore sur la situation, se donna le ridicule royal de reconnaître par ordonnance la nomination de son cousin comme lieutenant général du royaume. Le 2 août, il eut la naïveté, en lui envoyant son abdication, de le charger de la proclamation de Henri V comme roi de France.

À ce moment même, tout était déjà préparé pour l’embarquement de l’ex-roi et de sa famille à Cherbourg. Pour le déloger de Rambouillet, où il était encore entouré d’une douzaine de mille hommes, on répandit le bruit qu’il marchait sur Paris. Aussitôt toute la capitale fut sur pied et une armée improvisée se mit en route. On sait le reste ; Charles X, obsédé d’ailleurs par les commissaires envoyés par son heureux cousin, n’attendit pas l’armée parisienne.

Le 3, Louis-Philippe avait ouvert les Chambres. Sa popularité, habilement chauffée, surexcitée, augmentait d’heure en heure. Lui-même n’oubliait rien pour cela. Affable et caressant avec tout le monde, il prodiguait les promesses à tous les ambitieux, les protestations de libéralisme à tous les citoyens, avec ces fameuses poignées de main qui sont devenues proverbiales.

Enfin le 7 août, la Chambre des députés, à la majorité de 219 voix sur 252 votants, déclara le trône vacant et offrit la couronne au duc d’Orléans, à la condition d’accepter certaines modifications à la charte.

Évidemment il y avait dans cette décision une usurpation audacieuse de la souveraineté nationale ; car les 219, nommés sous Charles X, n’avaient nullement reçu la mission de distribuer des couronnes et de disposer de la France comme d’une propriété privée. En outre, le peuple ni même le petit corps électoral d’alors ne furent appelés à ratifier cet acte de souveraineté. Quelques acclamations de gardes nationaux, de députés et d’un certain nombre de combattants parurent une consécration suffisante comme expression de la volonté nationale. En réalité, l’intronisation de la branche cadette, cela ne peut être nié, fut le résultat d’un escamotage et d’une intrigue.

Louis-Philippe reçut ce magnifique présent d’une couronne, objet des convoitises constantes de sa famille, avec les formules banales et les grimaces usitées, en pareil cas : il était dépourvu de toute ambition, il eût préféré achever sa carrière dans l’obscurité de la vie de famille ; mais enfin il se rendait au vœu de la nation, il acceptait le fardeau par patriotisme et par dévouement, etc.

Il acheva la comédie en embrassant avec effusion La Fayette, Laffitte et tous ceux qui voulurent bien recevoir son accolade. Le 9, devant les Chambres assemblées, il prêta solennellement serment à la charte (légèrement remaniée en quelques jours par les députés), et il commença son règne de dix-huit ans sous le titre de Louis-Philippe 1er, roi des Français. Cette rupture de la chaîne des traditions monarchiques, ce changement de formules et de mots parut fort important aux subtils doctrinaires, dont les uns acceptaient le nouveau souverain parce que, les autres quoique Bourbon.

Le règne de Louis-Philippe est rempli d’événements importants. Toutefois, comme la plupart sont l’objet d’articles spéciaux dans les différentes parties du Grand Dictionnaire, indépendamment des biographies de tous les hommes ayant joué un rôle de quelque importance, nous n’en donnerons ici qu’un résumé rapide.

L’explosion de Juillet avait frappé les souverains de l’Europe d’inquiétude et de stupeur. Outre qu’ils redoutaient pour leurs propres pays la contagion de l’exemple, ils avaient les yeux fixés sur la France, attendant d’elle la paix ou la guerre. Mais les tendances pacifiques du nouveau roi n’étaient pas douteuses. De plus, il avait à se faire pardonner son origine révolutionnaire, et il n’était nullement disposé à se précipiter dans les aventures, soit pour venger Waterloo, soit pour anéantir les traités de 1815 et reprendre les frontières du Rhin, idées populaires que lui-même avait longtemps caressées par une tactique d’ambitieux. Il inaugura donc, par goût autant que par intérêt personnel, ce système de paix à tout prix qu’on lui a si souvent et si amèrement reproché. Sans le justifier entièrement sur ce point, nous devons reconnaître qu’à ce moment la France n’aurait eu aucun intérêt à prendre un rôle agressif, à provoquer une conflagration générale. Quoi qu’il en soit, Louis-Philippe mit dès ce moment tous ses soins à gagner la bienveillance des rois étrangers, dont quelques-uns le considéraient comme un usurpateur, et spécialement à se ménager l’alliance anglaise, qu’il rechercha comme point d’appui pendant tout son règne.

