Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/fantôme s. m.

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Administration du grand dictionnaire universel (8, part. 1p. 96-97).

FANTÔME s. m. (fan-tô-me — du gr. phantasma, apparition ; de phaino, je parais). Spectre, revenant, apparition surnaturelle : Un fantôme horrible. Avoir peur des fantômes. Les fantômes ne se montrent qu’à ceux qui doivent les voir. (Alex. Dumas.)

D’un fantôme odieux, soldats, délivrez-moi.
                        Racine.

J’ai d’un géant vu le fantôme immense
Sur nos bivacs fixer un œil ardent.
                           BÉRANGER.

Le sommeil fuit de moi, la terreur me poursuit,
Les fantômes affreux, ces enfants de la nuit
Qui des infortunés assiègent les pensées,
Impriment l’épouvante à mes veines glacées.
                         Voltaire.

— Fam. Homme, femme très-maigre : Ce n’est plus qu’un fantôme.

— Fig. Ombre, vaine apparence ; création bizarre de l’imagination ; épouvantail : Notre imagination est pleine de FANTÔMES dangereux. (Mass.) Il est à croire que la mort est un fantôme comme bien d’autres. (Mme de Puisieux.) Le fantôme du despotisme n’est peut-être pas mieux connu que la chimère de la liberté. (Grimm.) L’autorité est un fantôme qui gouverne le monde et qui s’évanouit sous le doigt d’un enfant. (E. Scherer.)

— Méd. Mannequin dont on se sert dans les cours, pour démontrer certaines opérations chirurgicales.

— Physiq. Fantôme magnétique, Figure que l’on obtient à l’aide d’un courant magnétique, en laissant tomber de la limaille de fer sur un papier tendu, imprégné avec une préparation d’empois, d’amidon et de gélatine.

— Entom. Nom vulgaire de plusieurs insectes orthoptères, appartenant aux genres mante et phasme.

Épithètes. Vain, léger, errant, effrayant, effroyable, affreux, horrible, épouvantable, monstrueux, livide, pâle, blême, sanglant, ensanglanté, muet, silencieux, taciturne, sombre, triste, funèbre, lugubre, odieux, hideux, terrible, menaçant, mystérieux, trompeur, imposteur, brillant, séduisant, enchanteur, aimable, charmant, attrayant, gracieux, insaisissable, poursuivi, évanoui, disparu.

— Syn. Fantôme, spectre. Le fantôme est tout ce qui paraît aux yeux par l’effet d’une imagination vivement frappée ou de quelque puissance surnaturelle ; ce mot n’exprime rien autre chose que l’inanité matérielle des apparences. Le spectre est aussi un fantôme, mais un fantôme effrayant, hideux, horrible. Tout ce qu’on voit en rêve peut s’appeler fantôme, et il y a des rêves agréables ; mais il n’y a que des spectres dans ces rêves pénibles qu’on désigne sous le nom de cauchemar.

Encycl. La croyance aux spectres et aux fantômes a existé de tout temps chez tous les peuples. Les Israélites, même avant les temps de l’exil, possédaient des superstitions populaires, et admettaient l’existence d’êtres fantastiques dont ils peuplaient généralement les déserts (Isaie, XIII, 21, XXXIV, 14 ; Tobie, VIII,3). Les livres canoniques parlent d’un spectre de femme, d’un être imaginaire, qui se nommait Lilith et apparaissait la nuit, et d’une espèce de revenants à formes de boucs, appelés schi’irim, qui dansaient dans les bois et se réunissaient en poussant des hurlements. Cette superstition assez indécise a été considérablement développée par les Turgum et les traditions des rabbins, qui l’ont enrichie en faisant des emprunts aux démonologies étrangères. On distingua les spectres en spectres du matin, du milieu du jour et de la nuit. Ceux du milieu du jour, à ce que nous apprennent certains ouvrages talmudiques, sont peut-être les plus dangereux, parce qu’ils, surprennent les hommes pendant le sommeil de la sieste. La Lilith, dont nous avons déjà parlé, est une jeune femme excessivement belle, qui joue à peu près le rôle de la lamie antique ou de l’incube du moyen âge. Elle apparaît la nuit et tue les jeunes enfants. Un autre fantôme, nommé Schabta, fait aussi mourir les enfants, lorsqu’ils n’ont pas les mains bien lavées. À ces légendes puériles viennent s’ajouter des croyances empruntées à la mythologie grecque, et aux autres religions ; tels sont les schi’irim, déjà mentionnés, qui rappellent singulièrement les satyres grecs et les esprits des bois et des champs du Zend-Avesta ; seulement, ces légendes ont été défigurées et on en a accentué principalement le caractère horrible et surnaturel. Enfin, les Juifs avaient l’équivalent exact de ce que nous appelons des revenants ; ainsi ils croyaient que les lieux déserts étaient hantés par les âmes des morts, qui cherchaient par tous les moyens possibles à s’emparer d’un nouveau corps humain, pour y établir leur demeure et recommencer une autre existence (Symbolique de Creuzer, II, 850, III, 19). Pour se garantir de ces attaques, on employait les prières, les amulettes, les talismans et les sacrifices.

