Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/ligue s. f.

La bibliothèque libre.
Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 2p. 511-512).

LIGUE s. f. (li-ghe — du bas latin liga, action de lier, du latin ligare). Alliance, confédération de plusieurs États : Former une ligue. Ligue offensive et défensive.

— Cabale, complot, coalition : L’aristocratie, au XIXe siècle, c’est la ligue, la coalition de ceux gui veulent consommer sans produire, (Gén. Foy.) Le prétexte d’un but louable n’a jamais manqué aux ligues et aux coalitions. (Dupin.) || Concours, coopération de causes : Machiavel fait une ligue de tous les vices et de toutes les vertus barbares, afin de tirer l’Italie de son sommeil. (E. Quinet.)

— Hist. Espèce de fédération catholique, formée en France sous le règne de Henri III : La Ligue assassina Henri III, plus dévot qu’elle, et combattit Henri IV, qui la vainquit et l’acheta. (Chateaub.) || Ligue achéenne, Ancien gouvernement fédératif des villes de l’Achaïe. || Ligue étolienne, Confédération des villes et des peuplades de l’Étolie, formée sur le modèle de la ligue achéenne. || Guerre des deux ligues, Celle qui eut lieu entre la ligue achéenne et la ligue étolienne. || Ligue italique, Celle que formèrent les peuples d’Italie pour obtenir le droit de bourgeoisie romaine. || Ligue de Montlhéry, Celle que Henri I«r, roi d’Angleterre, suscita contre Louis le Gros, à 1 avènement de ce prince à. la couronne. Il Ligue du bon étal, Celle qui fut formée à Rome par Nicolas Eienzi. il Ligues suisses, Nom donné aux Suisses, lors de la ’ transformation des cantons en république fédérative. Il Les trois ligues grises, Confédération générale des Grisons, qui avaient pour but d affranchir le pays du joug de la maison d’Autriche. Il Ligue héréditaire, Alliance des Suisses avec l’archiduc Maximilien. Il Ligue de Souabe, Confédération qui se forma en Allemagne en 1448. Il Ligue du bien public, Alliance formée en 1465 contre Louis XI. Il Ligue sainte ou de Cambrai, Celle que le pape Jules II forma contre les Vénitiens. Il Ligue sainte, La ligue que François Ier conclut avec le pape, les Vénitiens, le roi d’Angleterre, les Suisses et les Florentins, pour la sûreté et la liberté de l’Italie. Il Ligue suinte, Celle que les catholiques opposèrent a la ligue de Smalkalde. il Ligue du Rhin, Alliance conclue en 1058 entre Louis XIV et plusieurs électeurs et princes de l’empire.

— Loc. f ; im. Crier vive le roi, vive la Ligue, Changer d’opinion selon les intérêts du moment :

Le sage dit, selon les gens : Vive le roi, vive la Ligue !

La Fontaine.

— Syn. Ligue, allianco, confédération.

V. ALLIANCE.

AHub. litt. Vive to roi, iKt In Ligne 1

Vers de La Fontaine dans la fable la Chauvesouris et les deux belettes. V. roi.

Ligue du bien public. V. BIEN PUBLIC (ligue du).

Ligue (la), association formée par les partis bourgeois, municipal, populaire et catholique, contre le mouvement armé de la Réforme calviniste. Née sous Henri III, auquel elle fit constamment échec, quoiqu’il ait entrepris de l’annihiler en s’en faisant chef, définitivement vaincue et à grand’peine par Henri IV, la Ligue tient une grande place dans notre histoire nationale du XVIe siècle. Nous allons en étudier le caractère et passer en revue ses phases diverses.

Deux périodes marquent son existence. Dans la première, les ligueurs ne veulent, en apparence, que fortifier le pouvoir royal contre les huguenots ; en réalité, ils veulent le déplacer au profit des états généraux, tendance démocratique fort remarquable pour l’époque. Les Guises se servent de ce levier au profit de leur ambition personnelle, comptant bien sans doute, après avoir démoli la monarchie au moyen de la Ligue, s’emparer du trône vacant et avoir raison des prétentions politiques des ligueurs. Dans la seconde période, qui s’ouvre à la mort de Henri de Guise, la Ligue entre en lutte ouverte contre Henri III, réduit à s’allier contre elle aux calvinistes.