Son premier cabinet fut composé d’éléments hétérogènes, et l’on put voir dès lors que, s’il voulait paraître donner des gages au parti qui avait fait la révolution en subissant Dupont (de l’Eure), Laffitte (ce dernier sans portefeuille), il donnait aussi la majorité à l’élément plus spécialement conservateur, par le choix de MM. Guizot, Molé, de Broglie, le baron Louis, etc.

Les commencements du nouveau règne furent attristés par un événement tragique, le suicide du prince de Condé, qui avait choisi pour son héritier le duc d’Aumale, fils de Louis-Philippe. Cet épisode, resté assez mystérieux, donna lieu à des accusations terribles, mais probablement injustes, contre la famille d’Orléans. V. Condé.

Le procès des ministres de Charles X et les troubles qui éclatèrent à cette occasion obligèrent le gouvernement à sacrifier les ministres impopulaires, comme Guizot, Molé, Broglie, etc., et à constituer le ministère Laffitte (2 novembre), qui fut remplacé par le cabinet Casimir Périer (13 mars 1831). Dans l’intervalle, la marche rétrograde et contre-révolutionnaire s’était accentuée. On avait fait voter une loi qui supprimait le commandement général de la garde nationale. C’était une manœuvre pour obliger à la retraite La Fayette, dont on feignait de craindre le pouvoir, mais dont en réalité la popularité et les opinions étaient un obstacle pour les réacteurs. Le vieux général envoya, en effet, sa démission au roi, qui joua la misérable petite comédie de paraître désolé et surpris et de répondre : « Je reçois à l’instant (c’était la veille), mon cher général, votre lettre, qui m’a peiné autant que surpris par la décision que vous prenez. Je n’ai pas encore eu le temps de lire les journaux, etc. »

Or, il était notoire que la loi n’avait été préparée et faite qu’en vue de La Fayette. Ces faux-fuyants, ces manœuvres obliques, cette hypocrisie de langage, qui ne pouvaient tromper personne, n’étaient pas de nature à inspirer l’estime pour le caractère du roi, qui poussa la dissimulation jusqu’à adresser aux gardes nationales une proclamation dans laquelle il déplorait avec une effusion touchante la retraite du général.

La démission de Dupont (de l’Eure) suivit de près celle de La Fayette. Enfin le gouvernement, se sentant plus libre, fit de nouveaux pas dans la voie contre-révolutionnaire, notamment en frappant de dissolution l’artillerie de la garde nationale parisienne, recrutée en grande partie parmi les hommes les plus énergiques et les plus influents du parti républicain.

Ce parti, très-peu nombreux lors de la révolution de Juillet, n’avait pu que protester contre l’usurpation de la souveraineté nationale ; mais il grandissait tous les jours, et bientôt il allait livrer de terribles combats à la nouvelle monarchie.

Une nouvelle loi électorale (avril 1831), qui élargissait un peu les bases de la représentation nationale, mais qui était bien au-dessous de ce que réclamait l’opinion, livra les destinées du pays à une oligarchie de grands propriétaires, imperceptible minorité qui devint, dans le langage des hommes d’État, le pays légal. Le reste de la nation, dans l’opinion de M. Guizot et autres, n’était sans doute qu’un bétail : sous le règne de l’ancienne aristocratie, le peuple était taillable et corvéable à merci ; sous la haute bourgeoisie, il devint la matière imposable et gouvernable.

Une autre cause d’impopularité pour le gouvernement de 1830 fut l’abandon de la Pologne, qui s’était soulevée au retentissement de notre révolution. Louis-Philippe, cependant, montra quelque bon sens à propos des affaires de Belgique : il refusa la couronne que les Belges révoltés lui offraient pour son fils le duc de Nemours, intervint à propos dans la lutte engagée par ce pays contre la Hollande, et assura l’indépendance de la Belgique par la prise d’Anvers (décembre 1832). En août de la même année, il avait marié l’une de ses filles au nouveau roi des Belges, Léopold Ier.

