Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Terreur s. f.

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Administration du grand dictionnaire universel (14, part. 4p. 1657-1659).
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TERREUR s. f. (tè-reur — lat. terror, de terreo, pour terseo, craindre, être saisi de terreur, lequel représente la racine sanscrite tras, craindre, trembler, qui est restée également dans le persan tarsidan, craindre ; grec treo pour treso, craindre ; russe trusiti, craindre, triasti, faire trembler, secouer, etc.). Sentiment profond de crainte, inspiré par la considération d’un danger ou d’un mal : Être glacé de terreur. Inspirer la terreur. répandre partout la terreur. Faire régner la terreur. Les cris militaires redoublent la terreur. (D’Ablanc.) Il se répand autour des trônes certaines terreurs qui empêchent de parler aux rois avec liberté. (Fléchier.) Le règne de la terreur doit être uniquement attribué aux principes de la tyrannie. (Mme de Staël.) Les terreurs de la vie future sont, pour les prêtres, des opinions auxiliaires. (B. Const.) Quand vingt mille prisonniers s’égorgeaient pour amuser Néron, n’était-ce pas là de la terreur sur une grande échelle ? (Chateaub.) Le propre du soleil levant est de nous faire rire de toutes nos terreurs de la nuit. (V. hugo.) La justice, et non la multiplicité des châtiments, produit seule une terreur salutaire. (Bignon.) La terreur est une force ; elle a sa majesté. (Balz.)

— Personne ou objet qui inspire la terreur : Ce général est la terreur des ennemis. Ce gendarme est la terreur des braconniers. Pierre était l’appui de tous les princes, comme Charles en avait été la terreur. (Volt.) Si la mort est l’espoir du pauvre, elle est la terreur du riche. (Foissae.)

Terreur panique, Terreur soudaine et sans sujet : Vous écoutez une terreur panique, et nous nous opposerions vainement à votre dessein. (Le Sage),

Je l’ai voulu défendre Des paniques terreurs qui l’avaient pu surprendre. Corneille.

Remplir tout de la terreur de son nom, Se faire redouter partout. Se dit ordinairement d’un conquérant.

— Syn. Terreur, alarme, appréhension, etc. V. ALARME.

Terreur (la). Il sera toujours facile de calomnier la Révolution française en feignant de confondre son principe avec les combats terribles qu’elle eut à soutenir pour l’appliquer.

Ses adversaires de toute nuance, constitutionnels, girondins convertis à l’Empire, puis à la monarchie, nobles, prêtres, émigrés, plébéiens engraissés de biens nationaux, parvenus de haute ou basse bourgeoisie, scribes de parti, tous ont écrit contre elle des mémoires, des pamphlets, de prétendues histoires où la haine déborde, où le mensonge éclate à chaque ligne.

Si du moins ces écrivains avaient voulu simplement prouver que tous les partis, dans leurs luttes trop souvent implacables, sont sujets à des excès qu’on doit réprouver, nous serions bien volontiers avec eux ; mais ils ne frappent jamais que d’un seul côté, sans faire la moindre allusion aux violences des partis contraires, aux trahisons, aux complots sans cesse renaissants, aux périls de la patrie, qui nécessitaient évidemment de grandes mesures. Il eût apparemment fallu, suivant ces théoriciens, ne pas se défendre, tendre la gorge au couteau, laisser périr le peuple et la nation. Ils représentent constamment la Terreur comme un système, tandis qu’en réalité elle ne fut qu’un accident, une tradition, une habitude d’ancien régime, dont la France nouvelle, dans la guerre à mort à laquelle elle était obligée de faire tête, n’a pas eu la puissance de s’affranchir. En un mot, ils n’ont évidemment pour but que de provoquer à la haine de la Révolution, en la présentant exclusivement sous ses côtés douloureux, qui affligent ses amis les plus sincères, mais qui n’effacent pas sa grandeur.

Les attaques incessantes des séides du passé, la lutte entre deux principes inconciliables, car aucune capitulation n’était possible entre la France ancienne et la France moderne, les intrigues de la cour, les trahisons successives de Mirabeau, de Dumouriez et d’autres, la connivence des pouvoirs constitués, et surtout de la royauté, avec l’ennemi du dedans et du dehors, préparèrent de loin le régime de la Terreur. La nécessité, pour la Révolution, de se mettre elle-même en état de siège était impérieuse ; attaquée comme elle l’était, il ne lui restait qu’à vaincre ou à périr.

Tout en déplorant le caractère implacable de ces luttes, comme on gémit sur les maux de la guerre, on n’en doit pas moins reconnaître qu’une nation, comme un individu, a le droit de se mettre en état de légitime défense et même de recourir aux moyens extrêmes pour sauver son indépendance et sa liberté. Et qui pourrait nier qu’à cette époque ce fût une question de vie ou de mort pour le pays et pour ses institutions nouvelles ?

On pourrait d’ailleurs établir l’échelle proportionnelle de la lutte, la gradation, la progression constante d’efforts que la Révolution dut opposer à ses ennemis. À chaque réaction correspond un mouvement de résistance nationale, et cela depuis le commencement de la grande crise ; aux insolences de la cour, la séance du Jeu de paume ; aux menaces de coups de force, la prise de la Bastille ; au banquet provocateur des gardes du corps, les 5 et 6 octobre ; aux manœuvres factieuses des prêtres, les lois de répression de la Législative, puis de la Convention ; au refus de sanction des décrets nationaux et au renvoi brutal des ministres patriotes, le 20 juin ; aux trahisons avérées de la cour, le 10 août ; à la prise de Verdun, le 2 septembre ; à l’armée de Condé, l’armée révolutionnaire ; à la coalition, le comité de Salut public, etc.

