Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/PHILIPPE IV, surnommé le Bel, roi de France, fils et successeur du précédent

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Administration du grand dictionnaire universel (12, part. 3p. 810).

PHILIPPE IV, surnommé le Bel, roi de France, fils et successeur du précédent, né à Fontainebleau en 1268. Proclamé roi à Perpignan (1285), après la mort de son père, il ramena l’armée en France, reçut l’hommage d’Édouard Ier, roi d’Angleterre, pour ses provinces françaises, continua mollement la guerre d’Aragon et la termina enfin par les traités de Tarascon (1291) et d’Anagni (1295), qui laissaient la Sicile à la maison d’Aragon et le royaume de Naples à Charles le Boiteux. Dès le commencement de son règne, ce prince se montra ce qu’il fut toujours depuis, l’ennemi du pouvoir féodal et ecclésiastique. Avec lui commence la ruine des institutions du moyen âge ; l’ordre social moderne est inauguré ; mais il apparaît d’abord au monde sous l’aspect odieux d’une tyrannie fiscale et judiciaire aussi violente et aussi dure que la puissance des seigneurs et des gens d’Église. Habile et profond politique, mais despote avide et cruel, sans foi, sans scrupule et sans pitié, Philippe le Bel, entouré d’avides banquiers et d’impitoyables légistes, accomplit avec une inflexible rigueur la transformation de la monarchie féodale et « précipita violemment la royauté vers le pouvoir absolu » (Guizot), évolution nécessaire à la constitution de l’unité française, mais qui fut accompagnée d’actes si révoltants, que les colères nationales poursuivirent jusque dans la tombe l’instrument détesté de réformes dont la haute portée ne fut comprise que quelques siècles plus tard. Un des premiers actes législatifs de Philippe fut de régler les droits et les devoirs de la bourgeoisie des villes (1287). Par une autre ordonnance, il exclut les ecclésiastiques du parlement et des tribunaux, défendit (1288) qu’aucun juif fût arrêté sur la simple réquisition d’un moine, limita (1291) la faculté qu’avaient les ecclésiastiques d’absorber par legs ou donations les terres du royaume, et réprima l’usure à laquelle se livraient les marchands italiens établis en France. Après cinquante années de paix entre la France et l’Angleterre, une rixe de matelots amena une rupture (1293), et Philippe s’empara de la Guyenne. Cette guerre ne se termina qu’en 1299, par le traité de Montreuil, par lequel Philippe donnait sa fille Isabelle en mariage au fils d’Édouard, avec la Guyenne pour dot, à la condition que le prince reconnaîtrait la suzeraineté de la France. Cette guerre fut suivie de la conquête de la Flandre, dont le comte avait pris parti pour l’Angleterre. Mais la tyrannie et les exactions du gouverneur français déterminent la révolte des Flamands (1302), qui écrasent la présomptueuse noblesse française à la célèbre bataille de Courtrai et suspendent 4, 000 éperons de chevaliers aux voûtes de leur cathédrale. Philippe, qui était au plus fort de ses violents démêlés avec le pape Boniface VIII, redouble d’énergie et prend les mesures les plus violentes pour remédier à sa constante pénurie d’urgent ; il oblige ses sujets à porter au Trésor leur vaisselle d’or et d’argent, donne des ordres secrets pour la falsification des monnaies (ce qui les fit tomber à la moitié de leur valeur nominale, dès que cette supercherie fut connue), établit de nouveaux impôts et des maltôtes, force des serfs à acheter une prétendue liberté, vend la noblesse à des roturiers, etc. Il rentre en campagne à la tête d’une puissante armée (1302) ; mais, malgré les brillants succès de Lille et d’Arques (1303), malgré la Victoire navale de Ziericksee et la déroute des communes flamandes à la journée de Mons-en-puelle (1304), il se voit obligé de traiter, reconnaît l’indépendance de la Flandre, sauf le lien féodal, et conserve Lille, Douai, Orchies et Valenciennes (1305). C’est pendant cette guerre de Flandre qu’éclata la célèbre rupture entre le pape et le roi de France. Celui-ci, à bout de ressources, avait voulu lever des subsides sur le clergé et faire prévaloir le principe de ses légistes, « que les clercs doivent servir par des subsides le pays qu’ils ne peuvent servir par les armes. » Le clergé défendit ses intérêts menacés avec l’âpreté égoïste qui le distingue. Boniface lança plusieurs bulles violentes contre Philippe et finit par l’excommunier et mettre le royaume en interdit. Le roi passa outre, fit brûler la bulle Ausculta fili (1302) par les états généraux de la noblesse, du clergé et de la bourgeoisie, convoqués alors pour la première fois. « Ces états généraux de Philippe le Bel ont été l’ère nationale de la France, son acte de naissance. » (Michelet.) Tous les ordres du royaume se soulevèrent