Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/MONTPENSIER (Catherine-Marie DE LORRAINE, duchesse DE)

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Administration du grand dictionnaire universel (11, part. 2p. 524-525).

MONTPENSIER (Catherine-Marie de Lorraine, duchesse de), née en 1552, morte en 1596. Elle était fille du duc de Guise, assassiné par Poltrot devant Orléans, et sœur du duc de Guise assassiné aux états de Blois. Elle eut pour mère Anne d’Este. Mariée en 1570 à Louis II de Bourbon, duc de Montpensier, elle s’associa à toutes les intrigues et à toutes les luttes de son frère contre Henri III, joua dans la Ligue un rôle prépondérant et lui donna même ce caractère particulier d’acharnement que revêt volontiers la passion féminine. Femme jusqu’au bout des ongles, elle haïssait dans Henri III l’ennemi des femmes, le roi entouré d’une cour de mignons, plus encore que l’ennemi de sa race ; elle haïssait aussi celui qui l’avait raillée d’une légère difformité (elle boitait un peu) et qui colportait tout ce qu’il savait de ses aventures galantes. Jusqu’au meurtre accompli au château de Blois le 22 décembre 1588, son rôle fut primé par celui de son frère ; cependant, au mois de janvier précédent, Henri III s’était assez effrayé des conciliabules tenus chez elle et de ses relations avec les prédicateurs les plus violents de la Ligue pour lui interdire le séjour de Paris ; elle n’en tint aucun compte, et l’on rapporta au roi qu’elle montrait à ses familiers les ciseaux d’or, toujours pendus à sa ceinture, avec lesquels elle se promettait de le tonsurer dès qu’il aurait été déclaré indigne du trône. Ce fut elle qui organisa en grande partie la journée des Barricades, et elle ne s’en rendit pas moins au Louvre pour supplier Henri III de permettre à son frère de venir se justifier.

Après le meurtre du duc de Guise, elle se réfugia en Bourgogne près de son autre frère, le duc de Mayenne, mit fin à ses irrésolutions et le décida à prendre le commandement de la Ligue. Elle le ramena à Paris et on la vit alors courir avec ardeur aux assemblées populaires, ranimer les Seize, inspirer les plus violents prédicateurs, souffler partout l’esprit de la lutte, appeler le peuple aux armes et prêcher ouvertement le régicide. Durant le siège de Paris par les deux rois de France et de Navarre, elle poussait de toutes ses forces à la résistance acharnée. Malgré tout, la ville héroïque allait succomber lorsque Henri III mourut à Saint-Cloud, sous le couteau du moine jacobin Jacques Clément. Il est hors de doute que ce fanatique avait été poussé par la duchesse de Montpensier en personne ; Mayenne lui avait promis que la vie de tous les politiques détenus par lui prisonniers garantirait la sienne. « Quelques-uns prétendent, dit Henri Martin, qu’on excita en lui d’autres passions pour venir en aide au fanatisme et que Mme de Montpensier, en même temps qu’elle lui garantissait le chapeau de cardinal, s’il échappait, lui accorda ce qu’il y avait de plus capable de tenter un moine débauché. » L’accusation est peu vraisemblable, ajoute l’historien. On peut n’être pas de son avis, si l’on songe aux mœurs du temps, à la vie fort irrégulière de la duchesse et surtout à sa haine, qui ne reculait devant rien. Dès le matin du 2 août, la duchesse savait la grande nouvelle, la répandait dans Paris, distribuait des écharpes vertes aux chefs en signe de réjouissance, et le soir elle faisait allumer des feux de joie. Son ardeur guerrière ne se démentit pas même aux horreurs du second siège entrepris par Henri IV, et, lorsque le pain manqua, ce fut elle qui donna l’idée de fabriquer ce pain immonde, fait d’os broyés, qui de son nom fut appelé le pain Montpensier. Cependant elle ne bouda pas longtemps le vainqueur. D’Aubigné raconte dans son Histoire universelle, que, entré à Paris, Henri IV envoya souhaiter le bonjour à sa belle ennemie, l’assurant qu’il la prenait sous sa spéciale protection. Le premier soir qu’il reçut au Louvre, raconte D’Aubigné, on vit jouer aux cartes avec lui la duchesse de Montpensier, « laquelle, par la voix commune, était accusée d’avoir, avec le duc d’Aumale, tramé et pratiqué la mort du roi. » Durant la partie, Henri IV ayant demandé à la duchesse si elle n’était pas bien étonnée de le voir à Paris : « Je n’eusse, répondit-elle, désiré qu’une seule chose, c’est que M. de Mayenne, mon frère, vous eût abaissé le pont pour y entrer. — Ventre-saint-gris, répliqua le roi, il m’eût fait possible attendre longtemps, et je ne fusse pas arrivé si matin ! »

Malgré le bon accueil du roi, la duchesse de Montpensier eut peur ; lorsque le parlement mit en accusation le duc d’Aumale et ses complices, elle quitta Paris précipitamment et se réfugia au château de Saint-Germain, près de Catherine de Bourbon. Bientôt rassurée, elle revint à Paris, et on la vit tout à fait en faveur auprès de Henri IV, qui admirait peut-être son grand caractère, son intelligence peu commune et le sauvage amour qu’elle avait porté à ses frères. Pierre de L’Estoile, l’ennemi des Guises, raconte ainsi sa mort : « Le lundi, 6 mai 1596, mourut à une heure après midi Mme de Montpensier, en sa maison de la rue des Bourdonnais à Paris, d’un grand flux de sang qui lui couloit de tous les endroits de son corps, qui estoit une mort fort rapportante à sa vie, aussi bien que le grand tonnerre et tempête qu’il fit cette nuit, aux tempétueuses humeurs de son esprit malin, bouillon et tempétueux… Quand elle fut morte, on la mit dans son lit de parade, où beaucoup de gens de bien souhaitoient de la voir il y avoit longtemps, et se trouva un gentilhomme qui, après l’avoir baisée morte, dit tout haut qu’il y avoit longtemps qu’il avoit envie de lui donner ce baiser-là. Comme aussi une demoiselle, voyant autour du corps des augustins, dit qu’il falloit des jacobins et non pas des augustins, » allusion au jacobin Jacques Clément.