Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/PIC DE LA MIRANDOLE (Jean)

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Administration du grand dictionnaire universel (12, part. 3p. 935-936).

PIC DE LA MIRANDOLE (Jean), un des noms les plus célèbres parmi les adolescents qui se sont illustrés par la précocité de leur intelligence, né au château de la Mirandole, près de Modène, en 1463, mort en 1494. Il appartenait à une puissante famille patricienne originairement feudataire de l’État de Modène, qui s’était rendue indépendante vers 1312 et qui joua un rôle important dans le parti gibelin pendant les guerres civiles de l’Italie. Outre la Mirandole et plusieurs fiefs considérables, elle possédait les seigneuries de Concordia et de Quarentola. Dès son enfance, le jeune prince de La Mirandole se voua aux études les plus ardues avec un entraînement extraordinaire. La philosophie, les langues, la poésie, les mathématiques, la jurisprudence, la théologie, les recherches d’érudition, les sciences occultes même, furent les premiers et les seuls jeux de ce prodigieux enfant, chez qui la soif ardente du savoir n’était égalée que par la puissance d’assimilation et qui semblait devoir reculer les bornes de la connaissance humaine. On raconte qu’à l’âge de dix ans il était considéré comme le premier orateur et le premier poëte de son temps. Abandonnant à ses frères le gouvernement des fiefs patrimoniaux, il parcourut les plus célèbres universités de France et d’Italie, puisant la science à toutes les sources, apprenant la langue de tous les peuples (il en connut jusqu’à vingt-deux) et cherchant pour son nom féodal une illustration nouvelle, noble et légitime renommée, acquise par le plus opiniâtre travail, et devant laquelle pâlit le vain éclat de la puissance et des richesses. Personne, ni dans l’antiquité ni dans les temps modernes, n’a porté dans l’étude une ardeur plus passionnée ; nul n’a trempé des lèvres plus avides à la coupe du savoir ; il y but à longs traits et sans mesure, il y but jusqu’à l’enivrement ; car, après avoir parcouru le cercle des connaissances de son temps, il se plongea avec une folle ardeur dans l’étude des inepties de la cabale, de l’astrologie judiciaire et de l’Ars magna de Raymond Lulle. Mais c’était là l’esprit de l’époque ; et les plus nobles intelligences subissaient, comme la multitude, le joug des plus honteuses superstitions. À vingt-quatre ans (1486), il vint à Rome et adressa un audacieux défi aux savants de toute la terre en publiant une suite de 900 propositions sur tous les objets des sciences, qu’il s’engageait à soutenir dans des discussions publiques. Ce sont les fameuses thèses De omni re scibili, comme les nommait le ieune prince ; Voltaire ajoute et de quibusdam aliis ; et cette addition si connue est restée la critique la plus piquante des prétentions du jeune érudit. Ces thèses auraient aujourd’hui moins d’adversaires et moins d’admirateurs. Tout en témoignant des études immenses de l’auteur, elles accusent la fausse direction de la science contemporaine. Quoi qu’il en soit, de graves docteurs furent effrayés de cet appareil scientifique. Au lieu de se mesurer avec lui, ils le dénoncèrent à l’inquisition et firent condamner, par le pape Innocent VIII, treize de ses propositions comme entachées d’hérésie. Une chose singulière et qui montre l’ignorance des théologiens nommés pour examiner les thèses, c’est l’erreur de l’un d’entre eux qui croyait que la cabale était un nom d’hérétique qui avait écrit contre Jésus-Christ et dont les sectateurs avaient reçu le nom de cabalistes. La Mirandole publia une apologie pour justifier et défendre ses propositions ; mais ce ne fut qu’en 1493 que le pape Alexandre VI lui donna un bref d’absolution. Après la sentence qui le condamnait, découragé des agitations du monde et des fumées de la gloire, le prince de La Mirandole se retira dans un de ses châteaux près de Florence, où il acheva ses jours, entièrement livré à l’étude de la théologie et de la philosophie, qu’il voulait concilier. Il a beaucoup écrit, spécialement sur la philosophie et la théologie. Doué d’aptitudes extraordinaires, prodige de mémoire et d’étude, il ne fut cependant ni un penseur, ni un génie original et profond, et on ne cite de lui aucune de ces œuvres créatrices, aucune de ces grandes découvertes que semblaient promettre ses facultés. Ses travaux immenses et sa vaste intelligence avaient de bonne heure tari en lui les sources de la vie et il mourut âge seulement de trente et un ans, à Florence, le jour même où Charles VIII fit son entrée dans cette ville (1494). Tous ses contemporains ont rendu à sa mémoire cette justice que ses mœurs et sa vie furent aussi pures que son esprit était actif et pénétrant. Il reste de lui : Conclusiones philosophicæ, cabalisticæ et théologicæ (Rome, 1486) ; ce sont les 900 propositions ; Apologia J. Pici Miranadoli (1489), défense des 13 propositions censurées ; Disputationes adversus astrologiam divinatricem (Bologne, 1495) ; il s’y déclare contre l’astrologie judiciaire, mais contre celle pratiquée de son temps ; il en admettait une autre, l’ancienne, qui selon lui était la véritable, ; Epistolæ (Paris, 1499) ; ces lettres sont pleines d’esprit et d’érudition. Les œuvres de Pic de La Mirandole ont été réunies et publiées à Bologne (1496), à Venise {1498).