Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/littérature s. f.

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Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 2p. 577-583).

LITTÉRATURE S. f. (li-té-ra-tu-re — lat. litteratura ; de litteratus, lettré). Connaissance des belles-lettres ; science de l’écrivain : Cours de littérature. Étude de la littérature. Se vouer à la littérature, Il n’y a en littérature que les monuments qui comptent. (Dussault.) Les gens de goût sont les hauts justiciers de la littérature. (Rivarol.) La littérature se rattache à tout, embrasse tout ; tout y rentre et rayonne d’elle. (Lemercier.) Les femmes bien élevées ont, en général, le goût faux en littérature. (Mme E. de Gir.) La littérature résume dans quelques-uns l’esprit de tous ; la science restitue à tous l’esprit de quelques-uns. (E. de Gir.) En littérature, le plus sûr moyen d’avoir raison, c’est d’être mort. (V. Hugo.) Il Connaissance de tout ce qui concerne la théorie littéraire, ainsi que des ouvrages qui en sont l’application ; Avoir une vaste et profonde littérature. N’avoir point de littérature. Avoir beaucoup de littérature. Avoir une littérature variée. Chapelain avait une littérature immense. (Volt.) Dangeau avait de la littérature ; il rimait en homme du monde. (Ste-Beuve.)

— Ensemble des productions des écrivains d’une nation, d’un pays, d’une époque : Le caractère national influe sur la littérature. (Mme de Stael.) La littérature française a fait plus pour la gloire du pays que les conquêtes de nos guerriers. (Kératry.) À son début, la littérature anglaise du moyen âge fut défigurée par la littérature romane. (Chateaub.) L’existence des langues classiques est une loi universelle dans l’histoire des littératures. (Renan.) La littérature des peuples commence par les fables et finit par les romans. (J. Joub.) La littérature d’une langue est une fille qui fait l’éducation, de sa mère. (A. Fée.) La littérature exprime exactement l’état intellectuel et moral d’une société. (Latena.) Les littératures immorales n’appartiennent qu’aux pays sans liberté. (E. Laboulaye.) Parisi grâce à la supériorité de sa conversation et de sa littérature, est et sera toujours le salon de l’Europe. (H. Beyle.) Chaque littérature s’empreint plus ou moins profondément du ciel, des mœurs et de l’histoire du peuple, dont elle est l’expression ; il y a donc autant de littératures diverses qu’il y a de sociétés différentes. David, Homère, Virgile, le Tasse, Milton et Corneille, ces hommes dont chacun représente une poésie et une nation, n’ont de commun entre eux que le génie. (V. Hugo.)

— Carrière des lettres, profession de l’homme de lettres : La littérature, une belle branche… pour se pendre. (Barrière.)

— Ensemble des littérateurs d’un pays ou d’une époque : Quand Lamothe osa mutiler l’Iliade, toute la littérature se souleva contre lui. (Boissonade.)

Syn. Littérature, érudition, savoir, etc. V. Érudition.

Encycl. La littérature est aussi vaste que la pensée humaine ; c’est la manifestation intellectuelle de l’humanité. Le chemin que nous aurions à parcourir pour la suivre pas à pas, dans sa naissance et dans ses développements, serait donc vaste à effrayer ; mais notre tâche se trouve abrégée puisque nous consacrons à l’histoire de chaque littérature une page spéciale. Nous ne jetterons ici qu’un regard d’ensemble.

Les lettres et les beaux-arts sont les manifestations les plus hautes de la pensée. Certes, les inventions utiles sont loin d’être à dédaigner, et les magnifiques conceptions auxquelles elles ont progressivement conduit sont de nature à provoquer la plus légitime admiration ; mais elles sont empreintes d’un esprit de nécessité qui suffit à les rendre inférieures. Quelques esprits sérieux ont vu, au contraire, en cela la condamnation des lettres et ont déclaré que, puisqu’elles ne sont pas aussi pratiquement utiles, elles devaient être reléguées au rang des amusements, lis oublient que la littérature, dans ses manifestations multiples, poésie, drame, histoire, éloquence, fut la première éducatrice des peuples, qu’elle a d abord eu pour base l’étude, et pour but l’exposition lumineuse de ces faits naturels sur lesquels est fondée la science moderne. Faites le compte de ce que la science doit à un littérateur comme Aristote !

Mais nous ne voulons pas faire une dissertation sur l’excellence des lettres ; volontiers dirions-nous avec Malherbe qu’un bon poète n’est pas plus utile à l’État qu’un bon joueur de boules, si nous n’avions a parler que des faiseurs de sonnets et des rimeurs de madrigaux. Parce que la littérature en est réduite, à certaines époques néfastes, à n’être que l’amusement des oisifs et le passe-temps des esprits ingénieux, il ne faut pas perdre


de vue sa longue et glorieuse histoire. Elle apparaît la première dans l’enfance des sociétés, dès que l’homme sait coordonner ses idées et possède le moyen de les transmettre. Elle fixe d’abord, dans un langage incorrect et grossier, les faits mémorables, transmet les noms des héros, des pasteurs de peuples ou des dompteurs de monstres ; puis, s’enhardissant, dépeint les grands spectacles de la nature, chante les guerres et adresse des hymnes aux dieux. Quand elle a produit ainsi une certaine masse d’œuvres remarquables, l’examen même de ces inspirations directes crée une autre source de littérature, la critique, qui juge et compare entre elles les productions des âges précédents. On peut donc, jusqu’à un certain point, reconnaître le degré de civilisation d’un peuple par l’état de sa littérature. De Bonald disait dans ce sens que la littérature est l’image de la société, et Mme de Staël a voulu en faire l’échelle des progrès accomplis. Comme simple aperçu, le mot de Bonald est juste ; mais on ne saurait l’ériger en principe et en tirer des déductions rigoureuses. Ce n’est pas la littérature seule qui marque le rang d’un peuple et ses progrès dans la civilisation ; c’est l’ensemble de ses connaissances, de ses institutions et de ses mœurs, dont la litterature n’est qu’une expression partielle. Elle suppose un peuple déjà civilisé et peut, dans certains cas, marquer les degrés de cette civilisation ; c’est tout ce que l’on peut en induire.

