Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/RAGUENEAU (François ou Cyprien), pâtissier poète et comédien français

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Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 2p. 640).

RAGUENEAU (François ou Cyprien), pâtissier poète et comédien français, mort à Lyon en 1654. Maître Ragueneau, que nous croyons Lyonnais, tint boutique de pâtissier, de 1640 à 1650, dans la rue Saint-Honoré, à Paris, et il paraît que son établissement était en même temps une rôtisserie et un cabaret fréquenté par les cabotins et les bohèmes littéraires. Ragueneau, payé en quatrains et en billets de comédie, dut fermer boutique et, qui pis est, aller en prison, probablement pour avoir suivi vis-à-vis de son propriétaire le mauvais exemple que ses pratiques lui donnaient. « Ce fut, dit le burlesque Dassoucy, un jour marqué de noir pour MM. les poètes, que dès l’aube du jour on rencontra par les rues se torchant le bec, après avoir pris chez luy le dernier déjeuner. » Ragueneau resta un an en prison et mit ce temps à profit en se livrant au culte des Muses, pour lesquelles la fréquentation de ses clients lui avait inspiré un goût malheureux. Au sortir de captivité, il n’était riche que de vers composés à la façon de Théophile, et ce fut en vain que, pour les faire imprimer, il alla frapper à la porte des libraires. Le pire de l’aventure, c’est que Ragueneau avait femme et enfants. Il les mit « sur un petit âne tout chargé d’épigrammes » et s’achemina tristement vers le Languedoc. En route, il rencontra une troupe de comédiens ambulants, leur offrit ses services et fut admis, dit Dassoucy, « en qualité de valet de carreau de la comédie, où, quoy que son rolle ne fust jamais tout au plus que de quatre vers, il s’en acquitta si bien qu’en moins d’un an qu’il fist ce métier il acquit la réputation du plus méchant comédien du monde ; de sorte que les comédiens, ne sachant à quoy l’employer, le voulaient faire moucheur de chandelles ; mais il ne voulut point accepter cette condition, comme répugnante à l’honneur et à la qualité de poète. » Cette troupe, c’est Grimarest qui le dit, n’était autre que celle de Molière, alors dans le midi de la France. Ragueneau passa ensuite dans une autre troupe, où on le vit « mouchant les chandelles fort proprement. » À partir de ce moment, on perd la trace de Ragueneau, surnommé de l’Estang, et dont la fille, Marie ou Marotte, épousa le comédien La Grange, qui donna, en 1682, la première édition des Œuvres de Molière. Vers 1652, Ragueneau adressa à Adam Billault, menuisier poëte, le sonnet suivant :

Je croyois estre seul de tous les artisans
Qui fust favorisé des dons de Calliope,
Mais je me range, Adam, parmi tes partisans
Et veux que mon rouleau le cède à ta varlope.

Je commence à connoistre, après plus de dix ans,
Que dessous moi Pégase est un cheval qui chope ;
Je vais donc mettre en paste et perdrix et faisans
Et contre le fourneau me noircir en cyclope.

Puisque c’est ton mestier de fréquenter la cour,
Donne-moi tes outils pour eschaufer mon four,
Car tes Muses ont mis les miennes en déroute.

Tu souffriras pourtant que je me flatte un peu ;
Avecque plus de bruit tu travailles sans doute,
Mais, pour moy, je travaille avecque plus de feu.

Adam Billaut a inséré cette pièce en tête de ses Chevilles (Rouen, 1654).