Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/PÉTION DE VILLENEUVE (Jérôme), constituant, maire de Paris en 1792, conventionnel girondin

La bibliothèque libre.
Administration du grand dictionnaire universel (12, part. 2p. 708-709).

PÉTION DE VILLENEUVE (Jérôme), constituant, maire de Paris en 1792, conventionnel girondin, né à Chartres en 1753, mort en 1794. Il était fils d’un procureur au présidial et suivait avec succès la carrière du barreau dans sa ville natale lorsqu’il fut élu, en 1789, député du tiers aux états généraux. Il y prit place parmi les défenseurs les plus ardents des droits de la nation, des réformes et de la liberté. À l’issue de la séance royale du 23 juin, il fut un de ceux qui, à la voix de Mirabeau, s’élevèrent avec le plus d’énergie contre l’acte d’autorité que venait de tenter Louis XVI, et qui entraînèrent l’Assemblée à persister dans ses premiers arrêtés. Le 31 juillet, il réclama la mise en jugement des hommes suspects à la nation, osa combattre (18 août) Mirabeau lui-même, qui voulait faire ajourner la déclaration des Droits de l’homme et l’accusa de vouloir pousser l’Assemblée à des résolutions contradictoires. Le 1er septembre, il se déclara contre le veto, même suspensif, parla le 5 en faveur de la permanence et de l’unité du Corps législatif et contesta au roi, le 30, le pouvoir d’interpréter les lois. Le 5 octobre, il dénonça le fameux repas des gardes du corps et, le 8, fit adopter le titre de roi des Français et supprimer la formule par la grâce de Dieu. « C’est calomnier Dieu, s’écria-t-il ; Charles IX était-il aussi roi par la grâce de Dieu ? » Dans la question des biens du clergé, il joua aussi un rôle fort brillant et réfuta, avec autant de force que de logique, les sophismes de l’archevêque d’Aix et d’autres ecclésiastiques.

Dans le cours de l’année 1790, il montra la même vigueur et la même activité, vota la suppression des ordres religieux, l’égalité de partage dans les successions, s’opposa à ce que la justice se rendît au nom du roi, défendit Marat contre Malouet, provoqua la réunion du Comtat d’Avignon à la France, appuya la création des assignats, se rallia aux idées financières de Mirabeau et soutint que le droit de paix et de guerre appartenait, non au roi, mais à la nation.

Il prit une part très-active à tous les débats sur les colonies et contribua beaucoup aux décrets en faveur des noirs et des gens de couleur.

À la fin de 1790, l’Assemblée lui avait témoigné son estime en l’élevant à la présidence.

Lors de la fuite de la famille royale, il fut nommé, avec Latour-Maubourg et Barnave, commissaire de l’Assemblée pour ramener le roi à Paris. Cet épisode curieux du retour de Varennes a été raconté par Pétion lui-même dans un écrit entièrement de sa main, qui a été saisi parmi ses papiers en 1793, et qui est actuellement aux Archives.

Les commissaires rencontrèrent le cortège qui ramenait les fugitifs entre Dormans et Épernay ; Barnave et Pétion montèrent dans la voiture royale, qui roula vers Paris, escortée par un cortège immense.

Suivant certaines relations royalistes, Pétion se montra une sorte de paysan du Danube, afficha sans nécessité des sentiments républicains, prit la meilleure place, se fit servir à boire par Mme Élisabeth, etc. Tout cela est fort douteux et même invraisemblable. Pétion était un homme bien élevé, de mœurs placides et douces, un peu trop plein de lui-même, cela est vrai, mais nullement violent, et péchant plutôt par excès de bonhomie. Dans son récit, on le voit ferme, digne et convenable, et la modération même avec laquelle il parle de la famille royale éloigne l’idée des procédés choquants qu’on lui reproche.

Seulement, on trouve dans cette relation un passage qui ajoute à sa physionomie un ridicule ineffable. Vers le soir du premier jour, Mme Élisabeth, assise près de lui et s’appuyant involontairement sur le bras de son voisin, en cette extrême fatigue, Pétion, qui était quelque peu bellâtre et d’ailleurs d’un extérieur agréable, en arriva à s’imaginer que la princesse, une personne si orgueilleuse et si sèche, était éprise de lui et voulait peut-être séduire en lui le représentant, charmer le tribun, enfin jouer avec lui le rôle de Circé, Rien de plus amusant que ce croquis à la Rousseau coloré de Crébillon :

« Mme Élisabeth, dit-il, me fixait avec des yeux attendris, avec cet air de langueur que le malheur donne et qui inspire un assez vif intérêt. Nos yeux se rencontraient quelquefois avec une espèce d’intelligence et d’attraction. La nuit se fermait, la lune commençait à répandre une clarté douce... J’apercevais un certain abandon dans son maintien, ses yeux étaient humides, la mélancolie se mêlait à une espèce de volupté. Je puis me tromper ; on peut facilement confondre la sensibilité du malheur avec la sensibilité du plaisir ; mats je pense que si nous eussions été seuls ; que si, comme par enchantement, tout le monde eût disparu, elle se serait laissée aller dans mes bras et se serait abandonnée aux mouvements de la nature.