De nombreuses associations provinciales de catholiques contre les huguenots, remontant à une époque bien antérieure, donnèrent l’idée d’une Ligue générale de tous les catholiques du royaume et en formèrent les premiers éléments. Dès 1563, un pacte de ce genre était signé dans le Midi, au lendemain de l’assassinat de François de Guise, par Poltrot, entre le cardinal d’Armagnac, archevêque d’Auch, le cardinal Strozzi, évêque d’Albi, le fameux Blaise de Montluc et divers autres capitaines ; cette ligue avait pour objet la résistance aux hérétiques, considérés comme rendus trop puissants par les concessions de l’édit d’Amboise. Une seconde ligue fut encore formée en Gascogne et en Guyenne, l’année suivante, par le comte de Foix Candale, l’évêque d’Aire et le marquis de Trans. Les agissements des conjurés catholiques furent tels, que le premier président du parlement de bordeaux, quoique zélé catholique aussi, les dénonça. Pendant les années suivantes, les confréries religieuses, s’associant aux corps de métiers, formèrent dans chaque ville le noyau d’une association puissante. En Picardie, les catholiques s’organisèrent plus complètement que partout ailleurs, et les statuts de leur ligue, rédigés par le sieur d’Humières, furent un peu plus tard ceux de la grande Ligue ou Sainte-Union. Ils prirent pour prétexte certaines clauses de la paix de Monsieur (1576), trop favorables, suivant eux, aux huguenots ; d’Humières, gouverneur de Péronne, refusa de livrer sa place à Condé, auquel la paix de Monsieur l’attribuait. Le clergé, auquel le même traité enlevait 200,000 livres de rente, pour en affecter le capital au payement des troupes mercenaires, appelées en France par les huguenots, fut exaspéré et souscrivit des premiers à ce pacte, dont voici les principales clauses. On y verra que, sous une reconnaissance hypocrite de la suzeraineté royale, le souverain pouvoir était en définitive attribué au chef suprême de l’Union.

« Au nom de la très-sainte Trinité :

« I. L’association des princes, seigneurs et gentilshommes catholiques doit être et sera faite pour rétablir la loi de Dieu en son entier, remettre et retenir le saint service d’icelui selon la forme et la manière de la sainte Église catholique, apostolique et romaine, abjurant et renonçant toutes erreurs contraires.

« II. Pour conserver le roi Henri IIIe, par la grâce de Dieu, et ses successeurs, rois très-chrétiens, en l’état, splendeur, autorité, service et obéissance qui lui sont dus par ses sujets, ainsi qu’il est contenu par les articles qui lui seront présentés à son sacre et couronnement, avec protestation de ne rien faire au préjudice de ce qui sera ordonné par lesdits états.

« III. Pour restituer aux provinces de ce royaume et états d’icelui les droits et prééminences, franchises et libertés anciennes, telles qu’elles étoient du temps du roi Clovis, premier roi chrétien, et encore meilleures et plus profitables, si elles se peuvent inventer sous la protection susdite.

« IV. Au cas qu’il eût empêchement, opposition ou rébellion à ce que dessus, par qui et de quelle part qu’ils puissent être, seront lesdits associés tenus d’employer tous leurs biens et moyens, même leurs propres personnes, jusques à la mort, pour punir, châtier et courir sus à ceux qui les auront voulu contraindre et empêcher.

. . . . . . . . . .

« IX. Ceux qui ne voudront entrer dans ladite association seront réputés pour ennemis d’icelle et poursuivables par toutes sortes d’offenses et molestes. ».

Chaque nouvel affilié jurait d’obéir aux chefs, sur sa vie et son honneur et jusqu’à la dernière goutte de son sang. La Ligue avait donc, à ses origines, toutes les apparences d’une conspiration ; il lui manquait, pour devenir un pouvoir, de relier entre elles toutes les ligues provinciales et de leur faire accepter pour centre celle de Paris. Les Guises, exploitant la fermentation populaire et la fomentant au besoin, s’entendirent à cet effet ; Henri de Guise, le Balafré, héritier de la popularité de son père, fit accepter par les provinces les statuts de la ligue picarde et se mit à la tête du mouvement. À Paris, les adhérents au pacte catholique mirent la main sur le pouvoir municipal, on attribuant à des quarteniers et cinquanteniers une sorte de force occulte qui paralysait celle des prévôts et échevins ; cette organisation communale fut perfectionnée un peu plus tard par la création des Seize, en qui résida toute l’administration municipale.