La terreur, c’est-à-dire la défense à outrance, était donc, par la force des choses, inévitable et fatale. Une nation ne se résigne pas plus à la mort qu’un individu, et moins encore, et, dans ces moments de suprême péril, il n’y a rien de fort extraordinaire à ce que la France ait suivi l’exemple de tous les temps et qu’elle ait eu recours à une dictature de désespoir, qui était en quelque sorte la mise en état de siège de tout le pays.

Quant aux actes terribles de cette période, on ne les déplorera jamais assez, au nom de l’humanité et des principes, au nom même des institutions nouvelles, dont l’application en fut compromise. Mais qui oserait nier que, si la Révolution n’eût pas été attaquée avec tant d’acharnement, enveloppée de complots et de trahisons, elle n’eût pas donné ce spectacle au monde ? Laissée à elle-même et au développement régulier de ses forces, elle eût vraisemblablement fondé ce gouvernement libre que la France attend depuis si longtemps.

« Nous regardons, dit l’historien Macaulay, comme une règle sans exception que la violence d’une révolution correspond au degré de mauvais gouvernement qui a produit cette révolution. »

Est-ce que la royauté, en effet, dans tout le cours de son histoire, ne fut pas une longue terreur ? Qui pourrait énumérer la série des violences et des crimes commis impunément pendant tant de siècles, et les actes habituels de despotisme brutal, et les massacres, et les assassinats particuliers, et la Saint-Barthélémy, et la révocation de l’édit de Nantes, et les dragonnades, et l’asservissement, l’écrasement séculaire des classes inférieures, etc. ? Le détail échappe à l’histoire, même à l’érudition. Les rois savaient bien fermer la bouche à qui aurait pu parler ; ils faisaient partager leur inviolabilité à leurs complices. Au seul mot de raison d’État, l’histoire s’incline ; elle ne retrouve ses scrupules que lorsque les révolutions parlent de salut public.

Et qu’est-ce donc aussi que la terreur révolutionnaire à côté de la terreur religieuse, à côté de l’inquisition ? Qu’est-ce donc que les excès de l’une, que, certes, nous ne voulons pas justifier, qu’est-ce donc, dit Michelet, « devant ces millions d’hommes pendus, rompus, ce pyramidal bûcher, ces masses de chair brûlées, que l’autre a montées jusqu’au ciel ? Dans une seule des provinces d’Espagne, un document authentique établit qu’en seize années l’inquisition brûla 20,000 hommes.... Mais pourquoi parler de l’Espagne, plutôt que des albigeois, plutôt que des vaudois des Alpes, plutôt que des bégards de Flandre, que des protestants de France, plutôt que de l’épouvantable croisade des hussites et de tant de peuples que le pape livrait à l’épée ?

« L’histoire dira que, dans son moment féroce, implacable, la Révolution craignit d’aggraver la mort, qu’elle abolit les supplices, éloigna la main de l’homme, inventa une machine pour abréger la douleur.

« Elle dira aussi que l’Église du moyen âge s’épuisa en inventions pour augmenter la souffrance, pour la rendre poignante, pénétrante, qu’elle trouva des arts exquis de torture, des moyens ingénieux pour faire que, sans mourir, on savourât longtemps la mort.... »

Il est un fait qui doit servir de préface à toute histoire de la Terreur et à la lumière duquel il faut la considérer pour porter un jugement sur elle : c’est que la terreur est essentiellement le système catholique et royaliste. Cette terreur de quatorze mois est la conclusion forcée d’une terreur de quatorze siècles. Il est triste qu’on puisse appliquer à l’histoire de France ce qu’on a dit de celle d’Angleterre, qu’elle devrait être écrite par le bourreau ; mais ainsi l’ont voulu le catholicisme et la monarchie. On nous reprochera peut-être de récriminer. Nous répondrons qu’il est permis de récriminer lorsqu’on n’a, d’ailleurs, nullement la pensée d’éluder la question, et l’on verra que l’examen des faits n’a rien qui nous embarrasse. Nous ajoutons qu’ici la récrimination est de toute nécessité, par la raison que la terreur constamment pratiquée par l’ancien régime est la seule et la plus naturelle explication de la terreur révolutionnaire.

Il est, en effet, une thèse capitale dont la vérité absolue éclate dans l’histoire : c’est que, pour le catholicisme et pour la royauté, l’extermination de leurs adversaires par tous les moyens a été une règle de droit public toujours admise et toujours pratiquée. L’un et l’autre ont invariablement donné la théorie et l’exemple de la terreur. Le gouvernement révolutionnaire, quelque jugement qu’il puisse encourir de la part des philosophes ou des politiques pour n'avoir pas rompu avec le vieux système, n’a fait, jusque dans les plus petits détails, qu’employer les moyens que lui avaient légués la monarchie et le catholicisme, et tourner contre ses deux ennemis leurs procédés séculaires.

On tranche ordinairement la question Sans la discuter ; on raconte la Terreur et on la juge sans même faire allusion aux circonstances dans lesquelles elle se produisit, sans rappeler les longues intelligences de la cour avec les puissances ennemies, les trahisons du roi et de la reine, les conspirations de Coblentz, l’approche des armées étrangères et leur entrée en France, les soulèvements de la Vendée, du Midi, de tant de départements où la guerre civile était fomentée par les prêtres, les nobles et tous les sectaires de l’ancien régime.

Imaginez le triomphe de tous ces éléments ennemis et songez aux sanglantes réactions qui se seraient produites. On peut juger, à la cruauté que montra la Restauration en reprenant possession du pays, quand on pouvait espérer que les haines étaient attiédies, de ce qu’elle aurait été vingt années plus tôt : le manifeste de Brunswick, exécuté au pied de la lettre, les menaces de l’émigration changées en réalité, la Révolution noyée dans le sang, les institutions de la liberté détruites, voilà ce que nous aurions vu dès 1792 sans les hommes qui prirent alors les rênes du gouvernement et qui sauvèrent la France et les conquêtes essentielles de 1789.

