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Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/homme s. m.

La bibliothèque libre.
Administration du grand dictionnaire universel (9, part. 1p. 357-362).

HOMME s. m. (o-me — V. l’étym. à la partie encycl.) Animal doué de raison, qui appartient à ln classe des mammifères, mais qui se distingue de tous les autres animaux par l’excellence de son organisation intellectuelle : De tous les animaux qui respirent ou qui rampent sur la terre, le plus faible et le plus misérable, c’est l’HOMME. (Homère.) L’HOMME est une âme qui se sert d’un corps, (Proclus.) Il appartient à l’HOMME d’être faible, et à Dieu d’être indulgent. (Fén.) L’HOMME est un automate intelligent. (Spinosa.) L’HOMME est un animal qui fait des outils. (Franklin.) L’HOMME naît sans dents, sans cheveux et sans illusions, et il meurt de même, sans cheveu, sans dents et sans illusions, (Alex, Dumas} L’HOMME est une volonté éclairée par une intelligence et sollicitée pur des passions. (J. Simon.)

L’homme de la nature est le chef et le roi.
               BOILEAU.
L’homme est, je vous L’avoue, un méchant animal.
               MOLIÈRE.
Borné dans sa mature, infini dans sesvœux,
L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux.
               LAMARTINE.

— Individu appartenant au genre humain : Si l’on vous dit qu’une montagne a changé de place, croyez-le si vous voulez ; si l’on vous apprend qu’un HOMME a changé de caractère, n’en croyez pas un mot. (Prov. arabe.) Il est plus aisé de connaître l’HOMME en général que de connaître un HOMME en particulier. (La Rochef.) Les HOMMES sont sots et méchants ; mais, tels qu’ils sont, j’ai à vivre avec eux, et je me le suis dit de bonne heure. (Fonten.)

Un homme, quelque titre enfin dont on le nomme,
Ne peut, sans son aveu, disposer d’un autre homme,
                          ANCELOT.

— Personne humaine douée des qualités qui honorent et distinguent sa nature ; personne humaine digne du nom d’homme : Réside où tu veux, et acquiers de la science et des vertus ; elles te tiendront lieu d’ancêtres. Certes, l’HOMME est celui qui dit : « Voilà ce que je suis ; » l’HOMME n’est pas celui qui dit : « Mon père a été ceci ou cela. » (Maxime arabe.) Faites des HOMMES et tout ira bien. (Michelet) En toutes choses, dans les instincts rudes et dans les instincts mâles, les Germains se montraient des HOMMES. (H. Taine.) Les HOMMES manquent dans le prolétariat aussi bien que dans la démocratie. (Proudh.)

Les républicaine sont des hommes,
Les esclaves sont des enfants.
                 M.-J. CHÉNIER.

— Personne humaine ou ensemble des personnes humaines du sexe masculin : Un HOMME et une femme. L’HOMME et la femme. On doit inculquer à chaque moment dans la tête d’une jeune fille qu’elle est destinée à faire le bonheur d’un HOMME. (Mme Bernier.)

. . . Dieu veut qu’on reste ici-bas,
La femme guidant l’homme et l’homme aidant la femme
            Pour les douleurs et les combats.
                                 V. HUGO.

— Individu mâle qui est parvenu à l’âge adulte : Quand cet enfant sera HOMME. Une troupe d’HOMMES et d’enfants.

— S’emploie souvent avec un adjectif dont le sens peut être variable selon qu’il est placé avant ou après le nom, Nous donnons, par ordre alphabétique de l’adjectif, celles de ces locutions qui demandent une explication.

Brave homme, Honnête homme, homme bon, franc, obligeant :

On offense un brave homme, alors que l’on l’abuse.
                       MOLIÈRE.

|| Mon brave homme, Expression familière dont on se sert avec un inférieur. || Homme brave, Homme doué de bravoure.

- Bon homme, Homme simple et franc, plein de droiture ét de candeur : La première qualité dans la société est d’être un BON HOMME. (Acad.) || Bonhomme. (V. ce mot à son ordre alphabétique.) || Homme bon, Homme doux et obligeant.

Fameux homme, Homme très-remarquable en son genre : J’oubliais de vous dire que le défunt était un FAMEUX HOMME pour composer des chansons. (Dumas-Hinard.) || Homme fameux, Homme illustre, célèbre : Érostrate est un HOMME FAMEUX, mais on ne peut dire qu’il ait été un fameux homme.

Galant homme, Homme d’honneur sur la parole de qui l’on peut compter : Victor-Emmanuel a reçu de son peuple le titre de roi GALANT HOMME. (Aug. Humbert.) || Homme galant, Homme empressé auprès des femmes.

Grand homme, Homme qui a jeté un grand éclat par ses qualités éminentes ou par d’éclatantes actions : Le GRAND HOMME perd à être vu de près ; on se fait toujours de lui une idée que la réalité dément. (Alex. Dumas fils.) || Homme grand, Homme de grande taille : Charlemagne était un de ces très-rares grands hommes qui sont aussi des HOMMES GRANDS. (V. Hugo.)

Honnête homme, Homme probe, de principes, de mœurs sévères : Plus on est HONNÊTE HOMME, moins on soupçonne les autres de ne l’être pas. (Cicéron.)

L’argent en honnête homme érige un scélérat,
                       BOILEAU.
On peut être honnête homme et faire mal des vers.
                       PIRON.

|| Homme honnête, Homme poli, qui connaît et remplit les devoirs sociaux : L’HOMME le plus HONNÊTE de la cour n’est pas le plus honnête homme du monde. (D’Alemb.) Être un HOMME HONNÊTE ne suffit pas, il faut encore être honnête homme. (Ch. Nod.)

Jeune homme, Adolescent, homme entre l’âge de puberté et l’âge mûr :

Un jeune homme, toujours bouillant dans ses caprices,
Est prompt à recevoir l’impression des vices.
                      BOILEAU.

|| Homme jeune, Homme fait, qui n’est pas ou ne paraît pas avancé en âge.

Pauvre homme, Homme à plaindre, digne de pitié : Tâchez de faire quelque chose pour le PAUVRE HOMNE.

. . . . Tartufe ! Il se porte à merveille,
Gros et gras, le teint frais et la bouche vermeille.
— Le pauvre homme !
                       MOLIÈRE.

|| Homme qui n’est bon à rien, ou qui n’est nullement estimable : C’est un PAUVRE HOMME, allez. || Homme pauvre, Homme misérable, sans fortune,

Homme public, Homme qui s’occupe des affaires publiques : L’HOMME PUBLIC n’est point vertueux, s’il n’a que les vertus de l’homme privé. (Mass.)

L’homme de, Le représentant, le commis, le délégué, le protégé de : Il est L’HOMME DU ministre, il peut obtenir tout ce qu’il veut. L’avocat plaidant n’est pas L’HOMME DU premier venu toujours, mais presque toujours. (Cormen.) || L’homme dévoué aux intérêts, au service de : Dieu n’a fait un homme roi que pour être L’HOMME DES peuples. (Fén.) || L’homme qui convient à, qui est fait pour, désiré, attendu, annoncé, désigné par : Voici MON HOMME. Vous n’êtes pas SON HOMME. Il y a dans l’homme deux hommes : L’HOMME DE son siècle, L’HOMME DE tous les siècles. (Chateaub.) || Homme en état de lutter contre : Il a trouvé SON HOMME. Parbleu ! chevalier, te voilà mal ajusté, tu as trouvé TON HOMME. (Mol.) || Homme soumis aux ordres de, commandé par : Le capitaine rassembla SES HOMMES. Vous me ferez porter ce paquet par un de VOS HOMMES. || Homme dont il s’agit, dont on parle :

Voici notre homme ; ah ! comme il est bâti !
                      MOLIÈRE.
C’est mon homme, ou plutôt est celui de ma femme.
                      MOLIÈRE.

Mon homme, notre homme, Mon mari, dans le langage des femmes de la campagne : J’irai avec MON HOMME souper chez vous. (Acad.)

— S’emploie avec différents compléments, donnant lieu à de nombreuses locutions qui réclament une explication,

Homme d’affaires, Homme chargé d’administrer les affaires de quelqu’un : Entendez-vous avec mon HOMME D’AFFAIRES. || Agent d’affaires : J’ai confié le soin de mon procès à un HOMME D’AFFAIRES intelligent. (Acad.)

Homme d’argent, de finance, Banquier, agioteur, homme qui trafique sur le numéraire ou les valeurs commerciales. || Personne intéressée, qui ne pense guère qu’à amasser de l’argent : L’HOMME D’ARGENT est rarement un homme de cœur.

Homme d’armes, Cavalier qui était armé de toutes pièces.

Homme de bien, Homme vertueux, qui pratique le bien : Le magistrat qui n’est pas un héros n’est pas même un HOMME DE BIEN. (D’Aguess.)

Homme de couleur, Mulâtre, homme provenant du mélange de la race Blanche et de la race noire.

Homme de cour, Celui qui fréquente la cour, qui fait partie de la cour du souverain : Un HOMME DE COUR ressemble à certaine colonne de marbre ; il est dur, poli et bigarré comme elle. (Christine de Suède.)

Homme de Dieu, Homme fort dévot, saint homme.

Homme d’Église, Prêtre, membre du clergé :

Je sais bien qu’un homme d’Église,
Qu’on redoutait fort en ce lieu,
Vient de rendre son âme à Dieu ;
Mais je ne sais si Dieu l’a prise.
                    DE CAILLY.

Homme d’épée, Officier, homme qui suit la carrière des armes :

Entre l’homme d’épée et l’homme de science,
Les femmes au premier inclineront toujours.
                    LA FONTAINE.

Homme d’esprit, Homme d’une intelligence vive, qui comprend aisément et exprime avec délicatesse : L’HOMME D’ESPRIT est porté à la critique, parce qu’il voit plus de choses qu’un autre et les sent mieux. (Montesq.) Personne ne se croit propre comme un sot à duper un HOMME D'ESPRIT. (Vauven.)

Homme d’État, Personnage politique ; homme habile dans la direction des affaires publiques : Ce n’est point une pénétration supérieure qui fait les HOMMES D'ÉTAT, c’est leur caractère. (Volt.) Je pense que, dans une société bien constituée, l’HOMME D’ÉTAT n’a besoin que de probité et de bon sens. (La Fayette.)

Homme de guerre, Général, chef d’armée ; soldat en général : Un illustre HOMME DE GUERRE.

Homme de lettres, Écrivain, auteur, littérateur : La critique afflige plus les HOMMES DE LETTRES qu’elle ne peut leur nuire. (Villem.)

Homme de loi, Homme instruit dans la jurisprudence, qui s’occupe de l’étude ou de l’application des lois : Une mauvaise affaire rapporte plus à un HOMME DE LOI qu’une bonne cause. (Mérimée.)

Homme de mer, Marin ou homme au courant de la science navale : D’Estrées s’étudiait autant qu’il pouvait à faire croire qu’il était très-habile HOMME DE MER. (E. Sue.)

Homme du monde, Homme qui vit dans le grand monde, qui en connaît les usages et en a les manières : Un HOMME DU MONDE est celui qui a beaucoup d’esprit inutile. (Vauven.)

Homme de paille, Homme de néant, de nulle considération. || Prête-nom, homme mis en avant pour prendre la responsabilité extérieure dont un autre ne veut ou ne peut se charger : Faire pousser une adjudication par un HOMME DE PAILLE. Comment justifier cette institution du gérant HOME DE PAILLE, espèce de champion qui faisait métier de son corps et allait en prison pour de l’argent quand le journal était condamné ? (L. Combes.)

Homme de peine, Manouvrier, homme qui fait des travaux manuels n’exigeant proprement aucun apprentissage.

Homme de pied, Fantassin : Dix mille HOMMES DE PIED et quinze cents cavaliers.

Homme de qualité, Noble de naissance.

Homme de rien, Homme sans naissance, sans fortune, sans influence. || Homme vil, méprisable : Il m’a traité comme un HOMME DE RIEN.

Si vous lisez dans l’épitaphe
De Fabrice qu’il fut toujours homme de bien,
         C’est une faute d’orthographe :
         Passant, lisez homme de rien.
                         Le Brun

Homme de robe, Magistrat ou docteur : Chez nous, le soldat est brave, et l’HOMME DE ROBE est savant ; chez les Romains, l’HOMME DE ROBE était brave, et le soldat était savant. (La Bruy.)

Homme à, Homme capable de, habile ou propre à : Il est HOMME À tout entreprendre. Il n'est pas HOMME À soufrrir une insulte. || Qu’il faut, qu’il convient de : C’est un HOMME À ménager.

Ce n’est pas un homme, C’est un homme faible, sans énergie : Si tu fais cela, TU N'ES PAS UN HOMME.

