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Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/MARIE STUART, reine de France, puis reine d’Écosse, fille de Jacques V, roi d’Écosse, et de Marie de Guise

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Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 4p. 1195-1198).

son esprit était noble et gracieux, son langage animé et son attrait déjà fort grand ; de bonne heure elle avait montré les rares agréments qui devaient la faire aimer et qui rendirent si séduisante son enfance elle-même. Quand elle perdit subitement son mari (5 décembre 1560), et que, veuve à dix-huit ans, il fut décidé qu’au lieu de rester en son douaire de Touraine elle retournerait en son royaume d’Écosse pour y mettre ordre aux troubles civils qui s’y étaient élevés, ce fut un deuil universel en France, dans le monde des jeunes seigneurs, des nobles dames et des poètes. » Michelet conjecture, non sans raison, que les ardeurs sensuelles de celle qu’il appelle « cette grosse chamelle rousse » furent pour quelque chose dans la mort précoce du débile François II. À propos de cette épithète de rousse donnée à Marie Stuart par le grand historien, disons en passant que les auteurs ne sont pas d’accord sur la couleur de ses cheveux, que tous vantent néanmoins comme fort beaux. Walter Scott prétend qu’ils étaient noirs ; Mignet, d’après tous les contemporains, les fait blonds ; M. Dargaud les compare à un rayon de soleil, ce qui se rapprocherait de l’opinion de Michelet ; les poëtes de la pléiade en ont chanté les tresses d’or et Brantôme dit qu’ils étaient blond cendré, ce qui concilie à peu près toutes les opinions, sauf celle de Walter Scott.

Durant son séjour en France et pendant son règne éphémère, Marie Stuart avait commis, envers ses sujets d’Écosse, quelques actes d’une extrême imprudence. Par un premier acte secret, elle faisait donation de la couronne d’Écosse aux rois de France, à charge de la défendre contre les Anglais ; par un second, elle accordait l’usufruit du royaume d’Écosse au roi de France, jusqu’à ce que celui-ci eût été remboursé des sommes qu’il avait dépensées pour sa défense. Elle commit une faute plus grande encore en prenant, à la mort de Marie Tudor, d’après le conseil de Henri II et sous prétexte de l’illégitimité d’Élisabeth, les armes d’Angleterre à côté des armes d’Écosse. Ses droits à la couronne d’Angleterre n’étaient pas douteux. Comme descendante de la sœur de Henri VIII, mariée à son aïeul Jacques IV, elle était plus près du trône qu’Élisabeth, la fille d’Anne de Boulen, car les Anglais, en reconnaissant pour reine Marie Tudor, avaient implicitement proclamé la bâtardise d’Élisabeth. Mais des prétentions comme celles de Marie Stuart sont vaines quand elles ne peuvent se soutenir les armes à la main. La reine d’Angleterre se vengea en déchaînant en Écosse contre la régente l’opposition de l’aristocratie et le fanatisme presbytérien ; bientôt elle appuya ses sourdes menées de l’envoi de troupes anglaises auxquelles Marie de Guise opposa des auxiliaires français qui contribuèrent encore à la rendre impopulaire. Ses alliés du dedans succombèrent et la malheureuse princesse expira le 10 juin 1560. La paix d’Édimbourg donna au pays une tranquillité momentanée et incomplète ; elle consacrait la ruine de l’influence française et monarchique, le triomphe du parti anglais et des presbytériens ; la conduite des affaires devait appartenir à un conseil de douze membres, dont sept étaient nommés par la reine d’Écosse et cinq par les états. Le parti vainqueur multiplia ses attaques contre l’autorité royale, et les presbytériens, de proscrits devenus proscripteurs, se vengèrent en interdisant l’exercice du culte catholique et en bouleversant l’organisation ecclésiastique du royaume. Marie Stuart protesta contre le traité d’Édimbourg et contre les actes du Parlement, mais elle ne put faire davantage, et bientôt la mort de François II (5 décembre 1560) la rejeta bien loin des rêves au milieu desquels elle avait passé sa jeunesse. Détestée de Catherine de Médicis, elle dut se résigner à retourner en Écosse. Elle allait trouver la noblesse accoutumée à la rébellion et disposant de l’autorité, le peuple professant une autre religion qu’elle et tenant pour suspectes toutes les pratiques papistes, et en outre les intrigues de l’Angleterre guettant sa proie. Tout était menaçant autour d’elle.

Le 14 août 1561, Marie Stuart s’embarqua, après avoir cherché à préparer son retour par des mesures de conciliation. On connaît le touchant récit que Brantôme nous a laissé de son voyage, et une mélancolique romance, qui n’est peut-être pas d’elle, mais qu’on lui attribue toujours,

