Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/RABAUT (Jean-Paul), dit Rabaut-Saint-Étienne, homme politique français, fils aîné du précédent

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Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 2p. 586-587).

RABAUT (Jean-Paul), dit Rabaut-Saint-Étienne, homme politique français, fils aîné du précédent, né à Nîmes en 1743, exécuté à Paris le 5 décembre 1793. Son enfance s’écoula au milieu des plus orageuses tribulations, entre une mère menacée d’être ensevelie dans les cachots de la tour de Constance et un père dont la tête était mise à prix. Envoyé à Genève, puis à Lausanne, pour se préparer au ministère évangélique, le jeune Rabaut eut pour professeur Court de Gébelin, qui resta toujours son ami. De retour en France, il fut nommé pasteur à Nîmes en 1765. « La douceur de ses mœurs, dit Boissy d’Anglas, la bonté de son caractère, les agréments de son esprit lui attirèrent bientôt un grand nombre de partisans et une honorable célébrité. Son éloquence était onctueuse et nourrie des principes et de l’esprit des livres sacrés, dont les orateurs protestants font toujours un fort grand emploi ; il prêchait constamment, et à l’exemple de son père, la soumission et la fidélité au roi et la morale la plus touchante et la plus pure… Il y avait dans sa manière de penser et d’écrire quelque chose du précieux talent de Massillon, qu’il admirait beaucoup et qu’il étudiait sans cesse. » L’ère des persécutions contre les protestants touchait à son terme ; déjà les édits rigoureux n’étaient plus exécutés. Rabaut se rendit à Paris en 1785, pour hâter, grâce à de puissantes protections, l’heure où la liberté de conscience serait enfin proclamée en France. Encouragé, accueilli avec distinction par les hommes les plus marquants de l’époque, Rabaut eut le bonheur de voir sa mission couronnée de succès ; l’édit de 1787 fut donné ; les protestants étaient à l’abri de la persécution. Rabaut était désormais un personnage considérable. Cependant les états généraux venaient d’être convoqués. Rabaut, qui, pendant son séjour à Paris, s’était fait une place parmi les savants, en publiant ses Lettres à Bailly sur l’histoire primitive de la Grèce (Paris, 1787), qui avait montré, par ses Considérations sur les droits et les devoirs du tiers état (1788), que les questions politiques ne lui étaient pas étrangères, fut élu, à Nîmes, député des états généraux. Il arriva à Paris précédé d’une très-grande réputation, et ses amis, dans leur bienveillance exagérée, l'élevaient comme orateur même au-dessus de Mirabeau.

Les états s’ouvrirent le 5 mai 1789. Dès le début, Rabaut soutint que la vérification des pouvoirs des trois ordres devait être faite en commun et fut nommé membre d’une commission chargée de chercher les moyens d’arriver à une pacifique entente. Depuis lors, il prit très-fréquemment la parole. Le 14 juillet, il présenta un projet de déclaration des droits qui se résumait en ces trois mots : liberté, égalité, propriété. Un des plus mémorables triomphes de Rabaut à la tribune de l’Assemblée nationale fut celui qu’il remporta, au mois d’août, malgré les efforts de ses adversaires, dans la discussion qui s’éleva au sujet de la motion du comte de Castellane, que nul ne doit être inquiété pour ses opinions religieuses ni troublé dans l’exercice de son culte. Ce jour fut celui du triomphe de la liberté de conscience en France. « Messieurs, dit-il, ce n’est pas la tolérance que je réclame, c’est la liberté. La tolérance ! le support ! le pardon ! la clémence ! idées souverainement injustes envers les dissidents, tant qu’il sera vrai que la différence de religion, que la différence d’opinion n’est pas un crime. La tolérance ! je demande qu’il soit proscrit à son tour, et il le sera, ce mot injuste qui ne nous présente que comme des citoyens dignes de pitié, comme des coupables auxquels on pardonne. L’erreur, messieurs, n’est point un crime ; celui qui la professe la prend pour la vérité ; elle est la vérité pour lui ; il est obligé de la professer et nul homme, nulle société n’a le droit de le lui défendre… Je demande donc, messieurs, pour les protestants français, pour tous les non-catholiques du royaume, ce que vous demandez pour vous : la liberté, l’égalité des droits. » La majorité de l’Assemblée applaudit à ce beau langage et, le 23 août, les lois d’exception qui frappaient les dissidents furent abolies. Lors de la discussion sur la sanction foyale, qui eut lieu le 29 août, Rabaut se prononça pour une monarchie tempérée. Il soutint ensuite la nécessité d’une chambre unique et permanente, que le roi ne pourrait point arrêter dans ses délibérations, et, dans la discussion qui s’engagea sur la nature du veto que le roi pourrait opposer aux décrets de l’Assemblée, il se prononça pour le veto suspensif, contrairement à Mirabeau, qui demandait le veto absolu.

