Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/ORLÉANS (Philippe, duc D’), régent de France, fils du précédent

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Administration du grand dictionnaire universel (11, part. 4p. 1481-1482).

ORLÉANS (Philippe, duc d’), régent de France, fils du précédent, né à Saint-Cloud le 4 août 1674, mort à Paris le 25 décembre 1723. Philippe d’Orléans reçut en naissant le titre de duc de Chartres ; après avoir eu successivement pour gouverneurs les maréchaux de Navailles et d’Estrades, le duc de La Vieuville, le marquis d’Arcis et enfin Saint-Laurent, qui tous moururent avant que leur élève eût atteint sa majorité, Philippe tomba aux mains de l’abbé Dubois, qui occupait sous Saint-Laurent les fonctions de sous-précepteur. On sait combien fut pernicieuse l’influence exercée par le futur cardinal sur son élève ; toutefois, il ne serait pas juste de croire que, dans une cour où les mœurs étaient aussi dissolues, Philippe d’Orléans eût pu, sans les conseils funestes de son précepteur, devenir un modèle de vertu. Le jeune prince avait malheureusement l’exemple donné par son oncle, dont les aventures galantes étaient le sujet de toutes les conversations à la cour.

Philippe d’Orléans, qui avait fait preuve de grandes aptitudes pour la peinture, la poésie et la musique durant sa première jeunesse, dut ensuite, comme tout prince de son rang, débuter dans la carrière des armes. Il assista, à l’âge de dix-sept ans, au siège de Mons, sous les yeux du roi, puis continua ses débuts sous le duc de Luxembourg à Steinkerque et à Nerwinde, où il se distingua par une action d’éclat.

On parla fort à la cour du courage du jeune prince ; Louis XIV en prit de l’ombrage, rappela son neveu et ne lui permit point de reprendre la campagne en 1694. Mal reçu à Versailles, Philippe d’Orléans n’y parut que très-rarement, s’installa à Paris et commença à y mener joyeuse vie, en compagnie de son précepteur, qui était de toutes ses fêtes. Louis XIV, bien qu’instruit de la conduite de son neveu, ne parut point disposé à intervenir pour mettre fin à ses désordres. Toutefois, soit qu’il pensât que le mariage ramènerait Philippe d’Orléans à une vie plus régulière ou tout au moins l’obligerait à plus de retenue, soit qu’il tînt à établir convenablement une de ses bâtardes, il fit part à son frère du projet qu’il avait conçu de marier Mlle  de Blois avec Philippe d’Orléans. Monsieur n’osa point refuser, mais Charlotte-Élisabeth, sa femme, vit avec peine ce projet de mariage et ne négligea rien pour le faire échouer. Dubois se fit le négociateur de cette affaire auprès du prince Philippe, et ce dernier finit par accepter la main de Mlle  de Blois, fille de Mme  de Montespan, en se faisant payer toutefois une dot considérable et en obtenant que toutes les prérogatives de premier prince du sang lui seraient, à l’exception néanmoins du titre de Monsieur, accordées à la mort de son père. Ce mariage était pour le jeune prince une affaire et rien de plus ; si l’on en croit les mémoires de Mme  de Caylus, Mlle  de Blois, elle aussi, n’avait fait en cela qu’une affaire ; car ayant été avertie que Philippe d’Orléans avait, avant de l’épouser, montré quelque inclinaison pour la duchesse de Bourbon, la fille de Mme  de Montespan répondit : « Je ne me soucie pas qu’il m’aime ; je me soucie qu’il m’épouse. »

Le mariage de Philippe ne changea rien, du reste, à sa manière de vivre ; il se composa une cour où régnèrent, parmi les femmes comme parmi les hommes, les mœurs les plus licencieuses. Philippe passait sa vie dans la plus grande oisiveté, se préoccupant fort peu des affaires publiques et de son avenir politique, lorsque, ayant appris, à la mort de Charles II, roi d’Espagne, que la maison de Savoie était appelée à lui succéder au préjudice de la branche d’Orléans, il fut piqué au vif et prit la résolution de consacrer ses heures de loisir à des études militaires. Il s’entoura d’officiers connus pour leurs capacités et ne parla plus que batailles et armées en marche. L’affectation avec laquelle il s’occupait de ces matières, comme aussi le zèle que mettaient les courtisans à vanter ses capacités militaires, attirèrent l’attention du roi, dont les maréchaux étaient depuis plusieurs années malheureux aussi bien dans les Flandres que dans le Piémont, et décidèrent le vieux monarque à confier à son neveu le commandement de l’armée d’Italie (1706).