Répétons-le, le passé montrait également ce qu’on pouvait craindre et l’histoire, bien incomplète, des siècles écoulés nous retrace des scènes autrement dramatiques que celles de la Révolution et dont, pendant mille ans, ont été le théâtre les bastilles, les galères du roi, les rues de Paris et celles de cent autres villes, les charniers, les montagnes des Cévennes, etc.

Puisqu’on lève aujourd’hui avec tant d’audace l’étendard contre la Révolution, contre les principes de la France nouvelle, il ne faut pas se lasser de dénoncer le terrorisme au moyen duquel le catholicisme, la royauté et les aristocrates ont régné et dont la Révolution seule nous a délivrés. Il s’agissait, à partir de 1792, de sauver les intérêts et les droits nouveaux des représailles d’un monde de privilégiés ; il s’agissait surtout de défendre le territoire et l'indépendance nationale. Il s’agissait uniquement, pour les puissances du passé, d’assurer leur domination exclusive. Le catholicisme frappait, non des conspirations, mais des opinions. Pour les déraciner, il a employé froidement, avec continuité, tous les moyens de terreur, la persécution, l’inquisition, l’emprisonnement des suspects, les condamnations sans interrogatoire, sans défense, la torture préalable, la guerre civile, le massacre en grand.

La terreur n’était pas, pour l’Église officielle, un expédient adopté dans la fièvre du péril ; c’était une théorie, presque un dogme. Tous les conciles qui se sont occupés des hérésies ont invariablement décrété l’extermination des hérétiques. Il serait oiseux d’accumuler ici des exemples ; ils sont suffisamment historiques et connus. Tous les grands conciles ont mis la terreur à l’ordre du jour : celui de Latran en 1215, le plus imposant qui eût jamais été tenu, et « dont l’autorité, dit Bossuet, est si grande, que la postérité l’a appelé par excellence le Concile général ; » ceux de Toulouse en 1229, de Narbonne en 1235, d’Albi en 1254, et tant d’autres qu’il serait trop long d’énumérer ; toutes ces assemblées, invariablement, ont décrété l’extinction des dissidents par la flamme ou par le fer, ont imposé l’exécution de ces barbaries aux puissances temporelles, sous peine de déchéance et d’excommunication. En matière d’hérésie, on devait procéder sommairement, en secret au besoin. Le concile de Trente, au XVIe siècle, décida « que celui qui tue un homme par l’ordre de Dieu n’est point coupable d’homicide. »

L’Église ayant seule qualité pour transmettre les ordres de Dieu, ses règles sont absolues, ses décisions fermes et stables à jamais, et elles n’ont été rapportées ni même désavouées une seule fois dans le cours des siècles. Jamais l’Église n’a consenti à abjurer l’emploi dos moyens de terreur pour défendre ou restaurer la foi. Innocent III établit l’inquisition en 1198, l’inquisition, dont le but, l’esprit, les formes et les actes ne sont que trop connus et qui opérait encore en Espagne dans les temps modernes. Grégoire IX décrétait que « les biens des hérétiques sont confisqués de plein droit, » et en outre qu’on « peut déclarer un homme hérétique après sa mort, afin de confisquer ses biens. » Le même pape déclarait infâmes et suspendus de leur office tous avocats ou notaires exerçant pour des hérétiques. Cette décrétale n’a jamais cessé d’être appliquée dans les pays où le droit canonique a conservé force de loi, et elle l’a été il n’y a guère plus de dix ans à un avocat de Barcelone qui avait voulu défendre des protestants.

On reconnaîtra que la loi du 22 prairial et le rapport de Couthon, que nous sommes les premiers à réprouver, n’allaient pas aussi loin.

Martin V en 1420, Léon X en 1520, Clément VII en 1528, Paul III en 1536, Paul IV en 1555 et en 1559, ont tous répété l’anathème contre les hérétiques et renouvelé les injonctions aux pouvoirs séculiers d’aider l’Église de leur bras. Pie V, dont on a fait un saint, le héros de M. de Falloux, ne cessa, pendant trois années, dans ses lettres particulières au duc et au cardinal de Lorraine, à la reine Catherine, au roi Charles IX, de pousser au massacre des protestants. Après la Saint-Barthélémy, on illumine à Rome, on fait des processions en signe de joie et Antoine Muret prononce dans l’assemblée des cardinaux, en présence de Grégoire XIII, une apologie du massacre. Au XVIIe siècle, au XVIIIe siècle, les papes et le clergé de France poussent et applaudissent aux rigueurs contre les protestants. En 1787, à la veille de la Révolution, l’assemblée du clergé proteste encore contre l’édit de tolérance.

On remplirait des volumes d’exemples analogues si cela était nécessaire pour démontrer qui a conçu, enseigné, pratiqué, inculqué le système de la terreur, mais il suffit de marquer la continuité des témoignages. Au XIIIe siècle, c’est saint Thomas qui déclare que les hérétiques obstinés dans leur erreur devront non-seulement être excommuniés, mais livrés au juge séculier pour être exterminés. Au XVe siècle, c’est Gerson, réputé pour sa douceur, qui insiste pour qu’on livre Jean Huss à la hache du bras séculier et qu’on l’envoie au feu par une cruauté miséricordieuse. Au XVIIe siècle, c’est Bossuet qui, dans l’oraison funèbre de Letellier, célèbre la persécution.