— Prov. L’homme propose et Dieu dispose, Souvent nos entreprises tournent d’une manière opposée à nos vues, à nos espérances. || Tant vaut l’homme, tant vaut la terre, Les terres rapportent en proportion de la capacité de celui qui les fait valoir.

— Écrit. sainte. Les enfants des hommes. Ceux qui vivent dans le monde, dans l’iniquité ; les hommes en général : O ENFANTS DES HOMMES, jusqu’à quand aimerez-vous vos inquiétudes et vos chaînes ? (Mass.)

— Ascét. Nouvel homme ou Homme nouveau, Chrétien régénéré par la grâce. || Homme-Dieu, Nom donné à Jésus : Appliquer aux pécheurs les mérites de l’HOMME-DIEU. || Dépouiller le vieil homme, se dépouiller du vieil homme', Se défaire des inclinations mauvaises propres à l’humanité.

— Hist. Homme du roi, Celui qui avait quelque commission du roi pour remplir une fonction soit au dedans, soit au dehors du royaume : Il était l’HOMME DU ROI aux états de Languedoc. (Acad.} || Homme de foi, Vassal qui devait foi et hommage à son seigneur. || Homme de pléjure, Vassal qui servait de caution ou gage pleige pour son seigneur. || Homme de poursuite, Serf attaché à la glèbe, que le seigneur pouvait poursuivre et réclamer en tout lieu.

— Jurispr. Devant Dieu et devant les hommes, Formule de serment par laquelle le chef du jury commence la lecture du verdict qu’il va rendre.

— Jeux. Homme d’Auvergne, Sorte de jeu de cartes, qui est surtout on usage en Auvergne,

— Min. Vieil homme, Nom donné par les mineurs allemands aux pierres provenant d’une ancienne exploitation.

— Manège. Homme de bois, Appareil qu’on fixe sur la selle des jeunes chevaux non dressés, pour les habituer à porter un cavalier.

— Mamm. Homme des bois ou Homme sauvage, Nom vulgaire de l’orang-outang. || Homme marin, Nom vulgaire des dugongs et des lamantins :

— Adjectiv. Qui a des qualités viriles ou humaines : Il n°y a que le roi de Prusse que je mets de niveau avec vous, parce que c’est de tous les rois le moins roi et le plus HOMME. (Volt.)

Encycl. Linguist. Le mot homme vient du latin homo, probablement de la même racine qui nous a donné humus, sol, et humilis, humble. Comparez le grec chamai, le zend zem, le lithuanien zem, et zmenes, les hommes, exactement le latin homines. Le latin homo signiflerait donc proprement celui qui a été formé du limon de la terre ou le terrestre. Bopp indique une autre étymologie, le sanscrit bhuman, créature, de la grande racine bhu, être. Une autre antique appellation de l’homme était le sanscrit marta, le grec brotos, le latin mortalis, dérivé secondaire, et maritus. Marta, de la racine mor, mourir, signifie celui qui meurt ; et c’est un fait curieux à relever qu’alors que tout dans la nature changeait sans cesse, se flétrissait et mourait, ce nom de mortel ait été choisi comme appellation distinctive de l’homme. Il y a un troisième nom qui désigne l’homme en l’appelant le penseur, et c’était le principal nom de l’homme chez les anciens Aryas. en sanscrit signifie mesurer ; de là on a tiré la racine dérivée man, penser, laquelle à son tour a donné le substantif sanscrit manu, l’homme par excellence, et aussi le nom du premier homme chez les Aryas. (V. MANOU.) Manu, le penseur, s’entendait plus spécialement de l’homme de race aryenne, tandis que le reste des humains, tenus pour inférieurs, étaient appelés simplement les anavas, les vivants, à en juger par l’emploi de ce mot dans les Védas. Dans le sanscrit moderne, nous rencontrons d’autres dérivés, tels que mânava, mânusha, manuthya, qui ont tous la même signification. Ce nom se retrouve sûrement dans le gothique man, manna, commun à tous les dialectes germaniques, et dont l’anglo-saxon mennisc, ancien allemand mennisco, allemand moderne mensch, sont des formes dérivées. Le manou traditionnel se reconnaît aussi dans le mannus de Tacite. Pictet ramène également à ce groupe le kymrique mynw, personne, individu, ainsi que le menw des traditions bardiques.

— Hist. nat. I. DÉFINITION DE L’HOMME. SA PLACE DANS LA SÉRIE DES ÊTRES. Linné, le premier, osa prêter l’appui de son autorité respectable à une opinion qui régnait dans l’esprit de tous les naturalistes de son temps, mais qu’aucun d’eux n’avait encore formulée ; il plaça l’homme dans la série naturelle des êtres, en tête du règne animal. Notre génération semble devoir être mûre pour accepter franchement cette classification, et pourtant l’assentiment est loin encore d’être unanime ; on se souvient de l’orage qui, dernièrement, s’éleva au sein d’un de nos plus grands corps de l’État, lorsqu’un naturaliste y fut dénoncé pour avoir osé, dans un dictionnaire d’histoire naturelle, définir l’homme : un bimane de l’ordre des primates et de la classe des mammifères. Quant à nous, qui nous plaçons sur le terrain de l’histoire naturelle, nous n’avons pas à transiger avec la vérité scientifique. Que les attributs moraux de sa nature propre fassent de l’homme un être à part, que, par la conscience de sa supériorité, il se place de lui-même à la tête de la création comme un chef ou comme un maître, nous n’y faisons aucune objection ; mais l’Homme ne réussit pas pour cela à rompre les liens par lesquels il se rattache au reste des créatures, et, roi de la création, il n’est pour nous que le premier des animaux,

Les caractères par lesquels l’homme se distingue des animaux qui se rapprochent le plus de lui par leur organisation sont de deux ordres : les uns sont des caractères d’ordre zoologique, les autres des caractères psychiques ou moraux. Le type humain est trop universellement connu pour qu’il soit utile d’en retracer les traits ; l’énoncé des caractères, à proprement parler différentiels, suffit à le distinguer de ses plus proches voisins, les anthropomorphes. C’est à l’énumération de ces seuls caractères que nous consacrons les lignes qui suivent.

Caractères zoologiques. L’homme est un animal vertébré, mammifère et bipède, d’une taille qui varie de 1m, 60 à 1m, 82 en moyenne, avec quelques écarts exceptionnels. Sa peau est à duvet ou à poils rares, de couleur variable ; sa tête est relativement petite, et le rapport de capacité du crâne à la face est plus grand que chez tous les autres animaux. Le nez est saillant au-dessus et au-devant de la bouche, le menton est distinct, l’oreille nue, fine, bordée, lobulée ; les cheveux sont abondants ; la mâchoire est parabolique et garnie de dents rapprochées sans lacune. De ces dispositions il résulte, chez l’homme, un angle facial plus ouvert, un angle sphénoïdal plus aigu.

L’homme a deux pieds et deux mains ; les doigts sont onguiculés et les pouces opposables dans les mains. La jambe est droite sur le pied, la hanche saillante et le fémur recourbé à angle droit au niveau de son col.

L’homme est d’abord embryon, puis fœtus ; il naît neuf mois après sa conception, commence vers l’âge de cinq à dix mois le travail de la première dentition (vingt dents), renouvelle ces premières dents vers sept ans, et en acquiert trente-deux dont les dernières apparaissent vers l’âge de vingt-cinq ans ; il croît le quart de sa vie, prolonge celle-ci assez souvent jusqu’à soixante-dix ans, exceptionnellement jusqu’à cent ans, très-rarement au-delà.

Aristote, dans l’antiquité, et, parmi les modernes, MM. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, Müller, de Quatrefages, Flourens et bien d’autres, ont affirmé l’existence d’un règne humain, ne comprenant d’ailleurs qu’un seul genre, le genre homme. Les caractères de ce groupe sont renfermés très-clairement dans cette définition empruntée à Isidore Geoffroy Saint-Hilaire : « La plante, dit ce naturaliste, vit ; l’animal vit et sent ; l’homme seul vit, sent et pense. »

M. de Quatrefages, qui soutient avec une certaine habileté la thèse du règne humain, et qui veut assurer à l’homme le bénéfice de cette place exceptionnelle, convient parfaitement qu’il ne faut chercher les caractères de supériorité de l’espèce humaine, ni dans les formes anatomiques, ni dans le mode d’accomplissement des fonctions vitales ; ni dans la station verticale, qui n’est pas absolument exclusive à l’homme ; ni dans son intelligence, puisque la plupart des animaux en possèdent une ; ni dans la faculté de parler, puisque les mammifères et les oiseaux Correspondent entre eux à l’aide d’un langage expressif, quoique incomplet ; ni même dans l’existence de facultés affectives, dont quelques animaux font encore preuve… Les caractères de supériorité, dit M. de Quatrefages, résident uniquement dans la présence de deux facultés spéciales à l’homme : la moralité et la religiosité. Nous croyons que des facultés de ce genre ne peuvent point être les caractéristiques d’un règne. Dans l’homme, nous trouvons les mêmes éléments organiques que dans tout le règne animal : ce sont les mêmes tissus appelés à donner naissance à des organes comparables, affectés eux-mêmes à des fonctions analogues. Quel motif y aurait-il donc de faire sortir l’homme du règne animal ? Serait-ce le fait d’une supériorité organique ? Mais le règne animal n’est pas au-dessus du végétal par une supériorité d’organisation ; ces deux règnes se touchent, non pas par leurs extrémités opposées, mais par leurs extrémités semblables, par leurs degrés inférieurs. À partir de ce point commun où se confondent le végétal le plus imparfait et l’animal le plus rudimentaire, les organisations se développent en divergeant, obéissant à des lois essentiellement différentes. Mais l’homme n’est pas dans ces conditions. Il représente, par rapport au singe, un degré d’organisation supérieur ; il est conforme sur un plan analogue, pour ne pas dire absolument semblable ; il diffère du dernier des animaux bien moins qu’un arbre, par exemple, ne diffère d’un chien,

Ordre, classe, famille. Linné plaçait l’homme parmi les primates, à côté des singes, des lémuriens, des chauves-souris et mème des paresseux. Cuvier admettait une division dans l’ordre des primates, et faisait de l’homme le représentant d’un groupe, classe ou famille des binanes. Le caractère invoqué par Cuvier, pour justifier la création de ce groupe, était la comparaison du pied de l’homme et de celui du singe ; il rangeait celui-ci parmi les quadrumanes.

Entre le pied de l’homme et la main du membre inférieur du singe, il n’y a pas de différences de structure radicales ; les mêmes muscles entrent dans la composition de ces deux organes, et, chez les enfants, on observe bien visiblement la mobilité des gros orteils. Si l’habitude de porter des chaussures ne nous condamnait pas à faire de nos pieds un usage très-restreint, il n’y a pas de doute que le pouce du pied ne restât opposable aux autres doigts ; l’exemple de plusieurs individus nés sans bras et devenus fort adroits de leurs pieds est, à cet égard, un argument sans réplique, On a souvent cité le peintre Ducornet, né sans bras, et auteur de plusieurs bons tableaux.

À côté de cela, nous retrouvons une sorte de main dans certains marsupiaux, tandis que les singes du genre cebus, privés de mains, restaient, pour Cuvier, dans le groupe des bimanes. La main perd ainsi singulièrement de sa valeur taxonomique, et il nous paraît plus conforme aux principes de la classification zoologique d’admettre que l’homme appartient au groupe naturel des singes, et au sous-ordre des pithéciens, ou singes anthropomorphes. Telle est du moins la manière de voir d’un grand nombre de naturalistes qui, d’ailleurs, n’entendent établir que des rapports de conformation organique, sans rien préjuger sur le rang que doit occuper l’homme dans la série des êtres, si l’on a égard aux caractères d’ordre psychique. V. ANTHROPOMORPHE,

Genre, espèce. Linné était peu généreux à l’égard de notre espèce. Il plaçait l’homme à côté du chimpanzé et des singes anthropomorphes alors connus. Pour lui, le genre homme comprenait à la fois : l’homme lui-même, homo sapiens ; le chimpanzé, homo troglodytes : l'orang, homo satyrus, et le gibbon, homo lar. Ces rapprochements sont injustes, et les espèces de Linné sont des genres bien accusés ; mais la question, loin d’être vidée, se représente sous une forme plus discutable encore, car il reste à déterminer si l’homme forme un genre divisible en plusieurs espèces, ou une seule espèce dans un genre unique lui- mème. Ainsi posé, le problème a reçu des solutions fort différentes, et excité entre les naturalistes et entre les philosophes des controverses violentes et souvent passionnées, qui se sont pas encore près de s’éteindre. Quoi qu’il en soit au point de vue zoologique, et abstraction faite des attributs d’ordre psychique, l’homme peut se définir : un animal vertébré, mammifère, de l’ordre des primates, de la famille du singe, de genre et d’espèce homme. C’est tout ce que la zoologie peut nous enseigner, et c’est la conclusion inévitable des considérations qui précèdent.

