Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/jacobin, ine s.

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Administration du grand dictionnaire universel (9, part. 3p. 865-866).

JACOBIN, INE s. (ja-ko-bain, i-ne — de la rue Saint-Jacques, en latin Sanctus-Jacobus, où fut établi le premier couvent de dominicains à Paris). Hist. relig. Moine ou religieuse de l’ordre de Saint-Dominique : Un couvent de jacobins, de jacobines. || S’est dit autrefois pour JACOBITE.

— s. m. Hist. Membre d’un club qui se forma en 1789, et qui tenait ses séances dans un ancien couvent de jacobins, situé sur l’emplacement actuel du marché Saint-Honoré ; membre du parti politique sorti de ce club : Le club des jacobins. Les jacobins ont fait un mal infini à la Révolution, ils l’ont compromise, perdue même peut-être pour un certain temps, mais ils ont sauvé la France. (T. Delord.) Ce sont les jacobins qui nous ont rendus décidément indivisibilistes et centralisateurs. (Proudh.) || Démocrate ardent, qui cherche à réaliser ses idées par l’emploi de la force : Les jacobins deviennent de plus en plus rares dans la démocratie.

— Ornith. Passereau du genre gros-bec, qui habite les Moluques. || Jacobin huppé, Espèce de coucou qui habite la côte de Coromandel.

— Bot. Espèce de champignon comestible.

— s. f. Ornith. Nom vulgaire de la corneille mantelée, dans quelques pays. || Genre d’oiseaux, de la famille des colibris.

— Art culin. Soupe à la jacobine. Espèce de potage fait avec du bouillon d’amandes, du hachis de perdrix, d’œufs et de fromage.

— Adjectiv. Qui appartient aux dominicains : Un religieux jacobin.

— Qui appartient au club ou au parti des jacobins : Le parti jacobin. Le 9 thermidor fut un avertissement donné par le pays à la dictature jacobine. (Proudh.)

— Encycl. Hist. relig. L’ordre des dominicains ou frères prêcheurs ayant été approuvé, en 1216, par le pape Honoré III, saint Dominique, qui en était le fondateur, envoya quelques-uns de ses disciples à Paris ; ils y arrivèrent le 12 septembre 1217, et allèrent d’abord se loger près de Notre-Dame, dans une maison située entre l’Hôtel-Dieu et le palais épiscopal. Quelques mois plus tard, Jean Barastre, doyen de Saint-Quentin, leur donna une maison placée près des murs de la ville, entre les portes Saint-Michel et Saint-Jacques, et une chapelle du titre de Saint-Jacques, qui dépendait autrefois d’un hôpital fondé pour les pèlerins, et qu’on appelait l’hôpital Saint-Quentin. C’est de cette chapelle que la rue Saint-Jacques a pris son nom, et que les dominicains furent appelés d’abord jacopins, puis jacobins, non-seulement à Paris, mais dans toute la France. Lorsque l’Université s’exila de Paris, en 1229, les jacobins demandèrent permission d’enseigner la théologie à tous ceux qui la voudraient venir apprendre, à quoi l’évêque et le chancelier de Paris consentirent, afin de retenir au moins le peu d’écoliers qui restaient à Paris ; ce fut de cette manière qu’ils obtinrent une chaire en théologie dans l’Université. Dans la suite, lorsque l’Université fut revenue, mais n’était pas encore bien rétablie, ils s’attribuèrent une seconde chaire, malgré l’opposition du chancelier… Albert le Grand fut un des premiers jacobins qui enseigna à Paris. » (Tillemont, histoire manuscrite de saint Louis, p. 142).

L’Université, en 1252, abolit par un décret l’une des deux chaires publiques des jacobins ; mais ceux-ci résistèrent. Ce qui donnait aux jacobins l’audace d’entrer en lutte avec une corporation aussi puissante que l’Université de Paris, c’est qu’ils se sentaient soutenus par le roi Louis IX. ; en toute occasion, ce monarque leur donna des preuves de sa protection et les combla de bienfaits ; on prétend même qu’il fut sur le point d’abdiquer pour entrer dans leur ordre. Il fit achever l’église qu’ils avaient commencée.