Aux canons des conciles, aux bulles et aux décrétales des papes répondent les édits des rois. Saint Louis fait établir l’inquisition en France. Dans ses Établissements, il proscrit les hérétiques, provoque contre eux la délation, interdit, sous les peines les plus rigoureuses, de les assister et de les défendre, promulgue des mesures impitoyables contre les suspects et achève d’anéantir dans le sang la civilisation du Midi de la France. Passez au XVIe siècle, où l’hérésie ne donne pas moins à faire à la piété des rois que dans le XIIIe siècle. Dès 1525, vous rencontrez des lettres patentes de la reine Louise de Savoie, ordonnant de mettre à exécution la bulle de Clément VII, qui livre les biens des luthériens à l’invasion des fidèles catholiques. Les bûchers s’allument, les supplices commencent. Les édits de François Ier, du 29 janvier 1534, du 1er juin 1540, condamnent à mort les hérétiques et ceux qui les recèlent, offrent un prix à la délation et menacent les juges qui seraient coupables d’indulgence. On en vient bientôt aux exterminations en masse ; Mérindol, Cabrières, La Coste sont dépeuplées, livrées au feu, anéanties.

Les édits de Henri II, 16 novembre 1549, 12 février 1552, 24 juillet 1557, donnent pouvoir aux juges ecclésiastiques de faire exécuter leurs arrêts par leurs propres appariteurs.

Sous François II, quatre chambres ardentes sont établies, moyen plus rapide que le tribunal révolutionnaire de vider les prisons par la mort ou l’exil. L’année suivante (1560), après la conjuration d’Amboise, on pend, on noie sans forme de procès. La Loire était couverte de cadavres attachés par six, dix et quinze à de longues perches. Cela valait bien les noyades de Carrier. Les rues d’Amboise furent inondées de sang et les supplices durèrent un mois.

Que dire maintenant de la Saint-Barthélemy, qui fut le plus beau triomphe du terrorisme royal et catholique, et que sont à côté de ces grandes destructions les violences de la terreur révolutionnaire ?

Moins de cent ans s’écoulent, et les persécutions se multiplient sous le grand règne, à cette époque de mœurs élégantes et policées, avec la même cruauté qu’aux temps barbares du moyen âge.

Depuis l’édit du 7 août 1663 sur les enterrements des religionnaires, il se produit d’année en année une série d’actes et dédits qui organisent la persécution la plus cruelle. Nul ne dira jamais ce qu’elle représente de souffrances morales et physiques, de larmes, de sang et de désespoir. Les faits sont suffisamment connus et ont mérité les flétrissures de l’histoire.

Dans le cours du XVIIIe siècle, les édits et ordonnances de 1724, de 1750, de 1757, de 1769, de 1775, de 1778, consacrent, malgré les progrès de l’opinion et de la philosophie, toutes les rigueurs décrétées par les lois antérieures. Les galères, la roue, la potence, les lettres de cachet ne cessent d’être employées pour maintenir la terreur au degré voulu. Enfin, l’esprit nouveau impose au pouvoir l’édit de 1787, qui était presque un édit de tolérance, et contre lequel protesta le clergé.

Et maintenant, qu’à cette tradition funeste on ajoute tout ce qui compose l’ancien régime, toutes les violences, les injustices, les exactions, les actes de tyrannie et de cruauté, etc., et l’on sera peut-être moins tenté de s’arrêter complaisamment sur les détails d’une terreur qui avait tant de causes, de peur de trop rappeler à l’esprit le souvenir de ceux qui l’avaient pratiquée pendant tant de siècles.

Sans qu’il soit nécessaire d’entrer dans de plus amples développements, il est donc démontré par l’irrécusable histoire que la Terreur, dans ce qu’elle a de plus implacable et de plus odieux, a été pendant plus de mille ans la pratique constante, l’instrument de règne de la monarchie et du catholicisme officiel.

On doit déplorer que la Révolution n’ait pas eu la puissance de répudier cette tradition sanglante et qu’elle se soit servie des armes fabriquées par ses ennemis ; mais l’étude des faits démontrera à tous les esprits impartiaux qu’en tout état de cause la Terreur ne fut pas, comme on l’a prétendu, un système prémédité de gouvernement, mais un fait de guerre, une sorte d’explosion, un retour funeste aux traditions anciennes ; en outre, qu’elle avait été préparée par des siècles d’oppression, provoquée par des attaques furieuses, surexcitée par des périls sans exemple au milieu de circonstances effroyablement exceptionnelles ; des actes sans nombre prouvent combien la Révolution était profondément humaine ; ce fut la rage de ses ennemis qui la rendit terrible.

Le régime de la Terreur proprement dit, qui d’ailleurs avait déjà ses antécédents dans les mesures de résistance prises successivement au cours de la Révolution, date du 6 septembre 1793.

Les esprits étaient surexcités au plus haut point par une série d’événements trop connus pour qu’il soit nécessaire de les énumérer. Nous ne rappellerons que les plus récents : les révoltes fédéralistes et royalistes, outre l’éternelle Vendée, l’assassinat de Marat, Lyon en pleine révolte, Toulon livré aux Anglais, le pays inondé de faux assignats par les émigrés et les Anglais, la coalition de toute l’Europe contre nous, de nouveaux revers en Vendée et aux frontières, les crises produites par l’agiotage et l’accaparement, les trahisons, les complots, les périls, tout contribuait à exalter les âmes et à soulever les colères. Les royalistes, convaincus que la France allait être écrasée par l’Europe, se répandaient en manifestations provocatrices, au sein même de Paris, dans les théâtres et partout. Lorsque les leurs livrèrent Toulon (27 août), ils avaient montré une joie impudente. Cet acte monstrueux de trahison jeta la France républicaine dans un tel accès d’exaspération que les modérés mêmes réclamèrent des mesures de la dernière énergie, des moyens de terreur. Ce mot formidable avait déjà été prononcé, et par un indulgent, Danton.