— II. ORIGINE DE L’HOMME. Toutes les grandes questions anthropologiques dont Le monde savant est aujourd’hui saisi gravitent autour d’un problème unique : déterminer l’origine du groupe humain. Trois solutions principales ont été proposées. La première, dont nous ne parlons que pour être complet, ferait de l’homme un être de hasard, engendré fortuitement par la nature. Celle que nous plaçons la seconde, en raison de son ancienneté, nous représente l’homme comme une manifestation spéciale de la puissance créatrice, ayant, à un moment donné, créé l’espèce humaine distincte de toute autre. La troisième, non moins hypothétique d’ailleurs, nous montre l’humanité comme un produit de l’évolution continue et indéfiniment perfectible des êtres, comme le résultat ultime des transformations multiples de l’animalité. Ces trois hypothèses se présentent avec une série d’arguments que nous allons sommairement faire connaître.

— 1° Origine de l’homme par génération spontanée. Cette supposition étrange, dont on pourrait trouver les traces dans la plus haute antiquité, a été scientifiquement soutenue par Oken en 1819. Suivant ce naturaliste, tout être vivant vient de la mer, vaste réceptacle, utérus immense de la nature. Le fœtus humain y prit naissance, enveloppé dans un amnios en forme de sac sans ouverture ; il y vécut par imbibition, à la façon des infusoires, absorbant les éléments nutritifs du liquide suffisamment albumineux au sein duquel il était plongé ; sa gestation, plus longue, s’y prolongea jusque vers la fin de la deuxième année, et il sortit enfin de la poche qui le contenait, pourvu des organes qui lui permettaient d’emprunter sa nourriture aux milieux ambiants. Nous jugeons inutile de nous arrêter plus longtemps sur cette hypothèse.

— 2° Hypothèse de la création distincte d’un ou plusieurs couples primitifs. À cette hypothèse se rattachent les partisans de la fixité immuable des espèces ; elle se présente, en effet, comme une inévitable conséquence de l’invariabilité absolue des formes organiques. Dans la théorie à laquelle nous faisons allusion, chaque espèce réclame une création distincte ; elle représente, en quelque sorte, une catégorie spéciale de la pensée créatrice, se multipliant par voie de génération indéfinie et sans altération de la forme créée immuable dans son éternité relative. Il est évident que cette doctrine reste exposée à toutes les critiques qu’on peut opposer aux partisans de la fixité de l’espèce, (V. ESPÈCE.) Elle a toutefois, pour elle, l’assentiment tacite de tous les peuples disciplinés sous le joug des religions révélées ; elle a l’autorité des livres saints ; enfin, elle semble seule consacrer In supériorité de l’espèce humaine, conséquence importante qui lui assure un appui considérable.

Doit-on admettre qu’il y ait eu, originairement, un ou plusieurs couples humains ? Généralement parlant, les partisans de la création distincte s’accommodent mieux de l’hypothèse qui fait descendre l’homme d’un seul couple. Cette opinion était celle de Buffon ; Flourens, en France, et surtout M. de Quatrefages, lui donnèrent une sanction scientifique très-sérieuse. Pour ces naturalistes, l’espèce humaine est exclusive de toutes les autres ; l’homme n’a nulle espèce consanguine ; son espèce est une par toute la terre, et les races ne sont que les variétés de l’espèce, dérivées d’un type primitif immuable. « L’homme, dit Buffon, blanc en Europe, noir en Afrique, rouge en Amérique, n’est que le même homme teint de la couleur du climat. »

Les individus composant la grande famille humaine, disent d’autres naturalistes, partisans, comme Buffon, du monogénisme, se ressemblent autant entre eux, et souvent plus, que deux animaux appartenant à une même espèce bien reconnue, que deux chiens, par exemple. C’est ainsi que les différences qui séparent le blanc du nègre le plus dégénéré ne semblent pas plus considérables que celles qui séparent un carlin d’un dogue ou un poney d’un gros cheval limousin. Les mêmes naturalistes font observer qu’il n’existe aucune infériorité absolue entre les représentants des races les plus éloignées les unes des autres, et que les individus appartenant aux races inférieures possèdent, à l’état virtuel, les mêmes aptitudes intellectuelles, que l’éducation peut, d’ailleurs, développer chez eux au même degré que chez le blanc.

Cette doctrine a pour elle encore, en apparence du moins, l’autorité des livres saints, et l’opinion universellement adoptée depuis dix-huit siècles dans le monde chrétien. Disons même qu’une raison d’humanité plaide en faveur de l’unité de l’espèce humaine, et que la croyance à cette unité est presque seule capable de s’opposer à l’injuste asservissement des races inférieures ; disons que l’instinct de sociabilité qui a poussé les uns vers les autres les hommes de races éloignées les a également portés à s’unir, à se croiser de mille manières, tandis que les animaux d’espèces différentes ne se recherchent jamais que quand ils sont placés hors de l’état de nature ; disons que les renseignements historiques que nous possédons nous permettent de croire à de vastes émigrations ayant originairement disséminé les premiers hommes autour d’un berceau primitif ; opposons enfin aux polygénistes un dernier argument : c’est qu’en se reportant à l’hypothèse de plusieurs espèces primitives il est si difficile d’en déterminer seulement le nombre, que les partisans de cette doctrine en ont admis tantôt trois, tan- tôt cinq, tantôt quinze, vingt, et quelques-uns plus de trente.

Nous verrons, dans un moment, en quels termes les polygénistes répondent à ces arguments.

Maintenant, d’autres questions se présentent : le couple étant supposé unique, quel était ce premier couple ? à quelle variété, à quelle race convient-il de le rapporter ? quels furent son premier habitat, sa condition première ? à quelle date convient-il de fixer cette première apparition de l’homme sur la terre ? enfin, par quelles voies et par quels moyens l’homme parvint-il à disséminer sa descendance sur la surface entière du globe ? De ces questions nous ne traiterons ici que celles qui regardent directement le naturaliste.

L’histoire ne nous fournit que des renseignements bien insuffisants sur la nature du premier couple humain ; la Bible le fait rouge, les livres sacrés des Indiens le font brun, et ceux des Chinois le disent jaune. Pour le naturaliste qui se rattache à la doctrine de la perfectibilité indéfinie des êtres, et pour les philosophes qui ont adopté cette doctrine, le premier couple devait être quelque obscur représentant des races inférieures, un noir hideux. Tant que cette assertion n’est pas justifiée par l’observation, elle demeure sans valeur. Il ne faut pas admettre théoriquement, sans preuves à l’appui, que la perfectibilité indéfinie soit une conséquence inévitable de notre organisation ; les faits trop récents de dégénérescence, très-rigoureusement observés d’ailleurs, viendraient bientôt démentir cette manière de voir.

Les anthropologistes n’ont pas beaucoup plus avancé la question que les philosophes. M. de Quatrefages, s’appuyant sur l’apparition isolée de certains caractères identiques chez presque toutes les races actuellement existantes, pense que cette observation conduit à présumer que le type original de notre espèce a dû être in homme prognathe, à peau jaune et aux cheveux roux.

Les quelques débris humains des races primitives, retrouvés à l’état fossile dans les couches quaternaires, étaient seuls capables de fournir à la question quelques éléments de certitude ; malheureusement, ces débris sont encore trop rares et trop contestés. En observant la structure des crânes d’Engis et du Neanderthal, MM. Huxley, S.-J. Lubbock, C. Vogt, Schauffhausen, et tous les naturalistes à qui il a été donné d’étudier ces restes humains, ont, d’une manière presque unanime, conclu que l’homme le plus ancien, dont les débris aient été retrouvés, était un être hideux, prognathe et dolichocéphale, portant autour des orbites un bourrelet saillant rappelant celui des singes, ayant les sinus frontaux très-développés, et tenant le milieu entre l’Esquimau et l’Australien. M. Lartet, d’autre part, affirme que, par sa capacité crânienne, le premier homme s’éloignait beaucoup du singe. Toutes ces observations sont peu concluantes ; les restes humains fossiles sont trop peu nombreux. D’ailleurs, l’homme des cavernes de France et de Belgique est-il l’homme primitif ? Nous l’ignorons, et nous l’ignorerons peut-être toujours,

Nous venons d’exposer l’hypothèse du monogénisme ; parlons maintenant du polygénisme, c’est-à-dire du système qui admet la création directe de plusieurs couples en des temps et des lieux différents.

Nous devons commencer par dire que l’autorité des livres saints est invoquée à tort par les monogénistes ; les polygénistes n’ont pas manqué de trouver dans les Écritures des textes tout aussi concluants en leur faveur.

Quoi qu’il en soit, il est certain que, partout où l’homme a pénétré, il a trouvé d’autres habitants, essentiellement différents des races européennes et ayant perdu tout souvenir de ce berceau primitif qui avait dû les voir naître. Ne serait-il pas plus logique, en présence de ces faits, de songer à une création multiple ? Pour les autres animaux, le fait est avéré et admis par l’universalité des naturalistes, Tous admettent la multiplicité des centres de création. Quand on découvrit la Nouvelle-Hollande, et qu’on put étudier sa faune singulière, le doute ne fut plus permis à cet égard. Ce vaste continent, en effet, recélait comme une création nouvelle ; tous les animaux qu’on y découvrait étaient, en quelque sorte, marqués d’un sceau particulier, doués d’attributs spéciaux, qui caractérisaient la localité qui leur servait d’habitat, à l’exclusion de toute autre. Les mêmes observations s’appliquent encore à tout le continent américain, qui contenait à la fois une race d’hommes de type spécial, des espèces de singes, des espèces de carnassiers essentiellement différentes de toutes celles de l’ancien continent. En même temps, des animaux, aujourd’hui parfaitement acclimatés sur ce sol nouveau, comme le cheval, y faisaient complétement défaut. Agassiz, Desmoulins, Morton et d’autres naturalistes se sont crus autorisés à faire l’application de ces faits à l’homme, et ont imaginé qu’il y avait eu pour lui, comme pour d’autres espèces, plusieurs centres d’apparition.

Il est impossible de nier que les races humaines présentent de très-grandes différences, et tout semble annoncer que ces différences sont aussi anciennes que l’homme lui-même. Si l’on jette un coup d’œil sur les crânes d’Engis et de Neanderthal (seuls vestiges que nous possédions des races les plus anciennes), n’est-on pas amené à conclure que l’homme des cavernes d’Europe, intermédiaire entre l’Esquimau et l’Australien, dolichocéphale et prognathe, ne saurait descendre des races asiatiques, toutes brachycéphales ? Insistons maintenant sur le caractère de fixité. Aussi loin qu’on puisse remonter dans l’histoire par l’inspection des monuments les plus anciens, de ceux des Égyptiens par exemple, ne voyons-nous pas les types actuels reproduits sur ces monuments avec tous les caractères qui leur appartiennent aujourd’hui ? Et dans la succession des migrations nombreuses de ces races anciennes, ne voyons-nous pas se conserver presque inaltérables les caractères qui les distinguaient primitivement, même après une dissémination très-complète, ainsi qu’il arrive pour le juif, qui conserve le type de sa race dans les contrées les plus éloignées ?

En vain les monogénistes s’évertuent à établir que les races subissent, par la transplantation, des modifications suffisamment sensibles pour expliquer leurs transformations antérieures ; il n’y a pas d’exemples, dans une occupation de plusieurs siècles, qu’un blanc établi en Afrique ait tourné au nègre, ou qu'un nègre ait accusé le type blanc. Selon Baudin, aucune race ne s’acclimate en dehors de ses limites géographiques, à moins de se mélanger à la race autochthone. En dehors de cette voie, la mortalité l’emporte sur la somme des naissances, et la population décroît si elle ne s’entretient par les émigrations de la mère patrie. Invoquera-t-on les modifications qu’ont subies les Européens sur le continent américain comme preuve d’un acheminement à une transformation plus complète ? M. de Quatrefages semble indiquer que l'Anglo-Saxon établi aux États—Unis tourne au Huron et se transforme peu à peu en Peau Rouge ; C. Vogt fait observer que les modifications qu’a subies l’Anglo-Saxon yankee sont beaucoup trop légères pour infirmer le principe de la fixité de la race anglo-saxonne ; au reste, l’Allemand se modifie encore moins, ajoute ce naturaliste, ce qui conduirait à conclure que l’Anglo-Saxon ne serait pas lui-même de race pure. D’ailleurs. quels motifs y a-t-il de conclure qu’une modification donnée s’étant accomplie en un temps donné, cette modification deviendrait double pour un temps double, triple pour un temps triple, etc. ? Rien dans les faits ne justifie cette manière de voir. Lorsqu’une race est transplantée, il ne peut arriver que deux choses : ou la destruction des individus amène la disparition des émigrants, ou l'adaptation au nouvel habitat s'établit bien avant qu'il ait pu se former une race nouvelle à type accusé.