Adieu, plaisant pays de France,

a popularisé ses adieux au pays qu’elle regrettait. Sa tristesse trouva bientôt de nouveaux aliments dans le sombre aspect de l’Écosse, dont les mœurs farouches, l’austérité presbytérienne et la pauvreté froissaient la délicatesse de ses goûts et éveillaient ses répugnances. « Qu’on se figure en effet, dit M. Paul de Saint-Victor, cette fille des Guises, cette enfant de la Renaissance transportée presque subitement de la cour licencieuse de Fontainebleau dans la froide et sombre Écosse du XVIe siècle, condamnée à régner sur ce camp de l’Église militante du calvinisme, qui exècre en elle la séduction du catholicisme, la magicienne de la papauté. À peine a-t-elle mis le pied sur le sol de son nouveau royaume que la lutte commence, lutte inégale de la passion fragile et brillante du Midi contre l’âpre fanatisme du Nord. Sa beauté voluptueuse scandalise la rude escorte qui l’attend sur la grève. « Ce n’est pas une chrétienne, murmurent sous leurs casques les gentilshommes sauvages de le Réforme, c’est Diane, c’est quelque divinité païenne. » Marie essaye d’abord d’apprivoiser les hommes de proie qui l’entourent ; elle entreprend de gagner Knox, le farouche tribun de l’idée nouvelle ; elle veut acclimater sur cette terre rigide la poésie, la danse, la musique, l’élégance, toutes les fleurs de la civilisation italienne : elle ne réussit qu’à effaroucher ce peuple austère, ces ascètes de la Bible et de l’épée, qui n’adorent que le Dieu du désert. » En présence d’une noblesse turbulente, d’une secte enivrée de son triomphe, d’une reine rivale et hostile, elle était condamnée à la plus grande circonspection, et la fougue de son caractère, enclin aux exagérations et aux passions extrêmes, peu susceptible de tempérament, l’y disposait mal. Cependant sa conduite fut d’abord adroite ; elle s’entoura d’un conseil à la tête duquel elle plaça son frère naturel, le comte de Murray, politique habile, peut-être trop habile, qui lui traça un système de conciliation dont elle recueillit quelques fruits ; sa légèreté, son amour des plaisirs et des fêtes les lui firent perdre rapidement. En dépit des déclamations furibondes de Knox, elle provoquait par sa conduite les interprétations les plus hostiles, en même temps que son caractère enjoué l’exposait à des entreprises hardies. Chastelard, ce spirituel et chevaleresque gentilhomme français, prit au sérieux quelques paroles de galanterie qu’elle lui avait adressées, osa acheter la complicité d’une de ses femmes et se cacha sous le lit de la reine, croyant la posséder par ce trait d’audace. Marie, qui se sentait soupçonnée, le laissa périr sur l’échafaud. C’était pour elle une impérieuse nécessité de se remarier. Philippe fit proposer son fils, don Carlos, ce fou qui faisait manger à son cordonnier les bottes qu’il trouvait trop étroites ; Élisabeth proposa Leicester, son platonique amoureux ; à ces prétendants Marie préféra son cousin Darnley, fils du comte de Lennox, jeune homme d’un extérieur agréable, mais d’une intelligence bornée et d’un caractère méprisable. De plus, il était catholique ; le peuple gronda ; Knox fit retentir la chaire de ses imprécations, et Murray, soit qu’il vît avec dépit que le gouvernement allait lui échapper, soit qu’il s’irritât de ce que ses idées conciliatrices étaient méconnues, se rangea parmi les ennemis acharnés de la reine. Le mariage fut célébré le 25 juillet 1565 ; toutefois Marie s’opposa à ce que Darnley fût couronné comme il le demandait avec instance : elle craignait un soulèvement populaire. Douglas et Murray profitèrent de l’irritation que ce refus lui causa pour l’entraîner à un acte d’autorité qu’ils méditaient depuis longtemps. Un chanteur italien, David Rizzio, qui avait plu à Marie par son talent original et ses saillies grotesques, possédait alors toute sa confiance. De simple bouffon de cour et de racleur de guitare, il était devenu un personnage ; Marie l’avait fait son secrétaire pour la correspondance étrangère et les plus importantes affaires lui passaient par les mains. Son influence était telle que Murray, qui, à l’instigation d’Élisabeth, venait de tenter contre sa sœur une révolte à main armée, sollicitait l’appui de Rizzio pour rentrer en grâce. Loin de vouloir lui complaire, Rizzio excita la reine contre lui et exalta imprudemment ses désirs de vengeance ; ce fut sa perte. Les seigneurs écossais, honteux de voir ce bouffon jouir de privilèges qui leur étaient déniés, entrer chez la reine à toute heure, souper familièrement avec elle, persuadèrent à Darnley qu’il était son amant. Il n’y avait guère apparence ; Rizzio était déjà vieux, d’une laideur très-caractérisée et d’ailleurs contrefait. Mais Darnley, qui plusieurs fois s’était vu repousser de la chambre à coucher de la reine parce qu’il s’y était présenté absolument ivre, crut facilement ce qu’on lui suggérait et entra dans le complot. Un soir que Marie soupait en tête-à-tête avec son favori, un groupe d’hommes, à la tête desquels étaient Douglas et lord Ruthwen, envahissent la chambre. Pendant que Darnley s’empare de Marie, on entraîne Rizzio dans la pièce voisine et il est immédiatement massacré ; on compta sur son cadavre cinquante-six coups de dague (9 mars 1566). La reine, gardée à vue, fut prisonnière dans son propre palais. Captive entre les mains des conjurés, Marie cessa de pleurer pour songer à sa délivrance. Elle n’eut pas de peine à reprendre son ascendant sur l’âme faible de Darnley, à qui elle feignit de pardonner le rôle qu’il avait joué dans cette nuit sinistre. Elle le regagna, le détermina à faciliter son évasion et à s’enfuir avec elle à Dunbar. À peine libre, elle l’associa à sa vengeance et força ses complices à fuir en Angleterre. Sa captivité n’avait duré que huit jours. Quelques semaines après, elle accouchait du fils qui fut roi d’Angleterre sous le nom de Jacques Ier. Cette naissance ne resserra aucunement les liens des deux époux ; Marie haïssait Darnley et avait toujours sous les yeux le cadavre de son favori assassiné. Elle prit bientôt pour amant le comte de Bothwell, qui la séduisit en flattant ses idées de vengeance et dont le caractère résolu indiquait un homme qui ne reculerait devant rien, pas même devant un crime. Bothwell aussi, comme Chastelard, s’était fait cacher sous le lit de la reine et l’avait ainsi obtenue par surprise, mais elle ne le fit pas décapiter. De concert avec Lethington et avec Murray, qui s’était rallié à sa sœur, il agita d’abord la question de divorce ; Marie rejeta cet expédient. Alors Bothwell songea à tuer Darnley ; Murray lui garantit l’impunité. Darnley s’était retiré à Glascow, dans sa famille ; une réconciliation avec Marie le ramena à Édimbourg (janvier 1567). Peu de temps après il tomba malade de la petite vérole et on le fit transporter dans une maison de campagne près d’Holyrood ; c’était un petit castel abandonné, sous les planchers duquel Bothwell avait fait pratiquer une mine. Pendant que la reine, conviée à un bal, dansait joyeusement, la maison saute ; par surcroît de précaution, Darnley avait été étranglé à l’avance (10 février 1567). La voix publique était unanime pour accuser Bothwell et Marie Stuart ; celle-ci fut obligée de citer son amant devant une cour de justice qui l’acquitta. Bien plus, Bothwell obtint du libre consentement des lords une déclaration constatant son innocence et une supplique par laquelle ils le recommandaient à la reine comme le plus digne époux qu’elle pût choisir. Marie voulut ne paraître céder qu’à la violence et une comédie d’enlèvement fut jouée, d’accord avec elle. Le 24 avril suivant, comme elle allait voir son jeune fils à Stirling, Bothwell arrêta son carrosse, à la tête de quelques cavaliers, et, à la suite de cette violence simulée, elle épousa son amant (15 mai 1567).

Les lords protestants formèrent aussitôt une ligue au nom des intérêts du pays et du jeune roi menacé, et obtinrent le concours d’Élisabeth. Une première tentative contre les deux époux échoua, mais bientôt un terrible soulèvement arracha Marie Stuart à sa trompeuse sécurité. Elle rassembla quelques troupes et marcha avec Bothwell contre les confédérés, qu’ils rencontrèrent non loin d’Édimbourg, à Carberry-Hill ; l’armée royale fit défection. La reine, dans cette extrémité, entra en conférence avec les chefs de l’insurrection, qui lui promirent de lui conserver leur foi si elle voulait se séparer de son mari ; elle y consentit et eut avec Bothwell, sur les hauteurs de Carberry, une dernière entrevue. Après ces adieux suprêmes, elle rejoignit Lindsay, un des chefs presbytériens, et lui prenant la main : « Par la main qui est maintenant dans la vôtre, dit-elle, j’aurai votre tête pour cela. » Vaine et imprudente menace qui aggrava sa triste situation. Elle s’aperçut bientôt qu’elle était prisonnière et, lorsqu’elle entra avec les vainqueurs à Édimbourg, ce fut précédée de la bannière vengeresse sur laquelle on avait représenté le meurtre de Darnley et au milieu des injures de la populace.

Marie fut enfermée au château de Lochleven, situé au milieu du lac de ce nom, et confiée à Marguerite Douglas, ancienne maîtresse de Jacques V, dont la haine implacable garantissait suffisamment la surveillance vigilante. Quant à Bothwell, il alla mener la vie de pirate dans les Orcades jusqu’au moment où, fait prisonnier par les Norvégiens, il fut enfermé au château de Malmoë, dans lequel il mourut en 1576. Il avait confié à un de ses serviteurs une cassette d’argent, présent de Marie Stuart et renfermant la correspondance de celle-ci. Elle tomba entre les mains du parti victorieux et plus tard ces pièces furent une arme terrible dont on se servit contre l’infortunée princesse.