La situation s’assombrissait de plus en plus. Les subsistances arrivaient lentement et difficilement ; outre d’infâmes manœuvres d’accaparement, chacun, craignant la disette, la faisait en entravant la circulation des grains. Eu ces grandes crises, le travail chômait ; de plus, beaucoup de familles étaient privées de leur soutien : le mari était en Vendée ou aux frontières, la femme cousait pour les ateliers de la guerre, mais était obligée de passer une partie des nuits à faire queue aux portes des boulangers, pendant que les enfants attendaient un morceau de pain.

Ces souffrances, cette position navrante donnaient prise aux royalistes qui, par des manœuvres ténébreuses, poussaient à un mouvement populaire, tactique d’ailleurs imprudente et qui ne pouvait que tourner contre eux. Mais il y avait, en outre, beaucoup d’autres causes d’agitation, et notamment la misère et la faim, qu’on essayait de conjurer par l’établissement du maximum, qui fut successivement appliqué à toutes les marchandises de première nécessité.

Le 4 septembre, des rassemblements d’ouvriers envahirent la place de Grève, en criant : Du pain ! du pain ! L’irritation était telle que la Commune même semblait menacée. Son procureur, Chaumette, harangua la foule, mais, malgré sa popularité, ne parvint que difficilement à la calmer. Il fallut la promesse des mesures les plus énergiques, qui devaient être demandées à la Convention.

Le lendemain, en effet, Pache, maire de Paris, suivi de la Commune, d’une députation des jacobins et d’une foule nombreuse, se présenta à la barre de l’Assemblée. La Convention, fort excitée elle-même, traduisit en décrets les demandes des pétitionnaires. Sur les motions de Moïse Bayle, de Billaud-Varenne, de Danton, de Léonard Bourdon, etc., et sur le rapport de Barère, elle plaça la terreur à l’ordre du jour et décréta : 1° la création d’une armée révolutionnaire, composée de 6,000 hommes et ayant pour mission de parcourir les campagnes, de comprimer les accapareurs et les aristocrates, d’assurer la circulation et l’arrivage des subsistances ; 2° la peine de mort contre l’agiotage sur les assignats, contre les prêtres rebelles, etc. ; 3° la division du tribunal révolutionnaire en quatre sections pour accélérer les jugements ; 4° le rapport du décret qui interdisait les visites domiciliaires pendant la nuit ; 5° le renvoi de Brissot et autres girondins devant le tribunal révolutionnaire ; 6° l’épuration, par le conseil de la Commune, des comités révolutionnaires établis partout pour la surveillance et l’arrestation des suspects ; 7° l’indemnité de quarante sols aux citoyens pauvres qui assisteraient aux assemblées de section, réduites à deux par semaine. Cette mesure avait pour but d’empêcher les contre-révolutionnaires d’agir seuls au nom du peuple dans les réunions de section.

Ces mesures, qui donnaient des moyens de terreur d’autant plus effrayants qu’ils étaient vagues et peu précisés, furent complétées par la fumeuse loi des suspects (v. ce nom), adoptée le 17 septembre, sur le rapport de Merlin (de Douai), un modéré. Étaient réputés suspects les partisans avérés de la tyrannie ou du fédéralisme, les ex-nobles qui n’auraient pas manifesté leur attachement à la Révolution, etc.

En outre, le comité de Salut public fut complété par l’adjonction de deux hommes d’une énergie terrible, Billaud-Varenne et Collot-d’Herbois, et le comité de Sûreté générale réorganisé avec de nouveaux membres : Vadier, Guffroy, David, Amar, Lebon, etc.

Le 10 octobre, le comité de Salut public fit présenter par Saint-Just un projet qui reliait ensemble tous ces décrets et qui établissait, jusqu’à la paix, le gouvernement révolutionnaire.

Concentration des pouvoirs, énergie des mesures, tel était désormais le mot d’ordre.

La révolte de Lyon domptée, Toulon repris, la coalition repoussée, les contre-révolutionnaires contenus, la Vendée vaincue, tels furent les résultats. On a dit, il est vrai, qu’ils eussent été obtenus sans ces moyens désespérés : question historique qu’on débattra longtemps encore. Mais, dans tous les cas, ce n’était pas l’opinion des hommes du temps, même les plus modérés. Apparemment que, vivant au milieu des périls, sous le feu de l’ennemi, ils étaient aussi compétents sur ce qui convenait au salut public que les écrivains qui, tant d’années plus tard, jugeaient paisiblement les événements du fond de leur cabinet.

La période de la Terreur fut marquée par l’exécution de la reine et des girondins, des répressions terribles à Lyon, Bordeaux, Marseille, en Vendée, etc., des emprisonnements de suspects, de nombreuses condamnations à mort par les tribunaux révolutionnaires, enfin par de nouvelles discordes entre les républicains, par la proscription de révolutionnaires ardents, ceux qu’on a nommés les hébertistes, ainsi que par celle des indulgents, c’est-à-dire Danton et ses amis.

Mais, comme compensation à ces scènes terribles, comme consolation de tant d’événements tragiques, il faut rappeler, pour l’honneur de la patrie, et les éclatantes victoires de la République contre l’étranger, et la pacification de l’intérieur, et les grandes créations de la Convention nationale dans toutes les branches de l’administration publique : préparation du code civil, du système décimal et de l’uniformité des poids et mesures, inauguration des télégraphes, grands travaux sur l’éducation nationale, sur le développement des sciences et des arts, institution du grand-livre de la dette publique, réforme du calendrier, fondation des premières écoles dans les communes, suppression des loteries, propagation de la langue française dans les départements dont les habitants pariaient divers idiomes ou patois, abolition définitive de l’esclavage dans les colonies, projet (bientôt réalisé) pour la fondation de l’École polytechnique et de l’École normale, etc. L’énumération serait trop longue et ne serait pas à sa place ici.