Voici quelle était cette organisation, d’après un contemporain, le conseiller d’État Lezeau : « Les premiers qui travaillèrent à cette affaire de la Ligue furent les sieurs de Rochibond, bourgeois de Paris, homme très-vertueux et d’ancienne famille ; Jean Prévost, curé de Saint-Séverin ; Jean Boucher, curé de Saint-Benoît, et Mathieu de Launoy, chanoine de Soissons. Puis adjustèrent à leurs confédérations et assemblées plusieurs autres, entre lesquels ils en choisirent seize, qu’ils ordonnèrent et distribuèrent dans les seize quartiers de Paris, pour veiller au bien et advancement d’icelui et attirer à eux ceux qu’ils croyoient en être capables, se donnant bien de garde de s’ouvrir à homme vivant, que premièrement le conseil n’eût examiné sa vie, ses mœurs et sa bonne renommée. Les noms de ces premiers Seize étaient : Labruyère, lieutenant particulier au Chàtelet ; Brucé, procureur ; Bussy-Leclerc, procureur ; le commissaire Louchard ; de La Morlière, notaire ; Senault, commis au greffe du parlement ; Debart, commissaire ; Drouart, avocat ; Alviguin ; Esmenot, procureur ; Sablut, notaire ; Messier ; Passart ; colonel Audinot, prétendant à la charge de prévôt de l’hôtel ; Letellier ; Morin, procureur au Châtelet. Outre les personnes de médiocre condition, ils attirèrent encore à leur parti quelques personnages de grande famille ; mais ceux-ci ne paroissoient et ne vouloient point assister aux assemblées de peur d’être découverts, mais, sous main, faisoient ce qu’ils pouvoient et subvenoient à la cause de leurs conseils et moyens, de sorte que tout se gouvernoit avec grand zèle, amitié, grande consolation, grande fidélité et prudence. Un homme influent dans chaque état, chaque corporation, s’étoit chargé d’entraîner dans les intérêts de l’Union le corps dont il faisoit partie. Et se pratiquoient de la façon suivante : ceux de la chambre des comptes par La Chapelle-Marteau ; ceux de la cour par le président Lemaistre ; les procureurs d’icelle par Leclerc et Michel ; les clercs du greffe de la cour par Senault ; les huissiers par Leleu ; la cour des aydes par le président de Neuilly ; les clercs par Chouin ; les généraux des monnoies par Rolland. Les commissaires avoient aussi pratiqué la plus grande part des sergents à cheval et à verge, comme aussi la plupart des voisins et habitant leurs quartiers, sur lesquels ils exerçoient quelque puissance. Debart et Michelet ont aussi pratiqué tous les mariniers et garçons de rivière du côté de deçà, qui font nombre de plus de 500, tous mauvais garçons. Toussaint Pocart, potier d’étain, avec un nommé Gilbert, ont pratiqué tous les bouchers et charcutiers de la ville et faubourgs, qui font nombre de plus de 1,500 hommes. Louchard, commissaire, a pratiqué tous les marchands et courtiers de chevaux, qui montent à plus de 600 hommes ; à tous lesquels on faisoit entendre que les huguenots vouloient couper la gorge aux catholiques et faire venir le roi de Navarre à la couronne, ce qu’il étoit besoin d’empêcher, et que s’ils n’avoient des armes on leur en fourniroit. Ce qu’ils avoient tous juré et promis de se tenir prêts quand l’occasion se présenteroit. » Ces aveux naïfs d’un ligueur définissent mieux la Ligue que ne pourrait le faire une analyse plus complète de ses moyens d’action et de recrutement. Toute cette armée, levée au nom des intérêts bourgeois ou de la foi en détresse, était prête à marcher au premier signal. En face de l’échec imminent qui lui était réservé, s’il continuait à flotter entre les huguenots et les catholiques, Henri III crut faire un acte de forte politique en adhérant à la ligue parisienne, en s’en déclarant le chef et en approuvant les statuts des ligues provinciales. La ligue normande fut provoquée par le roi lui-même. Ce jeu lui réussit d’abord ; pendant huit ans, il parvint à donner le change aux catholiques ; mais, outre qu’en se mettant à leur tête il ravalait le rôle de roi à celui de chef de parti, la suprématie véritable restait au chef virtuel de l’Union, au duc de Guise.

