Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/gnomique adj.

La bibliothèque libre.
Administration du grand dictionnaire universel (8, part. 4p. 1331).

GNOMIQUE adj. (ghno-mi-ke — du gr. gnômê, Sentence). Littér. Sentencieux, en parlant des poèmes qui contiennent des maximes : Les critiques de Caton sont un poëme gnomique. (Acad.) || Poètes gnomiques, Ceux qui ont composé des ouvrages sentencieux ou moraux.

Encycl. Littér. La poésie gnomique, c’est-à-dire sentencieuse, est un genre tout à fait primitif ; délaissé aux époques de grande culture intellectuelle, il est, au contraire, en grand honneur à la naissance des sociétés, lorsqu’il s’agit de fixer, dans la mémoire des hommes, à l’aide du rhythme, des préceptes de religion.de morale, ou même d’art et de science. Aucune littérature n’est plus riche en poésie gnomique que la littérature grecque, et quelques-uns des morceaux qui nous en restent doivent être antérieurs, comme les poèmes d’Homère, à l’invention de l’écriture.

Hésiode, à cause de certaines parties de son poème : les Travaux et les Jours, peut être rangé parmi les poètes gnomiques ; cependant, comme, chez lui, les préceptes forment un tout et s’enchainent les uns aux autres pour composer un enseignement, que, d’ailleurs, ils


sont encadrés de parties purement descriptives, il est mieux placé parmi les poëtes didactiques. Les véritables gnomiques grecs sont Théognis, Phocylide, Solon, Pythagore, Simonide d’Amorgos, Callimaque, Mimnerme. Il ne nous reste presque rien de Xénophane et d’Evenus, que les critiques grecs plaçaient au même rang. L’œuvre de Théognis porte le titre de Stances êlégiaques ; le recueil que nous en possédons est incomplet et montre quelques interpolations ; il suffirait pourtant, à défaut des autres, pour nous donner une idée complète du genre. Les préceptes, les sentences, les réflexions sont revêtus d une forme élégante et poétique, la sécheresse de la parole dogmatique est dissimulée sous la grâce de l’expression ; de petits morceaux, un mouvement véritablement lyrique, des épigrammes, des conseils affectueux et spirituels rompent ça et là la monotonie qu’aurait eue l’ensemble. Le même charme ne se retrouve pas dans ce qui nous est parvenu sous le nom de Phocylide ; ses vers sont secs et monotones. Les recueils qui portent le nom de Vers dorés de Solon et de Pythagore se publient généralement à la suite de Théognis et de Phocylide, mais ils ont été composés bien postérieurement. La critique moderne les range dans la catégorie des poésies orphiques. Les vers gnomiques de Simonide d’Amorgos, de Callimaque et de Mimuerme sont plus authentiques, mais nous n’en possédons qu’un petit nombre ; la perte du recueil de Simonide eût surtout été regrettable, car ce vieux poète, antérieur même à Théognis, est plein de verve et de saveur. Ce que nous en possédons se résume malheureusement en une violente diatribe contre les femmes. Du reste, ce genre de satire est assez fréquent chez les poètes gnomiques ; les défauts de la femme, beaucoup plus que ses vertus, semblent avoir frappé ces rudes moralistes.

Par son essence même, la poésie gnomique touche à tous les devoirs, à tous les intérêts, à toutes les passions de l’homme ; elle effleure légèrement, en un ou deux distiques, les graves questions de morale qui, plus tard, ont fourni le sujet de tant de gros livres.

Tour à tour spiritualiste ou sensuelle, religieuse ou sceptique, tantôt indulgente, tantôt austère, elle reflète les mœurs de l’époque, et, en restant toujours naïve, elle rencontre quelquefois le sublime ; elle précéda les grands systèmes et dut à sa forme sentencieuse si commode, originale et précise, de leur survivre.

Elle eut aussi, et pour la même cause, beaucoup d’imitateurs. Les sentences qui ornaient la poésie d’Homère prirent place dans celle de Pindare, de Sophocle, de Ménandre, dans les discours des orateurs, dans les récits des historiens ; on en composa des recueils. Rappelons les ïambes de P. Syrus. Elles passèrent dans les Anthologies morales d’Orion, de Stobée, dans les encyclopédies, dans les manuels. On les trouve, remaniées, tantôt avec une empreinte chrétienne, dans les Oraclés sybillins, dans les Sentence* de Nilus, tantôt avec une empreinte stoïcienne, dans les Distiques latins de Dionysius Caton et ailleurs. Il serait fastidieux d’énumérer toutes les productions du même genre que le moyen âge a vues naître : contentons-nous de citer les Vers d’Abailard à son fi/s Astrolabe.

Ce genre de littérature a été continué par les quatrains moraux que de graves magistrats, le président Pibrac, les conseillers Faure et Mathieu, aimaient a composer à l’usage de la jeunesse. Ceux de Pibrac surtout sont célèbres, d’une célébrité un peu ridicule ; mais a-t-on le droit de rire des choses dont la mode a passé ? On les réimprimait encore chez noua au milieu du xviiie siècle.

— Bibl. Fabricius, Bibliothèque grecque (t. 1er, p. 704, 750, édit. de Harles) ; Brunck, Recueil des poètes gnomiques { Strasbourg, 1784, in-8°) ; Boissonade, Recueil des poètes gnomiques (Paris, 1823, in-8°) ; Welcker, 'Théognis (Francfort-sur-le-Mein, 1820, in-8°) ; Wagner, Dissertation sur les deux Euenus (Breslau, 1838, in-8°) ; Gaisford, Poetæ minores (Oxford, 1814, et Leipzig, 1822, in-8°) ; Orelli, Opuscula græcorum seutentiosa et moralia (Leipzig, 1818-21, in-8°).