Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Paule Méré, roman de mœurs, de M. Victor Cherbuliez

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Administration du grand dictionnaire universel (12, part. 2p. 426-427).

Son père, négociant genevois, s’est remarié : la belle-mère a été dure pour cette fille d’actrice. La petite s’est échappée de la maison paternelle, et, avec le consentement de son père, qui n’avait pas le courage de la défendre contre sa marâtre, elle a trouvé asile et protection auprès de M. Bird et de sa digne sœur. Le pauvre Marcel subit le supplice d’entendre des commentaires fort peu édifiants sur cette histoire : le salon de sa mère est le rendez-vous de quelques bonnes calvinistes, flanquées de deux ou trois pasteurs ; on devine ce que devient dans leur bouche pieuse la fille d’une danseuse protégée par un hérétique ! Enfin, Paule revient ; elle raconte à Marcel sa vie, son enfance, le peu qu’elle sait de sa mère, dont elle garde avec une touchante vénération le seul souvenir qui lui reste, deux petites mules de danseuse. Marcel n’hésite plus : il annonce à sa mère son prochain mariage. Furieuse d’abord, la vieille dame demande enfin un délai de trois mois. Elle et ses amies comptent bien mettre ce temps à profit ; elles font si bien, à force de lettres anonymes et de menées souterraines, qu’elles parviennent à insinuer quelques soupçons à Marcel. Paule rompt avec lui. Il obtient une première fois son pardon, mais on travaille de nouveau son esprit flottant et inquiet. Un soir, il voit entrer dans la maison de M. Bird un homme qui semble se cacher avec soin. Aussitôt il écrit une lettre injurieuse à la jeune fille, qui lui renvoie son anneau de fiançailles. Un peu après, il apprend que ce mystérieux étranger était le père de Paule. Il court chez M. Bird : la maison est vide. Il ne retrouve Paule qu’à Venise, où elle est dangereusement malade. Tant de soupçons et d’outrages ont tué son amour et peut-être aussi sa frêle existence. Marcel passe du désespoir à la folie, et la lettre de M. Bird, qui clôt le volume, nous laisse ignorer si ces deux infortunés survivront à tant de douleurs. — Ce roman, où M. Cherbuliez a déployé toutes les ressources d’un style très-souple et très-riche, se recommande à la fois par de belles analyses psychologiques, par des morceaux pleins de fraîcheur et de sentiment et par une peinture des mœurs genevoises très-fine et très-piquante, trop piquante même au jugement des Genevois.