En 1387, l’Université trouva l’occasion de condamner les jacobins, à propos de l’immaculée conception, qu’ils refusaient de reconnaître. « Cette flétrissure, dit Félibien, diffama de telle sorte les jacobins du royaume, que partout où ils se montraient, dans les écoles, dans les assemblées et jusque dans les rues, le peuple les poursuivait et les couvrait d’injures. »

Au commencement du xvie siècle, les jacobins de Paris avaient grand besoin d’être réformés ; l’opulence que les religieux avaient acquise avait introduit dans leur maison un relâchement et des désordres qui, à plusieurs reprises, attirèrent les censures ecclésiastiques. En 1502, le cardinal d’Amboise, archevêque de Rouen et légat du pape, résolut d’entreprendre cette réforme difficile à cette époque. Ils résistèrent les armes à la main, et l’on fut obligé de les expulser de la ville. À la place de ces religieux mal réglés, le cardinal d’Amboise introduisit, le 25 février 1505, les jacobins de la nouvelle réforme de Hollande. Malgré l’opposition du corps de la ville, les jacobins obtinrent de la faveur du roi Louis XII l’ancien Parloir aux bourgeois et une ruelle qui régnait le long du mur de la ville.

L’église des Jacobins, construite au xvie siècle, renfermait un grand nombre de tombes illustres : celles de Robert de Clermont, fils de saint Louis ; de Charles de Valois, frère de Philippe le Bel ; du comte d’Évreux, tige des rois de Navarre. Elle possédait, en outre, les cœurs ou les entrailles de Charles d’Anjou, frère de saint Louis, des rois de France Philippe III, Philippe V, Charles IV, Philippe VI, etc. Enfin, on y voyait les sépultures de Humbert II, dauphin de Viennois, de Jean de Meung ou Mehun, dit Clopinel, continuateur du roman de la Rose, et d’une foule d’autres personnages.

Dans le couvent des Jacobins de la rue Saint-Jacques ont vécu nombre d’hommes remarquables, parmi lesquels nous nommerons : Thomas d’Aquin, Albert le Grand, Pierre de Tarentaise, qui fut pape sous le nom d’Innocent V, Jean Hennuyer, évêque de Lisieux, etc. Nous devons ajouter que de ce couvent est sorti l’assassin de Henri III, Jacques Clément. Le grand couvent des Jacobins occupait tout le terrain compris entre l’emplacement actuel du boulevard Saint-Michel, l’ancienne rue des Grès, aujourd’hui rue Cujas, la rue des Cordiers, la rue Saint-Jacques et la rue Soufflot, percée en partie sur les dépendances du couvent. Il y a quelques années, des parties considérables de cet établissement célèbre subsistaient encore ; l’église, transformée en maison d’école, était restée presque intacte. Ces vestiges du moyen âge ont disparu lors des transformations effectuées pour dégager les abords du boulevard Saint-Michel. Les jacobins possédèrent à Paris deux autres couvents, dont l’un rue Neuve-Saint-Honoré, près de l’hôtel de Vendôme. C’est dans la salle de la bibliothèque de ce couvent que siégea, pendant la Révolution, la fameuse société des amis de la constitution, qui reçut le nom de Société des jacobins. Les bâtiments de ce couvent furent démolis vers la fin de la période révolutionnaire, et sur leur emplacement on bâtit, en 1810, le marché Saint-Honoré.

Au faubourg Saint-Germain sa trouvait l’autre couvent, qui, à la Révolution, devint le Musée d’artillerie ; il est encore aujourd’hui affecté à cet usage. L’église, bâtie en 1682, par l’architecte Pierre Bullet, fut érigée en paroisse, après le concordat, sous le vocable de Saint-Thomas-d’Aquin.

Jacobins (SOCIÉTÉ DES). À l’article CLUBS, nous nous sommes bornés à des indications générales et à l’énumération des sociétés populaires de notre histoire politique, en renvoyant le lecteur aux articles spéciaux. Nous allons faire ici ce que nous avons fait pour les cordeliers, c’est-à-dire un historique de ce club fameux qui a joué un rôle si considérable dans notre histoire de la Révolution, et dont le nom même est resté longtemps dans les polémiques de parti comme une épithète pour désigner les révolutionnaires, les républicains et quelquefois même les simples libéraux. Sous la Restauration, c’était consacré.

