Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/inquisition s. f.

La bibliothèque libre.

◄  inquisitif, ive adj.
Index alphabétique — I
inquisitorial, ale adj.  ►
Index par tome


INQUISITION s. f. (ain-ki-zi-si-on — lat. inquisitio ; de inquirere, rechercher). Tribunal établi dans certains pays, pour rechercher et punir les hérétiques : La sainte INQUISITION. Le tribunal de l’INQUISITION. L’INQUISITION espagnole. L’INQUISITION n’a jamais été établie en France d’une façon permanente. Ce n’est pas le mot d’INQUISITION qui nous fait peur, mais la chose même. (Pasc.) Au tribunal de l’INQUISITION, les paroles des juges étaient évangéliques, et leurs actions infernales. (Quinet.) || Membres de ce tribunal : L’INQUISITION sortit en grande procession. (Scribe.)

— Dans le langage commun, Enquête vexatoire et continue : S’il y avait eu une INQUISITION littéraire à Rome, nous n’aurions aujourd’hui ni Horace, ni Juvénal, ni les œuvres philosophiques de Cicéron. (Volt.)

— Hist. Inquisition d’État, Tribunal secret de Venise, qui avait un pouvoir sans limites.

Encycl. Hist. Cette juridiction ecclésiastique fut établie au XIIIe siècle, en vue de poursuivre les opinions contraires à l’orthodoxie catholique.

Il n’y a pas d’exemple que, dans les premiers siècles de l’Église, des citoyens aient été mis à mort juridiquement pour leurs opinions individuelles ; mais, peu à peu, l’établissement de la domination politique du christianisme, surtout à partir du règne de Charlemagne, inspira à l’Église catholique la mauvaise pensée de perpétuer par la force une autorité qu’elle n’avait encore due qu’à la persuasion. Dans le cours des XIe et XIIe siècles, on vit les papes envoyer en Allemagne, en France et surtout dans les provinces éloignées de l’Italie des agents chargés de poursuivre les opinions hostiles au saint-siège. La première mission de ce genre qui soit bien définie est celle que le cardinal de Saint-Chrysogone remplit à Toulouse en 1178. Le Languedoc était dès lors le foyer d’une propagande hostile au catholicisme, et les progrès de l’hérésie firent décréter au concile de Vérone (1184) l’établissement d’une juridiction spéciale destinée à poursuivre les hérétiques. Il ne parait pas cependant que le décret du concile de Vérone, qui contient en germe l’inquisition, ait reçu une exécution immédiate ; il ne suffit pas, en effet, de déclarer qu’on poursuivra les hérétiques. Il faut des tribunaux pour les juger, et provisoirement on ne se mit pas en peine d’en créer. L’épiscopat, d’ailleurs, voyait d’assez mauvais œil l’intention affichée par le pape d’intervenir dans les affaires locales de chaque diocèse et ne prêta pas son concours à l’inquisition. Cependant les doctrines hétérodoxes avaient pris un immense développement dans le midi de la France. En 1203, Innocent III, effrayé, confia à deux moines de l’ordre de Cîteaux, les frères Gui et Reynier, l’ordre de poursuivre les hérétiques de cette contrée. Les cisterciens, n’ayant pas l’appui des autorités locales, ne réussirent point. En 1204, le pape nomma grand inquisiteur en Languedoc son légat, Pierre de Castelnau, autre moine de Cîteaux, dont la mission se termina, en 1208, par un assassinat. Celui qui fut depuis saint Dominique prêchait alors, en compagnie de l’évêque d’Osma, dans le Languedoc. Son zèle et son énergie persuadèrent à Innocent III de lui confier les fonctions dans lesquelles n’avait pas réussi Pierre de Castelnau. Dominique, dont l’Église a fait un saint, est le véritable fondateur de l’inquisition. Il fonda un ordre religieux (les dominicains), dont la mission fut de fournir des magistrats qui fissent exécuter les intentions de l’Église contre les hérétiques. La guerre avait éclaté entre le catholicisme et les sectaires. On procéda d’abord militairement. Dominique « ayant été nommé par le pape inquisiteur en Languedoc, dit Voltaire dans son Dictionnaire philosophique, il y fonda son ordre, qui fut approuvé, en 1216, par le pape Honorius III. Sous les auspices de sainte Madeleine, le comte de Montfort prit d’assaut la ville de Béziers et en fit massacrer tous les habitants ; à Laval, on brûla en une seule fois 400 albigeois. » — « Dans tous les historiens de l’inquisition que j'ai lus, dit Paramo, l’auteur d’une histoire de l’inquisition, je n’ai jamais vu un acte de foi aussi célèbre ni un spectacle aussi solennel. Au village de Caseras, on en brûla 60 et dans un autre endroit 180. »

