Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/MARCEAU (François-Séverin DES GRAVIERS), général de la République

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Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 3p. 1133-1134).

MARCEAU (François-Séverin des Graviers), général de la République, né à Chartres le 1er mars 1769, blessé mortellement le quatrième jour complémentaire de l’an IV (20 septembre 1796), et mort trois jours après à Altenkirchen. Parmi les grandes figures de la Révolution, où les héros encombrent pour ainsi dire l’histoire, celle de Marceau brille d’un éclat légendaire et qu’aucune réaction n’a pu ternir. Son père, procureur au bailliage de Chartres, le destinait au barreau ; mais, à l’âge de seize ans, le jeune homme s’engagea dans un régiment. En 1789, il était sergent et se trouvait en congé à Paris le 14 juillet. Quelques jours auparavant, il s’était rencontré avec Élie, officier de fortune du régiment de la Reine, qui, dans la grande journée, fut choisi comme chef par l’une des colonnes qui marchèrent sur la Bastille, colonnes presque entièrement composées de gardes-françaises. Marceau se joignit à ces vaillants compagnons et se distingua par son entrain, sa promptitude dans l’attaque, son ardeur à rechercher les postes les plus périlleux. Quand le peuple se fut rendu maître de la place, quelques-uns de ceux qui l’avaient vu à l’œuvre le cherchèrent pour le féliciter : il venait de s’éclipser, sans rien réclamer dans l’honneur de la victoire. Gratifié d’un congé définitif, comme vainqueur de la Bastille, il fut élu instructeur de la garde nationale de Chartres et remplit cette fonction jusqu’à l’époque où les menaces de la coalition provoquèrent le grand mouvement des enrôlements volontaires. Marceau fut des premiers à s’inscrire. Ses antécédents militaires lui valurent immédiatement le grade d’officier, et il fut dirigé vers l’armée des Ardennes, commandée alors par La Fayette ; enfin, après plusieurs avancements successifs, il prit le commandement du 2e bataillon des volontaires d’Eure-et-Loir (12 juillet 1792). Lorsque le jeune commandant arriva à l’armée des Ardennes, La Fayette venait d’abandonner son poste ; la discipline était fort relâchée dans cette armée ; la parole entraînante de Marceau contribua puissamment à faire rentrer les troupes dans l’obéissance ; un certain nombre d’officiers paraissaient disposés à aller rejoindre La Fayette, Marceau les réunit autour de lui et les décida à rester au camp par une chaleureuse et patriotique harangue, qu’il termina par ces mots : « La patrie avant nos généraux : notre place est à la frontière, vous tournez le dos à l’ennemi ! »

Envoyé avec son bataillon en garnison à Verdun, il fut un des officiers qui s’opposèrent énergiquement à la capitulation, sans pouvoir l’empêcher. Après la mort de l’héroïque Beaurepaire, comme il se trouvait être le plus jeune des officiers supérieurs, il fut chargé de la pénible mission de porter la ratification du traité au camp prussien. Conduit sous la tente du roi de Prusse, il ne put retenir des larmes de douleur et de colère. Le roi en fut touché, et chercha à le consoler en rendant hommage au courage des défenseurs de la place. Le lendemain, pendant le défilé de la garnison qui évacuait la ville, on entendit une voix crier aux Prussiens : « Au revoir, dans les plaines de la Champagne ! » Quelques soldats prétendirent avoir reconnu la voix de Marceau. Il avait perdu pendant le siège une partie de ses effets et un peu plus de 400 francs ; c’était le total de ses épargnes. Un représentant du peuple en mission lui demanda : « Que voulez-vous qu’on vous rende ? » Marceau, jetant un coup d’œil sur son sabre ébréché, répondit : « Un sabre nouveau pour venger notre défaite. » La Convention, quelques mois après, décrétait la mise en accusation des officiers qui avaient consenti à la capitulation de Verdun. Marceau fut seul excepté nominativement, et sa conduite obtint des éloges publics.