Nous ne nous amuserons pas à décrire toutes les variétés de fantômes créées par l’imagination et la peur chez tous les peuples anciens et modernes. Nous pensons qu’il sera plus intéressant d’examiner physiologiquement comment se produit la croyance aux fantômes.

L’histoire des fantômes n’est, en réalité, que l’histoire des croyances populaires. Dès les temps les plus reculés, et dans ces temps surtout, nous trouvons à l’œuvre cette faculté de l’esprit humain qui engendre les fantômes, et, chose remarquable, sans jamais les inventer de toutes pièces ; admettre que des fantômes aient pu être inventés ainsi, ce serait reconnaître qu’il y a des effets sans cause.

Les fantômes sont, comme nous allons le montrer plus loin, l’incarnation ou, pour mieux dire, l’affirmation dans le monde extérieur des images existant dans l’esprit.

La préoccupation des destinées de l’homme après sa mort, le dogme de l’immortalité de l’âme commun à presque toutes les sociétés, et qui n’est, du reste, que la transformation d’un désir impérieux en une croyance longtemps invincible, expliquent que les morts, les revenants aient été, à toutes les époques, le principal objet de ces hallucinations. Les recherches curieuses d’un savant anglais ont prouvé que, dès les temps les plus reculés, les peuples primitifs ont vu l’image de l’âme dans l’ombre du corps, c’est-à-dire dans la silhouette qu’il projette. Remarquons à ce sujet que le même auteur constate la croyance, chez certaines peuplades, à l’âme des objets matériels, c’est-à-dire de tout ce qui, comme le corps humain, projette une ombre.

La croyance aux fantômes, comme d’autres purement instinctives, ne se réfute pas ; elle se constate et s’analyse. Dans son livre de l’Intelligence, M. Taine expose avec une grande vigueur d’esprit les origines de ces hallucinations. Nous allons résumer ici sa lumineuse théorie.

Le phénomène primordial de l’intelligence est l’image, c’est-à-dire une sensation spontanément renaissante, ordinairement moins précise et moins énergique que la sensation proprement dite. Selon les individus et les espèces, l’image est plus ou moins énergique et précise. Bien que les autres sens aient aussi leurs images, nous bornerons notre examen aux images de la vue, les plus faciles à saisir.

« Les actes de conception et d’imagination, dit très-bien Dugald-Stewart, seront toujours accompagnés d’une croyance au moins momentanée à l’existence réelle de l’objet qui les occupe. » Par conséquent, pendant un espace de temps qui peut devenir imperceptible, l’image est sensation, mais elle en diffère en ce que cette illusion est promptement rectifiée. La sensation présente, plus énergique que la sensation renouvelée, qui accompagne la production de l’image, en triomphe par son intensité d’abord, puis par sa situation dans le temps présent, qui refoule dans le temps passé l’image qui tend à renaître. Cette sensation actuelle, qui combat et qui réduit l’illusion imaginaire, est appelée antagoniste réducteur.

Lorsque la sensation antagoniste est trop faible ou annulée, l’hallucination se produit, c’est-à-dire que l’illusion qui accompagne l’image augmente et prête à celle-ci les proportions d’une véritable sensation. L’esprit se trouve alors contraint de la situer dans le monde objectif, c’est-à-dire de lui attribuer une existence réelle et présente : il se crée un fantôme.