La fixité des races primordiales s'établit encore par la permanence de certains caractères, par exemple, par la permanence de l’infériorité intellectuelle de la race nègre. En vain affirmera-t-on que le nègre possède, à l'état virtuel, des aptitudes qu'une éducation semblable à celle du blanc développerait dans la même mesure ; les faits n'ont pas justifié cette assertion, et le nègre d'Amérique, le nègre au Mexique mème, où il ne vivait pas dans l'état d'esclavage, n'a pas sensiblement manifesté des aptitudes intellectuelles bien prononcées.

L'argument fondamental de la doctrine monogéniste reste encore entier, il est vrai : la fécondité illimitée de toutes les races entre elles semble prouver la communauté d'origine. Cependant nous ne voulons pas préjuger une question aujourd'hui si discutée, et nous ne craignons pas de conclure qu'elle est insuffisamment éclairée par expérimentation. Il appartiendra, sans doute, aux générations futures de la résoudre ; nous ne pouvons que la présenter et la livrer à la libre discussion.

— 3° Hypothèse de l'origine simienne. Lorsque cette hypothèse se traduit audacieusement, par une affirmation brutale, on comprend sans peine que l’orgueil humain s'en révolte ; la démonstration d'une telle origine frapperait au cœur la vieille orthodoxie chrétienne, elle détruirait le fondement primitif du dogme révélé à nos pères. Nous ne pouvons pas nous illusionner sur ces conséquences essentielles de l'hypothèse dont il s’agit ; mais, quelque réserve que nous devions apporter dans une matière aussi délicate, il nous est impossible de passer sous silence une doctrine qui se produit scientifiquement, et qui peut $e juger scientifiquement. Des hommes considérables l'ont soutenue et discutée ; des arguments d'une certaine valeur ont été apportés, et la grande bataille qui se livre sur ce terrain est au moins digne d'appeler l'attention de tous ceux qui s'intéressent aux hardiesses de la science et à l'émancipation de l'esprit humain.

L’opinion qui donne le singe pour ancêtre à l’homme n'est pas nouvelle ; on en trouve les traces dans les auteurs les plus anciens, Au siècle dernier, Du Maillet, consul de France en Égypte, écrivain plus enclin aux affirmations audacieuses qu'aux recherches scientifiques, affirmait que tous les animaux avaient été primitivement poissons, et faisait descendre l’homme d'un poisson tout comme les autres animaux. Du Maillet ne réussis qu'à s'attirer les sarcasmes de Voltaire. Un peu plus tard, Schelver d'Osnabruck, né en 1778, et professant à Halle, à Iéna et à Heidelberg, montra quels rapports rapprochent le singe de l’homme ; mais, loin de conclure que le singe fût un ancêtre de l’homme, il représenta, au contraire, le singe comme un homme dégénéré. Il professait que l'origine commune de ces deux êtres nous était inconnue, et que peut-être les parties inexplorées de l'Afrique centrale recélaient les descendants de la race primitive intermédiaire entre le singe et l’homme. L'hypothèse de l'origine simienne se pose de nos jours plus correctement. Suivant les défenseurs de cette doctrine, nous dérivons directement du singe, dont nous ne sommes, en quelque sorte, qu'un descendant perfectionné. Trois ordres d'arguments sont invoqués à l'appui de cette doctrine : 1° les ressemblances évidentes par lesquelles l’homme se rapproche du singe ; 2° la possibilité des transformations d'une espèce animale en une espèce voisine ; 3° l'existence de formes intermédiaires existane entre le singe et l'homme et établissant d'une manière plus évidente encore le lien de parenté qui unit notre espèce aux espèces animales.

Nous avons déjà fait remarquer qu'il est impossible de nier, au point de vue zoologique, les rapprochements nombreux qui unissent le singe anthropomorphe à l’homme des races inférieures : identité presque complète de formes extérieures, identité absolue des dispositions des organes de la nutrition, identité de la forme et de le structure du cerveau, etc., etc. Où seraient donc les caractères distinctifs d'une certaine valeur ? On les a bien souvent énumérés, et il serait inutile de les rappeler ici ; mais aucun d'eux n’est de nature à établir une ligne de démarcation aussi fondamentalement tranché que le veulent les antagonistes de la similitude. Mais c'est à un autre point de vue que ceux-ci se placent : ce sont les caractères d'ordre psychiques qu'ils invoquent. Sur ce terrain nouveau, la supériorité de l’homme, disons mieux, la dissimilitude est accusée d'une manière bien plus sensible. Quand on promène un orgueilleux regard sur les œuvres de notre civilisation, quand on considère les monuments impérissables de notre industrie, de nos arts, de notre littérature, quand on parcourt d'un œil satisfait les pages de notre histoire illustrée par tant de héros, de philosophes et de moralistes, il n'en faut pas tant pour creuser un abîme infranchissable entre l’homme et l'animal. C'est à ces caractères d'ordre psychique qu'on fait une inévitable allusion chaque fois qu'on veut établir les dissemblances qui séparent l'homme du singe : la moralité, la religiosité (nous nous servons des termes acceptés par les naturalistes de l'école française), la faculté de concevoir les abstractions, l'aptitude à la culture des sciences, des lettres et des arts, la sociabilité, etc., sont les attributs essentiels de l'humanité, et il n'y a aucune apparence que jamais famille de singe arrive à jouir de la plus minime de ces facultés. Ceci est un fait que nous ne pouvons nier ; nous nous contenterons seulement de faire remarquer que l'on a généralement trop de tendance à comparer au singe l’homme industrieux et civilisé des races supérieures ; mais lorsqu'on met à côté du singe un des représentants arriérés de nos races inférieures, quand on compare l'intelligence de certains animaux, et du singe particulièrement, à celle de ces êtres dégradés qui portent le nom d'Australiens, de Boschimans, etc. ; lorsqu'on veut bien se souvenir qu'en fin de compte l’homme civilisé n'est pas un produit de la nature, mais un produit de l'éducation acquise par cinq cents siècles peut-être d'expérience ; lorsqu’enfin on veut comparer l'existence actuelle du singe avec celle de nos premiers pères, telle qu'elle nous est révélée par les traces qu'ils ont laissées de leur passage sur la terre, alors, disons-nous, les différences profondes s'effacent et les similitudes apparaissent plus saillantes et plus réelles.

En restant dans les termes où nous venons de poser l'hypothèse de l'origine simienne, nous ne sommes guère plus avancés ; car, quelle que soit la source des ressemblances et celle des différences entre l'homme et le singe, il resterait toujours à expliquer comment la distance qui sépare l'un de l'autre, si petite qu'on veuille la supposer, a pu être comblée. Ici se présente la célèbre doctrine de la variabilité des espèces, si remarquablement présentée de nos jours par le naturaliste anglais Darwin. Nous n'entreprendrons pas d'exposer cette doctrine, qui a été l'objet de plusieurs articles spéciaux (v. ESPÈCES et DARWINISME); nous nous contenterons de faire remarquer qu'elle contient la solution du problème que nous poursuivons ; que, seule, elle est de nature à expliquer les relations qui existent entre tous les êtres naturels, l'évolution ascensionnelle qu'ils accomplissent sur la voie d'une perfectibilité progressive, et la place qu’occupe l’homme, au point le plus élevé de l’échelle des êtres. On voit alors, d'un coup d'œil, se dérouler l'ensemble majestueux des créations antérieures. Le puissance organisatrice a d'avance tout disposé pour l'accomplissement de cette œuvre immense, et la vie s’enchaîne à la vie par une suite non interrompue d'êtres de formes et d'aptitudes différentes, mais qu'un lien commun rattache à la forme primitive. Dans cette hypothèse, l'origine de la vie sur la terre se résume dans la cellule primordiale, être inférieur, dont une légère modification va faire un infusoire pour le règne animal, un protococcus pour le règne végétal. Puis l'être primitif se développe et se féconde ; il subit l'influence des milieux ; il lutte pour se maintenir, et (résultat inévitable de cette lutte) il se transforme ou disparaît de la surface du globe. Et les êtres vont ainsi pendant des milliers de siècles, se multipliant dans la forme qu'ils reçoivent, luttant pour la maintenir au milieu des changements incessants do la planète, disparaissant ou se transformant pour s’adapter à des milieux nouveaux.

S'il existait un être qui pût être considéré comme représentant une forme intermédiaire entre l’homme et le singe ; si, à plus forte raison, on pouvait découvrir une série plus ou moins considérable de ces êtres, on ne peut se dissimuler que leur existence serait un argument d'une immense valeur dans la question qui nous occupe. C'est donc sur ce point qu'il importe d’appeler l'attention. L'antiquité avait préjugé la question ; sur la foi de Strabon, et, plus tard, sur les récits du voyageur Marco-Polo, on admit l'existence d'une foule de monstres à figures d'animaux. Parmi ceux-ci se trouvaient des formes incohérentes qui pouvaient prendre place entre l’homme et le singe. Linné semblait admettre leur existence, et mentionna, dans son Systema naturae, un homo troglodytes, un pygmaeus, un lucifer et un satyre, espèce d’homme à queue, qui réalisait mieux encore le type intermédiaire. Ces êtres n'ont pourtant jamais existé, du moins à l'état de peuplades ; des monstruosités accidentelles ont pu reproduire des types analogues, mais ils n'ont apparu que d’une manière exceptionnelle, et rien ne justifierait leur installation dans la série normale des êtres. C'est encore au rang des mystifications qu'il faut placer la prétendue existence des niam-nians ou hommes à queue, qu'on a placés dans les parages de la côte d'Aden, et qui, en réalité, n'ont existé que dans l’imagination des voyageurs crédules. V, NIAM-NIAMS.

Meckel, Serres et Geoffroy Saint-Hilaire ont amené la question sur un autre terrain, plus scientifique d'ailleurs. Suivant ces naturalistes, l’homme parcourt, pendant la période embryonnaire de sa vie, une série de transformations qui reproduisent dans une succession constante toutes les formes de la série animale, depuis le plus obscur infusoire jusqu'à la forme humaine qu'il revêt au moment de son complet développement. Ainsi l’homme serait tour à tour, dans le sein de sa mère, helminthe, zoophyte, mollusque, poisson, reptile, oiseau, et ne prendrait qu'au dernier moment la forme mammifère. Il y a au moins quelque exagération dans cette manière de voir. l’homme, à aucune époque de son existence, n'a été zoophyte, poisson, reptile, etc. mais il est une autre manière de poser la question. Si, par accident, l’homme naît avant son complet développement, quelle forme revêt-il ? Ici les faits ont répondu. Qu'est-ce que l'idiot microcéphale ? Il est impossible d'assimiler cet être aux monstres chez lesquels apparaissent des soudures anomales, des altérations de formes de diverses parties, etc. L'idiot microcéphale est un être de forme humaine, chez lequel toutes les fonctions s'accomplissent normalement comme chez l’homme ; il ne diffère de ce dernier que par un seul point : l'arrêt de développement a porté sur la botte crânienne, et il en est résulté une altération fonctionnelle de l'organe fondamental. Quel est actuellement le type du microcéphale ? Carle Vogt, qui a porté son attention sur ce point, le représente comme accusant le type simien de la manière la plus manifeste : mêmes allures, même physionomie, même prognathisme bestial, même intelligence bornée, compliquée de mutisme et d'absence de toute idée humaine. En un mot, pour Carl Vogt et les naturalistes de son école, le microcéphale réalise le type intermédiaire entre l’homme et le singe.

On a cru encore apercevoir une forme intermédiaire dans les Aztèques. Il ne peut être question, en ce cas, que de ces quelques individus promenés en Europe comme des curiosités, et qui reçurent très-improprement la dénomination sous laquelle on les désignait ; ils n'ont aucune parenté avec la grande famille Nahuati ou Aztèque, qui avait établi sa domination dans le Mexique et fondé ce mémorable empire qui prit fin lors de la conquête de Fernand Cortez. Les Aztèques amenés en Europe n'étaient vraisemblablement que de petits monstres, n'ayant jamais constitué une peuplade ; il n’y a donc pas lieu de s'arrêter plus longtemps sur cet objet.

La question des formes intermédiaires avait peut-être quelque chose à attendre de la découverte récente du gorille. Ce grand singe d'Afrique, d'après Gratiolet comme d'après les naturalistes qui ont étudié son organisation, est certainement un type élevé de la race à laquelle il appartient ; le développement de son thoras, la forme de son pied, la démarche qui lui est propre, tout semble répondre à l'idée d'une forme de transition.