Le jeune officier demeura assez longtemps encore à l’armée du Nord. Il faisait partie de l’avant-garde, sous les ordres du général Dillon, et il avait à soutenir de continuelles escarmouches. Les privations n’étaient pas moindres que les dangers. Le 24 septembre, il écrivait à un de ses amis : « Il y a trois jours que le pain nous manque, les convois ayant été obligés de prendre le grand tour pour éviter l’ennemi. » Cependant il n’insistait pas sur cette cruelle situation ; il s’emportait surtout contre les pillards de l’armée, qui troublaient la sécurité et les possessions des citoyens paisibles, et qui compromettaient la solidité des troupes devant l’ennemi. Rétablir la discipline fut le soin constant de Marceau pendant toute cette campagne. Adjudant-major le 1er décembre 1792, il fut nommé, le 25 mars 1793, lieutenant-colonel en second par la presque unanimité de ses camarades ; puis, en mai, il passa comme lieutenant-colonel en premier aux cuirassiers-légers de la légion germanique, et fut envoyé en Vendée. Ici se place un curieux incident de la vie de Marceau. Les représentants Bourbotte et Julien, de Toulouse, avaient reçu mission d’examiner la conduite des chefs de la légion germanique, avec pouvoir de faire arrêter immédiatement quiconque, à quelque grade que ce fût, leur paraîtrait suspect d’incivisme et de dispositions contre-révolutionnaires. Marceau, arrivé depuis peu au camp, fut mis en prévention, en même temps que Westermann, et traduit en jugement par les ordres de Bourbotte ; il refusa de se disculper des accusations portées contre lui et se borna à raconter sa conduite de la manière la plus brève et la plus simple. Un représentant du peuple, Goupilleau, ne put s’empêcher de dire : « Si Marceau, que je vois pour la première fois et que j’apprécie par sa manière de se défendre, n’est pas aussi vrai républicain qu’il est brave soldat, je ne compterai plus sur personne. » Avons-nous besoin d’ajouter qu’il fut absous ? En juin 1793, Marceau se trouvait à Saumur ; le 9 au soir, les royalistes se présentèrent devant cette ville avec de l’artillerie, après avoir coupé toute communication avec un corps de 5,000 républicains établis à Thouars. À la suite d’un premier engagement, la panique se mit dans les rangs des volontaires. L’infanterie, en déroute, courait à travers Saumur, en criant : Trahison ! Au milieu de la débâcle, Marceau se trouva rapproché de Bourbotte, lequel venait d’être désarçonné, son cheval tué sous lui. Il mit pied à terre et lui présenta les rênes du sien, en lui disant : « Montez vite ; j’aime mieux être pris ou tué que de voir un représentant du peuple tomber aux mains de ces brigands. » — « C’est ainsi, dit un de ses biographes, que le général républicain se vengeait des soupçons qui n’auraient jamais dû approcher de lui. »

Le 10 novembre, il était nommé général de division. Il n’avait alors que vingt-quatre ans. Au combat de Dol, il sauva le corps de Westermann, imprudemment engagé, poursuivit l’ennemi jusqu’à Autrain, où on se battit vingt-deux heures. Chargé par intérim du commandement du corps de Rossignol, il ent à agir avec Kléber, qui avait pu apprécier son jeune collègue à l’armée du Nord et qui lui proposa de lui abandonner le plan de campagne. « Menez cette armée à la victoire, lui répondit Marceau ; qu’est mon courage auprès de votre génie ? Je courrai sous vos ordres à l’avant-garde. » Et ils choisirent comme point de concentration Foulletourte, en avant de Pontlieue et non loin du Mans. Ce fut pendant cette campagne et à la suite d’un combat livré à La Rochejaquelein devant Pontlieue, qu’eut lieu l’épisode romanesque dont on a tant parlé.