Dès 1789, le besoin impérieux des sociétés populaires se fit sentir, s’imposa à tous les hommes d’action. Dans un pays depuis si longtemps esclave, les livres, les journaux même n’eussent jamais suffi à réveiller les masses populaires, endormies dans leur ignorance, il fallait la parole publique. Les orateurs des réunions populaires jouèrent donc, dans l’ordre politique, le même rôle que les prédicateurs et les missionnaires dans l’ordre religieux. Et l’un des caractères de la Révolution, c’est qu’elle grandit et se développa avec les sociétés politiques, et qu’elle suivit leur décadence, tomba et disparut avec elles.

Voici quelle fut l’origine du club des Jacobins. Peu de temps après l’ouverture des états généraux, un certain nombre de députés eurent l’idée de se réunir, en dehors des séances de l’assemblée, pour délibérer à l’avance et en commun sur les questions à l’ordre du jour. Les députés de la Bretagne ayant été les promoteurs de cette réunion, on lui donna le nom de club breton. Mais, dès le mois de juillet, cette appellation n’étant plus en rapport avec l’extension prise par l’association, on lui substitua celle de Société des amis de la constitution. On y voyait figurer alors indistinctement des hommes qui, pour la plupart, deviendront bientôt des ennemis acharnés et se combattront sans merci : Mounier, Pétion, Sieyès, Volney, Barnave, Camus, Barère, Rewbell, La Révellière-Lepeaux, Adrien Duport, les Lameth, Robespierre, le duc d’Orléans, le duc de La Rochefoucauld, Buzot, Matthieu de Montmorency, Vadier, le vicomte de Noailles, Boissy-d’Anglas, Talleyrand, d’Aiguillon, La Fayette, Mirabeau, etc. La société avait son siège à Versailles, dans un édifice qu’on appelait le Reposoir, et qui, plus tard, devint un temple protestant.

Après les journées d’octobre, l’assemblée ayant suivi le roi à Paris, le club s’installa d abord dans une vaste salle servant de bibliothèque, au couvent des moines dominicains de la rue Saint-Honoré, situé à la hauteur du marché actuel (qui a été bâti sur l’emplacement des jardins), puis dans l’église même du couvent, après la destruction de l’ordre. Les dominicains étant plus communément appelés jacobins, on s’accoutuma à désigner les amis de la constitution sous ce nom, et eux-mêmes ne tardèrent pas à l’adopter. La même chose arriva pour les Cordeliers et les Feuillants ; en sorte que les principaux partis révolutionnaires, par suite de ce baptême singulier, allaient se faire connaître du monde entier sous des noms de moines.

Une autre singularité, c’est que les derniers moines jacobins (en 1789 et 1790) assistaient aux séances, comme les derniers cordeliers au club qui se tenait chez eux.

Voici quelle était l’organisation intérieure du club des Jacobins : un président, un vicep-résident, quatre secrétaires, douze inspecteurs, quatre censeurs, huit commissaires introducteurs, un trésorier, un archiviste, tous nommés par une élection trimestrielle. Il y avait aussi cinq comités : de présentation, de correspondance, d’administration, de rapports, de surveillance. On voit que c’était compliqué comme un gouvernement. Les admissions étaient soumises à des formalités très-sévères. Le sociétaire nouveau, une fois admis, prêtait le serment suivant :

« Je jure de vivre libre ou de mourir, de rester fidèle aux principes de la constitution, d’obéir aux lois, de les faire respecter, de concourir de tout mon pouvoir à leur perfection, de me conformer aux usages et règlements de la société. »

Les séances avaient lieu trois, puis quatre fois par semaine, enfin tous les soirs, et dans l’origine elles n’étaient pas publiques, la société étant composée exclusivement de députés. Mais bientôt, beaucoup d’autres citoyens sollicitèrent et obtinrent successivement leur admission. C’étaient, pour la plupart, des hommes de la bourgeoisie lettrée, des avocats, des médecins, des écrivains, des artistes. Parmi les plus connus, nous citerons : Laharpe, M.-J. Chénier, Chamfort, Andrieux, Sedaine, Louis David, Vernet, Talma, Laïs, le jeune duc de Chartres, l’auteur des Liaisons dangereuses, Laclos, agent du duc d’Orléans, etc.

Point d’hommes du peuple comme aux Cordeliers. Les frais de réception et de cotisation étaient d’ailleurs assez élevés, surtout pour l’époque : 12 livres lors de l’admission, plus 24 livres par an, pour les dépenses intérieures, la correspondance, la publicité, etc. Le défaut de payement pouvait amener l’exclusion.