Le concile de Latran, en 1215, et celui de Toulouse, en 1229, firent de l’inquisition un tribunal permanent. En 1233, Grégoire IX confia la direction de cette terrible institution aux dominicains, pour la soustraire à celle des évêques, et leur accorda une autorité sans limites en dehors du pouvoir temporel. Cette même année, dans la conférence de Melun, Louis IX lui donna une sanction solennelle. L’inquisition fut successivement établie en Languedoc, en Provence, en Lombardie en 1224, en Catalogne en 1232, en Aragon en 1233, dans la Romagne en 1252, dans la Toscane en 1258, à Venise en 1289, où, à partir de 1554, elle devint une institution politique, Partout, l’inquisition était entre les mains des dominicains, excepté en Italie, où les franciscains partageaient avec eux ce triste privilège. « Au commencement, dans le Milanais, dit encore Paramo, les hérétiques n’étaient point soumis à la peine de mort, parce que le pape n’était pas assez respecté de l’empereur Frédéric, qui possédait cet État ; mais, peu de temps après, on brûla les hérétiques à Milan, comme dans les autres endroits de l’Italie, et notre auteur remarque que, quelques milliers d’hérétiques s’étant répandus dans le Crémasque, petit pays enclavé dans le Milanais, les frères dominicains en firent brûler la plus grande partie et arrêtèrent par le feu les ravages de cette peste. »

L’inquisition est réellement née en France, à l’occasion de la guerre des albigeois, et le siége en fut d’abord Toulouse. Mais, excepté dans le Midi, où les exploits de Montfort avaient semé la terreur, elle ne parvint point à s’implanter parmi nous, non plus qu’en Allemagne et en Angleterre. Les races germaniques ont un tempérament individualiste qui résiste naturellement, et l’on ne put la leur faire accepter. Mais l’Espagne s’y soumit, et ce fut là qu’elle sévit avec le plus de force. Sixte IV, en 1473, rendit l’inquisition d’Espagne indépendante, nomma pour ce pays un inquisiteur général, sorte de souverain délégué, chargé de nommer des inquisiteurs particuliers. L’Espagne était dans une situation extraordinaire : les Maures et les juifs y étaient restés en grand nombre. On les considérait comme un danger politique, et la royauté songea de bonne heure à se servir de l’inquisition comme d’un moyen de s’en débarrasser. C’est dans cette vue que Ferdinand V, en 1478, adopta l’inquisition et la dota magnifiquement.

« À la sollicitation, dit Voltaire, du frère Turrecremata (Torquemada), grand inquisiteur en Espagne, le même Ferdinand V, surnommé le Catholique, bannit de son royaume tous les juifs, en leur accordant trois mois, à compter de la publication de son édit, après lesquels il leur était défendu, sous peine de la vie, de se retrouver sur les terres de la domination espagnole. Il leur était permis de sortir du royaume avec les effets et marchandises qu’ils avaient achetés, mais défendu d’emporter aucune espèce d’or et d’argent. Le frère Turrecremata appuya cet édit dans le diocèse de Tolède par une défense à tous chrétiens, sous peine d’excommunication, de donner quoi que ce fût aux juifs, même les choses les plus nécessaires à la vie. Un million de juifs et de Maures quittèrent alors l’Espagne. » Mais Torquemada ne s’en tint pas à cela. Llorente, dans son Histoire de l’inquisition, estime, d’après des documents puisés dans les archives du gouvernement espagnol, qu’en quelques années près de 100, 000 individus furent condamnés à mort ou à des peines diverses par ce terrible tribunal. La quemadero (brûloir) de Cordoue est resté célèbre. On faisait des catégories d’hérétiques. On les menait au supplice solennellement et revêtus d’uniformes différents, suivant l’espèce d’hérésie dont ils étaient convaincus. La populace venait assister à ces fêtes comme elle assiste maintenant aux combats de taureaux. Les misérables qui dirigeaient alors l’opinion spéculaient sur la cruauté naturelle du tempérament espagnol et assouvissaient ses instincts de cruauté en même temps qu’ils établissaient dans le pays l’unité politique et religieuse. Llorente, d’après le dénombrement tiré des registres officiels, établit que, de 1478 à 1808, la moyenne annuelle des condamnés à mort ou à des peines infamantes en Espagne pour cause d’hérésie est de plus de 1,100, et l’inquisition ne fut abolie en Espagne qu’au moment de l’invasion française (1808). Elle s’était établie avec les Espagnols sur tous les points du monde où ils avaient porté leur domination, au Mexique, au Pérou, dans toute l’Amérique du Sud, aux îles Philippines et à Goa, où l’inquisition fit périr 80,000 individus dans les flammes.

Jusqu’en 1559, elle ne sévit que contre les juifs et les Maures. Mais l’hérésie de Luther ayant pénétré en Espagne dans les dernières années de Charles-Quint, des poursuites furent dirigées, dans la quatrième année du règne de Philippe II, contre des protestants ou prétendus tels, et deux auto-da-fé eurent lieu à Valladolid. Fernando Valdès, archevêque de Séville, prédécesseur de Torquemada dans la charge de grand inquisiteur, fut investi, par Paul IV et par le monarque espagnol, d’une autorité formidable. Une bulle du pape lui permettait de livrer au bras séculier tout hérétique, même se repentant et abjurant son erreur. C’était l’investir d’un droit de sentence sans contrôle et sans appel ; nul, en face de lui, ne pouvait se croire à l’abri de la mort ou des tourments, puisque toute confession ou rétractation pouvait être considérée comme un moyen d’y échapper.

