Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Roland de la Platière (Jean-Marie), savant, ministre et l’un des chefs du parti girondin

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Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 4p. 1310-1311).

ROLAND DE LA PLATlÈRE (Jean-Marie), savant, ministre et l’un des chefs du parti girondin, né à Thizy, près de Villefranche (Rhône), le 18 janvier 1734, mort par suicide le 15 novembre 1793. Dans son acte de baptême, son père est qualifié seigneur de La Platière, conseiller du roi et du duc d’Orléans. Le clos de La Platière était un petit domaine près de Villefranche, et la famille avait quelque prétention à la noblesse de robe. Plus tard même, en 1784, Mme Roland fît quelques démarches pour obtenir en faveur de son mari des lettres de reconnaissance de noblesse, car les charges qu’avait exercées la famille ne la transmettaient pas ; mais elle échoua.

Roland a peut-être été un peu trop sacrifié à la gloire de sa femme. C’était le reproche que Mme Eudora Champagneux, fille des Roland (morte en 1858), adressait aux historiens, et notamment à Lamartine, à propos de ses Girondins. « Roland, dit M. Michelet, était un ardent citoyen qui avait la France dans le cœur, un de ces vieux Français de la race des Vauban et des Boisguilbert, qui, sous la royauté, n’en poursuivaient pas moins, dans les seules voies ouvertes alors, la sainte idée du bien public. Inspecteur des manufactures, il avait passé toute sa vie dans les travaux, les voyages, à rechercher les améliorations dont notre industrie était susceptible..... »

Roland, dont les quatre frères aînés étaient entrés dans les ordres, sans doute à cause des revors de fortune de la famille, partit de la maison paternelle à l’âge de dix-neuf ans, traversa une partie de la France à pied et se plaça à Nantes chez un armateur, avec le projet d’aller chercher fortune en Amérique ; mais sa faiblesse de constitution l’empêcha de prendre la mer. Il entra alors chez un de ses parents, qui était inspecteur des manufactures à Rouen et qui lui ouvrit cette carrière. Sa gravité précoce, ses habitudes laborieuses, son amour pour les études sérieuses, son goût pour les matières d’économie politique, de commerce et d’industrie, lui valurent un avancement rapide. Il fut nommé inspecteur ordinaire à Amiens. Ces sortes d’emplois étaient un peu des sinécures ; du moins, ils laissaient beaucoup de loisir. Roland en profita pour étudier avec ardeur le régime industriel et commercial en France et dans les différentes parties de l’Europe. Il voyagea pour cet objet en Suisse, en Italie, en Allemagne, chargé par le gouvernement de missions spéciales, et mit la France en possession de matériaux précieux. En 1775, ce travailleur austère, arrivé à l’âge mûr sans avoir eu de jeunesse, fut mis en relation par des amis d’Amiens avec Mlle Manon Phlipon, qui devait être un jour l’illustre Mme Roland. Elle-même, dans ses mémoires, l’a peint tel qu’il lui apparut alors :

« Je vis un homme de quarante et quelques années, haut de stature, négligé dans son attitude, avec une espèce de roideur que donne l’habitude du cabinet ; mais ses manières étaient simples et faciles, et sans avoir le fleuri du monde, elles alliaient la politesse de l’homme bien né à la gravité du philosophe. De la maigreur, le teint accidentellement jaune, le front déjà peu garni de cheveux et très-découvert n’altéraient point des traits réguliers, mais les rendaient plus respectables que séduisants. Au reste, un sourire extrêmement fin et une vive expression développaient sa physionomie et la faisaient ressortir comme une figure toute nouvelle quand il s’animait dans le récit ou à l’idée de quelque chose qui lui fût agréable. Sa voix était mâle, son parler bref, comme celui d’un homme qui n’avait pas la respiration très-longue ; son discours plein de choses, parce que sa tête était remplie d’idées, occupait l’esprit plus qu’il ne flattait l’oreille ; sa diction était quelquefois piquante, mais sèche el sans harmonie.....»