Le ministère Casimir Périer, obligé de lutter contre des émeutes assez fréquentes, avait un caractère franchement réactionnaire, mais parlementaire cependant, et quelquefois, par excès d’indépendance, moins libéral peut-être que ne l’eût été le roi, dont l’action personnelle était d’ailleurs permanente et qui présidait assidûment le conseil des ministres. Ce cabinet, dirigé par Un homme despotique et implacable (dont la capacité a été fort surfaite), proclama le principe de non-intervention pour les affaires extérieures, sévit contre les associations populaires, épura les administrations, c’est-à-dire en chassa les patriotes de Juillet, poursuivit les journaux, réprima impitoyablement les émeutes, aggrava les pénalités antérieures contre les attroupements, mais céda cependant au cri de l’opinion publique en consentant, quoique à contre-cœur, à l’abolition de l’hérédité de la pairie. Au reste, la monarchie n’y perdit rien ; les pairs restaient à la nomination du roi, qui pouvait toujours s’assurer la majorité dans la Chambre haute en créant ces fournées de pairs demeurées fameuses dans l’histoire des scandales monarchiques. On en créa jusqu’à 36 par une seule ordonnance.

Ce ministère avait encore choqué le sentiment national par sa politique extérieure, par ses concessions nombreuses aux rois de l’Europe. Non content d’abandonner la Pologne, il insulta publiquement à l’héroïsme et aux malheurs de ce peuple infortuné par des paroles qui semblaient une approbation donnée aux bourreaux. C’est ainsi qu’après le massacre de Varsovie, le général Sébastiani osa laisser tomber de la tribune les paroles trop fameuses : l’ordre règne à Varsovie ! (16 septembre 1831). Peu de jours après, le même ministre choqua avec une maladresse non moins grossière la fierté nationale, en déclarant textuellement : « Nous aurons la paix avec l’Europe si nous savons être sages. »

La discussion sur la loi fixant la liste civile du roi donna encore lieu à de vives récriminations, entretenues par les pamphlets mordants de Cormenin. Toutes ces questions d’argent mirent en pleine lumière la prévoyante avidité qui était comme le caractère de la maison d’Orléans, et rappelèrent à propos la précaution vénale de Louis-Philippe, qui, en montant sur le trône, avait transmis ses biens personnels à ses enfants, en s’en réservant l’usufruit, au lieu de les laisser retourner au domaine de la couronne, comme c’était la coutume consacrée dans la tradition monarchique.

En novembre 1831 éclata la terrible insurrection de Lyon, plus industrielle que politique ; les ouvriers affamés se soulevèrent en arborant la devise tragique : Vivre en travaillant ou mourir en combattant ! Ce mouvement fut dompté, mais en laissant derrière, lui des ferments de haine contre la monarchie et l’état social. V. novembre.

L’année 1832 fut fertile en complots et en émeutes : l’affaire des tours Notre-Dame (janvier), le complot légitimiste de la rue des Prouvaires (février), les troubles de Perpignan, de Toulouse, de Clermont, de Grenoble, de Strasbourg, etc., vinrent témoigner du mécontentement public. Bientôt s’abattit sur la France un épouvantable fléau, le choléra, qui fit, à Paris seulement, 18,402 victimes. Pendant que les riches et les hauts fonctionnaires s’enfuyaient lâchement de la capitale, Louis-Philippe et sa famille restèrent courageusement à leur poste, visitant même les hôpitaux, et essayant de réparer par des services personnels les défaillances de la politique officielle.

On sait que Casimir Périer fut emporté par le fléau (10 mai 1832). Ce ministre personnel, qui voulait pratiquer à la lettre la maxime des doctrinaires : le roi règne et ne gouverne pas, avait souvent irrité Louis-Philippe en prenant l’initiative de mesures très-graves, sans consulter même la couronne. C’est ainsi que, quelques mois avant sa mort, pendant les mouvements insurrectionnels de l’Italie, il fit occuper militairement Ancône, pour contre-balancer l’influence des Autrichiens, qui étaient entrés à Bologne à la prière du saint-siége. Cette occupation hardie, qui surprit toute l’Europe, dura plusieurs années, mais sans résultat ; jamais le gouvernement français ne put obtenir du saint-siége les réformes qu’il s’était flatté d’imposer et qui avaient été promises par Grégoire XVI.