M. Taine, pour mieux expliquer sa pensée, emprunte à l’anatomie une comparaison que nous reproduisons tout entière, à cause de sa clarté et de son heureuse exactitude : « La liaison de la sensation et de l’image est un antagonisme comme il s’en rencontre entre deux groupes de muscles dans le corps humain ; pour que l’image fasse son effet normal, c’est-à-dire soit reconnue comme intérieure, il faut qu’elle subisse le contre-poids d’une sensation ; ce contre-poids manquant, elle paraîtra extérieure. Pareillement pour que les muscles gauches de la face ou de la langue produisent leur effet normal, il faut que les muscles droits correspondants soient intacts ; ce contre-poids manquant, la face ou la langue sont tirées du côté gauche ; la paralysie des muscles d’un côté amène de l’autre une déformation, comme l’affaiblissement ou l’extinction des réducteurs de l’image amène une hallucination, un fantôme. »

Les souvenirs et les jugements généraux forment par leur cohésion un corps de réducteurs auxiliaires, mais leur influence ne suffit pas toujours. Il peut se faire que l’illusion accompagnant l’image soit assez puissante pour prêter à celle-ci une force telle, qu’au lieu d être réduite par la sensation antagoniste, elle la réduise elle-même et l’annule. Le patient juge alors que sa sensation n’est qu’une hallucination. Très-souvent les malades, après avoir admis plus ou moins longtemps que leurs fantômes n’étaient que des fantômes, finissent par les croire réels, au même titre que les personnes et les objets qui les entourent, et cela avec une conviction absolue. Dès lors, les réducteurs du second ordre sont annulés aussi bien que le réducteur spécial. L’image prépondérante, après avoir paralysé la sensation contradictoire, étend son ascendant sur le groupe contradictoire des autres images normales, provoque les idées délirantes et les impulsions déraisonnables. Ses fantômes ont rendu l’halluciné fou.

Il résulte de là que la perception adéquate à l’objet résulte de l’équilibre mutuel des images, et que l’hallucination serait le fait normal de l’esprit, sans la répression constante des réducteurs antagonistes. Les fantômes sont donc une chose toute naturelle. On peut citer, à l’appui de cette assertion, les illusions d’optique, telles que celle que l’on éprouve lorsque l’on considère un bâton plongé dans l’eau, qui nous paraît brisé par l’effet de la réfraction. Il est remarquable que, dans ce cas, le réducteur, lequel est purement un jugement logique, ne parvient pas à redresser la sensation, même lorsqu’elle est avouée fausse. Elle subsiste, en réalité, tout entière, après avoir été redressée mentalement. Il en est de même des sensations qu’éprouvent les amputés, lorsqu’ils rapportent au membre qu’ils ont perdu les douleurs ayant leur siège dans le système des nerfs qui lui correspondaient.

Ainsi donc, quand la condition du travail mental est donnée, ce travail se poursuit aveuglément comme le travail vital. « Sauf empêchement et paralysie dans les lobes cérébraux, dit M. Taine, sitôt que la sensation est donnée, la perception ou jugement affirmatif suit, faux ou vrai, salutaire ou nuisible, peu importe, quand même l’hallucination, qui parfois se constitue, entraînerait l’homme au suicide et détruirait l’harmonie ordinaire qui ajuste notre action à la marche de l’univers. »

Nous ne saurions mieux élucider la loi de la production des fantômes, qu’en classant et énumérant divers cas particuliers, qui sont, en quelque sorte, des spécimens des divers états de l’esprit, quand cette production a lieu.

1° Dans le cas des illusions d’optique (celles qui proviennent des effets de la réfraction peuvent servir de types), la sensation qui se produit normalement dans l’organe de la vue est nécessairement fausse, et dure sans se modifier, alors même qu’elle est jugée fausse. Il n’y a ni hallucination ni fantôme.

2° Les personnes qui se servent habituellement du microscope voient quelquefois spontanément reparaître, plusieurs heures après qu’elles ont quitté leur travail, un objet qu’elles ont examiné très-longtemps. Quelquefois les images flottantes viennent couvrir les meubles de l’appartement dans lequel se trouve l’observateur. Il y a hallucination, et le fantôme commence à se produire.

3° Un halluciné, cité par Walter Scott, apercevait un squelette au pied de son lit. Le médecin, voulant le convaincre de son erreur, se plaça entre le malade et le point assigné à la vision. L’halluciné prétendit alors qu’il ne voyait plus le corps du squelette, mais que la tête était encore visible par-dessus l’épaule du médecin. Il y a là hallucination et fantôme.