Partout où l’homme, grâce à son génie et à son activité, sut se dégager de l’étreinte de la nécessité qui le courbe sur la glèbe et le force à faire produire son pain au sol, partout où il sut se créer un peu de loisir, la littérature a fleuri aussitôt, et elle est, en cela, la marque la plus infaillible de la civilisation. Bien des générations succombent à la peine avant que quelques privilégiés, jouissant du travail acquis, puissent se livrer aux spéculations intellectuelles. Les nègres, qui, en fin de compte, habitent leur pays depuis autant de milliers d’années que nous habitons le nôtre, n’ont pas encore su créer, au profit des plus intelligents d’entre eux, ce loisir nécessaire. Il faut, en effet, avant de songer à écrire, assurer sa vie, bâtir sa maison, être certain des récoltes, et le nègre n’en est pas encore là ! Ce n’est pas un médiocre sujet d’étonnement que cette inégalité des races, non pas au point de vue des facultés cérébrales, qui sont les mêmes, car le nègre mis en contact avec nos civilisations se les assimile et devient apte rapidement aux travaux littéraires, mais au point de vue de cet esprit de solidarité et d’épargne qui a fait la force des races européennes, et que les peuples restés enfants ne sont pas encore arrivés à comprendre.

Entre toutes, la race aryenne, grâce peut-être à des circonstances spéciales et, plus probablement, à son opiniâtreté invincible, se dégagea de bonne heure des langes de l’homme primitif. Du plus loin qu’on puisse l’apercevoir dans l’histoire, elle est en possession d’une littérature. Si la chronologie biblique était vraie, les Aryens en auraient été pourvus dès le berceau, puisque la littérature indoue remonte bien à 4, 000 ans avant l’ère chrétienne ; mais comme la science moderne assigne à l’homme au moins cent cinquante mille ans d’existence, les Aryens, si intelligents qu’ils fussent, ont donc végété, à la manière des nègres, durant de longues révolutions de siècles. Cette solution est bien plus conforme à tout ce que l’on sait par expérience et par induction, des progrès lents de l’humanité. L’Inde fut, deux mille ans avant notre ère, le plus éblouissant foyer littéraire du monde ; mais sa littérature, tout entière entre les mains des prêtres, est purement théocratique ; sa langue même, le sanscrit, était une langue morte. Hymnes védiques et gigantesques épopées, mystérieuses et inextricables comme des forêts, toute cette littérature est mystique et poétique. L’Égypte et la Perse eurent sans doute vers la même époque de grandes littératures ; mais les monuments en sont perdus. Une autre race, les Sémites, ou plutôt une tribu de Sémites, composée de pillards et d’esclaves fugitifs livrés aux vices les plus monstrueux, mais douée de cette Ténacité qui fait les grands peuples, après s’être enfin fixée dans le pays de Judée, montrait bientôt qu’elle était douée au plus haut point du génie littéraire et laissait des œuvres impérissables. Les prêtres hébreux, par la rédaction d’un code théocratique implacable et d’une histoire du monde imaginaire, mais pleine de grandeur en même temps que de contradictions et de niaiseries ; les prophètes, par une suite d’élucubrations incohérentes où l’inspiration côtoie de près la folie, donnaient l’idée d’une poésie aussi grandiose que celle de l’Inde, et empreinte des caractères propres à cette race indomptable et perverse. À l’extrême Orient, les Chinois avaient aussi une littérature et peut-être des livres, tandis que toutes les autres nations éclairées étaient réduites à confier à la mémoire seule leurs lois et leurs poèmes.

Les littératures indoue et hébraïque sont admirables, mais excessives et désordonnées ; la littérature grecque est la première qui réalise ces conditions d’ordre, de proportion, d’harmonie, dans lesquelles nous faisons consister la beauté. Elle fut florissante du ixe siècle au me siècle avant notre ère, et se poursuivit, en décadence, mais virile encore, jusqu’au ive siècle après J.-C. Basée, sans le savoir, sur les immenses conceptions poétiques et mythologiques de l’Inde, elle sut se rendra plus accessible et plus humaine, et produisit dans tous les genres, épopée, hymne, ode, drame, comédie, histoire, éloquence, des modèles qui ont à peine été égalés. La Grèce, petite confédération de petites républiques réunies à grand’peine dans le danger contre un ennemi commun, et toujours prêtes à se déchirer entre elles, fut pendant cinq siècles le seul foyer littéraire du monde entier, car tout l’Orient restait immobile à l’un de ses côtés, et, à l’autre, l’Occident était en pleine barbarie. D’Athènes et de Corinthe, ce foyer lumineux se transporta à Rome ; mais ce furent des rhéteurs et des grammairiens grecs qui initièrent les vainqueurs aux premières connaissances de l’art, et la littérature romaine, tout excellente qu’elle est en certains points, n’offre guère, dans les principaux genres, qu’un reflet de celle des Grecs.

L’empire romain s’écroulant, on put croire que le flambeau allait s’éteindre ; les théologiens et les Pères de l’Église naissante ranimèrent les lettres grecques, qui agonisaient à Alexandrie entre les mains des sophistes et des faiseurs de vers. Ce ne fut qu’un éclair (ive siècle), et les invasions couvrirent de ténèbres tout le monde connu. Les lettres se réfugièrent çà et là, au fond des cloîtres ; la langue latine, mêlée aux idiomes du Nord et devenue barbare, servit pourtant à conserver quelques chroniques et de faibles inspirations de poésie et d éloquence. L’Espagne, qui avait fournie Rome ses derniers poètes, conserva plus que toute autre nation les précieuses traditions littéraires, et, sous la clémente domination des Goths, vit fleurir au viiie siècle une sorte de rénovation latine. Une renaissance véritable n’était possible que lorsque les idiomes nouveaux, nés du mélange de tant de langues et de tant de peuples, commenceraient à acquérir quelque fixité. L’érudition superficielle des derniers siècles plaçait cette renaissance en Italie, au xve siècle ; nous la revendiquons pour le midi de la France, au xiie. Nos troubadours furent les maîtres de Dante, le premier grand nom littéraire de l’Italie, maîtres hautement avoués et proclamés par lui-même. Ceux dans les œuvres, desquels un si grand génie puisa ses inspirations, et dont la langue atteignait une perfection qu’il jugeait inimitable, doivent reprendre leur rang dans l’histoire des lettres.

