Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/abandon s. m.

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Administration du grand dictionnaire universel (1, part. 1p. 10).

ABANDON s. m. (a-ban-don — de a prép., et du vieux mot bandon, qui signifiait l’autorisation, la permission par ban, la liberté, le pouvoir de faire une chose. À bandon signifiait à discrétion, à volonté ; mettre quelque chose à bandon voulait dire Livrer quelque chose à discrétion, à l’abandon ; être à bandon, être à discrétion, être à l’abandon. En ne faisant qu’un seul mot de la prépos. à et du subst. bandon, on a formé le mot abandon, qui nous a fourni le dérivé abandonner. Ce mot est d’origine germanique.) Action d’abandonner quelqu’un, de le délaisser : Dieu doit à sa justice l’abandon du pécheur. (Mass.) L’oubli et l’abandon d’un seul de vos malades est une inhumanité qui révolte. (Mass.) C’était un vice bien odieux que cet abandon des vieillards. (Marmontel.) Craignez-vous d’avoir à vous reprocher un jour le malheur et l’abandon de cet enfant de mes entrailles ? (G. Sand.)

— Par anal. Action d’abandonner une chose qu’on pourrait garder pour soi : Il consent à l’abandon de ses droits. (Acad.) La question du maintien ou de l’abandon des douanes fut soulevée par la première assemblée des notables. (Mignet.)

— Par ext. Congé, permission : Il semblait qu’il eût droit d’en user de la sorte, par l’abandon et la permission du roi. (St-Simon.) Ce sens a vieilli.

— Abandon de soi. Renoncement, résignation, négligence de ses intérêts, de ses devoirs envers soi-même : Il faut vivre dans un plein abandon de soi-même à toutes les volontés de Dieu. (Bourdal.) Il y aurait un lâche abandon de moi-même à souffrir qu’on me déshonore. (Volt.) Avec moins d’indolence et moins d’abandon de lui-même, il eût été capable de remplir les plus grands emplois. (Marmontel.)

— État de celui qui est abandonné, délaissé : L’abandon de ses amis l’a consterné. (Acad.) Un malade peut juger de son état par l’abandon des médecins. (Buff.) La chute de saint Pierre n’arriva pas tant par sa négligence que par l’abandon de Dieu. (Pascal.)

— Observ. On voit, par les exemples cités plus haut, que le mot abandon, suivi de la prépos. de, marque, par rapport au complément, tantôt le sens actif, tantôt le sens passif ; c’est ainsi que ces mots : L’abandon de Thésée, signifient que ce héros abandonna Ariane ; tandis que cette autre phrase, en tout semblable L’abandon d’Ariane, signifie qu’Ariane fut abandonnée et comme cette double acception peut donner lieu à équivoque, il faut chercher une autre tournure toutes les fois qu’il pourrait y avoir doute sur le sens.

— Absol. État d’une personne délaissée : L’abandon dans la vieillesse est le sort de l’égoïste. (Boss.) Le Camoëns n’eut d’autre ressource qu’un hôpital ; ce fut là qu’il passa le reste de sa vie, et qu’il mourut dans un abandon général. (Volt.) Ceux qui ne vivent que pour eux tombent dans le mépris et dans l’abandon. (Mme de Lambert.) L’abandon est le partage des malheureux ; il ne devrait être que celui des méchants. (S. Dubay.)

....... Pourquoi m’as-tu quitté ?
Quel horrible abandon ! et je l’ai supporté !
C. Delavigne.

— S’est dit en parlant d’un lieu devenu désert : Ce fleuve s’est peut-être réjoui dans son abandon, d’entendre retentir autour de ses rives les pas d’un étranger. (Chateaub.)