On verra plus bas quelle était alors la situation de Mlle Phlipon, que Roland épousa cinq ans plus tard. Dans l’intervalle, partant pour de nouveaux voyages, il lui confia ses manuscrits et échangea avec cette jeune fille une correspondance fort sérieuse, comme entre amis du même âge et de même sexe. Tout cela forme 6 vol. in-12, publiés à Amsterdam en 1780, sous ce titre : Lettres écrites de Suisse, d’Italie, de Sicile et de Malte, par M*** (Roland de La Platière), avocat au parlement (il paraît qu’il avait ce titre) à Mlle*** (Manon Phlipon), en 1776, 1777 et 1778 (une seconde édition a été donnée en 1799).

« Ce livre, dit encore M. Michelet, écrit d’une manière inégale, parfois incorrecte et obscure, n’en est pas moins le voyage d’Italie le plus instructif de tous ceux qu’on a faits au XVIIIe siècle. Il témoigne des connaissances infiniment variées de l’auteur, qui embrasse son sujet sous tous les aspects depuis la musique jusqu’aux plus minutieux détails du commerce et de l’industrie. Il voyageait ordinairement à cheval ou à pied, ce qui lui permettait d’observer de très-près, de s’arrêter, de saisir bien des détails qui échappent à ceux qui vont en voiture. J’y vois entre autres choses curieuses, qui prouvent l’étendue du commerce de la France d’alors, que les gros draps d’Amiens se vendaient à Lugano. Il juge l’Italie religieuse, et Rome spécialement, au point de vue des philosophes de l’époque, mais souvent avec une douce équité trop rare chez eux et qu’on s’étonnende trouver chez ce juge sévère. Tout ce qu’un honnête homme peut écrire à un honnête homme, il l’écrit, sans vaine réserve, à sa jeune correspondante, si pure, si forte, si sérieuse ; on ne s’aperçoit en rien, dans ce commerce de deux esprits, des différences de sexe et d’âge… »

On sait que le mariage de ces deux personnes n’eut lieu qu’en 1780. Roland avait vingt ans de plus que sa jeune épouse, qui avait pour lui plus d’estime respectueuse et de forte amitié que d’amour proprement dit. Quoi qu’il en soit, Roland séjourna une année à Paris, retenu par les intendants de commerce, qui voulaient faire de nouveaux règlements industriels, puis il retourna à son inspection d’Amiens. Il travaillait beaucoup alors à ses traités industriels, aidé par sa jeune femme, qui lui servait de secrétaire, de correcteur d’épreuves, de copiste, etc., et qu’il emmena avec lui dans des voyages en Angleterre et en Suisse, où les deux époux se lièrent avec Lavater.

C’est en 1784 que Mme Roland vint à Paris pour solliciter les lettres de reconnaissance de noblesse dont nous venons de parier, et moins dans un but de vanité que pour assurer certains avantages à une fille, Eudora, qui leur était née. Elle ne réussit point ; mais elle obtint du moins la nomination de Roland à l’inspection de la généralité de Lyon, en échange de celle d’Amiens, moins importante. Le ménage se fixa k Villefranche dans la maison patrimoniale des Roland, puis au clos de La Platière, à deux lieues de là ; passant seulement deux mois d’hiver à Lyon.

Des années s’écoulèrent ainsi, toutes remplies par des travaux littéraires et scientifiques et des occupations agricoles. Roland avait été admis à l’Académie de Lyon, à celle de Villefranche, et communiquaitnsouvent des mémoires à ces sociétés savantes. Il relevait à peine d’une maladie très-grave, lorsque la Révolution vint l’arracher à son existence paisible et laborieuse.

« La Révolution survint et nous enflamma, dit Mme Roland ; amis de l’humanité, adorateurs de la liberté, nous crûmes qu’elle venait régénérer l’espèce, détruire la misère flétrissante de cette classe malheureuse sur laquelle nous nous étions si souvent attendris ; nous l’accueillîmes avec transport. »

Roland publia dès 1789 une brochure devenue fort rare et qui a pour titre ; Quelques moyens proposés pour contribuer au rétablissement des manufactures nationales et du commerce de Lyon, Parmi ces moyens, il indique la création de clubs ayant pour mission de diriger l’opinion en matière de modes et qui auraient déversé le ridicule sur les personnes dont les vêtements ne seraient pas exclusivement composés de produits de l’industrie française, etc. Ces idées ne sont que bizarres ; mais le même écrit en renferme de très-hardies, celle-ci, entre autres, qui appartient à l’ordre de théories qu’on a nommées plus tard socialistes : « Osons le dire, même aux marchands, il est temps qu’ils le reconnaissent : l’artiste qui invente, l’ouvrier qui exécute, voilà l’âme du commerce, voilà les hommes utiles à l’État, voilà ceux qu’il importe de ménager, de protéger. Le marchand expédie, transporte et vend ; est-ce un bien pour le commerce qu’il y ait un intermédiaire entre celui qui produit et celui qui consomme ? »