De là toutes ces cruelles exécutions qui ensanglantèrent le règne de Philippe II. On vit passer devant le redoutable tribunal une masse d’hommes distingués par leur naissance ou leur position, grands seigneurs, magistrats, docteurs, hauts fonctionnaires, et jusqu’à des prêtres, des religieux, des abbés, des évêques et archevêques ! À la suite de Fr. Bartholomé de Carranga, confesseur de Charles-Quint et de Philippe II, archevêque de Tolède, comparurent les archevêques de Grenade et de Saint-Jacques, les évêques de Lugo, de Léon et d’Almeira, en même temps que des théologiens illustres, dont quelques-uns avaient été au concile de Trente ; ils étaient tous accusés de luthéranisme, pour avoir approuvé les Commentaires sur le catéchisme, ouvrage de l’archevêque de Grenade.

Pendant que l’inquisition acquérait en Espagne une si formidable puissance, elle n’était parvenue nulle autre part à s’implanter définitivement ; en France, après l’extinction de l’hérésie des albigeois, elle fut suspendue. Le génie national lui était hostile, et l’influence des tribunaux institués par la royauté annihila l’autorité des inquisiteurs. On vit l’inquisition fonctionner à peine dans le nord de notre pays, sauf dans deux procès extrêmement célèbres : ce furent des inquisiteurs qui instruisirent, à Sens et à Paris, le procès des templiers ; à Rouen, celui de Jeanne Darc.

Au XVIe siècle, la naissance de la Réforme faillit être pour l’inquisition française une occasion de recrudescence. Paul IV, dans une bulle célèbre, essaya de la consolider ; les Guises firent tous leurs efforts pour en amener le rétablissement ; mais les parlements, sous l’influence du chancelier de l’Hôpital, s’y opposèrent énergiquement, et l’édit de Romorantin (1560) stipula que les évêques auraient seuls à connaître, en France, des délits commis contre la foi. En 1567, néanmoins, les états du Languedoc sollicitèrent le rétablissement de l’inquisition dans cette province, et il paraît qu’ils l’obtinrent, car, au milieu du XVIIe siècle, il y avait encore à Toulouse un inquisiteur pensionné du roi. Un arrêt du 25 janvier 1611 porte : « Nous, Pierre Girardet, inquisiteur de la foi, en vertu de l’autorité du saint-siége et du roi, par lettres patentes entérinées en la cour du parlement, fais commandement à tous libraires de me présenter, ou à mes commis, tous les livres qu’ils ont en leur puissance, sans en excepter aucun, ni par soi, ni par personne, sous peine d’encourir la censure de l’excommunication majeure, sans autre sentence ou déclaration requise, outre la confiscation des biens, des livres, et les amendes ordinaires. En foi de quoi nous avons signé et apposé le sceau de notre office. » L’inquisition usait assez peu de ses pouvoirs, tombés en désuétude ; cependant un enfant de neuf ans fut condamné au feu, cette même année 1611, pour vol de reliques, et, en 1635, une autre victime, Jean-Antoine Laghorrée, subit le même supplice pour cause de magie. L’archevêque de Toulouse, Charles de Montchal, dont l’autorité se trouvait amoindrie, fit supprimer l’inquisition de Toulouse par arrêt du conseil du roi du 30 avril 1645. La même année, un arrêt du parlement de Toulouse supprima la cour d’inquisition et lui enleva toute juridiction dans le royaume.

Quoique sans juridiction, l’inquisition continua de subsister abusivement. Les dominicains nommèrent un inquisiteur aux appointements annuels de cent vingt livres, pour l’acquit de leur conscience. Ce dernier représentant de saint Dominique, à Toulouse, fut définitivement écarté en 1772, grâce à l’intervention de la Dubarry. L’inquisition française périt sous le pied d’une courtisane. André Dulort fut le dernier inquisiteur français, et les dominicains cessèrent d’envoyer chaque nuit deux des leurs coucher au couvent de l’inquisition.

En Espagne, elle subsistait, pour ainsi dire, de nom seulement, quand un décret de Napoléon, du 4 novembre 1808, l’abolit : rétablie, en 1814, par Ferdinand VII, elle a disparu en 1820 pour ne plus reparaître. À Rome, elle végète toujours, et procède, non plus contre les personnes, mais contre les livres. L’inquisition , depuis le XVIe siècle, avait, en effet, deux objets : d’une part, elle punissait les écarts commis par des actes ou des paroles contre la foi ; de l’autre, l’établissement de l’imprimerie ayant donné naissance à un autre genre de délits, elle créa le tribunal de l’index, pour agir contre les crimes commis par voie de publicité. Le saint office condamne platoniquement les livres auxquels il ne saurait nuire d’une autre manière.

