Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/camisard s. m.

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Administration du grand dictionnaire universel (3, part. 1p. 213-214).

CAMISARD s. m. (ka-mi-zar — du langued. camisa chemise). Hist. Nom donné aux religionnaires des Cévennes qui se révoltèrent contre Louis XIV à propos de la révocation de l’édit de Nantes : Chez les camisards, tout le monde fondait en larmes quand un prophète entrait dans son transport. (A, de Gasparin.)

Camisards blancs, Catholiques qui s’étaient armés contre les camisards protestants.

— Adjectiv, : Les prophètes camisards figurent, à plusieurs égards, parmi les plus nobles défenseurs de l’Évangile. (A. de Gasparin.)

— Encycl. La guerre des camisards dura de 1702 à 1704. Elle n’est d’ailleurs qu’un épisode des guerres des Cévennes. Voici à quelle occasion elle avait éclaté : La révocation de l’édit de Nantes avait fait aux protestants une situation intolérable. Les gouverneurs et les intendants des provinces n’avaient par rapport à eux d’autres lois que leur bon plaisir, en sorte que, sans aucune forme de procès, ils les emprisonnaient, les condamnaient aux galères, enlevaient leurs enfants, confisquaient leurs propriétés, etc. L’un de ces gouverneurs, celui à qui l’histoire donnera la plus triste célébrité, était Lamoignon de Basville, qui, durant de longues années, tyrannisa le Languedoc et l’écrasa sous des impôts de toute nature. Les protestants de ces contrées, n’ayant plus de temples, se réunissaient, pour célébrer leur culte, dans les endroits les plus écartés, parmi les rochers, dans les bois. Les soldats ne suffisaient pas à empêcher les assemblées des camisards, à qui leur connaissance du pays permettait de choisir chaque jour de nouveaux rendez-vous. Basville voulait devenir maître de ce mouvement, qui prenait chaque jour plus d’importance. Les prêtres vinrent en aide au gouverneur. L’un d’eux surtout se rendit odieux par sa férocité : l’abbé du Chayla, inspecteur des missions et archiprêtre, dont le presbytère devint une prison, se signala par les excès de son fanatisme. Si l’on en croit Court de Gébelin, « tantôt il leur arrachait, avec des pinces, le poil de la barbe ou des sourcils, tantôt il leur mettait des charbons ardents dans les mains, qu’il fermait et pressait ensuite avec violence jusqu’à ce que les charbons fussent éteints ; souvent il leur revêtait les doigts des deux mains avec du coton imbibé d’huile ou de graisse, qu’il allumait ensuite et faisait brûler jusqu’à ce que les doigts fussent rongés par la flamme jusqu’aux os. »

Poussés à bout, exaspérés par ces scènes de barbarie, cinquante hommes, dans la nuit du 24 juillet 1702, vinrent frapper à la porte de l’abbé du Chayla, au Pont-de-Montvert. Ils arrivèrent, chantant un psaume, pénétrèrent dans le presbytère, et, après avoir délivré les prisonniers qui gémissaient dans les cachots, se saisirent ds l’abbé et le frappèrent à mort. Ce fut le signal de nouvelles rigueurs de la part de Basville, mais aussi d’une insurrection générale des montagnards protestants.

Leur cri de ralliement fut : Plus d’impôts, et liberté de conscience ! Qui donc étaient ces insurgés qui prenaient les armes contre Louis XIV ? Des paysans, des ignorants ; on a dit bien souvent des fanatiques. Mais le fanatisme doit-il étonner de la part de croyants dont on a abattu les temples, de pères dont on a pris les enfants, de citoyens respectables dont on a saccagé les propriétés ? Quant à leurs chefs, ce sont aussi des hommes incultes : Cavalier, un garçon boulanger ; Roland, Ravenel et Catinat, des bergers ou des paysans ; un cardeur de laine, Salomon. Eh bien, ces paysans tiendront en échec deux maréchaux de France, Montrevel et Villars.