Parmi les troupes vendéennes, une toute

jeune fille, Angélique de Melliers, avait pris part au combat. Poursuivie par des soldats, elle rencontra Marceau, qui arrêta les grenadiers prêts à la saisir. Il l’interrogea, et sa raison lui parut un peu égarée. Marceau, qui partait alors pour Laval après être entré au Mans, engagea la jeune fille à suivre la colonne : il la confia à l’adjudant général Savary, le chargeant de la conduire au quartier général. Savary la remit à un curé de campagne, chez qui elle ne tarda pas à être découverte. Peu de temps après, Marceau apprit qu’elle avait porté sa tête sur l’échafaud, lui léguant une montre de peu de valeur, en souvenir de son humanité. Il exprima souvent depuis le regret de n’avoir pu lui sauver la vie. « On ne vit jamais, dit Kléber dans ses Mémoires, de femme plus jolie ni mieux faite, et sous tous les rapports plus intéressante. Elle avait dix-huit ans et se disait de Montfaucon. » Une dénonciation fut lancée à ce sujet contre Marceau, mais anéantie par Bourbotte indigné. Après la bataille du Mans, le jeune général marcha, comme nous l’avons dit, sur Laval, rencontra le gros des royalistes à Savenay (décembre 1793) et fit à cet endroit sa jonction avec Kléber. Manquant de cavalerie, ils en improvisèrent une composée surtout d’officiers de tous corps et chargèrent à la tête de cet escadron pendant que l’infanterie exécutait, de son côté, une charge terrible. Les Vendéens furent écrasés ; c’était le coup le plus cruel qu’eût encore reçu l’insurrection. C’est après cette bataille que Kléber portait de Marceau ce jugement qu’il répéta plusieurs fois : « Je n’ai connu aucun général capable comme Marceau de changer avec sang-froid et discernement un plan de campagne sur le terrain même. » Cependant Marceau allait être obligé bientôt de résigner son commandement provisoire entre les mains de Turreau, qui avait été nommé en remplacement de Rossignol, et qui arrivait des Pyrénées pour prendre son poste. En passant à Angers, il avait contredit les ordres qui avaient été donnés pour la défense du passage de la Loire, puis il avait écrit au comité de Salut public pour se plaindre. La veille de la bataille de Savenay, Marceau avait reçu de lui une lettre dans laquelle il se plaignait de n’avoir pas été informé des mouvements de l’armée. Sur le conseil de Kléber, Marceau, piqué au vif, lui avait répondu par ces simples mots : « Je suis devant Savenay ; demain, de grand matin, j’attendrai l’ennemi, qui sera détruit. Si tu veux être témoin de la fin de la guerre, accours promptement. » On a vu comment Marceau tint parole. Le gros de l’armée républicaine fit une entrée triomphale à Nantes, acclamée par toute la population. La société populaire offrit des palmes à Marceau, à Kléber, à Beaupuy et à Tilly, pendant que la Convention décrétait que l’armée de l’Ouest avait bien mérité de la patrie.

Cependant la mésintelligence éclata plus vive encore entre Marceau et Turreau. Celui-ci finit par combiner ses dispositions de manière à reléguer son rival à Châteaubriant, où il se consuma dans l’inaction. Enfin, las d’ailleurs de la guerre civile, inoccupé, souffrant, il demanda un congé et passa quelque temps à Rennes et à Paris.

Le 2 germinal an II (22 mars 1794), il fut mis à la tête d’une division de l’armée des Ardennes. À Fleurus, où il commandait l’aile droite de l’armée, il combattit avec la plus rare intrépidité, eut deux chevaux tués sous lui et contribua en grande partie à cette victoire mémorable qui nous assurait la Belgique. À Deuren, il partagea la gloire de la journée avec Championnet. « Marceau s’est battu en enragé, » écrivait Jourdan à Kléber. Quelques jours auparavant, un rapport du comité de Salut public sur la bataille de Fleurus l’avait surnommé « le lion » de l’armée française. L’armée des Ardennes avait été réunie à celle de la Moselle, qui venait d’effectuer le passage de la Sambre et de la Meuse ; trois divisions de l’armée du Nord complétaient cette armée gigantesque, à qui la Convention avait donné, par décret du 29 juin 1794, le nom désormais immortel de Sambre-et-Meuse. Elle comprenait, lors de son organisation, 90, 000 hommes, avec Jourdan pour général en chef ; les divisionnaires s’appelaient Bernadotte, Kléber, Championnet ; Marceau commandait l’aile droite. Depuis la bataille de Deuren, le quartier général était établi à Juliers, à portée de Coblentz, le centre des complots de l’émigration, le foyer de la coalition. Marceau reçut l’ordre de marcher sur cette ville avec sa division et de s’en emparer. C’était une entreprise audacieuse. Le jeune général ne fit aucune objection. Il agit avec une telle promptitude que l’ennemi n’eut même pas le temps de résister ; le 13 octobre, il tomba comme la foudre sur Coblentz et entra dans la ville l’épée haute, drapeaux au vent, pendant que l’état-major des alliés fuyait précipitamment par la porte opposée. Le défi de Brunswick était relevé, son insolence châtiée sur les lieux mêmes. La France entière tressaillit, et la presse révolutionnaire de Paris retentit pendant plus de quinze jours de la gloire de celui qu’elle appelait le moderne Paul-Émile.