« Je fus tellement frappé de cet état, que je me disais : Quoi ! serait-ce un artifice pour m’acheter à ce prix ? Mme Élisabeth serait-elle convenue de sacrifier son honneur pour me faire perdre le mien ? Oui, à la cour, rien ne coûte, on est capable de tout ; la reine a pu arranger le plan. Et puis, considérant cet air de naturel, l’amour-propre aussi m’insinuant que je pouvais lui plaire, qu’elle était dans cet âge où les passions se font sentir, je me persuadais, et j’y trouvais du plaisir, que des émotions vives la tourmentaient, qu’elle désirait elle-même que nous fussions sans témoins, que je lui fisse ces douces instances, ces caresses délicates qui vainquent la pudeur sans l’offenser et qui amènent la défaite sans que la délicatesse s’en alarme, où le trouble et la nature sont seuls complices. »

Cette fatuité comique est vraiment incroyable et tout cela est du ridicule le plus parfait, comme il s’en rencontre à peine dans les comédies. Mais cette infatuation même annonce plutôt une âme tranquille et doucement amollie que l’humeur aigrie qui porte à des paroles et à des manières blessantes.

À cette époque. Pétion était déjà très-positivement républicain ; mais il ne pensait pas que le moment fût venu ; peut-être même pensait-il qu’il ne viendrait que dans un avenir très-éloigné, quand une longue pratique de la vie politique aurait donné au peuple les mœurs de la liberté. Aussi était-il sincère en demandant l’application loyale de la constitution et ne fut-il jeté dans les voies révolutionnaires que par les trahisons et les complots de la cour. Il est probable qu’il eût, à un certain moment, accepté volontiers le duc d’Orléans comme monarque constitutionnel.

Lors de la discussion sur l’évasion de Louis XVI, il traita avec netteté la question de l’inviolabilité royale, distinguant l’inviolabilité politique dont jouit le roi dans les actes dont les ministres répondent, et l’inviolabilité que l’on prétendait étendre à ses actes personnels ; question redoutable sur laquelle il fut très-radical, admettant la destitution éventuelle et même la mise en jugement.

Il prit une part aussi active aux derniers travaux de l’Assemblée, combattit la réaction qui suivit le massacre du Champ-de-Mars, ainsi que les intrigues des feuillants qui, sous le prétexte de reviser la constitution, voulaient ramener la Révolution en arrière.

Il était alors très-lié avec Robespierre, et tous les deux étaient les grandes popularités du moment. À la fin de la session, au sortir de la dernière séance, ils furent acclamés par le peuple, couronnés de feuilles de chêne et presque portés en triomphe.

Après la démission de Bailly (novembre 1791), Pétion fut élu maire de Paris en concurrence avec La Fayette. C’est en cette qualité, comme chef de la municipalité, qu’il s’associa à la fête donnée en l’honneur des Suisses de Châteauvieux ramenés des galères, réparation nationale qui fit pousser des cris de fureur à la réaction.

Son rôle dans la journée du 20 juin 1792 ne fut pas moins attaqué. On lui reprochait de n’avoir point, comme premier magistrat municipal, empêché le mouvement. Mais l’aurait-il pu ? D’ailleurs, comme homme de parti, il est à croire qu’il l’approuvait. Il proposa d’y mêler, par une convocation, toute la garde nationale, afin d’être assuré qu’il serait pacifique. Mais le directoire du département de Paris refusa, ne voulant à aucun prix légitimer un rassemblement illégal. Mais il n’avait aucune force pour faire respecter ce refus. Dans le fait, une foule de gardes nationaux, leurs officiers en tête, marchèrent avec le peuple. Comment arrêter ce torrent ? À l’article consacré à cet événement, on en trouvera d’ailleurs tous les détails, que nous ne pouvons reproduire ici.

Dès qu’il eut connaissance de l’invasion des Tuileries, Pétion accourut au château ; on l’a accusé de ne s’être pas trop pressé ; peut-être bien, en effet, n’était-il pas fâché que les incorrigibles de la cour reçussent cette dure leçon et cet avertissement, et qu’à cette heure il jugea qu’il était temps d’enrayer.