Parmi les événements qui suivirent, il en faut noter un qui fut assez important, la répression de l’insurrection vendéenne suscitée par la duchesse de Berry, et finalement l’arrestation de cette princesse, vendue au ministre Thiers par un de ses serviteurs, Deutz, et qui fut enfermée au fort de Blaye, où son accouchement couvrit de confusion sa famille et son parti. On sait qu’elle fut ensuite remise en liberté et conduite en Sicile.

C’est aussi après la mort de Casimir Périer que l’opposition publia ce fameux compte rendu, signé par 133 députés, et qui était comme le programme de la gauche et l’acte d’accusation du gouvernement.

Les légitimistes venaient à peine de succomber, que l’établissement de Juillet eut à lutter à Paris contre une formidable insurrection républicaine, qui éclata à la suite des funérailles du général Lamarque (5 et 6 juin 1832. V. juin). Il en triompha après un combat terrible, mais il put juger, dès lors, de la vitalité et de l’énergie de ce jeune parti qui devait être son héritier, et qui ne craignait pas de lutter un contre mille. Après le combat, il y eut des mesures violentes, des arrestations, la dissolution des Écoles polytechnique et d’Alfort, l’état de siège, etc.

Il faut rappeler encore qu’à cette époque l’école saint-simonienne était dans la période de ses grandes luttes, de ses prédications et de ses excentricités.

Louis-Philippe avait déclaré qu’il voulait garder un juste milieu entre le mouvement et la résistance (d’où le sobriquet célèbre donné au système de Juillet). En réalité, bien loin de maintenir cet équilibre, qui est le rêve, ou plutôt le mensonge de tous les gouvernements, il inclina sensiblement à droite dès le début de son règne et s’engagea de plus en plus dans la réaction monarchique, et par le choix de ses ministres et par tous les actes de son gouvernement.

Le 19 novembre, en se rendant à la Chambre pour ouvrir la session, le roi fut l’objet d’une tentative d’assassinat ; un coup de pistolet fut tiré sur lui au débouché du pont Royal ; mais il ne fut pas atteint. Cette affaire resta d’ailleurs assez problématique ; deux accusés mis en jugement, Bergeron et Benoist, furent acquittés par le jury, faute de charges suffisantes (18 mars 1833).

La mort de Périer avait disloqué le cabinet, qui ne fut reconstitué cependant que le 11 octobre (1832), avec le maréchal Soult comme président et ministre de la guerre, Thiers à l’intérieur, Barthe à la justice, Broglie aux affaires étrangères, Guizot à l’instruction, etc.

La loi sur l’instruction primaire, due à l’initiative de M. Guizot, des procès contre la presse républicaine et les sociétés populaires, une première tentative avortée pour fortifier Paris, l’inauguration de la statue de Napoléon sur la colonne Vendôme, flatterie adressée aux préjugés populaires, la reconnaissance officielle d’Isabelle comme reine d’Espagne, la loi contre les crieurs publics et contre les associations furent les principaux actes de ce ministère, qui fut remanié par suite de la démission de M. de Broglie, mais sans changement notable.

Les républicains, souvent vaincus, mais jamais domptés, tentèrent de nouveau le sort des armes, à Lyon, à Paris, et dans quelques autres villes (v. avril 1834). La répression de ces mouvements fut accompagnée de scènes d’horreur dont les massacres de la rue Transnonain sont un des plus épouvantables épisodes. Ces débauches de sang furent naturellement suivies de mesures de réaction : loi contre les détenteurs d’armes, augmentation de l’effectif de l’année, la Chambre des pairs transformée en cour de justice, etc.

Le ministère, de nouveau remanié à plusieurs reprises, s’était enfin reconstitué sous la présidence de M. de Broglie, à peu près avec les mêmes personnages que le cabinet du 11 octobre (12 mars 1835). Dans l’intervalle, les élections, faites sous l’empire de la réaction qui avait suivi les insurrections d’avril, avaient été entièrement favorables. au gouvernement (juin 1834).

Le ministère Broglie fit voter la loi sur les caisses d’épargne et l’indemnité de 25 millions, réclamés depuis longtemps par les États-Unis, et, il faut le dire, avec plus ou moins de légitimité, car il s’agissait de saisies de navires sous le règne de Napoléon 1er.