La découverte des êtres fossiles pouvait éclairer la question d'un jour nouveau. Ainsi, lorsque le naturaliste, jetant un regard sur la série animale, y constatait d'importantes lacunes, il faisait appel à la paléontologie et y découvrait les formes de transition qui devaient rattacher ensemble les types éloignés. Les découvertes se multipliaient, et (chose merveilleuse) ces êtres nouveaux que la science exhumait péniblement des profondeurs de la terre venaient s'adapter à nos séries zoologiques et y former comme des séries intermédiaires entre les espèces actuellement existantes, On pourrait en citer de nombreux exemples ; le monde végétal lui-même s’est enrichi de ces découvertes. D’après Agassiz (et les exemples qu'il fournit justifient sa manière de voir), les êtres fossiles appartenant aux créations antérieures sont reliés à la faune actuelle d'une manière bien plus directe encore : ils sont les formes embryonnaires de nos animaux actuellement existants. Ainsi, dans la série des êtres, il n'y a, pour ainsi dire, qu'une forme primordiale ; celle-ci passe par une suite de transformations qui ne sont que l'expression des formes transitoires ou embryonnaires d'un type plus élevé ; tout être est relié à une série d'êtres qui l'ont précédé, et qui ne sont, par rapport à lui, que des êtres moins avancés dans leur développement, ou, mieux encore, frappés d’un arrêt de développement.

Aux quelques faits que nous venons d'exposer se borne, en fin de compte, l’argumentation des partisans de l'origine simienne : non-seulement nous devons avouer qu'ils ne suffisent pas à autoriser actuellement une conclusion, mais encore nous devons dire qu'à l'encontre des faits mêmes qu'ils invoquent d'importantes objections se sont produites. Il est essentiel de noter la principale : si l’homme descend du singe, a-t-on dit, il est d'inévitable conséquence que l'on admette la descendance d'un seul couple ; et comment expliquer alors que les partisans avancés du polygénisme le plus audacieux soient précisément les mêmes hommes qui se rattachent à l'hypothèse de l'origine simienne ? Carl Vost, un des plus ardents défenseurs de cette doctrine, loin de se laisser effrayer par l’objection, y voit une occasion de développer ses conceptions relatives à l'origine de l’homme. Suivant ce naturaliste, l'hypothèse simienne n'est pas en contradiction avec la doctrine polygéniste : seulement on doit noter que nous ne descendons pas d'un seul singe, mais de trois singes. Selon Vogt, trois grands singes anthropomorphes ont donné naissance à trois grandes races humaines : ce sont l'orang, le chimpanzé et le gorille. L'orang est l’ancêtre d'une race brachycéphale, aux bras longs, au poil brun rougeâtre (négritos) ; le chimpanzé est l'ancêtre d'une race dolichocéphale, dont la couleur est noire, les os plus faibles et la mâchoire moins massive (nègre) ; enfin, le gorille est l’ancêtre d'une race plus élevée, qui se distingue par la capacité de la cage thoracique, et qui fut peut-être représentée par l’homme des cavernes, contemporain du mastodonte. Ces inductions, purement hypothétiques, doivent être soumises à un examen sérieux, que les découvertes géologiques permettront un jour de faire avec fruit ; mais d'ici là, tout jugement serait prématuré et toute conclusion attaquable.

— III. HOMME PRIMITIF, CONDITION PREMIÈRE DE L'HUMANITÉ. L’homme des temps antéhistoriques est encore aujourd'hui bien peu connu. Ses ossements ont été retrouvés sur plusieurs points du continent européen, et ils seront sans doute retrouvés en beaucoup d'autres régions, au fur et à mesure que les recherches se multiplieront ; mais d'obscurs débris sont les seuls monuments historiques qu'il nous ait laissés. Quelques fragments d'os, des instruments grossiers, des essais informes de sculpture, des cendres, des fragments de poterie, voila tout ce que l’homme primitif nous a légué, voilà tout ce qui nous reste comme témoignage de son existence, voilà les seuls éléments à l'aide desquels nous puissions essayer de reconstituer son histoire.

Par les débris de son industrie primitive, nous pouvons former des conjectures assez vraisemblables sur le premier habitant des Gaules et des contrées situées au nord de la Gaule ; c'est par milliers que l'on compte aujourd'hui les fragments de pierre et de silex travaillés par l'homme primitif dans cette contrée, avec l'intention évidente de s'en faire des armes. Ce sont d'abord des haches de pierre, grossièrement façonnées, bien rarement pércées d'un trou pour recevoir le manche ; car, le plus souvent, elles s’emmanchaient dans le trou même du bois. Ces haches servaient évidemment à l’homme d'armes de guerre, car, dans un ancien tombeau trouvé en Danemark, on vit un squelette d’homme ayant eu l'épaule fracassée par une de ces haches, qui était demeurée fixée dans l'os. Malheureusement, ce squelette précieux tomba en poussière quand on voulut le relever. Outre les haches, faites d'un silex plus ou moins dur, les collections de l'industrie primitive contiennent un nombre considérable d'instruments divers : marteaux, pierres de fronde, pierres arrondies et perforées, racloires, couteaux de silex, têtes de lance, pointes de flèche, harpons. Les pierres arrondies servaient, les unes à tenir sous l'eau les filets servant à la pêche, les autres de marteaux ; d'autres se lançaient comme des balles ; enfin d'autres servaient peut-être à échauffer l'eau dans des vases de bois. Les racloires servaient sans doute à préparer les peaux ; les têtes de lance, les pointes de dague et de flèche étaient faites avec une rare perfection. Quelques-unes de ces dernières portent des crans dans lesquels on engageait le lien qui les retenait au bois ; d'autres sont perforées pour recevoir la tige, sans doute barbelée ; d'autres enfin sont à trois pointes comme les fers de flèche les plus modernes, et très-délicatement aiguisées. On est étonné de la perfection de ce travail, quand on songe à la grossièreté des moyens d'exécution ; on douterait même de la possibilité d'exécuter un pareil travail si l'on n'avait vu les Esquimaux et d'autres peuples sauvages tailler la pierre de cette manière par percussion et même par pression, à laide d'un simple morceau de bois.

À côté des instruments de pierre, on a retrouvé encore quelques fragments d'os travaillés, des cornes de cerf, des bois de renne façonnés en poinçons ou en aiguilles. Quelques-uns de ces instruments ont pu, dit-on, servir de moules à faire le filet ; mais l’art de tisser était certainement fort peu avancé, car on n'a pu retrouver que quelques tissus très-grossiers de fibres de chanvre et de paille, appartenant à cette époque primitive. L'art plastique a laissé quelques traces : on a trouvé dans les cavernes de France quelques tentatives de sculptures qui, et, ce qui établit d'une manière bien évidente la contemporanéité de l’homme et des mammifères disparus de l'époque quaternaire, c'est que quelques-unes de ces sculptures représentent très-manifestement des animaux aujourd'hui bannis des régions tempérées, ou même détruits ; nous citerons le mammouth, dont on a cru retrouver la représentation dans une sculpture sur os, et le renne, très-distinctement représenté sur un manche en bois de renne de l'époque des cavernes,

Au reste, la période primitive des cavernes a dû avoir une très-longue durée, à en juger par l'épaisseur des couches dans le sein desquelles on trouve les vestiges de la primitive industrie, et on a dû reconnaître la nécessité de la diviser au moins en deux périodes, suivant la perfection avec laquelle la pierre était travaillée. La première époque est dite de la pierre brute ou palaeolithique, caractérisée par le travail grossier des instruments de silex, l'absence de tout autre vestige d'une industrie avancée ; la seconde est dite de la pierre polie ou néolithique. C'est à cette dernière qu'appartiennent vraisemblablement les instruments de pierre les plus parfaits, les instruments d'os, peut-être quelques tumuli ou sépultures de terre, et quelques fragments d'une poterie grossière, façonnée avec les doigts et cuite au soleil. Les hommes de l’âge de pierre n’avaient d’autres habitations que les cavernes, c’est-à-dire des anfractuosités creusées dans les rochers et à peine façonnées. Tout ce qu’on a pu découvrir de plus parfait dans ce genre d’habitations est une caverne à plusieurs étages, avec des ouvertures représentant des portes et des fenêtres. Dans ces habitations, on a trouvé quelques traces de feu, des cendres, des os de mammifères divers fendus pour en extraire la moelle ; les débris immondes de cette cuisine primitive jonchaient le sol des habitations comme on le voit encore dans les huttes des Esquimaux : dès que l’homme avait quitté sa tanière, les hyènes venaient dévorer les restes de ses repas.

Dans la fin de l’âge de pierre, l’homme eut peut-être une habitation moins sauvage ; beaucoup de tumuli, dans le nord de l’Europe, paraissent avoir servi de demeures à nos ancêtres. C’étaient des huttes creusées sous terre, et recouvertes d’une butte comme on voit encore les habitations souterraines des Lapons et des Esquimaux ; en d’autres parties de la Gaule, il y eut de véritables villages de huttes, défendues par un amas de pierres formant comme un rempart protecteur. Quelle était, dans ces habitations primitives, l’existence de cet homme de l’âge de pierre ? la plus sauvage et la plus misérable qu’on puisse imaginer. Retiré dans sa tanière ou dans sa caverne pendant la nuit ; le jour, occupé à poursuivre les animaux sauvages qu’il convoitait pour sa nourriture, réussissant quelquefois à les tuer à coups de pierres ou de bâton, à coups de hache ou de massue, vêtu dans les grands froids de leurs dépouilles à peine préparées, souvent nu malgré une température très-inférieure à celle qui règne aujourd’hui, n’ayant aucune agriculture, point d’animaux domestiques, sinon le chien qui lui servait à la fois de compagnon et de nourriture, toujours en guerre avec ses voisins, vivant dans une méfiance perpétuelle, obligé de se défendre sans cesse contre les animaux sauvages et contre ses semblables, ayant à peine le loisir de faire un peu de feu pendant les froids les plus rigoureux, à l’aide des procédés les plus primitifs, tel vivait ce misérable sauvage, notre ancêtre, tels vivent encore dans les régions éloignées les plus infimes représentants des races inférieures.

Cependant il faut croire que l’état de sauvagerie dans lequel vivait notre ancêtre put, avec le temps, se modifier, et qu’un commencement de civilisation pénétra enfin dans cette société sauvage. Y fut-elle apportée par la conquête, ou fut-elle le résultat du développement progressif de la race autochthone ? Sur ce point les avis sont fort partagés. Ce qui est positif, c’est qu’à un certain moment le métal se substitue à la pierre pour la fabrication des armes et des instruments du travail. Mais ce n’est pas encore le fer ; ce métal, toujours à l’état de minerai, était d’une préparation trop difficile pour l’homme primitif. On ne connut d’abord que le cuivre et l’étain, métaux plus faciles a travailler et a fondre, qu’on unit facilement pour en former l’alliage appelé bronze. Encore qu’il soit impossible de savoir si le bronze fut apporté par les négociants phéniciens, ou exploité par les habitants mêmes du continent européen, on sait, par l’exploration des gisements, qu’il y eut une époque où le fer n’était pas encore connu, et où le bronze était d’un usage commun : c’est ce que les archéologues ont appelé l’âge de bronze. Lors de la découverte de l’Amérique, les peuples qui habitaient ce vaste continent en étaient encore à l’âge de bronze, et beaucoup de peuplades demi-sauvages en sont restées, jusqu’aujourd’hui, à cette industrie primitive. Chez les Américains, il y avait même eu un âge de cuivre, pendant lequel on ne savait pas allier l’étain au cuivre pour en faire le bronze ; mais en Europe il parait avéré que le bronze succéda directement à la pierre. Sans doute, la valeur de ce métal était de beaucoup supérieure à celle de la pierre, et les gisements de cette époque contiennent encore un grand nombre d’outils et d’armes de silex ; les riches seuls pouvaient sans doute posséder les armes de métal.

L’époque de bronze est nécessairement plus riche que l’époque de pierre ; il nous reste de plus importants et de plus nombreux vestiges de l’industrie de cet âge. Ce sont des haches, des moules de terre pour les fondre, des têtes de flèche et des pointes de lance, des couteaux, des rasoirs, des épées, des dagues, des harpons, des ornements de toute espèce, colliers, bracelets, plaques, etc., etc. Dans tous ces instruments la perfection du travail est portée à un point de beaucoup supérieur à celui auquel il était resté dans l’âge de pierre.

Les hommes de l’âge de bronze étaient déjà en possession d’une industrie qui faisait honneur à leur intelligence et à leur goût artistique ; mais on ignore s’ils ont eu une écriture et possédé un alphabet. Leurs monuments sont caractérisés par la grandeur et l’énormité du travail ; ils ne travaillaient pas la pierre, mais employaient de grands blocs de pierres brutes qu’ils soulevaient et disposaient symétriquement en cercles, en lignes, en allées couvertes, etc.

