Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/déprêtrisation s. f.

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Administration du grand dictionnaire universel (6, part. 2p. 494).

DÉPRÊTRISATION s. f. (dé-prê-tri-za-si-on — rad. déprêtriser). Action de déprêtriser quelqu’un, de lui faire abandonner l’état de prêtre. || S’est dit particulièrement de l’acte par lequel un grand nombre de prêtres catholiques abandonnèrent leur état en 1793.

— Encycl. En 1793, un nombre considérable de prêtres abjurèrent le catholicisme, ou, tout au moins, déposèrent volontairement leurs lettres de prêtrise et renoncèrent aux fonctions ecclésiastiques. Ce curieux épisode a été longtemps assez mal apprécié. Les historiens révolutionnaires eux-mêmes, avec cette timidité d’esprit que tant de réactions nous ont faite, l’ont représenté pour la plupart comme une saturnale. En réalité, ce fut une conséquence naturelle du grand mouvement anticatholique, qu’on peut apprécier plus ou moins favorablement, mais dont on ne saurait méconnaître l’importance et l’originalité. Dès le début de ce mouvement, dont nous donnerons la description à l’article raison (Fêtes de la), on vit se produire de nombreuses démissions cléricales.

Le 17 brumaire an II (7 nov. 1793), la Convention nationale assista à un spectacle extraordinaire. L’évêque de Paris, Gobel, escorté de ses grands vicaires et de son clergé, tous coiffés du bonnet rouge, accompagné des autorités municipales, se présenta à la barre, et dans une courte harangue déclara solennellement renoncer, ainsi que ses coopérateurs, aux fonctions sacerdotales. Puis il déposa entre les mains du président ses lettres de prêtrise, sa croix, son anneau et son bâton pastoral.

Une sorte de vertige d’abjuration s’empara alors de l’Assemblée, qui comptait des ministres des divers cultes. Le curé Villers, l’évêque d’Évreux, Thomas Lindet, le ministre protestant Julien (de Toulouse), le curé Coupé (de l’Oise), paraissent tour à tour à la tribune pour se démettre, déclarant ne plus reconnaître d’autre culte que celui de la raison, de la patrie et de l’égalité. Gay-Vernon, évêque de Limoges, Lalande, évêque de Nancy, qui étaient absents, se démirent par lettres. Quelques jours après, Sieyès s’empressa aussi de renier la foi que personne ne lui supposait. Parmi les ecclésiastiques de l’Assemblée, il en est un qui résista avec quelque éclat à l’entraînement général, l’évêque Grégoire. Gobel était d’ailleurs un esprit faible, plutôt que sérieusement philosophe ; dans cette circonstance, il avait suivi l’impulsion de Cloots, de Chaumette et du parti de la Commune.

Le mouvement se propagea avec une grande rapidité, et dans toute la France des milliers de prêtres abandonnèrent d’enthousiasme les vieux autels. Des ministres protestants, des rabbins juifs suivirent cet exemple, et l’on vit les desservants de tous les cultes abjurer leurs vieilles haines, fraterniser dans les fêtes de la Raison, et donner eux-mêmes les objets précieux de leurs temples pour qu’ils fussent employés aux besoins de l’État. Quoi qu’on en ait dit, cette réconciliation de sectes si longtemps ennemies, ces transports, ces reniements du passé, de la foi du moyen âge, ne manquaient pas d’une véritable grandeur, toutes réserves faites au sujet des scènes déplorables qui ont pu avoir lieu, profanations d’églises et de reliques, comme on en avait vu au XVIe siècle, et dont la Réforme d’ailleurs ne s’était point émue. Il faut reconnaître aussi que certains prêtres ont cédé à la crainte plus qu’à la conviction, et que d’autres ont montré peu de dignité, en déclarant, par exemple, que jusqu’alors ils n’avaient été que des charlatans.

Quoi qu’il en soit, la déprêtrisation (le mot était devenu officiel) faisait de jour en jour des progrès, et les prêtres démissionnaires prenaient des emplois, entraient dans les armées, dans les administrations, devenaient officiers municipaux, etc., et se mariaient en foule. Le mariage, pour les déprêtrisés, était la manifestation la plus caractéristique qu’ils rentraient sans arrière-pensée dans la classe des citoyens. Au reste, avant cette époque, on avait déjà d’assez nombreux exemples de prêtres mariés. Ces unions étaient vues avec faveur par les patriotes. Mais certains évêques, comme Grégoire, fort dévoués cependant à la Révolution, les prohibaient dans leur diocèse, et restaient sous ce rapport attachés à l’ancienne discipline, malgré la constitution civile du clergé et les libertés nouvelles.

Dès les premiers jours de décembre, ce mouvement était combattu par Robespierre ; un décret fut rendu qui, sous couleur de liberté des cultes, redonnait en fait toute vigueur au catholicisme et refoulait les prêtres dans le sanctuaire, ou du moins les décourageait d’en sortir. Toutefois, l’impulsion avait été si forte, que la réaction antireligieuse se prolongea dans les départements pendant quelque temps encore ; mais l’arrestation et le supplice des hébertistes, qui en avaient été les promoteurs, arrêtèrent tout à fait le mouvement.