En 1795, il prit une part active au siège d’Ehreinbreisten. Le 10 novembre de la même année, il attaqua les gorges de Stromberg et en chassa les Autrichiens. Il commandait alors l’arrière-garde de l’armée sur la rive gauche du Rhin. Un jour, Bernadotte passait le pont de Neuwied ; Marceau fut alors chargé de brûler ou de couler bas le pont de bateaux établi sur le Dieg ; il transmit l’ordre au capitaine du génie Souhait, qui l’accomplit trop précipitamment et faillit compromettre une grande partie de l’arrière-garde. Le jeune général, se considérant comme responsable de cette faute, ressentit une émotion très-vive et s’arma d’un pistolet ; heureusement un de ses aides de camp, qui était en même temps un ami d’enfance, Constantin Maugars, devina sa pensée et l’en détourna. Kléber arriva peu de temps après. Marceau, indécis, semblait ne pas oser lui parler. Kléber mit fin à cette hésitation, et embrassant Marceau, il lui dit : « Eh quoi ! est-ce que tu ne reconnais plus ton frère d’armes ? Est-ce que tu as oublié Kléber ? Montons à cheval, et tout sera réparé ! » En effet, ils restèrent ensemble toute la journée de l’autre côté du Rhin, et l’ennemi s’aperçut si bien de leur présence qu’il fut deux jours sans se montrer sur le bord du fleuve. Marceau battit ensuite les Autrichiens à Salzbach, fut mis, en 1796, à la tête de la 1re division de l’armée de Sambre-et-Meuse, et chargé de couvrir la retraite de Pichegru, qui venait d’évacuer les lignes de Mayence, et de se maintenir dans une position difficile, afin de permettre à Jourdan d’exécuter d’autres opérations combinées. Marceau montra sa bravoure et sa capacité habituelles, conserva sa situation, de laquelle dépendait le salut de deux armées, et repoussa les alliés à Creuznach, à Meissenheim, à Salzbourg. Ses mouvements forcèrent les Autrichiens à se replier, et permirent à Jourdan de venir en aide à Kléber, laissant aux divisions Marceau et Poncet le soin de tenir les Autrichiens en respect en avant de Mayence. Bientôt il appela à lui la division Poncet pour prendre l’offensive, de sorte que Marceau resta avec moins de 15, 000 hommes sous les armes. Le 9 juillet, il eut à soutenir une première escarmouche ; il employa le lendemain à se fortifier ; le 11, à deux heures du matin, l’ennemi sortait de Mayence et réussissait à forcer les postes avancés, mais pour battre en retraite aussitôt. Quinze jours plus tard, Marceau s’empara du fort de Kœnigstein, dans lequel il trouva vingt canons ; puis il compléta l’investissement de Mayence. L’armée de Sambre-et-Meuse s’étant repliée sur la Lahn, Marceau se trouva de nouveau à la tête de deux divisions ; il dut en confier une, la sienne propre, au général de brigade Hardy. Il lui écrivit : « Nous attendons l’ennemi, nous le vaincrons ; fais-en de même. Je connais la division que tu commandes ; avec de tels hommes, tu es sûr de vaincre ; rappelle-leur qu’ils sont de ma division ; elle ne doit jamais être malheureuse ». Marceau obtint alors la reddition de la forteresse de Wurtzbourg ; puis il envoya des troupes dans la forêt pour y débusquer des partisans et y ramasser des déserteurs autrichiens. Les troupes envoyées à cet effet rencontrèrent l’avant-garde de l’archiduc Charles, qui regagnait Francfort. Un engagement assez vif s’ensuivit. Marceau concentra les troupes placées sous sa main sur le plateau de Dessenheim, fit sauter les ponts et se retrancha. Ayant ainsi formé un quartier général, il s’empara de Manheim, de Limbourg et livra deux combats sanglants, le troisième jour complémentaire de l’an IV (19 sept. 1796). Il occupait le défilé d’Altenkirchen, attendant l’intervention de Jourdan, lorsque, voulant reconnaître le terrain, il partit, accompagné du capitaine Souhait, dont il a été question plus haut. Deux ordonnances suivaient le général à peu de distance. Il portait le dolman et le pantalon du 11e chasseurs, sans écharpe ; sur son chapeau flottait une partie du panache qui