Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/RÉVOLUTION FRANÇAISE — TROISIÈME SECTION. La Convention. La République

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Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 3p. 1117-1118).
TROISIÈME SECTION.
La Convention. La République.

La Révolution française entre dans sa période décisive ; les deux premières assemblées avaient en réalité préparé la chute du trône ; elles avaient rendu la république inévitable dans un temps donné. Mais ce qui contribua plus sûrement encore à ce résultat, ce furent les trahisons du roi et de la cour, la connivence notoire avec l’ennemi. Les élections se firent sous cette impression ; toutes les assemblées primaires et électorales se prononcèrent avec une formidable unanimité contre la monarchie, et quand la Convention, armée de pleins pouvoirs, se réunit le 21 septembre 1792, il n’y eut ni hésitation ni débats. Sur un mot énergique de Grégoire, évêque constitutionnel de Blois, la nouvelle assemblée se leva tout entière, et d’une seule acclamation décréta l’abolition de la royauté, l’établissement de la république.

Le lendemain, comme nous l’avons dit plus haut, arrivait la nouvelle du succès de Valmy, l’ère républicaine s’ouvrait sous un rayon de gloire, qui fut comme le prélude des triomphes éclatants de la France plébéienne et démocratique sur les rois et les aristocraties de l’Europe.

Le premier résultat de l’affaire de Valmy fut une suspension d’armes. Dumouriez entama des pourparlers avec l’ennemi, dans le but de détacher la Prusse de l’Autriche et de gagner du temps pour renforcer son armée. Le général Westermann, l’homme de confiance de Danton, fut autorisé secrètement à suivre ces négociations, dont on n’a jamais bien connu les détails. Le roi de Prusse fit une quasi-promesse de paix séparée, et Dumouriez, par une convention tacite, laissa les Prussiens se retirer lentement, ne les poursuivant que pour la forme, quand il aurait pu les écraser, dans le désarroi et la désorganisation où ils étaient. Cette idée d’une paix plâtrée, comme on disait alors, était une faute énorme, que Dumouriez dut reconnaître (si déjà il ne suivait un plan suspect), quand il vit que le roi de Prusse, une fois hors de danger sur la Meuse, et ne s’étant lié par aucune garantie, refusa de se séparer de l’Autriche et manifesta l’intention de garder ce qu’il nous avait enlevé. Ce ne fut que contraint par les événements qu’il évacua Verdun le 13 octobre et Longwy le 22. Dumouriez commit encore d’autres fautes, entraîné par son idée d’attaquer la Belgique.

Il en obtint l’autorisation et il poussa ses préparatifs d’invasion avec activité.

Dans l’intervalle, Lille soutenait héroïquement un siège et un bombardement et décourageait par sa constance les attaques de l’ennemi, qui dut se retirer (8 octobre).

D’ailleurs, les généraux en chef, tous d’ancien régime, comme les états-majors et l’administration militaire, par leurs divisions, par leurs prétentions d’agir à leur volonté, par le mépris qu’ils témoignaient pour les volontaires nationaux et par leurs préventions contre le régime républicain, nuisaient à l’ensemble des opérations et causaient des embarras continuels.

Tous imitaient l’indépendance de Dumouriez.

À l’armée des Alpes, l’ex-marquis de Montesquiou n’envahissait que contraint la Savoie, qui se donnait à nous d’enthousiasme, sans combat, et qui, le 21 octobre, allait voter par la voix des députés de toutes ses communes, sa réunion à la République. Il transigeait avec Genève, malgré les ordres qu’il avait reçus.

Danselme, commandant de l’armée du Var, se rendait en quelque sorte indépendant à Nice et frappait Gênes d’une contribution de 6 millions, juste au moment où nous recherchions l’alliance des Génois.

Sur le Rhin, aucune entente entre Biron, Custine et Kellermann. Ils avaient mission de rejeter l’ennemi par delà le fleuve ; mais Biron-Lauzun se tenait immobile à Strasbourg et même conférait avec un agent du roi de Prusse, Heymann.

Custine, impatient de l’autorité de Biron, et voulant se signaler par quelque succès personnel, quittait ses quartiers de Landau et poussait une pointe jusqu’à Mayence, qu’il occupa presque sans coup férir. Conquête facile ; car à la seule vue du drapeau tricolore toutes les mains se tendaient, tous les cœurs étaient entraînés. Ici, ce n’est plus la force qui conquiert, c’est l’esprit. La jeune liberté française apparaissait aux peuples comme un lever de soleil, et la prétendue conquête était pour eux un affranchissement.

