Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/THÉROIGNE DE MÉRICOURT (Anne-Joseph TERWAGNE, dite), une des héroïnes de la Révolution française

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Administration du grand dictionnaire universel (15, part. 1p. 106-107).

THÉROIGNE DE MÉRICOURT (Anne-Joseph Terwagne, dite), une des héroïnes de la Révolution française, née au village de Marcourt (et non Méricourt, comme on l’a dit à tort), dans le Luxembourg belge, le 13 août 1763, morte à Paris la 9 juin 1817. Fille de Pierre Terwagne ou Théroigne, paysan qui s’adonnait au commerce et possédait une assez jolie fortune, elle fut élevée dans l’abbaye de Robermont, puis revint chez son père. Selon les uns, n’ayant pu s’entendre avec sa belle-mère, Anne Théroigne quitta son village pour se jeter dans la plus aventureuse existence ; selon d’autres, à dix-sept ans, elle s’enfuit avec un jeune noble qui l’avait séduite et qui ne tarda pas à l’abandonner. Après avoir habité l’Angleterre, elle se rendit en France. Au début de la Révolution, elle vivait à Paris, menant une existence luxueuse. À cette époque, elle entra en relation avec Mirabeau, Sieyès, Danton, Camille Desmoulins, puis avec Romme, Ronsin, Momoro, Pétion, etc., qu’elle recevait chez elle, rue de Tournon. Les idées nouvelles produisirent sur elle une vive impression. D’après Lamartine, l’amour outragé l’ayant jetée dans le désordre, le vice, dont elle rougissait, lui avait donné la soif de la vengeance ; en frappant les aristocrates, elle pensait réhabiliter son honneur. Ce qui est plus vraisemblable, c’est que Anne Théroigne, femme galante, mais non dépravée, douée d’une imagination très-vive, d’un esprit très-ouvert, fut très-frappée du grand mouvement de rénovation qui se produisait devant ses yeux et s’y jeta avec enthousiasme. Le 14 juillet 1789, elle assista à la prise de la Bastille et, à partir de ce moment, elle prit part à toutes les grandes journées de la Révolution, dans un costume qui rehaussait encore sa beauté piquante et attirait sur elle l’attention. Vêtue en amazone, coiffée d’un chapeau à la Henri IV, orné d’une plume, portant des pistolets à la ceinture, un sabre au côté, elle accompagna, pendant les journées du 5 et du 6 octobre, les femmes de la capitale qui se rendirent à Versailles. Son costume pittoresque, son exaltation, une certaine facilité de parole lui donnèrent un grand ascendant sur cette foule confuse ; mais il est juste de dire que, si elle contribua à l’entraîner, elle fit aussi tous ses efforts pour la détourner des excès. Pendant la nuit, elle parvint, en les haranguant, à détourner du parti de la cour un grand nombre de soldats du régiment de Flandre et, le lendemain, elle revint à Paris, se tenant près de la voiture royale avec Jourdan, l’homme à la grande barbe. Le nom de Mlle Théroigne, la belle étrangère, la belle Liégeoise, comme on l’appelait alors, était dans toutes les bouches. Les journaux royalistes la représentaient comme une femme de mauvaise vie et la criblaient d’épigrammes et d’injures, pendant que les patriotes la proclamaient la première amazone de la Liberté. En février 1790, elle se présenta à la barre du club des Cordeliers, où elle fut accueillie avec enthousiasme, « C’est la reine de Saba, s’écria un membre, qui vient visiter le Salomon des districts. » Elle proposa au club d’ouvrir une souscription nationale pour élever un palais à l’Assemblée constituante sur les ruines mêmes de la Bastille. « C’est pour enrichir, pour embellir cet édifice, dit-elle, qu’il faut nous défaire de notre or et de nos pierreries ; j’en donnerai l’exemple ta première. » Sa proposition fut très-applaudie, et aussitôt Danton, Camille Desmoulins et Fabre d’Églantine furent chargés de rédiger une adresse dans ce sens aux quatre-vingt-trois départements. Néanmoins, le club passa à l’ordre du jour sur la demande faite par l’héroïne d’être admise aux séances avec voix consultative. Peu après, le Châtelet de Paris lança contre elle un décret de prise de corps, à raison du rôle qu’elle avait joué les 5 et 6 octobre 1789. Elle passa dans les Pays-Bas et habita quelque temps Liège. Les émigrés français, alors en grand nombre dans ce pays, lui firent toutes sortes d’avanies et signalèrent sa présence aux autorités autrichiennes. Arrêtée dans les premiers jours de 1791, sous la fausse accusation d’avoir voulu attenter à la vie de Marie-Antoinette, elle fut emprisonnée dans la forteresse de Kuffstein (Tyrol), puis conduite à Vienne. L’empereur Léopold voulut voir la célèbre agitatrice et, à la suite d’un entretien qu’il eut avec elle, il lui fit rendre la liberté. Théroigne de Méricourt revint à Paris en 1792 avec l’intention d’y publier des mémoires sur les persécutions dont elle venait d’être victime. En attendant, elle alla, le 1er février, en faire le récit sommaire aux. Jacobins. « Vous venez d’entendre, dit Manuel, une des premières amazones de la liberté, je demande que, présidente de son sexe, assise aujourd’hui à côté de notre président, elle jouisse des honneurs de la séance. » La société n’admit pas cette proposition. En ce moment, sa popularité atteignit son apogée. Au mois d’avril, elle prit, avec Louis David, l’initiative de la fête qui fut donnée aux Suisses du régiment de Châteauvieux. Le 20 mai suivant, elle se mit à la tête d’une des armées des faubourgs qui marchèrent sur les Tuileries ; elle prit également part à la journée du 10 août. Ce jour-là, on lui montra Suleau qui venait d’être arrêté avec une troupe de royalistes. Ce journaliste, dans les Actes des apôtres, l’avait criblée de sarcasmes et traitée comme une prostituée. Il avait, en outre, dans le Tocsin des rois, aidé a la ruine de la révolution de Liège. À sa vue, Théroigno de Méricourt ne put contenir sa colère. Elle se précipita sur lui, le saisit au collet, et bientôt après la foule se ruait sur Suleau, qui fut tué à coups de sabre. On a prétendu, mais à tort, que la belle Liégeoise avait pris part aux massacres de septembre. Non-seulement elle y resta étrangère, mais encore, à partir de ce moment, elle abandonna le parti avancé pour prendre le parti des girondins. Le 31 mai 1793, elle prit la défense de Brissot dans les groupes formés autour de la Convention. Peu d’instants après, elle se promenait sur la terrasse des Feuillants, dans le jardin des Tuileries, lorsque des femmes du peuple, attachées au parti de la Montagne, l’entourèrent, lui levèrent les jupes et la fouettèrent publiquement. Théroigne poussa des cris, des hurlements de désespoir. Lorsqu’on la lâcha, elle était folle. On la conduisit dans une maison de santé du faubourg Saint-Marceau, puis à la Salpêtrière (1800) ; quelques mois plus tard, on la transféra aux Petites-Maisons ; enfin, en 1801, on l’envoya de nouveau à la Salpêtrière, où elle termina sa vie après avoir recouvré la raison. Le médecin Esquirol, qui la traita et qui fit mettre le portrait de Théroigne dans son livre des Maladies mentales, rapporte qu’elle était en proie à une manie aiguë. Longtemps folle furieuse, elle hurlait comme au premier jour, et en plein hiver, nue, il lui arrivait de répandre sur elle un seau d’eau glacée sans s’en apercevoir.