Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/collier s. m.

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Administration du grand dictionnaire universel (4, part. 3p. 612-618).

COLLIER s. m. (ko-lié — lat. collare ; de collum, cou). Ornement de cou formé de petits objets enfilés ou de chaînons accrochés l’un à l’autre : Collier de perles, de diamants, de corail. Collier d’or. Le collier, chez les Gaulois, servait d’insigne militaire. (Bachelet.) A Rome, on décernait des colliers aux soldats, comme récompense du courage. (De Chesnel.)

— Cercle de cuir ou de métal qu’on met au cou des esclaves et de quelques animaux, en signe de domesticité : Le collier dont je suis attaché

De ce que vous voyez est peut-être la cause. La Fontaine.

Des chiens dont le pavé se couvre,

Distingue-nous a nos colliers.

BiKANOER.

Il Courroie qu’on met autour du cou des animaux domestiques et qui sert à les attacher dans l’étable ou à l’écurie : Le coclier d’une vache. Le collier d’un mulet.

— Pièce principale du harnais des animaux de trait, qu on leur passe autour du cou, et à laquelle les traits sont attachés : Le collier d’un cheval d’omnibus.

— Fig. Symbole de domesticité, d’asservissement : Louis XI terrassa ï aristocratie ; Richelieu la musela ; Louis XIV lui mit le COL-LIER de la domesticité. (Mich. Chev.) il Symbole du travail obligatoire :

Il était temps d’aller reprendre mon collier.

V. Huao.

Cheval de collier ou simplement collier, Cheval de trait.

Franc de collier, du collier, Se dit d’une bête de trait qui tire énergiquement, franchement sur le collier : Un cheval franc do collier. Il Fig. Se dit de quelqu’un sur lequel on COLL

peut compter, quant à la vigueur et à l’énergie : Le duc d’Orléans se passait difficilement de pincer ceux qu’il ne trouvait pas ce qu’il appelait francs du collier. (St-Sim.) Lors de la fameuse affaire de la comtesse de La Motte, on disait que le cardinal de Rohan n’était pas

FRANC DU COLLIER.

Il faut voir sur le champ si les vice-baillis Sont si francs du collier que vous l’avez promis.

Reunàrd.

"Vite, fuis-t’en, m’ayant mis en ta place, Car aussi bien tu n’es pas, comme moi, Franc du collier, et bon pour cet emploi. " La Fontaine.

Coup de collier, Action d’une bête de trait qui tire vivement sur le collier, pour dégager ou faire avancer le véhicule auquel elle est attachée. Il Fig. Vigoureux effort, action énergique et décisive : Il n’y a dans cette partie du globe que les Suisses et les Piémontais capables dun grand coop de collier. (J. de Maistre.)

A plein collier, En tirant vivement sur le collier : Un cheval qui tire À plein collier.

Il Fig. Sans réserve, sans retenue, tête baissée : Elle donnait A plein collier dans tes folies de son âge. (A. Houssaye.) Je me jetai À plein collier dans les idées. d’Edmée. (G. Sand.)

Collier de barbe, Barbe qui encadre toute la figure depuis les oreilles : Son visage long et bourbonien était encadré par des favoris, par un collier dis barbe soigneusement frisé. (Ba !z.) Ses cheoeux étaient, ainsi que sa barbe qu’il portait en collier, épais, crépus et à peine parsemés de quelques poils blancs. (Alex. Dum.)

Collier de misère, Vie rude et pénible, travail fatigant, assujettissant : Sans ma mauvaise tête, je serais à présent sur le chemin du repos et du bien-être, au lieu qu’il me faut reprendre le collier de misère. {G. Sand.) Je reviendrai libre de mon collier de misère. (Balz.)

— Hist. Marque distinctive que portaient autrefois les hauts magistrats : Le président du Sénat portait un collier d’or et de pierres précieuses. (Boss.) Il Chaîne d’or que portait à son cou le noble qui était créé chevalier :

A moi le collier d’or du premier que j’immole. C. Delavione.

It Chaîne d’or que portent les membres de certains ordres de chevalerie et à laquelle est suspendu le signe qui les distingue : Le collier de l’ordre du Saint-Esprit, de Saint-Michel, de la 2’oison-d’Or, de VAnnonciade. Ils entassent sur leurs personnes des pairies, des colliers d’ordre, des primaties. (La Bruy.) Il Grand collier, Degré supérieur ou grand dignitaire dans certains ordres de chevalerie, et fig. Haute dignité, personne d’une haute importance ; se dit souvent ironiquement : It parvint, malgré des concurrents très-jaloux, à être élu définiteur de sa province, ou, comme on dit, un des grands colliers de son ordre. (J.-Ji Rouss.)

De ces auteurs au grand collier. Qui pensent aller à la gloire

Et ne vont’que chez l’épicier.

Scarro».

— Législ. anc Instrument de torture dans lequel on serrait le cou du patient.

— Arehit. Partie du chapiteau dorique ou toscan. Il Astragale taillé en perles, en olive, en patenôtres. || Syn, de Gorgerin.

— Mar. Cercle de fer servant à lier deux . pièces, comme ceux qui retiennent les mâts

de hune et de perroquet, les bouts-dehors, etc. Il Collier d’état, Bout de grosse corde qui embrasse te haut de l’étrave et va se joindre au grand étai. it Colliers de défense, Cordes tortillées en rond, et qui, placées à l’avant et sur les côtés des chaloupes, les préservent contre les chocs. Il Colliers du ton, Liens de fer qui concourent à maintenir les mâts de perroquet, de hune.

— Navig. Cçrde mince et d’une longueur variable, qui sert à amarrer les bateaux lorsqu’ils sont arrêtés.

— Pêch. Corde qui tient le bout du verveux, et s’attache à un pieu fiché en terre.

— Techn. Arc de l’éperon qui embrasse le talon du cavalier. I] Pièce d’une presse d’imprimerie.

— Mécan. Anneau métallique qui entoure une pièce cylindrique, telle qu’un arbre de machine.

— P. et chauss. Cercle de fer ou de cuivre qui sert à maintenir par le haut les poteaux tourillons des portes des écluses.

— Pathol. Eruption dartreuse qui forme une sorte de collier autour du cou.

— Méd. Collier de Morand, Sachet en forme de collier, employé contre le goitre.

— Boucher. Partie du cou du bœuf la plus rapprochée de la tête. Il Maniement pair ou Double du bœuf et de la vache, qui correspond aux trois quarts supérieurs de la longueur du bord antérieur de l’épaule.

— Econ, dom. Collier de More, Ancien ustensile de table sur lequel on posait un plat pu une assiette volante.

— Véner. Collier de force, Collier garni de pointes en dedans, dont on se sert pour dresser certains chiens d’arrêt. Il Chien au grand collier, Chien d’attache qui conduit les autres.

Zool. Marque colorée, saillie, ligne de

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plumes, d’écaillés en forme de cercle, que l’on voit autour du cou de quelques Quadrupèdes, et de certains oiseaux : Un merle à collier. Un chien blanc, qui a un COLLIER noir. La tourterelle à collier est un peu plus grosse que ta tourterelle commune. (Buff.)

— Entom, Partie du corselet des lépidoptères qui précède la tête.

— Moll. Partie du corps des hélices qui déborde le pied, et sous laquelle celui-ci se retire.

— Hortic. Cordon d’étam’mes qui se trouve dans quelques auémones doubles, et qui en diminue le mérite pour les amateurs.

— Bot. Syn. d’anneau.

— Épithétes. Riche, précieux, superbe, magnifique, admirable, spiendide, éclatant, étincelant, éblouissant, ruisselant, brillant, serpentant, flottant, sinueux, contourné, pendant, suspendu, doré, émaillé, argenté.

— Encycl. Modes. L’usage du collier a, pour ainsi dire, toujours existé ; les hommes comme les femmes ont porté de ces ornements, en Orient surtout. Quand on n’avait ni or ni argent, ni perles, on faisait des colliers d’ambre, de corail, de coquillages, de pierres dures et même de simples fruits rouges qui croissent sur les haies, comme font encore les paysannes romaines et napolitaines., On a retrouvé des colliers égyptiens d’une grande beauté et d’un travail exquis. Les Athéniennes, qui aimaient la parure comme toutes les femmes, et à qui, de plus, elle était imposée par les lois, portaient de magnifiques colliers. Un mot très-remarquable de Thémistocle est relatif à

l’usage des colliers chez les Athéniennes. Se promenant un jour avec son esclave, il aperçut à terre un magnifique collier d or ; il le poussa du pied vers l’esclave en lui disant : « Pourquoi ne ramasses-tu pas cette trouvaille ? tu n’es pas Thémistocle. »

Deux colliers, dans l’antiquité, sont particulièrement célèbres, et par leur beauté, et par les malheurs quils avaient causés ; une espèce de fatalité était attachée à leur possession. C’étaient le collier d’Eriphyle et celui d’Hélène. Le premier avait été fabriqué par Vulcain de façon à être une espèce de talisman funeste à toutes celles qui le porteraient. Il avait choisi pour le faire diverses combinaisons magiques, et y avait mêlé les cendres restées sur son enclume après la fabrication des foudres. Pour se venger de Vénus, son infidèle épouse, il avait donné ce bijou à Hermione, issue du commerce de cette déesse avec Mars. Ce fut le présent de noces offert à cette infortunée le jour où elle fut unie à Cadmus. On connaît les malheurs de ces deux époux, qui donnèrent le jour à des enfants célèbres par leurs crimes, et qui finirent eux-mêmes par être changés en serpents. Hermione avait donné le fatal collier à Sémélé, sa fille, qui périt victiiiie de sa curiosité et de la jalousie de Junon. Ce fut ensuite Jocaste qui posséda le collier ; cette princesse infortunée se pendit le jour où elle découvrit qu’elle avait épousé son fils Œdipe. De là il tomba entre les mains d’Eriphyle ;’ voici en quelle occasion. Amphiaraùs, époux d’Eriphyle, refusait d’aller au siège de Thèbes, son esprit prophétique l’ayant averti qu’il y devait "mourir, et il se cachait pour échapper aux instances de Polynice. Ce dernier prince, qui

phiaraûs fut tué ; mais il avait demandé à son fils Alcméon de le venger, et Eriphyle périt en effet de la main de son fils. Aucune femme dès lors n’osant plus porter le collier, il fut consacré à Apollon et suspendu dans le tem Î>le de Delphes. Quand ce temple fut pillé par es Phocéens, une femme osa s’en faire une parure ; aussitôt son fils fut saisi par les Furies, et, dans un accès de fureur, il brûla sa mère avec sa maison. Le collier fut reporté au temple, et, pour que personne ne fût tenté de s’en emparer, on le jeta dans une fontainesacrée qui était auprès.

Le collier d’Hélène était en or massif ; c’était un présent de Vénus. Lorsque Ménélas se préparait à l’expédition de Troie, il se rendit a Delphes avec Ulysse, et consacra à Apollon le collier de sa femme ; le dieu lui promit en retour le succès de son expédition. Quand le temple fut pillé par les Phocéens, le collier d’Hélène fut pris comme celui d’Eriphyle, et la femme a qui il échut en partage devint également l’objet de la vengeance des dieux, vengeance plus douce, il est vrai : elle s’enfuit avec un jeune Epirote qu’elle aimait, et, le reste de sa vie, elle se livra à la prostitution.

Les Romaines n’eurent pas moins de goût que les Grecques pour les colliers. Elles tenaient tant à cette parure qu’elles avaient des colliers particuliers pour les porter quand elles étaient seules dans leurs chambres, et même d’autres pendant leur sommeil. « Les femmes ont de l’or sur tout le corps, dit Pline, mais seulement lorsqu’elles se parent pour sortir. Quand elles sont seules dans leurs chambres, elles ont au cou des perles passées à un fil d’or, pour pouvoir y penser même pendant leur sommeil. » Du reste, les dûmes de Rome mettaient du raffinement dans cette passion : bne matrone n’aurait pas été contente de sa parure si le joaillier ne lui avait assuré que les bijoux dont elle était couverte avaient servi

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autrefois à une reine de la Grèce, à la femme d’un Séleucus, d’un Mithridate, etc.

La forme des colliers antiques variait à l’infini ; mais il y en a quelques-unes qu’on trouve plus souvent répétées sur les monuments antiques, et dont on a trouvé de nombreux spécimens en nature à Herculanum et à Pompéi. Ils étaient ordinairement faits d’un simple rang de perles, quelquefois seules, d’autres fois séparées par des étoiles d’or, ou bien accompagnées à leur extrémité de larmes d’or formant pendeloques. Au musée de Naples, on voit un très-beau collier de cette dernière forme. Quand les mœurs se furent corrompues, que de nobles matrones se furent fait une gloire de la prostitution, elles s’avisèrent d’un singulier moyen pour rendre leur honte publique : ces larmes d or furent remplacées... nous n’osons dire par quoi. Ces infâmes amulettes étaient très-familières à ces femmes, et tous les matins elles en variaient le nombre dans leurs colliers, selon le nombre d’amants auxquelles elles s’étaient livrées pendant la nuit. Ainsi faisaient Julie et Messaline, pour ne parler que des plus connues.

Les colliers les plus riches étaient formés de trois rangs de perles, dont un, plus étroit, était appliqué sur le cou, et les deux autres, plus longs, retombaient jusque sur le sein. Le rang supérieur n’était formé que de perles, tandis que, dans les deux autres, les perles étaient séparées par des pierres précieuses vertes ou couleur d’or. Quand les colliers n’avaient qu’un rang de pertes, on leur donnait le nom de linea ou de linum ; quand ils en avaient deux ou trois rangs, ils s’appelaient dilinum ou trilinum. On a retrouvé plusieurs de ces colliers à trois rangs, et leur dimension montre bien que le troisième rang descendait jusque sur les seins, conjecture que vient encore confirmer l’expression auratœ papillœ, dont Juvénal se sert en parlant de Messaline. Chez les Romains, le collier d’or était une des premières récompenses militaires. Rien n’est plus fréquent que de lire dans les inscriptions : Donatus torquibus, armillis, phaleris. Ces trois mots y sont presque toujours réunis, et.il est à remarquer que le torques (collier) est toujours nommé le premier, sans doute comme la récompense la plus méritoire. Il y avait des colliers qui étaient plus grands et plus honorables que les autres, et qu’on appelait torques majores. Le copier exemptait des corvées celui qui l’avait obtenu, et souvent lui valait double paye ou double ration. Ceux qui obtenaient ce dernier privilège s’appelaient torquati duplares. Le collier militaire, formé de fils roulés en spirales, se portait sur la poitrine.

