Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/bac
BAC s. m. (bak — du tudesque bach, nom sous lequel on désignait un grand baquet ou tout autre grand vaisseau de même sorte; en holland. bak ; en allem. back). Grand bateau plat destiné à passer des voyageurs, des animaux, des voitures, des marchandises, d’un bord à l’autre d’une rivière, à l’aide d’un câble tendu en travers du cours de l’eau, et qui sert à diriger l’embarcation : Passer des chevaux, des bœufs, dans un bac. L’autorité domaniale enleva peu à peu l’exploitation des bacs à la féodalité. (St-Germain.) || L’endroit même où est établi le bac : Il était nuit quand nous arrivâmes au bac. || Service de bacs établi pour passer une rivière : Les bacs étaient autrefois des entreprises particulières, appartenant à quelque châtelain (St-Germain.)
— Passer le bac, Passer la rivière dans un bac : Henri IV faillit périr avec une partie de sa cour en passant le bac à Neuilly. (St-Germain.)
— Loc. prov. Mener le bac, Gouverner, diriger les affaires. Dans ce dernier sens, on dit plus ordinairement mener la barque.
— Mar. et navig. Bateau plat pour traverser des bras de mer ou des cours d’eau. || Petit bâtiment pour transporter le goudron.
— Pêch. Endroit plein d’eau où les pêcheurs conservent du poisson.
— Techn. Cuve, baquet en usage dans diverses professions. || Cuve destinée à recevoir les eaux pluviales. || Grande cuve où les brasseurs font germer, macérer et fermenter le houblon. || Petit bassin de fontaine. || Grande auge à piler le sucre au sortir de l’étuve. || Bac à formes, Auge de bois où l’on met les formes eu trempe. || Bac à sucre, Auge où l’on jette les matières de raffinerie triées et sorties des barils. || Bac à chaux, Auge où l’on éteint la chaux qui sert pour les clarifications dans les raffineries. || Bac à terre, Auge où le raffineur délaye la terre employée pour terrer le sucre. || Espèce de chariot a roues de fer, qui sert au transport de la houille dans les mines d’Anzin. || Sorte de charrette à bras, en usage à Anvers : Sur le marché se trouvait une petite charrette à deux roues, semblable à ces petites charrettes qu’on nomme à Anvers bac à moules, parce qu’elles sont principalement employées au transport de ces mollusques. (L. Wocquin.)
— Hortic. Grand baquet pour l’eau, dans une serre.
— Féod. Droit de bac, Droit conféré aux seigneurs d’établir des bacs ou voitures d’eau sur les cours d’eaux qui traversaient leurs domaines, et de fixer à leur gré le tarif du passage. || On disait aussi droit de voiture d’eau.
— Dr. civ. Servitude qui grève un lac ou un cours d’eau de propriété privée et donne le droit d’y passer en bac ou bateau.
— Encycl. Il arrive assez fréquemment que le tracé d’un chemin est coupé par une rivière en un point où la circulation n’est pas suffisante pour motiver la dépense qu’entraînerait l’établissement d’un pont, si économiquement qu’il soit construit. C’est alors au moyen d’un bac qu’on fait passer d’une rive à l’autre les voyageurs ainsi que les chevaux, voitures, charrettes, etc., lorsqu’il n’y a pas de pont assez voisin pour que les voitures puissent y passer.
Le bac devant pouvoir s’approcher très-près des berges, pour que les chevaux et voitures puissent y entrer, est terminé a l’un et à l’autre bout par des plans inclinés auxquels s’adaptent des planchers mobiles, assemblés avec ceux-ci au moyen de charnières. Ces planchers sont tenus relevés pendant toute la traversée ; quand on atteint le bord, on abaisse le tablier correspondant, ce qui permet aux bestiaux et aux voitures de passer facilement du bac sur la berge et réciproquement.
Un bac étant généralement très-chargé, sa forme d’ailleurs rendant considérable la résistance due au liquide déplacé pendant la marche, ce n’est pas avec des avirons qu’on le fait avancer ; on utilise l’action du courant, qui fait passer le bac d’une rive à l’autre, grâce a la réaction d’un cordage tendu en travers du cours d’eau, ou, ce qui est préférable toutes les fois qu’on le peut, fixé par une ancre en amont du passage ; dans ce cas, le système porte le nom de traille. Le gouvernail permet d’utiliser l’action du courant dans l’un et l’autre cas, en faisant glisser le bac le long du câble tendu, ou en lui faisant décrire un arc de cercle dont l’ancre est le centre, quand le bac est à traille. Pour que le passage s’effectue plus rapidement, on ajoute souvent l’action des rames à celle du courant, ou, quand la disposition du cordage le permet, on se hale en le plaçant sur l’épaule et en marchant de l’avant à 1 arrière du bac sur la diagonale suivant laquelle le câble le traverse.