Les menhirs, les dolmens de l’Armorique, les pierres levées de Carnac et d’autres lieux, les monuments mégalithiques de Stonehenge et d’Abury, dans la Grande-Bretagne ; les tumuli, si nombreux dans le Danemark, la Belgique, la Grande Bretagne et les îles de la Scandinavie ; les cercles de pierre, le fort de Staigues dans le Kerry, sont les principales constructions de cette époque, et les spécimens de l’art celtique dans la période de bronze.

Les tombeaux de l’âge de bronze sont des éminences de terre, de capacité variable, creusées très-souvent d’une sorte de salle funéraire qui contient les cadavres ; mais les tumuli sont loin de caractériser l’âge de bronze, car il paraît certain que ce genre de sépulture était adopté pendant les derniers temps de la période de pierre et qu’il se continua pendant l’âge de fer qui succéda à l’âge de bronze. On pense même qu’à certains caractères il est possible de reconnaître l’époque relative du tumulus, et sir John Lubbock les formule ainsi : « À l’époque de pierre appartiennent les tumuli à salles entourées de grandes pierres dressées ; les cadavres y sont ensevelis dans la position assise, les genoux réunis sous le menton ; ils y sont entourés d’objets de silex. Pendant l’âge de bronze, les tumuli sont entièrement composés de terre et de petites pierres ; les cendres des cadavres y sont déposées dans des urnes funéraires en poterie grossière, et on trouve près de ces sépultures des instruments d’or et de bronze, des modèles réduits d’armes, des vêtements, et des vases qui pouvaient contenir des aliments ou des bijoux ayant servi au défunt. Enfin, l’âge de fer se caractérise par la position étendue du cadavre et la présence d’instruments de fer. Ce qui est certain, c’est que ces distinctions sont souvent très-difficiles à faire, et que les règles que nous venons d’énoncer ont souffert un grand nombre d’exceptions ; la coutume d’enterrer les morts dans de vieux tumuli, coutume qui s’est propagée jusqu’au temps de Charlemagne, a jeté une grande confusion dans les données archéologiques de l’époque qui nous occupe. »

Des poteries ou des fragments de poteries se retrouvent fréquemment dans les tombeaux de l’âge de bronze ; ces poteries sont faites d’une argile grossière, mêlée de cailloux et de graviers de silex ; elles sont faites à la main, le plus ordinairement séchées au soleil, et leur ornementation, des plus simples, se borne à des impressions en creux de lignes et de points. Ces ornements sont produits par impression dans l’argile molle, soit à l’aide de l’ongle, soit à l’aide d’un poinçon ; on n’y trouve jamais de lignes courbes ni de représentations d’objets naturels.

Les habitations des hommes de l’âge de bronze ont beaucoup varié. Dans la Scandinavie, la Grande-Bretagne et la partie septentrionale des Gaules, il n’y avait probablement pas de différence entre l’habitation durant la vie et le tombeau après la mort. Les ganggraben et les excavations tumulaires connues sous le nom de maisons des Pictes étaient probablement des habitations creusées sous terre et recouvertes d’un tertre, comme sont encore les habitations des Lapons, des Esquimaux, etc. ; après leur mort, on y laissait les défunts en compagnie des objets qui leur avaient servi, et on murait la porte d’une pierre ou d’un amas de terre. Dans d’autres parties de la Gaule, en Irlande, et surtout en Suisse, les habitations avaient un caractère bien plus extraordinaire ; elles sont connues sous le nom de crannoges, en Irlande, et de pfalbauten en Suisse, ou d’habitations lacustres. Sur de grands terre-pleins reposant sur pilotis et formant des chaussées très-étendues et entourées d’eau, on construisait des habitations en forme de huttes, comme furent plus tard les habitations gauloises décrites et figurées par les Romains. Ces huttes, par leur réunion, formaient d’immenses villages extrêmement peuplés, où l’homme était à l’abri des animaux carnassiers et se livrait à la pêche, à la fabrication des filets, et au tissage d’étoffes de laine grossières.

L’existence de l’homme, à cette époque, n’était pas exempte de privations, car s’il se nourrissait de la viande délicate du bœuf, du cerf, du porc, du chevreuil, de l’élan, du castor, on voit qu’il était souvent obligé (faute de mieux sans doute) de dévorer la chair du renard, de l’ours et du chien. Cependant il possédait quelques animaux domestiques en petit nombre, pratiquait la culture des fruits et des céréales, fabriquait une sorte de pain sans levain et savait faire des provisions d’hiver en fruits et poissons séchés.

Ici se termine l’histoire de l’homme primitif. À une époque déjà bien éloignée de nous et fort antérieure même à l’occupation romaine, les Celtes furent en possession d’une industrie avancée, et il leur fut donné de prendre rang parmi les populations qui ont une histoire.

— IV. Antiquité de l’homme. Le problème de l’antiquité de notre race sur la terre a été posé bien souvent et à des époques bien différentes ; il fallait arriver à notre temps pour en entrevoir seulement la solution. Manéthon, chargé par Ptolémée Philadelphe de lui présenter l’histoire de l’Égypte, fait remonter l’antiquité de la nationalité égyptienne à 35,000 ans avant ce Ptolémée, qui régnait l’an 200 avant Jésus-Christ. Diodore de Sicile recueille des renseignements analogues, et établit une série de quatre cent soixante-dix rois égyptiens dans une période de 33,000 ans. L’historien chaldéen Bérose donne 430,000 ans d’existence aux dynasties chaldéennes, et compte 35,000 ans du déluge seulement à Sémiramis. D’autres chronologies se sont établies postérieurement sur des données différentes ; l’interprétation des textes saints a fait adopter dans nos ouvrages classiques une chronologie qui restreint singulièrement l’antiquité de la race humaine, puisqu’elle fixe à l’an 3,308 avant Jésus-Christ la date du déluge, et à l’an 4,004 ou 3993 l’époque de l’apparition du premier homme.

Mais des difficultés d’un autre ordre surgissent. L’archéologie historique a pu déterminer avec précision la date à peu près certaine de beaucoup d’anciens monuments égyptiens et assyriens, et les conclusions inévitables auxquelles est amené l’historien consciencieux sont que la race humaine est plus ancienne que ne veut en convenir la chronologie classique.

Le docteur Bunsen, auteur de la Genèse de la terre et de l’homme, dit avec beaucoup de sens « qu’une des grandes difficultés que nous avons à surmonter quand nous essayons de regarder, comme on le fait ordinairement, toute la race humaine comme descendant d’un seul couple..., c’est le fait que les monuments égyptiens, qui datent presque tous du XIIIe, du XIVe et du XVe siècle avant notre ère, représentent des individus de nations nombreuses, Africains, Asiatiques, Européens, différant autant par les caractères physiques qu’un nombre semblable d’individus de nations diverses à notre époque, si on les groupait ensemble. Nous y retrouvons, par exemple, de vrais nègres de la Nigritie, représentés avec une fidélité de couleur et de traits qu’un habile artiste moderne pourrait à peine surpasser. Il est probable que quiconque s’est occupé de l’anatomie ou de la physiologie ne voudra pas croire que de telles diversités aient pu se produire entre cette époque reculée et le déluge de Noé. » Mais cette argumentation, quelle qu’en soit la valeur, n’atteint qu’un côté de la question ; les partisans de la pluralité originaire des espèces humaines échappent en effet à ces conséquences.

La question peut encore être envisagée à un autre point de vue. « Ce ne sont pas seulement les archéologues, pendant ces derniers temps, dit l’auteur de l’Homme avant l’histoire, qui ont regardé comme insurmontables les difficultés que présente la chronologie de l’archevêque Usher ; historiens, philologues et physiologues, tous ont admis que la courte période attribuée à la présence de la race humaine sur la terre peut à peine se concilier avec l’histoire de quelques nations orientales ; que cette période ne permet ni le développement des divers langages, ni l’épanouissement des nombreuses particularités physiques qui distinguent les différentes races d’hommes. »

La question est donc insoluble sur le terrain de l’histoire, et l’archéologie monumentale ne nous guide pas mieux. Elle établit, il est vrai, et fixe avec quelque précision la date de la construction des grands monuments de l’antiquité ; mais elle ne nous dit rien, elle ne peut rien nous dire sur cette longue suite de siècles qu’a traversés l’humanité dans son laborieux enfantement. Combien a-t-il fallu d’années ajoutées aux années pour que l’homme, primitivement sauvage, réduit à sa seule force musculaire, suffisant à peine à se procurer une nourriture grossière conquise au prix de mille travaux, pût arriver à se former une langue, une science, une industrie compliquée ? Avant seulement qu’il ait pu tailler la pierre et le bois, avant qu’il ait songé à éterniser sa reconnaissance pour les dieux qu’il adorait, avant qu’il ait eu la notion même d’un culte et la croyance à la durée de sa race, combien de siècles a-t-il dû traverser au sein de l’ignorance, de la misère et de la barbarie ?

Est-il possible de remonter assez haut dans l’histoire des temps pour fixer approximativement la date de l’apparition première de l’homme ? Ce problème, absolument insoluble pour nos pères, n’est pas aujourd’hui éloigné d’une solution acceptable. Mais il ne faut plus compter sur la tradition, sur l’étude des monuments représentant un art avancé, sur les supputations historiques et les documents apocryphes des auteurs anciens ; il faut se baser sur les documents fournis par la science géologique ; il faut lire l’histoire impartiale écrite dans les entrailles mêmes de la terre. Étant donnée la profondeur à laquelle on a trouvé des débris de l’industrie humaine ou des ossements humains, on en déduirait l’époque à laquelle remontent ces débris, si l’on connaissait la loi qui préside à la surélévation progressive des terrains. On voit tout de suite à quelles chances d’erreur sont soumis ces calculs ; il est trop évident que l’accumulation des sédiments est extrêmement variable en différents points du globe, et qu’alors même qu’on est en possession de quelques points de repère qui permettent de connaître quelle a été, en un temps donné, la surélévation du terrain, il resterait à prouver que les conditions dans lesquelles se sont déposés les sédiments n’ont jamais varié depuis un laps de temps extrêmement considérable. Ces réserves faites, nous pouvons donner une idée des calculs basés sur les découvertes géologiques et des conséquences qu’on a voulu en tirer.

M. Horner, en Égypte, sous les auspices de la Société royale de Londres et du gouvernement égyptien, entreprit de calculer l’ancienneté de l’homme sur la terre d’Égypte. Adoptant comme point de repère la date avouée de la construction de l’obélisque d’Héliopolis, 2300 avant J.-C., on en déduit que, dans un espace de 4,150 ans, il s’est déposé au pied de l’obélisque, qu’on peut mettre à nu, 11 pieds anglais de sédiments, soit 3,18 pouces par siècle. D’autre part, les mêmes calculs appliqués à propos du grand colosse de Rhamsès II, à Memphis, donnent 3 1/2 pouces par siècle. Les conséquences se déduiront avec facilité : si la surélévation du sol égyptien par les dépôts limoneux du Nil a suivi une marche constante, si les débris de l’industrie humaine ont été trouvés à des profondeurs de 39 pieds, il en faut conclure que ces débris, avaient environ 30,000 ans d’existence.

Le torrent de la Tinière a graduellement élevé sur le sol un cône de graviers et d’alluvions, à l’endroit où il se jette dans le lac de Genève, auprès de Villeneuve. Le passage d’un chemin de fer ayant sectionné ce cône sur une longueur de 1,000 pieds et sur une profondeur de 32 pieds, et ayant mis à nu la structure très-régulière des couches disposées horizontalement, il y avait là les éléments d’un calcul qu’entreprit M. Morlot. Chaque couche révélait une industrie différente : à la partie supérieure, des débris de l’art romain ; plus bas, les poteries grossières et les instruments de bronze ; enfin, plus bas encore, d’autres poteries plus grossières et des débris humains d’une race brachycéphale semblable à la race mongole, et qui vivait en cet endroit vers la fin de l’âge de pierre. En prenant pour point de repère la date connu» de l’occupation romaine, qui correspond à la tranche inférieure de la couche supérieure, on calcule pour le cône entier d’alluvion une période de 10,000 ans, et 47 à 70 siècles pour la durée seule de l’âge de pierre.

Troyon a fait porter ses calculs sur les constructions lacustres d’Yverdon ; il arrive au chiffre moins élevé de 3,300 ans ; mais ses calculs, d’ailleurs contestés par Jayet, ne déterminent que l’époque d’existence de l’homme contemporain de l’âge de bronze.

En creusant le sol pour la fondation de l’usine à gaz de la Nouvelle-Orléans, on mit un jour à nu des ossements d’hommes de l’ancienne race américaine, reposant à une profondeur considérable sous une couche de tourbes et de cyprès enfouis, d’une épaisseur telle que, d’après les calculs de M. Bennet-Dowler, il n’a pas fallu moins de 158,400 ans pour que les alluvions du Mississipi pussent la former. Ce même calcul donne au moins 57,000 ans aux crânes américains les plus récents.

