Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/brumaire s. m.

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Administration du grand dictionnaire universel (2, part. 4p. 1342-1343).

BRUMAIRE s. m. (bru-mè-re — rad. brume). Chronol. Deuxième mois de l’année républicaine.

— Encycl. Hist. La date du 18 brumaire rappelle un des événements les plus considérables de l’histoire moderne, et particulièrement de l’histoire de France. Nous renvoyons le lecteur au mot Bonaparte, où cet épisode de notre grande Révolution est raconté dans tous ses détails. Ce coup d’État, qui a eu pour conséquence finale l’avènement d’une nouvelle race, a été l’objet des appréciations les plus diverses. Ceux qui sont préoccupés surtout des principes démocratiques et de la permanence de la souveraineté nationale n’y voient qu’une usurpation de la force, le triomphe d’une ambition personnelle, la restauration du régime des Césars et des prétoriens. Les partisans de l’autorité monarchique, au contraire, envisagent le 18 brumaire comme une victoire remportée sur l’anarchie révolutionnaire, comme un retour aux idées d’ordre, de subordination, aux principes constitutifs des sociétés. On a pu voir, à l’article Bonaparte, que le Grand Dictionnaire ne partage, à proprement dire, ni l’une ni l’autre de ces deux opinions, et nous croyons inutile de nous appesantir davantage ici sur ce point si controversé de l’histoire.

Nous nous bornerons à rappeler l’appréciation naturellement favorable mise dans la bouche de Napoléon lui-même par l’auteur du Mémorial de Sainte-Hélène :

« L’événement de brumaire ne fut que l’affaire d’un tour de main. Il est sûr que jamais plus grande révolution ne causa moins d’embarras, tant elle était désirée ; aussi se trouva-t-elle couverte des applaudissements universels.

« Pour mon propre compte, toute ma part dans le complot d’exécution se borna à réunir à une heure fixée la foule de mes visiteurs, et à marcher à leur tête pour saisir la puissance. Ce fut du seuil de ma porte, du haut de mon perron, et sans qu’ils en eussent été prévenus d’avance, que je les conduisis à cette conquête ; ce fut au milieu de leur brillant cortège, de leur vive allégresse, de leur ardeur unanime, que je me présentai à la barre des Anciens pour les remercier de la dictature dont ils m’investissaient.

« On a discuté métaphysiquement, et l’on discutera longtemps encore si nous ne violâmes pas les lois, si nous ne fûmes pas criminels ; mais ce sont autant d’abstractions bonnes tout au plus pour les livres et les tribunes, et qui doivent disparaître devant l’impérieuse nécessité ; autant vaudrait accuser de dégât le marin qui coupe ses mâts pour ne pas sombrer. Le fait est que la patrie sans nous était perdue, et que nous la sauvâmes. Aussi les auteurs, les grands acteurs de ce mémorable coup d’État, au lieu de dénégations et de justifications, doivent-ils, à l’exemple de ce Romain, se contenter de répondre avec fierté à leurs accusateurs : « Nous protestons que nous avons sauvé notre pays, venez avec nous en rendre grâces aux dieux ! »

Aujourd’hui, en littérature, en politique, et même dans les circonstances ordinaires de la vie, ces mots : Faire un dix-huit brumaire, signifient Faire un coup d’État, une révolution, un changement radical opéré avec promptitude :

« Que dire d’un gouvernement qui provoque ainsi un parti qu’il a grossi par ses rigueurs, au lieu de le calmer ? Un ministre, le plus léger, le plus audacieux de tous, ne parle-t-il pas sans cesse de la nécessité d’en finir avec le gouvernement représentatif ? Et ne disait-il
pas un jour à quelqu’un qui lui objectait que les dix-huit brumaire ne se font qu’après avoir acquis de la gloire l’épée à la main : « Eh bien ! nous pouvons faire nos campagnes d’Égypte et d’Italie sur le pavé de Paris. »
           (Revue des Deux-Mondes.)

« Avant l’entrée de M. Véron au Constitutionel, dans les conseils, la discussion s’y animait parfois au point qu’on y échangeait des coups de chaise. M. de Saint-Albin, le père, chevalier de la Légion d’honneur, y faisait des dix-huit brumaire presque périodiques. »
              Alphonse Karr.

« La jeune république, image de sa mère.
De son règne à venir nous prônait la chimère ;
Mais les faits ont soudain démenti ses discours ;
Son histoire hâtée a retenti deux jours,
Lasse de promulguer de longues théories ;
Nous l’avons vue en marche avec ses décuries,
Avec son peuple, avec ses sanglants attributs ;
Un jour a cumulé sa chute et ses débuts ;
Un jour seul de son règne a rempli le sommaire.
Son quatorze juillet et son dix-huit brumaire. »
                 Barthélémy.

Brumaire (le dix-huit), petit drame shakspearien moderne, publié pour la première fois, en 1828, dans la seconde édition des Scènes contemporaines et historiques, laissées par Mme  la vicomtesse de Chamilly, chez J. Barbezat, rue des Beaux-Arts, 6. On ne connaît qu’imparfaitement les véritables auteurs de ce petit drame. (V. à l’article Chamilly.)

Au-dessus du titre, on lit les deux épigraphes suivantes :

Manebant vestigia morientis libertatis.
                     Tacite.

Si quelque chose vous choque ou vous
étonne, croyez bien que la faute en est
à votre esprit, qui n’a jamais pénétré dans
ces conciliabules.
                      MÉPHISTOPHÉLÉS.

Voici la très-longue liste des personnages de la pièce :

Bonaparte ; Barras, Sieyés, membres du Directoire ; Lucien Bonaparte, président du conseil des Cinq-Cents ; Joseph Bonaparte ; Murat, Leclerc, Berthier, Lefebvre, Augereau, Macdonald, Bernadotte, Moreau, Andréossy, Cafarelli, Morand, généraux de la République ; Milhaud, Doucet, adjudants généraux ; le colonel Sébastiani ; Fouché, ministre de la police ; Lemercier, président du conseil des Anciens ; Fargues, Daunou, Cornet, etc., membres du conseil des Anciens ; Aréna, Destrem, Bigonnet, Delbrel, Grandmaison, Thiessé, Boulay-Paty, Chollet, Gaudin, etc., membres du conseil des Cinq-Cents ; Kosciusko ; l’amiral Massarédo ; Bottot, Mirande, secrétaires de Barras ; Mme  Gohier, femme du président du Directoire ; la signora Grassi, cantatrice ; Collet, ancien donneur d’eau bénite à Saint-Sulpice ; Puyvert, souffleur d’orgues ; M. de Miramond, ancien maître-queux du roi ; Gobillard, marchand de pommes de terre frites ; Gothon, sa fille ; Courtel, palefrenier ; Bistoquet, garçon d’écurie ; Barleau, écrivain public ; Martin, frotteur ; Thomas Thomé, grenadier de la représentation nationale ; membres des Anciens ; membres des Cinq-Cents ; soldats ; bourgeois, etc.

C’est un pamphlet royaliste dirigé contre le coup d’État du 18 brumaire ; le sel dont les auteurs anonymes l’ont saupoudré fait tout ce qu’il peut pour être attique ; mais, malheureusement, on voit que la plume de Paul-Louis Courier n’a pas passé par là, ce qui nous dispense d’en dire davantage sur cette petite piqûre où le venin n’existe qu’à titre d’intention.

Brumaire (le DIX-HUIT), tableau de Fr. Bouchot. V. Bonaparte au conseil des Cinq-Cents.