Quelques fanatiques réclamaient le jugement et la mort de la reine d’Écosse ; ce parti fut abandonné, mais on lui arracha la signature d’un acte par lequel elle abdiquait en faveur de son fils et nommait Murray régent du royaume. Elle travailla alors activement à abréger sa dure captivité ; après une tentative infructueuse, elle réussit à s’échapper avec l’aide du fils de lady Douglas, George Douglas, qui n’avait pu résister à la séduction qu’elle exerçait autour d’elle. À peine libre, elle déclara son abdication nulle et fit appel à ses partisans ; 6, 000 hommes se rallièrent à sa cause, mais Murray l’amusa par de perfides négociations, puis la força d’accepter la bataille à Longside (13 mai 1568). L’engagement ne dura pas une heure ; Marie, voyant s’évanouir sa dernière espérance, fut réduite à fuir pour échapper à une nouvelle captivité. Suivie d’un petit nombre de serviteurs, elle fit à cheval une course de 60 milles vers la frontière méridionale et, pouvant s’embarquer pour la France, se décida à demander asile à Élisabeth. L’un des partis était plus sûr, l’autre plus aisé. Ce fut ce qui trancha ses irrésolutions. À peine avait-elle débarqué sur les côtes du Cumberland qu’Élisabeth commanda de s’assurer de sa personne. On la retint d’abord sous prétexte de lui faire avoir une entrevue avec la reine d’Angleterre, entrevue toujours promise et toujours différée ; puis on lui fit entendre qu’avant tout il fallait que, par un procès public, elle se purgeât des soupçons émis contre elle relativement au meurtre de Darnley. Marie se récria, déclara que, reine indépendante, elle n’était justiciable d’aucune juridiction et réclama le droit de s’embarquer pour la France : il était trop tard. Détenue d’abord avec quelques égards au château de Carlisle, Marie vit peu à peu se resserrer autour d’elle cette captivité qui devait durer dix-neuf ans (18 mai 1568-5 février 1587). Traînée de château en château, elle fit en vain appel aux puissances du continent, dont les plaintes et les menaces ne servirent qu’à aggraver sa situation. Un premier procès fut instruit ; Marie se résigna à se défendre devant une commission qui siégeait à York sous la présidence du duc de Norfolk. À la suite de manœuvres odieuses, dans lesquelles on enveloppa la reine d’Écosse et le régent, celui-ci produisit devant la commission, brusquement transférée à Westminster, des pièces trouvées, dit-il, dans les bagages de la reine lors de sa fuite. Ces pièces prouvaient la complicité de Marie dans le meurtre de Darnley, mais on n’en montra jamais les originaux. Élisabeth, poursuivant sa politique tortueuse, ne prononça pas sur le fond ; elle s’arma seulement de la décision des juges pour retenir Marie Stuart captive. Malgré tout, Marie était encore redoutable pour sa rivale. En présence de cet indigne abus de la force, on oubliait les faiblesses et les fautes de la victime pour ne songer qu’aux violences du bourreau. Du fond de sa prison la reine d’Écosse cherchait à soulever ses partisans et se créait des sympathies parmi l’aristocratie anglaise. Une ligue formidable se forma bientôt en sa faveur ; le duc de Norfolk, le comte de Pembroke, les comtes de Northumberland et de Westmoreland y entrèrent ; un projet de mariage fut formé entre Norfolk et la prisonnière. Élisabeth déploya une activité à la hauteur de ces circonstances périlleuses ; le duc, jeté en prison avec ses principaux adhérents (1569), désavoua ses projets ; l’insurrection des comtés du nord sous Westmoreland et Northumberland fut écrasée et le protestantisme anglican sortit triomphant de cette crise. Norfolk ne porta cependant sa tête sur l’échafaud que trois ans plus tard, et après avoir été convaincu de nouveaux complots.

La Saint-Barthélemy (1572), en alarmant Élisabeth et tous les anglicans, fit resserrer les chaînes de Marie Stuart. Dès ce moment sa mort fut résolue. Elle était en effet une menace perpétuelle pour l’Angleterre en présence des sanglantes menées des catholiques du continent et des sommations impérieuses de Philippe II, qui faisait les préparatifs de sa formidable Armada. Il fallait préparer les esprits à ce coup tragique. Élisabeth, ou plutôt Cecil, son ministre, fit répandre à profusion le fameux pamphlet de Buchanan, précepteur du fils de Marie Stuart, Detection of the duinges of Mary, où les accusations les plus haineuses étaient portées contre elle. Elle était alors détenue au château de Sheffield, et si étroitement qu’on lui laissait à peine une femme pour la servir. Dix années s’écoulèrent ainsi au milieu des tergiversations d’Élisabeth et de complots isolés en faveur de la prisonnière. Sa santé s’altérait ; Marie demanda qu’il lui fût permis d’aller à Buxton prendre les eaux, et il fallut que les ambassadeurs de France et d’Espagne appuyassent sa requête pour qu’il y fût fait droit. Élisabeth le lui permit, à condition qu’elle ne ferait pas même voir son visage et que Shrewsbury, son geôlier, exercerait autour d’elle la surveillance la plus active. Cecil, devenu lord Burleigh, eut cependant la curiosité de se rendre à Buxton et put jouir tout à son aise de l’abaissement de sa victime. Réintégrée à Sheffield, Marie Stuart écrivit à Élisabeth une lettre suppliante (novembre 1582) ; elle s’humiliait enfin, se déclarait prête à abdiquer ses droits sur la couronne d’Angleterre et implorait seulement la faculté d’aller finir ses jours en France. Élisabeth laissa la lettre sans réponse, et autour d’elle les plus odieuses machinations se tramaient contre sa rivale. Leicester, qui voulait se faire pardonner à force d’infamie son ancien attachement pour Marie Stuart, se chargea de la faire empoisonner : Walsingham, le secrétaire d’État, rejeta cette proposition avec horreur ; mais Leicester n’y renonça pas et il essaya de gagner Amias Pawlet, gouverneur de Tutbury, où la prisonnière avait été transférée. Pawlet, qui traitait durement Marie, refusa pourtant de tremper dans un acte aussi odieux. Cependant l’exaspération que d’incessants complots en faveur de la reine d’Écosse entretenaient en Angleterre finit par se traduire en mesures légales. Un certain nombre d’exaltés avaient déjà péri sur l’échafaud (1582-1584). Les protestants formèrent une association dont les membres s’engageaient à défendre la reine contre tous les ennemis du dedans et du dehors ; le Parlement la continua et y ajouta une clause portant que, « si quelque rébellion était excitée dans le royaume, ou quelque dessein tramé contre la vie de la reine, Sa Majesté était autorisée à nommer des commissaires pour juger les personnes par qui ou pour qui ces complots auraient été formés, pour les déclarer inhabiles à prétendre à la couronne, si elles y avaient des droits, et les poursuivre jusqu’à la mort. » Marie vit son arrêt de mort dans cette loi ; sa santé était ruinée par cette longue captivité, ses jambes enflées la portaient difficilement ; mais son agonie durait trop au gré de ses persécuteurs, on cherchait un prétexte pour la frapper ; avec son imprévoyance habituelle elle donna des armes contre elle. Un nouveau complot fut tramé contre les jours d’Élisabeth sous les auspices de Philippe II (1586). Babington en était le principal agent, et la police, sous l’œil de laquelle tout se tramait, lui facilita les moyens de communiquer avec la captive ; un agent infâme, Gilbert Giffort, transmettait au ministre Walsingham toutes les lettres de la reine d’Écosse. Quand on crut avoir des preuves suffisantes de sa complicité, on arrêta les conspirateurs et on les condamna à mort. La mise en jugement de Marie fut décidée, et elle fut transférée au château de Fotheringay, dernière étape de sa douloureuse captivité.

Elle refusa d’abord de reconnaître la haute cour de justice ; mais elle ne persista pas dans cette sage résolution et céda aux raisonnements insidieux qu’on employa. Son attitude devant ses juges fut pleine de dignité et de noblesse ; elle protesta éloquemment contre les violences dont elle était victime, avoua qu’elle avait pris part à des complots ayant pour but sa délivrance ; mais nia énergiquement qu’elle eût trempé dans un projet d’assassinat. On allégua contre elle les lettres adressées à Babington ; mais l’accusation ne reposait que sur des copies dont on refusa de lui communiquer les originaux, on ne voulut pas non plus la confronter avec ses dénonciateurs ; sa défense fut habile : elle montra tout ce qu’il y avait d’odieux dans cette violation des formes de la justice ; mais elle était condamnée d’avance ; la sentence de mort fut prononcée à l’unanimité le 25 octobre 1586. L’intervention des rois de France et d’Écosse fut infructueuse en faveur de Marie Stuart ; toutefois Élisabeth voulait échapper à la responsabilité d’une exécution solennelle. Elle se fit adresser des pétitions par les deux chambres du Parlement ; enfin, se laissant hypocritement forcer la main, elle signa le warrant fatal. Le gardien de Marie, le farouche Amias Pawlet, déjà sondé dans le but d’un meurtre clandestin, fut ouvertement invité à rendre ce service à la reine ; il s’y refusa noblement ; et l’on possède la lettre, expression de ses scrupules qui irritèrent Élisabeth. Quand le chancelier Davison eut envoyé l’ordre de l’exécution, la reine d’Angleterre feignit de s’emporter contre lui et le disgracia, croyant égarer ainsi l’opinion publique.