Les Perses portaient des colliers d’or comme ornements, ainsi qu’on le voit sur la fameuse mosaïque de Pompéi. Les Gaulois en portaient aussi, et l’on sait que Manlius fut appelé Torquatus pour avoir vaincu un guerrier de cette nation en combat-singulier, et s’être emparé du collier qu’il portait. On a retrouvé nombre de colliers gaulois, qui se composaient tantôt de lames d’or, tantôt de fils d or tordus ensemble.

Il y avait chez les Romains un instrument appelé coulure, collier de fer qu’on passait autour du cou des rois captifs pour la cérémonie du triomphe. On les menait à l’aide d’une chaîne attachée à ce collier. Le même mot désignait les colliers que portaient divers animaux et souvent les esclaves. C’est sur un collier de ce genre, porté par un cerf, qu’était gravée cette phrase : « Ne me touchez pas ; j’appartiens à César !»

Au moyen âge, le collier devint un des ornements des chevaliers, ce qui le fit adopter ensuite comme marque distinctive par les différents ordres militaires. Longtemps les rois et les princes donnèrent des colliers à ceux qu’ils voulaient honorer ou récompenser ; mais bientôt ces colliers prirent le nom de chaînes, et on les voit portés par la plupart des princes et des gentilshommes. Louis XI en donna aux députés suisses qui apportèrent la ratification du premier traité d’alliance que la France ait signé avec la confédération helvétique. Le même prince assistant un jour au siège du Quesnoy, et ayant vu un capitaine nommé Raoul de Lannoy combattre avec beaucoup de vaillance, lui dit agréablement, le soir, en lui jetant autour du cou un collier d’or de 500 écus : « Par la pâques-Dieu, mon ami, vous êtes trop furieux en un combat ; il faut vous enchaîner, car je ne veux point vous perdre, désirant me servir de vous encore plusieurs fois. »

L’usage du collier disparaissait peu à peu pour les hommes ; mais il devint, au contraire, très-fréquent pour les femmes, surtout depuis qu’on eut découvert la manière de tailler le diamant, c’est-à-dire vers Iafinduxve siècle. C’est alors qu’on voit paraître ces colliers éblouissants, qui brillaient au cou des grandes dames dans les fêtes de Fontainebleau, de Chambord, de Saint-Germain et de Versailles. Les dames tenaient fort à cette parure, comme le prouve l’anecdote suivante : « M™e de Rohan, raconte Tallemant des Réaux, un soir qu’elle revenait du bal, rencontra des voleurs. Aussitôt elle mit la main à un collier de perles magnifiques, qui ornait son cou. Un de ces galants hommes, pour lui faire lâcher prise, la voulut prendre aux seins ; mais il avait affaire à une maîtresse mouche : « Pouroela, ’ lui dit-elle, vous ne l’emporterez pas, mais « vous emporteriez mes perles. » Durant cette

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contestation, il vint du monde, et elle ne fut point volée. ■ Dans une semblable occasion, Mme Cornuel fut encore plus vive. Comme un voleur s’était introduit dans son carrosse, un soir qu’elle revenait du bal, et qu’il lui portait la main à la poitrine, elle lui dit sans se troubler : < Allez, vous n’avez que faire là, monsieur le voleur, je n’ai ni perles ni tétons. » Le seul collier historique en France est le collier de la reine, qui donna lieu à un procès dont nous parlons plus loin.

— Hist. Ordre du Collier. Cet ordre de chevalerie fut institué, en 1368, par Amédée VI, comte de Savoie ; suivant les uns, en l’honneur d’une dame qui avait fait présent à ce prince d’un bracelet de cheveux tressés en lacs d’amour, d’où le nom d’Ordre des lacs d’amour sous lequel il est également connu ; suivant les autres, pour honorer les mystères de Jésus-Christ et de la Vierge ; suivant d’autres encore, pour perpétuer le souvenir du courage, déployé par Amédée V le Grand, en 1310, dans la défense de Rhodes contre les Turcs. Quoi qu’il en soit, après la mort de son fondateur, l’ordre du Collier fut beaucoup négligé. Enfin il fut supprimé en 1518, et remplacé par celui de VAnnonciade.

Ordre du Collier céleste du Rosaire. Cet ordre, qui fut de courte durée, fut créé, en 1S45, par Anne d’Autriche, veuve de Lous XIII. 11 était accordé à cinquante demoiselles renommées par leur piété et par leurs vertus. La croix, a quatre branches et à huit pointes, émaillée de bleu, bordée d’or, avait au centre un médaillon ovale, avec l’effigie de la Vierge. Le médaillon était entouré d’un rosaire, et la

| croix se portait suspendue au cou par un ru■ ban bleu.

I — Anc. législ. La question du collier se donnait de diverses façons. C’était en réa- ! lité un supplice barbare, comme tous ceux du moyen âge, mais qui ne figurait en ce temps-là que parmi les moyens de procédure criminelle dont usaient les juges d’instruction pour tirer la vérité, comme on disait, de la bouche des accusés. La forme du collier dont on se servait pour questionner ceux-ci différait d’une juridiction à l’autre, bien qu’il eût toujours pour objet de faire parler le patient en l’appréhendant au cou et en le lui travaillant, ainsi que les épaules, sur lesquelles portaient principalement les pointes dont était armé ce cruel instrument judiciaire. À Lille, on voit, dans le registre des comptables, conservé aux archives de la ville, que, en 1577, »ung collet de bief (de peau de loutre), garay le dedans d’espingles de bonnetier, servant à torturer les delinquans, ■ avait coûté « nu livres ni sous. » On y voit pareillement que la somme allouée pour cet effet à l’exécuteur, appelé le » maistre des hautes œuvres, » était de 4 livres, quand il ne devait appliquer que la torture par le collet ; mais il y avait des cas où le juge ne trouvait pas cela suffisant. On apprend par le même registre que cette horrible torture, nommée torture extraordinaire, durait, dans ces cas-là, plusieurs heures, et que la somme allouée à l’exécuteur s’élevait alors à 8 livres. N’ayant pu obtenir aucun aveu d’une malheureuse accusée soumise une première fois à la question par le collet, et voulant la soumettre à un nouvel « interrogatoire » par la torture extraordinaire, le magistrat ordonne, en 1577, « de gouverner et alimenter de délicates viandes et de toutes doucheurs et de chaudeaux (échaudés) Magdelaine Daussy, attendu qu’elle avoit esté travaillée par le collet. • On apprend, par le même précieux registre, que l’horloger Jacques Dieu avait reçu 100 sols pour « ung instrument à vir (vis), pour légièrement et sans peine ouvrir la bouche des prisonniers mis à. la torture. • C’étaient là les moyens légaux|du bon temps, où toutes les vertus, comme on sait, régnaient chez les heureuses nations que la philosophie du xvme siècle n’avait pas encore contaminées, et par lesquels on arrivait doucement à la vérité.

— Mécan. Le collier à gorge de M. Regnault a été employé par ce savant, dans les expériences qu’il a faites sur la loi de Mariotte, pour fixer l’un à l’autre deux tubes de verre placés bout à bout. Depuis, l’usage de ce collier s’est répandu, et les physiciens l’ont souvent employé. Les deux bouts des tubes à réunir sont mastiqués dans deux viroles eu fer WVV (fig. l) ; ces viroles sont séparées

Fig. 1.

par une rondelle de cuir couverte de matières grasses. Pour serrer fortement cette rondelle de cuir, M. Regnault se sert d’un collier CG présentant une rainure intérieurement. A mesure que l’on referme le collier au moyen d’une vis, les parties saillantes des deux vi614

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rôles s’enfoncent dans la rainure du collier qui, devenant de moins en moins haute, les resserre de plus en plus.

On désigne encore sous le nom de col-

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liera des couronnes qui entourent un arbre vertical tournant de façon à guider le mouvement. Un des plus employés est le collier à galet. La figure 2 le représente : l’arbre

Fig. 2.

tournant’est prismatique ; il porte fixé à lui un cylindre plein, de même axe et de très-petite hauteur. Ce nouvel arbre, qui tourne avec le premier, porte de petits galets disposés symétriquement tout autour, et tangents à des murs solides ; ils ne peuvent, par suite, se déplacer sous l’influence des poussées de l’arbre tournant, qui est alors maintenu vertical, et roulent sur le mur.

Une autre disposition est représentée par la figure 3 : l’arbre traverse une boite Contenant des étoupes, et le coffrer est dit avec boite à étoupes. Mais ta première disposition développe moins de résistance par frottement, le frottement de roulement étant toujours beaucoup plus faible que le frottement de glissement :

Collier (affaire du). Nous allons esquisser cette affaire étrange et si fameuse avec la réserve que commandent l’incertitude et l’obscurité dont elle est encore enveloppée, au moins en quelques-unes de ses parties, et que les publications les plus récentes n’ont pas entièrement dissipées.

Aujourd’hui que Marie-Antoinette est l’objet d’une véritable canonisation, par une de ces réactions de la pitié si touchantes au point de vue du sentiment, si décevantes parfois au point de vue de la critique historique ; aujourd’hui, disons-nous, il est admis et consacré, parmi les panégyristes enthousiastes de la reine, que cette princesse doit être mise absolument hors de cause dans cette ténébreuse intrigue qui a fixé l’attention de toute l’Europe, et qui fut un des épisodes les plus caractéristiques des derniers jours de la monarchie.

Sans discuter pour le moment cette donnée, nous ferons remarquer que, dans cette hypothèse, de nombreux détails du fameux imbroglio demeurent tout à fait inexplicables. Au surplus, sans insister davantage sur ce point délicat, qui probablement ne sera jamais complètement éclairci, nous allons exposer simplement les faits, tels que les documents nous permettent de les entrevoir, et nous laisserons au lecteur le soin de les apprécier, de les juger et de les comprendre, ce qui ne nous paraît pas toujours facile, quoi qu’on en ait dit.

On était en 1785, a la veille de la Révolution, à un moment où les moindres incidents servaient d’aliment à la surexcitation des esprits ; l’effervescence produite par les cent représentations du Mariage de Figaro n’était pas encore refroidie, lorsqu’un drame réel et bien autrement émouvant éclata sur la scène du monde, et vint livrer aux commentaires ironiques et méprisants de la multitude tout ce que l’ancienne société avait de plus illustre et de plus grand.

Le 15 août de cette année 1785, jour de l’Assomption, la cour attendait dans la grande galerie du château de Versailles l’heure à laquelle Louis XVI et Marie-Antoinette devaient se rendre à la chapelle royale ; le cardinal Louis de Rohan, grand aumônier de France, évêque de Strasbourg et prince de l’empire, attendait également, revêtu de ses habits pontificaux et entouré de son clergé, lorsque tout à coup parut sur le seuil de la porte de glace le baron de Breteuil, ministre de la maison, qui s’écria d’une voix retentissante : « Arrêtez M. le cardinal de Rohan ! »

Au milieu de la stupéfaction générale, le duc de Villeroi, capitaine des gardes, s’avança pour exécuter cet ordre. Le cardinal fut conduit d’abord à son palais, rue Vieille-du-Temple (aujourd’hui l’Imprimerie impériale), puis transféré, vers minuit, à la Bastille.

Ce prince de l’Église et de l’empire, l’un des plus grands personnages du royaume, était accusé d’outrage à la majesté royale, d’escroquerie et de vol, de compte à demi avec une courtisane, une aventurière qui avait dans les veines quelques gouttes de sang royal.

Tel fut le premier éclat de cette étonnante et scandaleuse affaire, dont nous allons brièvement raconter les causes premières et les péripéties.

Depuis longtemps les joailliers de la couronne, Bœhmer et Bassenge, avaient réuni à grands frais les plus beaux diamants en circulation dans le commerce pour en composer un collier à plusieurs rangs, qu’ils se proposaient de vendre à la reine, accablée déjà de pierreries, mais dont on connaissait les goûts fastueux. Primitivement, cette parure merveilleuse était destinée à Mme Du Barry ; mais la mort de Louis XV avait anéanti ce projet. Quoi qu’il en soit, les joailliers, après avoir vainement tenté de décider M. Campan à proposer cette acquisition à la reine, obtinrent du premier gentilhomme de service qu’il mit leur joyau sous les yeux du roi. C’était une dépense d’un million six cent mille livres. On sait dans quel état étaient les finances, Louis XVI, si parcimonieux cependant et qui inscrivait dans son livre de dépenses jusqu’à un port de lettre de six sous, Louis XVI, ébloui, dit-on, par la beauté et la prodigieuse quantité des diamants, proposa le fameux collier à la reine, en décembre 1778, alors qu’elle venait de mettre au monde son premier enfant. Marie-Antoinette, comblée déjà de pierreries, comme nous l’avons dit, répondit, suivant Mme Campan et la Correspondance secrète de la cour de Louis XVI', qu’il était préférable de consacrer une telle somme à la construction d’un navire. On ne pouvait mieux répondre, il faut le reconnaître, et l’on a d’autant plus lieu d’être charmé de cette réponse, que Marie-Antoinette, comme on le sait, se préoccupait généralement assez peu des intérêts de l’État. Suivant d’autres versions, ce serait Louis XVI, qui, toutes réflexions faites, aurait rompu l’affaire en évoquant l’image du vaisseau.

Bœhmer, qui avait épuisé ses ressources dans cette affaire et qui s’était engagé pour des sommes considérables, fut désespéré de ce refus. Il essaya vainement de placer son collier dans les cours étrangères. Un an plus tard, suivant Mme Campan, ou seulement à la naissance du premier dauphin, en 1781, d’après d’autres récits, car tout est incertain dans cette mystérieuse affaire, le joaillier offrit de nouveau son joyau à Louis XVI et à la reine, mais, cette fois encore, sans plus de succès. Il parcourut de nouveau l’Europe, échoua partout, et enfin vint se jeter aux pieds de Marie-Antoinette, la suppliant de le sauver de la ruine et de la banqueroute en lui achetant son collier. La reine lui donna le conseil fort raisonnable de le diviser pour le vendre, et de ne se point noyer, comme il en annonçait l’intention. On ne conçoit pas en effet un tel désespoir, puisqu’on partageant son bijou en plusieurs parures il était certain d’en trouver le placement et de rentrer dans ses fonds. Quoi qu’on puisse penser de la réalité de ces scènes, il paraît certain que le collier avait beaucoup plu à la reine, et que l’état des finances avait été l’un des principaux obstacles à son achat. Ici nous touchons au drame, et il est nécessaire de dire un mot des personnages qui vont y jouer le rôle principal. Ces personnages sont la comtesse de La Motte-Valois et le cardinal de Rohan.

