Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/attentat s. m.

La bibliothèque libre.
Administration du grand dictionnaire universel (1, part. 3p. 890).

ATTENTAT s. m.’(a-tan-ta-rad. attenter). Attaque violente dirigée contre l’ordre politique ou social, le souverain, sa famille, les personnes et les propriétés : Attentat à la sûreté de l’État. Attentat à la vie de l’empereur. Attentat aux mœurs. Attentat horrible. Lâche attentat. Attentat contre la pudeur. Attentat contre des droits reconnus, contre des libertés publiques. Faire, commettre un attentat. C’est un attentat dont il sera fait justice. L’assassinat du président Lincoln est un des plus exécrables attentats dont l’histoire des peuples civilisés offre l’exemple. Ce tyran fut puni de tous ses attentats. (Acad.) Vous verrez la majesté violée par des attentats jusqu’alors inconnus. (Boss.) Tout attentat contre le christia isme est un attentat contre la société. (De Kontanes.) L’esclavage est une institution criminelle, parce que c’est un attentat à ce qui constitue l’humanité. (V. Cousin.) Une guerre inutile est aujourd’hui le plus grand attentat qu’un gouvernement puisse commettre. (B. Const.) Toutes les révolutions romaines ont pour cause un attentat à l’honneur domestique. (Proudh.) L’adultère pour une femme est le plus grand de tous tes attentats qu’elle puisse commettre contre l’honneur du mari. (Ventura.) Une violence exercée sur le plus humble individu est un véritable attentat contre ce qu’il y a de plus auguste sur la terre (Ed. About.) À l’époque de notre révolution, la violation des tombes royales précéda les attentats régicides. (V. ugo). Le despotisme est un attentat contre l’existence morale de la société et de ses membres. (Bautain.)

De grâce, apprenez-moi, seigneur, mes attentats.

Racine.

L’excès des attentats en est souvent le terme.

La Harpe.

Dieu prescrit la justice, et non les attentats

Liadière.

Tout ce peuple a des yeux pour voir quel attentat
Font sur le bien public les maximes d’État.

Corneille.

….. De ce couple perfide
J’avais presque oublié l’attentat parricide.

Racine.

Il nous a déployé l’ordre dont Amurat
Autorise ce monstre à ce double attentat.

Racine.

Et son trouble appuyant la foi de vos discours,
De tous ses attentats me rappelle le cours.

Racine.

… Il n’ira point par un lâche attentat,
Soulever contre lui le peuple et le sénat.

Racine.

Quelque horreur que d’abord un attentat nous donne,
Son horreur diminue alors qu’il nos couronne.

Ducis.

Quand le maître aux sujets prescrit des attentats,
On présente sa tête si l’on n’obéit pas.

La Harpe.

Un premier attentat couronné du succès
Est un chemin frayé vers les derniers excès.

Ponsard.

C’est peut-être demain que jailliront éclos
Ces vastes attentats inédités à huis clos.

Barthélémy.

— Par exagér. Violation de ce qui doit être respecté : Toute innovation contraire à la nature de notre prosodie et au génie de notre langue, doit être signalée comme un attentat aux premiers principes du goût. (V. Hugo.)

La satire souvent, à l’aide d’un bon mot.
Va venger la raison des attentats d’un sot.

Boileau.

Attentat sur soi-même. Action coupable qui n’atteint, même dans l’intention, que la personne qui la commet : Les prodigalités d’un père dissipateur ne sont pas seulement un attentat sur lui-même, ii Se dit particulièrement du suicide, considéré comme un acte criminel : L’incrédulité a/franchit de toute peine /’attentat sur soi-même, puisqu’elle en fait le terme de tout. (La Luzerne.)

— Jurispr. Attentat aux mœurs, Crime contre les personnes, ayant pour résultat de blesser la pudeur publique, de nuire aux mœurs, de violer la foi conjugale. Il Attentat à la pudeur, Crime contre les personnes, caractérisé par des actes de violence ayant pour •effet de blesser profondément la pudeur de la victime, quel que soit le mobile qui les ait inspirés. Cet attentat, est également punissable lorsqu’il a été commis, sans violence, mais sur la personne ou avec la coopération d’enfants de l’un ou l’autre sexe, âgés de moins de treize ans.