Valdès a résumé la procédure et la juridiction inquisitoriales dans son Code de l’inquisition d’Espagne (1561) ; une autre règle plus intime avait été formulée, vers le milieu du XIVe siècle, par Jean Gymeric ; c’est le Directorium inquisitorum. Les meilleures éditions de ce livre extraordinaire sont celles de Barcelone (1503) et de Rome (1578), avec des commentaires de Francesco Pegna.

L’inquisition d’Espagne nous fournit le meilleur modèle de son organisation. Le grand inquisiteur était assisté d’agents qu’il nommait lui-même, sous l’approbation du roi. « Les uns, qu’on appelait calificadores, étaient chargés de juger de l’orthodoxie des opinions ; les autres, nommés officiaux, présidaient aux arrestations ; les procureurs fiscaux dirigeaient les poursuites et soutenaient les accusations ; les secrétaires rédigeaient les procès-verbaux et surveillaient, pendant le procès, les accusateurs, les témoins et les accusés ; les sequestradores veillaient à l’administration des biens confisqués ; enfin, les familiers jouaient le rôle d’espions, et prenaient, au besoin, les armes pour faire exécuter les mesures de l’inquisition ou défendre la personne des inquisiteurs. L’inquisition avait des tribunaux dans toutes les villes de la monarchie, même dans les colonies, et des prisons particulières, appelées ordinairement casas santas. La procédure était, avant tout, secrète ; les dénonciations étaient accueillies, de quelque part qu’elles vinssent, et même on les provoquait par l’appât de récompenses. Les catégories de ceux qui pouvaient être soupçonnés d’hérésie étaient nombreuses. Sur le moindre soupçon, on lançait un arrêt de prise de corps. Dès cet instant, il n’y avait plus ni privilège, ni asile pour l’accusé, quel que fût son rang. On l’arrêtait au milieu de sa famille, de ses amis, sans que personne osât opposer la moindre résistance. Aussitôt qu’il se trouvait entre les mains des inquisiteurs, il n’était plus permis à qui que ce fût de communiquer avec lui. Ses biens étaient inventoriés et saisis ; on le plongeait dans un cachot méphitique, où il subissait les plus odieux traitements ; puis on s’attachait à forcer l’individu soupçonné à s’accuser lui-même, en lui appliquant la question et en lui faisant subir les plus atroces souffrances, au milieu d’un appareil propre à inspirer la terreur au malheureux qu’on martyrisait. L’hérétique qui refusait de faire acte d’adhésion à la foi catholique était livré aux flammes, ainsi que le relaps. La seule grâce qu’on faisait à ce dernier, dans le cas où il manifestait l’intention de revenir à la foi, c’était de le faire étrangler par le bourreau avant d’être déposé sur le bûcher. Notons que tout sérieux moyen de défense était refusé à l’accusé. L’inquisition se bornait à prononcer et à faire exécuter les sentences publiquement au milieu de solennités que les Espagnols appelaient auto-da-fé, c’est-à-dire acte de foi (v. auto-da-fé). Le terrible tribunal allait jusqu’à condamner les morts eux-mêmes lorsqu’il jugeait qu’ils avaient été hérétiques, et il faisait exhumer leurs restes pour les livrer aux flammes. Outre la mort par le feu, l’inquisition prononçait diverses autres peines, l’exil, la déportation, la perte des emplois, la confiscation des biens. Quant à ceux qui s’étaient réconciliés et avaient fait une abjuration solennelle, ils étaient astreints, pendant dix ans, à des pénitences publiques véritablement révoltantes. C’est ainsi qu’à toutes les grandes fêtes et tous les dimanches du carême le réconcilié devait se rendre à la cathédrale en chemise, pieds nus, les bras en croix, pour y être fouetté par l’évêque ou par le curé, et il devait porter constamment sur la poitrine deux croix d’une couleur différente de celle de l’habit.

Nos codes ont puisé, dans la procédure inquisitoriale, certaines parties importantes, notamment presque tout ce qui regarde la détention préventive, la mise au secret et l’instruction, pratiques souvent odieuses et qu’on sera contraint prochainement d’abandonner. La police, et surtout le service de sûreté, sont encore, pour leur organisation, un emprunt fait à celle du fameux tribunal.