Jeanne de Saint-Remy de Valois, par son mariage comtesse de La Motte, descendait en ligne directe d’un bâtard de Henri II, roi de France, Depuis longtemps cette famille était tombée dans l’obscurité et la misère. Orpheline de bonne heure et réduite à la mendicité, Jeanne de Saint-Remy fut recueillie par la marquise de Boulainvilliers, élevée dans le pensionnat de Longchamps, puis placée comme apprentie chez une couturière, et enfin, après une suite de pénibles épreuves, mariée au comte de La Motte, officier dans la gendarmerie, qui, quelque temps après, donna sa démission. Il est inutile d’entrer ici dans de plus amples détails sur cette intrigante fameuse. Nous ne prendrons de sa vie que ce qui sera strictement nécessaire pour expliquer l’affaire du collier. On trouvera le reste à l’article spécial consacré à sa biographie. Bornons-nous à dire que les deux époux vivaient dans un dénùment bien faiblement atténué par une petite pension accordée par la pitié royale à la descendante des Valois, qui fatiguait sans beaucoup de résultats la cour de ses sollicitations. Un jour même, elle attendit la reine dans la galerie de Versailles et se jeta à ses pieds ; mais cette fois encore elle n’obtint rien.

Au milieu des péripéties romanesques de sa vie, elle fut mise en relation avec le cardinal de Rohan (1781), en reçut des secours, et ne tarda pas à prendre une grande influence sur son esprit. S’il faut tout dire ici, il est hors de doute que des rapports de la nature la plus intime ont existé entre eux : cardinal et favorite de sang royal, ce n’était pas une mésalliance.

Le cardinal de Rohan, connu dans sa jeunesse sous le nom de prince Louis, avait été d’abord coadjuteur de son oncle le cardinal Constantin de Rohan, évêque de Strasbourg. En cette qualité, il avait reçu solennellement dans cette ville Marie-Antoinette à son arrivée en France pour épouser le dauphin (1770). Deux ans plus tard, il obtint l’ambassade de Vienne, à laquelle aspirait le baron de Breteuil, qui naturellement devint son plus ardent ennemi. Le nouvel ambassadeur suscita contre lui une haine plus redoutable encore, celle de Marie-Antoinette, en se faisant à Vienne l’écho des accusations de légèreté dont elle était l’objet. « Cette princesse, dit Mme Campan, recevait souvent de Vienne des remontrances dont la source ne pouvait lui demeurer longtemps cachée ; et c’est à cette époque qu’il faut rapporter l’éloignement qu’elle n’a jamais cessé de témoigner au prince de Rohan. » (Mémoires, chap. III).

Un trait souvent rappelé vint combler la mesure. L’ambassadeur, suivant ses instructions secrètes, devait faire connaître à Louis XV les particularités les plus intimes du caractère et de l’intérieur de Marie-Thérèse. Dans une lettre particulière, séparée de la dépêche officielle et adressée au duc d’Aiguillon, ministre des affaires étrangères, pour être communiquée au roi seul, il représentait l’impératrice tenant d’une main un mouchoir pour essuyer les larmes qu’elle feignait de verser sur le démembrement de la Pologne, tandis qu’elle étendait l’autre main pour concourir au partage. Rien n’était plus vrai ; mais, pour un ambitieux, il n’était pas prudent de le dire. Le duc d’Aiguillon commit l’indiscrétion perfide de communiquer cette lettre à Mme Du Barry, qui la lut à haute voix à l’un de ses soupers. La dauphine en fut instruite, et sa haine personnelle s’envenima d’un ressentiment de famille. Il faut ajouter que le prince de Rohan n’appartenait pas à la coterie autrichienne : il n’en fallait pas tant pour faire solliciter son rappel ; de puissantes influences y travaillèrent sourdement. Les griefs allégués étaient l’éclat scandaleux de ses galanteries, sa morgue et son orgueil, son mépris pour les choses de la religion, jusqu’à couper une procession avec toute sa suite en habits de chasse, un jour dé Fête-Dieu, enfin les dettes immenses qu’il avait contractées. Tout cela était vrai, mais ne tirait pas à conséquence chez les prélats grands seigneurs de l’ancien régime.

Quoi qu’il en soit, le prince Louis fut rappelé en 1774, deux mois après la mort de Louis XV, et il se trouva dès lors en butte aux ressentiments de la nouvelle reine de France. Mais il sortait d’une maison si puissante, que, malgré la haine dont il était l’objet, il devint successivement, à la suite d’intrigues laborieuses dont le détail ne peut trouver place ici, grand aumônier de France et cardinal. Il avait remplacé son oncle comme évêque de Strasbourg, et fut en outre pourvu de riches abbayes et d’autres dignités ; mais son ambition n’était pas rassasiée encore ; il aspirait à être premier ministre, et, pour arriver à ce but, il s’épuisa en efforts infructueux pour regagner les bonnes grâces de Marie-Antoinette. Dans une lettre de cette princesse à son frère Joseph, datée du 16 juin 1782, nous trouvons l’anecdote suivante : « Vous savez mon aversion pour le cardinal de Rohan, à qui je n’ai parlé depuis son retour de Vienne ; concevez-vous qu’il ait eu l’impudence de se glisser dans les jardins à mon insu, à la faveur d’un homme de service, et qu’il se soit présenté plusieurs fois en ma présence ? J’ai été fort offensée de cette audace sans exemple. »

Il ne faut pas confondre cette scène avec celle du bosquet, qui n’eut lieu que plus tard et dont nous parlerons plus loin. Remarquons en passant que le cardinal, attaché à la cour par la plus haute charge, a besoin de la connivence d’un homme de service pour se glisser dans les jardins, tandis que la comtesse de La Motte, pour jouer cette comédie du bosquet, entrera la nuit avec ses affidés ; mais peut-être s’agit-il ici de jardins particuliers.

Les choses étaient à peu près en cet état lorsque Mme de La Motte, en mars 1784, assura au cardinal qu’elle avait trouvé accès auprès de la reine, qui s’était intéressée à son sort et l’honorait de sa bienveillance. Le prélat espéra trouver dans le crédit naissant de la comtesse un moyen pour rentrer en grâce, et la décida à négocier adroitement dans ce sens. Les démarches commencèrent ou furent censées commencer. Bientôt Mme de La Motte se flatta d’avoir dissipé peu à peu les préventions de Marie-Antoinette, et annonça au prélat que cette princesse lui permettait de lui adresser sa justification. Enfin une correspondance s’établit, toujours par le même intermédiaire, correspondance qui malheureusement a été entièrement détruite, et qui, d’abord froide et réservée, s’anima peu à peu, et devint tout à fait intime, à ce point que le grand aumônier, qui était âgé de cinquante ans, finit par se croire sérieusement aimé, et qu’il ne mit plus de bornes à ses divagations épistolaires. Enfin, s’il fallait s’en rapporter aux lettres insérées dans des Mémoires de la comtesse de La Motte publiés en 1846, les deux correspondants en arrivèrent, d’épître en épître, à se tutoyer.

Ce qui est certain, c’est que le cardinal était, dans sa prison, fort inquiet de ses propres lettres, dont l’expression était d’une vivacité telle, qu’il avouait que, seules, elles pouvaient causer sa perte. C’est ce que rapporte, non sans embarras, son grand vicaire l’abbé Georgel, dans ses volumineux Mémoires (t. II, p. 122).

Et maintenant, Mme de La Motte avait-elle été réellement admise dans l’intimité de la reine ? Les lettres qu’elle remettait, et que le cardinal jugeait authentiques, étaient-elles vraies ou supposées ? Elle n’était elle-même qu’une vile intrigante, cela n’est pas douteux ; mais ne servait-elle pas d’instrument à de cruelles vengeances et à de sanglantes mystifications, comme quelques-uns l’ont pensé ?

Qui pourrait répondre avec une certitude absolue à ces questions ?

Les lettres, il est vrai, paraissent avoir été écrites par un personnage dont nous dirons un mot tout à l’heure ; mais n’était-il pas autorisé ? L’indulgence dont les juges usèrent envers lui, pour un faux qui constituait un crime de lèse-majesté, a de quoi surprendre et peut sembler bien singulière.

Mais poursuivons le récit des faits.

M. de Rohan, plongé dans l’enthousiasme et le ravissement, sollicitait vivement une audience, ou plutôt une entrevue secrète. Il y apporta tant d’insistance que Mme de La Motte se mit en mesure de la lui procurer. À la fin de juillet ou au commencement d’août 1784, une scène étrange se passait dans un des bosquets des jardins de Versailles. Entre onze heures et minuit, un homme déguisé sous une lévite bleue, portant son chapeau en clabaud, comme on disait alors, c’est-à-dire rabattu sur le visage, descendit discrètement jusqu’au bas du Tapis vert et entra dans le bosquet de Vénus. Il y rencontra une femme coiffée d’une thérèse blanche, qui leva sa coiffe avec son éventail et lui dit qu’il pouvait espérer qu’elle oublierait le passé. (Premier interrogatoire du cardinal.) Muet d’émotion, il s’inclina profondément ; la personne lui présenta une rose en murmurant : « Vous savez ce que cela veut dire. » Il pressa la fleur sur son sein, et, comme il se préparait à balbutier quelques mots de reconnaissance, quelqu’un parut tout à coup en disant ; « Venez vite, voici Madame et Mme la comtesse d’Artois ! » Tous les acteurs de cette scène disparurent aussitôt.

Il faut rappeler ici que Marie-Antoinette, sans être véritablement belle, était pleine d’attraits, vive, sémillante, femme enfin dans toute la force gracieuse de cette expression, frétillante et à l’emporte-pièce ; descendue du trône et jetée au milieu d'un Prado quelconque, elle eût été encore la reine du bal et aurait tourné toutes les têtes ; le cardinal de Rohan en était éperdument amoureux.

Le cardinal de Rohan, suivant les termes mêmes de son interrogatoire, se retira convaincu qu’il venait de voir la reine, que cependant il devait bien connaître, depuis des années qu’il était son grand aumônier ; sa conviction à cet égard était si complète, si absolue, qu’il ne paraît pas l’avoir jamais perdue. À la Bastille même, il n’était point désabusé, malgré les efforts qu’on faisait pour lui persuader qu’il avait été dupe d’une intrigante, qui avait joué cette farce indigne. Nous lisons en effet dans les Mémoires de l’abbé Georgel (t. II p. 148) : « Je suis sûr, me disait-il, que j’ai parlé à la reine dans les bosquets de Versailles ; mes yeux et mes oreilles n’ont pu me tromper. Ce fait seul repousse (a pensée que ma correspondance avec Sa Majesté est une invention de Mme de La Motte, et que l’autorisation pour l’achat du collier est de la main d’un faussaire. Comment, ajoutait-il, pouvoir se persuader que, pour mieux m’enfoncer dans l’erreur, cette femme aurait osé hasarder de faire jouer à une demoiselle d’Oliva le rôle de la reine dans le bosquet ? L’artifice eût été trop grossier et trop périlleux pour en faire usage. »

Cependant la demoiselle d’Oliva, dans son interrogatoire, déclare que c’est elle qui a figuré dans la scène du bosquet. Du reste, sa déclaration est faite en termes assez embarrassés. Elle était, dit-elle, fort troublée, et ne comprenait rien à la scène qu’on lui faisait jouer. Cependant, comme nous le voyons par la citation ci-dessus, cette comédie si mal jouée produisit une illusion complète et laissa une conviction bien arrêtée dans l’esprit du cardinal.

On a parlé beaucoup d’une certaine ressemblance de visage entre la d’Oliva et la reine, et c’est cette circonstance qui aurait inspiré aux La Motte l’idée de la scène dont nous venons de parler. Nous ne voyons pas que cette ressemblance ait été judiciairement constatée ; mais en l’admettant, même sans la discuter, il est difficile de comprendre qu’elle fût telle, qu’un homme qui voyait la reine tous les jours pût y être si facilement trompé. Recrutée par les époux La Motte, cette fille, qui faisait métier de ses charmes, fut naturellement payée pour ce service. Amenée à Versailles, elle fut introduite à dix heures du soir dans le parc par Mme de La Motte, qui lui persuada que ce petit spectacle était désiré par la reine, qui voulait s’en amuser. M. de La Motte et un certain Réteaux de Villette, dont nous parlerons, simulèrent, dit-on, les pas et les voix qui abrégèrent l’entretien.

Le lendemain, la d’Oliva fut ramenée à Paris, et, chose étrange, qui, nous le croyons, n’a pas été relevée, dans une voiture de la cour. (Interrogatoire de la fille Leguay, dite d’Oliva.) Les La Motte disposaient donc des voitures de la cour ! Comment explique-t-on cette circonstance vraiment extraordinaire ?

Ceci se passait six mois avant l’achat du collier.

Peu de temps après cet événement, Mme de La Motte emprunta au cardinal, à diverses reprises et au nom de la reine, pour des œuvres de charité, des sommes dont le total finit par s’élever à 150,000 francs. Dès lors, elle eut une maison montée ; elle reparut dans tout l’éclat de la fortune à Bar-sur-Aube, où on l’avait connue réduite aux derniers expédients de la pauvreté. Elle recevait les dames de la plus haute société, et personne ne doutait de la réalité de ses relations avec la reine, chose à laquelle sa naissance et ses malheurs donnaient quelque vraisemblance. Elle-même, loin d’en faire mystère, s’en vantait plutôt, soit par orgueil, soit par calcul. Il semble cependant qu’elle eût dû redouter d’être convaincue d’imposture par tant de gens qui connaissaient si bien la cour. Les uns attribuaient son changement de fortune aux motifs avoués par elle-même, c’est-à-dire aux bontés de la reine, d’autres aux profusions du cardinal, connu pour un dissipateur effronté, qui était perdu de dettes, malgré ses immenses revenus, et qui payait ses maîtresses avec les fonds qui lui étaient confiés, vu sa qualité de grand aumônier, pour secourir les pauvres. Telle était cette société.