Toutefois, il ne put faire taire complètement sa défiance et plaça auprès de Philippe d’Orléans des maréchaux auxquels le pouvoir appartenait en réalité. L’armée, dont le commandement était nominalement confié à Philippe, faisait le siège de Turin. Après de nombreux tiraillements entre ce prince et ses officiers généraux, tiraillements dont il faut lire le récit complet dans Saint-Simon, l’armée de Philippe fut surprise par celle du prince Eugène et presque détruite à la bataille de Turin. Le neveu de Louis XIV voulait, à la suite de cette affaire, dans laquelle il avait été blessé, opérer sa retraite vers l’Italie ; mais le mauvais vouloir d’officiers qui ne prenaient point son commandement au sérieux l’obligea à se retirer en France. La cour fut unanime à mettre au compte des officiers généraux la défaite de l’armée, et Philippe d’Orléans fut, l’année suivante, mis a la tête de l’armée qui combattait en Espagne. Ce prince arriva sur le théâtre de la guerre le lendemain de la bataille d’Almanza, livrée par le général de Berwick, pressé d’exercer le commandement en chef dont un prince du sang allait le priver ; le neveu de Louis XIV dut se contenter de livrer de petits combats. Il se signala, toutefois, en Espagne par quelques faits de guerre importants et notamment par la prise de Xativa, d’Alcaraz et de Leridu, place forte dont il avait fait le siège régulier et qu’il emporta d’assaut. Sa campagne de l’année suivante (1708) fut encore plus heureuse, en dépit des efforts que faisait le parti de Mme  de Maintenon pour contrarier les vues do Philippe, retarder l’arrivée des secours et lui susciter des embarras perpétuels. Après la prise de Tortose, Philippe se rendit à la cour de Charles II et y fut témoin des hésitations et des craintes de ce monarque, qui ne demandait qu’à abandonner son trône chancelant. Pensa-t-il sérieusement alors à s’emparer de la succession de ce prince ou songea-t-il seulement à faire reviser le testament qu’il croyait injuste et qu’en tout cas il savait défavorable à sa personne ? C’est ce qu’on ne saurait dire au juste, bien qu’on soit fort disposé à admettre la première hypothèse. Quoi qu’il en soit, Philippe ayant parlé de ses projets fut rappelé, et ses amis intimes arrêtés. Il eût été lui-même poursuivi sans l’intervention du duc de Bourgogne, qui prit hautement sa défense. On obligea le duc d Orléans à signer une renonciation à ses prétentions sur l’Espagne, ce qu’il fit sans se faire prier, et l’affaire en resta là.

Ce prince reprit dès lors sa vie oisive et se mit à faire de la chimie ou peut-être de l’alchimie, en compagnie de Homberg. Pendant qu’il se livrait à des manipulations auxquelles il demandait sans doute l’or nécessaire à payer ses dépenses, le dauphin, le duc, la duchesse de Bourgogne et leur fils aîné moururent coup sur coup dans la même année, sans qu’on pût s’expliquer ces morts subites. La surprise causée par ces événements fut très-grande, et Philippe d’Orléans, qui semblait avoir intérêt à se débarrasser de ceux qui pouvaient l’empêcher d’arriver au trône, fut hautement accusé d’empoisonnement. On savait qu’il avait un laboratoire de chimie ; on en conclut immédiatement que c’était dans ce laboratoire qu’étaient préparés les poisons destinés à l’exécution de ses desseins ambitieux. C’était aller trop loin, et l’histoire n’a pas cru devoir adopter l’opinion universellement répandue en 1710 à Paris et à la cour. On s’expliquerait difficilement, en effet, que le régent n’ait point achevé l’œuvre commencée par Philippe d’Orléans, au lendemain de la mort de Louis XIV ; on peut donc admettre que les calomnies auxquelles Philippe fut en butte avaient été répandues, à la cour comme à la ville, par les amis des princes légitimés, qui tous, et Mme  de Maintenon, leur ex-gouvernante, en tête, s’efforçaient de noircir Philippe d’Orléans afin de décider le roi à lui enlever la régence, que convoitaient les ducs du Maine et de Toulouse. On sait ce qui advint et comment le duc du Maine, mis en possession de la régence par le testament de Louis XIV, qu’avait dicté Mme  de Maintenon, en fut dépouillé par le parlement.