Dans la première période de son existence, c’est-à-dire jusque vers le milieu de 1790, le club des Jacobins, mêlé d’éléments divers, et notamment d’orléanisme, n’avait point, naturellement, cette cohésion, cette concentration qu’il eut plus tard. Ses doctrines étaient vagues et indécises ; c’était un constitutionnalisme plus ou moins nuancé, suivant les tendances de chacun. Les hommes les plus influents d’alors étaient Duport, Barnave et Lameth. Les idées étaient si peu arrêtées, que la direction du journal que fonda la société Journal des amis de la constitution) fut d’abord confiée à Laclos, l’homme du duc d’Orléans, qui, discrètement d’abord, plus ouvertement ensuite, en fit, pendant quelques mois, une espèce de moniteur de l’orléanisme.

Néanmoins, la réputation de patriotisme des Jacobins grandissait, et bientôt ils sentirent la nécessité de se défendre contre les complots de la cour, des prêtres et de l’aristocratie par de fortes associations, des centres de propagande, des postes de surveillance contre l’ennemi. Cette nécessité était si impérieusement imposée par la situation, qu’il se forma spontanément une foule de sociétés semblables sur tous les points de la France, et ces sociétés, pour la plupart, entrèrent en correspondance avec la société de Paris, si imposante par le nombre d’hommes éminents qu’elle contenait, et se rattachèrent à elle par l’affiliation. « Aujourd’hui, écrivait Desmoulins dans ses Révolutions de France et de Brabant, des clubs semblables, formés dans une multitude de villes, demandent à être affiliés à la société de la Révolution, et déjà ce grand arbre, planté par les Bretons aux Jacobins, a poussé de toutes parts, jusqu’aux extrémités de la France, des racines qui lui promettent une durée éternelle. »

On peut évaluer, en effet, à près de mille sociétés le nombre total qu’atteignit cette puissante organisation ; en sorte que la société mère en arriva à rayonner sur tout le territoire, à avoir partout des succursales qui prenaient d’elle le mot d’ordre ou tout au moins l’inspiration.

« Ainsi, dit Quinet (la Révolution), les idées de la Révolution se répandirent d’échos en échos par des milliers de bouches. Ces principes, qui seraient restés lettre morte dans les livres, éclairèrent subitement une nuit de mille ans. Aucune puissance ne pouvait lutter avec ces sociétés. Elles s’imposèrent aux trois grandes assemblées législatives ; elles venaient à la barre, et c’étaient des ordres qu’elles donnaient. La pensée sortie du club des Jacobins circulait en quelques jours à travers toute la France, et revenait à Paris éclater dans la Législative et la Convention, comme un plébiscite irrévocable. Là fut la caractère peut-être le plus nouveau de la Révolution. C’est ce qui projeta ses idées avec la rapidité de l’éclair. Les provinces, si mornes il y avait à peine deux ans, furent illuminées du feu qui éclatait à Paris. Mais il en résulta aussi qu’il suffit de mettre fin à ce rayonnement électrique des clubs pour que tout changeât en quelques mois. Alors l’ancienne ignorance reparut ; et là encore les Français furent punis des fautes de leurs pères. »

Pour tout dire, en un mot, le grand foyer de la rue Saint-Honoré formait comme une sorte de Grand-Orient politique, la métropole et le sanctuaire de toutes les chapelles jacobines.

Cependant des divergences d’opinion avaient éclaté de bonne heure aux Jacobins. Les hommes de l’école anglaise, La Rochefoucauld, Le Chapelier, Roederer, Talleyrand, La Fayette, Bailly, Sieyès, etc., ne tardèrent pas à se montrer choqués des tendances démocratiques du plus grand nombre. Un schisme était inévitable. Il éclata au mois d’avril 1790. Le 12, les dissidents, c’est-à-dire la fraction la plus aristocratique, se retiraient pour constituer une société rivale, le club de 1789 (plus tard les Feuillants). « Ils s’installèrent pompeusement, dit Ferrières (mémoires), dans un superbe appartement du Palais-Royal, avec tout le fracas propre à attirer et à frapper la multitude. »

Dans ces réunions, « on affectait, dit Loustalot, de se proposer les mêmes objets, de débattre les mêmes questions qu’aux Jacobins ; mais on y ajoutait d’autres avantages et agréments, tels que de bons dîners, des soirées splendides, un luxe royal. »

Mirabeau, flottant de l’une à l’autre société, trouva le moyen de faire partie des deux, mais sans fréquenter beaucoup ni l’une ni l’autre. Réduits à leurs seules forces, les dissidents eurent bientôt la preuve de leur faiblesse et de leur nullité. Bien qu’ils comptassent au milieu d’eux des illustrations de plus d’un genre, ils ne purent contre-balancer l’influence du club de la rue Saint-Honoré, influence qui s’étendait de jour en jour et qui finit par devenir prépondérante sur la grande scène de la Révolution.