Le 7 février 1587, Marie écouta avec calme, avec dignité la lecture de l’arrêt et protesta de son innocence dans les projets meurtriers de Babington. Après avoir en vain demandé les secours de la religion, elle distribua à ses serviteurs ce qu’elle possédait ; partagea sa dernière nuit entre la prière et sa correspondance avec ses parents et ses amis, et fit ses dispositions avec une fermeté qui ne se démentit pas un instant. Le lendemain à huit heures, elle se rendit dans la grande salle du château de Fotheringay où était dressé l’échafaud, répondit avec dignité, mais sans colère, aux observations que le fanatisme anglican inspirait au comte de Kent, chercha à ranimer le courage de ses serviteurs éplorés et obtint à grand’peine qu’ils assistassent à son supplice. Sur l’échafaud, elle eut à combattre la persistance inconvenante du doyen de Peterborough pour la forcer à abjurer l’idolâtrie. La sérénité touchante de son courage communiquait à tout le monde l’attendrissement ; enfin, après avoir recommandé à Dieu ses coreligionnaires proscrits, fait des vœux pour la conversion de son fils et la prospérité d’Élisabeth, elle présenta au bourreau sa tête, qui ne tomba qu’au second coup. Les assistants fondaient en larmes. « Le bourreau leur montra la tête séparée du corps ; et comme en cette montre la coëffure chut en terre, on vit que l’ennuy avoit rendu toute chenue cette pauvre reyne de quarante-cinq ans, après une prison de dix-huit ans. » (Journal de Henri III.)

La dure captivité de Marie Stuart et sa fin tragique lui ont valu une sympathie persistante ; les poètes, les romanciers ont chanté ses malheurs, les historiens eux-mêmes ont été contraints d’adoucir leur sévérité et d’atténuer ses fautes. Longtemps on n’a voulu voir en elle qu’une victime. Les recherches de Mignet et du prince Labanoff, la production de documents nouveaux, longtemps recherchés, l’authenticité de certains autres argués de faux par les défenseurs de la reine ont démontré qu’elle fut coupable, qu’elle trempa non-seulement dans l’assassinat de Darnley, mais dans les complots contre la vie d’Élisabeth, ce dont elle s’était toujours si énergiquement défendue. Son procès est donc jugé ; cependant, c’est encore Marie Stuart qui garde le beau rôle : Élisabeth restera éternellement odieuse.

Marie Stuart a été l’objet de nombreux travaux historiques. Dans les histoires générales d’Angleterre de Robertson, de Hume, de Lingard, dans la volumineuse collection de S. Jebb, sa biographie occupe une place considérable : la reine d’Écosse y est toujours jugée à un point de vue défavorable. Un nouvel aliment a été plus récemment donné aux historiens par les recherches érudites et consciencieuses du prince Labanoff : Recueil des lettres de Marie Stuart (1844, 7 vol. in-8o ; 1 vol. de supplément par Teulet) ; Pièces et documents relatifs au comte de Bothwell ; Notice sur la collection des portraits de Marie Stuart (1856, 2 fascicules in-8o). Ces publications nous ont valu la belle étude de M. Mignet et celle de M. Dargaud, que nous analysons ci-après. Les romanciers et les auteurs dramatiques se sont aussi maintes fois emparés de cette tragique histoire ; nous analysons plus bas les plus célèbres des drames ou tragédies que Marie Stuart a inspirés. Parmi les romans nous nous contenterons de citer l’Abbé, de Walter Scott, et la Marie Stuart d’Alexandre Dumas, dans la série des Crimes célèbres.

Marie Stuart (HISTOIRE DE) par M. Dargaud (1851, 2 vol. in-8o). Antérieure de quelques mois à la belle étude de M. Mignet dont nous rendrons compte ci-après, cette histoire n’a pas été effacée par le travail de l’éminent historien. Elle est conçue à un point de vue plus pittoresque, quoique les déductions en soient presque aussi vigoureuses. L’auteur ne s’est pas contenté de compulser les documents et d’en faire jaillir la lumière, œuvre certainement méritoire et dont les plus exigeants se contentent ; il a voulu suivre en France, en Écosse, et dans les châteaux forts de l’Angleterre toutes les traces de la vie de son héroïne, voir les paysages qu’elle eut sous les yeux et s’en inspirer. Rien que comme œuvre descriptive, cette Histoire de Marie Stuart est fort remarquable, parce qu’elle a si cette précision du témoin oculaire qui manque nécessairement aux livres, composés dans le cabinet. « Marie Stuart a été pour M. Dargaud, dit M. P. de Saint-Victor, un idéal de poëte, un rêve d’artiste, une énigme de philosophe. Il l’a cherchée pendant quatre années à travers la France, l’Écosse, l’Angleterre, les châteaux, les palais, les prisons, les galeries, les bibliothèques, avec cette sympathie passionnée qui est l’amour platonique de l’historien ; il s’est fait le voyageur de ce mélancolique fantôme dont la mémoire, par une affinité mystérieuse, semblait être condamnée, comme la vie, à une évasion perpétuelle ; il a suivi pas à pas à travers les fêtes, les batailles, les captivités, cette longue route de sa destinée qui part du palais de Fontainebleau pour aboutir à l’échafaud de Fotheringay, flottante et orageuse comme la mer qui les sépare ; il en a questionné toutes les ruines, interrogé tous les échos, scruté toutes les poussières ; il a cueilli sur sa route ces légendes populaires qui croissent comme les fleurs sauvages dans les espaces vides de l’histoire, et, de ces fouilles pieuses dans la cendre encore chaude du passé, il a extrait un livre vaste comme une épopée, pathétique comme un drame, vivant comme une évocation, un livre qui est à la fois le portrait d’une femme et la fresque d’une époque, le reliquaire d’un nom et le musée d’un siècle. C’est dans les portraits surtout que brille ce prestige de vie qui est le don par excellence de M. Dargaud. Marie Stuart, Élisabeth, Bothwell, Morton, Murray, Knox, Burleigh revivent en traits ardents sous cette plume d’artiste, à la fois ondoyante et précise, pinceau d’Holbein trempé dans la palette de Van Dyck. Il a groupé sur le second plan, et dans les demi-jours de son œuvre, Philippe II, Calvin, Henri III, Catherine de Médicis, Giordano Bruno, le duc de Guise, les grandeurs, les passions et les fanatismes de ce XVIe siècle dont Marie fut la charmante et tragique incarnation. »

Marie Stuart, par M. Mignet (1851, 2 vol. in-18). L’ouvrage parut d’abord en articles dans le Journal des savants (1850), et attira l’attention autant par les séductions du style que par la rigueur et la conscience des déductions historiques. Venu après Hallam, Lingard et le prince Labanoff, M. Mignet est certainement le plus complet et peut-être le plus impartial des historiens de Marie Stuart. Il est touché par les malheurs de son héroïne, sans pourtant se laisser influencer. « Il la juge, dit M. Nisard, en juré cherchant la vérité et regrettant de l’avoir trouvée, plein des devoirs de l’historien et ému de sympathie pour la misère humaine. » C’est animé de ce double sentiment que M. Mignet déclare Marie Stuart coupable de complicité dans le meurtre de Darnley, son mari. Son amour de la vérité, sa conscience d’historien ont dicté la sentence, mais la sympathie pour la faiblesse humaine a inspiré le noble récit où il en retrace les motifs. Il plaint en même temps qu’il condamne ; en dénonçant le crime il pense à sa longue et douloureuse expiation, et tout en restant doux au malheur il a su être plus concluant que Hallam. Dans ce livre remarquable, la reine d’Écosse reste charmante, pleine de séductions et de dignité, si malheureuse qu’elle le paraît toujours plus que coupable, digne d’amitiés qui se dévouent, enfin, malgré son crime, meilleure que tous ceux qui l’entourent. Son crime est abominable sans doute, mais la victime est odieuse, et la morale des cours en ce temps-là, la violence des mœurs écossaises, Rizzio égorgé à côté de Marie dans sa propre chambre, par des assassins titrés auxquels son mari avait montré le chemin, tout cela vivement raconté par M. Mignet semble atténuer le crime en le faisant rejaillir sur ceux qui l’ont provoqué.

L’effet général du livre de M. Mignet est hautement moral. Comme dans les tragédies de nos grands poètes, chaque faute y porte sa peine, et chaque personnage est puni à proportion de ses fautes. Pour ne parler que des principaux, Darnley, assassin de Rizzio, meurt par la trahison dont il avait donné l’exemple ; Bothwell, assassin de Darnley, languit quelques années dans une prison de Danemark, et meurt méprisé et non oublié. Marie, qui, pour parler comme Schiller, lui a donné son cœur et sa main, meurt, après dix-neuf ans de captivité, plus sûre de la pitié du monde que de son estime, et laissant plus de champions intéressés de son innocence que d’amis honnêtes qui y aient foi. L’exil ou l’échafaud déciment ceux qui avaient décimé leurs ennemis par l’exil ou l’échafaud ; personne n’échappe à cette première justice d’ici-bas dont l’historien sait reconnaître les motifs dans nos fautes et les arrêts certains dans nos malheurs. Élisabeth seule semble échapper à cette terrible loi du talion, mais elle meurt à soixante-douze ans dans le ridicule d’un dernier amour.