Mais n’anticipons pas et reprenons notre récit. Louis XIV, qui savait sans doute parfaitement à quoi s’en tenir sur la source des bruits répandus sur le compte de Philippe d’Orléans, nee crut point à la culpabilité de son neveu, et, lorsque le dauphin commença à se rétablir, les quelques soupçons qu’il avait pu concevoir se dissipèrent. Toutefois, il se montra jusqu’aux derniers jours do sa vie peu bienveillant pour Philippe.

Louis XIV étant mort, le futur régent, qui connaissait les dispositions testamentaires de son oncle, se sentit piqué au vif et, poussé par une ambition bien naturelle, comme aussi par les ducs et pairs qu’humiliaient les prétentions des princes légitimés, il se mit en campagne.

Nous allons emprunter à Saint-Simon quelques passages de la fameuse séance du parlement dans laquelle fut cassé le testament de Louis XIV ; nos lecteurs y verront combien ce monarque, qui avait été partout obéi, avait perdu de son prestige quelques heures à peine après sa mort.

C’est le lendemain de la mort du roi qu’eut lieu la séance du parlement. À peine fut-elle ouverte que, pour une question d’étiquette, les ducs et pairs, Saint-Simon surtout, faillirent faire perdre la partie au duc d’Orléans ; mais celui-ci s’empressa d’imposer silence à ces messieurs, qui eussent provoqué une guerre civile plutôt que de tolérer qu’un président du parlement portât le bonnet en tête devant eux.

Mais laissons la parole à Saint-Simon :

« Moins de demi-quart d’heure après que nous fûmes en séance, arrivèrent les bâtards ; M. du Maine crevait de joie ; le terme est étrange, mais on ne peut rendre autrement son maintien. L’air riant et satisfait surnageoit à celui d’audace, de confiance qui perçoient néanmoins et à la politesse qui sembloit les combattre. Il saluoit à droite et à gauche et perçoit chacun de ses regards. Entré dans le parquet quelques pas, son salut aux présidents eut un air de jubilation que celui du premier président réfléchissoit d’une manière sensible.....

« À peine étions-nous rassis, que M. le duc arriva et l’instant d’après M. le duc d’Orléans.....

« Nous étions tous aux sièges bas, les portes étoient censées fermées, mais la grande chambre était pleine de curieux de qualité et de tous les états et de la suite nombreuse qui étoit en séance. M. le duc d’Orléans avait eu la facilité de se laisser leurrer en cas de besoin du secours d’Angleterre et pour cela de faire placer milord Stairs dans une des lanternes. Ce fut l’ouvrage du duc de Noailles, de Canillac, de l’abbé Dubois.....

« ..... Le régiment des gardes occupoit sourdement toutes les avenues, et tous les officiers, avec des soldats d’élite dispersés, l’intérieur du palais. Le duc de Guiche, démis à son fils, étoit dans la lanterne basse de la cheminée. Il avoit capitulé avec M. le duc d’Orléans et en avoit tiré 600,000 livres pour ce service, qu’il avoit eu le talent de lui faire valoir.....

