Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Wallenstein ou Waldstein (Albert-Wenceslas-Eusèbe)

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Administration du grand dictionnaire universel (15, part. 4p. 1261).

WALLENSTEIN ou WALDSTEIN (Albert-Wenceslas-Eusèbe de), l’un des plus fameux généraux de la guerre de Trente ans, né en Bohême, en 1583, d’une famille ancienne et peut-être d’origine allemande. Il fut, pendant quelque temps, page du margrave de Burgau, abjura le protestantisme, bien plus par intérêt que par conviction, voyagea dans la plupart des contrées de l’Europe, fit un riche mariage à son retour et devint veuf au bout de quatre ans. L’archiduc Ferdinand, qu’il avait servi dans une guerre contre les Vénitiens en lui amenant 300 cavaliers levés à ses frais, le nomma, k la fin de la campagne, colonel des milices de Moravie. Il ne put comprimer l’insurrection de ce pays ; mais les sommes qu’il en rapporta lui servirent à lever d’autres troupes, qu’il mit au service de l’empereur. Envoyé eu Bohème au commencement de la guerre de Trente ans (1618), puis une seconde fois en Moravie (1621), il combattit ses anciens coreligionnaires, augmenta sa fortune par des confiscations immenses et se justifia des accusations portées contre lui à la manière de Jugurtha, c’est-à-dire en corrompant les personnages les plus considérables de la cour impériale. En 1625, au moment où l’empereur, qui se considérait comme le chef naturel de la ligue catholique en Allemagne, était épuisé d’hommes et d’argent et voyait décroître la prépondérance de l’Autriche, qui n’avait encore fourni que quelques corps d’armée insignifiants, Wallensteiu offrit de lever et d’entretenir une année à ses frais, à la condition qu’on lui permit de la porter à 50,000 hommes. Il fit en effet des enrôlements en Bohème, vint s’emparer du cours de l’Elbe et agir de concert avec Tilly, sans se mettre toutefois sous son commandement, repoussa victorieusement, au pont de Dessau, les attaques de Mansfeld (1626), qu’il poursuivit jusqu’en Hongrie ; il combattit encore dans ce pays Bethlen Gabor et ses alliés les Turcs, mais ne se maintint que difficilement et ne fut sauvé d’une ruine complète que par les discordes de ses ennemis. Gabor fit sa paix avec l’empereur ; Mansfeld, abandonné, essaya de s’enfuir vers l’Italie, et Wallenstein effectua sa retraite avec les débris d’une armée réduite au quart par les désertions et les maladies. Il recruta cependant de nouvelles troupes, traversa le Brandebourg, s’empara de tout le pays entre la Baltique, l’Elbe et le Weser et pénétra jusque dans le Holstein et le Slesvig. Avant cette époque même, il avait été nommé par l’empereur duc de Friedland, de Mecklembourg, prince du saint-empire, généralissime de la flotte de l’Océan et de la mer Baltique, etc. Lui-même commença, dès lors, à prendre le titre d’altesse et l’autorité d’un dictateur sur les princes et les peuples du nord de l’Allemagne. Il avait augmenté son armée jusqu’au chiffre énorme de 100,000 hommes ; cette armée lui appartenait en propre, et il faisait en réalité la guerre pour son compte, tout en n’étant en apparence que le lieutenant de l’empereur, dont il dédaignait le plus souvent les ordres. Exécutant sur une vaste échelle ce qu’avaient fait les anciens condottieri, il ouvrit un immense marché d’hommes qui faillit absorber tout ce qu’il y avait en Europe de gens de guerre et d’aventuriers de toutes les nations et de toutes les religions. Son secret pour les attirer à lui et les maintenir sous son autorité était de leur livrer le peuple, biens et vies, âme et corps, hommes, femmes et enfants. Cette prime effroyable devait nécessairement lui attirer tous les soldats de la terre. Il établit partout le règne du soldat, ou plutôt du brigand. Le sac des villes, les pillages et les massacres qui suivent l’assaut, la dévastation de contrées entières, renouvelés tous les jours sur des villes ouvertes, sur des villages, sur des pays sans défense, sans distinction d’amis ou d’ennemis, de protestants ou de catholiques, telles étaient les horreurs qui signalaient sa marche et ses opérations. Toute l’Allemagne du Nord fut ravagée ; les paysans qui échappaient aux tueries mouraient de faim sur les ruines de leurs chaumières incendiées ; d’autres, cela est attesté par tous les historiens de cette guerre barbare, se nourrissaient de chair humaine. L’homme qui présidait à toutes ces abominations, et que certaines légendes, beaucoup plus littéraires qu’historiques, voudraient faire passer pour un grand général, n’était qu’un heureux spéculateur qui avait judicieusement calculé qu’en centralisant autour de lui la presque totalité des mercenaires de l’Europe il ferait la guerre à coup sûr, n’ayant plus à combattre que des populations désarmées. Il était, au reste, inaccessible à la pitié, n’avait d’autre dieu que l’argent, d’autre foi que les superstitions de l’astrologie, d’autre but que d’acquérir de la puissance, des richesses, une souveraineté indépendante, peut-être même la couronne de Bohême. Ferdinand, cependant, cédant aux cris d’horreur qui s’élevaient de tous côtés contre ce bourreau, ou plutôt aux injonctions des puissances, des princes allemands et de la diète de Ratisbonne (1630), osa ordonner la destitution d’un homme dont la puissance était formidable et les prétentions indépendantes à peine dissimulées, et qui était de plus à la tête d’une armée de 100,000 hommes qui ne trouvaient que dans sa sûreté l’impunité de leurs crimes. Wallensteiu affecta pourtant l’obéissance et la résignation. Il rentra dans la vie privée et vécut désormais dans ses immenses domaines de Bohême et de Moravie ou dans son palais de Prague, déployant un luxe asiatique qui surpassait celui de la plupart des souverains. Cependant, les victoires de Gustave-Adolphe en Allemagne le firent rappeler par Ferdinand. Il se laissa longtemps supplier et ne consentit à reformer ses bandes et à prendre de nouveau le commandement qu’aux conditions d’être généralissime, de disposer de tous les grades, de gouverner exclusivement les pays conquis, de conserver le produit des confiscations, d’avoir seul le droit d’amnistie, d’être confirmé dans tous ses titres, etc. De plus, l’empereur ni son fils ne pourraient paraître à l’armée sans son autorisation. En peu de temps, il rassembla une armée immense et, après quelques opérations en Bohème, se dirigea sur Nuremberg, où il fut suivi par Gustave-Adolphe, qui parcourait la Bavière en triomphateur. Les deux armées restèrent pendant trois mois en présence. Wallenstein, quoiqu’il eût des forces supérieures, craignait de se mesurer avec le héros suédois et refusa obstinément le combat. Attaqué dans ses formidables retranchements, il résista pendant dix heures et ne put être forcé. À Lutzen (1632), il perdit la bataille, malgré la mort de Gustave au milieu de l’action, se retira ensuite en Silésie, où il ouvrit des négociations secrètes avec la Suède, la Saxe, le Brandebourg et même la France, dans le but secret de s’assurer la couronne de Bohême. Les victoires de Bernard do Saxe-Weimar, le danger de Maximilien de Bavière, les injonctions réitérées de l’empereur ne purent le tirer de son inaction, interrompue quelque temps après par des succès peu importants en Silésie (1633). Il rentra ensuite en Bohême, pays déjà épuisé et qu’il écrasa de contributions énormes, continuant à désobéir aux ordres de la cour de Vienne. Lassé à la fin d’une longue dissimulation, il s’ouvrit à Piccolomini d’un plan de défection qu’il avait médité, réunit tous ses généraux et les lia par écrit à la défense de sa cause personnelle ; L’empereur, instruit par Piccolomini, mit Wallenstein au ban de l’empire et le fit assassiner à Égra (1634). Ainsi se termina la destinée extraordinaire de cet homme encore si puissant la veille, qui rêvait et qui eût accompli peut-être la chute du trône impérial, s’il n'eût lui-même brisé l’édifice de sa fortune par une précipitation fiévreuse. Sa trahison, longtemps contestée, est aujourd’hui hors de doute. Ce personnage est traité avec beaucoup trop de faveur par Schiller (Guerre de Trente ans), qui ne craint pas de le comparer à Gustave-Adolphe. La trilogie de Wallenstein, du même poëte, appartient plus à la poésie qu’à l’histoire.

