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Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/MARMONTEL (Jean-François), littérateur français

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Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 4p. 1228-1229).

MARMONTEL (Jean-François), littérateur français, né à Bort (Limousin) en 1723, mort à AbbeviUe (Eure) en 1799. Il appartenait à une famille de petits commerçants, et son éducation fut toute religieuse ; un curé de campagne, l’abbé Vaissière, lui apprit les premiers éléments de la langue, et il acheva ses études à Mauriac dans un collège de jésuites. Ses professeurs voulaient le faire entrer dans leur ordre, et il reçut même la tonsure à Toulouse ; mais sa mère le fit hésiter à s’engager dans cette voie. En attendant, on lui confia la suppléance d’une chaire de philosophie à Toulouse, dans un collège de bernardins (1741). Une ode sur l’Invention de la poudre, qu’il envoya aux Jeux floraux, fut sa première œuvre littéraire (1743) ; elle n’obtint même pas une mention, et, dans son dépit, Marmontel écrivit à Voltaire pour se plaindre de ce déni de justice. Voltaire, qui trouvait toujours un mot aimable pour les débutants, le consola, lui envoya un exemplaire de ses œuvres et ce fut l’origine d’une correspondance que Marmontel continua d’entretenir avec lui. La littérature académique était si bien dans ses moyens, quoi qu’il en pût penser lui-même après cet échec, qu’il obtint, la même année, en 1745, trois prix de poésie aux Jeux floraux et un autre à l’Académie de Montauban. Voltaire le fit venir à Paris en lui promettant une position chez le contrôleur général Orry, qui tomba justement en disgrâce à cette époque, de sorte que Marmontel n’eut plus que sa plume pour vivre. Il se mit au travail, remporta successivement deux prix de poésie à l’Académie française (1746-1747), obtint une place de précepteur dans la maison d’un directeur de la compagnie des Indes, et, sur les conseils de Voltaire, écrivit une tragédie, Denys le tyran, qui fut jouée à la Comédie-Française (5 février 1748). La pièce ne présente qu’un faible intérêt et les vers sont des plus médiocres ; le succès qu’elle obtint mit pourtant son auteur assez en relief pour lui valoir sa première aventure galante. La maîtresse du maréchal de Saxe, Mlle Navarre, trouva ce jeune homme à son goût et l’emmena, pour le posséder tout à son aise, dans un petit village de Champagne. Là il connut tous les orages de la passion, puis il fallut se quitter, la dame étant appelée à Bruxelles. À son retour à Paris, le héros de cette aventure se vit l’objet de l’attention ; Latteignant chanta dans une épître héroïque l’enlèvement du poëte. Marmontel arrivait du premier coup à la réputation. Il avait dédié son Denys à Voltaire, qui lui continuait son patronage ; il donna coup sur coup au théâtre deux autres tragédies tout aussi faibles : Aristomêne (1749) ; Cléopâtre (1750), célèbre surtout par un aspic que Vaucanson fit tout exprès pour une reprise de la pièce, en 1784. C'est en entendant siffler cet ingénieux automate qu'un spectateur s'écria qu'il était de l'avis de l'aspic ; les 'Héraclides (1752) et Égyptus (1753), sont tout aussi médiocres ; la fausse grandeur, l’emphase appliquée à des riens, une prolixité fatigante, rendent aujourd’hui la lecture de ces pièces absolument impossible ; c’est la décrépitude absolue du genre tragique. Marmontel continuait en même temps le cours de ses bonnes fortunes. Ses aventures avec Mlle Clairon, la grande tragédienne, avec Mlle Verrière, qu’il enleva comme Mlle Navarre au maréchal de Saxe, firent du bruit. Pour un simple tonsuré, il n’allait pas trop mal. Sa réputation littéraire croissait, quoiqu’il n’eût donné que bien peu de preuves d’un vrai talent ; mais il était appliqué et fécond malgré une imagination rebelle, d’où rien d’original et de neuf ne pouvait surgir. Il avait un pied dans le camp des encyclopédistes et rédigea même quelques articles littéraires pour le grand monument philosophique du xviiie siècle, entre autres, l’article déclamation, qui lui valut la tenace rancune de Lekain. Il collaborait au Mercure, dans lequel il fit insérer ses Contes moraux.