Au milieu des embarras que causait au gouvernement le procès monstre des accusés d’avril, Louis-Philippe fut encore l’objet d’un nouvel attentat et faillit périr par l’explosion de la machine infernale de Fieschi, dans une revue passée sur les boulevards à l’occasion de l’anniversaire de la révolution (28 juillet 1835). Il échappa, cette fois encore, quand 18 victimes tombaient autour de lui, entre autres le maréchal Mortier. Cette tentative n’eut d’autre résultat que de déterminer un nouveau mouvement de réaction et de faire voter les fameuses lois de septembre, dirigées surtout contre la presse. V. septembre.

Pendant le cours de son règne, Louis-Philippe fut en butte à sept attentats contre sa vie. Outre les deux dont il a déjà été question plus haut, l’histoire enregistre encore ceux d’Alibaud (1836), de Meunier (1836), de Darmès (1840), de Lecomte (1846), de Henri (1846) (ces deux derniers n’avaient rien de politique). Il eut le bonheur d’échapper constamment aux balles des assassins. Mais il ne devait pas échapper aux fautes de son gouvernement, et sa décadence réelle commença précisément au moment où, ayant triomphé de tous les partis, il pouvait se croire assuré de l’avenir. Il était, d’ailleurs, dans une situation difficile, placé entre les républicains qui voulaient, naturellement, le renverser, la gauche, qui tendait à l’omnipotence du parlement, et les hommes d’État de l’école anglaise, qui voulaient qu’il régnât sans gouverner, laissant ainsi à un homme très-personnel le rôle inférieur d’une brillante inutilité. En outre, son système reposait sur une base extrêmement fragile, la domination exclusive, non pas même de la bourgeoisie, mais d’une caste électorale de bourgeois enrichis, qui devaient l’abandonner au premier danger sérieux, il était bien aisé de le prévoir.

La période où l’on était entré pourrait s’appeler l’ère des crises ministérielles. C’est ainsi qu’on vit passer successivement les cabinets :

Du 22 février 1836 (Thiers) ;
Du 6 septembre 1836 (Molé et Guizot) ;
Du 15 avril 1837 (Molé) ;
Du 31 mars 1839, après deux dissolutions de la Chambre ;
Du 12 mai 1839 (Soult) ;
Du 1er mars 1840 (Thiers)
Enfin, du 29 octobre 1840 (Guizot).

Les principaux actes et les événements les plus notables de cette période sont : quelques réformes dans le régime douanier ; l’abolition de la loterie ; l’inauguration de l’arc de triomphe de l’Étoile ; l’envahissement de Cracovie, contre laquelle M. Thiers ne trouva rien à dire ni à faire ; les tentatives insurrectionnelles du prince Louis-Napoléon, à Strasbourg (octobre 1836) et à Boulogne (août 1840) ; le rejet de la dotation proposée pour le duc de Nemours, si vigoureusement attaquée par les pamphlets de Cormenin ; l’amnistie de 1837 ; le mariage du duc d’Orléans, héritier présomptif, avec la princesse Hélène (mai 1837), attristé, comme les noces de Louis XVI, par l’étouffement accidentel d’un grand nombre de personnes aux fêtes du Champ-de-Mars (14 juin) ; l’inauguration du musée de Versailles ; le rétablissement du système décimal ; l’évacuation d’Ancône ; la prise de Saint-Jean-d’Ullon (novembre 1838) ; la naissance du comte de Paris ; la coalition contre le ministère Molé ; la répression de l’émeute républicaine des 12 et 13 mai 1839 (v. mai) ; l’inauguration de la colonne de Juillet ; la loi relative à la translation des cendres de Napoléon 1er en Erance (la cérémonie eut lieu en décembre 1840) ; enfin, les complications de l’éternelle question d’Orient qui faillirent nous précipiter dans la guerre et qui amenèrent la retraite de M. Thiers, par suite de dissentiments avec le roi.

Pour ces dix années de règne, on consultera avec fruit l’ouvrage de M. Louis Blanc, livre nécessairement partial et passionné, mais rempli de faits curieux et d’appréciations nettes et magistrales.