Custine pouvait facilement suivre le Rhin, occuper Coblentz avant l’arrivée de Brunswick et porter un coup terrible à l’armée prussienne. Mais il préféra se jeter sur Francfort (27 oct.) pour rançonner ses opulents banquiers ; singulier moyen pour populariser les idées françaises.

Les autres généraux et leurs lieutenants n’agissaient pas avec beaucoup plus d’ensemble, et d’autant plus que beaucoup étaient royalistes. Mais le prestige de la Révolution était si puissant, qu’il contre-balançait les fautes commises. Partout nous reportions successivement la guerre sur le territoire ennemi, et partout nous obtenions des succès malgré l’insuffisance de notre organisation militaire.

Dumouriez rentra en campagne le 28 octobre, se porta sur Mons et remporta, le 6 novembre, la brillante victoire de Jemmapes. Le 14, il entrait dans Bruxelles aux acclamations des habitants. Le 26, Anvers était à nous, puis Liège (28 nov.), Namur (2 déc), Aix-la-Chapelle (16 déc).

Cette campagne, commencée dans les plus mauvaises conditions, par l’invasion étrangère, se terminait pour nous par la réunion de la Savoie et de Nice et par l’occupation de la Belgique et d’une partie des provinces rhénanes.

D’après les décrets de la Convention, les Français proclamaient partout la souveraineté du peuple, l’abolition des droits féodaux et des servitudes de toute nature, le droit imprescriptible et sacré des citoyens, en même temps qu’ils réprouvaient la brutalité des conquêtes par la force : infaillible moyen de conquérir les âmes.

« Le droit, nous dit Michelet en son magnifique langage, le droit marcha aux redoutes et les emporta. Il entra avec les nôtres dans les rangs des vaincus. La liberté, en les frappant, les émancipa, elle en fit des hommes libres. La France sembla avoir frappé moins sur eux que sur leurs fers. Les Belges furent affranchis d’un coup. Les Allemands firent leurs premiers pas dans une carrière nouvelle ; leur défaite de Jemmapes fut l’ère de leurs libertés... L’épée dont frappait la France, au lieu de blesser, guérissait les peuples. Touchés du fer, ils s’éveillaient, remerciaient le coup salutaire qui rompait leur fatal sommeil, brisait l’enchantement déplorable où, pendant plus de mille années, ils languirent à l’état de bêtes à brouter l’herbe des champs. »

À l’article Convention nationale, nous avons amplement raconté la vie de la grande assemblée, son origine, sa composition, son organisation intérieure, enfin ses divisions intestines, les luttes tragiques et grandioses qui remplissent son histoire. Nous avons donné à ce grand sujet tous les développements qu’il comporte, dans la plus large mesure que nous permet notre cadre. Nous ne pouvons donc ici refaire ce récit, qui est celui de la Révolution même pendant cette période mémorable, au moins de ses principaux événements. Nous répéterons à cette occasion ce que nous avons dit en commençant, que cette esquisse de la Révolution française, indispensable pour donner une idée de la suite et de l’ensemble, ne pouvait avoir, nécessairement, que le caractère d’un résumé rapide, sans faire double emploi avec les articles spéciaux. Ceux-ci sont en nombre considérable dans le Grand Dictionnaire, et placés à leur ordre alphabétique. Biographies, événements, journées, épisodes, institutions, assemblées, batailles, sièges, etc., tout s’y trouve, ou du moins nous avons fait tous nos efforts pour n’omettre rien d’essentiel, rien de ce qui peut offrir un intérêt historique, même épisodique ou simplement pittoresque.

Cette méthode était rigoureusement indiquée, et pour faciliter les recherches sur tel ou tel sujet, et pour pouvoir donner plus de développement à chaque question particulière, et pour ne pas surcharger le résumé général de digressions sans nombre et sans fin.

En résumé, l’article Convention nationale étant d’une grande étendue, pour éviter les redites, nous passerons plus rapidement encore sur cette partie, en y renvoyant le lecteur, ainsi qu’aux notices sur les girondins, les montagnards, les journées du 31 mai 1793, du 9 thermidor an II, du 1er prairial an III, du 13 vendémiaire, sur les constitutions de 1793 et de l’an III, et sur d’autres détails qui pouvaient faire l’objet d’un article spécial.