La Ligue subit pendant toute cette période un temps d’arrêt, tout en se conservant prête à l’action, en gardant ses cadres, pour ainsi dire. Les courtes campagnes de Henri III occupèrent l’esprit public, et répondirent aux prises d’armes des huguenots exaspérés par le manquement à la foi jurée ; le roi, en effet, pour complaire à ses nouveaux alliés, avait essayé de reprendre quelques-unes des villes concédées comme places de sûreté, aux calvinistes ; d’autres, comme Péronne, ne leur avaient même pas été livrées. La mort du duc d’Anjou (1584) ressuscita la Ligue en provoquant des inquiétudes dynastiques. Il était peu probable que Henri III, miné de débauches et dont on considérait la fin comme prochaine, eût jamais d’enfants ; le duc d’Anjou était, avec lui, le dernier Valois ; à la mort du roi le trône passerait donc, par droit de naissance, à l’hérétique, à Henri de Navarre. La Ligue se ranima et devint dès lors un grand parti révolutionnaire.

Qu’elle eût une tendance républicaine on tout au moins fédéraliste, on ne peut en douter, et les documents le démontrent. Prévoyant la vacance du trône, ses meilleurs chefs songèrent à établir la république ; mais, dans l’état de la France, on ne pouvait guère rêver qu’une association d’États, parmi lesquels les calvinistes auraient eu les leurs, et qui auraient formé une ligue de cantons, comme en Suisse. Ces idées se firent jour, surtout après l’assassinat de Henri de Guise à Blois ; car jusque-là les plus déterminés ligueurs demandaient seulement le transfert de la couronne des Valois aux Lorrains ; d’autres, à la tête desquels étaient les parlements, tenaient toujours pour le roi légitime et voulaient seulement donner sur lui la prépondérance aux états généraux, dans les questions de culte, de guerre et de finances. Si l’on ajoute à ces trois catégories de ligueurs ceux qui étaient purement vendus à l’Espagne et la classe non moins nombreuse, dans les grandes capitales, de ceux qui voulaient l’émeute pour l’émeute, sans autre conviction bien arrêtée, on aura une idée de la division des partis à cette époque néfaste. À Paris, les chefs des seize quartiers de la ville se constituaient en comité tout-puissant et donnaient au peuple l’impulsion. Des prédicateurs fanatiques, Jean Boucher, Prévost, Launoi, ameutaient sans trêve le peuple dans les églises, dans les carrefours, et prêchaient une nouvelle Saint-Barthélemy. Ces excitations aboutirent à une tentative de révolution qui avorta, coïncidant avec l’exécution de Marie Stuart à Fotheringay (févr. 1587) ; elle faillit emporter prématurément la royauté ; Guise l’apaisa et malmena même très-fort les Seize qui avaient tout conduit sans l’en prévenir.

Henri III était toujours nominativement le chef de la Ligue. Comme son but n’était guère que d’user les catholiques par les calvinistes, et de rester le maître sur les débris des deux partis, il conçut un plan ingénieux. Il envoya Guise avec peu de monde en Lorraine, contre les Allemands, et Joyeuse en Guyenne avec une assez belle armée, contre le roi de Navarre ; il espérait que Guise se ferait battre, et que Joyeuse aurait raison du Bourbon. Lui-même, avec le gros des troupes, se tenait prêt à faire échec aux vainqueurs, quels qu’ils fussent. Mais l’événement tourna contre lui : le roi de Navarre remporta sur Joyeuse la brillante bataille de Coutras, et l’invasion allemande, bien loin de s’arrêter en Lorraine comme il l’espérait, poussa jusque dans les plaines de la Beauce, ce qui le mit dans la nécessité de prendre part lui-même à la lutte. Quelque diligence qu’il fît, ce fut le duc de Guise qui eut l’honneur de faire reculer l’ennemi à Auneau. Tous ses calculs déjoués, Henri III rentra dans Paris ; il y fut accueilli, lui et ses garnisons suisses, par la fameuse Journée des barricades (v. barricades), organisée par la Ligue, et il dut fuir la capitale, après avoir vainement délibéré avec ses conseillers l’assassinat du Lorrain (mai 1588). La Ligue restait maîtresse du terrain, avec le duc de Guise : il y avait un roi de Paris et un roi de France.