4° Un des cas les mieux étudiés et les plus curieux est celui que Nicolaï observa sur lui-même, le 24 février 1791. Il aperçut à dix pas de lui une figure de mort ; à quatre heures, à six heures, la même hallucination se reproduisit. Le lendemain, elle disparut et fut remplacée par d’autres figures représentant des amis et même des étrangers. Au bout de quatre semaines, leur nombre augmenta ; elles commencèrent à converser entre elles et à lui adresser la parole. Au bout de deux mois, à la suite d’une application de sangsues, les sensations normales reparaissent, non pas subitement, mais par portions et par degrés. Les mouvements des fantômes paraissent plus lents, à la suite d’une hallucination qui a duré de onze heures du matin à quatre heures et demie du soir, moment où commençait la digestion de Nicolaï. Bientôt les fantômes pâlissent, deviennent vaporeux, se confondent avec l’air, tandis que quelques parties en restent encore visibles pendant longtemps. À huit heures, les visiteurs fantastiques se sont évanouis.

On sait quel parti a été tiré en littérature de l’idée des fantômes, par Hoffmann, Nodier et autres écrivains de talent ; mais personne, avant M. Taine, n’avait donné scientifiquement la théorie du fantôme.

— Allus. hist. Fantôme de Brutus, Spectre qui apparut à Brutus la veille de la bataille de Philippes. Voici le fait :

Après la mort de César, ses meurtriers, obligés de fuir devant la colère du peuple soulevé par Antoine, se retirèrent en Macédoine. Les triumvirs s’avancèrent contre eux avec des forces considérables. Quelques jours avant la bataille qui devait décider du sort de la République, une nuit que Brutus veillait dans sa tente, livré à de sombres réflexions, il lui sembla tout à coup qu’il entendait entrer quelqu’un ; s’étant retourné, il aperçut un fantôme horrible dressé devant lui : « Homme ou dieu, qui es-tu ? lui dit Brutus. — Je suis ton mauvais génie, lui répondit le fantôme ; tu me reverras bientôt à Philippes. » Cette prédiction ne devait pas tarder à s’accomplir. Peu de jours après, en effet, la nuit qui précéda la bataille de Philippes, et comme Brutus veillait seul dans sa tente, suivant son habitude, tandis que toute l’armée était plongée dans le sommeil, le même fantôme se présenta devant lui une seconde fois, le regarda d’un air sinistre, et se retira sans prononcer une seule parole. Le lendemain, la liberté romaine expirait dans les plaines de Philippes, et Brutus se perçait de son épée.

On fait de fréquentes allusions au fantôme de Brutus :

« Vous vous rappelez cette nuit du second des Brutus ? Au milieu des désastres de sa patrie, un soir, il songeait à tout ce qui préoccupe les hommes sérieux, lorsqu’ils portent dans leur pensée la poids d’un empire qui s’écroule. À ce moment, sa porte s’ouvrit ; une espèce d’ombre lui apparut ; il se leva et lui dit : « Qui es-tu ? » Et l’ombre lui répondit : « Je suis ton mauvais génie, et tu me reverras à Philippes. » Pour nous, messieurs, c’est le contraire. Des ombres nous apparaissent et nous disent : « Je suis ton bon génie ; tu me reverras à l’heure finale. »

Lacordaire.

« Que n’ai-je pu percer la muraille qui me séparait de Pichegru dans sa dernière prison ! On m’ôterait difficilement de l’esprit que le souvenir du général Eisenberg ne lui soit pas revenu dans ce moment-là, comme l’esprit familier de Brutus dans sa tente des champs de Philippes, pour lui remettre en mémoire que son heure était sonnée et qu’il fallait partir. »

Charles Nodier.

« Eh bien ! vous ! — Ah ! c’est autre chose, répondit Monte-Cristo, on me rapportera, moi. — Allons donc ! s’écria Maximilien hors de lui. — C’est comme je vous l’annonce ; M. de Morcerf me tuera dans ce duel. »

Morel regarda le comte en homme qui ne comprend plus.

« Que vous est-il donc arrivé depuis hier soir, comte ? — Ce qui est arrivé à Brutus la veille de la bataille de Philippes : J’ai vu un fantôme. — Et ce fantôme ? — Ce fantôme, Morel, m’a dit que j’avais assez vécu. »

Alex. Dumas.

Fantôme (le capitaine), drame de MM. Paul Féval et Anicet Bourgeois. V. capitaine.