Nous avons dit qu’il ne s’était d’abord recruté que dans l’aristocratie libérale et philosophique et dans la bourgeoisie, par ce fait surtout qu’à l’origine il n’était qu’une réunion de députés. Ses cadres s’élargirent successivement, par suite du progrès des idées démocratiques ; le public fut admis comme spectateur aux séances ; une société fraternelle fut fondée, siégeant à d’autres heures dans une salle voisine pour faire l’éducation politique des ouvriers et même des femmes du peuple. Néanmoins, de même que les Cordeliers étaient essentiellement une société parisienne et révolutionnaire, la puissante assemblée des Jacobins, étendant partout ses mille bras, organisée, réglée, disciplinée, était surtout un séminaire d’hommes politiques, et resta plus bourgeoise, moins populaire et moins audacieuse, dans la théorie comme dans l’action. Elle forma aussi comme un conseil de surveillance, comme un grand œil constamment ouvert sur les faits et gestes des hommes publics, et devint par là une espèce de pouvoir fort redouté. Sa correspondance assidue avec ses succursales, les plaintes, les dénonciations journalières qu’elle recevait contribuèrent à accentuer davantage ce caractère ombrageux et scrutateur, que l’influence toujours croissante de Robespierre aigrit encore, et bien souvent au delà de toute mesure.

« Les Jacobins, dit M. Michelet, par leur esprit de corps qui alla toujours croissant, par leur foi ardente et sèche, par leur âpre curiosité inquisitoriale, avaient quelque chose du prêtre. Ils formèrent en quelque sorte un clergé révolutionnaire. »

D’un autre côté, M. Louis Blanc, grand admirateur de Robespierre, c’est-à-dire de l’esprit jacobin dans sa plus haute intensité, nous donne l’appréciation suivante :

« La haine des inégalités conventionnelles d’autrefois, des croyances roides, une sorte de fanatisme calculé, l’intolérance au profit des nouveautés hardies, le goût de la domination, et, au fond, l’amour de la règle, voici, quoi qu’on ait dit, de quels traits se composa 1 esprit jacobin. Le véritable jacobin fut quelque chose de puissant, d’original et de sombre, qui tenait le milieu entre l’agitateur et l’homme d’État, entre le protestant et le moine, entre l’inquisiteur et le tribun. De là, cette vigilance farouche transformée en vertu, cet espionnage mis au rang des procédés patriotiques, et cette manie de dénonciations qui commença par faire rire et finit par faire trembler. »

Cette manie de dénonciations, dont parle M. Louis Blanc, excita plus d’une fois la verve satirique des pamphlétaires royalistes. Une feuille, spécialement consacrée à diffamer les Jacobins, publiait des couplets comme celui-ci :

          Je dénonce l’Allemagne,
                Le Portugal et l’Espagne,
                Le Mexique et la Champagne,
                La Limagne et le Pérou.
                Je dénonce l’Italie,
                L’Afrique et la Barbarie,
                L’Angleterre et la Russie,
                Sans même excepter Moscou.
                  (Les Sabbats jacobins, n° 8.)

Malgré ces quolibets et mille autres, l’ influence de la société grandissait toujours. Aux funérailles de Mirabeau, où elle assista en corps, son président marcha au même rang que le président de l’Assemblée nationale et eut la préséance sur les ministres. On sait aussi que, lorsque Dumouriez eut été appelé au ministère, il accourut au club, comme pour faire consacrer sa nomination, se coiffa du bonnet rouge, se déclara fidèle jacobin, etc.