« La vieille langue du xiie siècle et du xiiie siècle était une belle langue, dit M. Littré dans son magnifique discours de réception à l’Académie. Quoi ! dira-t-ou, et la rouille de la barbarie ? Vaine parole née d’un préjugé injustifié. Toutes les langues romanes sont filles du latin, et c’est une grande origine ; eh bien ! les deux langues de la France, le vieux français et le vieux provençal, sont celles qui, grammaticalement, tiennent de plus près à la langue mère. Vous voyez qu’il ne peut être question ni de rouille ni de barbarie et que, bien loin de là, nous avons dans notre idiome des vieux temps un type marqué au coin d’une parenté plus étroite et d’une analogie plus visible. N’en disons donc pas de mal, car si les hommes qui le parlèrent pouvaient prendre la parole, ils nous reprocheraient à juste titre d’avoir troublé la pureté de leur grammaire, défait des constructions savantes et sacrifié de ce grand héritage plus que n’exigeait la rénovation incessante et nécessaire des idées et des mots… Tout le monde connaît ce que fut l’influence de notre littérature du temps de nos grands-pères, je veux dire des générations si voisines qui vécurent sous Louis XV et Louis XVI ; mais peu connaissent ce qu’elle fut du temps d’aïeux plus lointains, des Français qui vécurent sous Louis le Gros, Philippe-Auguste et saint Louis. Il n’est point de contrée européenne où ne parvînt la renommée des œuvres qui apparurent alors. On les traduisit, on les imita, et les types qui furent créés par l’imagination reçurent partout le meilleur accueil. » Il suffit de rappeler que de cette époque datent les grandes épopées chevaleresques françaises, les cycles de Charlemagne et de la Table ronde, pour appuyer l’assertion de M. Littré. Marquons donc notre xiie et notre xiiie siècle au rang des grandes époques littéraires.

La Renaissance italienne a cependant eu quelque chose de plus, en ce qu’elle a produit des œuvres qui ont duré ; la langue de Dante, de Pétrarque et de Boccace est restée la langue italienne, tandis que la langue des cycles chevaleresques n’est plus la langue française. Mais, des hauteurs où l’avaient placée ces grands génies, la littérature italienne tomba dans les improvisations faciles, les concetti, et ne se releva que plus tard, sous l’influence française.

Le vieil honneur chevaleresque et le culte des femmes chez les Espagnols, la magnificence et la grandeur orientale chez les Maures, devaient, par la réunion de ces deux peuples, donner à la littérature espagnole une physionomie spéciale. C’est, en effet, celle qu’elle posséda, tant qu’elle s’inspira des traditions nationales ; elle la perdit lorsque, sous prétexte de goût et de convenance, ses écrivains prirent pour modèles Racine et Boileau.

Chez nous, au xvie siècle, la littérature


nationale, celle qui était le produit de nos mœurs, de nos institutions, de notre passé, de la fusion des peuples qui formèrent le peuple français, périt aussi. On abandonna la langue de Montaigne, de Montluc et de Rabelais pour l’imitation littérale du grec ; ce fut l’école de Ronsard et de la pléiade. Revenu de ces excentricités, on francisa les Grecs : ce fut l’école classique du xviie siècle. Le xviiie siècle, s’il fut émancipé en philosophie, se traîna en littérature à la remorque du siècle précédent. Ce n’est que de nos jours qu’on a retrouvé une originalité plus grande, soit par le retour aux vieilles traditions, en reprenant la langue de Villon et de Rabelais, soit en s’inspirant dès littératures étrangères.

La littérature anglaise a subi moins de péripéties, car elle ne date que du xve siècle, avec Chaucer ; elle ne compte véritablement parmi celles de l’Europe qu’à partir de Shakspeare et, depuis, elle n’a produit que deux incontestables grands poëtes, Milton et Byron. Il lui suffit, a un point de vue général, de pouvoir réclamer le plus grand poète dramatique de tous les temps, et d’avoir produit, dans un genre secondaire, le roman, les plus fines peintures de la vie réelle.

La littérature allemande a eu plus d’expansion, mais moins d’originalité ; elle est aussi ancienne que la nôtre, car elle possède d’immenses épopées contemporaines de nos chansons de geste ; mais son développement réel appartient au xviiie siècle.

À côté de ces cinq grandes littératures européennes : romane, italienne, espagnole, française et allemande, les autres sont nouvelles dans l’histoire ; il n’y a de littératures russe, danoise, hongroise, polonaise, valaque, que depuis un temps relativement très-rapproché ; toutes les littératures, suivant l’affinité des races, ont procédé des cinq premières, ou directement des lettres gréco-latines.

Depuis l’ère moderne, les littératures se sont d’ailleurs tellement entées les unes sur les autres qu’il n’est presque pas possible, à partir des derniers siècles, de distinguer, comme dans l’antiquité, quel est le foyer lumineux auquel les autres nations empruntent leur lumière. Sans doute on peut remarquer que l’Italie est un éclatant foyer littéraire au xve et au xvie siècle, que l’Angleterre et la France rayonnent simultanément aussi au xvie siècle, chaque nation restant livrée à son génie propre ; mais au commencement du xviie siècle, nous empruntons notre théâtre à l’Espagne, nos madrigaux à l’Italie ; à la fin du même siècle, c’est au contraire l’Italie et l’Espagne qui s’imprègnent du goût français au point que leurs littératures en sont stérilisées. Au xviiie siècle, nos littérateurs s’engouent de l’Angleterre, en transportent chez nous la philosophie, puis le théâtre, avec quelque scrupule, il est vrai, et la Russie, qui commence à se civiliser, produit une littérature non pas slave, mais toute française. Dans ce siècle-ci, le principe des nationalités, qui domine en politique, a son contre-coup dans les littératures et les particularise ; chaque peuple a essayé, ou essaye encore d’avoir une littérature nationale, en s’inspirant des vieux maîtres, en rajeunissant des poèmes oubliés, en dramatisant de vieilles chroniques, en ressuscitant un vocabulaire mort depuis longtemps ; mais, quel que soit l’effort tenté en ce sens, le cosmopolitisme nous envahit, dans les lettres comme dans les mœurs. Il suffit de voir ce qui se passe en France ; nous avons deux grands poètes anglais, un lakiste, Lamartine, un byronien, Alfred de Musset ; un pur Castillan du temps de Calderon, Victor Hugo ; toute une école s’inspire de la sentimentalité allemande ; une autre, dédaigneuse du présent, ressuscite Théocrite, Longus, et va jusque dans l’Inde chercher ses sources d’inspiration. Cependant une littérature est d’autant plus belle et d’autant plus forte qu’elle garde mieux l’empreinte du génie national et qu’elle s’inspire moins des nations voisines. L’échange entre les littératures produit un affaiblissement dans les créations. La critique et l’érudition y gagnent, il est vrai, et le champ des connaissances s’étend, mais aux dépens de l’originalité propre. « La critique littéraire est le dernier produit d’une longue expérience, » disait Longin. Elle n’apparaît, en effet, qu’au déclin des littératures, comme pour constater l’état civil des vivants et pour relever les morts ; aussi est-elle devenue de nos jours un genre littéraire important.

Nous n’avons voulu donner ici qu’un aperçu rapide du développement des littératures ; ce que ce résumé a de trop bref trouvera son correctif dans l’analyse que nous donnons ci-après des œuvres les plus remarquables d’histoire littéraire.