Les emprunts ou les prétendus emprunts de la reine au prince de Rohan avaient été faits par lettres supposées, comme précédemment, et la correspondance continuait comme par le passé. Il est vraiment incroyable que le prélat, appelé si souvent à la cour par ses fonctions, n’ait pas été frappé de ce qu’aucun mot, aucun signe de la reine ne lui indiquât un retour de bienveillance et de faveur. Il est bien inconcevable que lui-même, avec la certitude qu’il avait, après les lettres extraordinaires qu’il avait reçues, après la scène du parc, n’ait jamais tenté, soit par un mot, soit par quelque signe d’intelligence, de vérifier son succès, de savourer son bonheur inespéré. Nul homme n’eût été capable d’une réserve si longue et si complète, et lui moins que tout autre, brûlé d’impatience ambitieuse et de folle passion.

Cependant, les joailliers Bœhmer et Bassenge, après avoir promené inutilement leur collier dans toutes les cours de l’Europe, revinrent à leur projet de le vendre à la reine de France. Cette princesse, dit-on, sur le faux bruit que l’ambassadeur de Portugal avait négocié l’achat de la précieuse parure pour sa souveraine, avait manifesté ouvertement un violent dépit ; mais nous n’insistons pas sur ce détail, qui nous est fourni par les mémoires de Mlle Bertin, parce que ces mémoires, d’ailleurs très-favorables à Marie-Antoinette, ne sont pas généralement reconnus pour authentiques, et que nous nous sommes imposé la loi de ne faire usage que des documents acceptés par les partisans les plus enthousiastes de la reine. Cependant, dans notre opinion personnelle, tout n’est pas faux dans les écrits que l’opinion aujourd’hui en vogue repousse systématiquement. Les pamphlets mêmes, rédigés par des gens passionnés ou intéressés, mais certainement bien instruits, doivent contenir des lambeaux de vérité. Toutefois, on remarquera que nous les écartons absolument.

Les joailliers, dans leur laborieuse poursuite, songèrent à faire agir Mme de La Motte, dont l’influence occulte était si généralement admise, qu’elle la rendait le point de mire d’une foule de solliciteurs. Dans les derniers jours de décembre 1784, ils eurent recours à l’entremise des sieurs de Laporte et de son beau-père Achet, qui vivaient dans l’intimité des La Motte. Achet était un officier de la garde-robe de Monsieur, frère du roi. Il semble, pour le dire en passant, que, connaissant la cour, il aurait dû être plus difficilement la dupe de Mme de La Motte relativement à ses relations prétendues avec la reine. Mais il croyait si bien à ces relations, qu’il consentit à servir d’intermédiaire aux joailliers. Mme de La Motte, dans la première entrevue, montra d’abord de la répugnance à se mêler d’une semblable négociation. Ainsi, il est parfaitement établi, par les pièces de la procédure aussi bien que par toutes les relations, que l’idée d’employer cette femme à la vente du collier vint de Bœhmer et de Bassenge, et que, conséquemment, c’est par erreur qu’on croit communément que c’était là le but positif qu’elle poursuivait depuis huit mois qu’elle berçait les illusions du cardinal.

Cependant, sollicitée de nouveau, elle finit par promettre de dire quelques mots de cette affaire si l’occasion s’en présentait. Les joailliers, qui avaient recherché sa protection, croyaient fermement à son influence. Cependant, remarquons encore que, par leur charge, ils étaient des familiers, subalternes sans doute, mais enfin des familiers de la cour. Trois semaines se passèrent, et, tout en continuant leurs démarches, ils avaient perdu tout espoir de ce côté, lorsque, le 21 janvier 1785, Mme de La Motte leur répondit enfin que la reine conservait le plus vif désir d’avoir le collier, mais que, ne voulant pas traiter directement, elle chargerait un haut personnage de cette négociation. Mme de La Motte leur conseillait en outre, en son nom personnel, de prendre toutes leurs sûretés vis-à-vis de ce grand seigneur. (Déposition de Bassenge.)

L’affaire se poursuivit en effet. Quelques jours plus tard, le cardinal de Rohan se présenta en personne chez les joailliers, et, après diverses négociations, se déclara nettement autorisé par la reine à traiter de l’acquisition du collier, qui, finalement, fut livré à la fin de janvier 1785, au prix de 1,600,000 livres, payables par termes de 400,000 livres, dont le premier devait échoir au mois d’août suivant. Le cardinal montra aux joailliers une lettre de la reine ainsi qu’une pièce contenant les conditions du marché, écrites par lui-même, et portant en marge : Approuvé, Marie-Antoinette de France. Il leur dit en outre : « J’ai conseillé à la reine de ne pas faire cette emplette, que c’était une folie de dépenser une somme aussi forte pour une parure ; mais soyez sans inquiétude, mes représentations n’ont pas été écoutées. » (Déposition de Bassenge.)

Le jour même de l’achat, le 1er février, M. de Rohan se rendit à Versailles, dans le logement que Mme de La Motte occupait place Dauphine, et qu’elle allait habiter de temps à autre, comme une personne qui suit la cour. Il apportait le fameux collier dans un coffret, pour qu’il fût livré devant lui à un homme envoyé par Marie-Antoinette. Ce messager se présenta en effet, porteur d’une lettre de la reine ; Mme de La Motte lui remit la cassette. Le cardinal, caché dans une alcôve dont la porte était entr’ouverte, reconnut ou crut reconnaître l’envoyé pour un valet de chambre de la reine nommé Desclaux. Il se retira persuadé que cette princesse avait reçu le collier ce même soir. (Deuxième interrogatoire du cardinal.)

Mme de La Motte le prévint en outre que Marie-Antoinette lui accuserait réception par un signe convenu.

Or, ce signe d’intelligence fut fait.

Du moins le cardinal en demeura pleinement convaincu.

Voici de quelle étrange manière l’abbé Georgel explique cet épisode :

« Mme de La Motte (qui l’avait si bien instruit lui-même de ces détails ?) avait couvent observé que la reine, sortant de son appartement et traversant la galerie pour aller à la chapelle, faisait assez habituellement le même mouvement de tête en passant devant la porte de l’Œil-de-Bœuf. Le soir même, elle se rendit entre onze heures et minuit sur la terrasse du château de Versailles où devait se rencontrer M. le cardinal, et lui dit : « Je sors de chez la reine, qui est au comble de la joie et se félicite de plus en plus de vous avoir donné sa confiance ; la reine vous le dira elle-même, en vous accusant la réception du collier ; Sa Majesté n’a pu vous écrire ce soir ; mais demain, lorsqu’elle passera dans la galerie pour aller dans la chapelle, trouvez-vous, comme par hasard, à l'OEil-de-Bœuf ; si la souveraine vous aperçoit, elle fera tel mouvement de tête, qui sera un signe de satisfaction et d’approbation... » Le lendemain, jour de la Purification, le grand aumônier, se trouvant près de l’Oeil-de-bœuf, crut remarquer distinctement le signe qu’on lui avait indiqué... » (Mémoires, t. II, p. 64 et 65.)

Tel est le poëme de l’abbé Georgel ; on conviendra qu’il ne brille ni par la simplicité, ni par la vraisemblance. La comtesse de La Motte, d’après la donnée vulgaire, était une véritable Circé, une magicienne ; tout servait ses projets, et le hasard était son complice. Elle n’était pas reçue à la cour ; elle n’avait, dit-on, aucune relation avec la reine, et cependant on la voit circuler partout, à toute heure du jour et de la nuit, comme si elle eût eu l’anneau de Gygès à son service. Marie-Antoinette entre innocemment dans le jeu de l’intrigante en exécutant à heure fixe un mouvement automatique que cette bonne dupe de cardinal croit lui être adressé et accepte de confiance comme un reçu mimé de ses seize cent mille livres. Les situations se nouent facilement, l’action se déroule à merveille ; tout arrive à point, comme dans une comédie d’intrigue. Cette étonnante comtesse, véritable Scapin femelle, avait persuadé à sa victime qu’elle avait avec la reine des entrevues secrètes à Trianon. Elle avait, assure-t-on, séduit le concierge de cette résidence, et, pour mieux convaincre le cardinal, elle le plaça plusieurs fois en embuscade, la nuit, sous les arbres, et, à l’heure convenue, elle simulait une sortie en se faisant reconduire au flambeau par un faux valet de chambre de la princesse.

Soit que ces jongleries romanesques l’eussent entièrement convaincu, soit qu’il eût d’autres motifs de croire, le prince de Rohan était dans une telle sécurité de conscience et d’esprit, que trois jours à peine après l’achat du collier il pressait les joailliers d’aller remercier la reine, et qu’il revint à plusieurs reprises sur cette invitation. Ce fait, acquis au procès, prouverait assez sa bonne foi et la certitude où il était de n’être point désavoué. Bœhmer et Bassenge lui laissèrent croire que jusque-là l’occasion leur avait manqué, soit dans la crainte de le blesser en marquant de la défiance, soit pour toute autre cause. Mais il paraît qu’ils avaient prévenu la reine, et l’on comprend en effet combien ils étaient intéressés à prendre toutes leurs sûretés dans une affaire aussi importante et dont la conclusion avait été accompagnée de circonstances assez mystérieuses pour éveiller l’attention.

Nous trouvons la confirmation de ce fait extrêmement important non-seulement dans les mémoires douteux de Mlle Bertin, que nous ne voulons pas invoquer, mais encore dans ceux de l’abbé Georgel, naturellement très-partial pour son patron, mais qui met toujours la reine hors de cause et qui fait tout porter sur Mme de La Motte et sur ses fourberies. Son témoignage ne peut être écarté en cette circonstance, puisqu’on l’invoque en tant d’autres, et que d’ailleurs c’est l’homme peut-être qui a le mieux connu cette inextricable intrigue, qu’il a étudiée et fouillée à fond pendant tout le temps de la captivité de son maître et pendant le procès. Voici ce qu’il dit à ce sujet :

« Comment taire ici un fait que j’aurais voulu pouvoir omettre ? Mais sa vérité est trop essentiellement liée avec les suites de cette malheureuse affaire, pour pouvoir le passer sous silence. Les joailliers, qui avaient l’occasion de voir souvent la reine, pressés d’ailleurs par le cardinal, ne lui laissèrent point ignorer les négociations et l’acquisition du collier... Ils ne sont pas convenus de cette particularité lors du procès ; mais ils en ont fait l’aveu secret à une personne qui ne l’a révélé qu’avec l’assurance de n’être ni citée ni compromise. Le cardinal, dans ses défenses, paraît n’en avoir jamais douté. Bassenge, se trouvant à Bâle en 1797, et interrogé par moi sur ce fait, ne l’a pas nié ; et il m’a formellement avoué que ses dépositions et celles de son associé dans ce procès avaient été subordonnées à la direction du baron de Breteuil... » (Mémoires, t. II, p. 65 et suiv.)

L’abbé Georgel entre ensuite dans d’autres détails. Suivant lui, l’abbé Vermond était présent à l’entretien ; on demanda aux joailliers une copie du traité, et, sans les dissuader, sans les éclairer, on arrêta en petit comité, de l’avis du baron de Breteuil, qu’il fallait laisser le cardinal se compromettre de plus en plus, et attendre, pour le perdre plus sûrement, l’époque de la première échéance.

Ainsi, sans s’arrêter aux détails, qui cependant ne manquent pas d’intérêt, il résulterait de ce récit que Marie-Antoinette était instruite de cette vilaine affaire, où son nom était traîné, plusieurs mois avant l’éclat, *plusieurs mois avant l’arrestation du cardinal.

Dans les premiers jours de juillet 1785, M. de Rohan, soit qu’il eût reçu une nouvelle lettre apocryphe de la reine, soit qu’il eût été autrement prévenu, fit appeler les joailliers et leur annonça que cette princesse trouvait le collier trop cher, et qu’elle voulait le rendre s’ils ne consentaient à un rabais de 200,000 livres. Bœhmer et son associé, douloureusement surpris, se récrient, réclament, mais enfin s’exécutent et consentent, sur la promesse d’une nouvelle estimation.

Le cardinal leur recommanda de nouveau de faire leurs remercîments à la souveraine en annonçant leur acceptation. Il leur dicta même une lettre où ils attestaient le zèle et le respect avec lesquels ils avaient accepté les derniers arrangements comme une nouvelle preuve de leur dévouement et de leur soumission. Cette lettre se terminait ainsi : Nous avons une vraie satisfaction de penser que la plus belle parure de diamants gui existe servira à la plus grande et à la meilleure des reines. (Mémoire et déposition de Bœhmer et Bassenge.)

Cette lettre fut remise le 12 juillet à la reine par Bœhmer en personne. Il n’y avait pas d’équivoque possible. Marie-Antoinette était assez clairement avertie de cette chose extraordinaire qu’on avait acheté le collier en son nom. Si l’on hésite à accepter pour vraie l’assertion de l’abbé Georgel que nous venons de rapporter, on ne repoussera certainement pas le témoignage de Mme Campan, qui s’occupe de cette affaire en plusieurs endroits de ses Mémoires, et qui est plusieurs fois en contradiction avec elle-même, comme il serait facile de le relever.

« Bœhmer, écrit-elle, disait à la reine, dans cet écrit, qu’il était heureux de la voir en possession des plus beaux diamants connus en Europe, et qu’il la priait de ne point l’oublier. » (Chap. XII)

Et ailleurs :

« La reine me lut cette note, qui contenait la prière de ne pas l’oublier, et l’expression de son bonheur de la voir en possession des plus beaux diamants existant en Europe. » (Éclaircissements historiques.)

Ne pas l’oublier ! Une telle prière faite avant échéance par un fournisseur à sa souveraine semblerait bien choquante, si l’on ne se souvenait que la reine avait déjà autrefois fait des achats de diamants à l’insu du roi, qui dut les rembourser par à-compte.

Quoi qu’il en soit, cette lettre était une révélation, et l’on s’attend à voir éclater l’étonnement, l’indignation de Marie-Antoinette. Point. Elle tortilla la lettre, s’approcha d’une bougie qui restait allumée dans sa bibliothèque pour cacheter les lettres, et brûla soigneusement le papier en disant : « Cela ne vaut pas la peine d’être gardé. » (Mme Campan, ut supra.)

Il semble, au contraire, que cela était fort important à conserver.

Mais, dit-on, la reine ne comprit point ; elle s’imagina que son joaillier l’ennuyait de nouveau pour lui vendre son collier. Une telle erreur est difficile à admettre ; il est clair, par les citations ci-dessus, que Bœhmer ne témoignait plus le désir de vendre son joyau ; qu’il exprimait, au contraire, sa reconnaissance et sa satisfaction de l’avoir vendu, et qu’en échange de la soumission avec laquelle il avait accepté les derniers arrangements, c’est-à-dire la réduction de prix, il demandait qu’on n’oubliât point de solder la première échéance.