« La députation remit le testament et le codicille entre les mains du premier président, qui les présenta, mais sans s’en dessaisir, à M. le duc d’Orléans, puis les fit passer de mains en mains par les présidents à mortier à Dreux, conseiller au parlement, disant qu’il lisoit bien..... On peut juger avec quel silence il fut écouté et combien les yeux et les oreilles se dressèrent vers le lecteur.

« Je ne m’arrêterai pas à ces deux pièces où il n’est question que de la grandeur et de la puissance des bâtards, de Mme  de Maintenon et de Saint-Cyr, du choix de l’éducation du roi, et du conseil de régence au pis pour M. le duc d’Orléans, et de le livrer entièrement dépouillé de tout pouvoir au pouvoir sans bornes du duc du Maine....

« La lecture achevée, le duc d’Orléans prit la parole et, passant les yeux sur toute la séance, se découvrit, se recouvrit et dit un mot de louange et de regret du feu roi. Élevant après la voix davantage, il déclara qu’il n’avoit qu’à approuver tout ce qui regardoit l’éducation du roi, quant aux personnes et ce qui se trouvoit sur un établissement aussi beau et aussi utile que l’étoit celui de Saint-Cyr, dans les dispositions qu’on venoit d’entendre ; qu’à l’égard de celles qui regardoient le gouvernement de l’État, il parleroit séparément de ce qui en étoit contenu dans le testament et dans le codicille ; qu’il avoit peine à les concilier avec ce que le roi lui avoit dit dans les derniers jours de sa vie et avec les assurances qu’il lui avoit données publiquement, qu’il ne trouveroit rien dans ses dispositions dont il pût n’être pas content, en conséquence il avoit toujours depuis renvoyé à lui pour tous les ordres à donner, et ses ministres pour les recevoir sur les affaires ; qu’il falloit qu’il n’eût pas compris la force de ce qu’on lui avoit fait faire, regardant du côté du duc du Maine, puisque le conseil de régence se trouvoit choisi et son autorité tellement établie par le testament, qu’il ne lui en demouroit plus aucune à lui ; que ce préjudice fait au droit de sa naissance, à son attachement pour la personne du roi, à son amour et à sa fidélité pour l’État, étoit de nature à ne pouvoir le souffrir avec la conservation de son honneur ; et qu’il espéroit assez de l’estime de tout ce qui étoit là présent pour se persuader que sa régence seroit déclarée telle qu’elle devoit être, c’est-à-dire entière, indépendante, et le choix du conseil de régence à qui il ne disputoit pas la voix délibérative pour les affaires à sa disposition, parce qu’il ne pouvoit les discuter qu’avec des personnes qui, étant approuvées du public, pussent aussi avoir sa confiance. Ce court discours parut faire une grande impression. »

Saint-Simon raconte ensuite que, le duc du Maine ayant voulu parler, le duc d’Orléans lui dit d’un ton sec : « Monsieur, vous parlerez à votre tour, » et que ce dernier, qui venait en quelques minutes d’obtenir gain de cause à propos du testament qui avait été cassé tout d’une voix, entreprit de faire annuler également le codicille.

Il reprit donc la parole et déclara : « Que si son honneur se trouvoit blessé au point où il lui paraissoit que la compagnie l’avoit senti elle-même par les dispositions du testament, ainsi que toutes les lois et règles, les mêmes étoient encore plus violées par celles du codicille, qui ne laissoit ni sa liberté, ni sa vie même en sûreté, et mettoit la personne du roi dans l’absolue dépendance de qui avoit osé profiter de l’état de faiblesse d’un roi mourant pour lui arracher ce qu’il n’avoit pu entendre. »