Nous diviserons sous trois chefs la nombreuse série des ouvrages qui ont la littérature pour objet : 1° les ouvrages de littérature générale et les cours de littérature dans toutes les langues ; 2° ceux qui traitent des littératures particulières ou d’une époque spéciale de l’une d’elles ; 3° les cours de littérature dramatique. Toutefois, ayant de procéder à cette revue, nous allons dire quelques mots de la littérature en musique.

— Mus. La littérature musicale, dont la fortune a été rapide, est un rameau sorti récemment du vieux tronc des lettres françaises, et c’est en grande partie à l’esprit de critique et de synthèse qui, dans l’histoire, distinguera le xixe siècle de ceux qui l’ont précédé, que l’on doit et sa naissance et l’étonnante promptitude de ses développements. La musique acquérant en France chaque année une nouvelle force d’expansion, il était tout naturel qu’on cherchât à pénétrer les mystères qui enveloppaient son histoire ; qu’on s’ingéniât à découvrir les différentes phases de ses progrès matériels, de ses transformations, de ses développements successifs ; qu’on voulût connaître les grands hommes qui l’avaient illustrée et portée à son plus haut point de perfection : que l’on tâchât enfin d’établir les bases d’une critique rationnelle. Quelques hommes dévoués, artistes ou amateurs, comprirent ce besoin pressant, et se mirent en devoir de vulgariser la musique par la voie de la littérature. Leurs écrits, peu nombreux d’abord et peu répandus, acquirent bientôt une certaine autorité ; de nouveaux travailleurs vinrent alors se joindre à eux, et le nombre de ces écrits augmenta incessamment, de façon à former un répertoire assez vaste pour qu’il devienne utile de le signaler spécialement au public. La littérature musicale n’a surgi que depuis

fieu de l’ensemble des grands travaux intelectuels opérés en France ; non qu’on ne

s’en soit occupé depuis longtemps déjà, mais parce que les premiers essais tentés dans cet ordre d’idées l’avaient été par des hommes inaptes pour la plupart, malgré leurs facultés générales, à traiter des matières aussi spéciales. Au dernier siècle, sans parler de Quelques tentatives antérieures, une foule d’écrivains, parmi lesquels des hommes de génie, avaient porté leurs vues de ce côté. En dehors de Rousseau, que ces questions passionnaient jusqu’à la fureur, et qui, en musique comme en différentes matières, a dit d’excellentes choses et des choses absurdes, on peut citer sous ce rapport Saint-Evremond, le président de Brosses ; Gresset : Discours sur l’harmonie ; l’abbé de Voisenon : Opuscules sur la guerre des coins ; le financier de La Borde : Essai sur la musique ; Diderot, Ginguené. d’Alembert, l’abbé Mably ; Raguenet : Parallèle des Italiens et des français, en ce gui regarde ta musique et les opéras ; Lecerf de La Viéville : Comparaison de la musique italienne et de la musique française ; Duret de Moinvilie : Histoire de il’Académie royale de musique ; Mathon de La Cour, Grimio, Travenol, Luneau de Boisjermain, Framery,

Marmontel ; Rémond de Saint-Mard -.Réflexions sur l’opéra ; Suard, l’abbé Arnaud, Cazotte, le baron d’Holbach, Laharpe et beaucoup d’autres encore. Quelques faits particuliers, tels, par exemple, que l’arrivée des bouffons italiens à Paris en 1752, ou la guerre devenue célèbre des gluekistes et des piccinnistes, soulevèrent à eux seuls une multitude d’écrits de tout genre, en prose ou en vers, brochures, pamphlets, dont la musique faisait exclusivement les frais ; mais la plupart de ces opuscules, fort précieux d’ailleurs pour l’histoire de l’art musical au xviue siècle, ne contenaient que divagations pures, par la raison simple que ceux qui les avaient conçus, ne s’étant point donné la peine d’étudier préalablement le sujet qu’ils voulaient traiter, s’ébaudissaient à tort et à travers et parlaient pour ne rien dire. Or, si l’on doit tenir pour juste qu’un dilettante éclairé puisse émettre une opinion raisonnes sur une œuvre musicale quelconque, il n’en reste pas moins vrai qu’en matière de critique historique, philosophique et analytique, les hommes du métier doivent avoir le pas. La musique s’écarte très-sensiblement des autres branches de l’art, en ce sens que, procédant en même temps de l’inspiration et de la science, elle s’adresse tout à la fois à la raison et à l’imagination, à l’intelligence et à la sensibilité. On comprend donc qu’elle réclame une initiation tome particulière, et que le premier venu ne saurait être apte à en juger. Voilà, pourquoi, bien que les disputes musicales du dernier siècle aient été vives, violentes et prolongées, elles n’ont point abouti, et pourquoi la critique spéciale n’existait réellement point alors : l’éducation première manquait, et, partant, la solidité dans la discussion.

Aujourd’hui, il n’en est plus absolument de même, et si la critique musicale est encore confiée dans certains journaux a des hommes de lettres absolument ignorants des matières qu’ils sont appelés à traiter, et qui n’en parlent qu’avec plus d’aplomb, d’autres, doués d’un vrai talent et possesseurs d’une réelle autorité, entretiennent périodiquement le public de ces matières délicates et difficiles à bien connaître pour qui n’eu a pas fait l’objet spécial de ses études. Mais en dehors de ce qui se fait dans les journaux, un grand mouvement s’est opéré depuis un demi-siècle, et chaque jour il se publie sur la musique des travaux très-sérieux.

(Je mouvement a été provoqué par deux hommes qui se partagent la gloire et l’honneur d’avoir fondé en France la véritable littérature musicale : Castil-Blnze et M. Fétis. C’est à eux, à leur vigo.ueuse initiative, à leurs travaux nombreux et divers, à leur labeur incessant, que nous devons l’attention que le public insouciant à Uni par porter aux matières musicales, l’intérêt qu’il y a pris insensiblement et presque sans s’en apercevoir. Bien que ces deux écrivains soient fort loin d’être a. l’abri de tout reproche, il n’en est pas moins vrai que l’art et

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les artistes leur doivent être reconnaissants de leurs efforts, de la noblesse du but qu’ils se sont proposé, aussi bien que des résultats qu’ils ont su atteindre.