Un poëme adressé à Louis XV sur l’établissement de l’École militaire lui valut la protection de Mme de Pompadour qui lui fit donner une place dans la surintendance des bâtiments du roi, puis le privilège du Mercure à la mort de Boissy (1758). L’exploitation de cette feuille aurait pu l’enrichir ; le soin qu’il donnait à la rédaction, la variété des matières lui valurent une certaine vogue, mais une imprudence de Marmontel lui fit retirer son brevet au bout de deux ans et lui attira une détention de quelques jours à la Bastille : il avait récité dans un salon des vers de Cury, intendant des Menus-Plaisirs, contre le duc d’Aumont. Un morceau académique sur les Charmes de l’étude, couronné en 1760, la traduction de la Pharsale de Lucain (1761, 2 vol. in-8o), son traité de la Poétique française (1763, 2 vol. in-8o), composé en partie de la refonte de ses articles à l’Encyclopédie, marquèrent son retour dans l’arène littéraire. Cette même année (1763) il fut élu membre de l’Académie française. Se sentant alors appelé à de plus hautes destinées, Marmontel voulut être le père d’un genre littéraire nouveau, tenant à la fois du roman et de l’épopée. Il inaugura dans Bélisaire (1767) cette fade prose poétique dont on est bien revenu maintenant, après lui avoir encore accordé une vive admiration jusque dans la première moitié de ce siècle. Marmontel fut, comme il le voulait, le père d’un genre, le genre souverainement ennuyeux. Ses contemporains n’en jugeaient pas ainsi, car Bélisaire fut considéré comme une révélation, et même l’archevêque de Paris crut devoir écrire contre ce livre un mandement pour combattre les fâcheuses tendances vers la tolérance religieuse auxquelles l’auteur inclinait. Marmontel écrivit dans le même esprit et dans le même genre les Incas (1777, 2 vol. in-8o).

Ces deux œuvres et les Contes moraux, publiés en recueil en 1761, se réimpriment encore quelquefois, ce qui montre qu’ils ont conservé des lecteurs. On les a traduits dans toutes les langues. Ses tragédies, au contraire, sont enfouies dans l’oubli le plus profond, ainsi que tout ce qu’il a écrit en vers. Cependant, quelques-uns de ses travaux académiques, composés dans sa maturité, le Discours sur la force et la faiblesse de l’esprit humain, d’autres morceaux poétiques sur l’Histoire, sur l’Éloquence, sur l’Espérance de se survivre, rappellent, d’un peu loin il est vrai, mais encore avec quelque mérite, les discours philosophiques de Voltaire. Ils sont imprimés dans le volume des Mélanges de ses Œuvres complètes (1820, 7 vol. in-8o). Ses éloges et discours académiques en prose, l’Éloge de Colardeau, l’Apologie du théâtre, l’Essai sur les romans, quoique d’un style un peu guindé, sont d’un écrivain qui connaît les secrets de la langue ; il lui manque d’éviter une sorte de rhythme ronflant et monotone du plus fâcheux effet. Comme critique, il mérite une place à côté de Laharpe ; il a moins de pédantisme et rencontre assez souvent des idées neuves. Ses Éléments de littérature (1787, 6 vol. m-8°), forment un recueil considérable qui ne manque pas de variété et qui atteste de sérieuses études. Marmontel écrivit aussi un grand nombre d’opéras-comiques ; ceux qui eurent le plus de vogue sont : le Huron, dont Grétry écrivit la musique (1705) ; Zémire et Azor (4 actes, 1771) ; Didon (3 actes, 1783) ; Pénélope (3 actes, 1785). Piccinni écrivit la musique des deux derniers, qui ne manquent pas de mérite.

Marmontel avait succédé, en 1771, à Duclos dans la charge d’historiographe de France ; il écrivit en cette qualité une Histoire de la régence de Philippe d’Orléans (1788, imprimée seulement en 1805, 5 vol. in-8º), dans laquelle, à part quelques détails, exacts sur l’administration, il serait impossible de trouver des traces d’un talent quelconque d’historien. Chénier en a loué la description de la peste de Marseille ; ce n’est qu’un morceau d’apparat. À l’Académie française, il fut, après la mort de d’Alembert, élu secrétaire perpétuel (1783) ; il eut de plus une chaire d’histoire au Lycée, avec Garat pour suppléant (1786). Lorsque survint la convocation des états généraux., il posa sa candidature dans l’Eure, en face de celle de Sieyès, qui lui fut préféré. Plein de dépit et n’augurant rien de bon d’une révolution qui débutait de la sorte, il s’éloigna de Paris, acheta une chaumière près de Gaillon et y vécut dans la retraite. Il s’était marié en 1777 avec une nièce de l’abbé Morellet ; il écrivit pour ses enfants une seconde série de Contes moraux (dans le Mercure, 1789-1792), et les Mémoires d’un père à ses enfants, qui ne furent imprimés qu’après sa mort (1804, 4 vol. in-8º) ; les Leçons d’un père à ses enfants sur la langue française (1806, 4 vol. in-8º) furent écrites à la même époque ; on y rencontre des observations exactes et quelques pensées fines noyées dans ce style diffus dont il ne put jamais se débarrasser.