Nous pourrions multiplier ces exemples et reproduire les calculs des savants anglais sur les couches fossilifères de la Grande-Bretagne, Ils ne nous mèneraient pas à des conclusions plus rigoureuses. Tous ces calculs, d’ailleurs, ne s’appliquent pas à l’homme primitif, mais, le plus ordinairement, à des hommes pourvus d’une industrie plus avancée, très-postérieurs à ceux qui fournirent le crâne d’Engis et celui du Neanderthal. Tout ce qu’il est permis de conclure, c’est que l’homme est d’une antiquité devant laquelle pâlissent les plus audacieuses chronologies ; c’est qu’il existait au déclin de la période glaciaire, en compagnie des grands mammifères de la formation quaternaire.

— Philos, et Physiol. La vie humaine se divise généralement en quatre périodes, savoir : l’enfance, l’adolescence, l’âge mûr et la vieillesse. On pourrait les réduire à deux, qui représenteraient les phases d’accroissement et de dépérissement communes à tous les êtres organiques.

À l’article enfant, nous avons décrit les premières modifications que subit l’être humain à sa naissance. La première impression qu’il reçoit est une sensation de douleur, triste présage des misères qui l’accueilleront dans sa courte existence. D’après Buffon, ce ne serait qu’une sensation corporelle, semblable à celle qui fait pousser des cris à tous les animaux nouveau-nés, et ce n’est qu’après quarante jours que le rire et les larmes, produits de sensations intérieures, commenceraient à révéler la présence d’une âme dans cette frêle enveloppe de chair. Des organes de l’enfant, le premier qui s’exerce, ce sont les yeux. Il commence à discerner les objets, mais sans avoir encore l’idée de l’espace et des distances. L’action de la lumière sur la rétine de l’enfant est intense et produit une émotion agréable ; elle provoque son premier sourire. Heureuse la mère qui, en accomplissant elle-même l’un des principaux devoirs de la maternité, en reçoit la première récompense ! L’ouïe reste plus longtemps confuse. Ce n’est qu’après six mois et plus que l’enfant paraît distinguer les sons qui frappent son oreille. Le goût et l’odorat sont peu éveillés. Le toucher est obtus.

La nature, cette bonne mère que nous vantent tant les poètes, vend ses bienfaits plus qu’elle ne les donne. Les premières armes dont l’enfant va être pourvu lui coûteront bien des cris : à de rares exceptions près, la dentition est douloureuse. Les premières dents, dites œillères ou canines, apparaissent du huitième au dixième mois. Le germe de chaque dent, contenu dans un alvéole, s’allonge et perce la gencive au prix d’un effort dont les les effets peuvent être funestes. Les incisives, qui n’apparaissent qu’après l’allaitement, rencontrent moins d’obstacles. Plus tard, c’est-à-dire vers la septième ou la huitième année, toutes ces dents tombent et sont remplacées par des dents analogues, plus larges et mieux enracinées. Les dernières dents, surnommées dents de sagesse, suivent ordinairement l’époque de la puberté.

Du dixième au quinzième mois, l’enfant commence à bégayer, en prononçant d’abord les voyelles et les consonnes labiales qui exigent le moins d’efforts. Ici se présente l’exercice des premières facultés de l’homme, qu’on pourrait nommer les facultés imitatives ; on sait que l’enfant élevé par un sourd-muet n’émettrait que des sons inarticulés. Mais ce n’est que vers l’âge de trois ans que l’enfant commence à prononcer distinctement des mots, des phrases entières, et à y attacher un sens déterminé. Une autre faculté s’est éveillée en lui, faculté dangereuse, si elle n’est pas dirigée par la raison. Nous voulons parler de la volonté. Nous reviendrons tout à l’heure sur ce précieux attribut, qui, exercé de bonne heure et sagement dirigé en vue de la destinée de l’homme, peut acquérir une énergie extraordinaire. Pour le moment, bornons-nous à signaler l’erreur des théoriciens de la nature, qui, s’autorisant des sophismes de J.-J. Rousseau, prétendent que l’enfant en bas âge doit être laissé à ses premières inspirations et à la pente de ses premiers désirs, sous le prétexte spécieux que les instincts naturels sont le meilleur guide qu’on puisse lui donner. Tout est faux dans ce système. Les goûts de l’enfant sont généralement dépravés. Il mordillera le fruit âpre et nuisible à sa santé de préférence au fruit doux, qui serait pour lui une alimentation plus saine ; et la sollicitude de dame Nature ne va pas jusqu’à l’avertir du poison perfidement caché sous les apparences les plus séduisantes, car elle n’en avertit pas l’homme lui-même. En second lieu, l’enfant est naturellement et parfaitement égoïste. Il rapporte tout à lui, et, dans son entourage, il ne voit que des serviteurs trop heureux de se dévouer à ses caprices. Écartons résolument les sensibleries de l’école sentimentale. Dès que l’enfant commence à manifester les premiers signes de sa volonté, l’éducation doit s’en emparer pour lui indiquer sa voie. Ce n’est nullement s’écarter de la nature, dont les lois sont multiples et ne se révèlent pas toutes en même temps.

Pendant toute la période qui suit le premier âge jusqu’à l’adolescence et même au delà, l’enfant ne travaille que pour lui-même. Il s’assimile par l’alimentation, physique et morale, tous les éléments qu’il trouve à sa portée. Sa part de vitalité, prise sur le grand dépôt de la vitalité générale, s’accroît de jour en jour. C’est en quelque sorte un petit monde indépendant qui s’introduit de force à travers les autres, aux dépens de tout ce qui l’entoure. Qu’on ne lui reproche pas cet égoïsme. Au-dessus de ses devoirs envers ses parents, ses maîtres et ses camarades, il existe pour lui un devoir capital, c’est de se développer et d’augmenter en lui le précieux dépôt de vie dont il devra faire un jour un usage utile. La nourriture et les leçons qu’il reçoit sont autant d’obligations qu’il contracte à longue échéance. Pour le moment, il a droit à tout et il ne doit rien. Tout au contraire, c’est à la société, et à la famille plus particulièrement, qu’incombe le devoir d’amender et de perfectionner cet être chétif, destiné à devenir à son tour un instrument du progrès social.

L’époque de la puberté est pour l’être humain une phase très-importante. C’est pour ainsi dire une seconde naissance, tant la transformation est complète. Cette époque est variable. Des climats septentrionaux aux régions tropicales, il y a une différence de sept à huit ans. Les variations dépendent, en outre, de la complexion des races, du tempérament des individus, du genre de nourriture, des excitations morales et de l’éducation. Dans nos pays tempérés, la puberté normale se manifeste ordinairement vers l’âge de seize ans pour les garçons et de quatorze ans pour les filles. Dans la nécessité d’embrasser jusqu’aux cas exceptionnels, la législation suppose la puberté un peu plus précoce ; mais elle admet uniformément pour les garçons un retard de deux années. Pour une force vitale plus énergique, la nature semble exiger une plus longue phase de développement.

Nous n’avons pas a décrire ici les effets qui accompagnent, chez l’adolescent, cette rapide transition. De la veille au lendemain, on ne le reconnaît plus, et il ne se reconnaît plus lui-même. Au physique comme au moral, c’est un être nouveau. Souvent l’adolescent grandit tout à coup de plusieurs décimètres. Les muscles s’accusent, la poitrine s’élargit, la respiration devient plus profonde et la circulation du sang plus rapide, les bras et les jambes s’allongent, les organes spéciaux se développent, la voix passe au grave et descend d'une octave ; tous les sens, enfin, acquièrent subitement un surcroît d’activité et d’impressionnabilité qui semble métamorphoser les objets extérieurs et doubler la puissance vitale. En même temps, les facultés intellectuelles, jusqu’alors engourdies, s’éveillent comme d’un long sommeil. Des perceptions plus nettes impriment au cerveau une secousse plus forte, y gravent des images plus vives, suggèrent des idées plus nombreuses. Tel adolescent, qui, hier encore, ne s’adonnait qu’avec nonchalance à des études élémentaires, saisit aujourd’hui, comme par une illumination subite, les rapports les plus compliqués : d’où l’on conclut avec raison qu’il ne faut jamais juger de la portée d’une intelligence avant l’époque de la puberté. Tout ce travail intérieur et extérieur ne s’accomplit pas au physique sans réagir sur le moral et le bouleverser complètement. L’adolescent éprouve une agitation inconnue mêlée d’une sorte d’effroi et d’anxiété. Il délaisse ses jeux ordinaires, devient plus retenu, plus réservé, rêveur, presque sombre, et, n’osant interroger autrui sur les causes de cet état nouveau, il recherche la solitude comme pour s’interroger lui-même. Mais bientôt il apprend à se connaître, et il est tout fier de sentir enfin qu’il n’est plus un enfant, qu’il est devenu un homme.

Dans nos climats tempérés, la taille de l’homme fait varie depuis 16 décimètres jusqu’à 2 mètres. Au-dessus comme au-dessous de cette mesure, on ne trouve que de rares exceptions. Quelques races chétives dans les régions septentrionales, le Groenlandais, le Lapon, l’Esquimau et certaines tribus errantes de la Russie orientale, sont d’une taille notablement inférieure, tandis qu’au contraire on rencontre vers le cap Horn des populations clair-semées qui dépassent la moyenne ordinaire. Toutefois, on peut aujourd’hui traiter de fables les relations des anciens voyageurs qui nous parlent d’hommes de 2m,50.

Si maintenant l’on recherche quelles sont dans les diverses parties du corps de l’homme les dimensions propres à constituer l’idéal de la beauté, voici, sauf quelques détails, les règles admises par la plupart des artistes. La taille entière étant divisée en trente parties égales, on en compte une depuis le sommet de la tête jusqu’à la naissance des cheveux, une seconde du sommet du front à la racine du nez. Le nez, à lui seul, compte pour une troisième partie, et la quatrième, qui complète la face, descend jusqu’au-dessous du menton, de telle sorte que la tête entière représente quatre parties, soit quatre trentièmes de la hauteur totale. Du menton aux fossettes de la clavicule, on compte deux trentièmes, puis de là jusqu’à la bifurcation du tronc, neuf parties également partagées de trois en trois entre les mamelles, la partie du ventre supérieure au nombril et le bas-ventre. À la bifurcation finit la première moitié de la structure humaine. De la seconde moitié, les cuisses prennent les deux cinquièmes, soit six parties sur trente, et les neuf autres parties, enfin, se mesurent depuis le dessus du genou jusqu’à la plante des pieds.

De tous les organes que possède l’homme, il n’en est pas un seul qui ne lui soit commun avec d’autres animaux. Les différences, néanmoins, sont assez caractérisées pour que toute confusion soit impossible. La supériorité de l’homme éclate surtout dans la capacité crânienne et dans le volume du cerveau. Le crâne humain le plus volumineux, mesuré par Morton, contenait 114 pouces cubes (1,867 centimètres cubes), et l’on n’a pas trouvé de crâne d’adulte qui mesurât moins de 62 pouces cubes (1,015 centimètres cubes), tandis que le plus vaste crâne de gorille qui ait été mesuré n’avait pas plus de 32 pouces et demi, bien que le poids de l’animal entier fût presque le double de celui d’un Boschiman ou d’une femme ordinaire. Quant au cerveau, on n’en a pas trouvé qui pesât moins de 960 à 990 grammes (31 ou 32 onces), tandis que le cerveau du gorille le plus lourd ne dépasse pas 620 grammes. C’est cette supériorité de dimensions et de poids dans l’organe de la pensée qui, sans parler de la structure et des circonvolutions, fait en grande partie la supériorité de l’homme sur les animaux. Nous verrons tout à l’heure que la contexture des membres y est aussi pour quelque chose ; mais ce qui frappe le plus dans l’homme, c’est cette face auguste, cette physionomie si expressive, où se peignent tous les mouvements de l’âme avec autant de précision que de force et de vivacité. Les deux sexes se sont pour ainsi dire partagé la prééminence des qualités de l’espèce. À l’un la force et la majesté du commandement, à l’autre la souplesse et la grâce, les traits délicats, les membres sveltes, les formes arrondies, les courbes harmonieuses, la beauté enfin, qui est aussi une royauté, et d’un empire d’autant plus sûr qu’on s’y soumet volontairement.

Et cependant, considérés isolément, les organes de l’homme sont moins parfaits que ceux d’un grand nombre d’animaux : l’homme n’a ni l’œil de l’aigle, ni le flair du chien, ni l’ouïe d’un grand nombre d’animaux sauvages ; mais de combien l’ensemble n’est-il pas supérieur ! Nous en ferons ressortir quelques traits dans cette courte description.