On doit à Castil-Blaze plusieurs ouvrages précieux à des titres divers, et fort inégaux quant au mérite. Les deux premiers : De l’opéra en France et le Dictionnaire de musique, sont excellents à presque tous les points de vue. Les autres, la Danse et les ballets, la Chapelle-musique des rois de France, Molière musicien, l’Académie impériale de musique, le Théâtre-Italien,’Art des vers lyriques, sont de beaucoup inférieurs aux précédents ; on y trouve cependant nombre de renseignements qu’il serait inutile de rechercher ailleurs. Quant à M. Fétis, il faut citer ses Curiosités musicales, sa Musique mise à la portée de tout le monde, et surtout l’ouvrage colossal intitulé : Biographie universelle des musiciens et Bibliographie générale de la 7>wsique, Trop peu soucieux de l’exactitude historique, M. Fétis, qui ne s’est pas donné la peine de corriger dans la seconde édition de cet ouvrage la dixième partie des erreurs contenues dans la première, a mérité les sévères et nombreuses critiques dont il s’est vu l’objet ; mais il n’en est pas moins vrai qu’on doit lui savoir gré du travail livré par lui au public, travail qui servira utilement de point de départ et de point d’appui à celui ou à ceux qui se sentiront le courage nécessaire pour entreprendre de le reconstruire —un jour.y

À la suite de Castil-Blaze et de M. Fétis, un petit bataillon de travailleurs sérieux et assidus entrèrent en lice et commencèrent à se livrer à des études littéraires et historiques, dont la musique était l’unique objet. Farmi ceux il faut citer Perne, Adrien de La Fage, Choron, Bottée de Toulmon, Anders, Mainzer, d’Artigue, Stendhal, qui ont publié de3 travaux intéressants et parfois fort étendus. Au nombre des historiens proprement dits, il nous faut mentionner M. de Goussemaker, si connu pour ses excellents ouvrages sur l’harmonie au moyen âge ; M. Théodore Nisard et ses études sur le chant grégorien ; M. A.-J.-H. Vincent, de l’Institut, auteur de travaux très-solides sur la musique grecque ; MM. F. Danjou et Stephen Morelot, qui ont fait en commun des recherches très-ardues sur la musique et le chant religieux ; M. Félix Clément, qui a publié deux ouvrages importants, une histoire de la musique religieuse et les Musiciens célèbres ; M. Labat et ses Études philosophiques et morales sur l’histoire de la musique ; M. Elwart, à qui l’on doit une Histoire de la Société des concerts et une Histoire des concerts populaires ; M. Lassabathie et son excellente Histoire du Conservatoire ; MM. Er. Thoinan, Malliot, Ch. Loisot, Gustave Bertrand, Georges Kastner, A. Thurner, Amédée Méreaux, Escudier frères, Ch.Soullier, Beaulieu, l’abbé Jouve, etc., etc.

Parmi les biographes, il faut signaler Halévy et ses élégantes notices lues à l’Institut ; Adolphe Adam, qui en a publié de charmantes dans le Constitutionnel ; Quatremère de Quincy et Raoul Rochette, qui ont fait comme Haie vy, mais avec un talent moins délicat ; MM. Henri Blaze : Meyerbeer, les Musiciens contemporains ; Ernouf : Beethoven, Schumann, Mendelssohn, Meyei-beer ; Azevedo : Rossini, Félicien David ; Arthur Pougin : BelUni, F. Haléoy écrivain, Wallace, Meyerbeer, etc. ; Er. Thoinan, de Gasperini, B. Jouvin, Léon Kreutzer, F. de Villars, Denne-Baron, Camille Selden, l’abbé Goschler, Albert Sowinski, Edmond Neukomm, etc., etc. Dans la critique, il nous faut au moins nommer Scudo, Uelécluze, Franck-Marie, Gustave Héquet, Édouard Monnais. MM. Hector Berlioz, Ernest Reyer, Albert de Lasalle, Johannès Weber, Maurice Bourges, Th. de Lajarte, Maurice Cristal, Paul Bernard, Oscar Comettant, Albert Vizentini, Armand Gouzien, Fr. Schwab, G. Bénédict, etc.

On voit que, si elle a tardé à se produire en France, la littérature musicale est en train de prendre sa revanche, car elle se fait remarquer depuis vingt ans, non-seulement par le nombre, mais aussi par la valeur, la variété et la solidité de ses produits. Elle est bien loin cependant d’être chez nous ce qu’elle est en Allemagne, où, chacun étant musicien, tout le monde est apte à discourir sur les choses de l’art. Aussi il faut voir les merveilleux travaux qui ont vu le jour de l’autre côté du Rhin sur les grands musiciens nationaux : Beethoven, Mozart, Haydn, Mendelssohn, Weber, Gluck, etc. Si nous n’en sommes pas là, néanmoins nous sommes supérieurs sous ce rapport à tous les autres pays, principalement à l’Italie, où les études littéraires relatives à la musique sont absolument nulles, et où l’on peut dire qu’elles n’existent point. Cela peut nous donner courage, d’autant que chez nous la voie est ouverte, et que nous y marchons résolument.

I. — Littérature générale.

Littérature (cours de), de Laharpe. V. LYCÉE,

Littérature (éléments de), par Marmontel (1784). L’art d’écrire et l’étude approfondie des divers genres de composition sont l’objet spécial de cet ouvrage, qui n’est, à proprement parler, qu’un cours de rhétorique. Marmontel y travailla pendant trente années ; l’ordre alphabétique adopté par lui nuit

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malheureusement à l’enchaînement des idées. « C’est dans les Éléments de littérature, dit M. de Barante, que Marmontel s’est montré avec le plus d’avantage. Les rhétoriques qu’on avait faites jusqu’alors avaient presque toujours porté sur les formes extérieures de l’éloquence et de la poésie, les avaient considérées comme des arts, et avaient recherché et indiqué des procédés, pour ainsi dire mécaniques, qui aidaient à les pratiquer. En général, les rhéteurs n’avaient guère songé à descendre plus avant ; ils n’avaient pas songé à chercher la liaison des divers mouvements du langage avec les mouvements

correspondants de l’âme, et avec toutes les circonstances où se trouvent celui qui parle et celui à qui l’on parle. Fénelon, dans les Dialogues et les Lettres sur l’éloquence, Montesquieu, dans l’Essai sur le goût, avaient indiqué cette route nouvelle : ils s’étaient occupés du sentiment auquel on doit les arts d « l’imagination, et non point des détails de leur pratique. L’abbé Dubos, dans les Réflexions sur la poésie et la peinture, avait suivi de même cette marche. Ce fut aussi celle de Marmontel ; il analysa avec discernement et finesse le genre de sentiment qui caractérise les différentes formes dont se revêtent les productions de l’esprit. Il rechercha les causes qui peuvent" influer sur ce sentiment et le modifier ; il ne s’attacha pas à des règles qui sont impuissantes à faire naître le talent ; il enseigna à sentir, à admirer les œuvres d’imagination, et non point à les comparer froidement avec le modèle prescrit par la rhétorique pour les juger d’après leur conformité plus ou moins exacte avec ce modèle. Tandis que les anciennes rhétoriques, au milieu de leur marche et de leur langage technique, n’apportaient à l’esprit aucune espèce de plaisir, Marmontel sut retracer dans son style les vives impressions que font eu nous les jouissances littéraires. Lire et admirer est, en effet, un sentiment ; comme les autres, il peut être fidèlement représenté. ■

Littérature (LETTRES SUR LA), par LeSSÎng

(iSOo), publication périodique-dans laquelle, sous le voile de l’anonyme, Lessing et Nicolaï se livraient à la critique de tout ce qui paraissait en Allemagne et à l’étranger. Les dix-neuf premières lettres, à l’exception de la sixième, sont de Lessing. C’est un ouvrage utile à consulter.