« Ce livre, dit M. Nisard, a le mérite très-éminent de toutes les productions de M. Mignet ; il est avant tout très-bien fait. J’entends par là quelque chose de mieux qu’un bon livre. Un livre peut être bon sans être bien fait. Si le sujet est traité sérieusement et avec soin, que le style y convienne à la matière, que la langue en soit exacte, on dira : c’est un bon livre ; mais s’il manque de plan, de proportion, s’il n’a pas cet intérêt dramatique nécessaire même à un ouvrage de raisonnement, s’il n’est pas soutenu, s’il manque de cette élégance qu’on demande même aux livres de mathématiques, ce ne sera pas un livre bien fait. L’histoire de Marie Stuart réunit les deux genres de mérite, et le second, au temps où nous vivons, est beaucoup plus digne de louanges que le premier. »

Marie Stuart et le comte de Bothwell, par M. Wiesener (1863, in-8o). Cette étude est remarquable en ce qu’elle prétend réviser le procès de Marie et réfuter les conclusions de MM. Dargaud et Mignet relatives à la culpabilité, trop certaine, de la reine d’Écosse. L’auteur reproche à ces deux historiens d’avoir fait une Marie Stuart « de système. On lui a imputé, dit-il, les vices qu’elle devait avoir d’après la théorie psychologique ; les crimes qu’elle a dû commettre d’après ses vices supposés. On est parti de l’idée a priori que les écrits de ses adversaires devaient être la vérité ; on a examiné les documents d’un œil prévenu ; en fin de compte, on s’est trompé. » C’est ce qu’il se propose de démontrer. Il retrace l’histoire de Marie Stuart depuis son retour en Écosse en 1561, jusqu’à son abdication forcée dans la prison de Lochleven en 1567. Cette étude étant écrite à un point de vue tout nouveau, nous en ferons connaître l’esprit par un court résumé. Bothwell au commencement de sa carrière valait mieux que la généralité des lords écossais vendus à l’Angleterre. Quoique protestant, il resta fidèle à la reine qui l’accueillit dans son conseil privé. Marie était entourée d’ennemis, en butte à l’animosité du traître Murray qui, tramant la déchéance de sa sœur, se révolta deux fois avec l’aide d’Élisabeth pour s’emparer du pouvoir. Les révoltés trouvèrent en face d’eux Darnley, la veille leur complice dans le meurtre de Rizzio, Bothwell et l’attachement du peuple pour sa souveraine. Il fallait donc se défaire d’eux et flétrir la réputation de la reine. On fit entrevoir à Bothwell la possibilité d’acquérir le trône et la main de Marie. On détruirait ainsi Darnley par Bothwell ; ce dernier serait mis à mort comme assassin et Marie renversée du trône comme sa complice. On commença par la diffamation : Buchanan écrivit son fameux pamphlet de la Detection. Wiesener réfute ce livre et s’attache à prouver contre les allégations de Buchanan que Marie Stuart n’eut pas d’intrigue avec Bothwell durant l’été de 1566 ; qu’on la calomnie sur ses prétendues prodigalités, sur le voyage d’Alloa en juillet, le voyage d’Édimbourg en septembre, le voyage et la maladie de Jedburgh en octobre, sur la question du divorce avec Darnley, sur la conduite insultante qu’on lui attribue envers lui. Il affirme, en outre, que les dissentiments entre les deux époux tenaient à des causes purement politiques, que lorsque Marie sut que Darnley était malade elle lui envoya son médecin quoique elle-même et ses enfants fussent malades. Il cite les lettres des agents anglais qui contredisent l’accusation d’empoisonnement, et à l’aide des registres du sceau privé il rétablit la date exacte du voyage de Glascow. L’étude des quatre premières lettres de Marie Stuart à Bothwell lui donnent à penser que les dernières sont apocryphes. Quant à l’assassinat de Darnley, d’après les pièces fournies par les accusateurs eux-mêmes, il déclare que ni Marie ni même Bothwell ne choisirent la maison où fut accompli le crime. En résumé, Marie n’aurait jamais aimé Bothwell, et ce serait un complot de ses ennemis qui aurait jeté cet aventurier dans la couche royale. Dans une affaire aussi embrouillée que celle de Marie Stuart, chaque parti, ce qui est prouvé, ayant produit des pièces fausses, et les plus compromettantes des lettres ayant disparu, on conçoit que toute thèse peut se soutenir. Mais M. Wiesener n’a guère d’autre argument que d’infirmer l’authenticité des documents qui le gênent, quel que soit le degré de confiance que leur ont accordé tous les autres historiens, et ce procédé doit mettre en garde contre les conclusions du défenseur de Marie Stuart. Le procès reste jugé dans le sens qu’ont indiqué MM. Dargaud et Mignet.

Marie Stuart, tragédie d’Alfieri (1799). Alfieri convient lui-même que Marie Stuart est la plus faible de toutes ses tragédies ; il avoue que c’est la seule qu’il voudrait ne pas avoir faite. En effet, l’intrigue n’est conduite que par des personnages secondaires, qui font agir à leur gré les acteurs principaux. Cependant cette pièce renferme quelques beautés. La première scène entre Marie et Henri est bien tracée ; elle peut même être regardée comme une des meilleures du poëte italien. Le reine y déploie toutes les ressources d’une amante, d’une épouse, pour ramener le faible Henri. La scène dans laquelle Ormond veut engager le prince à accepter l’appui d’Élisabeth mérite aussi d’être distinguée.

Marie Stuart, tragédie en cinq actes, en vers, de Schiller (représentée à Weimar le 14 juin 1800). Cette tragédie est peut-être de toutes les pièces de Schiller la plus pathétique et la mieux conçue ; mais on doit reconnaître que l’histoire présente peu de drames plus émouvants que la rivalité de Marie Stuart et d’Élisabeth. La scène s’ouvre dans le château de Fotheringay, où Mairie Stuart est renfermée depuis dix-neuf ans, et au moment où le tribunal institué par Élisabeth va prononcer sur le sort de l’infortunée reine d’Écosse. La nourrice de Marie se plaint au commandant de la forteresse des traitements qu’il fait endurer à sa prisonnière. Le commandant Paulet, serviteur fidèle d’Élisabeth, parle de Marie avec une sévérité cruelle ; il annonce sa mort prochaine et cette mort lui paraît juste, parce qu’il croit qu’elle a conspiré contre Élisabeth. Un neveu du commandant, vivement épris de Marie, essaye de la sauver. Il va porter une lettre de cette malheureuse reine à l’amant d’Élisabeth, Leicester, qui, devenu amoureux de Marie, lui a secrètement promis son appui. Ce dernier conjure Élisabeth de voir Marie ; il lui propose de s’arrêter, au milieu d’une chasse, dans le parc du château de Fotheringay, et de permettre à Marie de s’y promener de façon que le hasard ménage une rencontre entre les deux reines. Élisabeth y consent, et le troisième acte commence par la joie touchante de Marie en respirant l’air pur, en retrouvant le soleil et la nature. On vient l’avertir que la reine va venir. Elle avait souhaité cette entrevue, mais elle frémit au moment de se trouver devant le seul juge que, reine et femme, elle puisse reconnaître.

Leicester accompagne Élisabeth ; il espère que l’altière souveraine va faire usage du droit de grâce qu’elle porte avec elle, et prononcer des paroles de clémence. En effet, Marie se contient quelque temps ; mais l’orgueil insultant d’Élisabeth, jalouse d’humilier sa rivale devant son amant, triomphe de sa patience ; la victime se relève de toute sa hauteur et les deux rivales s’abandonnent sans contrainte à la haine qu’elles se sont vouée mutuellement. Élisabeth reproche à Marie ses fautes ; Marie lui rappelle les soupçons de Henri VIII contre sa mère, et ce que l’on a dit de sa naissance illégitime. Cette admirable scène, qui produit toujours à la représentation l’émotion la plus vive, n’est aussi émouvante que parce que toutes les violences qui la remplissent ont leur source dans une rivalité d’amour. Il n’y a plus ni souveraine ni prisonnière, il n’y a plus que deux femmes ; et, bien que l’une puisse envoyer l’autre à l’échafaud, la plus belle des deux, celle qui se sent la plus faite pour plaire, jouit encore du plaisir d’humilier Élisabeth aux yeux de l’amant qui leur est si cher à toutes deux. Cette dernière sort la rage dans le cœur.