Nous ne voudrions certes pas affaiblir l’horreur que peuvent inspirer les luttes sanglantes de ce temps, et les emprisonnements arbitraires, et les condamnations injustes, et les exécutions odieuses ou inutiles, et les violences de Tallien à Bordeaux, de Fréron à Toulon, de Fouché et de Collot-d’Herbois à Lyon, de Carrier à Nantes, et les représailles en Vendée, etc. Mais qu’on songe à l’emportement des passions, à la fureur des attaques, à la grandeur des périls, à la fièvre de ce combat à mort. L’Empire a versé bien autrement de sang en ses immenses hécatombes humaines, en ses folles expéditions, qui n’avaient pas pour excuse l’impérieuse nécessité de sauver les libertés nouvelles et l’indépendance de la patrie. Suivant la remarque de Michelet, le nombre des personnes exécutées à Paris pendant toute la Révolution forme à peine la quarantième partie du nombre des victimes que moissonna la seule bataille de la Moskowa. Qu’on se souvienne aussi des horreurs commises par les Vendéens et par tous les insurgés royalistes, par la réaction triomphante après le 9 thermidor ; qu’on songe enfin aux excès de ce qu’on a appelé la Terreur blanche sous la Restauration.

Comme période historique, la Terreur s’étend du 5 septembre 1793 jusqu’au 9 thermidor an II (27 juillet 1794). Des historiens complaisants ont répété que Robespierre avait voulu la tempérer, l’enrayer même. Assertion plus que discutable, car il se servit de cette arme terrible pour frapper tous ses adversaires, les hébertistes, puis Danton et ses amis. Ces derniers, immolés comme indulgents, auraient plus de droits à être considérés comme antiterroristes ; car, par une réaction de pitié qui éclate dans le Vieux cordelier de Camille Desmoulins, ils n’eussent pas été éloignés d’ouvrir toutes les prisons, de submerger la France de tous les ennemis de la Révolution. Cet excès d’indulgence eût certainement été aussi funeste que le système d’épuration à outrance du parti robespierriste.

Quoi qu’il en soit, la Terreur avait fini par s’étendre aux républicains ; dans cette fièvre d’épuration, personne n’était plus assez pur, assez orthodoxe ; Robespierre et son parti usèrent cruellement de ce système meurtrier, et ce fut une des causes du 9 thermidor, car il était dans la nature des choses que tous ceux qui se sentaient menacés se liguassent pour se défendre.

Mais, d’autre part, il serait excessif de prétendre, comme on l’a répété si souvent, que Robespierre a créé, a maintenu le régime de la Terreur, qui était dans la fatalité de la situation, comme nous l’avons dit plus haut. Non-seulement la responsabilité ne peut se personnaliser, mais encore elle appartient plus aux événements qu’aux hommes, et en outre elle n’a pas été le fruit naturel de la Révolution, comme les partis de réaction l’ont ressassé avec tant de mauvaise foi, mais simplement un accident de combat.

Quelque temps après la chute de Robespierre, il y eut comme une détente, mais la Terreur ne fît que se déplacer ; ce redoutable instrument tomba dès lors aux mains des contre-révolutionnaires ; la réaction déborda, comme cela était inévitable, car Robespierre et son parti lui avaient ouvert les voies en immolant tout ce qui constituait les grandes forces de la République, la Commune de Paris, les révolutionnaires antireligieux, les dantonistes, etc.

Il n’y avait plus dès lors besoin de la guillotine et des formalités judiciaires ; c’était par le massacre et les assassinats que le royalisme procédait à l’élimination des patriotes dans toutes les parties de la France. On tuait en masse ou isolément, d’une manière suivie, en pleine lumière, dans les rues, sur les places, dans les prisons et à domicile. Les réacteurs eux-mêmes se montrèrent épouvantés de ces orgies de sang, mais sans pouvoir y mettre fin. Au régime du tribunal révolutionnaire avait succédé le règne des assassins. Ce sont ces épouvantables excès de la réaction thermidorienne, qui durèrent si longtemps et ensanglantèrent le pays entier, que certains historiens ont nommés la fin du régime de la Terreur et le triomphe de la modération.

Terreur (HISTOIRE de la), par Mortimer Ternaux (Paris, Michel Lévy, 1862-1869, 7 vol. in-8o). L’ouvrage de M. Mortimer Ternaux peut être considéré à deux points de vue, celui des faits et celui des appréciations. Les faits sont nombreux, habilement groupés, nous pourrions même dire perfidement. L’auteur a eu à sa disposition des documents qui se trouvent dans des bibliothèques généralement fermées au public ; nous voulons parler de la bibliothèque de la préfecture de police et de celle des Archives. On sent, dans l’exposition des faits et dans la manière avec laquelle ils sont présentés, que la main d’un littérateur exercé, la main d’un journaliste y a passé. En effet, M. Mortimer Ternaux n’est pas l’auteur de la partie savante, de la partie historique de son ouvrage. Les recherches qui y sont consignées n’ont pas été faites par lui. Elles ont été faites à peu près exclusivement par M. Ch.-L. Chassin, depuis rédacteur en chef de la Démocratie et auteur du Génie de la Révolution. Pendant de longues années, M. Chassin a éprouvé le sort de la plupart des jeunes écrivains appartenant à la démocratie, il s’est trouvé dans une situation des plus précaires ; aussi ne saurait-on lui faire un crime d’avoir collaboré avec M. Mortimer Ternaux, surtout si l’on considère que M. Chassin n’a fait dans l’Histoire de la Terreur que la partie laborieuse, matérielle si l’on veut, et que c’est à M. Mortimer Ternaux que revient toute la responsabilité des appréciations.