Littérature (DE La) considérée ilanti ses rapporta ar «  « les institutions sociale !  !, par

Mul<3 de StaBl (1800). L’auteur de ces considérations, se proposant la démonstration d’une frande vérité philosophique, la perfectibilité e l’espèce humaine, en voit la preuve dans le progrès incessant des lettres, qui ne sont que le reflet de chaque âge. Mme de Staël passe en revue les plus belles productions de l’esprit humain, depuis Homère jusqu’au commencement du xixe siècle, les ouvrages d’imagination et les écrits philosophiques, et elle essaye l’application de sa théorie. La philosophie des Grecs est au-dessous de celle des Romains, leurs imitateurs, et la philosophie moderne a sur celle des Romains la supériorité que deux mille ans de méditations de plus doivent assurer au génie de l’homme. Eminents par le goût simple et pur des beaux-arts, les Grecs ont à peine dressé l’échafaudage de l’édifice élevé d’âge en âge à la raison humaine. Une méthode, l’art de résumer, manquait aux philosophes de la Grèce ; Aristote est le seul qui ait mis l’esprit d’observation à la place de l’esprit de système.

Malheureusement, l’auteur trébuche dès qu’il aborde le vrai sujet de sa dissertation, puisque, en littérature, il lui faudrait prouver que la tragédie de Racine est supérieure à celle de Sophoche, et la Henriade meilleure que l’Iiiade et l’Odyssée. Les lettres, poésie, éloquence, histoire, ont atteint du premier coup en Grèce une hauteur qu’elles n ont pas dépassée. Ce n’est donc pas en opposant une à une des œuvres individuelles de divers temps, c’est en comparant entre elles les époques au point de vue de l’universalité des connaissances qu’on pourrait soutenir ta thèse de Mrae de Staël. On trouve, néanmoins, des aperçus ingénieux, des jugements justes, dans cette revue rapide d’une trentaine de siècles littéraires.

Littérature (cours de), par Frédéric Schlegel (1812). Dans un cadre assez étroit, l’auteur réunit des aperçus du premier ordre:il excelle dans l’art des rapprochements, et les parties les plus négligées ordinairement sont celles qu’il fait connaître le mieux. L’influence des littératures les unes sur les autres est constatée avec un rare talent, et nulle part ailleurs on n’apprend à mieux connaître les chants du Nord, la vieille poésie allemande, ou bien encore les troubadours du Midi. Frédéric Schlegel penche visiblement en faveur du moyen âge, et, à ce point de vue, son Cours de littérature, que Mme de Staël contribua surtout à l’aire connaître, doit être considéré comme le plus puissant initiateur du romantisme.

Lillérnture générale (COURS ANALYTIQUE DE), professé à l’Athénée de Paris par Népomucène Lemercier (1817, 3 vol. in-8 » ). C est un ouvrage fait avec soin, avec patience, et qu’on lit avec intérêt. Dans l’introduction de son livre, l’auteur présente des vues générales sur l’importance d’une analyse exacte

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flans tous les genres de la littérature ; il s’occupe donc, en premier lieu, de l’origine des belles-lettres, de leurs moyens ou procédés, de leur fin. Il établit que la littérature a, comme les sciences, ses classifications, ses genres, ses espèces, ayant chacun ses divisions, ses subdivisions, et que l’ensemble des qualités et des conditions qui les constituent en est la synthèse. Fidèle à ce point de vue, M. Lemercier a adopté, non pas la classification par ordre alphabétique, comme Marmontel, mais la division par genres. Il s’est efforcé de délimiter chacun deux, d’en marquer l’origine, le caractère et le perfectionnement ; de distinguer les espèces qui en dérivent et de les ranger à leur suite ; de classer ensuite ceux des genres primitifs qui ne peuvent rentrer dans aucun autre, etc. Cette méthode critique est nette, claire, mais il est à peine possible de suivre la filiation des esprits, filiation que l’ordre historique ou chronologique met seul sous les yeux. Le premier volume du cours est consacré à la tragédie, que l’auteur poursuit dans toutes ses transformations, depuis Eschyle ; le second est

consacré à la comédie, étudiée au même point de vue ; le troisième s’occupe de l’épopée héroïque et badine, de la poésie-lyrique et des divers genres inférieurs.

Littérature et philosophie mêlées, par Victor Hugo (1834, 2 vol. in-8°). Simple recueil d’articles déjà publiés, cet ouvrage n’a pas l’importance des autres œuvres du grand poète ; il est curieux cependant en ce qu’il permet de suivre la marche de ses idées eu littérature et en politique. Les premières pages sont d’un vendéen, les suivantes d un bonapartiste, les dernières d’un républicain. Comme forme, on trouve d’abord du classique pur, des imitations de J.-B. Rousseau ; puis, peu à peu, le vieux moule se brise et un style tout neuf apparaît. L’auteur avait dix-sept ans lorsqu’il signait les premiers articles du recueil, et trente-deux lorsqu’il publiait les derniers. Dans l’intervalle, il avait écrit les Odes et ballades, les Orientales et Notre-Dame de Paris, ce qui explique la transformation.

La préface dont V. Hugo a fait précéder ses deux volumes, en 1834, est sévère, trop sévère même ; il appelle l’indulgence sur des convictions de jeunesse et s’en moque spirituellement. Ces ardeurs d’un jeune enthousiaste ont pour nous des charmes, et nous les lisons avec autant de plaisir que des pages d’autobiographie. Elles sont plus vraies et plus sincères que celles qu’écrivent d’ordinaire, sur leur jeunesse, les hommes célèbres lorsqu’ils sont arrivés à l’âge mûr.