On sait que la Convention était née divisée ; dès sa constitution, elle se partagea entre les girondins, qui tenaient encore le premier rang, et les montagnards, qui bientôt allaient dominer. La lutte éclata aussitôt et se poursuivit avec une passion et une injustice égales de part et d’autre, soit dans la presse, soit au sein de l’Assemblée.

La Montagne avait pour elle Paris, la Commune, le parti populaire et les jacobins les plus ardents ; la Gironde s’appuyait sur les administrations, sur les républicains plus modérés et sur les départements. Elle forma la droite de la Convention, comme les constitutionnels l’avaient formée dans la Législative, après avoir été la gauche de la Constituante ; évolution naturelle qui marquait la marche en avant de la Révolution.

Ce duel tragique, qui fut si funeste à la république, se termina par la révolution des 31 mai-2 juin 1793, chute, puis proscription des girondins, qui avaient en vain tenté de soulever la province contre la Convention et Paris.

Les montagnards furent dès lors maîtres de l’Assemblée et rallièrent la majorité à leur politique, ou dominèrent les députés du centre (Plaine, Marais).

Avant cette grande scission, quoique entravée par ses déchirements intérieurs, la Convention avait pris avec éclat possession de la scène et poursuivi l’œuvre de la défense et de la réorganisation du pays ; en même temps qu’elle s’occupait des armées et des mille détails de la guerre, des complots de l’intérieur, de la question poignante des subsistances, de l’instruction publique, de l’élaboration des institutions politiques, etc., elle décrétait la mise en accusation de Louis XVI, comme pour répondre à la coalition monarchique ; elle déclarait la guerre a l’Angleterre, qui nous enveloppait de ses intrigues, soudoyait nos ennemis, et qui venait de chasser notre ambassadeur (1er févr. 1793) ; elle décrétait une levée de 300,000 hommes et envoyait dans les départements et aux armées d’énergiques commissaires, avec pleins pouvoirs pour agir ; elle instituait (10 mars) le tribunal révolutionnaire, pour juger sans appel les conspirateurs royalistes et les traîtres (l’Ouest était déjà soulevé) ; elle réorganisait les finances et donnait pour gage à une nouvelle émission d’assignats les biens des émigrés ; elle travaillait à la refonte de l’armée, d’après les idées de Dubois-Crancé ; elle préparait la création du Muséum, etc.

Cependant le ministre anglais Pitt travaillait à reformer rapidement contre nous une immense coalition, qui s’augmenta successivement de tous les rois de l’Europe. L’expédition aventureuse de Dumouriez en Hollande, qui s’affaiblit en dispersant ses forces ; la perte d’Aix-la-Chapelle et de Liège, la défaite de Nerwinde, qui entraînait la perte de la Belgique ; la trahison de Dumouriez, les complots royalistes sans cesse renaissants, les effroyables massacres de patriotes dont ces contrées à demi sauvages étaient le théâtre, les formidables préparatifs de la coalition augmentaient le péril d’heure en heure. La France se sentait de nouveau enveloppée, menacée de mort. Une telle situation exigeait des remèdes énergiques, et c’est pour faire face à ce danger suprême que la Convention fut amenée, alors et successivement, à prendre les mesures de salut public qu’on lui a si amèrement reprochées, sans tenir compte des circonstances.

Après le 31 mai, la Convention, délivrée de ses luttes intestines, montra un redoublement de décision et d’énergie. Elle élabora la Constitution de 1793, dont l’application fut d’ailleurs suspendue jusqu’à la paix, pour laisser libre, en cette crise suprême, l’action du gouvernement révolutionnaire. Elle avait à faire tête à tous les périls ; les frontières étaient entamées, l’insurrection vendéenne devenait formidable ; Lyon était soulevé contre la République ; la Provence et une partie du Languedoc étaient en pleine révolte ; enfin la Fiance était enfermée dans un cercle de fer et de feu.

La grande Assemblée fit face à tout, et la grandeur de ses efforts pour sauver l’indépendance nationale fut égalée par la puissance de ses créations dans toutes les parties de l’administration publique, instruction, finances, sciences, lettres, beaux-arts, institutions civiles, etc.

Mais, en même temps, des efforts si énergiques, des nécessités si cruelles, au milieu de combats acharnés, avaient amené le régime de la terreur et rallumé de nouvelles discordes dans le sein de la Convention et au dehors. Un parti de révolutionnaires ardents, qu’on nomma avec plus ou moins de justesse les hébertistes, appuyé sur la Commune de Paris et les sections, voulait pousser énergiquement la Révolution et en outre la lancer dans les voies philosophiques. Au commencement de novembre 1793, ils déterminèrent le grand mouvement anticatholique, la déprêtrisation, et firent remplacer le culte par les fêtes de la Raison.