Les appréciations dont M. Mortimer Ternaux accompagne le récit surchargé et exagéré des événements accomplis sous la Terreur sont d’autant plus perfides qu’elles revêtent les apparences d’une prétendue impartialité. La manière de l’auteur que nous étudions est cauteleuse et sournoise ; le style est froid et insinuant. Lorsque l’auteur ne fait aucune appréciation, on doit surtout se méfier de lui ; s’il ne parle pas, c’est qu’il fait parler les faits, c’est qu’il les a groupés, arrangés, ornés, quelquefois même dénaturés en leur enlevant tel ou tel trait ; en sorte que, tels qu’il les présente, ils forment un terrible réquisitoire contre l’ennemie déclarée de M. Mortimer Ternaux ; nous voulons dire la République.

C’est bien à la République qu’il en veut en effet ; loin de manifester une préférence quelconque pour tel ou tel parti, loin de frapper, comme beaucoup d’historiens, tel révolutionnaire au profit de tel autre, il les englobe tous dans la même exécution discrète, qui se déguise parfois sous la forme d’un compliment ou même d’une plainte sympathique.

M. Mortimer Ternaux fait commencer la Terreur de bien bonne heure : au 20 juin ! Cette journée est pour lui la préface des massacres de Septembre, et comme il traite ceux-ci, il traite celle-là. Quel fut donc le crime du peuple au 20 juin ? Il envahit le palais pour indiquer ses volontés au roi, son mandataire infidèle, et quand il eut vu Louis XVI se coiffer du bonnet phrygien, quand le monarque tremblant eut avalé le verre de vin que l’on présentait à sa soif, ce bon peuple, confiant dans les promesses mensongères qu’on lui avait faites, se retira paisiblement. En vérité, où est la terreur dans cette journée ? Elle existait, en effet, dans le palais, où la reine, ses enfants, ses suivants et ses suivantes se cachaient dans les cabinets, derrière les meubles, les rideaux, etc., jugeant des sentiments du peuple par les leurs et n’attendant point de quartier de ces vilains à qui on n’en eût point fait si l’on avait vaincu. Mais le peuple n’était pas encore convaincu des crimes de la cour ; le peuple avait besoin d’autres preuves encore, pour en arriver à se soulever et à faire la journée du 10 août.

C’est sur les journées de Septembre que M. Mortimer Ternaux s’étend avec le plus de complaisance ; il connaît le nom de toutes les « victimes, » et, d’après lui, leur nombre est « énorme. » Nous nous permettrons de douter de l’exactitude de ses renseignements. Tous les historiens de la Révolution française ont voulu, comme M. Mortimer Ternaux, donner le chiffre des « victimes ; » aucun ne s’est trouvé d’accord avec un autre, et on trouve entre eux des différences de plusieurs milliers. Mais peu importe ; si les journées de Septembre ont été un crime, elles seraient un crime alors même qu’elles n’eussent coûté la vie qu’à une seule personne.

M. Mortimer Ternaux parcourt toutes les journées de la Terreur et nous y montre, non pas des hommes cédant à de dures nécessités et sauvant l’unité et le territoire de la France, mais bien nous ne savons quelles bêtes féroces, quels « buveurs de sang, » qui tuent pour avoir le plaisir de tuer, qui se réjouissent de l’égorgement, qui se baignent avec délices dans le sang répandu ; puis qui, après avoir tué tout le monde, se tuent eux-mêmes entre eux. Marat, Danton, Robespierre, Hébert et tous les « terroristes » se trouvent confondus et englobés dans le même anathème. Tous sont des scélérats ; la plupart sont des fous, etc., etc. Jamais rien de plus antiphilosophique, rien de plus faux en général ne fut écrit par un historien, et, alors même que tous les faits relatés par M. Mortimer Ternaux seraient prouvés, nous dirions encore qu’ils sont faux dans leur ensemble ; car la vérité ne consiste pas seulement à dire des choses vraies, mais à les présenter sous leur véritable jour.

Malgré son importance, sa longueur, son intérêt même en maint endroit ; malgré les recherches considérables qu’elle a nécessitées, l’Histoire de la Terreur ne vivra pas ; le parti pris de son auteur en a détruit toute la valeur.

Terreur (la), par H. Wallon (Paris, chez Hachette, 1873,2 vol.). Ce livre de l’historien de l’Esclavage dans l’antiquité, de Jeanne Darc, etc., n’est pas un travail d’ensemble, comme on pourrait le supposer d’après le titre, mais une suite de comptes rendus et d’analyses de divers travaux sur la période révolutionnaire. L’auteur a publié successivement ces morceaux, ces Variétés, dans une revue catholique, à des époques assez éloignées ; il les a ensuite réunis sous un titre commun qui semble promettre un récit suivi, une narration rigoureusement liée par l’unité de plan et d’exécution ; en réalité, ce n’est pas là un tableau, mais une succession de scènes historiques calquées sur différents modèles. Cela dispense à peu près de recourir à des originaux qui, eux-mêmes, ne sont pas de premier ordre. C’est comme une espèce de selecta et de réduction de quelques-unes de ces compilations indigestes dont la littérature antidémocratique accable le public depuis vingt ans et plus, une manière de thésaurus et d’anthologie contre-révolutionnaire.