Dans le Journal des opinions et des lectures d’un jeune jacobite de 1829, qui compose le premier tiers du volume, V. Hugo se montre tel qu’il était au sortir des écoles ; le novateur de l’avenir en est encore aux idées les plus rétrogrades en littérature et en politique ; sa poésie est aussi pauvre que sa critique ; de petits vers badins, dans le goût de Dorât, et, en prose, des déclamations furibondes contre la Révolution sont ses thèmes ordinaires. Cependant, il faut noter une page excellente sur les Méditations de Lamartine, qui venaient de paraître, et une autre, non moins bonne, Sur André Chénier ; tout en étant, par impuissance juvénile, un royaliste voltairien, V. Hugo pressentait la poésie nouvelle, dont il allait bientôt être le grand prêtre, et il la saluait au passage, dans ses précurseurs. Le Journal d’un révolutionnaire de 1830 donne la contre-partie du Journal d’un jacobite. En écrivant ces pages, Hugo avait déjà derrière lui la préface de Cromwell et les beaux drames de Marioix Delorme et de Hernani; c’est toute une transfiguration. Il était revenu du classique et écrivait:• Les autres peuples disent Homère, Dante, Shakspeare ; nous disons Boileaul ■ En politique, il était bien loin de la Vendée; il disait:« La république, qui n’est pas encore mûre, mais qui aura l’Europe dans un siècle, c’est la société souveraine de la société ; se protégeant, garde nationale ; se jugeant, jury ; s administrant, commune ; se gouvernant, collège électoral. » Un ingénieux article sur Voltaire et de magnifiques pages sur Mirabeau sont la conclusion de cette seconde partie. V. Hugo n’écrirait certainement plus aujourd’hui ce qu’il écrivait alors sur Voltoire et l’Encyclopédie, « ouvrage, dit-il, où des hommes qui avaient voulu prouver leur force ne N prouvèrent que leur faibiesse; » mais le portrait de Mirabeau reste un des plus beaux morceaux qui soient sortis de cette plume puissante et maîtresse d’elle-même.

V. Hugo a fait précéder de ces lignes la dernière édition de la Littérature et philosophie mêlées :

■ S’il est vrai que Murât aurait pu montrer avec quelque orgueil, à côté de son sceptre de roi, son fouet de postillon et dire : « Je suis parti de làl • c’est avec un orgueil plus légitime, certes, et avec une conscience plus satisfaite qu’on peut montrer ses odes royalistes d’enfant et d’adolescent à côté des poèmes et des livres démocratiques de l’homme fait ; cette fierté est permise, nous le pensons, surtout lorsque, l’ascension faite on a trouvé au sommet de l’échelle de lumière la proscription et qu’on peut dater cette préface de l’exil. ■ (Jersey, juillet 1853.)

Littérature (LETTRES SUR LA), par Alfred

de Musset (1838). CesLetlres, signées Dupuis et Cotonet, parurent dans)a Revue des Deux-Mondes. Elles firent presque scandale, lorsqu’on y vit la rupture d’Alfred de Musset avec les chefs du romantisme ; en somme, elles sont ingénieuses et spirituelles, mais elles marquent le déclin littéraire de leur auteur. Dupuis et Cotonet, deux amusants bourgeois de La Ferté-sous-Jouarre, entendent prononcer les noms de romantique et à’humanitaire. « Qu’est-ce qu’un humanitaire ? Qu’est-ce qu’un romantique ? » Ils interrogent tour à tour le sous-préfet, qui a lu les Vêpres siciliennes ; M. Dueoudray, le magistrat, qui a fait cadeau à M™e Dueoudray des Méditations, bien reliées ; et M<ac Gavart, classique entêtée, qui brûla un jour ses marabouts en défendant l’abbé Delille. Les explications qu’on leur donne n’expliquent rien. Les deux amis consultent donc l’oracle de Delphes ; ils soumettent le cas ks.Iteouedes Deux-Mondes. Bientôt ils ont appris qu’il y a un romantisme ne parlant que de pittoresque, de poésiepaysage, d’an ogival ; puis un autre, ennemi des trois unités, et qui criait : > Shakspeare fait voyager les gens de Rome à Londres et d’Athènes à Alexandrie en un quart d’heure ; ses héros vivent dix ou vingt ans dans un entr’acte ; ses héroïnes, anges de vertu pendant toute une scène, n’ont qu’a passer dans la coulisse pour reparaître mariées, adultères, veuves et grand’inères. Voilà le romantique. Sophocle, au contraire, fait asseoir Œdipe sur un rocher dès le commencement de la tragédie ; tous les personnages viennent le trouver l’un après l’autre. Lo chœur est là ; et si quelque chose cloche, s’il y a un geste obscur, il l’explique ; ce qui s’est passé, il le raconte ; ce qui se passe, il le commente ; ce qui va se passer, il le prédit : bref, il est dans la tragédie grecque ce qu’est une note de M. Aimé Martin au bas d’une page de Molière. Voilà le classique. • Un troisième personnage disait : « Regardez-moi, je suis Je drame, c’est-à-dire un prêtre respectable, vêtu de blanc et de noir, riant d’un œil et pleurant de l’autre ; ugitaot d’une main un poignard et de l’outra une marotte. C’est moi ’qui, après des siècles, ai marié le comique et le tragique, séparés jusqu’ici par une ineom Fatibiiitê ; d’humeur, et le romantisme est enfant nouveau-né de cette union. » Tout cela est, sans contredit, très-spirituel. Faites juger le Discours de La méthode, de Descartes, par un marchand de fromages, et la Mécanique céleste, de Laplace, par un bonnetier de la rue Saint-Denis, ils trouveront à dire des choses très-divertissantes, et les ignorants applaudiront. C’est le suffrage qu’ambitionnait sans doute Alfred de Musset ; il l’a obtenu. Il a dépensé dans ces Lettres beaucoup de verve ; mais il en avait mis bien davantage dans les Contes d’Espagne et d’Italie.

Littérature et de morale {ESSAIS DE), par M. Saint-Marc Girardin (1845, 2 vol. in-so). Les sujets les plus variés se succèdent dans ces deux volumes. Si l’on met à part un Eloye de Botsuet, couronné en 1827 par l’Académie française, le discours de réception de l’auteur (sur Campeuon), auquel V. Hugo répondit, ainsi que ues extraits des leçons d’ouverture de la Sorbonue, ces Essais ne sont guère que des articles de journaux, la plupart publiés dans le Journal des Débats, de 1824 à 18*4. Dans un travail bien déduit, l’auteur expose l’état du théâtre à la fin du xyme siècle, apprécie Beaumarchais, Collin d’Harleville et Fabre d’Eglantine, exhume une spirituelle comédie politique, lu Cour plénière, dirigée contre le parlement Maupeou parle président Duveyrier, et complète ce tableau piquant par des considérations sur la comédie historique (Aristophane, Lemercier et autres). Parmi les portraits littéraires et politiques, on trouve ceux de La Fayette, de Washington, de P.-L. Courier, de Silvio Pellico, de Lacretelle, de Napoléon, du prétendant Charles-Édouard, de Perse. Parmi les essais se rattachant à l’histoire religieuse, on remarque les fragments sur les Confessions de saint Augustin, sur la Thébaïde et sur saint Antoine, les Homélies de saint Chrysostome sur la Genèse, les liturgies, les livres apocryphes des premiers siècles de l’Église ; et parmi les mélanges de morale, des fragments sur le mariage, la profession d’homme de lettres, etc. Les Lettres sur les États-Unis, du prince Achille Murât, lui ont inspiré une intéressante étude de mœurs. L’auteur traite ensuite de quelques Sujets d’histoire politique : l’unité de l’Europe, la guerre d’Espagne de 1823, les vicissitudes de Florence, la chate des Abbassides, les journaux chez les Romains. Quelques études littéraires fort courtes et peu importantes, forment l’arrière-garde de ces Essais.