L’inquisition, guidée par le génie fertile. d’Innocent III et de saint Dominique, inventa des moyens d’action dont l’antiquité ne s’était point avisée et dont ont bénéficié depuis les gouvernements laïques. En matière de procédure, la règle de l’ordre de Saint-Dominique était de n’en point avoir, façon commode de n’être pas responsable. Les supérieurs prescrivaient de s’en remettre à l’inspiration du moment. Les victimes n’avaient à arguer d’aucun texte canonique, et les moindres délégués de l’ordre étaient revêtus d’une autorité indiscutable, qui abrégeait toute espèce de lenteur dans l’accomplissement de leur mandat. Personne ne pouvait être sûr, d’ailleurs, de ne point tomber un jour sous leur juridiction. Qu’on s’étonne maintenant de l’impression produite, par la simple vue de leur froc blanc, sur des esprits disposés, par leur éducation mystique, à une impressionnabilité maladive ! Au commencement de la Réforme, Ulric de Hutten, dans ses Epistolae obscurorum virorum, etc., essaya de rire à leurs dépens. Quand on lit quelques-unes de ses lettres licencieuses et spirituelles, on sent l’effroi percer à travers son humeur badine. Ce devait être bien pis, trois siècles plus tôt. Les raisonneurs contemporains rient de tout leur cœur à ces récits émouvants où un pauvre diable, accusé d’être possédé parce qu’il aboie, ne peut se défendre d’aboyer devant le tribunal, et devant une affluence de quinze cents personnes, lesquelles, atteintes de la contagion, se mettent à aboyer. Ce récit est plus terrible qu’il n’en a l’air, et témoigne d’habitudes mentales peu faites pour exciter le rire ; notre gaieté et notre doute, à cet égard, prouvent seulement que le tempérament public a changé de caractère depuis lors.

L’inquisition a rencontré des apologistes. Quelques publicistes, dans l’intention d’en légitimer les rigueurs, admettent qu’elle fut, par rapport aux idées, ce que sont les tribunaux ordinaires par rapport aux actes. De même, disent-ils, qu’il est défendu de commettre certains actes spécifiés par la législation, il peut être défendu de penser d’une manière hostile aux institutions établies. Ils oublient qu’il y a une différence radicale entre une idée et un acte, et que s’arroger le droit de contrôler les idées c’est tendre infailliblement à tuer l’intelligence et l’activité pensante. Le principe même sur lequel repose l’inquisition est donc essentiellement mauvais en soi, et la façon horrible dont l’Église l’a mis en œuvre le rend plus exécrable encore. Néanmoins, les théologiens se sont constamment attachés à faire l’apologie d’une institution que les progrès de la civilisation ont contraint l’Église à abandonner. Au XVIIe siècle, un savant théologien, le P. Macedo, s’exprimait ainsi : « L’inquisition fut, en principe, fondée dans le ciel. Dieu remplit les fonctions de premier inquisiteur lorsqu’il foudroya les anges rebelles. Il continua de les exercer à l’égard d’Adam et de Caïn et des hommes, qu’il punit par le déluge, ou par la confusion des langues lors de la tour de Babel ; Moïse les remplit en son nom quand il punit les Hébreux, dans le désert, par des morts violentes, par le feu du ciel, les serpents ardents ou l’engloutissement dans les abîmes de la terre. Dieu les transmit ensuite à saint Pierre, son vicaire parmi nous, qui en fit usage pour frapper de mort Ananie et Saphira, et les papes, successeurs de saint Pierre, les transportèrent à saint Dominique et à ceux de son ordre. »

Les écrivains catholiques contemporains, qui ont pris le contre-pied de toutes les idées modernes, se sont naturellement faits les apologistes de l’inquisition, chaque fois que l’occasion s’en est présentée. Joseph de Maistre a posé en principe « qu’une société a le droit de se défendre, et que le catholicisme n’a fait qu’user du droit dont usent tous les gouvernements. » Il légitime ainsi les châtiments infligés aux sectateurs de la religion chrétienne par le paganisme et le meurtre des missionnaires par les Chinois et les Japonais. M. de Falloux, dans son Histoire de saint Pie V, s’empresse de justifier l’inquisition, qu’il représente comme un tribunal de famille, naturellement d’une angélique douceur. M. J. Chantrel n’hésitait point à écrire dans le journal le Monde, le 6 avril 1861 : « L’inquisition est une institution établie et longtemps maintenue par l’Église. Il n’y eut jamais sur la terre de tribunal plus juste, plus humain ; l’ignorance ou la mauvaise foi seules peuvent en douter. » Quant à M. Louis Veuillot, qui est à la fois beaucoup moins ignare que M. Chantrel et beaucoup plus net d’allures que M. de Falloux, il n’hésite point à reconnaître que la persécution religieuse a fait d’innombrables victimes ; mais, loin de le déplorer, il n’a qu’un regret, c’est qu’elles n’aient pas été plus nombreuses, et il annonce, avec une vive satisfaction, que nous sommes « à la veille d’un recommencement. »

Tous les sophismes de certains écrivains catholiques ne réussiront pas à rendre la société moderne moins réfractaire à l’inquisition que ne l’ont été le XVe et le XVIe siècle et le moyen âge lui-même. Tout ce qui rappelle l’inquisition est odieux ; son nom même, appliqué à des errements de la justice, est une injure, et pour flétrir certains articles de nos codes, il suffit de dire qu’ils sont empruntés à la procédure inquisitoriale.