Si l’œil n’est pas en lui-même l’organe de l’intelligence, il en est tout au moins l’agent le plus actif. Pour caractériser l’homme éminent, on lui attribue le coup d’œil du génie. Les yeux de l’homme ne sont pas placés de chaque côté de la tête, comme ceux d’un grand nombre de quadrupèdes. Ils ne sont pas retenus par le muscle qui, chez ceux-ci, les force à s’incliner vers la terre. Leur projection se dirige en avant, et leur mobilité leur permet d’embrasser à la fois un espace immense. La vue de l’homme, aidée de ce double appareil, dont une partie semble faite pour contrôler l’autre, est claire, nette, sans trouble, et lui donne une perception vraie des objets extérieurs. À un autre point de vue, l’œil de l’homme n’est pas moins admirable ; il traduit sa pensée et lui donne le mouvement et la vie ; il exprime les passions les plus vives comme les émotions les plus douces. C’est dans les yeux qu’il faut interroger l’homme. Les plus exercés ne se prêtent pas facilement à confirmer les témoignages du mensonge. Qui ne sait enfin combien de fois le regard calme et ferme de la victime innocente a déconcerté les juges et les bourreaux !

Les couleurs de l’œil sont l’orangé, le jaune, le vert, le bleu et le gris. Les yeux que l’on appelle noirs ne sont qu’un mélange d orangé et de brun bien fondus. S’ils paraissent noirs, c’est uniquement par contraste avec le blanc de la cornée. Ce sont les plus expressifs ; mais il y a dans cette expression même un peu de dureté. Moins éclatant, l’œil bleu est doué d’une sensibilité exquise. Les Grecs, qui se connaissaient en beauté, donnaient la préférence à la couleur qui semble empruntée à l’azur des cieux. Vénus avait les yeux bleus. Après l’œil, la bouche. Le sourire est frère du regard. Les poëtes seuls peuvent réussir à peindre le charme répandu sur une bouche vermeille, qui ne s’entr’ouvre que pour laisser éclater la blancheur de l’émail des dents. De là s’échappent, avec les intonations les plus variées, les commandements impérieux, les doux épanchements et les communications à nuances infinies qui relient entre eux les hommes. Que le langage articulé soit ou ne soit pas le propre de l’homme, Cuvier avait raison d’y voir sa grande caractéristique.

La structure de la main humaine n’est pas moins remarquable ; elle est constituée par un poignet solide suivi d’une large paume, composée de tendons, de chairs et de peau qui relient quatre os, lesquels se divisent en quatre extrémités articulées par phalanges longues et flexibles, les doigts ; chaque doigt porte sur la face dorsale de la dernière subdivision un ongle large et aplati. Le plus long écartement entre deux doigts quelconques est un peu moindre que la moitié de la longueur de la main ; du côté externe de la base de la paume se détache, plus volumineux, mais plus court que les autres, un cinquième doigt qui ne s’étend guère au delà du milieu de la première articulation du doigt voisin ; de plus, il se distingue par sa grande mobilité, qui lui permet un écartement considérable presque à angle droit avec la masse des autres. Ce précieux instrument que l’homme possède seul, privilège inappréciable, c’est le pouce (pollex). En conséquence de ses proportions et de sa mobilité, il est ce qu’on appelle opposable ; en d’autres termes, son extrémité peut, avec la plus grande facilité, être mise en contact avec les extrémités de tous les doigts, propriété qui nous permet de saisir, de retenir les objets, de manier des instruments et de réaliser toutes nos conceptions. De l’homme retranchez le pouce, vous aurez enlevé une moitié de sa force et rendu l’autre inutile.

Les bras de l’homme, attachés à de larges omoplates et maintenus par de fortes clavicules, sont de puissants leviers du second ordre, qui lui permettent de soulever des fardeaux et de remplir mille autres fonctions dont aucun animal ne pourrait s’acquitter. Dans un autre ordre d’idées, ils servent à la mimique et expriment aussi les sensations de l’âme. Le geste fait partie intégrante de l’art oratoire et de la déclamation. Il exprime le commandement, la supplication, la crainte et le désespoir. Il embrasse les objets désirés et repousse avec horreur les objets répulsifs. l’homme enfin ne sait pas encore tout l’usage qu’il peut faire 6e ses bras. Que disons-nous ! Le plus souvent, il agit comme s’il n’en avait qu’un seul, par suite d’une mauvaise habitude trop générale, qui fait que de deux bras on n’en exerce qu’un. Aussi dit-on, au figuré, d’un puissant auxiliaire : c’est mon bras droit. Tel est, au physique, l’être chétif en apparence, mais puissant en réalité, qui, de par son propre droit et sa propre force, s’est établi le roi de la nature, après l’avoir domptée et subjuguée. Ce qui le distingue le mieux peut-être de tous les autres animaux, c’est, outre qu’il peut les dompter tous par des armes que seul il sait fabriquer, qu’il est éminemment et indéfiniment perfectible. Que sera l’homme dans cinquante ou soixante siècles ? C’est le secret du temps. Les évolutions de la nature sont lentes. Les transformations que

l’homme opère sur lui-même par son action

propre ne le sont pas moins. Nous ne le connaissons que d’hier, pour ainsi dire. Que sont cinq ou six mille ans, auprès des millions de siècles qui ont dû assister au travail d’élaboration de notre planète ? Or, à juger de l’avenir par les progrès accomplis dans une si courte période, qui donc serait assez audacieux pour dire à l’homme : Tu n’iras pas plus loin ?

— Mécan. Le travail journalier d’un homme varie suivant la manière dont on l’emploie ; il dépend de l’effort qu’il développe, de la vitesse des mouvements qu’il exécute et de la durée de sa tâche. Nommons v la vitesse que l’homme peut prendre quand il n’exerce aucun effort, V la vitesse avec laquelle il travaille, p l’effort qu’il peut exercer quand il ne prend aucune vitesse, P l’effort qu’il exerce en travaillant ; on suppose qu’on a toujours la relation

P = P (1 - V/v)2, d’où PV = p (1 - V/v)2)V.

La valeur maximum de PV répondrait alors aux valeurs

V = 1/3v, P=4/9p, et serait égale à 4/27pv.

De tous les agents mécaniques que nous pouvons employer pour produire un travail continu, l’homme est celui qui, à poids égal, donne jusqu'ici le plus grand effet. Ce travail augmente considérablement avec la quantité et la qualité des aliments solides et liquides dont l’homme moteur se nourrit ; il diminue, au contraire, en même temps que la température du milieu augmente.

Sous une charge de 150 à 200 kilogr., un homme ordinaire pourrait à peine se mouvoir ; à la plus grande vitesse qu’il puisse prendre, 7m,70, d’après M. Bouvard, il ne peut exercer aucun effort. Coulomb estime qu’un homme éprouve la même fatigue à s’élever sans charge à 0m,135 qu’à parcourir, sans charge et horizontalement, une distance seize à dix-sept fois aussi grande, soit 2m,275. Il résulte d’autres observations que l’homme, dont le poids moyen, en France, est de 65 kilogr., peut s’élever, dans une journée de marche, à 4,320 mètres de hauteur ou parcourir horizontalement 54,000 mètres.

La vitesse d’un homme qui se promène en plaine, sans charge, est de 1m,30 à 1m,60. Le soldat de l’Empire portait habituellement : son habillement, y compris la capote, 7k,13 ; le fusil, la baïonnette et les bretelles, 4k,814 ; plus, la giberne garnie, 1k,233 ; plus, le sac garni, 5k,503 ; total, 18k,680 ; souvent, en outre, deux paquets de cartouches dans le sac, 1k,323 ; plus, du pain pour quatre jours et de la viande pour deux jours, 4k,169. La giberne garnie pèse quelquefois 2k,556, et le grenadier portait, en outre, deux épaulettes, un sabre, un baudrier, pesant ensemble 1k,706. En troupe, il parcourait :

Au pas ordinaire, 50 mètres par minute, soit 0m,8 de vitesse ;

Au pas accéléré, 66 mètres par minute, soit 1m,10 de vitesse ;

Au pas de course, 130 mètres par minute, soit 2m,lO de vitesse.

La longueur du pas ordinaire et du pas accéléré est sensiblement la même et égale à 0m,66.

Sur un sol assez inégal et argileux, un homme peut, à l’aide d’un traîneau chargé de 90 kilogr., transporter vingt-quatre fois ce poids, dans sa journée, à 290 mètres, et ramener le traîneau vide, ce qui donne, pour l’effet utile journalier de ce mode de transport, 626,400 kilogrammètres.

Avec des chariots bien construits et roulant sur des plateaux de bois dont la pente est de 0m,03 à 0m,04, un homme peut pousser, en descendant, 400 à 500 kilogr. de minerai et remonter le chariot vide. On peut admettre que, sur une voie de fer, formée simplement de bandes clouées sur deux lignes de solives en chêne reposant sur des traverses, on obtient d’un rouleur un effet utile journalier de 5,705,700 kilogrammètres.

L’effort exercé par un homme sur la barre d’un cabestan est moyennement de 12 kilogr. et peut être porté à 20 kilogr. pendant un temps assez long ; la vitesse qu’il prend, si le rayon n’a pas moins de 2m,25 à 2m,50, est d’environ 0m,90.

Suivant Perronet, un seul homme tire à la bricole, sur un canal, un bateau chargé de 50,000 kilogr. et lui fait parcourir, en dix jours, 110,000 mètres. L’effet utile journalier serait ainsi de 550,000,000 kilogrammètres.

D’après M. Gosselin, le poids moyen d’un fléau est de 1 kilogr. ; le batteur élève le fléau, à chaque coup, à 2m,50 environ, et il lui imprime, en outre, de haut en bas, une vitesse qui peut être regardée comme due à la même hauteur, en sorte que le travail, par coup, est égal à 5 kilogrammètres. le nombre de coups est de 40 par minute, la durée du travail est de 10 heures, y compris le temps consacré à étendre les gerbes et à les retenir. Les cultivateurs admettent qu’un batteur, dont le fléau marche à 40 coups par minute, bat 33 gerbes dans sa journée de 10 heures.

D’après Coulomb, un travailleur à la bêche fait, pour l’enfoncer de 0m,25, un effort moyen de 15 kilogr., et répète le même travail 14,316 fois par journée ; en outre, il élève autant de fois 6 kilogr. de terre, plus 1k,7, poids de la bêche, à 0m,40, d’où l’on a :

Travail dépensé pour enfoncer la bêche.. 53,600
Travail pour retourner la terre . . . . 43,000
     Travail total . . . . . 96,600 kilogrammètres.

D’après Daniel Bernouilli, un homme qui rame développe en 8 heures un travail de 275,000 kilogrammètres.

— Jeux. L’homme d’Auvergne. Les joueurs peuvent être de deux à six. On emploie un jeu de piquet, en conservant aux cartes leur valeur habituelle ; mais si les joueurs ne sont que deux ou trois, on ôte les quatre sept. La donne se tire au sort, et celui qui l’obtient distribue à chacun cinq cartes, par deux et trois, et en prend lui-mème autant, puis il en tourne une, qui indique la couleur de l’atout où de la triomphe ; alors chacun examine son jeu. Chaque joueur est libre de s’y tenir ou de passer, comme au content, à la bête, etc. Si tout le monde passe, on peut se réjouir, c’est-à-dire supprimer la retourne, et retourner, à la place, la carte qui vient immédiatement après, et qui se nomme la curieuse. On peut répéter la même opération une autre fois, si cette nouvelle retourne ne satisfait encore personne. Les cartes se jouent comme à l’ordinaire, mais la renonce est interdite, sous peine d’exclusion de la partie. En général une partie se compose de sep tours ou jeux, et l’on met un nouvel enjeu à chaque tour. Pour gagner un jeu, il faut faire trois levées ; on peut le gagner aussi avec deux levées seulement, mais il faut alors qu’elles soient les premières et qu’aucun autre joueur n’en possède autant. On marque les jeux à mesure qu’on les gagne ; à la fin du septième, on compte les marques,’et celui qui en a le plus lève tous les enjeux. Il est à remarquer que celui qui amène le roi d’atout, en faisant la retourne ou en allant à la curieuse, gagne une marque. Il en est de même de celui qui a ce roi en main. Dans les deux cas, il prend aussi une marque pour chacun des autres rois qu’il peut avoir. Celui qui fait jouer et perd le tour est démarqué d’une de ses marques au profit du gagnant. Si, après s’être réjoui, un joueur vient à perdre, en jouant, le roi de la triomphe précédente, Celui qui emporte ce roi dans la levée gagne une marque sur ce joueur, et on agit de même pour les autres rois.

— Allus. litt. L’homme s’agite, Dieu le mène, Pensée de Fénelon. V. AGITER.

Le style est de l’homme même, Allusion à une phrase célèbre de Buffon. V. STYLE.

Le masque tombe, l’homme reste, Et le héros s’évanouit, Vers de J.-B. Rousseau. V. MASQUE.