Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Socin (lelio sozzini, plus connu sous le nom francisé de)

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Administration du grand dictionnaire universel (14, part. 2p. 805).

SOCIN (Lelio Sozzini, plus connu sous le nom francisé de), célèbre hérésiarque italien du xvic siècle, qui a donné son nom à la grande secte des sociniens, né à Sienne en 1525, mort à Zurich en 1562. Son père, Mariano Sozzini, jurisconsulte distingué, voulait lui faire étudier le droit. Lelio, studieux et intelligent, eût pu s’y distinguer, selon le vœu de sa famille, qui comptait déjà un certain nombre d’érudits et d’avocats de mérite. Mais la grand courant du siècle l’entraîna, La fièvre avec laquelle tous les esprits d’élite se lançaientalors dans les plus ardentes discussions théologiques lui fit entreprendre l’étude de l’hébreu et du grec, instruments nécessaires de l’exégèse biblique. Soupçonné d’hérésie, quoique fort avantageusement connu, tant par ses mérites que par la réputation de sa famille, il crut prudent de quitter l’Italie ; alors commence pour lui une vie toute semblable à celle 4e tant d’autres réformateurs et hérétiques du xvne siècle, vie d’aventures, d’étude, de voyages, de dangers et de persécutions. Comme la plupart de ses compatriotes et coreligionnaires, il se réfugie d’abord en Suisse; mais il ne fait qu’y passer, voyant l’impossibilité d’y exposer tout haut sa doctrine sans s’attirer des poursuites. Il parcourut pendant quatre ou cinq ans, fugitif et inquiet, la France, l’Allemagne, les Pays-Bas et même l’Angleterre. C’est vers 1548 ou 1549 qu’il se fixa enfin à Zurich. Il ne tarda pas à inquiéter les réformateurs par ses hardiesses et par ce qu’ils nommaient ses « subtilités curieuses. » Calvin l’exhortait déjà, dans une lettre de la fin de 1551, à les éviter soigneusement, et il exprimait en même temps ses craintes à Bullinger et à d’autres sur 1 instabilité et lu témérité de ce génie italien. « C’est un fait singulier, mais bien certain, dit un savant théologien protestant, qu’en Italie les quelques hommes qui entrèrent dans le mouvement protestant furent beaucoup plus radicaux que partout ailleurs. Partant de ce principe qu’on ne peut regarder comme appartenant au christianisme que ce qui est enseigné clairement dans les Écritures, ils attaquèrent les dogmes de la Trinité, de la consubstanlialité du Verbe, de la divinité de Jésus, de la satisfaction et de l’expiation, dogmes qu’ils rapportaient à l’influence de la philosophie païenne sur l’Église des premiers siècles. C’est dans cette voie, ajoute M. Michel Nicolas, que marcha Soein un des premiers. » Cependant deux causes retardèrent indéfiniment sa rupture avec les théologiens orthodoxes, et en général avec tous ceux qui l’avaient connu:d une part, son érudition, sa science véritable, ses qualités d’esprit et de caractère, ses relations avec tous les hommes les plus distingués de son temps ; d’autre part, la prudence extrême et quelquefois l’apparente docilité avec laquelle il tint presque toujours cachées, sauf a ses intimes, les hérésies hardies qui couvaient dans Sa pensée. Au début de son séjour à Zurich, il avait parlé un peu trop librement; inquiété, dénoncé, accusé, il résolu^ une fois pour toutes de se taire et de se résigner même à toutes les concessions qu’on lui imposerait pour avoir la paix. Une lettre inédite de Bullmger (10 juillet 1555), conservée aux archives de Zurich, nous montre jusqu’à quel point Lelio sut se plier aux exigences de la situation. Bullinger, seul parmi les réformateurs, et malgré les avis réitérés de Calvin et de ses collègues, croyait à l’orthodoxie de Soein. Pressé par ses amis de lui retirer sa confiance, il le fait venir, lui parle vivement des doutes qu’on a sur sa fidélité. Lelio s’étoiine, proteste. Bullinger saisit l’occasion, le prend au mot dans toutes ses déclarations d’orthodoxie, et, le sommant de consigner par écrit tout ce qu’il vient de lui dire, il lui présente une confession de foi des plus triuitaires et lui demande d’y apposer sa signature. C’est ainsi que fut écrite cette étrange confession de foi contenant presque la liste de tout ce que Socin ne croyuit pas. Elle se trouve dans les mêmes archives’de Zurich (artn. B, vol. 25). Le seul point où Lelio y défende, quoique timidement, ses opinions, c’est la question du supplice des hérétiques.