« Albert Wallenstein, dit Sarrazin, eut l’esprit grand et hardi, mais inquiet, ennemi du repos, le corps vigoureux et haut, le visage plus majestueux qu’agréable. Il fut naturellement fort sobre, ne dormant quasi point, travaillant toujours, supportant aisément le froid et la faim, fuyant les délices et surmontant les incommodités de la goutte et de l’âge par la tempérance et par l’exercice ; parlant peu, pensant beaucoup, écrivant lui-même toutes ses affaires ; vaillant et judicieux à la guerre, admirable à lever et à faire subsister les armées, sévère à punir les soldats, prodigue à les récompenser, pourtant avec choix et dessein ; toujours ferme contre le malheur, civil dans le besoin ; d’ailleurs orgueilleux et fier, ambitieux sans mesure, envieux de la gloire d’autrui, jaloux de la sienne ; implacable dans la haine, cruel dans la vengeance, prompt dans la colère ; ami de la magnificence, de l’ostentation et de la nouveauté ; extravagant en apparence, mais ne faisant rien sans dessein et ne manquant jamais de prétexte du bien public, quoiqu’il rapportât tout à l’accroissement de sa fortune ; méprisant la religion, qu’il faisait servir à la politique ; artificieux au possible, et affectant de paraître désintéressé ; au reste, très-curieux et très-clairvoyant dans les desseins des autres, très-avisé à conduire les siens, surtout adroit à les cacher, et d’autant plus impénétrable qu’il affectait en public la candeur et la liberté et blâmait en autrui la dissimulation dont il se servait en toutes choses. Cet homme, ayant étudié soigneusement ta conduite et les maximes de ceux qui, d’une condition privée, étaient arrivés à la souveraineté, n’eut jamais que des pensées vastes et des espérances trop élevées, méprisant ceux qui se contentaient de la médiocrité. En quelque état que la fortune l’eût mis, il songea toujours à s’accroître davantage ; enfin, étant venu à un tel point de grandeur qu’il n’y avait que les couronnes au-dessus de lui, il eut le courage de songer à usurper celle de Bohême sur l’empereur ; et, quoiqu’il sût que ce dessein était plein de péril et de perfidie, il méprisa le péril, qu’il avait surmonté, et crut toutes les actions honnêtes, outre le soin de se conserver, en les faisant pour régner ».