Inquisition d’Espagne (HISTOIRE CRITIQUE DE L'), de Juan Antonio Llorente (1818, 4 vol. in-8°). C’est le meilleur livre, en même temps le plus complet et le plus judicieux, que l’on puisse consulter sur l’établissement et les phases successives de cette redoutable institution. Aussi éloigné de déguiser la vérité au profit du clergé que de chercher un effet théâtral dans la mise en scène de ces procédures secrètes et de ces lugubres au-to-da-fé, Llorente a mérité d’être placé au rang des écrivains les plus impartiaux. Il était mieux que tout autre en position de bien voir et de bien juger, puisqu’il fut lui-même secrétaire de l’inquisition de la cour, de 1789 à 1791, époque, il est vrai, où cette institution n’était plus que l’ombre d’elle-même ; mais il put puiser dans les dossiers les plus curieux. L’invasion française, en abolissant le farouche tribunal, permit à Llorente de publier le résultat de ses recherches. Il possédait déjà un très-grand nombre de manuscrits, recueillis curieusement dans les greffes, dans les monastères de dominicains ; la suppression décrétée par Napoléon Ier, en 1808, lui en fit tomber un plus grand nombre encore entre les mains. Quand on songe au secret des procédures, menées de telle sorte que l’accusé lui-même ignorait son propre dossier, et à l’impossibilité, pour le public, de percer ces mystères, on ne s’étonne plus de l’insuffisance, sur ce sujet, des historiens antérieurs à Llorente. L’écrivain espagnol connu sous le nom du curé de Los Palacios, Bernaldez, Hernand del Pulgar, l’historiographe, contemporains de la grande époque de l’inquisition, n’en ont parlé que par ouï-dire. Ils n’ont pu ni bien voir, ni bien comprendre ; les historiens généraux, Zurita et Garibay, sont plus vagues encore. Chez nous, Lavallée (Histoire de l’inquisition religieuse d’Italie, d’Espagne, et de Portugal) est tombé dans des erreurs graves, faute de documents suffisants. Dès son apparition, le livre de Llorente a fait autorité.

On doit à ce consciencieux écrivain d’avoir fixé d’une manière précise, en la reculant de beaucoup, la date de l’introduction en Espagne du fameux tribunal. Les auteurs, trompés par les apparences, la reportaient entre 1477 et 1481, époque où l’inquisition fut définitivement constituée, organisée en pouvoir redoutable aux souverains eux-mêmes ; c’est en effet l’époque où fut créé le premier grand inquisiteur, Torquemada ; mais Llorente, sur le vu de nombreux dossiers, a prouvé qu’elle existait dès le XIIIe siècle. Elle apparaît en Espagne, à Séville d’abord, puis à Barcelone, en 1232. Les dominicains, chargés spécialement par le pape des fonctions d’inquisiteurs, avaient déjà fondé en Espagne de nombreux couvents. L’histoire des comtes de Barcelone renferme même des traits curieux de résistance à ce pouvoir occulte naissant, que les historiens ont négligés, et, dès cette époque, Llorente, ses nombreux dossiers à la main, suit la marche et les progrès de l’institution à travers le XIIIe, le XIVe et le XVe siècle, avec son cortège de procédures secrètes, de questions terribles, d’exhumations d’ossements, d’au-to-da-fê en place publique. En 1481, avec Ferdinand et Isabelle, elle s’établit définitivement, redoutablement. Les juifs ne servent en réalité que de prétexte ; le pape applaudit à un projet qui décuple sa puissance ; Charles-Quint se sert de cette arme contre Luther et l’Allemagne ; Philippe II, superstitieux et despote, y voit un moyen de gouvernement. Llorente en cite une preuve singulière ; Philippe II rendit les fraudeurs, les contrebandiers, justiciables de l’inquisition ; frauder le fisc, c’était commettre une hérésie ! Dès ce moment aussi, l’inquisition a des procédures établies partout d’une manière uniforme ; sa souveraineté est reconnue, acceptée ; plus de confrontation de témoins, plus de recours à Rome ; elle n’a même plus à motiver ses sentences. Elle agit avec les pouvoirs les plus étendus qui aient jamais été conférés.