Sur ces entrefaites, des émissaires du parti catholique tentent d’assassiner Élisabeth, à son retour à Londres. Talbot, comte de Shrewsbury, le plus vertueux des amis de la reine, désarme l’assassin qui voulait la poignarder, et le peuple demande à grands cris la mort de Marie. C’est encore une fort belle scène que celle où le chancelier Burleigh presse Élisabeth de signer la sentence de Marie, tandis que Talbot, qui vient de sauver la vie de sa souveraine, se jette à ses pieds pour la conjurer de faire grâce à son ennemie. Mais poussée par Burleigh, dont la brusque flatterie lui reproche sa trop grande indulgence, sa prétendue pitié, qui n’est au fond que l’indécision de la peur, Élisabeth signe la sentence en ayant soin d’en faire tomber la responsabilité sur un agent subalterne, W. Davison, son secrétaire.

Désormais, Marie n’a plus qu’à se préparer à la mort. « Dans la pièce, comme dans l’histoire, dit M. de Barante, son caractère se relève en ce moment suprême par la grandeur de la foi religieuse à laquelle son âme appartient tout entière. Suivant l’histoire, la consolation des secours de sa religion lui a été refusée. Par une supposition de poëte, cette force que les sacrements communiquent au croyant lui a été comme miraculeusement donnée pour l’assister dans sa dernière épreuve. Dans son intendant Melvil elle trouve un prêtre, de la bouche duquel elle obtient l’absolution de ses fautes, et par les mains duquel elle reçoit une hostie consacrée par le souverain pontife lui-même. La confession dernière, dans laquelle Marie proteste qu’elle est innocente de toute participation au crime pour lequel elle va mourir, l’absolution que lui donne Melvil, non-seulement ajoutent à la solennité de la scène, mais encore expliquent le complet apaisement d’âme de Marie après l’emportement de la veille. » La malheureuse reine, en marchant à la mort, rencontre

Leicester ; Élisabeth a exigé qu’il conduisît lui-même Marie à l’échafaud, pour lui prouver qu’il ne l’aime pas. À la vue de la victime, il détourne les yeux ; mais elle, allant à lui : « Vous me tenez parole, Dudley ; vous m’aviez promis votre bras pour sortir de mon cachot, et vous me l’offrez maintenant. » Suivent les adieux de Marie à Leicester, qui sont une des plus belles situations qu’il y ait au théâtre. Pour compléter cette impression, pour donner satisfaction au spectateur d’autant plus attristé du douloureux dénoûment qu’il a été davantage intéressé à la victime, Schiller montre dans une dernière scène Élisabeth punie par l’abandon de ses plus chers et de ses plus nobles serviteurs, effrayée de cette protestation muette, avant-coureur du sévère jugement de la postérité, et rejetant sur la tête de Davison, par un mensonge homicide, toutes les suites d’un acte qu’elle désavoue lâchement devant le blâme général.

« Parmi les drames de Schiller, dit M. Régnier, Marie Stuart est peut-être le plus remarquable par ce genre d’unité qui, à la scène, est le plus nécessaire de tous et la fin dernière de ceux-là même qui se font une loi des autres unités.

« Le personnage de Marie Stuart domine ici entre tous avec une majesté et une grâce souveraines. Qu’elle soit ou ne soit pas sur la scène, sa pensée toujours la remplit. Pas une action, pas une parole des autres qui ne la rappelle. L’attention n’est point partagée comme dans Wallenstein ou Don Carlos, Ici, tous les éléments de pitié, de terreur se réunissent et demeurent sur la même tête, dans le même cœur. Depuis le commencement jusqu’à la fin, c’est Marie seule qui nous captive, et ce n’est pas de la succession d’intérêts divers que naît la variété, mais de la gradation du même intérêt et des aspects nombreux sous lesquels s’offre à nous, toujours dans sa riche diversité, la grande et dominante figure. Dans les caractères secondaires, on admire l’exactitude historique que le poëte a su leur conserver. »

La beauté des vers est dans cette pièce à la hauteur des situations : plusieurs scènes sont restées célèbres pour le fond comme pour la forme.

Marie Stuart, tragédie en cinq actes, en vers, de P. Lebrun (Théâtre-Français, 6 mars 1820). Ce n’est guère qu’une appropriation au goût français de la pièce de Schiller ; quelques endroits sont traduits, d’autres sont modifiés, mais la conception générale et la plupart des détails sont empruntés au drame allemand. L’auteur a bien traduit la grande scène de l’entrevue des deux reines. Quand paraît Élisabeth, Marie s’incline devant sa rivale et avoue ses fautes, mais avec dignité. Élisabeth abuse de son triomphe ; elle accabla Marie du poids de sa fortune, et descend même jusqu’à lui reprocher les erreurs de sa jeunesse. Marie retrouve alors toute la fierté de son âme ; en présence de Leicester, de son amant, elle veut paraître reine encore, et dans son indignation elle rappelle à sa rivale qu’il n’appartient pas à la fille adultère de Henri VIII d’insulter l’héritière légitime du trône d’Écosse.

Oui, ma vie aux regards n’a pas craint de paraître ;
On la voit, on la juge, on l’accuse peut-être ;
Mais je n’ai pas, du moins, pour couvrir ses erreurs,
Cherché d’un faux dehors les voiles imposteurs :
Je n’ai point d’un vain masque osé tromper la terre.
Malheur, malheur à vous, si d’une vie austère
Vous venant quelque jour arracher le manteau,
La Vérité sur vous fait luire son flambeau !
. . . . Le fruit de l’adultère
Profane insolemment le trône d’Angleterre ;
Le noble peuple anglais, par la fraude trompé,
Gémit depuis vingt ans sous un sceptre usurpé.
Si le ciel était juste, indigne souveraine,
Vous seriez à mes pieds, et je suis votre reine !

Dès lors, l’arrêt est irrévocable, et dans l’acte suivant on assiste aux hypocrisies dont Élisabeth fait précéder la signature de la sentence de mort :

À gouverner l’État, Melvil, j’ai pu prétendre,
Tant que j’eus seulement des bienfaits à répandre.
Mais avec mes bienfaits mon règne doit finir ;
Je ne sais plus régner, alors qu’il faut punir !

Mais lorsque les ministres se sont retirés pour laisser la reine en référer à Dieu, toute sa haine éclate librement :

Je suis, a-t-elle dit, le fruit de l’adultère !
J’usurpe insolemment le trône d’Angleterre !
Malheureuse ! Ta mort éclaircira mes droits.
Quand tu ne seras plus, qu’on n’aura plus de choix,
Le doute disparaît ; je règne alors sans crime.

Cependant, lorsque s’ouvre le cinquième acte, une chance de salut reste encore à Marie. Mortimer peut venir la sauver. Il est vrai qu’elle n’y compte pas ; elle ne songe plus qu’à mourir chrétiennement, et, parée au jour de sa mort comme au jour de sa grandeur, elle dit adieu à tous ses serviteurs, en laissant à chacun des gages de son souvenir. Bientôt l’heure a sonné ; Mortimer est tombé aux pieds de la tour, assassiné par les sbires d’Élisabeth, et Marie n’a plus qu’à se rendre au lieu du supplice. Elle part, mais ses regards s’arrêtent sur Leicester. Elle le contemple un moment, puis, d’une voix doucement émue, sans se plaindre, sans l’accuser : « Comte, » lui dit-elle,

Comte de Leicester, vous me tenez parole.
Pour quitter ma prison, j’attendais votre appui.
. . . . . . .
Adieu ; vivez heureux. Plein d’espérances vaines,
Vous avez à la fois voulu plaire à deux reines,
Trahi le cœur aimant pour le cœur orgueilleux.
Aux pieds d’Élisabeth, adorez sa puissance,
Et puisse son amour n’être pas ma vengeance !