M. du Maine répliqua, et bientôt une discussion violente s’engagea entre les deux compétiteurs. Saint-Simon, qui, comme nous l’avons vu plus haut, assistait à la séance, s’apercevant que le public commençait à trouver cette dispute « indécente, » alla prier le duc d’Orléans de se retirer avec le duc du Maine dans une des pièces voisines, afin de soustraire au public le spectacle qu’ils lui donnaient. Les deux princes sortirent alors et se retirèrent dans la « quatrième des enquêtes, » et, là, M. d’Orléans allait peut-être transiger avec le duc du Maine, lorsque ses amis le rappelèrent et lui suggérèrent l’idée de demander le renvoi de la suite de la séance après dîner, ce que le parlement accepta. Cette manœuvre habile assura le triomphe du duc d’Orléans, dont les amis virent les membres du parlement durant l’interruption de la séance. Le procureur général d’Aguesseau et le premier avocat général Joly de Fleury dînèrent avec le futur régent, et lorsque vers quatre heures on rentra en séance, il était manifeste que M. du Maine avait perdu la partie. Les deux convives du prince d’Orléans prononcèrent un discours et tout fut rapidement terminé. L’arrêt rendu, le régent adressa quelques remercîments à l’assemblée, annonça l’intention de créer des conseils pour l’administration de l’intérieur du royaume et des affaires ecclésiastiques, et de choisir quelques-uns des magistrats de l’assemblée pour entrer dans ces deux conseils. Cet engagement pris par Philippe d’Orléans explique le succès de ses harangues et prouve que, si ce prince croyait pouvoir compter sur les droits que lui donnait sa naissance, il ne négligeait rien pour les appuyer d’arguments décisifs.

Maître du pouvoir, Philippe d’Orléans sembla prendre à tâche de ne rien laisser debout de l’administration de Louis XIV et prit le contre-pied de sa politique. La cour cagote du vieux monarque reprit son aspect d’autrefois. Les jésuites furent tenus en laisse, eux qui avaient gouverné la France pendant les trente dernières années du long règne qui venait de finir. De nombreuses lettres de cachet lancées contre des jansénistes ou des protestants furent annulées. Enfin, des Mémoires de Saint-Simon il ressort que le régent songea un instant à annuler la révocation de l’édit de Nantes et ne fut arrête dans cette voie que par la peinture exagérée qu’on lui fit des dangers que la rentrée des huguenots ferait courir à son gouvernement et à la paix intérieure.

Son gouvernement constitué, le régent se trouva en présence d’immenses difficultés financières. Le roi Louis XIV avait, par son faste et ses guerres continuelles, ruiné le pays ; il fallut faire des économies. Elles portèrent sur les dépenses de guerre ; le régent diminua l’effectif de l’armée et résolut de maintenir la paix. Quelques réformes furent faites dans les finances ; mais tous ces palliatifs ne suffisaient point, et l’instant allait arriver où l’État serait obligé de faire banqueroute. C’est à ce moment que parut Law, banquier écossais (v. {{sc|Law). Nous n’avons point ici à examiner le système de ce financier ; il nous suffira de dire que le régent, trouvant dans l’invention du papier-monnaie, qui faisait prime, un moyen très-commode de payer les dettes du pays, abusa de ce procédé et précipita par son imprudence la chute d’un système qui eût pu rendre de grands services et qui ne fit qu’augmenter les désastres publics. Le régent se montra tellement enthousiaste du système Law, qu’il n’hésita pas à exiler d’Aguesseau, qui l'avait si bien servi autrefois, et à retirer l’administration des finances au duc de Noailles, qu’il soupçonnait de monter une cabale dans le parlement et dans le conseil contre son protégé. Le 18 août 171S, il tint un lit de justice et en profita pour faire enregistrer des édits qui dépouillaient le duc du Maine de la surintendance de l’éducation du roi, faisaient des princes légitimés des ducs et pairs, rien de plus, et réduisaient le parlement au rôle d’enregistreur de ses volontés.

