Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Provençale (LA), roman de Regnard

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Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 1p. 322).

Provençale (la), roman de Regnard (1731, in-12). Regnard a raconté dans ce roman, qui ne fut imprimé qu’après sa mort, des aventures invraisemblables qui pourtant furent les siennes ; c’est le seul livre qui jette quelque lumière sur une période très-obscure de sa vie, celle eu, parti de Gènes avec sa maîtresse et le mari de celle-ci, ils furent capturés tous les trois par des corsaires barbaresques et emmenés en captivité à Alger. La dame, dont il avait fait connaissance à Bologne, était Provençale ; d’où le titre du roman. C’est sous ce nom qu’il la désigne, ou parfois sous celui d’Elvire ; quant au mari, il l’appelle de Prade, etlui-meinesedonnele nom de Zelmis. Il est assez difficile de distinguer la part qu’il faut faire à la fiction dans ce récit, mais le fond est vrai et les principales péripéties n’ont probablement été qu’enjolivées. Regnard, qui aurait pu faire une relation véridique très-curieuse de son séjour à Alger, a tout gâté en voulant se donner un vernis romanesque. Il observe scrupuleusement toutes les règles de l’ancien roman. Comme il est le héros du livre, il commence par faire son portrait et voici comme il se peint:« Zelmis est un cavalier qui plaît d’abord ; c’est assez de le voir une fois pour le remarquer, et sa bonne mine est si avantageuse, qu’il ne faut pas chercher avec soin des endroits dans sa personne pour le trouver aimable ; il faut seulement se défendre de le trop aimer. » Tous les personnages sont montés au ton de l’héroïsme ; la belle Provençale a bien plutôt la dignité romaine que la vivacité marseillaise ; elle impose d un coup d’osil à Mustapha, le chef des pirates, qui a pour elle tout le respect que des corsaires africains ont toujours pour de jeunes captives. Le dey d’Alger se trouve au port à la descente des captifs et ne manque pas de devenir tout d’un coup éperdument amoureux d’Elvire. Il la mène dans son harem, où ses rivales frémissent de jalousie. Toujours Adèle à son amant, elle se refuse à toutes les instances du dey, qui, de son côté, ne brûle pour elle que de l’amour le plus pur et le plus respectueux. Elle parvient même à voir son amant, qui exerce dans Alger la profession de peintre, avec la permission de son maître. Ils concertent tous les deux les moyens de s’enfuir et ils en viennent à bout ; mais par malheur ils sont rencontrés sur mer par un brigautin d’Alger qui les ramène. Baban-Hassa, le dey, ne se fâche point du tout de la fuite de la belle captive ; il unit même par lui rendre la liberté, comme il convient à un amant généreux. Elle retrouve le beau Zelmis, dont la vie et la fidélité ont aussi couru les plus grands dangers. Deux ou trois.favorites de son maître sont devenues folles de l’esclave ; il fait la plus belle défense ; mais pourtant, surpris avec une d’elles dans un rendez-vous très-innocent, il se voit sur le point d’être empalé ; heureusement le consul de France interpose son crédit et le délivre. On arrive k Arles, dans la famille de la dame, dont le mari est resté en captivité. Les deux amants sont près de célébrer leurs noces, quand le retour imprévu du mari’, supposé mort et délivré k contretemps par les religieux de la Merci, vient séparer pour toujours Elvire et Zelmis. En réalité, il parait que Zelmis, ou Regnard, était tout simplement marmiton et non peintre; ses talents culinaires avaient été fort appréciés du bon musulman qui l’avait acheté au marché et ils lui épargnèrent une captivité trop rigoureuse. Quant à l’aventure du harem, qui faillit lui coûter la vie, ses biographes s’accordent à la croire véritable.