Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/PHILINTE, personnage du Misanthrope de Molière

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Administration du grand dictionnaire universel (12, part. 3p. 806).

PHILINTE, personnage du Misanthrope de Molière, dont le caractère forme contraste avec celui d’Alceste. Philinte est le philosophe indulgent, l’homme sociable par excellence, l’ami du genre humain, comme l’appelle Alceste dans son ironie misanthropique. Il veut que l’on sacrifie quelquefois les intérêts de la vérité aux bienséances et aux usages du monde ; il montre de la complaisance pour les défauts des autres et dissimule ses sentiments sous les dehors de la politesse ; toutes choses qui mettent Alceste en fureur. « Il est constant, dit M. Taschereau dans son Histoire de Molière, que celui-ci avait donné à son Philinte plus d’un trait de son propre caractère, et précisément cette tolérance qui en était l’ornement et qui a excité l’indignation de l’intolérant Rousseau. » Dans la pensée de Molière, Philinte n’est ni un égoïste ni un modèle de vertu, mais un type de sociabilité et de savoir-vivre dans le monde, où les rapports ne sont possibles qu’à la condition de transiger. L’intention du poëte était de faire voir ce qu’il faut accorder aux défauts des hommes si l’on veut vivre avec eux ; et si Philinte pousse un peu loin la complaisance, pour plus de sûreté, il est clair qu’Alceste montre trop de rudesse et qu’avec un caractère tel que le sien il faut tôt ou tard quitter la partie.

En littérature, le nom de Philinte est resté le synonyme d’homme aimable, poli, indulgent, et les allusions que l’on fait à ce personnage le mettent le plus souvent en opposition avec Alceste :

« On a prétendu qu’il n’y avait que deux sortes de critiques : la critique à bras ouverts et la critique à poings fermés. Parmi nos juges littéraires, les uns sont de la race
de Philinte, indifférents par nature, toujours portés à l’indulgence et doués d’une bienveillance universelle. Les autres, qui descendent d’Alceste, se gendarment envers et
contre tous, prennent les airs indignés de M. Veuillot ou prétendent à sonner le tocsin et à brandir le glaive comme M. de Cassagnac. »
                        Ch. Henry.

« La vie semble plus commode et plus douce avec ces formes aimables qui paraissent prouver le cas qu’on fait de vous et la
peur qu’on a de vous déplaire. Ce n’est pas du mensonge, mais de la politesse : on aime à se bercer au bruit de cette musique louangeuse ; on se passe avec grâce et discrétion l’encensoir, et les Philintes ont prévalu sur les Alcestes dans la société actuelle. »
                     Hipp. Lucas.