Roland aspirait à la mairie de Lyon ; mais de semblables principes étaient peu propres à le faire réussir dans une ville où le négoce était tout-puissant ; aussi, aux élections municipales, qui eurent lieu en avril 1790, ne fut-il nommé que notable, c’est-à-dire membre du conseil de la commune. Il fréquentait peu les clubs ; mais il fournissait, soit au Journal de Lyon, rédigé par son ami Champagneux, soit au Patriote français de Brissot, des articles virulents contre l’aristocratie lyonnaise. Au commencement de 1791, la municipalité le délégua auprès de l’Assemblée nationale pour lui exposer le fâcheux état financier et industriel de Lyon, que les dilapidations de l’ancienne administration avaient endetté de 40 millions. L’accomplissement de cette mission le retint sept mois dans la capitale. C’est pendant ce séjour qu’il se lia intimement avec les hommes politiques qui formèrent le parti girondin. Honorablement connu par ses travaux, ses vues philanthropiques, l’étendue de ses connaissances, par l’austérité de son caractère, il devint peu à peu le centre de ce groupe, dont les principaux membres se réunissaient chez lui. La haute intelligence de sa femme, sa fermeté patriotique, son esprit et ses grâces contribueront aussi très-largement à faire de la maison Roland comme le foyer ou plutôt comme le salon de la Gironde.

Sa mission terminée avec succès (elle était relative à la liquidation des dettes de Lyon), Roland retourna à La Platière et y passa le reste de l’automne, occupé à ses vendanges. La suppression des inspecteurs par décret de l’Assemblée constituante le décida à revenir à Paris (décembre), autant pour faire valoir ses droits à une retraite que pour être plus à portée d’exécuter ses travaux pour l’Encyclopédie méthodique, sans doute aussi pour suivre de plus près la marche des affaires publiques.

Il s’affilia aux Jacobins et fut chargé de la correspondance avec les sociétés affiliées d’un certain nombre de départements. Pour plus de facilité, il emportait le travail chez lui, et dès lors ce fut en grande partie Mme Roland qui se chargea de suivre cette correspondance politique, au milieu des plus graves événements.

En mars 1798, Brissot vint annoncer aux deux époux que la cour intimidée cherchait à faire quelque chose qui lui rendît de la popularité, qu’elle n’était pas éloignée de prendre des ministres parmi les patriotes, et que ceux-ci s’occupaient à faire tomber son choix sur des hommes graves et capables, etc. Bref, ces négociations se terminèrent par la nomination de Roland au ministère de l’intérieur (23 mars).

Quoique fonctionnaire de l’ancien régime, Roland avait dans sa simplicité des dehors si bourgeois que son apparition à la cour fit scandale parmi les courtisans et les valets. Dumouriez, son collègue, l’a peint ainsi dans ses mémoires : « Roland ressemblait à Plutarque ou à un quaker endimanché. Des cheveux plats et blancs, avec un peu de poudre, un habit noir, des souliers avec des cordons au lieu de boucles le firent regarder comme le rhinocéros. Il avait cependant une figure décente et agréable. ».

L’incident auquel Dumouriez fait allusion relativement aux boucles de souliers est raconté de cette manière plaisante par Mme Roland : « La première fois que Roland parut à la cour, la simplicité de son costume, son chapeau rond et les rubans qui nouaient ses souliers firent l’étonnement et le scandale de tous les valets, de ces êtres qui, n’ayant d’existence que par l’étiquette, croyaient le salut de l’empire attaché à sa conservation. Le maître des cérémonies s’approchant de Dumouriez d’un air inquiet, le sourcil froncé, la voix basse et contrainte, lui dit en montrant Roland du coin de l’œil : « Eh ! monsieur, point de boucles à ses souliers ! - Ah ! monsieur ! tout est perdu ! » répliqua Dumouriez avec un sang-froid à faire éclater de rire. »

