Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/MISTRAL (Frédéric), poète provençal

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Administration du grand dictionnaire universel (11, part. 1p. 342).

MISTRAL (Frédéric), poète provençal, né à Maillane, près de Saint-Remi, le 8 septembre 1830. Il est surtout connu par la part glorieuse qu’il a prise à la renaissance de l’idiome poétique du Midi. Quoiqu’il se traite de paysan dans la dédicace qu’il a faite à Lamartine de sa principale œuvre, Mireille, il ne l’est pas plus que Paul-Louis Courier n’était vigneron. Fils de riches fermiers, il fit ses études au collège d’Avignon, se fit recevoir bachelier à Montpellier (1847) et suivit les cours de droit à la Faculté d’Aix. En somme, c’est un lettré, connaissant à merveille les littératures classiques et y puisant de larges inspirations. Sa fortune patrimoniale lui permettait de vivre sur ses terres, en gentilhomme fermier ; il ne songea donc pas à entrer au barreau, quoiqu’il eut pris le diplôme de licencié. Ses impressions d’enfance, ses goûts personnels et sa liaison avec Roumanille le décidèrent à coopérer avec lui à la résurrection de la poésie provençale. Roumanille, maître d’école dans une petite ville du département de la Drôme, l’avait eu pour élève dans sa première jeunesse. Lorsqu’il fonda le recueil qui donna le signal de cette résurrection, Li Prouvençalo (1852), Frédéric Mistral fut un de ses plus ardents collaborateurs ; dès ses premiers essais, il acquit une assez grande autorité dans les questions d’érudition philologique pour être considéré comme le régulateur de la nouvelle école poétique, le censeur à la fois sévère et sympathique des nouveaux adeptes qui accouraient en foule pour coopérer à l’œuvre commune. Plus que tous les autres, en effet, plus que l’initiateur même, il possédait, grâce à ses études littéraires, cette science de la forme et ces connaissances générales qui font l’écrivain et doublent le poëte d’un artiste. Les pièces qu’il publia dans Li Prouvençalo sont fort remarquables. M. Saint-René-Taillandier, dans l’étude qu’il a consacrée à Mistral, déclare admirer sans réserve « la Belle d’août, poétique légende pleine de larmes et de terreurs ; la Folle avoine, énergique satire de l’oisiveté insolente ; l’Ode au mistral, au roi des vents, à la cognée de Dieu frappant les grands chênes ; la pièce intitulée Amertume, où le poète saisit violemment le voluptueux, et, le traînant au cimetière, lui montre ce que deviendra ce corps dont il est amoureux ; la Course de taureaux, où il peint ces jeux hardis qui plaisent tant au peuple des campagnes d’Arles à Tarascon et de Tarascon à Nîmes. » Enfin, Mistral entreprit de résumer dans une œuvre durable la somme des efforts tentés pour rajeunir l’idiome provençal, la langue dégénérée et perdue, au moins en tant que langue savante, d’Arnaud Daniel et de Giraud de Calanson, et il écrivit la grande épopée rustique de Mireille (1859, in-8°). Nous avons analysé et apprécié plus haut (v. Mireille) cette tentative épique, comparée avec un peu trop d’enthousiasme par Lamartine à l’Odyssée. L’imitation du vieil aède, de ses formules poétiques, de ses longues descriptions s’y trahit, en effet, assez souvent pour accuser une ressemblance assez frappante ; mais il y a dans cette imitation même quelque chose d’artificiel. M. Frédéric Mistral a fait lui-même la traduction française, très-littérale, publiée en regard du poëme, et qui en suit avec une grande fidélité jusqu’aux tournures familières et aux inversions ; mais on lui a reproché, non sans raison, d’avoir à dessein appauvri la langue française, afin de mieux faire valoir les richesses et la sonorité de l’idiome provençal. Réduite à sa juste valeur et en rabattant quelque peu des éloges hyperboliques que cette épopée lui a valus, Mireille resterait encore une composition originale d’un grand souffle, reproduisant avec une vigueur peu commune les sentiments primitifs et semée de peintures d’une vérité frappante, dignes d’un grand artiste.

Depuis, Frédéric Mistral est rentré dans la lice avec un nouveau poème, Calendan (1867, in-8°), écrit avec les mêmes couleurs que Mireille, et il a montré ainsi qu’il était loin d’avoir épuisé tout ce que les mœurs et les légendes du Midi peuvent inspirer de gracieuses scènes rustiques et d’émouvants tableaux. Calendan obtint le plus vif succès. À défaut de Lamartine, ce fut Émile Deschamps qui salua ce poème par un quatrain :

On disait que Mireille, en ce vaste univers,
N’avait point de rivale au grand tournoi des vers ;
           Calendan paraît, et Mireille
             N’est plus la splendeur sans pareille.

Disons toutefois qu’après avoir excité tant d’enthousiasme et avoir été salué comme une véritable renaissance, ce mouvement de retour à l’idiome provençal du XIIIe siècle n’est plus guère regardé que comme l’agréable fantaisie de quelques esprits distingués.