Dans cet intervalle, le gouvernement de Louis-Philippe avait continué la conquête de l’Algérie, commencée par Charles X. Nous n’avons pas à entrer ici dans les détails de cette conquête successive et de cette colonisation si pénible ; on en trouvera le résumé à l’article Algérie.

Avec le ministère du 29 octobre 1840 commence la dernière période du règne. Ce cabinet était d’abord présidé par le maréchal Soult ; mais M. Guizot, qui n’y figura longtemps que comme ministre des affaires étrangères, en était, en réalité, l’homme d’action et le chef. Louis-Philippe, engagé de plus en plus dans la politique de résistance et de réaction, s’imaginait avoir trouvé en M. Guizot le ministre modèle, l’homme qui savait combattre et résister à outrance, enfin la colonne de la monarchie nouvelle ; et telle était la puissance de ses illusions, que jusqu’à la dernière heure il s’opiniâtra à regarder comme un sauveur l’homme qui a le plus contribué à pousser l’établissement de Juillet aux abîmes.

Nous continuerons à résumer très-rapidement les faits de cette période, en renvoyant pour de plus amples détails aux articles Guizot, Duchâtel, etc. Cette époque est remarquable par le développement du mouvement industriel, et malheureusement aussi par le débordement de l’agiotage, de la corruption électorale et parlementaire, le gaspillage des finances, etc.

D’abord, on réalisa l’une des pensées du règne, l’embastillement de Paris, qui devait si mal protéger la dynastie. Les lois sur le réseau des chemins de fer (1842), sur le travail des enfants dans les manufactures, sur les caisses d’épargne, sur le sucre indigène, sur les brevets d’invention, et quelques autres qui réalisèrent des réformes utiles, obtinrent l’approbation générale. Ce n’est pas nous non plus qui ferons à ce gouvernement un reproche de ses efforts pour maintenir la paix ; seulement, il faut bien reconnaître que ce fut souvent aux dépens de la dignité nationale et en faisant de basses concessions pour maintenir l’entente cordiale avec l’Angleterre, entente assurément fort désirable, mais qu’il n’eût pas fallu payer d’un tel prix. C’est ainsi que l’amiral Dupetit-Thouars, ayant étendu notre influence dans l’Océanie et placé sous le protectorat de la France les îles Marquises et les îles de la Société (1842-1843), fut désavoué par le gouvernement sur les réclamations impératives de l’Angleterre, qui parvint également à obtenir la fameuse indemnité Pritchard (1845). La France eut également à subir la même influence à propos du traité sur le droit de visite, pour la répression de la traite, dans les affaires de Syrie et des chrétiens du mont Liban, etc. Une chose à noter, c’est que Louis-Philippe, qui sacrifiait volontiers les intérêts de la France pour conserver les bonnes grâces de l’Angleterre, savait bien résister, et trop-énergiquement, à cette puissance dès qu’il s’agissait de ses intérêts privés, du moins de ses intérêts de famille. C’est ainsi qu’il ne craignit pas de compromettre l’entente cordiale dans la question des mariages espagnols. Dans cette circonstance, il joua lord Palmerston et sa bonne alliée Victoria, sans ménagement comme sans scrupule, poursuivit ses négociations, malgré les Anglais, et parvint à marier son fils Montpensier avec la sœur de la reine d’Espagne, au risque de briser une alliance pour laquelle il avait plus d’une fois compromis la dignité de son pays.

D’ailleurs, c’était une de ses préoccupations, d’établir solidement ses enfants. Il maria une de ses filles au roi des Belges, une autre au prince Auguste de Saxe-Cobourg, son fils Joinville à la sœur de l’empereur du Brésil, etc. Ce qui ne l’empêchait point d’être inquiet de leur avenir et d’écrire avec découragement à M. Guizot, en 1845 : « Nous ne fonderons jamais rien en France, et un jour viendra où mes enfants n’auront pas de pain ! »

Les préoccupations d’argent avaient toujours été l’un des traits saillants du caractère des d’Orléans. Chez Louis-Philippe, la cupidité était arrivée à l’état de manie sénile et d’idée fixe. On voit par la citation ci-dessus que sa manière d’envisager la royauté ne différait pas beaucoup de celle d’un commerçant s’inquiétant de ses affaires et de sa maison.