Pendant que Henri III s’enfuyait à Chartres, Guise et les Seize réformaient l’administration de la grande cité et la mettaient entièrement dans leurs mains. Vincennes, Saint-Cloud, Corbeil, Melun, Lagny étaient occupés militairement, pour assurer l’alimentation de la ville ; une assemblée populaire était convoquée à l’Hôtel de ville, pour vaquer aux élections municipales, abolies depuis 1380, et le duc se présentait lui-même au parlement pour faire ratifier son pouvoir. Il n’obtint que des réponses évasives, l’attachement aux anciennes formes de la royauté étant enraciné dans ce vieux corps judiciaire ; mais les élections eurent lieu. Henri III, en face d’un parti si puissant, comprit le besoin de négocier ; il nomma le duc de Guise lieutenant général du royaume, ce qu’il avait refusé de faire à la journée des Barricades, et convoqua les états généraux à Blois, pour s’occuper de la pacification du royaume et du règlement des impôts, la grande question en litige. Il avait aussi une arrière-pensée : celle d’y faire assassiner le duc de Guise.

Henri de Guise et son frère, le cardinal de Lorraine, tués à coups de dague et de hallebarde dans le logis même du roi (23 décembre 1588), Henri III croyait être le maître : il restait la Ligue. Le contre-coup de ce meurtre fut terrible à Paris ; la déchéance du roi fut prononcée, les prédicateurs firent faire, dans les églises, le serment de mourir pour le duc de Guise, les processions parcoururent la ville jour et nuit, au son des cloches ; tous les moyens furent mis en œuvre pour surexciter le plus patriotique fanatisme. La Sorbonne déclara que le peuple était délié du serment de fidélité ; le parlement, dont la foi monarchique n’était pas encore éteinte, fut épuré et rendu docile. Enfin, tout fut préparé pour la résistance. Le duc de Mayenne, frère du duc de Guise, fut nommé généralissime des troupes de la Ligue et chef de l’Union.

Pendant qu’il soulevait les villes attachées à l’Union, qu’il jetait des garnisons dans les plus fortes et décidait les plus hésitantes, la Ligue s’organisait à Paris en prévision d’un siège ; elle savait que Henri III avait juré de rentrer dans sa capitale par la brèche, et tous ceux qui s’étaient compromis ne pouvaient attendre qu’une mort ignominieuse. L’alliance du roi avec le Béarnais ne fit que rendre les convictions catholiques plus ardentes ; bientôt les Parisiens purent voir les deux rois établis sur les hauteurs de Meudon et de

Saint-Cloud. Si l’abattement commença de gagner les masses, il en fut autrement des meneurs ; dans les hôtels des grands seigneurs, partisans des Guises, chez la duchesse de Montpensier, dans les cloîtres surtout, la fureur ne connaissait plus de bornes. Elle trouva un bras dans le dominicain Jacques Clément, qui alla assassiner Henri III à son quartier général de Saint-Cloud (1er août 1589).

