Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/OGIER LE DANOIS, nommé aussi OGER, AGER et même AUTCAIR, personnage fameux dans les légendes de chevalerie, un des preux de Charlemagne

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Administration du grand dictionnaire universel (11, part. 4p. 1278-1279).

OGIER LE DANOIS, nommé aussi OGER, AGER et même AUTCAIR, personnage fameux dans les légendes de chevalerie, un des preux de Charlemagne. Il était originaire d’Austrasie, et c’est par une étrange aberration que les conteurs en ont fait un Danois. Un des éditeurs des poèmes qui se rapportent à ce personnage, M. Barrois, pense qu’il faut lire Ogier l’Ardennois ou Ogier d’Ardenmarche. Ogier fut l’émule des Roland, des Renaud de Montauban et des Olivier. Las du métier des armes, il se fit moine et mourut à l’abbaye de Saînt-Faron, à Meaux, vers la fin du ixe siècle. Son souvenir est resté longtemps populaire, et son nom se retrouve dans une des figures de nos jeux de cartes, le valet de pique, de même qu’un autre des quatre valets a retenu le nom d’un capitaine fameux du xve siècle, La Hire.

Ogier de Danemarche ou Ogier le Danois, chanson de geste du xiie siècle, composée par le trouvère Raimbert de Paris, en dialecte wallon. C’est une des plus intéressantes du cycle carlovingien, par la réalité des physionomies et des scènes de mœurs que sert à encadrer la fiction.

Cette épopée eut probablement pour origine des chansons patriotiques chantées dès le ixe siècle, mais qu’on n’a songé à rédiger qu’au xiie siècle ; la langue wallonne, dans laquelle elle est écrite, sert encore de patois à la plupart des populations du nord-est de la France et d’une partie de la Belgique. « Il est certain, dit M. Barrois, l’éditeur d’Ogier le Danois, qu’un plus ancien poète a devancé Raimbert de Paris, car des chansons de geste latines, orales ou écrites, étaient répétées par les populations guerrières au ixe siècle : cependant, nous aurions peine à admettre qu’une plus antique version en langue romane eût précédé celle que nous offrons au public ; les bénédictins, si bons juges en cette matière, pensent que notre texte appartient au xie siècle ; néanmoins, nous n’oserions lui assigner une date antérieure au commencement du xiie siècle. »

La première partie du poëme a pour titre les Colères d’Ogier. Ce que l’on pourrait appeler les premiers chants, quoique une telle division n’existe pas dans l’original, promène le lecteur, non sans intérêt, à travers des descriptions de la vie guerrière et chasseresse des hauts barons du temps de Charlemagne ; la scène se passe dans les Ardennes, berceau de la famille d’Ogier. Les chants qui suivent transportent le lecteur en Italie, où va se réfugier le paladin après l’épisode le plus curieux du poème, la fameuse partie d’échecs où Charlot, fils de Charlemagne, tue Beaudoin, fils d’Ogier, d’un coup d’échiquier sur la tête. Ogier, au retour d’une chasse, apprend ce bel exploit et veut assommer Charlot, mais l’empereur l’exile. Le paladin tire son épée, et c’en était fait de Charles si les douze pairs ne lui eussent fait un rempart de leurs corps. Forcé de fuir, le héros va demander asile au roi de Pavie, Didier, qui lui donne le commandement de son armée. Charlemagne envoie défier ce monarque, puis se met en campagne et lui livre une grande bataille dans les environs d’Aoste. Ogier, contraint de battre en retraite et serré de près, va frapper aux portes de Pavie ; mais Didier, tremblant, défend qu’on les lui ouvre. Ogier fuit dans les montagnes, au galop de son bon destrier Broiefort. Les Français le poursuivent avec ardeur ; enfin il arrive à Castelfort, où il se renferme et où Charlemagne vient l’assiéger. Le siège dure sept ans ; au bout de sept années, Ogier le Danois a vu tous ses chevaliers périr autour de lui ; il reste seul. Usant de stratagème, il taille dans le bois des figures de chevaliers armés de pied en cap et les place derrière les créneaux ; les assiégeants, frappés de stupeur, croient que l’enfer se charge de remplacer les amis d’Ogier à mesure qu’ils meurent. Ogier, cependant, se résout à sortir de Castelfort ; il traverse le camp pendant la nuit, parvient à la tente de Charlot, lance son épieu dans un lit où il croit son ennemi couché, puis, se réjouissant à haute voix de sa vengeance, éveille l’armée, défie Charlemagne et disparaît dans les ténèbres. On le poursuit furieusement sans pouvoir l’atteindre. Un jour pourtant, comme il dormait, dépouillé de son armure, auprès d’une fontaine, l’archevêque Turpin, qui passait par là, reconnut le terrible adversaire de l’empereur. Le bon prélat maudit d’abord cette fatale rencontre qui l’obligeait, pour être fidèle à son serment, d’affronter l’épée redoutable du héros ou de profiter de son sommeil pour le charger de chaînes. Il ordonne à ses gens d’enlever à Ogier son heaume, son écu, son haubert et sa bonne épée Courtain ; cela fait, on se jette sur le dormeur, on lui lie pieds et poings et on le porte à Reims dans un chariot. Charlemagne veut lui faire subir la mort la plus cruelle ; mais Charlot, qui n’a pas été tué comme le croyait Ogier, et Turpin intercèdent pour lui ; Ogier est seulement enfermé dans un cachot, sous la garde de l’archevêque. C’est là qu’il aurait fini ses jours, si la nouvelle de sa mort ne s’était répandue chez les nations païennes. Un de leurs chefs, Braihier, envahit le royaume des Francs à la tête de 400,000 Africains et Saxons. De l’avis de tous, il n’est en France qu’un homme capable de lutter contre le formidable guerrier, qui, haut de dix-sept pieds, est doué d’une force extraordinaire ; cet homme, c’est Ogier le Danois. Charlemagne le fait sortir de prison ; Ogier, implacable, demande, avant tout, qu’on lui livre Charlot, l’assassin de son fils ; l’empereur se résigne. Charlot, après avoir reçu la communion, est amené devant le père, en présence de toute l’armée ; heureusement, un miracle se fait. Saint Michel descend du ciel et interdit à Ogier de frapper l’enfant. Après cet épisode, l’un des plus remarquables du poëme, se livre le grand combat d’Ogier contre le géant sarrasin, qui finit par être vaincu et mis à mort.

La chanson de geste d’Ogier le Danois a joui d’une telle popularité qu’on l’a remaniée, dans tous les siècles suivants, pour lui donner une saveur nouvelle. Le texte original, ou du moins le plus ancien, celui de Raimbert de Paris, est en vers de dix pieds ; mais il y en a des imitations en alexandrins écrits en d’autres dialectes. On en a même fait, au xve siècle, des espèces de paraphrases en prose. Le trouvère Adenès a composé sur le même personnage une autre chanson de geste du même cycle, les Enfances Ogier.