Nous avons parlé des nombreuses tentatives d’assassinat contre le roi ; nous devons mentionner aussi l’attentat d’un nommé Quénisset, qui, le 13 septembre 1841, tira sur le duc d’Aumale, qui rentrait à Paris à la tête de son régiment. Le 13 juillet de l’année suivante, la famille royale fut frappée d’un malheur irréparable ; le duc d’Orléans périt victime d’une chute de voiture sur la route de Neuilly. Ce jeune prince était assez populaire, surtout dans l’armée, et peut-être eût-il empêché ou retardé la chute de la monarchie de Juillet.

On sait quelle était l’impopularité de M. Guizot vers la fin du règne ; il la méritait à tous égards, et pour la part qu’il avait prise dans les faits de corruption vénale qu’on reprochait au règne, et pour son mépris des justes réclamations de l’opinion publique, et pour sa résistance obstinée à toute espèce de réforme et de progrès politique et social ; mais ce qu’on ne doit pas oublier, c’est que Louis-Philippe eut une large part de responsabilité dans la détestable politique de son gouvernement. On a vu que dès son installation, avec une habileté cauteleuse, il s’était successivement affranchi de tous les hommes qui avaient pris au sérieux la révolution de Juillet, et qu’il avait choisi ses ministres dans des nuances d’opinion de plus en plus conservatrices. En vieillissant, nous le savons aujourd’hui, il était devenu excessivement opiniâtre, personnel, ne souffrait guère d’autre avis que le sien, n’écoutait que ce qui s’adaptait à ses idées, et, en réalité, ne se contentait pas de régner, mais gouvernait au delà de ce que comportait le régime constitutionnel. Aussi, même dans son entourage, quelques-uns l’accusaient-ils de fausser les institutions. Il était en parfaite communion d’idées avec M. Guizot, ce que plusieurs de ses enfants déploraient avec amertume, en songeant aux conséquences désastreuses que pouvait avoir, pour l’avenir de la monarchie, une politique aussi rétrograde et si notoirement en opposition avec le sentiment public.

On ne peut nier que ce régime, fondé sur la richesse, bien ou mal acquise, avait eu pour résultat de dégrader les caractères, de ruiner les convictions et de surexciter les appétits matériels, en ramenant tout au positivisme mercantile. La corruption avait passé des mœurs dans la politique. La Chambre des députés, où abondaient les fonctionnaires, la majorité, recrutée par des moyens inavouables, ne servaient plus qu’à couvrir d’une apparence de légalité la politique du pouvoir. Des tripotages honteux, révélés coup sur coup, détachèrent de plus en plus de ce gouvernement la partie honnête de la bourgeoisie. Ainsi on apprit par les déclarations d’un député journaliste, M. E. de Girardin, que le gouvernement avait vendu des privilèges de théâtre et des promesses de pairie. On vit un ex-ministre, M. Teste, condamné comme concussionnaire, un aide de camp du château surpris en flagrant délit de vol au jeu, un pair de France, un Choiseul-Praslin, assassiner sa femme, etc.

L’opposition, n’espérant plus rien d’une majorité servile et corrompue, lasse de demander inutilement aux pouvoirs publics, entre autres réformes, l’élargissement des bases électorales par l’abaissement du cens et l’adjonction des capacités à la liste des électeurs, prit le parti de s’adresser à l’opinion et organisa la mémorable campagne des banquets réformistes. L’agitation se communiqua à toute France. Le ministère, effrayé, fit insérer dans le discours de la couronne, à l’ouverture de la dernière session du règne, la fameuse phrase contre les passions ennemies et les entraînements aveugles. La lutte était engagée ; l’opposition voulut la soutenir et organisa le banquet du XIIe arrondissement, pour protester contre la politique gouvernementale et affirmer le droit de réunion, que les ministres contestaient. Mais on sait que les radicaux seuls persistèrent et que le centre gauche finit par se retirer, en présence des préparatifs militaires du gouvernement, ne voulant point se charger de la responsabilité des événements, peut-être aussi parce qu’il se sentait débordé par le parti radical.

Le reste appartient à l’histoire de la révolution de 1848, et nous devons nous borner à renvoyer le lecteur à l’article février pour les détails de ce grand drame historique.