Les camisards, s’exaltant en face du danger croissant, s’appelèrent enfants de Dieu, peuple de Dieu, troupeau de l’Éternel. Ils eurent des visions ; ils crurent entendre des voix célestes chantant dans les airs des lambeaux de psaumes. « Nous n’avions, dit l’un d’eux (Élie Marion) ni force ni conseil ; mais nos inspirations étaient notre secours et notre appui. Ce sont elles qui ont élu nos chefs et qui les ont conduits ; elles ont été notre discipline militaire. Ce sont elles qui nous ont suscités, nous, la faiblesse même, pour mettre un frein puissant à une armée de plus de 20.000 hommes d’élite. Ce sont elles qui ont banni la tristesse de nos cœurs au milieu des plus grands périls, aussi bien que dans les déserts et les trous des rochers, quand le froid et la faim nous pressaient. Nos plus pesantes croix ne nous étaient que des fardeaux légers, à cause que cette intime communion que Dieu nous permettait d’avoir avec lui nous soulageait et nous consolait ; elle était notre sûreté et notre bonheur. » Aussi les camisards eurent-ils des prophètes écoutés comme les oracles mêmes de Dieu. Déjà, en 1686, Jurieu raconte qu’un homme de Codognan avait cru entendre une voix qui lui disait : « Va consoler mon peuple. » Peu de temps après s’éleva la bergère du Dauphinë, Isabeau Vincent, qui eut des extases et des visions extraordinaires. L’exaltation, accrue par la persécution, s’étendit rapidement du Vivarais au Languedoc, et de nombreux prophètes, s’inspirant de l'Apocalypse, jetèrent l’émoi dans les montagnes des Cévennes. Le chef principal des camisards, Jean Cavalier, n’exerça sur ses soldats un empire si grand que parce qu’il était prophète et prédicateur. Durant deux ans, les camisards campèrent dans les bois et les cavernes de leurs montagnes. Il ne se passait pas un seul jour que toute la troupe ne priât Dieu. Le dimanche, avait lieu une réunion générale. « Deux jours à l’avance, dit M. Peyrat dans son Histoire des pasteurs du désert, les prophètes faisaient prévenir les bourgades voisines du lieu de l’assemblée... À l’aurore, les peuples arrivaient et se mêlaient aux enfants de Dieu. Un prophète montait sur un rocher, qui servait de chaire ; un second orateur lui succédait, puis un troisième, et d’homélie en homélie, de prière en prière, de cantique en cantique, cette multitude insatiable atteignait insensiblement le soir. Alors le peuple reprenait le chemin de ses bourgades, et les camisards celui de leur camp. » Que de fois, surpris par les dragons, ils furent fusillés sans résistance ! « Leur nombre, dit M. de Félice, n’a jamais été au delà de 10,000 ; mais ils entretenaient de secrètes intelligences avec toute la population des nouveaux convertis. Les pâtres et les laboureurs employaient des signes convenus pour les avertir de l’approche des troupes, et lorsqu’ils étaient obligés de fuir, les camisards avaient des retraites assurées. C’était une guerre de guérillas, avec des surprises ou des rencontres de quelques centaines d’hommes de part et d'autre. Vainqueurs, ils profitaient du succès pour tenir des assemblées auxquelles assistaient tous les huguenots du voisinage ; vaincus, ils se réfugiaient dans des gorges impénétrables. Ils essuyaient le premier feu, un genou en terre, en chantant le psaume soixante-huitième : Que Dieu se montre seulement, etc. ; puis, se précipitant sur l’ennemi, ils combattaient avec l’acharnement du désespoir, sachant bien qu’on ne leur ferait ni quartier ni grâce, et préférant au supplice de la potence ou de la roue la mort du soldat. »

Le comte de Broglie, lieutenant général du roi dans le Languedoc et beau-frère de Basville, fut d’abord chargé d’étouffer la révolte. Il n’y réussit pas et fut remplacé, en 1703, par le maréchal de Montrevel. À son arrivée, Montrevel se flatte d’en finir promptement avec les révoltés, et, pour cela, il n’est aucun moyen de rigueur devant lequel il recule. Tout protestant pris les armes à la main est puni de mort. Quiconque donne asile à un camisard subit la même peine. Le Languedoc se couvre de gibets, les villages sont brûlés, les campagnes dévastées ; mais Montrevel est battu par Cavalier. Le maréchal venge sa défaite de la manière la plus sauvage : le 1er avril 1703, dimanche des Rameaux, il met le feu à un moulin où 300 protestants s’étaient réfugiés. Tous périssent, et Montrevel reçoit des éloges de l’évêque de Nîmes, Fléchier, qui lui dit : « Cet exemple était nécessaire pour arrêter l’orgueil de ce peuple. » Mais ici disons, pour la justification de l’épiscopat, que l’auteur des Grands Jours était moins évêque que courtisan. L’exaltation des camisards s’en accrut, et, dans l’hiver de 1703 à 1704, le maréchal de France, battu successivement à Nages, aux roches d’Aubais, à Martignargues et au pont de Salindres, fut rappelé à Paris par le roi. Villars fut envoyé pour pacifier les Cévennes. Arrivé à Nîmes, il entra en pourparlers avec Cavalier, dans une entrevue qui eut lieu le 16 mai 1704. Peu de temps après, Cavalier partait pour Versailles avec le brevet de colonel. Les camisards indignés lui reprochèrent de les avoir trahis. Repoussé par ses soldats, accablé de reproches par ses amis, surtout par Roland, Cavalier partit, fut froidement reçu à Versailles, où le roi haussa les épaules en le voyant : il alla mourir en Angleterre.

La guerre se termina peu après. Roland se fit tuer, et les autres chefs se dispersèrent ou furent exterminés. Diverses tentatives de révolte se produisirent jusqu’en 1715, mais n’eurent aucun résultat.

Montrevel et l’évêque Fléchier avaient créé une bande de camisards blancs ou cadets de la Croix par opposition aux huguenots, appelés camisards noirs. Le pape Clément XI en avait autorisé la création par une bulle particulière. Les camisards blancs se distinguèrent par leur amour du pillage et une férocité qui ne respectait ni l’âge, ni le sexe, ni la propriété.