Dans un langage passionné, la Bouche de fer, organe de Fauchet, Bonneville et autres illuminés, fort originaux d’ailleurs, constatait en la maudissant l’autorité morale de la grande association :

« La société des Jacobins fait seule les décrets, gouverne seule la cité, compose le corps électoral, dispose de toutes les récompenses, et l’Assemblée nationale n’a qu’à prononcer les décrets que cette société a arrêtés la veille. Il est affreux, exécrable et jésuitique d’oser dire comme les meneurs jacobins ; Hors de notre église, point de salut ! Patriotes, qui vous réunissez sous leurs enseignes, ne voyez-vous pas l’intolérance de vos maîtres et l’espèce d’adoration qu’ils exigent de leurs esclaves ? »

Après la mort de Mirabeau, l’influence de Robespierre avait succédé à celle des Lameth, des Duport, des Barnave, etc. Cette évolution, qui s’accomplit progressivement, était conforme d’ailleurs au mouvement de l’opinion, que la prudente et politique société suivait exactement et ne précédait jamais (ou bien rarement), comme il convient à l’espèce de pouvoir public qu’elle avait la prétention d’être et qu’elle était en effet, car sa tribune n’était guère moins retentissante que celle de l’Assemblée nationale. Toutes les grandes questions d’intérêt public y étaient discutées, élucidées avec autant de talent que de patriotisme et d’autorité. Certes, nous n’approuvons point les Jacobins dans tous leurs actes, nous déplorons surtout leur exclusivisme, leur esprit de corps, leur intolérance étroite ; mais il est impossible de méconnaître leur énergie, leur constance, leur esprit de suite, les services qu’ils ont rendus à la Révolution, non plus que la puissance et la cohésion de de leur institut.

Un des ennemis les plus violents de la France révolutionnaire, Chateaubriand, alors émigré, écrivait en 1797 dans son Essai sur les révolutions :

« On a beaucoup parlé des Jacobins, et peu de gens les ont connus. La plupart se jettent dans des déclamations et publient les crimes de cette société, sans nous apprendre le principe général qui en dirigeait les vues. Il consistait, ce principe, dans le système de perfection vers lequel le premier pas à faire était la restauration des lois de Lycurgue. Que si, par ailleurs, on considère que ce sont les Jacobins qui ont donné à la France des armées nombreuses, braves et disciplinées, que ce sont eux qui ont trouvé moyen de les payer, d’approvisionner un pays sans ressources et entouré d’ennemis ; que ce furent eux qui créèrent une marine comme par miracle et conservèrent par intrigue et argent la neutralité de quelques puissances ; que c’est sous leur règne que les grandes découvertes en histoire naturelle se sont faites et que les grands généraux se sont formés ; qu’enfin ils avaient donné de la vigueur à un corps épuisé, et organisé, pour ainsi dire, l’anarchie, il faut nécessairement convenir que ces monstres, échappés de l’enfer, en avaient tous les talents. »

En écartant cette assertion ridicule de la restauration des lois de Lycurgue, toutes réserves faites, et spécialement sur les généralisations de l’auteur, qui semble attribuer aux seuls Jacobins ce qui appartient à tous les hommes de la Révolution, ce jugement d’un ennemi est, en somme, fort remarquable. Il est certain d’ailleurs qu’on s’accoutuma de plus en plus à étendre ce nom de Jacobins à tous les hommes du régime nouveau, indistinctement. À l’étranger, comme parmi les réacteurs, jacobin devint synonyme de révolutionnaire. C’est un fait trop connu pour qu’il soit nécessaire de donner ici des exemples, et c’est le témoignage le plus caractéristique de l’importance de leur rôle.

« Ils agissent, disent les auteurs de l’Histoire parlementaire, comme un des pouvoirs de l’État ; ils surveillent, prévoient, préparent des projets d’administration ; ils se sont saisis de l’initiative, à laquelle la constitution n’avait point donné de place parmi les pouvoirs qu’elle avait constitués. Il fut heureux que cette société se trouvât : ni le ministère, ni la Législative ne pouvaient accomplir le rôle dont elle se chargea. Ainsi, toujours nous les verrons devancer les corps constitués, jusqu’au moment où ils présideront aux actes extra-constitutionnels qui brisèrent le trône et préparèrent la république ; les Jacobins sont en ce moment les vrais administrateurs de la Révolution. »

Cela doit s’entendre surtout dans le sens de la prédication, de la propagation des idées ; pour l’action, il est incontestable que les Cordeliers étaient beaucoup plus hardis, toujours en avant, toujours prêts à prendre les initiatives périlleuses. Les Jacobins étaient plus réservés, plus politiques, en un mot, moins disposés à se compromettre, ou du moins à compromettre leur société dans les aventures. En 1791, ils étaient encore royalistes, non par attachement à la royauté, mais par un respect scrupuleux pour la légalité constitutionnelle. Cependant, lors de la fuite de Varennes, ils se laissèrent aller à rédiger une pétition demandant la déchéance du roi ; mais dès le lendemain, sur la proposition de Robespierre, ils revinrent à leur prudence habituelle, se prononcèrent contre la république et envoyèrent des commissaires au Champ-de-Mars pour retirer la pétition, qui était déposée sur l’autel de la patrie. On sait que celle qui fut signée émanait des Cordeliers.