Nommé président de l’Assemblée le 15 mars 1790, Rabaut s’occupa de l’organisation des gardes nationales et de la gendarmerie et plaida la cause des écrivains avec chaleur. En 1791, il proposa de créer les assignats de cinq livres et prit la parole au sujet de la réunion du Comtat-Venaissin à la France.

Lorsque l’Assemblée nationale eut terminé ses travaux, Rabaut-Saint-Étienne, rentré dans la vie privée, continua à rester à Paris. Il devint rédacteur en chef du Moniteur et composa son remarquable Précis de l’histoire de la Révolution française, « destiné à détruire les impressions qu’avaient cherché à répandre contre la France les ennemis de la liberté. » Le 30 septembre 1790, il avait fondé avec Cerutti la Feuille villageoise, accueillie avec faveur par le peuple et qui jouit d’un grand crédit.

Ses capacités politiques et le talent qu’il avait déployé à l’Assemblée nationale lui valurent à la Convention un siège qu’il n’avait pas ambitionné. Les électeurs de l’Aube le choisirent spontanément pour député (1792). Au mois de décembre, il présenta un projet de loi relatif à l’instruction nationale. Lors du procès de Louis XVI, il se prononça contre la compétence de l’Assemblée ; puis, tout en reconnaissant que Louis XVI était coupable, il vota l’appel au peuple, la détention et le bannissement à la paix. Le 23 janvier 1793, il succéda à Vergniaud comme président de la Convention. Rabaut, qui ne s’était rallié qu’assez tard à l’idée d’établir la république, se rangea dans le parti de la Gironde et s’éleva à diverses reprises contre les montagnards. Lorsque les girondins furent dispersés, Rabaut, décrété comme eux d’arrestation, se réfugia dans les environs de Versailles. Mis hors la loi le 28 juillet, il revint à Paris et trouva un asile, ainsi que son frère Rabaut-Pommier, chez des compatriotes, M. et Mme Payzac, qui étaient ses obligés. L’indiscrétion du menuisier qui avait construit leur cachette révéla le secret à Fabre d’Églantine, qui en donna connaissance au comité de Salut public. Le 4 décembre, Rabaut fut arrêté avec son frère et M. et Mme Payzac. Le lendemain même, sa tête tombait sur l’échafaud. Mme Rabaut se donna la mort en apprenant, par le crieur public, le sort de son mari.

Boissy d’Anglas a rendu à Rabaut-Saint-Étienne ce touchant témoignage : « J’ai habité à Nîmes, pendant dix ans, la même maison que lui ; je l’ai vu et entretenu tous les jours pendant cette portion de ma vie ; il ne s’en est pas écoulé un seul qui n’ait ajouté quelque chose à mon estime et à mon amitié pour lui. »

Outre les ouvrages déjà mentionnés, nous citerons de lui : Triomphe de l’intolérance ou Anecdotes de la vie d’Ambroise Borelly (Londres, 1779, in-8o), réédité sous le titre de : le Vieux Cévenol ou Anecdotes de la vie d’Ambroise Borelly, etc. (Paris, 1820) ; Lettre sur la vie et les écrits de M. Court de Gébelin (Paris, 1784, in-4o) ; À la nation française, sur les vices de son gouvernement, sur la nécessité d’établir une constitution et sur la composition des états généraux (1788, in-8o ); Question de droit public : Doit-on recueillir les voix dans les états généraux par ordres ou par têtes de délibérants ? (Paris, 1789, in-8o) ; Prenez-y garde ou Avis à toutes les assemblées d’élections (1789, in-8o) ; Réflexions sur la division nouvelle du royaume ; nouvelles réflexions : (1789, in-8o) ; Almanach historique de la Révolution (Paris, 1791, in-8"), souvent réimprimé sous ce titre, qui lui est resté : Précis historique de la Révolution française ; Discours et opinions de Rabaut-Saint-Étienne, précédés d’une notice sur sa vie, par Boissy d’Anglas (Paris, 1827, 2 vol, in-18) ; ses Œuvres ont été publiées par Boissy d’Anglas (Paris, 1820-1826, 6 vol. in-18) et par Cotlin de Plancy (1826, 2 vol. in-8o).