Les câbles tendus en travers du cours d’eau présentent quelques inconvénients évités par les trailles. Pour ne pas gêner la navigation, ils doivent être tendus à une grande hauteur, ou plonger dans l’eau. Dans l’un et l’autre cas, leur installation présente quelque difficulté, par suite de la tension qu’on doit leur donner, laquelle tend à déraciner les pieux ou échafaudages plantés dans la grève et sur lesquels sont fixées les extrémités du grelin. Dans les trailles, au contraire, le câble n’éprouve d’autre tension que celle qui provient de la réaction du courant sur le bac. Il est à regretter que ce système soit peu connu en France, où l’on en voit peu d’applications, tandis qu’on en trouve de nombreuses sur l’Escaut, le Rhin et le Pô. Disons d’ailleurs que l’avantage des trailles n’est très-sensible que sur les fleuves larges et rapides. Pour la facilité des manœuvres, il faut que le câble d’une traille soit au moins égal à la largeur du fleuve ; il est soutenu de distance en distance par de petits pontons.
Parmi les bacs les plus importants, il faut citer celui de Diou (Allier) sur la Loire, qui fait jusqu’à cent traversées par jour, et peut porter chaque fois quarante personnes et six à huit tombereaux lourdement chargés des minerais de fer que l’usine du Creuzot fait extraire près de là, à Saint-Aubin et à Gilly (Saône-et-Loire).
— Dr. civ. et admin. Le droit de bac, qui, avant la Révolution, appartenait aux seigneurs, et qui avait été maintenu par le décret du 15 mars 1790 (tit. II, art. 15), fut définitivement aboli le 25 août 1792 (décret, art. 9) : il devint loisible à tout particulier d’établir des passages d’eau en payant un loyer fixé par le directoire du département. Plus tard (loi du 6 prairial an VII), la propriété de ces passages fut attribuée au domaine public, et cette prise de possession s’appliqua à tous les cours d’eau, navigables ou non.
Aux termes des lois et règlements actuels, aucun passage d’eau ne peut être établi sans faire l’objet d’une instruction administrative, dans laquelle le préfet, les.ingénieurs des ponts et chaussées, les conseils municipaux des communes intéressées, le sous-préfet de l’arrondissement et le directeur des contributions indirectes, doivent formuler des propositions ou des avis ; la décision est prise ensuite par le ministre des travaux publics. Un cahier des charges est dressé sous la direction du ministre des finances, et le passage est mis en ferme en adjudication publique. L’adjudicataire est soumis à un cautionnement reçu par le préfet, et, en cas d’inexécution de ses obligations, peut être contraint par corps. Il est tenu de se conformer au tarif approuvé par le ministre des finances, et ne peut employer au service du bac que des personnes âgées de plus de vingt et un ans, pourvues de certificats d’aptitude et de moralité. Lorsque l’adjudication n’a donné aucun résultat, l’administration peut recourir à l’abonnement, en s’adressant directement à des soumissionnaires.
Quoiqu’en principe les tribunaux administratifs soient seuls compétents pour juger les questions litigieuses relatives aux bacs et passages d’eau, une exception a été faite pour déférer au juge de paix les contestations civiles sur l’application des tarifs de passage (loi du 2 vendémiaire, an VIII). Les contraventions aux règlements sur la police des bacs et sur la perception des droits de péage sont punies par les tribunaux de simple police.
Outre les bacs publics, il peut exister, sur les cours d’eau navigables ou non, des bacs particuliers établis pour le seul usage d’une personne privée ou l’exploitation d’une propriété circonscrite par les eaux, sous la condition d’une autorisation accordée par l’autorité administrative (le préfet). Ces permissions sont très-faciles à obtenir, et les concessionnaires de bacs ne sont pas admis à se plaindre de ces exceptions, si les particuliers qui en profitent n’en font pas abus : ils doivent indiquer nominativement les personnes attachées à leur exploitation et interdire à toute autre l’usage de leur bac. Les bateaux de promenade et d agrément, dont la destination est tout autre que celle des bacs, ne sont assujettis à aucune autorisation autre qu’un laissez-passer annuel de la régie des contributions indirectes.
La servitude de bac ou passage sur un lac ou un cours d’eau appartenant à un particulier s’établit par titres et même par prescription, si l’existence en est manifestée par des ouvrages apparents et permanents ; les contestations auxquels elle peut donner lieu sont de la compétence des tribunaux civils.
Le nombre des bacs publics diminue chaque année, et le bénéfice qu’ils rapportent au trésor n’est compté.au budget que pour une somme insignifiante. L’administration annonce l’intention de supprimer peu à peu tous ces passages et de les remplacer par des ponts, comme elle l’a déjà fait pour un grand nombre. Il est même question (août 1865) de mettre les bacs dans les attributions des conseils généraux et d’abandonner aux départements les recettes qui en proviennent.