— Confiance entière : L’onction de l’abandon donne une certaine vigueur dans toutes les actions et épanche la joie du Saint-Esprit jusque sur le visage et dans les paroles… Allez donc à Dieu en abandon. (Boss.) Si quelque chose est capable de mettre un cœur au large et en liberté, c’est cet abandon à la Providence. (Fén.) || Absence d’apprêt, d’effort, de calcul ; négligence aimable, où l’on cesse en quelque sorte de s’observer, de se contraindre, où l’esprit se laisse aller à l’impulsion naturelle de ses idées et de ses sentiments, de son caractère ; laisser-aller gracieux dans les manières : Cette femme a dans ses manières un abandon séduisant. (Acad.) Il trouvait en elle trop de hauteur et pas assez de complaisance et d’abandon. (Marmontel.) Ces filles altières n’ont ni la souplesse ni l’abandon des femmes que la nature a destinées à la maternité. (Balz.) L’abandon est une qualité qui ne s’acquiert pas. (La Rochef. Doud.) L’enfance jouit de la vie avec abandon et avec une sécurité admirable. (P. Janet.)

Son corps à la beauté, ce trop fragile don,
Joignait des mouvements le facile abandon.
Delille.


Abandon de cœur, Ouverture d’âme, franchise, expansion : Elle s’était montrée, par son imprévoyance et son abandon de cœur, la digne fille d’Antoine. (G. Sand.) Il n’y eut pas un seul moment d’ abandon de cœur dans toute la vie de madame de Maintenon (Sainte-Beuve.)

— Jurispr. Cession, renonciation, délaissement : Il a fait abandon à ses créanciers de tous ses biens meubles et immeubles. || L’abandon de biens est fait par un débiteur malheureux et de bonne foi, qui délaisse tous ses biens à ses créanciers pour éviter leurs poursuites et l’effet de la contrainte par corps ; cet acte est plus connu sous le nom de cession de biens. || L’expression abandon de biens s’entend plus spécialement d’un partage de biens anticipé, fait par un père entre ses enfants, dans la vue d’éviter les difficultés auxquelles ce partage pourrait donner lieu après sa mort. || L’abandon que, dans certaines circonstances, un tiers détenteur est autorisé à faire d’un objet déterminé, s’appelle délaissement. || Abandon s’emploie encore dans le sens de délaissement en matière d’hypothèque, de bail. || Suivant les règles du droit romain, le propriétaire de l’animal par lequel un dommage avait été causé pouvait se décharger de la responsabilité en abandonnant l’animal à l’individu lésé ; c’est ce que l’on appelait l’abandon noxal.

Abandon d’action, Acte par lequel la partie lésée, qui a pris d’abord la voie soit criminelle soit civile, l’abandonne pour porter son action devant une autre juridiction. || Abandon d’époux, Acte par lequel un des deux conjoints quitte l’autre. || Abandon malveillant, Absence d’un conjoint, en Hollande, pendant cinq ans du domicile conjugal, et refus d’y rentrer. Cet abandon donne lieu au divorce par contumace. || Abandon maritime. On appelle ainsi l’abandon du navire et du fret, fait par l’armateur, pour se décharger de la responsabilité des faits du capitaine. || Ce mot est aussi synonyme de délaissement, en parlant de l’assurance maritime.

— Bourse. Acte par lequel l’acheteur renonce à un marché conclu en consentant à payer la prime.

— Législ. milit. Crime dont se rend coupable un soldat en quittant son poste ou son drapeau.

— Escr. Abandon de l’épée, Mouvement par lequel on quitte le fer, soit en marchant, soit en prenant le plus long pour aller aux parades.

À l’abandon, loc. adv. Sans secours, sans protection, etc. : Laisser ses enfants à l’abandon. || Dans le désordre, dans la confusion : Tu laisses aller tes affaires à l’abandon. (Mol.) Tout l’Occident est à l’abandon. (Boss.) Les lois étaient en oubli, les finances au pillage, la discipline militaire à l’abandon. (Marmontel.)

……… Mon château, ma famille,
Mon bien, tout est pillé ; tout est à l’abandon.
Voltaire.

— Dans une douce familiarité, sans réserve : Rien n’est plus doux que d’être à l’abandon avec ses amis. (Duc du Maine.)

Épithètes. Pénible, triste, douloureux, navrant, cruel, criminel, lâche, infâme, honteux, humiliant ; absolu, entier, total, forcé, volontaire ; sincère, généreux, magnanime, sublime.