L’analogie est d’autant plus sensible que l’ouvrage est noyé de citations jusqu’à submersion du texte, qui ne figure guère dans les intervalles qu’à l’état de liaisons ou de pâles résumés. C’est un travail tout en marqueterie, une compilation d’ouvrages qui ne sont eux-mêmes que des compilations, et dont la matière est triée de façon à ne laisser passer dans le tamis que ce qui peut être défavorable à la Révolution. Il serait d’un intérêt médiocre de donner un compte rendu d’un livre qui n’est qu’une série de comptes rendus. M. Wallon prend partout, fait flèche de tout bois, découpe aux ciseaux de tous les côtés tout ce qui peut diffamer la Révolution, hommes et choses, recoud tant bien que mal et bout à bout ces lambeaux, comble les vides comme il peut et se traîne ainsi jusqu’à la fin de ses deux volumes sans avoir fatigué son génie et son imagination. Ces réimpressions fragmentaires n’ont pas plus d’intérêt que d’utilité. Tout ce que M. Wallon compile et réédite, on le connaissait, on en était saturé. Il met d’abord à contribution l’Histoire de la Terreur, de Mortimer Ternaux, dont nous avons parlé plus haut ; puis le professeur allemand Schmidt, qui a bâclé avec la pesanteur germanique de prétendus Tableaux de la Révolution, compilés d’après des rapports de police, scènes d’histoire écrites par des mouchards, sorte de documents le plus souvent ineptes ou mensongers et dont le contrôle est impossible ; puis l’historien fantaisiste et doublement anglais Carlyle ; puis les frères de Goncourt, anecdotiers maniérés et sans autorité ; puis les compilations indigestes de Dauban, sa prétendue Étude sur Mme Roland, sa Démagogie en 1793, son Paris en 1794, ses Prisons de Paris, reproduction servile de récits connus, etc.

M. Wallon s’est donc réduit, par ce fatras presque tout en citations, au rôle modeste de sous-compilateur. Son ouvrage n’est pas une histoire de la Terreur, n’est pas à proprement parler un livre, mais un amas de reproductions mal liées entre elles, sans plan, sans méthode, sans critique et sans impartialité. Il n’a voulu que raviver Les haines contre la Révolution, il y a mis toute la passion cléricale et réactionnaire et il n’a fait que l’œuvre d’un sectaire et d’un écrivain de parti.

Terreur blanche. On a désigné sous ce nom les excès commis par les royalistes dans le midi de la France pendant les premières années de la Restauration. Dès le 25 juin 1815, les royalistes, excités par les prédications du clergé, massacraient à Marseille les bonapartistes et les mameluks venus d’Égypte avec l’armée française. Les maisons de ces malheureux étaient mises au pillage par une bande de forcenés, que le gouvernement des Bourbons ne fit jamais poursuivre.

À Avignon, le maréchal Brune fut assassiné le 2 août et, le 17 du même mois, le général Ramel eut le même sort à Toulouse. À la même époque, les soldats du 13e de ligne furent désarmés à Nîmes, puis massacrés, ainsi qu’un grand nombre de bonapartistes et de protestants. D’autres bandes, conduites par Servan Truphémy, Trestaillons et Quatretailions, à Nîmes, à Uzès et dans les campagnes environnantes, pillaient et tuaient les protestants tous les jours de la semaine ; mais ils respectaient pieusement le repos du dimanche et s’abstenaient, ce jour-là, de tuer. Ils respectaient la vie des dames protestantes, mais ils les faisaient cruellement souffrir dans leur chair et dans leur pudeur ; ils avaient inventé pour elles un supplice odieux, qui consistait à les fouetter avec des battoirs garnis de ferrures imitant les fleurs de lis ; souvent aussi, après les avoir fouettées, ils les épilaient. La Chambre des députés, quand on lui signala ces horreurs, se contenta de dire que, si les fidèles royalistes du Midi s’étaient portés à quelques excès, il fallait les excuser en faveur de leur zèle. Aussi, le 12 novembre suivant, plusieurs cantons du Gard virent se renouveler des scènes du même genre ; et les tribunaux, lorsque quelques-uns des faits les plus odieux leur furent déférés, condamnèrent, non ceux qui les avaient commis, mais ceux qui en avaient été victimes, comme ayant provoqué les royalistes par leurs détestables opinions.

On institua, le 7 décembre, des cours prévôtales ayant droit de traduire à leur barre tous les citoyens, et dont les arrêts étaient exécutoires dans les vingt-quatre heures. Plusieurs généraux furent condamnés à mort, entre autres Labédoyère, César, Constantin Faucher, Debelle, Travot, etc. Le général Donnadieu, après avoir déjoué une tentative insensée contre Grenoble, terrorisa le pays ; un grand nombre de paysans, parmi lesquels se trouvait un enfant de seize ans, furent condamnés à mort et fusillés. Du 27 mai au 30 juillet 1816, la guillotine se promène dans la Sarthe, l’Hérault, le Gard, l’Aude ; tous ceux qui sont connus pour avoir eu des rapports avec le gouvernement de Napoléon, les protestants, ceux qui ne fréquentent pas les églises se voient menacés dans leur liberté, dans leur sûreté personnelle. Louis XVIII finit lui-même par être effrayé de tant de violences ; il résolut de dissoudre la Chambre, retira au comte d’Artois le commandement de la garde nationale et protesta de sa résolution de gouverner selon l’esprit de la charte, qui n’autorisait pas de pareilles atteintes contre la justice et le droit.

On le voit par cette courte notice, la terreur blanche fit couler autant de sang peut-être que la terreur républicaine ; elle sema autant d’inquiétude parmi les populations ; elle ne différa de cette dernière que par la couleur du drapeau sous lequel marchaient les auteurs des mesures violentes qui les souillèrent l’une et l’autre.