Robespierre frappa ce parti, en mars 1794, dans la personne de ses principaux chefs, qui furent envoyés à l’échafaud (Cloots, Gobel, Chaumette, Hébert, etc.).

Bientôt les dantonistes, qui d’ailleurs avaient contribué à la proscription des hébertistes, furent à leur tour accusés d’une prétendue conspiration de la clémence et livrés au tribunal révolutionnaire, puis au supplice (5 avril, Danton, Desmoulins, Philippeaux, Hérault de Séchelles, Basire, etc.).

Robespierre et son parti exercèrent alors sans contre-poids une irrésistible domination ; maîtres de toutes les grandes forces révolutionnaires, ils tendaient visiblement à la dictature ; du moins la force des choses les y précipitait. Mais les débris des partis qu’ils avaient si cruellement écrasés devaient fatalement se réunir contre eux, d’autant plus qu’ils se sentaient menacés de nouvelles proscriptions.

Les animosités s’avivèrent encore quand on vit Robespierre compléter la réaction religieuse qu’il avait déterminée en s’érigeant en quelque sorte en pontife dans sa fête solennelle à l’Être suprême (20 prairial an II, 8 juin 1794).

La Convention voyait s’élever une tyrannie nouvelle, mais elle était terrifiée. Cependant, peu de temps après, à la suite de nouvelles crises, il y eut une explosion, et Robespierre fut renversé avec ses amis dans la journée fameuse du 9 thermidor (27 juillet) et livré à l’échafaud, où il avait lui-même envoyé ses adversaires.

Ainsi, le mot de Vergniaud se vérifiait, et la Révolution, comme Saturne, dévorait tous ses enfants, et finalement ce sont ces funestes divisions qui l’ont momentanément perdue.

Néanmoins, au milieu de tant de scènes tragiques, la République, par un miracle de vitalité, triomphait successivement de ses ennemis. Si la guerre de Vendée s’éternisait, mêlée de succès et de revers, Lyon avait été repris sur les contre-révolutionnaires (9 oct. 1793), Toulon sur les Anglais et les royalistes (19 déc), la plupart des mouvements insurrectionnels domptés. Le comité de Salut public préparait tous les moyens de défense ; au prix d’efforts prodigieux, Carnot, par ses savantes combinaisons, « organisait la victoire » suivant un mot bien connu. La victoire de Wattignies, le déblocus de Maubeuge, la défaite de l’armée vendéenne à Cholet, son anéantissement à Savenay, par Marceau, le déblocus de Landau et l’occupation des lignes de Wissembourg, par Hoche (qui nous rendaient l’Alsace et rejetaient l’ennemi au delà du Rhin), marquèrent la fin de la campagne de 1793.

Pendant que nos colonies étaient conquises ou ravagées par les Anglais, la France faisait les plus grands efforts pour relever sa marine et soutenir une lutte inégale sur mer. L’action la plus importante de cette période fut cette bataille navale du 13 prairial an II (1er juin 1794), où l’équipage du Vengeur renouvela sur l’Océan la sublime constance de Léonidas.

Cette campagne de 1794 ne fut pas moins brillante que la précédente. Dugommier triomphait sur la frontière espagnole ; nous étions vainqueurs dans les Alpes, du mont Blanc jusqu’à la mer, dans les Pays-Bas, en Hollande, sur le Rhin, etc. ; nous eûmes, il est vrai, quelques revers partiels, mais sans importance réelle.

Au lendemain du 9 thermidor, une ère nouvelle s’ouvre ; la marche ascendante de la Révolution s’arrête et elle va rouler maintenant sur la pente opposée. Robespierre et son parti avaient préparé les voies à la réaction, l’avaient en réalité inaugurée, en anéantissant toutes les forces révolutionnaires ; c’est la contre-révolution maintenant qui, par la force des choses, va déborder, exercer le terrorisme de la modération, sous le prétexte de punir les terroristes. C’est cette période qu’on a nommée la réaction thermidorienne. Elle s’étend de juillet 1794 jusqu’à la fin de la session.conventionnelle (octobre 1795.)

Nous en avons donné le précis à l’article Convention.