Malgré la retraite où il vivait, ses concitoyens le portèrent au conseil des Anciens (1797) ; il n’y fit qu’un seul discours en faveur du culte catholique ; en vieillissant, il avait abjuré ses doctrines d’encyclopédiste et était devenu dévot. Au coup d’État du 18 fructidor il fut porté sur la liste des représentants dont l’élection était annulée, et il rentra dans la vie privée. Peu de temps après, il mourut d’apoplexie.

Marmontel est au premier rang parmi les bons littérateurs du xviiie siècle ; l’aîné de Laharpe de quinze ans, il mérite autant et plus que lui le titre de premier élève de Voltaire dans tous les genres. C’était un talent laborieux, flexible, facile, actif, abondant, se contentant beaucoup trop d’à peu près dans l’ordre de la poésie et de l’art, et y portant du faux, mais plein de ressources, d’idées, et d’une expression élégante et précise dans tout ce qui n’était que travail littéraire ; de plus excellent conteur, non pas tant dans ses Contes proprement dits que dans les récits d’anecdotes qui se présentent sous sa plume dans ses Mémoires ; excellent peintre pour les portraits de société, sachant et rendant à merveille le monde de son temps, avec une teinte d’optimisme qui n’exclut pas la finesse et qui n’altère pas la ressemblance. Enfin, Marmontel, avec ses faiblesses et un caractère qui n’avait ni une forte trempe ni beaucoup d’élévation, était un honnête homme, ce qu’on appelle un bon naturel, et la vie du siècle, les mœurs faciles et les coteries littéraires où il s’était laissé aller plus que personne ne l’avaient pas gâté. Il n’avait acquis ni l’aigreur des uns ni la morgue tranchante des autres ; avec de la pétulance et même de l’irascibilité, il ne nourrissait aucune mauvaise passion. Sa conduite à l’époque de la Révolution, et dans les circonstances difficiles où tant d’autres de ses confrères (et Laharpe tout le premier) se couvrirent de ridicule et de honte, fut digne, prudente, généreuse même.

Marmontel (MÉMOIRES DE). Leur titre exact est : Mémoires d’un père pour servir à l’instruction de ses enfants ; ils ne furent publiés qu’après sa mort (1804, 4 vol. in-8º). L’ouvrage est divisé en vingt livres, le dernier resté inachevé, et embrasse toute la vie de Marmontel jusqu’en 1795. C’est un livre d’un certain intérêt, non-seulement pour ce qui regarde Marmontel en particulier, mais surtout en ce qu’il sert à faire connaître l’histoire littéraire et les personnages célèbres de la dernière moitié du xviiie siècle. L’auteur peint bien la cour de Louis XV depuis 1753, la cour de Louis XVI pendant toute la durée de son règne, les ministres et les hommes influents de ces deux époques. Il s’attache particulièrement à retracer les querelles littéraires et musicales de la fin du siècle ; la grande affaire des gluckistes et des piccinnistes y est racontée tout au long. Marmontel a également donné une grande place aux faits et aux événements qui préparèrent la Révolution et qui la suivirent jusqu’à la Constitution de l’an III. C’est la partie de ses Mémoires la plus intéressante et la mieux travaillée. On trouve dans cet ouvrage une galerie de portraits ; quelques-uns paraissent flattés, plusieurs autres chargés ; cependant Marmontel semble toujours écrire avec franchise et vérité ; mais il est si difficile d’être impartial sur le compte de ses amis et de ses ennemis ! Marmontel parle du cardinal de Bernis avec le plus grand mépris, et Duclos, dans ses Mémoires secrets, en parle avec la plus haute estime : fiez-vous aux historiographes de France !