Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/abbaye s. f.

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Administration du grand dictionnaire universel (1, part. 1p. 14-15).

ABBAYE s. f. (a-bè-î — du lat. abbas, abbé). Monastère d’hommes ou de femmes, dont les revenus constituaient un bénéfice au profit de l’abbé ou de l’abbesse qui le dirigeait : L’abbaye de Port-Royal était une des plus anciennes abbayes de l’ordre de Citeaux. (Acad.) Il faudrait établir sur divers points de la France et dans les villages pauvres trente abbayes pour les vieilles filles. (Beyle.) En général, les abbayes de filles étaient en France plus peuplées que les abbayes d’hommes.(Alf. Maury.)

— Se prend pour le bénéfice même, et le revenu dont jouissait l’abbé : Ce garçon si frais, si fleuri et d’une si belle santé, est pourvu d’une abbaye. (La Bruy.) Sully, tout huguenot qu’il était, avait des abbayes. (Balz.) Il était doté de revenus ecclésiastiques et d’abbayes qui élevaient sa fortune au niveau des fortunes royales. (Lamart.)

— Les bâtiments de la communauté, du monastère : L’abbaye, considérée comme bâtiment religieux, ne se distinguait par aucun caractère tranchant, d’un monastère quelconque, et son église d’une église, ou même d’une cathédrale. (Alf. Maury.)

Abbaye en règle, Celle à laquelle on ne pouvait nommer pour abbé qu’un religieux. || Abbaye en commende, Celle à laquelle on pouvait nommer un ecclésiastique séculier. || Abbaye royale, Celle qui était fondée ou dotée par un roi. || Abbaye mère, Abbaye qui avait donné naissance à plusieurs monastères du même ordre. On l’appelait aussi abbaye chef d’ordre. || Abbaye élective, Abbaye qui avait le droit de nommer son supérieur.

— Fig. Séjour où l’on jouit d’un doux repos au sein d’une société choisie : Je devais bien cet adieu à la belle Diane et à l’aimable abbaye. (Mme  de Sév.) J’ai été bien consolé quand vous m’avez appris que vous viendriez passer quelque temps dans votre ancien ermitage, et accepter une cellule dans l’abbaye de Ferney. (Volt.)

Être de l’abbaye de quelqu’un, Être de sa société, || Souliers de cuir d’abbaye, Souliers très-doux.

— Prov. Pour un moine l’abbaye ne faut, ne chôme, ne manque pas, L’absence d’une personne ne doit pas empêcher une affaire de se conclure, une partie de plaisir d’avoir lieu.

Abbaye de Monte-à-regret. Argot. Jadis la potence, aujourd’hui la guillotine. Il serait superflu d’expliquer les mots monte à regret. Le mot abbaye vient de ce qu’un ou plusieurs prêtres accompagnent toujours le condamné. Une des rues de la ville de Sens, qui conduit à la place où se font les exécutions capitales, s’appelait dernièrement encore rue de Monte-à-Regret. || Autrefois, le mot abbaye entrait aussi dans une périphrase facétieuse du vocabulaire de nos pères : une femme de mœurs faciles était dite de l’abbaye de S’offre-à-tous.

Littérat. Abbaye de Thélème. Endroit où tout est en abondance, et où la vie est remplie de toutes les jouissances matérielles : La Touraine est la véritable abbaye de Thélème, si vantée dans le livre de Gargantua. (Balz.) || C’est une allusion à l’une des plus charmantes créations de Rabelais. V. Thélème.

Encycl. Hist. C’est en Orient qu’est née la vie monastique ; elle ne s’introduisit en Occident que vers le commencement du ve siècle. Dans l’origine, moines et abbés étaient laïques ; plus tard ils appartinrent au clergé. Il faut distinguer les abbayes des simples monastères. Lorsque le goût de la vie monastique eut donné naissance à des ordres nombreux, le nom d’abbé, d’abord réservé au supérieur de chaque monastère, fut appliqué tantôt au général, tantôt au chef des fractions importantes de l’ordre, et le nom d’abbaye désigna les monastères les plus riches et les plus importants. Au commencement les abbés étaient élus dans toutes les abbayes par les moines assemblés en chapitre ; plus tard, les rois eurent le droit de nomination dans un grand nombre d’abbayes : de là la distinction des abbayes en règle et des abbayes en commende. Les premières étaient celles qui avaient conservé leur droit d’élection, les secondes celles où le roi conférait avec le titre d’abbé les privilèges attachés à ce titre. Les abbés réguliers, tous prêtres, étaient à la tête du temporel comme du spirituel des couvents. Les abbés commendataires étaient des laïques tonsurés, qui devaient recevoir les ordres dans l’année. Comme cette clause n’était jamais exécutée, ils n’exerçaient pas le pouvoir spirituel, lequel était délégué à un religieux appelé Prieur claustral. On comprend que les abbayes en commende offraient aux rois une source de revenus dont ils pouvaient disposer, dont ils disposèrent le plus souvent soit comme récompense, soit comme faveur. Des personnages de la plus haute naissance étaient abbés commendataires, et la plus haute noblesse de France sollicita souvent des abbayes en commende pour ses cadets. L’Église condamnait les abbayes en commende ; mais le pouvoir temporel l’emporta en France, et, en 1516, le concordat entre Léon X et François Ier accorda au roi la nomination à toutes les abbayes françaises, sauf à celles de Cluny, Cîteaux, Prémontré, et quelques autres. (C’est principalement à ces abbés de commende que se rapportent toutes ces anecdotes grivoises qui émaillent les ana du xviiie siècle.)

Parmi les abbayes qui occupent un rang dans l’histoire, il convient de citer celles de Cluny, de Cîteaux et de Prémontré en France, de Fulde et de Corvey en Allemagne, de St-Gall en Suisse, du Mont-Cassin en Italie, et de Westminster en Angleterre. La plus ancienne abbaye de femmes en France était celle de Ste-Radegonde, à Poitiers, fondée en 567.

Les abbayes ont rendu de grands services à l’agriculture, aux sciences et aux lettres. On doit constater et admirer avec M. de Montalembert « la mise en culture par leurs mains de tant de déserts et de tant de forêts, la transcription et la conservation de tant de monuments historiques. » Celles des bénédictins surtout furent de grands foyers littéraires. V. Bénédictins.

Syn. Abbaye, couvent, monastère. L’abbaye ou le monastère est une communauté plus riche et d’un ordre plus élevé que le couvent ; le nombre des religieux y est bien plus considérable. Abbaye diffère de monastère, surtout parce qu’il fait penser au titre d’abbé ou d’abbesse donné au chef de l’établissement, et comme ce titre est le plus élevé de tous dans la hiérarchie monastique, l’abbaye a souvent plus d’importance encore que le monastère. Un couvent est dirigé par un supérieur ou un prieur ; un couvent de femmes par une supérieure ou une prieure. Dans le langage ordinaire, couvent se dit de toutes les communautés en général, surtout des communautés de femmes.