Très-complet dans l’exposition des formes de cette procédure tortueuse, des juridictions diverses, des phases de chaque affaire qu’il étudie dans ses moindres détails, Llorente est surtout curieux dans le récit des nombreux procès dont il analyse les dossiers. Les plus intéressants sont ceux qui se rapportent à l’assassinat de Pierre Arbuès d’Espila, le premier inquisiteur d’Aragon, au faux nonce de Portugal, Perez de Saavedra, à la reine de Navarre, Jeanne d’Albret, à Barthélémy de Carranza, évêque de Tolède, à don Carlos, à Antonio Perez. Ces deux dernières affaires sont trop connues pour que nous y revenions ; mais c’est dans le livre de Llorente que les historiens ont puisé les documents authentiques sur lesquels on a pu asseoir enfin un jugement définitif. L’assassinat de Pierre Aruès d’Espila donna lieu à l’un des plus dramatiques procès de l’inquisition. L’Aragon résistait ouvertement à l’établissement de ce tribunal abhorré ; le premier inquisiteur, Maître d’Espila, comme on l’appelait, venait à peine d’être installé lorsqu’il fut tué à coups d’épée, dans la cathédrale de Saragosse, au pied d’un pilier où il était en prières, par Juan Espera-in-Deo, l’un des conjurés. Le coupable et deux de ses complices, Vidal Uranso et Juan de Abadia, après une longue détention et des tortures atroces, furent traînés par la ville, les mains coupées ; après qu’ils eurent été pendus, leurs cadavres furent écartelés. L’inquisition voulait noyer la noyer la résistance dans le sang et la terreur ; les gentilshommes des premières familles, suspects d'avoir favorisé en secret l'entreprise, furent exilés. C'est aussi un procès très-curieux que celui du faux nonce de Portugal, Saavédra, homme instruit, habile à contrefaire les écritures, à fausser les chartes, qui inventa des bulles du pape, longtemps réputées excellentes, contrefit des ordonnances royales qui lui donnaient, avec le titre de nonce, les pleins-pouvoirs d'établir l'inquisition en Portugal. Il l'y établit en effet et l'institution fonctionna quelque temps avant que la fraude fût découverte. Avec de faux titres, fabriqués par lui, il trouvait moyen en outre de toucher les revenus de deux commanderies de Saint-Jacques. On l'envoya aux galères. Le procès relatif à Jeanne d'Albret et à Henri IV constate, outre les décisions de l'inquisition qui les condamnait comme hérétiques, un projet d'enlèvement qui n'a pas abouti. On devait saisir la reine et ses deux enfants, Henri et Marguerite, et les conduire dans les cachots du saint office. Llorente a vu, dans les dossiers, la main des princes de Guise mêlée à toute cette mystérieuse affaire. L'archevêque de Tolède, Barthélemy de Carranza, accusé d'hérésie, a laissé le plus volumineux dossier ; son procès, retrouvé dans les greffes, ne se compose pas de moins de vingt-quatre volumes in-fol, de 1,200 pages. Qu'on juge des dédales d'une pareille procédure ! L'archevêque, ayant usé du recours au pape, mourut à Rome, après avoir abjuré les erreurs que l'inquisition avait relevées dans ses ouvrages et dans ses sermons. Ces grands procès apparaissent au milieu d'une multitude d'autres, moins importants, mais très instructifs : procès contre les juifs, suivis d'immenses auto-da-fé ; ceux de Valladolid et de Séville, en 1559, en donnent la mesure ; procès contre des sorcières, en Navarre, en Biscaye et en Aragon ; histoires scandaleuses de capucins et de béates. L'inquisition ne respecte pas même les plus fervents catholiques ; saint Jean d'Avila, sainte Thérèse, saint Jean de la Croix, Louis de Grenade, considérés aujourd'hui comme les plus-pieux écrivains, furent poursuivis, comme hérétiques, mais pas jusqu'au bûcher. Sous Philippe III, Charles II et Philippe V, l'inquisition devient surtout une arme politique ; aussi voit-on poursuivis, dès que le parti contraire monte au pouvoir, les favoris de la veille, Rodrigue Calderon, Luis Alliaga, Olivares, Froïlan Diaz, sans compter les longues et monotones suites d’auto-da-fé réservés aux victimes de moins haut rang. Sous Philippe V seul, on compte cinquante-quatre de ces lugubres cérémonies, où furent brûlés en personne 79 condamnés, appartenant presque tous à la secte de Molinos. Sous Ferdinand VI, c'est la franc-maçonnerie qui est mise en cause, mais avec une rigueur moindre ; les écrivains aussi payent au farouche tribunal un assez large tribut ; Azara, Clavijo, Feijoo, Isla, Iriarte font tous plus ou moins connaissance avec les cachots du saint office. Urquiza, ministre d’État sous Charles IV, paye de huit années de persécutions son admiration pour la philosophie française. Mais l'inquisition n'en est pas moins en pleine décadence ; sous Ferdinand VI, on voyait à peine un auto-da-fé en cinq ans. Commencée à Torquemada, aux reflets sanglants des bûchers de Séville et de Valladolid, elle finit d'une façon presque débonnaire sous son quarante-quatrième successeur, le grand inquisiteur D. Ramon Joseph de Arre (1808), qui n'ordonne plus que des pénitences et ne brûle personne, pas même en effigie.

Un tableau chronologique des principaux faits, une liste des grands inquisiteurs et des pièces justificatives fort curieuses complètent l'intéressant ouvrage de Llorente. La Historia critica de la Inquisicion de Espana a été traduite en français, dès 1817, sur le manuscrit et sous les yeux de Llorente, par Nicolas Pellier (4 vol. in-8°).