avec une patriotique unanimité contre cette prétention du pape de faire de la France un fief du saint-siége. La querelle s’envenima de plus en plus et Philippe finit par envoyer en Italie son chancelier Nogaret pour enlever le pape et le conduire à Lyon, où il se proposait de le faire juger par un concile (v. Boniface). Après la mort de ce pontife et celle de Benoît XI, son successeur (1303-1305), le roi consomma l’abaissement du saint-siège en y faisant parvenir une de ses créatures (v. Clément V), qui lui était asservie par des conventions secrètes. Libre de ce côté, et tout en poursuivant le procès contre la mémoire de Boniface, qu’il voulait faire condamner comme hérétique, il se livra à tous les excès d’une insatiable cupidité. Dans le cours de l’année 1305, il altéra cinq fois les monnaies ; en 1306, il dépouilla les juifs de tous leurs biens et les chassa de France. De nouvelles altérations de monnaies déterminèrent des séditions dont il ne triompha qu’en multipliant les supplices. Mais ce fut surtout dans le procès célèbre des templiers que se dessina son caractère cruel et cupide. Ayant obtenu du pape la suppression de cet ordre, il en fit arrêter tous les membres, sous un prétexte banal d’hérésie, mais en réalité pour s’emparer de leurs immenses richesses, et fit commencer contre eux le procès le plus inique dont l’histoire fasse mention, et qui se termina par une longue série de supplices (v. templiers). Philippe le Bel termina son règne en faisant brûler un nombre immense d’hérétiques et de sorciers. « À ses attaques contre les papes, on l’aurait pris pour un esprit fort ; son intolérance seule prouvait son orthodoxie. » (Sismondi.) Son ordonnance (1313) pour empêcher les seigneurs de battre monnaie, ses exactions, ses maltôtes soulevèrent contre lui nobles et communes, et il mourut flétri du surnom de Faux-monnayeur, et au moment où toutes ces colères accumulées allaient éclater en révoltes formidables (1314). Ses derniers moments avaient encore été assombris par une tragédie domestique. Deux gentilshommes normands, Philippe et Gautier d’Aulnay, complices des désordres des belles-filles du roi, avaient été, par son ordre, écorchés vifs, mutilés et pendus, pendant que les princesses étaient outrageusement rasées et plongées dans un cachot, où l’une d’elles, Marguerite de Bourgogne, femme de Louis le Hutin, fut étranglée peu de temps après, par ordre de son époux. Philippe le Bel réunit à la France plusieurs provinces considérables (la Flandre française, le Quercy, la ville de Lyon, la Navarre, etc.), créa l’ordre judiciaire, abaissa la féodalité et la puissance ecclésiastique, protégea l’Université, rendit sédentaire le parlement de Paris, prépara l’unité et la centralisation modernes, accomplit enfin de grandes choses, mais avec des moyens que la morale réprouve et dans le seul but d’augmenter les prérogatives royales. « Ce prince, continuateur violent de saint Louis, compléta, dit M. Mignet, ses établissements judiciaires. Il fit plus. Saint Louis avait ordonné que sa monnaie eût cours dans les terres des barons ; Philippe le Bel suspendit le droit que les barons avaient d’en faire battre eux-mêmes ; saint Louis avait soustrait le clergé de France aux excès du pouvoir de la cour de Rome par sa Pragmatique sanction ; Philippe le Bel rendit en quelque sorte le saint-siége dépendant de la couronne par sa victoire sur Boniface VIII. Jaloux de l’autorité qui lui avait été transmise et de celle qu’il y avait ajoutée, il osa le premier employer la formule : « Par la plénitude de la puissance royale. » Pour diminuer l’aliénation des domaines acquis, il restreignit les apanages aux seuls héritiers mâles, ce qui devait les faire revenir plus tôt à la couronne et empêcher qu’ils ne tombassent, par les femmes, dans des maisons étrangères ou ennemies. Il créa dix clercs du conseil de France. Enfin il ébaucha le nouveau système financier de la nouvelle monarchie par la création des impôts indirects sur les consommations… Philippe le Bel essaya de procurer à la monarchie des moyens pécuniaires plus stables. Comme le commerce avait acquis du développement, il établit des bureaux de douane sous un maître des ports et passages de France, et soumit les denrées et les marchandises exportées au payement de 7 deniers pour livre du prix (1/32). Il mit aussi un impôt sur le sel. Toutes ces rentrées nouvelles ne lui suffisant pas, il fut obligé de recourir aux diverses classes de l’État pour leur demander des subsides, qu’il eût été dangereux de lever sans qu’elles les eussent accordés. Il convoqua donc les nobles, les ecclésiastiques et les bourgeois, soit du nord, soit du midi du royaume, en assemblées publiques, et organisa ainsi les états généraux de France et de Languedoc. »