Les thermidoriens se divisaient en divers groupes ; c’était une coalition de tous ceux qui se sentaient menacés par la tyrannie du robespierrisme. Il y avait d’abord les anciens amis de Danton, les Tallien, les Legendre, les Fréron et autres ; puis les révolutionnaires avancés, Collot d’Herbois, Billaud-Varennes et autres montagnards ; enfin les hommes de la Plaine. Ces derniers, comme toujours, n’avaient fait que suivre l’impulsion des hommes d’action ; mais ce sont eux qui bientôt vont prendre la tête du mouvement.

Les girondins avaient régné, après les constitutionnels, puis les montagnards ; maintenant la décadence commence, et le pouvoir va retomber aux mains des hommes de la Plaine, les Sieyès, les Boissy d’Anglas, etc. Les thermidoriens purs seront bientôt débordés ; les survivants de la Montagne lutteront avec énergie, décimés à chaque événement par de nouvelles proscriptions ; mais le courant est irrésistible. C’était encore la République ; car, même parmi les réacteurs les plus passionnés, parmi les hommes les plus pâles de la Plaine et du Marais, à part quelques-uns qui n’osaient s’avouer, la royauté restait encore un objet de haine et d’horreur.

Mais le spectre du royalisme réapparaissait pour profiter des fautes et des divisions des révolutionnaires. De toutes parts la faction relevait la tête ; Lyon et tout le Midi étaient ensanglantés de ses excès ; la terreur blanche commençait, plus violente et plus cruelle que l’autre. En même temps renaissaient les mœurs de la monarchie, autre réaction à l’austérité des temps révolutionnaires ; l’ancienne société (en ses détritus) prenait à sa manière sa revanche, par la restauration du jeu, de la prostitution, de la spéculation effrénée, etc.

C’était le prélude du Directoire.

La réaction, qui se précipitait, non moins que la pénurie publique, causée par le débordement de l’agiotage, les accaparements, la dépréciation des assignats, causa des explosions populaires, derniers efforts du parti montagnard et patriote (12 germinal, 1er prairial an III) ; mais ces mouvements avortés ne faisaient qu’activer la marche de la contre-révolution et servaient de prétexte à de nouvelles mises en accusation de représentants montagnards et de patriotes.

Cependant, au milieu de ces déchirements intérieurs, un spectacle admirable pouvait consoler l’âme des citoyens. Les jeunes armées de la République poursuivaient le cours de leurs triomphes sur la coalition des rois. Jourdan, Pichegru, Kléber, Moreau et cent autres s’illustraient par des victoires. Le territoire était délivré et nos armées étaient en Belgique, en Hollande, dans le Palatinat, dans la Catalogne, la Biscaye, etc.

Toutefois, la guerre de Vendée s’était rallumée et durait toujours, et la chouannerie s’étendait dans la Bretagne et la Normandie. Mais la République remporta une victoire éclatante à Quiberon (18 juillet 1795), où Hoche écrasa les chouaus, les émigrés et les Anglais.

Cependant, la constitution de 1793 continuait à dormir oubliée, malgré les réclamations des patriotes qui en demandaient l’application ; le gouvernement révolutionnaire était comme périmé, et l’on ne savait trop sous quel régime légal on vivait. Sous le prétexte de compléter en la révisant la constitution montagnarde, l’Assemblée en accomplit l’escamotage par l’élaboration de la constitution de l’an III. Le pouvoir législatif était divisé en deux chambres (Cinq-Cents, Anciens) et le pouvoir exécutif confié à un Directoire composé de cinq membres. Le cens, les conditions d’âge, etc., étaient rétablis.

Pour ménager la transition, des décrets complémentaires prescrivirent que les deux tiers de la Convention entreraient dans les conseils. Cette constitution fut acceptée par les assemblées primaires à une grande majorité.

Les royalistes, se croyant maîtres de Paris après tant de réactions et de proscriptions, dominant d’ailleurs dans les sections et la garde nationale, tentèrent une insurrection le 13 vendémiaire an IV (5 octobre 1795), mais furent écrasés par l’artillerie de Bonaparte et les patriotes.

Dans ce dernier acte d’énergie, la Convention, vieillie, épuisée, mutilée par tant de proscriptions, dominée dès lors par ce qu’on nommait autrefois les « crapauds du Marais », restait néanmoins fidèle à sa volonté de fonder la République. Mais hélas ! la conception en était bien altérée.

Cette assemblée, qui avait accompli tant de choses grandes et terribles en sa virilité, se sépara le 4 brumaire an IV (26 octobre 1795), pour faire place au nouveau régime politique qu’elle avait fondé.