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Bullinger essaye en vain de lui faire dire qu’il l’approuve, et Lelio se tire de cet épineux débat par des phrases comme celle-ci : « 11 ne faut user que des armes chrétiennes et apostoliques contre ceux qui n’attaquent que les droits et les paroles du Christ ou des apôtres, » Si satisfaisant que dût être ce succès pour Bullinger, il ne rassura pas les autres réformateurs. Jules de Milan écrit à Bullinger : « Tant mieux si Lelio est sincère. Mais on aura bien de la peine à nous faire douter de ce que nous avons vu ; » et là il lui révèle un fait très-important et trop peu remarqué par les biographes, c’est due Lelio avait sucé te venin de l’hérésie à 1 école du célèbre et habile Sicilien Camillo Renato (v. ce nom). Toutes les doctrines attribuées à Socin et qui vont, quelques années plus tard, constituer le socinianisme (v. socinien) viennent de Camillo Renato, ont été enseignées fiar lui clandestinement à Chiaveuna, ou Leio s’est glorifié du titre de disciple de Renato et où le théologien Maynard en fit l’objet d’une vive critique Sous la forme de confession de foi. Il paraît que, tout en gardant une extrême circonspection à Zurich, Lelio faisait au sein de sa propre famille et dans un cercle intime d’amis et de compatriotes une propagande assez active pour qu’il en transpirât quelque chose, car, à chaque instant, de nouveaux avis informent Bullinger, Bèze, Calvin des hérésies de Lélio. Eu 1554, quand parut, sous le pseudonyme bizarre de Martinus-Bellius, la célèbre Farrago, en faveur de la tolérance, ou Traicté des hérétiques, les soupçons tombèrent immédiatement sur Lelio. Théod. de Bèze prétend même avoir su de source certaine qu’il était un des trois auteurs de ce terrible libelle et qu’il avait très-activement collaboré avec Curione et Castellion. Quelques-uns ont même imaginé que le nom de Bellius était choisi par contraste avec celui de Socin (Sozzino, laid) ; mais ce n’est là qu’une conjecture des plus douteuses.

Quoi qu’il en soit, Lelio Socin était bien connu, malgré toutes ses ruses, pour un dangereux hérétique quand il quitta la Suisse, après la mort de son père, pour aller chercher un refuge en Pologne (1559). Fort bien accueilli par Sigismond II, dont l ; i protection le mit hors de danger, il parla plus librement aux nombreux amis et coreligionnaires qu’il trouva en Pologne et y jeta les premiers germes de ce qui fut plus tard l’Église des antitriiiitaires, connus sous le nom de Fratres Polûni. Ayant pu, grâce à un sauf-conduit de Sigismond, aller recueillir en Italie la succession de son père, il revint s’établir à Zurich. Sa famille fut, à cette même époque, victime de persécutions suscitées par 1 inquisition et qui la dispersèrent en Allemagne et en France. Lelio garda des relations avec quelques-uns de ses parents, principalement avec un jeune neveu alors réfugié à Lyon et qui devait être le célèbre Fauste Socin. Sauf cette correspondance et quelques écrits théologiques restés en portefeuille, Lelio sembla rester à Zurich dans le plus grand repos et chercher même à se faire oublier. Du moins parvint-il à se faire aimer pour sa science et pour son caractère bienveillant. Il mourut, âgé seulement de trente-sept ans, le 16 mai 1562. « Il est probable, dit M. Nicolas, que, s’il n’était pas mort dans la force de 1 âge, il aurait exercé une action profonde dans ie monde religieux parmi les protestants ; il aurait, dans tous les eus, imprimé une plus forte impulsion à ses doctrines théologiques. » Les seuls ouvrages que nous ayons de Lelio Socin sont deux traités théologiques, De sacramentis et De resufrecliotte corporum, qui se trouvent avec les œuvres de son neveu. On trouve, en outre, quelques opuscules indiqués dans la Bibliothèque des antitrinitaires et auxquels des contemporains semblent même faire allusion ; mais ils sont ou perdus ou peu authentiques et, du reste, de peu de valeur. C’est par erreur que plusieurs bibliographes et même la Bibliographie gênérale an Didot attribuent à Socin, sous le titre de Dialogus inter Caluinum et Vuticanum, le

bel ouvrage plus connu sous le nom de Contra UbeUum Caloini, c’est-à-dire un des plus

I énergiques plaidoyers qui aient jamais été écrits en faveur de la liberté de conscience. Ce Dialogue est de Castellion. Fauste Socin, qui l’a publié en 1612, le donne comme œuvre de Castellion, et, ce qui est péreiïiptoire, le manuscrit de ce Dialogue se trouve encore aujourd’hui à la bibliothèque de l’Antisittium de Bâle, de la main de Sêb. Castellion. V, ce mot.