Avec son activité, sa facilité de travail, ses habitudes laborieuses et son esprit d’ordre, Roland fut bientôt familiarisé avec toutes les parties de son importante administration. Sa situation était fort difficile ; il sentait bien la nécessité de changer une partie du personnel, hostile à la Révolution, mais il ne pouvait d’un seul coup bouleverser tous les services. C’est avec beaucoup de passion ou de mauvaise foi qu’on a voulu mettre en doute ses capacités. Personne peut-être ne connaissait mieux que lui les affaires intérieures du royaume, qu’il étudiait depuis quarante ans, et comme inspecteur officiel et comme observateur philosophe. Qu’il ait employé la plume de sa femme, au milieu des embarras et des soins infinis dont il était accablé, rien de plus vrai ; mais on sait bien que c’était son collaborateur habituel, même pour les travaux purement techniques. Elle rédigea plus d’une pièce officielle et en fort bons termes. Ce fut elle notamment qui écrivit la fameuse lettre au roi, dont nous parlerons plus loin, et, ce qui est encore plus piquant, la dépêche envoyée au pape (lors du second ministère de Roland, en novembre 1793) pour réclamer la mise en liberté de deux artistes français emprisonnés par le saint-siége. Cette dépêche, écrite avec autant de noblesse que de fermeté, était signée de tous les ministres.

Mais de ces faits bien connus, on a eu tort de conclure que Roland n’était qu’une manière de bonhomme entièrement asservi à sa femme et incapable de se diriger seul. Elle avait sur lui une grande influence et elle le méritait ; mais il est certain qu’il était lui-même aussi recommandable par ses capacités que par son caractère (abstraction faite de l’esprit de secte).

Il moralisa les fonds secrets en les employant à propager les écrits patriotiques ; il est vrai que c’étaient les écrits et les journaux de son parti ; mais enfin ce parti était encore à la tête du mouvement et Roland en était incontestablement l’homme le plus grave.

On sait que ce ministère patriote, neutralisé par les intrigues de Dumouriez, ne put rien contre les menées de la cour, l’obstination et les fourberies du roi, qui se refusait à sanctionner les décrets sur le camp de 20,000 volontaires à former sous Paris et sur la déportation (ou plutôt l’expulsion) des prêtres rebelles et réfractaires, qui soulevaient la guerre civile dans plusieurs provinces. Après bien des tiraillements et quand il fut bien avéré que la faction de la cour, en conspiration permanente, menaçait la Révolution d’une explosion prochaine, Roland adressa une lettre au roi (rédigée par Mme Roland), lettre très-ferme et très-patriotique, qui lui valut l’honneur d’être renvoyé du ministère (13 juin). Il envoya cette lettre à l’Assemblée, qui l’approuva chaleureusement et en décréta l’impression et l’envoi aux départements.

On sait les événements qui suivirent, l’envahissement des Tuileries du 20 juin et la révolution du 10 août. Après cet événement, Roland fut rappelé au ministère, où il eut pour collègues Danton, Monge, Lebrun, Clavière, etc. À ce moment, la Gironde était dépassée. Théoricien à larges vues, mais politique étroit, lié d’ailleurs à un parti qui se sentait débordé et qui commençait à se jeter dans la réaction, Roland ne pouvait abandonner les amis qui l’avaient porté au pouvoir. Il suivit les errements et la fortune de la Gironde et combattit la Commune de Paris avec un certain acharnement. Il ne fit rien d’efficace pendant les massacres de septembre et, sans doute, ne put rien faire pour arrêter les tueries. Lui-même, d’ailleurs, fut en quelque sorte menacé, du moins il vint au ministère de l’intérieur une bande pour réclamer des armes. Il écrivit cependant au commandant de la force armée, Santerre, pour lui recommander la vigilance à l’égard des prisons ; mais il est bien difficile de croire Mme Roland, quand elle dit dans ses Mémoires : ’ « Nous n’apprîmes que le lendemain matin les horreurs dont la nuit avait été le témoin, et qui continuaient de se commettre dans les prisons… »