Cette conduite fit de nombreux mécontents. La duchesse du Maine ne put pardonner au régent et se mit à conspirer contre lui, de concert avec l’ambassadeur de Philippe V. 11 s’agissait d’enlever le régent. Cette conspiration fut éventée par l’abbé Dubois. L’ambassadeur d’Espagne, le jeune duc de Richelieu et quelques autres furent arrêtés ; puis les correspondances de Cellamare (v. ce mot) ayant été saisies à Poitiers et dépouillées avec soin, le duc et la duchesse du Maine furent arrêtés et enfermés, la duchesse au château de Dijon, le duc à Doullens. La duchesse finit par dénoncer tous ses complices et par révéler le plan des conspirateurs. Elle acheta de la sorte sa grâce et, tandis qu’elle recouvrait sa liberté au prix d’une trahison, quelques-uns de ses complices, les plus humbles, vendus par elle, étaient condamnés à mort et exécutés. L’ambassadeur Cellamaro fut renvoyé à Philippe V, et ce monarque s’empressa d’affirmer son hostilité à l’égard du régent en nommant ce conspirateur vice-roi de Navarre. Philippe d’Orléans, indigné d’une pareille conduite, céda aux instances des cabinets de Londres et de Vienne et déclara la guerre au roi d’Espagne. La campagne fut menée très-énergiquement par Berwick, qui s’empara de Fontarabie et du château d’Urgel, sous les yeux du roi et de la reine d’Espagne, venus au-devant de l’armée française pour essayer d’y provoquer des défections. Les manifestes lancés par le petit-fils de Louis XIV n’eurent pas le moindre succès et Philippe V se vit dans la nécessité d’accepter la paix et de chasser son ministre Alberoni, l’âme de la conspiration ourdie contre le régent de l’autre côté des Pyrénées. La paix rétablie, Philippe d’Orléans, que la guerre d’Espagne et la conspiration Cellamare n’avaient point empêché de se livrer aux plus honteuses débauches, continua la série de ces soupers devenus légendaires. Les querelles religieuses, dont le régent avait eu le bon esprit de se moquer au début, reprirent avec une nouvelle fureur lorsqu’il voulut, pour faciliter l’obtention du chapeau de cardinal à son compagnon de débauche, l’abbé Dubois, favoriser les jésuites et mettre cette société, toute-puissante à Rome, dans les intérêts de son conseiller intime. C’était l’époque où Dubois était maître absolu des affaires et obtenait du régent tout ce qu’il voulait. Cette influence de l’abbé Dubois dura jusqu’à la mort de celui dont le pape Innocent XIII fit un cardinal.

Au milieu du désarroi général causé par la chute du système de Law, l’époque de la majorité du jeune Louis XV arriva. Le 15 février 1723, le régent remit aux mains du jeune prince tous les pouvoirs et désira qu’il fût sacré sans délai. Le cardinal Dubois, dont le régent avait fait un ministre, conserva ses fonctions jusqu’à sa mort, et lorsque, emporté par les maladies honteuses qu’il avait contractées dans les lieux les plus mal famés, il mourut, Louis XV invita l’ex-régent à prendre la direction des affaires. Philippe d’Orléans accepta ; mais le travail auquel l’obligeaient ses fonctions, joint aux débauches qu’il faisait la nuit au Palais-Royal, l’acheva en quelques mois et il mourut d’un coup de sang, le 25 décembre 1723, chez la duchesse de Phalaris, sa maîtresse. — Philippe d’Orléans eut de sa femme un fils dont la biographie suit, et quatre filles : Marie-Louise-Élisabeth, duchesse de Berry (v. Berry) ; Louise-Adélaïde, abbesse de Chelles ; Charlotte-Aglaé de Valois, duchesse de Modène ; Louise-Élisabeth, reine d’Espagne (v. ci-après). Trois autres filles, Mlle  de Beaujolais, Philippine-Élisabeth et Louise-Diane, princesse de Conti, moururent en bas âge. La plus aimée du régent était la duchesse de Berry, avec qui il fut soupçonné d’avoir eu des relations incestueuses. Ces soupçons, émis avec une sorte de haine furieuse dans les Philippines de La Grange-Chancel et dans bien d’autres pamphlets du temps, se sont en partie confirmés. Michelet les adopte et croit, d’après les Mémoires de Richelieu, de Soularie, que la duchesse s’est livrée à son père, au château de la Muette, pour en obtenir le secret du masque de fer. La cour d’Espagne, la cour de Sceaux, l’Europe entière croyaient à l’inceste du régent avec ses filles. Cela est très-peu vraisemblable pour Mlle  de Valois, absurde pour l’abbesse de Chelles. Quant à l’aînée, duchesse de Berry, il n’y a que trop de vraisemblance. Mme ilde Caylus dit qu’elle posa pour les dessins de Daphnis et Chloé. Duclos croit que le régent craignait les indiscrétions de sa fille. Ceux qui écrivent hors de France, comme du Hautchamp, sont très-affirmatifs et très-explicites là-dessus. Mais ce qui en dit bien plus qu’aucune affirmation particulière, c’est l’ensemble de mille détails qui, rapprochés, mènent là invinciblement.