Leicester reste accablé de douleur et de remords ; et quand Seymours, son confident, vient lui apprendre que tout est fini, il tombe expirant dans ses bras. À l’époque où Marie Stuart fut représentée, la lutte s’annonçait entre l’ancienne et la nouvelle école, et le succès enthousiaste qu’obtint Lebrun fut considéré comme une victoire du progrès sur la routine. Malgré ses timidités, cette pièce était jugée d’une audace toute romantique.

Marie Stuart en Écosse, Opéra-Comique en trois actes, paroles de Planard, musique de M. Fétis (théâtre Feydeau, 30 août 1823). Le sujet est tiré de l’Abbé, de Walter Scott ; mais les auteurs ont modifié quelques circonstances et jusqu’aux noms des personnages, ce qui n’était pas bien utile. Les moyens de l’intrigue ne sont pas tout à fait les mêmes ; le château qui renferme la reine ne s’appelle plus Lochleven, mais Douglas ; l’Écosse est toujours le théâtre de l’action, et le voisinage de Kinross le lieu principal de la scène. Marie Stuart entretient des intelligences avec ses amis qui résident sur les bords opposés du lac, au milieu duquel est situé le château de Douglas. Elle n’a auprès d’elle que lady Fleming, miss Clary et le jeune Rolland, écuyer, envoyé par le conseil secret pour la servir ou plutôt pour surveiller ses actions. Lady Douglas, hautaine et méchante, Randal, espèce de concierge intendant, sont les geôliers de l’infortunée Marie. Mais ce vieux porte-clefs aime à boire ; lady Douglas n’est pas difficile à tromper, et Rolland enfin est amoureux de miss Clary ; c’est ce Rolland qui remplit dans la pièce le rôle que joue Douglas dans le roman de Walter Scott ; comme dans l’histoire, c’est lui qui fait évader Marie. Le défaut du poème, écrit avec une pureté toute littéraire, est d’être un peu sévère pour un opéra-comique. La partition reste le chef-d’œuvre de M. Fétis. Nous citerons l’ouverture ; l’air : Je suis votre souveraine, au premier acte ; la romance en trio : J'ai vu le beau pays de France, un vrai joyau musical, et une ronde au deuxième acte ; et au troisième, l’invocation : O céleste justice !

Marie Stuart, opéra en cinq actes, paroles de M. Théodore Anne, musique de Niedermeyer, représenté à l’Académie royale de musique le 6 décembre 1844. Cet ouvrage n’obtint qu’un succès d’estime. Le sujet, fort intéressant par lui-même, a été bien traité par l’auteur du livret. On pourrait lui reprocher toutefois de n’avoir pas tenu assez compte du portrait traditionnel de Bothwell, en représentant ce soldat violent comme un élégant seigneur soupirant la romance. La musique est soignée, pleine de délicatesse et d’expression. Les situations sont rendues avec intelligence et avec une distinction qui ne se dément jamais. Tout le rôle de Marie Stuart, admirablement interprété par Mme Stolz, est rempli de mélodies touchantes. Nous signalerons le duo qu’elle chantait avec Gardoni, alors débutant ; les adieux de Marie Stuart, au premier acte ; la villanelle sur un motif écossais, dans le second acte ; le duo avec Gardoni au troisième ; quant aux ensembles, il faut remarquer d’abord le chœur : Partons, mylord, à cheval ! au premier acte ; la scène des conjurés, sans accompagnement, au troisième ; enfin la scène d’abdication et l’entrevue des deux reines, au cinquième acte. Baroilhet et Mlle Nau complétaient un quatuor qui a laissé un bon souvenir de cette phase de notre histoire académique.


MARIE DE MOLINA, reine de Castille et de Léon, morte en 1222. Elle était fille de Molina et cousine du roi Sanche IV, qu’elle épousa en 1282. Proclamée régente en 1295, après la mort de son mari, elle le devint une seconde fois à la mort de son fils en 1312. Elle se démit du pouvoir pour éviter la guerre civile. Les historiens vantent sa prudence et sa sagesse.


MARIE-ANNE D’AUTRICHE, reine d’Espagne, née en 1634, morte en 1696. Fille de l’empereur Ferdinand III, sœur de l’empereur Léopold Ier, elle épousa, en 1649, Philippe IV, roi d’Espagne, qui mourut en 1655, lui laissant le gouvernement de l’État pendant la minorité de son fils Charles II. Toute dévouée aux intérêts de l’Autriche, cette princesse écarta du pouvoir don Juan d’Autriche, et confia les rênes de l’État à son confesseur, le P. Nithard, qui, par son orgueil et par son incapacité, souleva contre lui les grands. Le P. Nithard, forcé de quitter le pouvoir, fut envoyé à Rome comme ambassadeur, et la régente mit alors à la tête des affaires son favori Fernand de Valenzuela. Lorsque le roi Charles II parvint à sa majorité (1675), don Juan d’Autriche devint premier ministre et déporta aux Philippines l’amant de la reine. Cette princesse montra la plus grande hostilité contre Marie-Louise d’Orléans, la première femme de son fils, manifesta une grande joie lors de la mort subite de sa bru, et contribua à faire épouser en secondes noces à Charles II Marie-Anne de Neubourg.


MARIE-LOUISE D’ORLÉANS, reine d’Espagne, née à Paris en 1662, morte au palais de l’Escurial en 1689. Cette fille du duc d’Orléans, frère de Louis XIV et d’Henriette d’Angleterre, était une des plus belles personnes de la cour, lorsque, par des motifs purement politiques, on négocia son mariage avec Charles II d’Espagne. Marie-Louise, qui aimait le dauphin et dont l’affection était partagée, supplia vainement Louis XIV de ne pas la contraindre à une union qui ferait son malheur. Le cœur brisé, elle dut partir avec la princesse d’Harcourt et se rendit à Burgos, où elle épousa le faible et maladif Charles II, si peu fait pour lui faire oublier son affection première. Pour célébrer son arrivée à Madrid, on livra aux flammes, dans un auto-da-fé solennel, vingt-deux personnes (1679). Ce fut par cette horrible fête qu’on lui donna un avant-goût de la triste existence qu’elle allait mener jusqu’à sa mort. En butte à la haine aveugle de sa belle-mère, qui ne cessa de la calomnier auprès du roi, antipathique au conseil d’Espagne, qui craignait qu’elle n’amenât Charles II à suivre une politique favorable à la France, la jeune reine, sans appui, sans conseiller, vit bientôt son palais se transformer pour elle en prison, et elle mourut subitement en 1689, après avoir avalé une tasse de lait à la glace que lui présenta la comtesse de Soissons. On a accusé de cette mort, attribuée avec toute vraisemblance à un empoisonnement, tantôt la reine mère, tantôt les agents de l’Autriche.


MARIE-ANNE DE BAVIÈRE-NEUBOURG, reine d’Espagne, née en 1667, morte à Bayonne en 1740. Fille du duc de Bavière-Neubourg et sœur de l’impératrice, elle épousa à l’âge de vingt-trois ans, grâce aux intrigues de l’Autriche, le roi d’Espagne Charles II (1690), veuf depuis un an à peine de Marie-Louise d’Orléans. Cette princesse se fit détester des Espagnols et finit par perdre l’influence qu’elle exerçait sur son faible époux par l’ardeur qu’elle mit à servir les intérêts de son beau-frère, l’empereur Léopold. Après la mort du roi (1700), qui laissait par son testament le trône au duc d’Anjou, Marie-Anne alla se fixer à Bayonne. C’est cette princesse que Victor Hugo a mise en scène dans son drame intitulé Ruy Blas.


MARIE-LOUISE-GABRIELLE DE SAVOIE, reine d’Espagne, fille du duc de Savoie Victor-Amédée II, née à Turin en 1688, morte à Madrid en 1714. En 1701, elle épousa Philippe V, qui venait de succéder à Charles II comme roi d’Espagne, reçut pour camarera mayor la princesse des Ursins, qui exerça la plus grande influence sur son esprit, et se fit aimer des Espagnols par le soin qu’elle prit de leur plaire, par sa bonté, par sa bienfaisance et par son intrépidité. Pendant la guerre de la succession d’Espagne, Marie-Louise, nommée régente par Philippe V (1706), montra beaucoup d’énergie, stimula l’ardeur des provinces et engagea ses diamants pour payer la solde des troupes. Elle mourut à vingt-six ans, ayant eu de son mariage deux fils qui régnèrent sur l’Espagne, Louis et Ferdinand.