Ainsi, il résulte que l’attention de la reine était suffisamment éveillée dès le 12 juillet, et probablement plus tôt, car nous ne voyons aucune raison décisive pour rejeter le témoignage de l’abbé Georgel. Mais il y a plus ; avant la confidence du bijoutier, une autre personne avait déjà entretenu Marie-Antoinette de cette affaire, Baudard de Saint-James, riche financier, créancier de Bœhmer, et à qui le cardinal avait positivement déclaré qu’il avait vu entre les mains de la reine la somme destinée au premier payement, que cette princesse avait même voulu la lui remettre pour les donner aux joailliers, mais qu’il avait refusé, et qu’il s’en repentait, car il craignait que cette somme ne fût dissipée avant l’échéance. (Déposition de Saint-James.)

« J’ignore, dit Mme Campan, avec quelle légèreté l’avis de Saint-James fut communiqué ; je sais qu’il fit trop peu d’impression sur la reine. »

Ainsi, cette fois encore, Marie-Antoinette n’aurait pas compris ! Est-il possible d’imaginer que le banquier, inquiet pour son argent et qui ne faisait cette ouverture que pour s’assurer de la réalité du marché, est-il possible de croire qu’il se soit si pauvrement expliqué ?

Quoi qu’il en soit, s’il y a contradiction, et sur un grand nombre de points qu’on pourrait facilement signaler, entre les innombrables témoignages relatifs à cette affaire, il est incontestable que la personne qui était si étrangement compromise était instruite, comme nous l’avons dit, plus d’un mois avant l’éclat.

Cependant le terme fatal approchait. Il semble que Mme de La Motte, son vol étant consommé et sur le point d’être découvert, pouvant l’être même à chaque minute par le moindre hasard, eût dû trembler, s’enfuir à l’étranger. Nullement ; jusqu’à la dernière heure, elle vécut dans une étonnante sécurité, donnant des fêtes à Paris, achetant une maison à Bar-sur-Aube et la meublant magnifiquement, prenant tous les jours de nouveaux arrangements qui annonçaient une personne absolument sûre de l’avenir.

La tranquillité du cardinal, la confiance des joailliers n’étaient pas moindres. Tout ce monde semblait endormi dans une quiétude extraordinaire, au moment même où l’orage allait éclater.

À la fin de juillet, Mme de La Motte remit au cardinal une lettre où la reine, que l’on continuait à faire écrire, marquait sa contrariété de ne pouvoir être en mesure de faire face au premier payement, et demandait un mois de délai. En même temps, ce jour ou le lendemain, 30,000 livres furent remises de sa part par la messagère habituelle pour être données aux joailliers, soit comme à-compte, soit comme intérêts du retard. Bœhmer fut consterné, comme le cardinal, mais cependant il prit les 30,000 livres. Quelques jours après, dans un entretien avec Mme Campan (à qui la reine avait donné l’ordre d’éclaircir cette affaire), il recevait de cette dame l’assurance qu’il avait été dupe d’une intrigue dans laquelle on avait odieusement abusé du nom de la reiné. Il n’en voulut rien croire, parla des 30,000 livres, et dit à Mme Campan : « Vous pouvez être bien sûre que M. le cardinal voit Sa Majesté en particulier, car il m’a dit, en me remettant cette somme, qu’elle l’avait prise en sa présence dans un portefeuille placé dans le secrétaire de porcelaine de Sèvres qui est dans son boudoir. » (Mme Campan, Éclaircissements historiques.)

Quelques jours se passèrent encore. Enfin Bœhmer fut appelé à Trianon, devant la reine. Laissons encore parler Mme Campan, car on se heurte à chaque pas à des contradictions si choquantes, qu’il est nécessaire de les faire toucher du doigt.

« La reine le fit entrer dans son cabinet, lui demanda par quelle fatalité elle avait encore à entendre parler de sa folle prétention de lui vendre un objet qu’elle refusait constamment1 depuis plusieurs années... »

On ne pourrait trop s’étonner de l’opiniâtre persistance de la reine à s’imaginer qu’on veut lui vendre le collier, quand tout le monde lui crie aux oreilles qu’on le lui a vendu ! Comment ! Bœhmer a écrit, il a parlé, et elle ignore ! Saint-James a parlé, et elle ignore ! Elle-même a chargé sa femme de confiance de faire une enquête ; cette dame, un peu avant le récit de cette dernière entrevue, rapporte, par demandes et par réponses, le long entretien qu’elle a eu avec Bœhmer, qui est entré dans les détails les plus circonstanciés, les plus minutieux, sur l’achat du collier, sur le retard de payement qui le ruine et le désole, sur les relations prétendues de la reine avec le cardinal... Et Marie-Antoinette ignore tout cela ! Mme Campan ne l’aurait pas instruite du résultat de sa mission, elle ne l’aurait pas éclairée sur la monstrueuse intrigue qui s’est nouée en son nom !...

On avouera que ceci semblerait incroyable, quand même on n’aurait aucune preuve du contraire. Eh bien ! ces preuves, nous les trouvons dans ces mêmes Mémoires. Qu’on remonte en effet au chapitre XII, où Mme Campan raconte les mêmes faits avec quelques variantes dont nous dédaignons de tirer parti, et l’on y lira en toutes lettres que la reine était parfaitement instruite, et ceci avant que Bœhmer fût appelé, car il s’était présenté dans l’intervalle à Trianon, et Marie-Antoinette avait refusé de le recevoir avant de s’être expliquée avec Mme Campan.

Voici le passage ; il est assez explicite pour nous dispenser de tout commentaire :

« Savez-vous que cet imbécile de Boehmer est venu demander à me parler, en disant que vous le lui aviez conseillé ? J’ai refusé de le recevoir... Alors, continue Mme Campan, je communiquai à la reine ce que cet homme m’avait dit, quelque peine que j’éprouvasse à l’entretenir de semblables infamies. Elle me fit répéter plusieurs fois !a totalité de l’entretien que j’avais eu avec Bœhmer.... »

Or, c’est après s’être fait répéter à plusieurs reprises le récit de Boehmer sur toutes les circonstances de l'achat du collier, récit que Mme Campan donne avec détail, c'est le lendemain même de cet entretien avec sa femme de confiance, que Marie-Antoinette fit appeler le joaillier. Il est donc de toute évidence qu’elle se moquait de lui, en feignant de croire qu’il plaidait de nouveau pour la vente de son collier, tandis qu’elle savait très-bien qu’il plaidait pour son argent.

Cependant le malheureux Bœhmer, à bout de paroles et de prières, finit par s’écrier : « Madame, il n’est plus temps de feindre ; daignez avouer que vous avez mon collier, et faites-moi donner des secours, ou ma banqueroute aura bientôt tout dévoilé. »

Il s’en retourna néanmoins comme il était venu, se consulta avec son associé, que quelques paroles de Mme de La Motte avaient jeté dans le doute, et tous deux résolurent, dans leurs perplexités, de s’adresser au cardinal. Admis auprès de lui, Bassenge, après diverses objections, finit par lui demander s’il était bien sûr de la personne qui lui avait servi d’intermédiaire dans la négociation. M. de Rohan lui répondit : « Si je vous disais que j’ai traité directement, seriez-vous tranquille ? Eh bien ! je vous affirme que j’ai traité directement, et je vous l’assure en levant le bras en signe d’affirmation ; allez-vous-en rassurer votre associé. » (Déposition de Bassenge, et Mémoire de l’avocat Target.)

Ainsi le cardinal affirmait à Saint-James, à Bœhmer et à Bassenge qu’il était en relations directes avec la reine. Était-ce une imposture ? Mais ceux à qui s’adressait cette assertion avaient tous les moyens de la vérifier et un intérêt capital à le faire. D’un autre côté, il n’est pas moins avéré que, dès l’achat du collier, M. de Rohan n’avait cessé de presser les joailliers d’aller remercier la reine et qu’il leur avait même dicté une lettre à ce sujet. Comment concilier tout cela ?

Cependant les joailliers déclarèrent formellement à leur noble client que la reine niait qu’elle eût reçu le collier, et qu’elle eût jamais chargé quelqu’un de son acquisition. Stupéfait d’une telle révélation, frappé comme d’un coup de foudre, suivant l’expression de l’abbé Georgel ; alarmé par de sourdes rumeurs qui arrivaient jusqu’à lui, enfin convaincu qu’il avait été cruellement trompé à la vue de quelques fragments de la vraie écriture de la reine que le hasard mit sous ses yeux, le cardinal va sans aucun doute éclater et reprocher à Mme de La Motte sa perfidie et ses frauduleuses manœuvres ?

Nullement. Cette femme, qui l’a entraîné dans un abîme, et dont la trame est désormais percée à jour, il la met à l’abri des premières poursuites, il la reçoit dans son palais, il l’y attire même, suivant quelques versions, et l’y tient cachée vingt-quatre heures, avec son mari et sa femme de chambre. Et comme s’il craignait quelque révélation, il lui offre de la faire passer en sûreté dans la partie germanique de son évêché, où il exerçait une vraie souveraineté. Dans ses interrogatoires, lui-même nie, il est vrai, cette dernière circonstance ; mais elle est rapportée par son grand vicaire et par d’autres pièces de la procédure.

Cela se passait dans les premiers jours d’août.

« Mme de La Motte ne songeait point à s’enfuir à l’étranger ; bien au contraire, on voit les deux époux s’en aller fort tranquillement dans leur résidence de Bar-sur-Aube, où ils font transporter tous leurs meubles et leurs objets précieux ; c’était, lit-on partout, pour mettre en sûreté le fruit de leurs rapines. En sûreté ! Mais il est bien clair que ni leurs richesses mobilières, ni eux-mêmes n’étaient pas plus en sûreté à Bar qu’à Paris. Là, ils s’établissent sans paraître éprouver aucune inquiétude, et cependant ils savent que l’explosion est proche, que les poursuites commencent. Ils tiennent table ouverte, ils voient la haute société, notamment le duc de Penthièvre, qui se trouvait alors à sa résidence de Chateauvillain, l’abbé de Clairvaux et d’autres personnages de distinction, qui tous traitent la comtesse avec la plus grande déférence. (Mémoires du comte Beugnot.)

La comédie, ou plutôt le drame, allait enfin se dénouer.

Après son entrevue avec Bœhmer, la reine prenait conseil de deux violents ennemis du cardinal, son précepteur, l’abbé de Vermond, et le ministre Breteuil. Bientôt Boehmer recevait l’ordre de donner par écrit le récit de toute la négociation. Un rapport foudroyant était rédigé par Breteuil et mis sous les yeux du roi, avec la déclaration de Saint-James et le mémoire des joailliers ; et enfin, comme nous l’avons rapporté, le cardinal était arrêté le 15 août.

Quelques instants avant cette scène émouvante, il avait été appelé dans le cabinet même du roi. Devinant bien pour quelle cause, il était ému, mais ne prévoyait pas encore le coup qui allait le frapper. Il se trouva en présence d’une espèce de tribunal composé du roi, de la reine, du baron de Breteuil, du garde des sceaux Miromesnil et du comte de Vergennes, ministre des affaires étrangères.

Alors le roi, lui ayant mis les pièces sous les yeux, lui adressa quelques interrogations sèches et brèves. Il convint de l’achat du collier, protesta de sa bonne foi, de sa croyance que le joyau était pour la reine et qu’il lui avait été remis ; et comme Marie-Antoinette le questionnait à son tour avec véhémence, il affecta de ne point lui répondre et continua à s’adresser au roi (c’est la reine elle-même qui rapporta ce détail à Besenval ; voir les Mémoires de celui-ci, t. II, p. 164-165). La princesse interrompit violemment cette justification et qualifia ces assertions d’impostures. Le cardinal, qui croyait toujours être sûr de son fait, jeta sur la reine un regard peut-être trop peu respectueux (Georgel, t. II, p. 102). La reine allait reprendre la parole avec un redoublement de colère, lorsque le roi mit fin à cette scène inouïe, en disant au cardinal : Sortez !

Il n’est pas question du regard indigné lancé à Marie-Antoinette dans le récit de Mme Campan, qui écrivait sans doute d’après les confidences de sa maîtresse. Mais l’abbé Georgel, de son côté, tenait certainement ses renseignements du cardinal. Ce sont ici les intéressés qui ont la parole.

Où est la vérité ?

C’est la question qu’on est obligé de se poser à chaque pas dans cette malheureuse affaire, où tout n’est qu’incertitudes et contradictions.

Au moment de quitter Versailles, M. de Rohan avait pu écrire un mot à l’abbé Georgel, au moyen d’un crayon que lui prêta complaisamment l’officier même qui le conduisait, et remettre ce billet à un de ses gens, qui tua un cheval pour arriver plus vite à Paris. Georgel mit à l’abri toute la fameuse correspondance, qui fut brûlée. Le violent Breteuil, qui dirigeait la police et dont la haine contre Rohan touchait à la frénésie, laissa cependant s’écouler cinq heures avant de faire les perquisitions ; chose étonnante, observe Besenval (Mémoires, t. II, p. 166). Chose inexplicable, en effet. Craignait-on d’en trop savoir ? demande à ce sujet M. Louis Blanc. Il est certain que, par ces négligences singulières, on se priva de pièces bien intéressantes, et l’on augmenta ainsi l’obscurité de cette intrigue.

Mme de La Motte fut arrêtée à Bar-sur-Aube le 18 août seulement. Elle avait eu le temps de brûler ses papiers, parmi lesquels se trouvaient beaucoup de lettres du cardinal, remplies (il faut tout dire) de hardiesses très-licencieuses. Elle fut aidée dans cette opération par un homme qui a figuré depuis avec quelque éclat sur la scène politique, M. Beugnot, qui vivait alors dans son intimité. C’est lui qui nous a révélé ces détails. Dans ses mémoires, il déclare avoir vu avec pitié ces lettres, dont un homme qui se respecte n’aurait pu achever la lecture. Il nous apprend encore qu’il offrit lui-même à Mme de La Motte des moyens de s’enfuir : chose étrange, elle refusa.