Dans la plupart des grands événements révolutionnaires, leur conduite fut la même, bien que leur personnel fût changé et que les nobles et élégants jacobins de 1789 se fussent retirés volontairement ou eussent été éliminés par des scrutins épuratoires. En juillet 1791, notamment, ils s’étaient réorganisés, épurés, en se débarrassant en grande partie de l’élément feuillant. Et d’un autre côté ils s’étaient recrutés d’hommes de passion et d’enthousiasme, journalistes, conventionnels de demain, etc.

Néanmoins, nous rappellerons un fait qui donnera une idée de la prudence de la société. Après le massacre du Champ-de-Mars, craignant les persécutions qui frappaient tous les patriotes, elle envoya à l’Assemblée une adresse très-humble, respirant l’amour du bon ordre et de la légalité, et qui avait été rédigée par Robespierre.

C’est que ce dernier communiquait déjà avec autorité sa tactique prudente, son formalisme et son esprit méthodique au grand club, tête ardente des sociétés jacobines, qui, de plus en plus, ira pensant et raisonnant sous l’impulsion d’un seul homme, régulateur suprême de mille couvents politiques répandus dans toute la France.

Au 20 juin, les Jacobins, toujours sous l’inspiration de Robespierre, se montrèrent opposés au mouvement, ne trouvèrent d’autre conseil à donner que de « se rallier autour de la constitution, » au moment précisément où la France, où la Révolution périssaient de l’usage que faisait le roi de la constitution.

Au 10 août, ils ne jouèrent non plus aucun rôle actif, au moins en tant qu’association. On sait d’ailleurs aujourd’hui que cette grande révolution fut surtout l’œuvre de la spontanéité populaire, qu’elle sortit tout armée des délibérations viriles des sections de Paris. En résumé, nous répéterons que les Jacobins, s’ils agirent individuellement, n’eurent, comme société, aucune des grandes initiatives révolutionnaires et surtout insurrectionnelles. Ils étudiaient les questions, les discutaient avec éclat, pesaient sur les hommes publics de tout le poids de leur organisation, de leur popularité et de leur autorité morale, emplissaient la France des échos de leur tribune et poussaient partout la propagande des idées. C’était là leur rôle, et ils n’en recherchaient pas d’autre.

Il est inutile d’ajouter qu’ils restèrent absolument étrangers aux massacres de septembre. Après la réunion de la Convention nationale, ils continuèrent de recevoir dans le sein de la société tout ce que la Révolution avait de personnalités éminentes, députés, écrivains, fonctionnaires, etc. De même qu’ils avaient rejeté les feuillants, de même ils éliminèrent l’élément girondin, se maintenant presque constamment dans la ligne suivie par Robespierre. Comme toute puissance, ils avaient leurs courtisans, et ils en comptèrent plus d’un parmi ces généraux qui, sous l’Empire, afficheront tant de mépris pour l’élément civil et les souvenirs de la Révolution. Combien de personnages, qui depuis ont sollicité et obtenu des titres de comte et de duc, avaient ambitionné avec autant d’ardeur le diplôme de simple jacobin !

Pour ne citer qu’un exemple, Kellermann, futur duc de Valmy, sénateur et pair de France, écrivit de Chambéry à la société pour la prier de lui décerner le titre de général des Jacobins. On passa dédaigneusement à l’ordre du jour.

