Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Mithras ou mithra

La bibliothèque libre.
Administration du grand dictionnaire universel (11, part. 1p. 344-345).

MITHRAS ou MITHRA, dieu suprême des anciens Perses, ministre ou personnification d’Ormuzd, le génie du bien, le principe régénérateur et fécond, vainqueur d’Ahrimane, génie du mal et de la mort. Le nom de Mithra est un mot zend qui correspond au sanscrit mitra. Comme en sanscrit, ce terme a deux significations : l’une est celle d’ami, l’autre le nom d’une divinité. Le persan moderne les a conservées toutes les deux ; à côté du mhr, le soleil, nous voyons mhr, amitié. L’ancien persan fait reconnaître la dernière signification dans beaucoup de noms propres : Aspamitras, que nous trouvons dans Ctésias, açpamithra, ami des chevaux ; dans Plutarque, sousamithrês, ami des lois. Le nom du dieu Mithra se trouve également dans maint nom propre ; citons seulement le célèbro Mithridatès, Mithradatês et Mitradatès, anciennement Mitradâta, donné par Mithra.

Les anciens Perses adoraient dans Mi- thras le principe de la fécondité universelle et de la génération ; les Romains, qui connurent son culte lors de la guerre de Pompée contre les pirates (68 av. J.-C.}, l’apportèrent en Italie et virent, non sans raison, dans Mithras un symbole du soleil. En effet, tous les attributs qu’on lui prête conviennent à l’astre du jour. De Rome, son culte se répandit chez les nations septentrionales. Sur les anciens monuments, Mithras est représenté sous la figure d’un beau jeune homme coiffé du bonnet phrygien ou tiare recourbée, marque de la puissance chez les Perses, vêtu d’une tunique et d’un manteau ; il presse du genou le taureau zodiacal et lui plonge un poignard dans le cou. On appelait mithriaques, à Rome, les mystères et les fêtes de cette divinité ; tout y rappelait le culte du feu, et les initiés étaient soumis a des épreuves terribles qui souvent leur coûtaient la vie ; on assure même qu’au temps de Commode on immolait à Mithras des victimes humaines. Ce culte exista jusqu’au milieu du ive siècle. Sous les Antonins, il s’était répandu dans tout l’empire avec les légions romaines, et conservait un caractère mystérieux. En 377, raconte saint Jérôme dans une de ses épîtres, le préfet de Rome, Gracchus, supprima les sanctuaires mithriaques dans la capitale et fit briser les sculptures qui les décoraient. Le plus important de ces sanctuaires était une grotte du mont Capitolin, d’où a été tiré le grand bas-relief que possède actuellement le Louvre. Au reste, tous les bas-reliefs mithriaques ont été découverts dans des grottes ou des cavernes souterraines. Malgré les sévérités dont il était l’objet, le culte de Mithras ne disparut jamais complètement ; outre que des symboles du mythe, trouvés un peu partout, attestent sa diffusion dans tout le monde romain, la plupart des religions ont gardé quelques traces de l’antique adoration du soleil ou du feu ; elle s’est conservée jusqu’à nos jours sous différentes formes de rites chez les Orientaux, et même dans les fêtes populaires des chrétiens (entre autres les feux de la Saint-Jean, au solstice d’été).

— Iconogr. On possède un certain nombre de monuments, principalement des bas-reliefs, où Mithras est représenté, toujours dans l’action décrite plus haut. Le plus considérable de ces bas-reliefs est au Louvre (Sculpture antique, n° 569) ; il eut longtemps une importance exceptionnelle, étant le seul qui fût connu ; mais depuis il en a été découvert beaucoup d’autres. Le sacrifice est représenté au milieu d’une grotte : le dieu presse du genou gauche le taureau abattu ; d’une main il lui relève la tête, de l’autre il lui enfonce un poignard au-dessous de la clavicule ; un chien lèche le sang qui coule à flots, un serpent mord le taureau à la gorge, un scorpion le pique aux parties génitales ; à droite et à gauche du groupe, deux jeunes gens sont debout, en tunique courte ; l’un tient une torche droite, l’autre une torche renversée. Au-dessus de l’arc de la grotte sont sculptés trois arbres ; d’un côté, le quadrige du Soleil, précédé de Horus portant un flambeau, gravit la pente ; de l’autre, le char à deux chevaux de la Lune, précédé d’Hespérus, la descend. Toute cette composition est cosmologique. Selon le mythe de Mithras, ce taureau doit être la Lune égorgée par le soleil. Le Sang du taureau marque les influences de l’astre nocturne ; le serpent qui lèche la blessure du taureau est l’emblème de Sabazius, dieu orphique assez mal défini. Le chien est le symbole de la canicule, le scorpion celui de l’automne ; les deux figures, dont l’une soulève, l’autre renverse un flambeau, sont les génies du jour et de la nuit ; ce qui est figure au-dessus de la grotte, c’est la terre avec les arbres, le soleil et la lune. Nous ne tenons aucun compte d’une chouette perchée sur la grotte, et qui est une restauration moderne. Cependant saint Jérôme cite le corbeau parmi les accessoires ordinaires des sculptures mithriaques. Ce bas-relief, que des inscriptions antiques, demeurées encore à peu près indéchiffrables, rendent plus remarquable, avait été consacré à Rome, dans le chemin souterrain qui ouvrait le passage du Champ de Mars au Forum, à travers la montagne du Capitole. Déjà connu à Rome dans le xive siècle, il fut acquis par la maison Borghèse vers 1606, et passa de cette collection dans les galeries du Louvre. Ce morceau, qui n’est guère remarquable au point de vue de l’art et qui doit dater du iiie siècle, était horriblement mutilé ; il manquait la tète et les bras de Mithras, la tête du taureau, celles dès chevaux du quadrige, etc. ; toutes ces parties ont été restaurées au xvie siècle.

Le Louvre possède encore trois autres bas-reliefs analogues, également mutilés ; ils ne diffèrent du précédent que par quelques accessoires ; il en est de même des Mithras du musée de Naples ; ils ont été trouvés, l’un dans la grotte du Pausilippe, l’autre dans un passage souterrain à Capri. Le Vatican (musée Chiaramonti) possède aussi un de ces bas-reliefs. Le dernier monument de ce genre a été trouvé à Paris, et à une époque récente : quand on répara, vers 1S20, la tour de l’ancienne église Saint-Marcel, à Paris, on découvrit des fondations dont, les matériaux, remontaient à l’époque romaine antérieure à l’établissement du Christ. Parmi ces matériaux, utilisés sans doute au ve ou au vie siècle pour la construction de l’oratoire de Saint-Marcel, il y avait un bas-relief mithriaque. Cet indice était fécond et prouvait, sans conteste, l’existence en ce lieu d’un sanctuaire de Mithras avant que le culte chrétien s’emparât du sanctuaire et de son emplacement.