Le Béarnais restait seul chef de l’armée assiégeante ; mais, les états généraux s’étant prononcés à deux reprises, en 1576 et en 1588, pour la succession catholique exclusive, il se trouvait réellement déchu du trône par la volonté du peuple. La Ligue proclama roi de France, sous le nom de Charles X, le vieux cardinal de Bourbon, dont la royauté fut si éphémère qu’elle ne compte même pas dans l’histoire. Théoriquement, c’était lui !e vrai roi, et Henri IV ne devait être considéré que comme un prétendant, repoussé par la majorité de la nation. Mais ce n’est que l’apparence, comme le dit très-bien Henri Martin, « une apparence qui a jeté dans de singulières illusions sur la Ligue maints écrivains de notre temps. Pour connaître la réalité, il faut examiner les principes, non dans leur valeur abstraite, mais dans leur application. Que vaut le principe républicain dans la Ligue ? Ce principe, par sa nature, est absolument indépendant de tout autre ; si on le subordonne, il disparaît. Or ici, sans parler du caractère dissolvant, négatif de l’unité française, qu’il affecte dans les provinces, il n’est pas seulement allié, il est pleinement subordonné au principe catholique, non plus sous cette forme gallicane qui était celle d’une religion d’État, compatible avec la nationalité, mais sous la forme ultramontaine, hispano-romaine, cosmopolite, qui subordonne la France à une autorité étrangère ; par conséquent, le républicanisme de la Ligue est une chimère. La Ligue fut le parti antinational ; les foules aveugles qu’elle entraînait se dénationalisaient de fait, sans le savoir. »

Il suffit, pour apprécier la justesse et la profondeur de ces remarques, de voir quelle a été la part des Espagnols dans tous les mouvements de la Ligue. Si elle eût triomphé, il est hors de doute que ce n’eût pas été au profit de ceux qui rêvaient une sorte de république théocratique, gérée par les curés des paroisses, comme Paris en offrit le modèle jusqu’à la fin du siège (1589-1590). Cette dernière phase de la Ligue est caractéristique ; en apparence, le pouvoir est aux mains des Seize et de la municipalité ; au fond, les prédicateurs, les moines, les curés sont les véritables maîtres du peuple, et pour conserver quelque autorité, les Seize sont obligés de se vendre à l’Espagne. Ainsi, la seule chose qui fût bonne dans cette révolution, la gérance des intérêts de la ville par ses élus, était entachée d’un vice radical ; elle ne faisait que voiler la domination étrangère.

Le siège de Paris, interrompu par les campagnes de Henri IV contre le duc de Mayenne (batailles d’Arques et d’Ivry, 1589), fut repris en mai 1590, et le blocus, très-sévèrement conduit, quoi qu’en dise la légende du Béarnais faisant passer des sacs de farine par-dessus les murs de la ville, amena l’une des plus effroyables famines que l’histoire ait enregistrées. La Ligue montra pendant ces quatre longs mois, pour armer les masses, exciter leur patriotisme et leur inspirer une confiance héroïque au milieu des souffrances, une ténacité inébranlable et bien digne d’une meilleure cause. Toutes les milices bourgeoises furent mises sur le pied de guerre ; les moines et les curés eux-mêmes revêtirent casque et cuirasse, apprirent le maniement de l’arquebuse et marchèrent aux remparts. C’est la revue de cette milice en capuchon (14 mai 1590) qui s’appelle dans l’histoire la procession de la Ligue. « Les principaux du parti, Rose, Boucher, Lincestre, la barbe et la tête rasées, un hausse-col par-dessus le camail et le rochet, l’épée au côté et la pertuisane au bras, ouvraient la marche ; suivaient, quatre par quatre, au nombre de 1,300, les cordeliers, jacobins, carmes, capucins, feuillants, en ordre de bataille, la hache ou l’arquebuse sur l’épaule, dans un accoutrement moitié religieux et moitié militaire, qui avait quelque chose de burlesque et de terrible à la fois. L’Église « militante, » chantant des hymnes entremêlées de salves de mousqueterie, défila devant le légat, qui la bénit et traita ces moines de vrais Macchabées, nom que quelques-uns méritèrent à la défense des remparts. » On trouvera à Paris (sièges de) l’historique de ce siège célèbre.