Encycl. Droit. À part les actes contraires aux bonnes mœurs, et dont il serji parlé sous une rubrique spéciale, l’expression d’attentat a été réservée pour certains crimes exceptionnels : « Ce sont surtout ceux qui, en s’attaquant à la souveraineté dans le chef qui la personnifie, dans la dynastie qui la perpétue et dans le gouvernement qui la résume, impliquent un attentat contre la société elle-même… Ils sont plus odieux, sans doute, et plus exécrables, quand, à l’agression qui menace le pouvoir, ils joignent l’assassinat qui ensanglante la société, et le régi’cide qui cherche ses victimes jusque sur le trône ou sur les marches du trône. » (M. de la Guéronnière.)

Avant la Révolution, il n’y eut pas de peine jugée trop sévère, disons plus, de supplice trop terrible pour punir ces attentats, que la législation qualifiait de crime de lèse-majesté, parce qu’ils rentraient, au premier chef, dans la classe de ceux qui offensent la majesté souveraine. Les lois romaines, auxquelles cette qualification avait été empruntée, ne prononcèrent d’abord contre les coupables que l’interdiction de l’eau et du feu et la déportation ; plus tard, cette peine fut étendue jusqu’au dernier supplice. En France, les ordonnances ne déterminèrent pas d’une manière précise les peines à infliger aux individus convaincus d’attentats de ce genre : les juges devaient spécifier avec détails le supplice du coupable, supplice toujours atroce, dans lequel, pour rendre le châtiment plus terrible et plus exemplaire, on accumulait les tortures les plus horribles. Toute considération d’humanité devait céder devant la raison d’État : on sait quelle fut la mort de Chàtel, de Ravaillac et de Damiens ; l’arrêt rendu contre ce dernier, le 26 mars 1757 (il y a un siècle à peine !), par le parlement de Paris, prouve jusqu’à quel point les juges voulaient satisfaire la vindicte publique : « On dirait, écrit un criminaliste, qu’ils aient épuisé toutes les ressources de leur imagination pour chercher des tortures, et ne se soient arrêtés que devant l’impossibilité d’en trouver de plus affreuses. » (Trébutien.) Au supplice, venaient s’ajouter la confiscation des biens au profit du roi, et d’autres peines qui atteignaient surtout la famille du coupable.

La Révolution fit justice de cette législation barbare, et le Code pénal de 1791 (2e partie, tit. I, sect. 2c), précurseur de celui de 1810, crut faire assez pour la sûreté de l’État et du souverain en édictant la peine de mort, sans tortures inutiles. Le Code de 1810 (art. 86 et suiv.) punit de la même peine l’attentat et le complot, en l’aggravant de la confiscation des biens du condamné, pour avertir « le sujet ingrat et rebelle que tous les complots qu’il forme, que toutes les tentatives qu’il ose employer, loin de servir à l’élévation de sa famille, deviendront la cause immédiate de sa destruction et de sa ruine. » (Rapport de la commission.) Cette peine accessoire fut abrogée par la Charte de 1814 (art. 66), et l’économie même des dispositions de cette partie du code reçut plus tard de graves modifications. La loi du 28 avril 1832 créa une théorie nouvelle : elle décida (Code pénal, art. 88) que l’attentat, pour lequel la peine de mort était maintenue, serait constitué seulement par l’exécution ou la tentative, et plaça le complot dans une catégorie inférieure, punie de peines moins sévères, graduées en raison du développement qu’a reçu la pensée coupable depuis la proposition faite et non agréée de former un complot, jusqu’à la préparation de l’exécution. « La conscience, dit M. Dumon, rapporteur de la loi à la Chambre des députés, ne peut admettre l’égalité entre le complot et l’attentat. La simple résolution du crime peut-elle se comparer à son accomplissement ? Combien d’incertitudes et de remords entre le projet et l’exécution ?… Est-il possible de placer sur le même rang et de punir de la même peine l’inexpérience, qui n’a subi aucune de ces épreuves, et la persévérance, qui leur a résisté ? Sous le point de vue de l’utilité, cette assimilation du complot à l’attentat peut devenir funeste. Ce complot formé, l’intérêt évident des conspirateurs est d’en précipiter l’exécution : déjà menacés de la mort, ils n’ont plus rien à craindre ; placés entre le succès et le supplice, l’hésitation est dangereuse, le repentir impuissant, et ils sont souvent poussés au crime par le besoin et l’espérance d’échapper au châtiment. »