Philippe le Bel (CHRONIQUE MÉTRIQUE DE), par Godefroy de Paris (XIVe siècle). Elle commence en l’an 1380 et s’arrête en 1316. Ce n’est pas précisément de l’histoire versifiée, car l’auteur s’attache plus aux petits faits qu’aux grands. Cependant cette Chronique présente une sorte de résumé où les événements sont racontés au fur et à mesure qu’ils se produisent, sans autre lien que l’ordre chronologique. Aussitôt après le narré d’un démêlé de Philippe le Bel avec le pape, Godefroy raconte une émeute à la porte d’un boulanger. On n’a, du reste, aucun renseignement sur la personnalité de ce Godefroy de Paris, et M. Buchon, qui a publié la Chronique métrique dans la collection des Chroniques nationales (Panthéon littéraire, 1840, gr. in-8o), s’est borné à donner quelques éclaircissements sur l’œuvre. Elle débute ainsi :

En l’onnor de la Trinité,
Qui est une en déité,
Des mil et trois cents, cele année
Ai-je ma pensée ordonée,
Par quoi je puisse inne faire
Dont l’en sache les faits retraire,
Qui sont en ce monde advenus,
Ainsi com les ai retenus.

Godefroy rapporte tout au long les impressions populaires que provoquaient les démêlés de Philippe le Bel avec le pape, et il y mêle d’intéressants détails anecdotiques. Les affaires de l’Église le préoccupent beaucoup. Les cardinaux s’étant réunis en 1304, la veille de la Pentecôte, pour élire un pape, leur choix tomba sur l’archevêque de Bordeaux, et cette élection est amèrement critiquée par lui :

Car l’esleu cele journée
N’avait pas bonne renommée ;
D’en atrai (appelle) chacun a garant
Que l’en le tenait pour tyran,
Et félon et tout plein de maux.

Après l’élection, le nouveau pape alla à Lyon. Le roi de France, les seigneurs et un grand nombre de prélats « furent lui faire honneur, » et la chute d’un mur écrasa « un des plus prud’hommes de la compagnie, » le bon duc de Bretagne. Le pape resta deux mois à Lyon. Mais il avait un neveu qui mit beaucoup de désordre dans la ville, séduisant les filles et surtout les bourgeoises, si bien que les habitants en vinrent souvent aux mains avec les gens qui accompagnaient le pape ; on joua du bâton et même de l’épée. L’archevêque de Lyon ayant pris fait et cause pour ses ouailles et porté plainte au pape, celui-ci ne s’en émut, et ses gens redoublèrent de méfaits. L’archevêque, indigné du silence du pape, ordonna à ses bourgeois qu’ils eussent à se défendre et qu’ils n’en eussent peur. Godefroy raconte au long ces détails. Pour ce qui regarde Paris, et entre autres faits que nous apprend le poète, le pain fut très-mauvais en 1316, par la faute des boulangers, qui y mirent tant d’ordures que beaucoup de gens en périrent. Mais un homme, que notre chroniqueur appelle Roger Bontemps, signala le méfait des boulangers, dont quelques-uns furent pris et roués, et qui subirent dans les halles de rudes châtiments, pour être ensuite à tout jamais bannis du royaume. La Chronique finit à la mort du successeur de Philippe le Bel, Louis X, dit le Hutin, qui mourut cette même année, au bois de Vincennes, et, selon Godefroy, d’une maladie aiguë « qui souvent les saines gens tue. » Le roi aurait pris cette maladie en jouant à la paume. Étant en sueur, il descendit « dans une cave, » où il se lava à l’eau froide. Après cette imprudence, il se coucha pour ne plus se relever. Cet événement eut lieu le 4 juin 1316. Voici le jugement que porte sur ce roi notre chroniqueur : « Il était généreux et violent, mais il ne s’entendait pas bien à gouverner son royaume. » En mourant, il recommanda à ses oncles et à son frère de La Marche sa femme Clémence, qui était enceinte. Il reconnut, en même temps, une fille qu’il avait eue de son autre femme, la trop célèbre Marguerite de Bourgogne.