M, de La Motte, dont la complicité n’était pas douteuse, se remit aux mains des agents de l’autorité ; mais, s’il faut en croire le Mémoire justificatif de la dame de La Motte, on refusa de s’emparer de sa personne,

M. de Rohan s’abusait fort sur sa position ; car, descendu à son palais en allant à la Bastille, il dit à la dérobée à l’abbé Georgel : « Vous devez être bien étonné ; mais soyez sûr que je ne suis pas un fou, et que j’ai été autorisé à faire tout ce que j’ai fait ; j’en ai les preuves. Soyez tranquille ; nous nous reverrons peut-être ce soir. »

Quelles étaient ces preuves ? Il ne peut être ici question des lettres apocryphes de la reine, puisqu’il vient de donner l’ordre de les détruire, et que, d’ailleurs, il n’eût pu songer à s’en servir, car, fausses, elles le déshonoraient ; authentiques, elles le conduisaient à l’échafaud.

Quoi qu’il en soit, il fut bientôt détrompé par les interrogatoires qu’il subit, et par l’alternative que lui offrit le roi, ou de s'en rapporter à la clémence royale, ou d’être jugé par le Parlement de Paris. Après de longues hésitations, il finit par se décider pour la voie judiciaire. Ce ne fut pas toutefois sans avoir protesté, pour le principe, en faveur des privilèges ecclésiastiques, en faveur de son droit d’être jugé par un tribunal d’évêques.

Dans le public, le retentissement de cette mystérieuse affaire causa une émotion universelle, qui se manifesta par mille commentaires contradictoires, par mille suppositions erronées pour la plupart, et qui défrayent les mémoires du temps, notamment la continuation du Journal de Bachaumont. En outre, les mots pleuvaient. On disait que le cardinal n’était pas franc du collier, que c’était là son dernier coup de collier, etc.

Le 23 août, on arrêta aussi le fameux Cagliostro, que ses liaisons connues avec le cardinal firent soupçonner de connivence. Puis, la police alla jusqu’à Genève saisir un personnage qui avait joué un rôle important dans cette comédie, Réteaux de Villette, familier des La Motte, confident intime de la petite-fille des Valois, et que les notes de police qualifient, avec un cynisme brutal, de taureau de Mme de La Motte. C’était lui qui avait écrit au cardinal toutes les lettres émanées soi-disant de la reine, ainsi que l’apostille du marché passé avec les joailliers : Approuvé, Marie-Antoinette de France.

Enfin, on arrêta également à Bruxelles (17 octobre) la fille d’Oliva, qui s’était enfuie.

Quant à M. de La Motte, il était en Angleterre, et, si l’on en croyait le Sommaire de l’avocat Doillot pour Mme de La Motte, il voulait revenir à Paris pour dévoiler la vérité, et il en avait été empêché par la police française. Un peu plus tard, l’espion français Lemercier avait tout préparé pour l’enlever secrètement et sûrement de Londres, et il adressa à ce sujet un rapport circonstancié au ministère français (septembre 1785, Archives de la police). Mais il ne reçut point l’autorisation qu’il attendait. Seulement, quelque temps après, M. d’Adhémar, ambassadeur de France en Angleterre, s’aboucha avec M. de La Motte, lui suggéra un plan de défense, et, après l’avoir longuement endoctriné, se préparait à l’envoyer en France, lorsque le dénoûment du procès vint rendre sa présence inutile. Telle est du moins l’une des assertions contenues dans le Mémoire justificatif de la comtesse de La Motte (p. 156).

Au milieu de ces événements et de ces intrigues entre-croisées qu’était devenu le collier ? Le collier avait été dépecé, et une partie des diamants vendue en Angleterre par M. de La Motte ; d’autres avaient été montés pour la comtesse elle-même. Mais il est à remarquer qu’en énumérant ceux qu’on voit figurer dans les saisies, dans les déclarations des joailliers anglais et autres pièces, on n’arrive qu’à une faible partie des brillants du merveilleux joyau, qui en contenait environ cinq cent quarante. Ce que sont devenus les autres, il est impossible de le savoir.

Cependant le procès suivait son cours, et, par suite de l’éclat qu’on avait donné à cette affaire, la question se trouvait fatalement posée entre la reine et le cardinal. L’acquittement de celui-ci pouvait laisser planer sur la souveraine des soupçons flétrissants.

Le scandale fut énorme dans toute l’Europe. Les accusés entassaient mémoires sur mémoires. L’opinion publique se divisa, mais ne tarda pas à se tourner en faveur du cardinal, que les plus modérés regardaient comme la victime d’une intrigue qui avait eu pour but de le perdre. Beaucoup même allaient plus loin, et s’appuyaient sur la réputation équivoque de la reine pour lui faire jouer un rôle actif et déshonorant. Les femmes témoignèrent à leur manière leur sympathie au noble prisonnier en se parant de rubans rouges et jaunes, dont la couleur s’appela cardinal sur la paille. Dans le monde officiel, deux partis bien tranchés se formèrent : d’un côté la famille royale, Breteuil, le premier président d’Aligre, les deux rapporteurs et quelques conseillers ; de l’autre, la maison de Rohan, les prélats, une bonne partie de la magistrature des gens de cour, et secrètement les ministres de Castries et de Vergennes.

Les portes de la Bastille étaient à peine refermées sur les accusés, que les intrigues les plus actives se nouaient pour submerger le cardinal sous l’accusation. Mme de La Motte, à ce qu’elle affirme, fut circonvenue dans ce but ; on lui traça son plan de défense, on la fit prévenir par le commissaire Chenou qu’il y allait de sa vie si elle nommait une personne auguste, et on lui donna le conseil et l’ordre de rejeter tout sur le prince de Rohan, de l’accabler (Vie de Mme de La Motte). Chose caractéristique, Breteuil lui donna un défenseur de sa main (Mémoires du comte Beugnot). Écoutons aussi l’abbé Georgel : « Quant à ce que la malignité a cherché à insinuer, que la souveraine, pour entraîner la perte du cardinal, fit promettre l’impunité à Mme de La Motte, c’est un blasphème qui n’aurait jamais souillé ma plume, si cette horrible croyance n’avait eu des partisans, et si cette femme infernale n’avait eu la hardiesse de le laisser soupçonner lorsqu’on lui lut son arrêt. » (Mémoires, t. II, p. 151.)

Malgré ses réticences, on voit clairement ici, et bien mieux encore dans l’ensemble de son récit, que l’abbé est parfaitement convaincu. Dans ses démarches en faveur de son patron, il ne peut faire un pas sans être entravé, combattu, repoussé, par la puissante cabale qui enveloppait le Parlement et les accusés.

« Le procureur général, dit-il, se rendait invisible pour tous ceux qui pouvaient lui parler en faveur de l’illustre accusé ; on savait que le baron de Breteuil et l’abbé de Vermond avaient avec ce magistrat et les rapporteurs de fréquents entretiens... Nous apprîmes que le rapporteur Titon avait vu clandestinement la reine au palais des Tuileries avec le premier président d’Aligre, le procureur général et le conseiller d’Amécourt... La reine a sollicité plusieurs fois en personne ceux des juges qu’on présumait avoir le plus d’influence... Ce qui augmentait nos inquiétudes, c’est que le baron de Breteuil et l’abbé de Vermond sollicitaient hautement, au nom de la reine, contre le cardinal. Aigrie sans doute par une publicité qui attirait sur elle les regards de l’Europe, elle ne dissimulait plus ses démarches. Dans un entretien qu’elle eut au palais des Tuileries avec les rapporteurs, le premier président, le procureur général et M. d’Amécourt, elle chercha à les intéresser par une extrême sensibilité, et s’y exprima avec les accents de la douleur la plus amère. Les mêmes entretiens furent encore répétés peu de jours avant le jugement. » (Georgel, t. II, p. 150, 151, 173.)

De leur côté, les partisans du cardinal, la maison de Rohan et ses alliés s’agitaient en sens contraire, et sollicitaient les membres du Parlement avec moins d’autorité, sans doute, mais avec autant d’ardeur. On vit les Rohan, les Condé, les Soubise, les Guémenée prendre le deuil et se mettre en haie devant MM. de la grand’chambre, pour les saluer lorsqu’ils se rendaient au palais. S’il faut en croire Mme Campan, on aurait même employé des femmes à gagner des voix, et des conseillers à tête blanche auraient subi des séductions qui ne s’avouent point.

La défense du cardinal était simple, sinon vraisemblable. Il rejetait tout sur Mme de La Motte, qui l’avait trompé par de faux ordres de la reine. Son vif désir de rentrer dans les bonnes grâces de sa souveraine l’avait aveuglé et disposé à tout croire. Il n’avoua point d’abord la correspondance (qu’il savait brûlée), afin de ne pas compliquer et aggraver sa position ; la chose la plus embarrassante pour lui était d’expliquer l’assurance que Saint-lames et les joailliers témoignaient avoir reçue de lui-même de ses relations directes avec Marie-Antoinette. Mais il nia formellement cette circonstance, et prétendit que ces témoins avaient mal saisi le sens de ses paroles.

Mme de La Motte, soit pour demeurer fidèle au plan qui lui aurait été suggéré, soit pour couvrir son étonnante intrigue, et peut-être pour ces deux causes à la fois, nia tout ce qui lui était imputé et chargea le cardinal et Cagliostro. Elle expliquait son opulence par les bienfaits qu’elle avait reçus des princes et princesses du sang, et de M. de Rohan lui-même. Elle n’avait point de relations avec la reine et elle ne s’en était jamais vantée à personne. Elle a connu la négociation du collier, mais elle est restée complètement étrangère à l’achat, etc.

Cependant la fille d’Oliva avoue la scène du parc ; Réteaux de Villette reconnaît avoir écrit les lettres et les approuvé ; un religieux, procureur des minimes de la place Royale, le P. Loth, qui paraît avoir vécu dans une intimité assez étroite avec Mme de La Motte, vient, comme poussé par le repentir, dévoiler une partie des intrigues préliminaires dont il a été témoin ; enfin un secrétaire du cardinal, Ramon de Carbonnières, fait un voyage à Londres, et en rapporte les attestations légalisées des joailliers à qui le comte de La Motte a vendu ou proposé des diamants.

Devant tant de faits accablants, cette femme audacieuse modifie ses défenses, successivement et au fur et à mesure des révélations. Son mari a vendu des diamants, mais c’est le cardinal qui les en avait chargés, en les trompant sur leur origine. Quant à ceux qu’elle avait en sa possession, ce sont les parures qu’elle porte depuis longtemps, et une partie lui a été donnée par le prélat. Elle finit par avouer la comédie du bosquet, mais comme un badinage destiné à calmer le chagrin que M. de Rohan ressentait de sa disgrâce, de sa nouvelle disgrâce, car elle prétend qu’il lui avait fait la confidence d’un retour de faveur pendant quelques mois de 1784.

Plus tard, le bruit courut dans le public que, dans des interrogatoires qui ne furent pas admis à figurer dans les pièces du procès, elle avait formellement accusé la reine. Elle l’accusa du moins dans ses fameux Mémoires écrits en Angleterre. La scène du parc n’aurait eu lieu que pour amuser la reine, qui était cachée derrière une charmille. Comment croire, disait-elle, que, sans l’aveu de cette princesse, un tel épisode eût été possible à une époque où les promenades nocturnes dans le parc, longtemps permises, étaient interdites ? Comment ne pas craindre que cette comédie imprudente n’exaltât l’espoir du cardinal et ne lui fit tout découvrir, en lui inspirant la confiance d’aborder la reine dès le lendemain ?

Quant aux diamants vendus à Londres, Mme de La Motte prétendit les avoir reçus en pur don de Marie-Antoinette, qui avait réellement reçu le collier, mais qui, l’ayant déjà refusé, ne pouvait dès lors employer cette parure qu’en la dépeçant et en en faisant changer le dessin.

Il est superflu d’ajouter que, donnant ces assertions en en indiquant la source, nous n’en garantissons nullement l’exactitude. L’instruction du procès dura près de dix mois. Le Parlement, sur lequel agissaient des influences contraires, était fort divisé. Dans ses interrogatoires comme dans les confrontations, Mme de La Motte avait montré une assurance extraordinaire, qui témoignait de sa conviction qu’on ne pouvait ou qu’on n’oserait la frapper. Le cardinal continuait à se représenter comme la dupe de cette femme et à protester de sa bonne foi. La d’Oliva avouait la farce du bosquet, mais en affirmant qu’elle avait cru obéir à un caprice de la reine.

Réteaux de Villette reconnaissait avoir écrit les lettres et les approuvé (il l’avait nié dans son premier interrogatoire) ; mais il donnait cette singulière excuse, que n’ayant imité ni l’écriture ni la signature de la reine, n’ayant pas même contrefait sa propre écriture, il n’avait pas commis de faux matériel. La signature : Marie-Antoinette de France ne pouvait tromper personne, puisqu’il était notoire que la reine ne signait pas ainsi. C’était un expédient sans conséquence, une fiction dont il connaissait, il est vrai, le but, mais à laquelle il s’était prêté, sur l’assurance que cette pièce ne sortirait pas des mains du cardinal. Subjugué par Mme de La Motte, il avait fourni les moyens de commettre le crime, mais sans le commettre lui-même et sans en profiter.

Il nous semble inutile d’insister sur la faiblesse de cette fallacieuse justification. Seulement, il est une accusation dont il se disculpa, c’est celle d’avoir joué en diverses circonstances le rôle d’un faux valet de la reine. Il n’est pas étonnant, dit-on, que le cardinal ait cru reconnaître un homme de la reine dans le personnage à qui Mme de La Motte remit le collier le 1er février, à Versailles, car c’était Villette, qui déjà avait figuré dans la scène du bosquet et ailleurs.

Or, le cardinal avait donné de ce mystérieux valet un signalement précis et caractéristique : figure mince, teint pâle, visage allongé et sourcils noirs. Et Villette, dans son interrogatoire et lors de sa confrontation avec le cardinal, constate qu’il ne ressemble nullement à ce signalement. À ce fait, si facile à vérifier et à démentir, les magistrats instructeurs n’ayant opposé aucune objection, on en peut conclure que Villette ne ressemblait pas, en effet, au personnage en question. Il faut convenir que cela donne une grande force à ses dénégations touchant le rôle qu’on lui prêtait. Mais alors il y aurait donc encore un acteur qu’on n’aurait pas retrouvé ?