Acclamé, porté pour ainsi dire, il parvint, à travers une foule énorme, à pénétrer dans les appartements, fut hissé sur un fauteuil, harangua le peuple et l’adjura de se retirer, mais sans oublier d’établir, avec une fermeté habile, la légitimité de la manifestation.

« Citoyens, dit-il, vous venez de présenter légalement votre vœu au représentant héréditaire de la nation ; vous l’avez fait avec la dignité, avec la majesté d’un peuple libre ; retournez chacun dans vos foyers, vous ne pouvez exiger davantage. Sans doute votre demande sera réitérée dans les quatre-vingt-trois départements, et le roi ne pourra se dispenser d’acquiescer au vœu manifeste du peuple. Retirez-vous, je le répète, et, en restant plus longtemps, ne donnez pas occasion d’incriminer vos intentions respectables, etc. »

Sergent et quelques officiers municipaux se joignirent à Pétion, ainsi que des députés, et peu à peu le château fut évacué, mais non sans peine. Tous les rapports constatent que le maire de Paris déploya la plus active énergie pour obtenir ce résultat.

Néanmoins, il subit un débordement d’injures de la part des royalistes. Le lendemain, sur de faux bruits de nouveaux mouvements, il fut mandé au château et reçu de la manière la plus brutale par le roi. Le 6 juillet, il fut suspendu de ses fonctions par le directoire du département (composé de La Rochefoucauld et autres feuillants). Mais il avait alors une popularité immense ; Paris s’émut, les sections s’agitèrent et des attroupements parcoururent les rues au cri de : Pétion ou la mort !

Le 13, l’Assemblée leva la suspension. Le lendemain, à la fête de la Fédération, au Champ-de-Mars, le maire de Paris fut l’objet d’ovations enthousiastes ; des citoyens portaient, écrit à la craie sur leurs chapeaux : Vive Pétion ! Il paraît même que quelques écervelés lui criaient de se saisir de la magistrature suprême ou tout au moins de la régence (d’où ces persiflages qu’on fit plus tard sur le roi Pétion).

Quant à lui, il jouissait avec ivresse de sa gloire et était à mille lieues de prévoir le sort funeste et prochain qui l’attendait.

Au 10 août, il ne fit rien qu’écrire une proclamation pour inviter les citoyens à attendre avec calme que l’Assemblée eût statué sur la question de la déchéance. La Commune insurrectionnelle le maintint à la mairie, mais en réduisant respectueusement un homme si précieux, l’idole populaire, à une complète inaction. Pétion était d’ailleurs un homme de parole facile et de représentation, mais placide, indécis, nullement fait pour les résolutions extrêmes et l’action rapide. Il était en outre paralysé par ses fonctions de maire ; et les commissaires des sections, en cette chaude journée, firent un acte de sagesse et de bonne stratégie révolutionnaire en l’annulant, en l’empêchant de se compromettre dans un sens ou dans l’autre.

Dans la nuit du 9 au 10, il avait été appelé aux Tuileries pendant que le tocsin sonnait. Il s’y rendit avec quelque hésitation, mais avec son flegme ordinaire, tout en sentant bien qu’on voulait le garder comme otage. À l’Hôtel de ville, les commissaires étaient fort perplexes ; on ne pouvait rien faire qu’on n’eût repris Pétion, qui, entouré de furieux royalistes, eût été probablement égorgé dès les premiers mouvements. On imagina d’envoyer demander à l’Assemblée qu’elle le réclamât. Un petit nombre de députés s’étaient rassemblés au bruit du tocsin ; ils rendirent un décret qui mandait le maire de Paris à la barre. Les gens du château le laissèrent partir, s’imaginant naïvement qu’il aurait la simplicité de revenir se placer entre les griffes de ses ennemis.

Il resta en fonction après la chute de la royauté, gémit sur les massacres de septembre, mais ne fit presque rien pour les empêcher. Il alla cependant à la Force pour essayer de haranguer les massacreurs, qui recommencèrent leur affreuse besogne dès qu’il fut parti. On sait d’ailleurs que, dans ces journées funestes, les autorités et même l’Assemblée nationale furent réduites à l’impuissance (v. septembre). Ce qu’il y a de certain, c’est que, tout en voyant ces scènes avec horreur, Pétion resta trop inerte et ne montra nulle vigueur. L’histoire a le droit et le devoir de s’en souvenir.

Nommé député d’Eure-et-Loir à la Convention nationale, il fut le premier président de cette grande assemblée. Le 11 octobre, il entra au comité de constitution. Manuel proposa même de faire de lui un président à l’instar des États-Unis. Depuis l’ouverture de la session, il monta souvent à la tribune pour demander la mise en jugement de Louis XVI.