Inquisition espagnole (LETTRES SUR L'), par le comte J. de Maistre (Paris, 1822, 1 vol. in-8°). Ces lettres, au nombre de six, sont adressées à un gentilhomme russe et datées de Moscou, 1815. De Maistre, qui avait toutes les audaces, sentait que le souvenir de l'inquisition pesait lourdement sur la tradition catholique. Il n'a pas résisté au désir de laver l'Église catholique de cette honte historique, et comme toujours il prend le taureau par les cornes, c'est-à-dire essaye de justifier l'inquisition dans ce qu'elle eut de plus odieux. D'abord, personne selon lui n'est coupable d'avoir fondé l'inquisition. « Toutes ces sortes d'institutions s'établissent on ne sait comment. Appelées par les circonstances, l'opinion les approuve d'abord ; ensuite l'autorité, qui sent le parti qu'elle en peut tirer, les sanctionne et leur donne une forme. » Les Académies des sciences de Paris et de Londres n'ont pas eu d'autre commencement, remarque de Maistre. «  C'est ce qui fait, continue-t-il, qu'il n'est pas aisé de déterminer l'époque fixe de l'inquisition, qui eut de faibles commencements et s'avança ensuite graduellement vers ses justes dimensions, comme tout ce qui doit durer ; mais ce qu'on peut affirmer avec une pleine assurance, c'est que l'inquisition proprement dite ne fut établie légalement, avec son caractère et ses attributions, qu'en vertu de la bulle Ille humani generis, de Grégoire IX, adressée au provincial de Toulouse, le 24 avril de l'année 1233. » Soit qu'il faille en attribuer la création à Grégoire IX au lieu d'Innocent III, que saint Dominique y soit pour quelque chose ou non, cela importe assez peu. Ce qui importe. c'est son caractère et ses attributions. Il ne faut pas confondre, dit l'auteur, le génie primitif d'une institution avec les variations que les besoins ou les passions humaines lui ont fait subir. L'inquisition primitive était donc bonne, douce et conservatrice. Pour conservatrice, oui ; elle l'était même trop ; mais bonne et douce, voilà qui est une autre question. C'était sans doute par douceur et par bonté qu'elle élevait des bûchers, qu'elle y faisait monter ses victimes en grande cérémonie ; qu'exploitant indignement les passions d'une populace féroce elle faisait une fête publique, comme est aujourd'hui un combat de taureaux, de ce qui n'aurait dû être qu'un châtiment, à supposer que crime il y eût. Avant d'aborder l'institution en elle-même, de Maistre pose les prémisses suivantes : « 1° Jamais les grands maux politiques, jamais surtout les attaques violentes portées contre les corps de l’État, ne peuvent être prévenus ou repoussés que par des moyens pareillement violents ; 2° l'inquisition fut dans son principe, en Espagne, une institution demandée et établie par les rois dans des circonstances difficiles et extraordinaires. » Pourquoi, répondons-nous, le catholicisme s'y est-il associé ? Pourquoi a-t-il oublié d'une façon si lamentable la maxime de l'Église : Ecclesia abhorret a sanguine, l'Église a horreur du sang ? Pourquoi les instruments de la royauté espagnole sont-ils tous des moines ? Pourquoi avoir joint l'hypocrisie à la férocité et inventé des manières de procédure inconnues, tant elles sont terribles, et inauguré le règne d'une police occulte, ignorée du césarisme lui-même ? De Maistre trouve naturel qu'on torture un accusé et qu'on l'accable de questions, afin de savoir s'il n'y aurait pas dans sa généalogie une goutte de sang juif ou mahométan.

Les Lettres sur l'inquisition espagnole constituent la plus audacieuse tentative qu'on ait faite depuis longtemps pour remettre en question une cause jugée sans appel. De Maistre termine en disant : « L'abus des anciennes institutions ne prouverait rien contre leur mérite essentiel, et toujours je soutiendrai que les nations ont tout à perdre en renversant leurs institutions antiques, au lieu de les perfectionner ou de les corriger. » Cela dépend des circonstances ; il y a des institutions tellement mauvaises dans leur principe ou dans leur application, que le jour où elles sont renversées est toujours un jour de fête pour ceux qui les ont subies, et l'inquisition espagnole est du nombre.

Inquisition (SCENE D’), tableau de Robert-Fleury. Ce tableau représente la question par le feu, infligée à un suspect par ordre de la sainte inquisition. Les pieds du patient, liés par des ceps, tendent leurs plantes aux flammes rouges d'un brasier, qu'avivent des bourreaux vêtus d'une robe noire et la tête couverte d'un capuchon percé à l'endroit des yeux. Des moines, des inquisiteurs assistent, impassibles, à cette scène atroce.

Cette composition, a dit T. Gautier, est peinte avec une ardeur sombre et une énergie farouche dignes du sujet. Elle a figuré pour la première fois au Salon de 1811, où elle a obtenu un grand succès, et a reparu à l'Exposition universelle de 1855. C'est le digne pendant de l’Auto-da-fé, du même peintre.

Une Scène d'inquisition, peinte par le comte de Forbin, a été exposée au Salon de 1822, et a figuré ensuite, pendant plusieurs années, au musée du Luxembourg. Voici quel en est le sujet : Un Maure de Tanger est accusé d'avoir voulu favoriser l'évasion d'une jeune religieuse ; un inquisiteur procède à leur confrontation et à l'interrogatoire, dans un souterrain de l'inquisition de Valladolid. Rien de plus romanesque, comme on voit ; on raffolait, sous la Restauration, de ces scènes où le sentimental se mêlait à l'horrible. Le tableau du comte de Forbin a été gravé par Reynolds, et au trait par Réveil.