D’abord les massacres avaient commencé de bonne heure, et il serait facile d’établir que le conseil des ministres dut en être averti. Qu’il y ait eu impuissance, soit ; ignorance des faits, cela n’est pas possible. Il faut ajouter que le lendemain, 3 septembre, au témoignage même de Mme Roland, il y eut dîner d’apparat au ministère de l’intérieur, pendant que les massacres continuaient, ce qui n’annonce pas une bien grande préoccupation des événements. Ce jour-là même, Roland écrivit à l’Assemblée une assez longue lettre, dont on décréta l’impression, mais qui n’était qu’une trop faible condamnation des massacres, témoin le passage souvent cité : « Hier fut un jour sur les événements duquel il faut peut-être laisser un voile. Je sais que le peuple, terrible dans sa vengeance, y porte encore une sorte de justice… «

Finalement, il condamnait les tueries, sans doute, mais avec quelque réserve et, par une autre inconséquence, en en rendant Paris responsable, tandis qu’elles n’étaient que le fait d’un petit nombre. Cette lettre menaçait la capitale, parlait de séparation et ne portait que trop l’empreinte des conversations de Barbaroux et de Buzot. Dans ce moment terrible où la France envahie avait tant besoin d’unité, c’était au moins une imprudence.

Nommé député à la Convention par l’assemblée électorale du département de la Somme, Roland, voyant d’ailleurs son élection contestée, renonça à la députation pour garder son portefeuille. À l’ouverture de la Convention, il présenta le compte rendu de son administration. Le 29 octobre, dans le but bien évident de faire voter une loi proposée par son ami Buzot contre les écrits séditieux, il présenta, dans un long rapport, la situation de la capitale sous le jour le plus sinistre. Ce rapport, écho des déclamations girondines contre Paris, le conseil de la Commune et les autorités révolutionnaires, devint dans la même séance l’occasion de la fumeuse philippique de Louvet contre Robespierre, qu’il accusait d’aspirer à la dictature. Le frivole auteur de Faublas, qui venait de faire pour le ministère de l’intérieur le journal-affiche la Sentinelle, était l’homme des Roland et il fut probablement lancé par eux dans cette circonstance. Souveraine imprudence, de faire attaquer un homme aussi austère et aussi grave par un personnage aussi léger, et que ses amis mêmes de la Gironde ne prenaient pas au sérieux ! Un tel choix indiquait assez la main a d’une femme.

Roland compléta cette maladresse en expédiant quinze mille exemplaires du discours de Louvet dans les départements, ainsi qu’un grand nombre d’autres libelles girondins, le tout aux frais du trésor public. C’était une application un peu trop libre du décret qui l’autorisait à répandre les bons ouvrages aux frais de l’État. D’un autre côté, la Convention avait bien décrété l’impression du discours de Louvet, mais non pas son envoi aux départements, voulant, pour rendre toutes choses égales, attendre au moins la justification de Robespierre.

Aussi Thuriot demanda-t-il que Roland fût désavoué et puni. Mais cette affaire n’eut pas de suites.

Au moment où s’ouvraient les débats sur la mise en jugement du roi, le fameux serrurier Gamain (v. ce nom) vint dénoncer à Roland l’existence de la fameuse armoire de fer, où Louis XVI avait caché ses papiers secrets. Le devoir du ministre eût été de fane apposer aussitôt les scellés et de prévenir la Convention. Mais avec une précipitation fâcheuse, il se rend aux Tuileries, se fait indiquer la cachette, met tous les papiers dans deux serviettes, et sans même faire part de la découverte aux commissaires nommés par la Convention pour examiner tous les papiers des Tuileries et qui siégeaient dans le château même, sans faire aucun inventaire, il emporte les pièces et vient les déposer à l’Assemblée. Deux personnes, a-t-il affirmé, assistaient à cette opération, Gamain lui-même et l’architecte des bâtiments nationaux, Heurtier. Cette manière de procéder n’en était pas moins fort irrégulière. Elle fit accuser Roland d’avoir soustrait des pièces pouvant compromettre certains membres du parti de la Gironde ; accusation qui ne paraît pas absolument invraisemblable.