Nous avons parlé des scrutins épuratoires par lesquels la société éliminait ceux de ses membres qu’elle jugeait indignes de continuer à siéger. Voici comment on y procédait : tous les membres montaient à tour de rôle à la tribune et répondaient aux questions suivantes : « Qu’étais-tu en 1789 ? — Qu’as-tu fait depuis ? — Quelle a été ta fortune jusqu’en 1789 et qu’est-elle maintenant ? » Chacun devait répondre, d’ailleurs, à toutes les questions qui lui étaient adressées. Les récusations devaient être proposées publiquement, à haute voix ; le membre inculpé y répondait séance tenante, à la tribune ; puis on votait sur l’admission ou le rejet du sociétaire. Dans ce dernier cas, l’épuré remettait sa carte et quittait la société.

On en arriva à faire un cruel abus de ces épurations, qui étaient comme un certificat d’incivisme, et qui, dans la période la plus aiguë de la Terreur, conduisaient quelquefois sur le chemin de l’échafaud : témoin l’infortuné Clootz, qui fut exclu sur un réquisitoire haineux et absurde de Robespierre, et presque aussitôt arrêté ; témoin Fabre d’Églantine et d’autres encore.

Les Jacobins, nous l’avons dit déjà, suivirent Robespierre dans toutes les fluctuations de sa politique, dans la proscription des dantonistes comme dans celle des hébertistes. Dans un passage que nous avons donné plus haut, M. Michelet les appelle un clergé révolutionnaire. On peut ajouter qu’ils devinrent en quelque sorte le clergé de Robespierre ; la grande société était sa chapelle ; il y dominait en pontife, nous allions dire presque en Dieu.

Au 9 thermidor, les Jacobins demeurèrent fidèles à la fortune de leur chef. Dès la nouvelle de son arrestation, ils se constituèrent en permanence, sous la présidence de Vivier, approuvèrent par acclamation l’attitude insurrectionnelle de la Commune, envoyèrent une députation à l’Hôtel de ville, restèrent une partie de la nuit en communication avec la municipalité insurgée, et même envoyèrent quelques-uns de leurs membres pour exciter les sections à la résistance ; mais, en somme, ils agirent peu pour leur parti. Individuellement, la plupart étaient cependant des hommes d’action ; mais, réunis en corps, ils redevenaient ce qu’ils avaient toujours été, des hommes d’État, des discoureurs, de véritables parlementaires.

Avec Robespierre finit la grande période des Jacobins ; près de 120 d’entre eux (membres de la Commune et autres) périrent sur l’échafaud. Le même jour, leur salle avait été fermée, et une députation de Jacobins épurés était venue féliciter la Convention de sa victoire. Le club put se rouvrir à la condition de se régénérer. Naturellement, les anciens expulsés y rentrèrent ; ils étaient de deux sortes : les modérés d’abord, puis les révolutionnaires que Robespierre avait fait exclure comme exagérés. Ces derniers, très-énergiques et très-actifs, y reprirent une certaine influence. Mais la réaction montait toujours ; la jeunesse dorée organisa une espèce de chasse aux Jacobins, les assaillit dans les rues, frappant même jusqu’à des femmes. Tous les jours, c’étaient de nouvelles et brutales agressions. Après de longs troubles excités à dessein, la Convention, dominée par les réacteurs thermidoriens, rendit (12 novembre 1794) un décret qui suspendait les séances de la société. Les Jacobins essayèrent de se réunir le 19 et furent de nouveau assaillis par les muscadins du Palais-Royal et par des coupe-jarrets racolés. Enfin, les comités de Salut public et de Sûreté générale rendirent un arrêté qui ordonnait la fermeture de la société des Jacobins, En vertu de cet arrêté, Legendre, l’un des plus anciens et des plus ardents jacobins, devenu thermidorien fougueux, fut chargé par ses collègues d’exécuter l’arrêté. Il se rendit, à la tête de quelques hommes, au vieux local de la rue Saint-Honoré, fit sortir ceux qui se trouvaient dans la salle et emporta les clefs dans sa poche, comme un Cromwell au petit pied.

Le club des Jacobins avait vécu.

En l’an VII, il se reforma, à la salle du Manège des Tuileries, puis dans une église de la rue du Bac, une société populaire annonçant l’intention de reprendre la tradition jacobine. On les nommait communément les Jacobins du Manège. Dans cette décadence de la République, ils firent d’énergiques efforts pour relever l’opinion ; mais, attaqués à outrance par les réacteurs, ils vécurent peu. Courtois les traita aux Anciens de nouveaux Hébert, de nouveaux Robespierre, etc. Enfin, à la fin de juillet de la même année (1799), un arrêté du Directoire prononça la dissolution de cette nouvelle société.