Quant à Cagliostro, son attitude fut celle du charlatan excentrique que l’on connaît. Mais l’enquête ne révéla aucun fait grave à sa charge. Il ne paraît pas avoir trempé dans l’intrigue d’une manière active, et il est vraisemblable que Mme de La Motte ne le dénonça que parce qu’elle le soupçonnait d’avoir agi contre elle, ou parce qu’elle jugeait que la renommée équivoque du personnage était propre à jeter de la défaveur sur le cardinal, qui en était engoué, et à donner quelque vraisemblance au roman compliqué de ses propres assertions. Cependant, si Cagliostro était innocent, il est probable qu’il connaissait des détails dont le mystère ne nous a pas été dévoilé. Nous n’en donnerons pour preuve que ce curieux passage ; extrait des Mémoires de l’abbé Georgel : « Je crois que, sans s’en douter, Mme de La Motte disait une grande vérité en insinuant que Cagliostro avait, plus que personne, le secret des motifs et de la cause de l’acquisition du collier. Mais, comme ce secret n’a été révélé ni par le cardinal, ni par Cagliostro, ni par le baron de Planta {un des secrétaires de M. de Rohan), ni par le secrétaire Ramon de Carbonnières, ni par les initiés à qui on en avait fait la confidence ; que d’ailleurs ce secret, tenant à des vues particulières qui n’ont eu aucune suite, et ne détruisant en rien la chaîne des faits qui ont préparé, amené, accompagné et suivi cette catastrophe, je ne dois pas chercher à le tirer de l’oubli où il paraît être enseveli, et je le dois par considération pour les personnes qui ont cru qu’il était pour elles de la plus grande importance de couvrir ce mystère du voile du silence. Ce qui doit paraître étonnant, c’est que les confidents et les initiés s’étant depuis divisés d’opinions, s’étant même voué, lors de la Révolution, la haine la plus active, ne se soient pas permis un mot qui ait pu faire deviner ce mystère d’iniquité. » (Georgel, t. II, p. 119.)

Nous n’émettrons aucune conjecture sur cette singulière énigme ; nous la livrons comme une complication de plus à la perspicacité de ceux qui assurent que l’affaire du collier est extrêmement claire et facile à débrouiller.

La procédure criminelle étant instruite et les conseillers rapporteurs entendus, il ne restait plus, suivant la législation du temps, qu’à faire comparaître les accusés séparément à la barre du Parlement, pour les interroger devant la cour. Mme de La Motte fut superbe d’assurance et de sang-froid ; Villette humble, gémissant et délié ; la d’Oliva naïvement accablée d’épouvante et de désespoir ; Cagliostro fut à lui seul une comédie : avec son habit vert brodé d’or, ses mille cadenettes flottant autour de sa tète, son ton d’inspiré, son emphase comique, son jargon mêlé de sicilien, le roman absurde et merveilleux de sa vie, il dérida ses juges et ajouta le ridicule à ses autres chances d’acquittement.

Avant d’introduire le cardinal, les magistrats avaient fait enlever le siège d’opprobre, la sellette. Néanmoins, M. de Rohan, vêtu d’une longue robe violette {le deuil des cardinaux), pâle, ému, consterné, avait toute l’attitude d’un suppliant. Il portait, d’ailleurs, des traces visibles d’une maladie qui avait inquiété pour ses jours. Les ennemis de la reine allaient jusqu’à prétendre qu’il avait été victime d’une tentative d’empoisonnement. Ce qui avait donné lieu à cette rumeur, c’est qu’à la Bastille, par une négligence qui faillit devenir funeste et qui parut étrange, on avait donné au cardinal du petit-lait préparé dans une casserole où se trouvait du vert-de-gris.

Rassuré, néanmoins, par les égards infinis que lui témoignèrent ses juges, M. de Rohan répondit avec autant d’intelligence que de clarté, protesta de son dévouement respectueux pour la reine, et confessa, avec une grâce qui toucha la cour, qu’il avait été dupe d’une audacieuse intrigante et de sa propre crédulité.

Cette crédulité phénoménale forme le fond de sa défense, et les renseignements incomplets qui nous restent sur l’instruction et les débats judiciaires témoignent suffisamment de l’intelligence vraiment remarquable qu’il employa à se faire passer pour un idiot.

Cette thèse fut acceptée par la majorité des juges, comme elle l’a été depuis par la majorité des historiens. Elle est devenue en quelque sorte officielle et classique. C’est au moyen de cette banalité qu’on prétend trancher toutes les difficultés de l’affaire du collier, en éclaircir tous les mystères. Un argument d’avocat s’est transformé en dogme historique, et c’est sur les plaidoiries de Me Target que l’histoire est appelée à rendre son arrêt définitif.

Mais terminons le résumé des faits. Le procureur général, Joly de Fleury, posa des conclusions dont voici la substance :

Le comte de La Motte et Villette, galères à perpétuité ;

Mme de La Motte, fouettée, marquée, et enfermée à perpétuité dans un hôpital ;

La d’Oliva mise hors de cour ;

Cagliostro, renvoyé de l’accusation.

Enfin, le cardinal, forcé à un humiliant aveu de témérité, à une sorte d’amende honorable, dépouillé de ses charges et dignités, banni de la présence du roi et de tous les lieux de résidence royale, condamné à l’amende, et retenu en prison jusqu’à ce qu’il ait obéi et satisfait à l’arrêt.

Ces conclusions avaient été concertées avec le premier président et les conseillers rapporteurs, et, suivant l’abbé Georgel, dans un conciliabule tenu aux Tuileries en présence de la reine. On espérait que, tout en flétrissant le cardinal, elles étaient assez modérées pour entraîner la majorité des juges. Mais certains conseillers du parti Rohan les qualifièrent de sauvages. Les débats furent extrêmement vifs. Enfin, le 31 mai 1786, après dix-huit heures d’orageuses délibérations, le Parlement rendit son arrêt. Le parti Rohan triomphait de la reine et de la cour : le cardinal fut acquitté à la majorité de quelques voix ;

Mme de La Motte, condamnée à être fouettée, marquée et enfermée à la Salpêtrière pour le reste de ses jours ;

Le comte de La Motte, contumace, condamné aux galères à perpétuité, et également à être fouetté et marqué ;

Villette, simplement banni du royaume ;

La d’Oliva et Cagliostro, acquittés. (Ce dernier, quoique déclaré innocent, fut chassé du royaume par ordonnance royale.)

Dix mille personnes entouraient le palais. Quand on apprit l’acquittement de M. de Rohan, il y eut une explosion d’enthousiasme. Chose étrange, et qui témoigne de l’impopularité de Marie-Antoinette, ce prélat indigne, qui n’était fameux que par ses vices et par ses scandaleuses prodigalités, n’était plus alors pour le public qu’une victime échappée aux vengeances de la reine, et on l’accabla d’ovations, comme on eût pu le faire pour un grand citoyen. Les dames de la halle, ferventes royalistes cependant, inondèrent les juges de bouquets.

« Cette affaire a été outrageusement jugée, » dit le roi. Quant à la reine, elle fut suffoquée de colère et de douleur. Elle éclata en imprécations contre le ramas de gens qui composaient le Parlement et contre l’intrigant impudique, 1e prêtre parjure. Elle écrivit à son amie la duchesse de Polignac la lettre suivante :

« Venez pleurer avec moi, venez consoler votre amie, ma chère Polignac ; le jugement qui vient d’être prononcé est une insulte affreuse. Je suis baignée dans mes larmes de douleur et de désespoir ; on ne peut se flatter de rien, quand la perversité semble prendre à tâche de rechercher tous les moyens de froisser mon âme, etc. »

Trois mois plus tard, elle écrivait presque dans les mêmes termes à sa sœur Marie-Christine. On trouve d’ailleurs partout les traces de son indignation, notamment dans sa volumineuse correspondance, dont on a récemment publié plusieurs recueils. Disons en passant que cette correspondance ne contient, en somme, rien de bien neuf sur l’affaire du collier. Elle établit du moins définitivement ce fait, que c’est Louis XVI qui voulut le jugement solennel devant le Parlement. La reine supplia vainement pour obtenir qu’on évitât la publicité, et pour que le roi « punît lui-même l’indécente conduite de ce cardinal, par la démission forcée de sa charge et par l’exil. »

Le roi avait raison. Quoi qu’on eût fait, ce n’était pas là une affaire qu’on pouvait étouffer.

Le cardinai ne tarda pas à ressentir l’effet des rancunes de la cour. Il était à peine installé à son hôtel qu’il fut, par ordre du roi, dépouillé de ses charges et dignités, et exilé à son abbaye de la Chaise-Dieu. Cette mesure, qui réformait un arrêt solennel, était une faute, et elle ne servit qu’à confirmer dans le public l’opinion que Mme de La Motte avait été véritablement l’instrument d’une machination pour perdre le prince de Rohan. Cette opinion fit de nouveaux progrès, quand on vit s’écouler plusieurs semaines sans qu’il fût question d’exécuter l’arrêt à l’égard de la comtesse, toujours détenue à la Conciergerie. Il est certain que le roi et la reine la trouvaient trop sévèrement frappée, et qu’il fut question de commuer sa peine ; mais, sur l’observation que la clémence accréditerait des bruits injurieux pour la reine, on abandonna cette malheureuse à son terrible sort. Elle s’y attendait si peu, que quand on vint pour lui lire sa sentence, le 21 juin, elle entra dans d’inexprimables accès de fureur. L’exécution donna lieu aux scènes les plus hideuses. La condamnée « se déchaîna contre la reine et le baron de Breteuil ; elle prononça leurs noms avec des imputations atroces et des imprécations. » (Georgel.) 11 fallut la lier de cordes et l’accabler de mauvais traitements. Au milieu de ses cris, elle prononça cette parole étrange : « C’est ma faute si je subis cette ignominie ; je n’avais qu’un mot à dire et j’étais pendue. » (Besenval, t. II, p. 173.) Le juge qui présidait à l’exécution mit fin à ses imputations atroces en la faisant bâillonner. On la porta alors sur l’échafaud dressé dans la cour du Mai, devant le Palais de Justice, pour y être fouettée et marquée. Elle poussait des hurlements inarticulés et se débattait avec des mouvements si convulsifs, que le fer rouge glissa sur son épaule et s’imprima presque entièrement sur son sein. Elle fut ensuite conduite à la Salpêtrière, couverte de sang et meurtrie de contusions.

Mais doit-on croire ce que raconte l’abbé Georgel ? « Elle fut, dit-il, renfermée dans une casemate isolée, sans communication qu’avec les personnes chargées de la nourrir et de réprimer, par des châtiments souvent répétés, le flux désordonné de sa langue envenimée. « Ce qui paraît certain, c’est que la supérieure s’intéressa à elle et la regarda comme une victime de la reine.

On rapporte que quelque temps après Mme de Lamballe aurait été envoyée par Marie-Antoinette à la Salpêtrière pour offrir de l’argent à la prisonnière, et que la supérieure s’opposa a cette entrevue.

Cependant le comte de La Motte, du fond de sa retraite, osa menacer la reine et Breteuil de faire imprimer un mémoire, si on ne lui rendait sa digne épouse.

Il semble que de telles menaces, parties de gens flétris, ne dussent inspirer que le mépris. Cependant, quelque temps après, le public apprit avec étonnement que Mme de La Motte s’était évadée de la Salpêtrière, déguisée en homme. Une telle évasion, accomplie en plein jour et qui ne donna lieu à aucune enquête, à aucune punition, fut généralement regardée comme ayant été favorisée par la reine.

Il y a si peu de doute à cet égard, et la chose est si mollement controversée, qu’il nous semble inutile d’entamer une discussion à ce sujet. Mme Campan avoue qu’on laissa évader la comtesse. Seulement, en disant que ce fut peu de jours après son entrée à l’hôpital, elle ajoute une erreur de plus à toutes celles qu’enregistrent imperturbablement tous les historiens de cette affaire. En réalité, Mme de La Motte demeura près d’une année à la Salpêtrière. Plusieurs versions circulèrent dans le public sur les détails de son évasion, et des plaisants prétendirent qu’en la conduisant dehors sous son déguisement d’homme la supérieure ou une sœur de l’hôpital lui aurait dit avec naïveté : « Adieu, madame, et prenez garde de vous faire remarquer. >

Mme de La Motte, quoique persuadée qu’elle devait son évasion à la reine, n’en conservait pas moins un amer ressentiment de la flétrissure qu'elle avait subie. Arrivée à Londres et réunie à son époux, elle s’occupa activement de rédiger ses Mémoires, écrits, assure-t-on, de concert avec M. de Calonne, l’ex-ministre exilé, devenu l’un des innombrables ennemis de la reine.

La nouvelle de cette menaçante publication vint bientôt porter le trouble à la cour de France. Des négociations furent ouvertes pour empêcher à prix d’or l’apparition de ce pamphlet. La duchesse de Polignac, sous le prétexte de prendre les eaux de Bath, passa en Angleterre et remit aux époux La Motte les sommes convenues, pour payer un silence qui ne fut pas gardé.

Le pamphlet fut imprimé un peu plus tard, et l’édition entière vendue à la cour par le libraire Gueffier, au commencement de la Révolution. L’intendant de la liste civile, de Laporte, chargé de la destruction, imagina fort maladroitement de faire brûler le tout dans les fours de la manufacture de Sèvres, moins un exemplaire qui fut saisi chez lui lors de son arrestation, et qui servit aux réimpressions qui ont été faites depuis. Dans ces mémoires, plus ou moins modifiés, suivant les éditions, Mme de La Motte accusait formellement la reine. Que peut-il y avoir de vrai dans ces accusations ? Il serait, croyons-nous, difficile de le vérifier. En tout état de cause, ce n’est point dans de tels livres, manifestement empreints de passions haineuses, que nous irons chercher des renseignements.

Précédemment, à la fin de 1789, on avait appris tout à coup que la fameuse aventurière était à Paris, on ne sait trop dans quel but. On la fit menacer par Mirabeau d’être arrêtée comme relapse, et elle repartit pour Londres. Cette apparition inattendue avait causé à Marie-Antoinette une indicible terreur. L’année suivante, en novembre, Mirabeau apprend ou feint d’apprendre que cette femme est revenue ; il fait passer à la cour des notes à ce sujet (v. sa Correspondance avec le comte de La Mark), et il insinue que La Fayette, d’Orléans, d’Aiguillon, etc., pourraient bien être les fauteurs de quelque nouvelle machination. M. de La Mark écrit de son côté au comte de Mercy-Argenteau, ambassadeur autrichien et le mentor de Marie-Antoinette, que Mme de La Motte devait s’adresser à l’Assemblée pour la révision de son procès, et que cette intrigue se lie à des projets des ennemis de la reine, qui veulent soulever dans l’Assemblée la question de la régence et celle du divorce du roi. Mais on mit inutilement la police sur pied, et il est fort probable que ce retour de Mme de La Motte n’était qu’une fable de Mirabeau, qui voulait exploiter les terreurs de la reine dans l’intérêt de son influence et de son ambition. Cette princesse lui sut gré, en effet, du zèle qu’il affecta, et son épouvante se trahit dans ses lettres à son frère Léopold, auquel elle écrit : « La révision de cet abominable procès aurait mis le feu aux poudres. » (Recueil d’Hunolstein.)