Le 18 octobre, il fut réélu maire de Paris à la presque unanimité. À cette place était encore affecté un traitement de 75, 000 livres. Pétion néanmoins donna sa démission pour rester au poste où l’avaient appelé ses concitoyens d’Eure-et-Loir. Peut-être aussi ressentait-il quelque dépit de n’avoir pas été nommé représentant à Paris, où les hommes de la Gironde avaient tous échoué. Sans être exclusif, Pétion appartenait cependant au groupe des girondins par les opinions comme par les relations journalières. Il était un des hôtes assidus des réunions où trônait Mme Roland. Il était cependant resté en relations très-amicales avec Robespierre. Mais le moment était venu où les partis se tranchaient définitivement. Pétion avait évité de se prononcer lors des premières attaques contre la Montagne, mais en novembre la rupture éclata. Dans un factum imprimé, Pétion, entraîné sans doute par son parti, non-seulement ressassa les accusations habituelles contre la Commune et les montagnards, mais encore attaqua Robespierre avec une âpreté qu’on n’eût pas attendue de sa bonhomie proverbiale et de sa placidité. Ces deux hommes éminents, qu’on avait longtemps comparés à deux doigts de la main, étaient dés lors des ennemis acharnés.

Dans le procès du roi, l’ancien maire de Paris se prononça pour l’appel au peuple, pour la mort et contre le sursis. Le 25 mars, il fut nommé membre du premier comité de Salut public et de défense générale. Il prit part aux luttes de la Gironde et de la Montagne et ne se montra pas l’un des moins ardents. Le 12 avril notamment, il monta à la tribune pour attaquer Robespierre et ses amis avec une extrême violence. On sait comment ces lamentables discordes devaient se terminer. Lors de la chute de la Gironde, au 31 mai-2 juin 1793, Pétion fut compris parmi les vingt-deux députés décrétés d’arrestation. Sa grande popularité parisienne était alors évanouie comme celle des autres girondins. On ne l’appelait plus par dérision que le roi Pétion. Cette chute avait été aussi complète que rapide. Il faut dire que les girondins, quoique dépassés dans la carrière de la Révolution, auraient pu se maintenir encore, et par leurs talents, et par le souvenir des services rendus ; mais leurs attaques et leurs menaces incessantes contre leurs adversaires et contre Paris devaient amener et amenèrent en effet leur perte.

Gardé chez lui par un gendarme, il s’évada avec plusieurs de ses amis, se rendit à Caen, participa à la tentative d’insurrection girondine du Calvados et, après l’échauffourée avortée de Vernon, dut quitter la Normandie avec une dizaine d’autres députés fugitifs et gagner le département de la Gironde à travers toutes les misères et tous les périls. Il avait été mis hors la loi, ainsi que ses amis. Recueilli à Saint-Émilion avec Guadet, Buzot et Barbaroux, réduit à errer d’asile en asile, il s’empoisonna, à ce qu’on croit, avec Buzot ; du moins leurs cadavres furent trouvés dans un champ, près de Saint-Émilion, à demi dévorés par les loups (juin 1794). Nous avons parlé ailleurs de ces morts tragiques des girondins et nous n’avons pas à revenir sur ce lamentable sujet.

Les Œuvres de Pétion ont été publiées en 1793 (4 vol. in-8°). Elles se composent de ses opuscules politiques, de ses discours, de ses comptes rendus comme maire, etc.

Ses mémoires manuscrits ont été conservés et publiés en 1864. Ils n’offrent pas un très-grand intérêt.

Mme Roland a tracé de Pétion un portrait où se reconnaît la main de l’amitié. Nous en donnerons ici quelques traits :

« Pétion, véritable homme de bien et homme bon ; il est incapable de faire la moindre chose qui blesse la probité, comme le plus léger tort ou le plus petit chagrin à personne ; il peut négliger beaucoup de choses pour lui et ne saurait exprimer un refus d’obliger qui que ce soit au monde. La sérénité d’une bonne conscience, la douceur d’un caractère facile, la franchise et la gaieté distinguent sa physionomie… Un jugement sain, des intentions pures, ce qu’on appelle la justesse de l’esprit caractérisent ses opinions et ses écrits, marqués au coin du bon sens plus qu’à ceux du talent. Il est froid orateur et lâche dans son style comme écrivain ; administrateur équitable et bon citoyen, il était fait pour pratiquer les vertus dans une république, et non pour fonder un tel gouvernement chez un peuple corrompu, qui le regarda durant quelque temps comme son idole et se réjouit de sa proscription comme de celle d’un ennemi. »