MARIE-LOUISE-THÉRÈSE DE PARME, reine d’Espagne, fille du duc de Parme, épouse de Charles IV, née en 1754, morte en 1819. Mariée à treize ans au prince des Asturies et conduite à la cour de son beau-père Charles III, elle y fut l’objet d’une surveillance sévère, justifiée par la légèreté de sa conduite et l’entraînement de son caractère, et prit peu à peu un tel empire sur l’esprit de son faible époux, que celui-ci, devenu roi sous le nom de Charles IV (1788), lui abandonna la direction des affaires. Marie-Louise en profita pour épuiser le trésor par ses prodigalités, destitua des ministres qui lui avaient refusé des sommes qu’elle exigeait, et livra le royaume à son favori Godoï, qu’elle tira des rangs les plus infimes de l’armée pour l’élever aux plus hauts emplois. Les turpitudes de ces deux personnages furent les prétextes dont Napoléon colora son invasion en Espagne (1808). À cette époque, Marie-Louise se rendit à Bayonne avec son mari et Godoï, dont elle avait obtenu la mise en liberté, n’hésita point à se porter devant l’empereur l’accusatrice de son fils Ferdinand, et alla jusqu’à s’accuser d’un adultère pour détruire des droits que, disait-elle en présence de Charles IV lui-même, il ne pouvait tenir que d’elle seule. Exilée à Compiègne avec son mari, elle habita successivement ensuite Marseille, Nice et Rome, où elle mourut.

Marie-Louise (ordre de), ordre de chevalerie fondé, le 19 mars 1792, par Charles IV, roi d’Espagne, afin que la reine Marie-Louise, « son épouse bien-aimée, eût un moyen de plus de témoigner sa bienveillance aux dames nobles qui se distinguent par leurs vertus, par leurs services et leur attachement. » L’ordre, qui existe encore, a pour patron saint Ferdinand. C’est la reine qui nomme les dames qui en font partie. Chaque dame membre de l’ordre doit une fois par mois visiter les hôpitaux et les établissements de charité ; elle doit aussi faire célébrer et entendre tous les ans une messe pour toutes les dames de l’ordre décédées. Les insignes sont une croix à quatre branches et huit rayons, bordée d’émail violet ; l’intérieur est en émail blanc. Au centre de la croix est un ovale d’émail blanc entouré de violet ; au milieu de l’ovale l’effigie de saint Ferdinand. Les branches de la croix sont alternées avec des tours et des lions en or, et la croix est surmontée d’une couronne de laurier. Au revers se trouve le chiffre de Marie-Louise, et sur une bordure violette en lettres d’or ces mots : Real orden de la reyna Maria-Luisa (ordre royal de la reine Marie-Louise). L’ordre se porte à un ruban violet ayant une large raie blanche au milieu. Ce ruban est passé en écharpe.


MARIE-CHRISTINE DE BOURBON, reine d’Espagne, née à Naples en 1806. Elle est fille de François Ier, roi des Deux-Siciles, et de Marie-Isabelle, infante d’Espagne, seconde femme de ce prince. Marie-Christine s’adonna de bonne heure aux exercices du corps, devint une intrépide amazone, apprit la peinture et se fit remarquer par la vivacité de son esprit, par la fougue de son caractère. Elle avait vingt-trois ans lorsque sa sœur, Louise-Charlotte, qui vivait à la cour d’Espagne et avait épousé l’infant don François de Paule, conçut le projet de la marier à Ferdinand VII, déjà trois fois veuf. Cette union s’accomplit en effet à Madrid le 11 décembre 1829. Jeune, belle, passionnée pour les plaisirs, elle transforma par sa présence la triste cour du vieux et sinistre Ferdinand, sur l’esprit duquel elle prit aussitôt un grand empire. Étant devenue enceinte, elle profita de son ascendant sur son mari pour lui faire promulguer, le 29 mars 1830, la pragmatique Siete partidas Par cet acte, le roi changeait l’ordre de succession au trône et déclarait que la couronne passerait, au cas où il n’aurait pas d’enfant mâle, non à son frère don Carlos, mais aux filles qui pourraient lui naître, par ordre de primogéniture. Le 10 octobre de la même année Marie-Christine accoucha d’une fille, qui devait être Isabelle II, et mit au monde, le 30 janvier 1832, une seconde fille, la future duchesse de Montpensier. Bien qu’en butte à l’hostilité déclarée de don Carlos et surtout à celle de sa femme et de la duchesse de Beira, sœur de cette dernière, la reine sut conserver son influence sur son imbécile époux. Toutefois, Ferdinand étant tombé malade, les partisans de don Carlos, soutenus par le ministre Calomarde, obtinrent du roi le rappel de la pragmatique. Mais à cette nouvelle Louise-Charlotte, sœur de Marie-Christine, accourut à Madrid, souffleta Calomarde, fit rapporter la pragmatique et amena le roi convalescent à donner, jusqu’à son complet rétablissement, la régence du royaume à sa femme (octobre 1832).

Marie-Christine, voyant que don Carlos s’appuyait sur le parti absolutiste, chercha un point d’appui dans le parti libéral et, pour l’attirer à elle, elle débuta par une amnistie. Au commencement de l’année suivante, Ferdinand reprit en main le pouvoir. Mais le 29 septembre 1833 il mourut, laissant par son testament la régence et la tutelle de ses enfants à sa veuve et le trône à sa fille Isabelle II.

Les cortès aussitôt convoquées reconnurent la validité du testament de Ferdinand VII, sanctionnèrent la déchéance de don Carlos, et Marie-Christine fut proclamée régente avec l’assistance d’un conseil présidé par Zea Bermudez. Aussitôt les carlistes en appelèrent aux armes et commencèrent une guerre civile qui devait durer de longues années. Flottant entre les conservateurs et les libéraux, Marie-Christine laissa les ministres au pouvoir diriger les affaires, se contentant lorsqu’ils lui déplaisaient de leur susciter des tracasseries et s’occupant principalement de ses plaisirs, du soin de s’amasser une fortune privée considérable. On la vit successivement, sous l’influence des circonstances, justifier dans un manifeste l’administration de Bermudez, la politique rétrograde de Ferdinand, prêter serment, sous Martinez de la Rosa, à la constitution libérale (estatuto real) du 10 avril 1834, et adhérer au traité de la quadruple alliance (22 avril) ; mettre hors la loi, sous Toreno, les juntes provinciales dont quelques-unes s’étaient soulevées et les reconnaître sous Mendizabal (1835) ; réclamer, en 1836, pendant l’intervention française et sous Isturiz, contre la proclamation de la constitution de 1812, et reconnaître cette constitution, en 1837, sous Calatrava. À cette dernière date, une révolte avait éclaté à Madrid et la régente avait dû quitter son château de la Granja pour revenir dans cette ville. Peu après les carlistes s’avançaient jusqu’aux portes de la capitale, mais étaient victorieusement repoussés, et deux ans plus tard Espartero leur portait le dernier coup en forçant Marolo à signer la capitulation de Bergara (31 août 1839). Débarrassée enfin de la guerre civile, Marie-Christine voulut entrer dans la voie de la réaction. Elle fit présenter aux cortès, en 1840, la loi des ayuntamientos, destinée à restreindre les libertés municipales. Aussitôt une insurrection éclata à Barcelone, s’étendit à Madrid et dans un grand nombre de villes et trouva un appui dans Espartero. En ce moment la régente avait perdu toute popularité. Sa liaison avec un garde du corps nommé Mufioz n’était plus un secret pour personne, et ses dissentiments avec sa sœur aînée Louise-Charlotte avaient également transpiré dans le public. Se trouvant sans appui, elle fit appel à Espatero et le chargea de former un ministère (16 septembre 1840). Mais cet homme d’État lui imposa des conditions qu’elle ne crut pas pouvoir accepter, et elle se démit de la régence (le 2 octobre).

Marie-Christine se rendit successivement alors à Rome, à Naples et à Paris où elle se