Quoi qu’il en soit, il ne fut plus question de Mme de La Motte, qui mourut à Londres en 1791. (V. dans ce Dictionnaire l’article qui lui est consacré.)

Le comte de La Motte, lui, prolongea son aventureuse existence jusqu’en 1831. Chose étrange, s’il faut en croire un royaliste fervent, Lafont d’Aussonne (Mémoires secrets et universels des malheurs et de la mort de la reine de France, t. II, p. 129 et suiv.), il recevait de Louis XVIII une pension de 4,000 fr., plus 200 fr. par mois sur les fonds secrets de la police. À l’instigation du gouvernement d’alors, il écrivit ses propres mémoires, dans lesquels il accuse également la reine, et dont le manuscrit demeura enfoui dans les archives de la police jusqu’en 1858, époque où il fut imprimé pour la première fois par un érudit estimable, M. Louis Lacour, qui, dans sa préface, admet positivement la complicité de Marie-Antoinette dans l’affaire du collier.

On sait que cette interminable affaire s’est perpétuée jusqu’à nous, par une série de procès intentés aux héritiers du cardinal par les ayants droit des joailliers.

Peut-être nos lecteurs trouveront-ils cet article beaucoup trop long pour une affaire tant de fois ressassée par les compilateurs. Mais qu’on nous permette de faire remarquer que la plupart des résumés qui en ont été donnés sont pour ainsi dire calqués les uns sur les autres, et que nous avons dû n’en pas tenir compte, parce qu’ils fourmillent d’erreurs. Les auteurs de ces résumés agissent avec ce problème d’histoire comme avec un libretto d’opéra ; ils éliminent les choses qui embarrassent l’action, qui les embarrassent eux-mêmes ; ils retranchent, ils modifient, ils interprètent, ils expliquent, ils expurgent, de manière à amener un dénoûment favorable ; et, quand cette besogne plus littéraire qu’historique est terminée, ils s’écrient que rien n’est plus limpide que l’affaire du collier, et que l’esprit de parti seul peut y trouver des obscurités ; ils échappent à la critique en se jetant dans les fantaisies déclamatoires et les raisons de sentiment.

Nous avons indiqué quelques-uns des motifs qui nous empêchent d’être aussi affirmatif ; qu’on nous permette, avant de terminer cette notice, d’ajouter quelques observations à celles que nous avons déjà présentées. D’abord, on est réduit à tout expliquer par cet argument vraiment trop facile, que la comtesse de La Motte était le génie même de l’intrigue, et le cardinal de Rohan un prodige d’imbécillité. Or, il est assez connu que le prince avait un esprit vif et cultivé. Dans son ambassade de Vienne, il avait montré beaucoup d’intelligence et d’habileté, et ses opérations diplomatiques n’avaient pas été sans quelque éclat. Dans ses interrogatoires, il est digne, habile, sagace, prudent, et ne s’écarte jamais par un seul mot du plan général de sa défense. Mme de La Motte, au contraire, est pitoyable par ses assertions absurdes, ses invraisemblances grossières et ses contradictions, et elle ne donne en aucune manière l’idée d’une intrigante supérieure. Elle est audacieuse, mais inepte ; cynique, mais inhabile ; et l’on a vraiment peine à admettre qu’avec aussi peu de moyens une telle créature ait obtenu de si étonnants résultats.

Lors de l’arrestation de M. de Rohan, le roi lui avait dit en l’interrogeant : « Comment un prince de la maison de Rohan et un grand aumônier de France a-t-il pu croire que la reine signait Marie-Antoinette de France ? Personne n’ignore que les reines ne signent que leur nom de baptême. » Il lui fit en même temps observer que l’écriture de la reine, pas plus que sa signature, n’avait été même imitée.

Si Louis XVI s’étonnait que son grand aumônier ne connût pas l’écriture de Marie-Antoinette ni sa signature officielle, nous pouvons bien nous en étonner aussi ; si personne n’ignorait que les reines n’ajoutaient jamais de France à leur nom, comment l’un des plus grands personnages de la cour l’ignorait-il ? Comment a-t-il pu engager sa fortune et son honneur sous la seule garantie de cette fausse signature, sans prendre la peine de la vérifier ? Avait-il donc d’autres motifs de conviction, et faudrait-il croire que cette signature n’était qu’un expédient concerté en commun pour décider les joailliers, comme l’a écrit Mme de La Motte ?

La reine, de son côté, dit elle-même au cardinal : « Vous n’auriez pas dû vous méprendre à mon écriture, que sûrement vous connaissez. » (Besenval, t. II, p. 168.) Et Besenval ajoute en note : « Comment le cardinal s’est-il mépris à l’écriture ? Comment la dénomination d’Antoinette de France ne l’a-t-elle pas frappé ? » Cette ignorance d’un usage immémorial, que le dernier des valets connaissait, est en effet inadmissible, et personne alors ne voulut y croire.

On ne saurait aussi trop s’étonner que Mme de La Motte n’ait jamais craint qu’un ordre réel de la reine, une ligne de son écriture, ne tombât sous les yeux du cardinal et ne dévoilât la fraude ? Nous l’avons dit, elle demeura jusqu’à la fin dans un calme parfait et dans la plus complète sécurité. L’événement la trouva occupée de grands préparatifs d’établissement, et elle refusa dédaigneusement de s’enfuir. Comment cette femme, qui, dit-on, n’approchait pas de la cour, a-t-elie pu persuader à sa dupe qu’elle était dans l’intimité de la reine ? Comment a-t-elle pu le persuader à tant de personnes distinguées, parmi lesquelles il en était qui touchaient à la famille royale ? N’est-il pas merveilleux aussi qu’une intrigue aussi laborieuse, aussi sujette aux chances d’avortement, ait si exactement réussi, sans jamais rencontrer le grain de sable qui eût suffi à paralyser les rouages de cette machine compliquée ?

En effet, répétons-le, le hasard fut le coopérateur de Mme de La Motte. Que le cardinal, convaincu comme il l’était de l’authenticité des lettres d’amour et d’affaires, de la réalité de la scène nocturne du parc, eût cédé à une impatience bien naturelle en faisant un signe ou en adressant un mot à Marie-Antoinette, et tout le charme était détruit. N’est-il pas permis de s’étonner qu’une situation aussi invraisemblable se soit prolongée pendant si longtemps ? N’est-il pas permis de demander aussi pourquoi Breteuil a fourni un défenseur à Mme de La Motte et donné l’ordre d’arrêter Ramon de Carbonniéres lorsqu’il se rendit à Londres pour y chercher des preuves légalisées que le comte de La Motte avait vendu des diamants du collier ; pourquoi Marie-Antoinette a si ardemment sollicité les juges, pourquoi toute sa colère est tombée sur le cardinal, reconnu généralement pour dupe, tandis qu’elle réserve son indulgence pour l’auteur de la machination ? etc., etc.

Mais nous n’irons pas plus loin dans l’analyse de cette intrigue inextricable, et nous n’insisterons pas sur un grand nombre d’autres invraisemblances et contradictions du récit convenu et des témoignages qui lui servent de base. Aujourd’hui qu’une réaction si vive se manifeste en faveur de la reine et qu’on travaille sa légende avec un zèle si ardent, ceux qui recherchent froidement la vérité peuvent craindre d’être accusés de manquer de respect au malheur ; la critique est désarmée par les partialités du sentiment, par les attendrissements de la pitié ; il est difficile d’argumenter contre ceux qui invoquent les souvenirs d’une destinée tragique. Cependant, on accordera que les faits n'ont pas moins de valeur que des émotions, et nous croyons avoir signalé un assez grand nombre de circonstances inexplicables, ou tout au moins mal expliquées, pour pouvoir conclure que cette affaire du collier n’est pas aussi claire que des enthousiastes voudraient nous le persuader. Il nous parait évident que le public n’en a pas connu tous les détails ; et probablement que ceux qu’on lui a dérobés étaient les plus caractéristiques. Nous pensons donc qu’il y aura toujours là une pâture abondante pour ceux qui aiment à déchiffrer les énigmes bizarres de l’histoire. Nous sommes, en présence de cette affaire, comme un mécanicien qui voudrait monter une machine dont les pièces principales lui manqueraient. On ne connaît pas tout ; cela nous paraît de la dernière évidence. Une certaine réserve est donc imposée. Cependant, si l’on nous pressait de conclure, voici sommairement la conjecture que nous proposerions à l’examen et à la discussion.

Nous admettons comme possible que Marie-Antoinette, dont on connaît l’esprit caustique et dont la vie est pleine d’imprudences de conduite et de caprices d’enfant, ait ébauché, peut-être e compte à demi avec Breteuil, quelque mystification cruelle contre son mortel ennemi le cardinal de Rohan, qui la poursuivait de ses obsessions. Dans cette hypothèse, Mme de La Motte aurait servi d’instrument, et aurait ensuite poursuivi l’intrigue pour son propre compte, à la faveur de la position acquise, greffant sa grosse affaire de vol sur cette petite comédie de cour.

Envisagée à ce point de vue, l’affaire du collier se simplifierait, et beaucoup de circonstances qui nous paraissent inexplicables rentreraient sans effort dans cette donnée. Le cardinal n’aurait plus besoin d’être le dernier des idiots, et la comtesse de La Motte un monstre d’habileté, un phénomène d’intrigue, qualités dont ne donne nullement l’idée ce qu’on connaît d’elle. On s’expliquerait aussi son imperturbable tranquillité, ses menaces, sa confiance qu’on n’oserait la frapper ; et le redoublement de haine dont le cardinal sentit les effets ; et ses manœuvres secrètes dont la trace est partout (car il fallait bien couvrir les premières imprudences) ; et le silence gardé par la reine après les confidences de Éœhmer ; et la peine dérisoire appliquée à Villette, pour un crime de faux et de lèse-majesté ; et l’incroyable facilité que trouva la conltesse pour l’agencement et le développement de son intrigue, etc.

Cette conjecture, qui nous est inspirée par une étude attentive de tous les détails de cette affaire, nous paraît très-vraisemblable, et on ne peut l’accuser d’être empreinte d’esprit de système et d’esprit de parti. On trouverait facilement des exemples de mystifications de cette nature dans l’histoire de l'ancienne cour ; et Marie-Antoinette elle-même n’a-t-elle pas assez souvent berné jusqu’à son époux ? Il y a à ce sujet des anecdotes authentiques si bien connues que nous n’avons pas besoin de les rappeler ici.

En résumé, une opinion s’est imposée de plus en plus à notre conviction dans l’examen de cette intrigue, et nous l’exprimons ici sans aucune passion, mais dans une complète indépendance d’esprit :

Marie-Antoinette a joué un rôle datis l’affaire du collier.

Ce rôle, nous ne l’exagérons pas, comme on le voit par notre hypothèse, mais il nous parait impossible qu’on puisse le nier raisonnablement.

Collier précieux (LE), titre d’une collection de proverbes arabes recueillis par un curieux nommé Meïdani, collection fort estimée en Orient. On sait que les imprimeries sont chose encore inusitée chez les Orientaux, et que c’est en France, en Angleterre et en Allemagne qu’on imprime le plus de livres arabes. Celui-ci n’a jamais été imprimé, mais il en a été fait beaucoup de copies à la main, et la Bibliothèque impériale en possède une excellente.

Voici quelques-uns de ces proverbes, qui expriment avec originalité des vérités générales dont l’observation appartient à tous les temps et à tous les lieux :

71. Hais ton ennemi avec modération.

193. Celui-là marche plus hardiment à la rencontre d’un lion, qui en a déjà vu.

239. Les excuses sont rarement exemptes de mensonge.

249. Mettez un fou à cheval, il prend le galop.

351. L’ormeau ne peut donner des poires.

Mais ces sortes d’adages, fort nombreux d’ailleurs, ne forment que la moindre portion des proverbes recueillis par Meïdani. La plus grande partie du recueil consiste en des proverbes populaires qui doivent leur origine à quelque aventure particulière, ou qui font allusion soit aux qualités du corps ou de l’esprit de quelque personnage souvent peu connu, soit aux habitudes ou à l’instinct qui caractérisent certains animaux. C’est la partie la moins facile à comprendre dans le Collier précieux. On en jugera par quelques exemples.

95. Il est cousin du prophète par Doldol.

96. Il est cousin du prophète par Yafoiir.

Doldol est le nom d’un mulet, et Yafour celui d’un âne dont Mahomet se servait quelquefois pour monture. On emploie encore ce proverbe, parmi les Arabes, pour marquer la sotte vanité de ceux qui se vantent de descendre d’une famille illustre à laquelle ils n’appartiennent point.

107. Mon père combat, et ma mère raconte.

Un homme revenant du combat, ses voisins s’empressèrent de l’interroger sur les incidents de la bataille. Aussitôt sa femme prit la parole, et leur raconta très-longuement les détails de l’affaire. Son fils, qui était présent, fatigué de la loquacité de sa mère, ne put s’empêcher de le témoigner par ces mots qui sont passés en proverbe. On s’en sert quand quelqu’un, sans être interrogé, s’empresse de raconter des faits auxquels il n’a eu aucune part, ou qui ne le regardent point.

Collier de perles (le), comédie en trois actes et en prose, de Mazères, représentée pour la première fois sur le théâtre du Gymnase, la 4 février 1851. Ce collier appartient à Louise, fille unique du banquier Delpierre. Le vicomte de Montgeron, jeune homme sans fortune, est aimé de Louise, qui, pour le tirer d’embarras, fait vendre le collier qu’elle tenait de sa mère. Richardson, un original très-riche, qui aspire à devenir l’époux de Louise, achète le collier, avec l’intention de l’offrir à celle qu’il considère déjà comme sa fiancée. Au dénoûment, Delpierre, instruit de tout, consent au mariage de Louise avec le vicomte. Richardson, qui a un noble cœur, se console en songeant qu’il a contribué, involontairement il est vrai, au bonheur de Louise. Cette pièce, qui avait été refusée aux Français, fut très-bien accueillie par le public du Gymnase.