L’approche du duc de Parme contraignit Henri IV à s’éloigner des murs de la ville au moment où, réduite par la famine, elle commençait à faiblir. La Ligue, qui dans ce désastre s’était affaissée et avait cédé le pas aux politiques, seuls aptes à nouer des négociations avec le Béarnais, reprit courage. Malheureusement, elle manifesta par des massacres le retour de son énergie ; le président Brisson, les conseillers Larcher et Tardit payèrent de leur vie leur attachement aux formes parlementaires et leur aversion pour la domination de l’Espagne. Séparés par ces meurtres du duc de Mayenne, dont les parlementaires étaient les plus sérieux appuis, les Seize resserrèrent plus étroitement le lien qui les unissait à Philippe II ; ils négocièrent le mariage d’une fille du monarque espagnol avec l’aîné des fils de Henri de Guise. Mayenne résolut alors d’étouffer la Ligue ; il s’empara de la Bastille, fit décapiter quatre des Seize dont il parvint à se saisir, cassa leur conseil et mit des politiques déclarés à la tête de la commune. Paris était plongé dans la stupeur ; un compromis, la convocation des états généraux, s’offrit comme une solution aux deux partis. Convoqués à Suresnes (avril 1593), ces états sont ordinairement désignés sous le nom d’états généraux de la Ligue, par antiphrase sans doute, car la plus grande partie des députés, élus sous la pression du duc de Mayenne, n’étaient rien moins que ligueurs. L’attitude de l’ambassadeur d’Espagne, qui voulait imposer pour reine à la France la fille de Philippe II, mais avec un archiduc d’Autriche pour époux, fit voir assez clairement au bord de quel abîme les intrigues des Seize et de la Ligue avaient poussé la France ; une vague promesse d’abjuration hasardée par Henri IV lui rallia assez de partisans pour que l’assemblée de Suresnes n’eût plus rien à faire en politique ; elle s’occupa du concile de Trente !

Désormais la Ligue avait vécu ; la Satire Mênippée, en la livrant aux risées de la foule, lui porta un coup plus funeste que ne l’eût été une bataille perdue. Les hardis pamphlétaires s’étaient bornés à montrer les ligueurs déguisés en charlatans, sous la livrée de Philippe II, et débitant à force de momeries une drogue détestable, le Catholicon d’Espagne ; ils avaient osé bafouer la fameuse procession de la Ligue. Du Vair, en plein parlement, alla plus loin : « Voilà l’état où nous en sommes réduits, dit-il ; seize coquins ont fait vente au roi d’Espagne de la couronne de France. Non, jamais peut-être il ne s’ouït dire que si licencieusement, si effrontément, on se joua de la fortune d’un si grand et si puissant royaume, si publiquement on trafiqua d’une telle couronne, si impudemment on mit vos vies, vos biens, votre honneur, votre liberté à l’enchère. Et en quel lieu ? Au cœur de la France § »

Après l’abjuration, à l’entrée de Henri IV dans Paris, les ligueurs essayèrent un soulèvement ; mais, privés de l’appui de la garnison espagnole, qui dut quitter la ville le jour même, ils rentrèrent paisiblement chez eux. Sully, tout avare qu’il était, sut trouver de bons écus sonnants pour acheter ce qui survivait des chefs de la Ligue, à Paris et en province, et obtenir les clefs des places fortes. Les derniers débris des bandes armées, recueillis par les ducs de Mayenne et de Joyeuse, firent leur soumission, chèrement payée à leurs généraux, en 1596.

Ligue (la), de Vitet, titre général d’une série de scènes dramatiques : les Barricades (1826) ; les États de Blois (1827) ; la Mort de Henri III (1829), ouvrage très-inférieur aux deux autres. V. barricades et états.

Ligue (la démocratie chez les prédicateurs de la), par Charles Labitte, V. démocratie.

Ligue (le triomphe de la), tragédie de Nérée, non représentée (1607). Comme la Guisiade, de P. Matthieu, ce drame n’a guère d’autre intérêt que celui qui s’attache aux œuvres des contemporains, des faits mis en scène. Il a été écrit au même point de vue que la Guisiade, en faveur de la Ligue et de son chef populaire. Le Triomphe de la Ligue, en tant que tragédie, ne supporterait pas l’analyse. Voltaire n’a pas dédaigné de lire cette vieille pièce, mais dans un but tout particulier ; il y a relevé quelques vers évidemment imités par Racine, dans Athalie :

|poem>Je ne crains que mon Dieu, lui tout seul je redoute... On n’est point délaissé quand on à Dieu pour père... Il ouvreà& tous la main, il nourrit les oiseaux, Il donne la viande aux jeunes passereaux.</poem>

Cela suffit tout juste pour tirer de l’oubli Nérée et sa tragédie.