On sait que le roi, après avoir résisté jusqu’à la fin, se décida trop tard à la réforme, à la retraite des ministres impopulaires, et qu’après le massacre du boulevard des Capucines (le soir du 23 février), quand tout Paris était debout, il se résigna à abdiquer, mais trop tard encore, car déjà la révolution était triomphante (24). Il dut s’enfuir des Tuileries, et se réfugia d’abord au château d’Eu, où il comptait se fixer : car il emportait l’illusion que son petit-fils, le comte de Paris, pourrait lui succéder. Le 25, il apprit avec stupeur la proclamation de la République. Forcé de s’expatrier de nouveau, le vieux prince fut pénétré de douleur et frappé d’un coup dont il ne se releva plus. Il ne pouvait comprendre sa chute, qu’il semblait cependant avoir recherchée, provoquée par son obstination. Certes, il est dur de quitter à cet âge le premier trône du monde pour aller achever dans l’exil une existence qui avait été déjà si tourmentée. Mais qui ne prévoyait un pareil dénoûment ? On l’a répété bien souvent : si Louis-Philippe, six mois avant février, avait cédé aux vœux énergiques de la nation, pris des ministres libéraux et donné au moins la réforme électorale, il est à peu près certain qu’il eût conservé le trône à sa famille, ou tout au moins reculé l’avénement de la République. Parti d’Eu sous un déguisement, il gagna Honfleur, puis Le Havre ; et, après bien des alertes et des traverses, parvint à s’embarquer sur un navire anglais, l’Express, qui le conduisit en Angleterre. Il s’établit dans un château appartenant à son gendre le roi des Belges, Claremont, qui devait être son dernier asile.

Sa santé avait été gravement altérée par cette dernière et terrible secousse ; dès lors, il ne fit plus que languir, et il mourut le 26 août 1850. Il avait presque soixante-dix-sept ans. La résidence de Claremont n’appartenant pas aux d’Orléans, on n’y pouvait construire un mausolée. Une catholique nommée miss Taylor, propriétaire d’un cottage au hameau de Weybridge, à quelques kilomètres de Claremont, reçut dans son caveau de famille les restes de ce roi, auquel la mort infligeait comme un dernier exil.

De son mariage avec Marie-Amélie, Louis-Philippe eut huit enfants : le duc d’Orléans ; Louise, reine des Belges ; Marie, princesse de Wurtemberg ; le duc de Nemours ; Clémentine, mariée à un Saxe-Cobourg ; le prince de Joinville, le duc d’Aumale et le duc de Montpensier.

Louis-Philippe et la contre-révolution de 1830, par M. Sarrans jeune (1834). L’auteur avait publié en 1832 un autre ouvrage : Histoire des hommes et des choses de Juillet, dans lequel il flagellait vertement « ce gouvernement issu des barricades, qui se suicidait par l’ingratitude. » Au bout de vingt mois, une réfutation partit des Tuileries sous ce titre : Deux ans de règne. M. Sarrans y était accusé de calomnie, et les hommes de 1830 vilipendés. Indigné, il répondit par ce livre, où il reprend avec plus de force les arguments de son premier ouvrage. « Puisqu’on nous provoque, dit-il, il n’est plus permis d’acheter le repos par l’opprobre, et, puisque la royauté veut, à tous les hasards, courber la glorieuse France sous le joug d’un orgueil sans prestige et sans magie, le plus humiliant de tous, il n’est plus loisible à personne de trouver de l’élan pour d’étroites réformes, de la gratitude pour de faibles garanties arrachées à la nécessité, et des sympathies pour un libéralisme bâtard, sans forme, sans caractère, qui se prête à toutes les spéculations, s’accommode à tous les souvenirs et ne répudie que le fait actuel, le fait impérieux qui domine tout, la révolution de Juillet. »

M. Sarrans entreprend de démontrer l’impossibilité’ de la coexistence de la Révolution de 1830 avec l’établissement monarchique qui en fut le résultat. Il place la royauté du 7 août en regard de ses actes patents et de ses actes secrets, et il démontre qu’elle n’a rien de ce qui peut prendre racine en France, ayant tout fait contre et non pour les intérêts de la France.

Le livre de M. Sarrans est bon à consulter sur l’histoire des premières années du règne de Louis-Philippe ; mais les infiniment petits y tiennent trop de place, ainsi que cela est concevable dans un livre de circonstance. L’histoire véritable doit être plus large.