avait été coupé par une balle, deux jours auparavant, à Limbourg. Quelques chasseurs tiraillaient dans un petit bois adossé à Herschbach. Marceau et Souhait y étaient à peine entrés, qu’un hussard de Kayser passait devant eux, en faisant caracoler son cheval. Marceau étendit la main pour montrer ce hussard à son compagnon. Un chasseur tyrolien, caché derrière un arbre, reconnut un officier supérieur, ajusta son arme et fit feu. La balle, après avoir effleuré Souhait, traversa le bras gauche de Marceau et alla se loger entre les côtes. La blessure était mortelle. Transporté jusqu’à Altenkirchen, il fut confié à l’humanité et à la loyauté du commandant prussien, qui venait de s’emparer d’une partie de la ville, et resta sous la garde des officiers qui l’accompagnaient. Jourdan écrivit une lettre pour recommander l’illustre blessé au général autrichien Sladdick, qui se trouvait à peu de distance de la place. Le lendemain, en y entrant, le premier soin de Sladdick fut d’envoyer une sauvegarde à Marceau ; Kray, l’un des plus vieux officiers généraux de l’armée autrichienne, et qui avait combattu Marceau pendant deux campagnes, fut le premier à le visiter. À la vue de son jeune ennemi, sur le front duquel s’étendaient déjà les ombres de la mort, Kray balbutia quelques consolations ; il prit la main du héros républicain, et sentant une étreinte convulsive répondre à sa pression, il se mit à pleurer. Dans la nuit, Marceau trouva la force de dicter à Souhait ses dernières dispositions ; le matin, il rendit le dernier soupir. À ce moment arrivait le prince Charles, suivi de plusieurs généraux de son armée. L’archiduc resta longtemps pensif et recueilli, dans la contemplation de cette figure inanimée, mais belle encore. Les hussards de Barco et de Blankeistein, qui avaient, en plus d’une occasion, appris à connaître par eux-mêmes la valeur de Marceau, avaient exprimé leur volonté de lui rendre les derniers devoirs ; les officiers français chargés de la pieuse mission de ramener le corps de leur général eurent dès lors une longue discussion à soutenir, et l’archiduc Charles ne finit par céder qu’à la condition qu’il serait averti de l’heure des funérailles. Un détachement des hussards de Barco fut chargé de conduire le corps à l’armée de Sambre-et-Meuse, plongée dans la douleur. Le 23 septembre au soir, Marceau fut inhumé dans le camp retranché de Coblentz. Il y eut ce jour-là suspension d’armes, et les salves de l’artillerie autrichienne répondirent à celles de l’armée républicaine rendant les derniers honneurs. L’armée de Sambre-et-Meuse ouvrit immédiatement une souscription pour élever à Marceau un monument modeste. Kléber en donna le dessin. C’était une simple pyramide, rappelant qu’il y avait là un soldat qui, « à l’âge de vingt-sept ans, avait rendu des services signalés à la patrie, avait mérité l’estime de ses ennemis, l’amitié de ses camarades et l’attachement de ses concitoyens. » Un an après, l’armée française amenait à Coblentz les restes de Hoche. On remplit alors les intentions de Kléber en exhumant le corps de Marceau et en le faisant brûler avec pompe. Le bûcher fut dressé sur le Petersberg, en présence de toutes les troupes qui se trouvaient alors à Coblentz et aux environs. Les cendres furent recueillies dans un vase d’airain portant cette inscription : Hic cineres, ubique nomen. Ce vase fut déposé dans le tombeau. Le général Hardy prononça un discours, et de nombreuses salves d’artillerie annoncèrent cette triste cérémonie. Plus tard, les Prussiens eurent à fortifier le Petersberg ; on ne put éviter le déplacement du monument de Marceau ; mais on le rétablit exactement à peu de distance, sur un tertre artificiel, dans la gorge du fort François, au pied d’une hauteur boisée, qui est un des lieux de promenade les plus fréquentés de Coblentz. Ce monument a inspiré à lord Byron, dans le Pèlerinage de Childe-Harold, deux strophes célèbres que nous devons rappeler ici :