Pour relever sa popularité, il fit la proposition de démolir tous les châteaux d’émigrés qui se trouvaient en France. Mais son crédit n’en baissait pas moins rapidement, avec celui de son parti. Il y porta lui-même le dernier coup, lors du procès du roi, en propageant des écrits favorables à l’appel au peuple et à l’acquittement du roi par cette voie. Sur la proposition de Robespierre, l’Assemblée ordonna la suppression du bureau pour la formation de l’esprit public, organisé par le ministre de l’intérieur, et enjoignit à ce dernier d’avoir à rendre compte de sa gestion. Le lendemain, 22 janvier 1793, Roland, découragé, envoya sa démission, qui fut acceptée sans aucune observation. Cette retraite portait à l’influence des girondins un coup irréparable.

En quittant le ministère, Roland publia les comptes très-détaillès de son administration ; la Convention nomma une commission pour les examiner ; mais cette opération traîna en longueur. Dans une lettre inédite de l’ex-ministre, datée du 29 avril 1793, nous lisons qu’il sollicite pour la sixième fois le rapport sur ses comptes, ayant besoin, dit-il, après s’être autant occupé des affaires publiques, d’aller respirer à la campagne. Et il ajoute : « Je suis loin de l’idée de quitter la France ; mon espoir est trop fondé d’y voir rétablir le calme et la paix. Je serai toujours aux ordres de la Convention, prêt à répondre de ma tête à tous les délits qu’on pourra m’imputer avec preuve. »

Il paraît qu’il écrivit encore deux fois, mais sans plus de succès.

Lors de la chute de la Gironde, un mandat d’amener fut lancé contre lui, mais il parvint à s’y soustraire par la fuite. Il resta quelques jours caché dans une maison de la forêt de Montmorency, qui appartenait à son ami le naturaliste Bosc, puis gagna Rouen, pendant que sa femme était elle-même arrêtée. Il demeura cinq mois caché, sous le coup d’un décret d’accusation.

Mme Roland avait dit souvent dans sa prison et avait écrit dans ses mémoires que son époux ne lui survivrait pas si elle était livrée à l’échafaud. Le malheureux vieillard, en effet, malgré ses chagrins domestiques et quoiqu’il n’ignorât point que sa femme n’avait pour lui qu’une affection toute filiale, avait un attachement profond pour sa compagne, et il tomba dans un violent désespoir en apprenant sa mort (10 novembre). Il résolut aussitôt de se donner la mort, quitta sa retraite le 15 au soir pour ne pas exposer à des poursuites les personnes courageuses qui lui avaient donné asile, et suivit la route de Paris pendant quatre lieues. On a dit que son premier projet avait été de se rendre à la barro de la Convention nationale pour y faire éclater son indignation, et de se livrer ensuite à l’échafaud ; mais que, réfléchissant que cette mort juridique entraînerait la confiscation des biens qu’il pouvait laisser à sa fille, il préféra se tuer. Quoi qu’il en soit, il s’arrêta au Bourg-Baudouin dans la matinée du 16, entra dans une avenue de pommiers conduisant à une maison qui appartenait à un M. Le Normand, s’assit au revers d’un fossé, contre un arbre, et se perça le cœur avec une canne à épée qu’il avait apportée avec lui. Son agonie fut si paisible, qu’on le retrouva dans la même attitude. Legendre, alors en mission à Rouen, vint constater sa mort et faire enlever ses restes. On avait trouvé dans sa poche un billet, qui est actuellement aux Archives et dans lequel il recommandait de respecter ses restes, qui étaient ceux d’un homme ayant toujours vécu vertueux et honnête. « Non la crainte, mais l’indignation, ajoutait-il, m’a fait quitter ma retraite, quand j’ai appris qu’on avait égorgé ma femme, ne voulant pas rester plus longtemps sur une terre souillée de crimes. »

Sa fille, Eudora, fut recueillie et élevée par Bosc et Mme Creuzé-Latouche.

Son frère aîné, chanoine à Villefranche, fut guillotiné à Lyon en décembre 1793.

Outre les ouvrages que nous avons cités et une foule de rapports et d’opuscules, Roland a publié : Mémoire sur l’éducation des troupeaux (1779, in-4o) ; Dictionnaire des manufactures (1785, 4 vol. in-4o), faisant partie de l’Encyclopédie méthodique. 11 a aussi composé, pour la Description des arts et métiers, publiée par l’Académie des sciences, l’Art du fabricant d’étoffes de laine (1780, in-fol.), ceux du Fabricant de velours (1780-1783) et l’Art du tourbier (1783).