Philippe d’Orléans fut un prince intelligent et actif, d’un caractère libéral, surtout en matière religieuse. Ses débauches effrénées, résultat d’une éducation déplorable puisée a la fois dans son entourage et dans les leçons de son précepteur, l’abbé Dubois, précipitèrent sa mort. Voici le portrait un peu flatté qu’a tracé de lui Saint-Simon, un de ses intimes :

« Avec beaucoup d’aisance quand rien ne le contraignoit, il était doux, accueillant, ouvert, d’un accès facile et charmant, le son de la voix agréable, et un don de la parole qui lui étoit tout particulier en quelque genre que ce pût être, avec une facilité, une netteté que rien ne surprenoit et qui surprenoit toujours. Son éloquence étoit naturelle jusque dans les discours les plus communs et les plus journaliers, dont la justesse étoit égale sur les sciences les plus abstraites, qu’il rendoit claires, sur les affaires de gouvernement, de politique, de finance, de justice, de guerre, de cour, de conversation ordinaire, et de toutes sortes d’arts et de mécanique. Il ne se servoit pas moins utilement des histoires et des mémoires et connaissoit fort les maisons. Les personnages de tous les temps et leurs vies lui étoient présents, et les intrigues des anciennes cours comme celles de son temps. À l’entendre, on lui auroit cru une vaste lecture. Rien moins. Il parcouroit légèrement ; mais sa mémoire étoit si singulière qu’il n’oublioit ni choses, ni noms, ni dates, qu’il rendoit avec précision, et son appréhension étoit si forte qu’en parcourant ainsi c’étoit en lui comme s’il eût tout lu fort exactement. Il excelloit à parler sur-le-champ, et en justesse et vivacité, soit de bons mots, soit de reparties... Comme Henri IV, il étoit naturellement bon, humain, compatissant ; et cet homme, si cruellement accusé du crime le plus noir et le plus inhumain, je n’en ai point connu de plus naturellement opposé au crime de la destruction des autres, ni plus singulièrement éloigné de faire peine même à personne, jusque-là qu’il peut se dire que sa douceur, son humanité, sa facilité avoient tourné en défaut, et je ne craindrai pas de dire qu’il tourna en vice la suprême vertu du pardon des ennemis. »

Le régent avait des goûts artistiques très-délicats ; il écrivit la musique de quelques opéras : Hypermnestre, Panthée. Ce dernier, quelque peu licencieux, ne fut joué qu’à huis clos, au Palais-Royal. Il avait quelque talent comme graveur et on lui doit les illustrations de la fameuse édition de Daphnis et Chloé, dite du régent (1718, in-4o), « monument d’art et de volupté », a dit Michelet.

Après ces quelques mots sur le prince, il n’est pas inutile de dire deux mots de son gouvernement.

Voici comment M. Henri Martin apprécie la Régence :

« La période de la Régence n’avait duré qu’un peu plus de huit ans, y compris les quelques mois de prorogation de pouvoir de Dubois et de Philippe ; elle tient dans nos fastes une place beaucoup plus considérable que ne semblerait le comporter ce petit nombre d’années. Elle ne causa pas, comme on l’a prétendu, la ruine de la monarchie et de la vieille société française ; le principe de cette ruine était dans la constitution même de cette monarchie et de cette société ; mais elle marqua, pour ainsi dire, la direction de la décadence et la précipita. »