 « Près de Coblentz, sur un coteau en pente
douce, est une pyramide petite et simple, qui
couronne le sommet de la colline verdoyante.
À sa base sont les cendres d’un héros, notre
ennemi ; mais que cela ne nous détourne pas
d’honorer Marceau ! Sur sa jeune tombe,
plus d’un rude soldat versa des larmes, de
grosses larmes, déplorant et enviant aussi
un semblable trépas ; il est tombé pour la
France, en combattant pour reconquérir ses
droits.

« Courte, brave et glorieuse fut sa jeune
carrière. Ses pleureurs furent deux armées,
ses amis et ses ennemis ; et tout étranger qui,
aujourd’hui, s’arrête en ce lieu doit prier
pour le repos serein de son âme chevaleresque.
C’est qu’il a été le champion de la liberté, et
l’un de ceux-là, peu nombreux, qui n’ont jamais
outre-passé la mission du châtiment
qu’elle impose à ceux qui portent son glaive.
Il a préservé la blancheur de son âme, et pour
cela les hommes ont pleuré sur lui. »

À diverses reprises, la ville de Chartres a témoigné sa reconnaissance pour le héros qui l’a illustrée d’une gloire incomparable. La rue où il était né ainsi qu’une place adjacente prirent le nom de rue et place Marceau. Une pyramide fut même élevée sur cette place le 10 vendémiaire an X (23 septembre 1801), anniversaire de ses glorieuses funérailles. La Restauration fit changer les écriteaux et mutila les inscriptions, croyant, sans doute, effacer ainsi le souvenir de Marceau de la mémoire de ses compatriotes ; mais, en 1830, après les journées de Juillet, le premier acte de la municipalité fut de rétablir partout le nom du général républicain. Enfin, sous la seconde République, une souscription permit d’élever, sur la place principale de Chartres, une statue en bronze digne du héros. L’inauguration eut lieu le 21 septembre 1851. Cette statue, due à M. Auguste Préault, est une œuvre capitale. Elle a figuré au Salon de 1850.

Marceau ou les Enfants de la République, drame de MM. Anicet Bourgeois et Michel Masson (théâtre de la Gaîté, août 1848). Ce drame affecte la forme épisodique, comme Richard III, Wallenstein, etc. Le rideau se lève sur le Champ-de-Mars. On voit de pauvres soldats mal habillés : ce sont Marceau, Marie-Joseph Chénier, Talma, Kléber et Bonaparte. Un pauvre imprimeur traverse la scène, en pleurant la perte de six écus qu’on lui a confiés. L’abbé Pascal fait une quête. Le second acte nous transporte chez l’imprimeur où Bonaparte corrige les épreuves de sa première brochure, le Souper de Baucaire. L’abbé est poursuivi comme royaliste, ses ami le sauvent ; Marceau a autrefois aimé une jeune Vendéenne : il part pour l’expédition de Vendée, et retrouve l’objet de son amour. Le père de la jeune fille veut la forcer à attirer le général républicain dans un guet-apens ; l’abbé Pascal sauve Marceau. La jeune fille et son père sont mis en prison, l’abbé Pascal marie les deux amants avant de se rendre lui-même à l’échafaud. Marceau et Kléber vont chez Robespierre le supplier d’épargner la Vendéenne ; mais il est trop tard. Marceau n’a plus qu’à se faire tuer au service de la République. Ce drame, qui empruntait quelque chose aux préoccupations du moment, renferme quelques scènes intéressantes, mais peu originales.