La pensée de la loi était certainement juste et humaine ; les faits ne répondirent pas aux espérances du législateur, car, de 1832 à 1848, les attentats et les complots se succédèrent avec une déplorable persistance. La révolution de Février, en chassant la royauté et en abolissant la peine de mort en matière politique, abrogea implicitement les art. 86 et suiv. du Code pénal. Lorsque, plus tard, les événements de 1851 et de 1852 eurent rétabli le trône impérial, on se demanda si ces articles ne revivaient pas par le seul fait du rétablissement de la monarchie. Dans le doute, un projet fut présenté au Corps législatif, et devint, après une discussion sérieuse, la loi du 10 juin 1853, qui rendit de nouveau exécutoires les art. 86 et 87, en les modifiant gravement, toutefois. Il importe de noter, comme un symptôme considérable, l’abolition de la peine de mort en matière politique, de nouveau et solennellement proclamée : l’attentat dont le but est de détruire ou de changer le gouvernement et l’ordre de successibilité au trône, ou d’exciter les citoyens à s’armer contre l’autorité impériale, est puni de la déportation dans une enceinte fortifiée (art. 87). Il en est de même de l’attentat contre la personne d’un membre de la famille impériale (art. 86, § 3), et de celui qui a pour but d’exciter à la guerre civile en armant les citoyens les uns contre les autres, soit de porter la dévastation, le et le pillage dans une ou plusieurs (art. 91). La peine capitale était maintenue pour les attaques contre la vie et la personne de l’empereur, assimilées au parricide et punies de même, et celles contre la vie des membres de sa famille (art. 86, § 1 et 2). On comprend toute la distance qui sépare d’un acte purement, politique l’attentat qui agresse la personne et à la vie du souverain. Nous traiterons ailleurs des offenses contre les personnes revêtues d’un caractère public, des complots et des autres faits qui, légalement, ne se confondent pas avec l’attentat.

Attentat à la pudeur. L’attentat à la pudeur, avant la loi du 28 avril 1832, était impuni lorsqu’il était commis sans violence ; on comprit cependant qu’il était nécessaire de protéger l’enfance contre des actes odieux qui disposent à une immortalité précoce, et dont rien ne la défend. Chez l’enfant, la pudeur n’est pas née, le sentiment n’existe pas ; le consentement, par conséquent, n’est ni libre, ni raisonné. Dans l’intérêt des mœurs publiques et privées, on punit de la peine de la réclusion l’attentat à la pudeur tenté, ou consommé sans violence, sur la personne d’un enfant de moins de onze ans. Le nombre des affaires de ce genre portées devant les cours d’assises a prouvé toute l’étendue du mal auquel on avait voulu porter remède. Ce nombre, malgré la sévérité des condamnations, s’est accru, à raison peut-être du perfectionnement de la police judiciaire, à laquelle échappent maintenant bien peu dé faits délictueux. Le gouvernement, justement ému de ce débordement d’immoralité, et convaincu, par une expérience de trente ans, que la limite de onze ans laissait sans défense des enfants plus âgés, et chez lesquels le consentement était encore irraisonné, a demandé au Corps législatif de porter à treize ans cette limite. La loi du 13 mai 1863 a modifié dans ce sens l’art. 331 du Code pénal, qui punit également de la réclusion l’attentat commis par un ascendant, sans violence, sur le mineur de plus de treize ans, mais non émancipé par le mariage ; l’attentat, commis sans violence sur un mineur de moins de treize ans, est puni des travaux forcés a temps lorsqu’il est commis par une personne ayant autorité Sur l’enfant, par un instituteur, un ministre du culte, un serviteur à gages, ou à l’aide d’une ou de plusieurs personnes (art. 333, Code pénal).

L’attentat à la pudeur avec violence est puni de la reclusion : lorsqu’il est commis sur un enfant de moins de quinze ans, la peine est celle des travaux forcés à temps, et celle des travaux forcés à perpétuité lorsqu’il est commis avec les circonstances aggravantes mentionnées en l’art. 333.

L’attentat à la pudeur diffère du viol en ce qu’il n’a pas pour but un rapprochement sexuel, et qu’il peut être inspiré par une pensée de jalousie et de vengeance aussi bien que par un désir obscène ; il diffère de l’outrage publie à la pudeur en ce que l’acte, licite en lui-même, n’est puni qu’à cause de la publicité qu’il reçoit.

Attentat aux mœurs. Dans tous les pays et dans, tous les temps, les législateurs se sont préoccupés de protéger l’honnêteté publique et la pudeur des personnes par des dispositions répressives. En France, la loi du 18 juillet 1791 a, pour la première fois, réuni dans un ensemble de dispositions les attentats aux mœurs, qui ont été depuis définis avec plus de soin et plus complètement caractérisés par le Code pénal de 1810, la loi du 17 mai 1819, celles du 28 avril 1832 et du 13 mai 1863.