La succession bizarre des titres que nous venons d’énumérer montre assez quelle est la confusion de l’ouvrage. Dans tous ces petits traités, l’auteur, qui était un assez tin critique avant d’être l’homme politique que nous connaissons, montre un esprit prompt, railleur, agréable parfois ; mais il ne dédaigne pas assez le lieu commun. Ses aperçus sont plus justes que nouveaux, et l’élémentaire bon sens est sou domaine, bien plus que la force et l’originalité de la peusée. Ces choses-là sont lettres closes pour M. Saint-Marc Girardin.

Littérature (COURS de), par M. Géruzez (1849, in- » o). Destiné à la jeunesse des écoles et spécialement aux futurs bacheliers, ce pe LITT

tit ouvrage n’est qu’un manuel ; il a toute sa valeur dans la rapidité des vues d’ensemble. Deux parties distinctes le composent : la première est consacrée à la poésie et à la rhétorique ; la seconde offre l’abrégé de l’histoire des littératures grecque, romaine et française. La première partie, où chaque genre est étudié à part, suivi dans ses développements et accompagné des règles, a

donc pour complément la seconde, où l’on retrouve les mêmes noms et les mêmes œuvres des grands auteurs, étudiés cette fois d’après la liliation chronologique. Ce plan est très-satisfaisant. Utile aux jeunes gens, comme préparation aux examens littéraires, il peut encore servir plus tard, lorsqu’on veut embrasser d’un coup d’œil le développement des trois grandes littératures, au point de vue classique. La longue série d’œuvres remarquables dont elles se composent est énumérée avec ordre ; quelques lignes d’appréciations, une date, une concordance établie entre deux auteurs suffisent pour aider la mémoire dans ce classement difficile. Les dernières éditions offrent des traces de suppressions puériles exigées par l’Université ; M. Géruzez avait trop laissé voir qu’il apprécie les efforts tentés, dans la poésie et dans le style, par les écoles modernes. De par le conseil supérieur de l’instruction publique, défense lui a été faite de laisser soupçonner qu’il y avait des postes dramatiques depuis Collin d’Harleville, et des lyriques depuis J.-B. Rousseau.

Littérature » ancienne ! et moderne ! (TA-BLEAU synoptique des), par A. Timoni (1856, 2 vol. in-16). Si ce tableau était bien fait, 1 ouvrage serait d’une utilité incomparable. L’auteur a suivi la division par genres, c’est-à-dire qu’il étudie l’histoire depuis Hérodote jusqu’à Robertson, et l’épopée depuis leiîamayana jusqu’à la Henriade, en passant par tous les anneaux intermédiaires. Ce que ce plan a de défectueux, au point de vue de la reconstitution, rendue ainsi impossible, d’une littérature dans son ensemble, l’auteur le rachète par la variété de ses recherches. Il ne s’est pas contenté du tableau des littératures anciennes, additionnées d’une ou deux littératures modernes, il a voulu les suivre toutes : sanscrite, grecque, hébraïque, latine, gallique, slave, française, italienne, espagnole, portugaise, allemande, anglaise, polonaise, russe, hollandaise, danoise, etc. ; on y trouve même des extraits d’auteurs chinois, péruviens, persans, valaques, turcs, etc. Ce plan, pour être rempli, demandait la plus vaste érudition, et nous craignons fort que l’auteur n’ait entrepris au delà de ses forces. Nous n’avons pu, avouons-le à notre confusion, vérifier l’exactitude de ses traductions arabes, chinoises ou même valaques, mais il y a dans ses citations d’auteurs espagnols d’abominables contre-sens. Voyez, p. 114, t. II, comment M. Timoni traduit la belle ode de Luis de Léon, la Prophétie du Tage ; c’est à faire dresser les cheveux. De plus, il nous donne comme une élégie russe de Ghniéditsch la Jeune Tarentine d’André Chénier.

Littérature (couks familier de), par Lamartine (1856 et années suivantes, in-8°). Cette dernière œuvre du grand poète, entreprise pour faire face à des besoins financiers que la France n’avait pas su lui épargner, s’est ressentie de la hâte à laquelle obéissait l’écrivain ; en bien des points l’improvisation remplace l’étude, l’intuition supplée aux recherches ; mais l’improvisation et l’intuition sont des qualités tellement personnelles à Lamartine, il sait en tirer de si merveilleux résultats qu’à peine a-t-on lieu de le regretter. Toujours créateur et personnel, le poëte a moins fait une œuvre de critique qu’une œuvre d’art ; envisagée de si haut, la critique, en effet, change de nom et devient création.

Nulle méthode n’a présidé au choix des matières ou "à leur classement. Ce Cours de littérature, causerie familière d’un homme qui a vécu avec tous les modèles, mais qui les a plutôt devinés qu’approfondis, n’a rien de didactique, pas même la forme. Il se compose d’études séparées, embrassant les sujets les plus divers, transportant l’esprit des civilisations les plus éloignées à l’époque contemporaine, et passant de3 épopées iudoues

à l’analyse des Contes d’Espagne et d’Italie. Quelques erreurs, quelques omissions n’enlèvent rien à ce monument improvisé par un homme d’un grand talent, qui devine et traduit en voyant, là même où les recherches de l’érudition lui font défaut. Sujets littéraires, religieux, historiques ; civilisations, systèmes philosophiques ; la nature et les arts, toutes les créations, toutes les formes de la pensée et de la matière semblent être du domaine de l’écrivain, dont la parole large et magnifique interprète tour à tour Homère et Shakspeare, Dante et Milton, Colomb et Guteiiberg, Fônelon et Bossuet, Raphaël et David, Pergolèse et Mozart, le inonde et l’humanité.

Vue ainsi de haut, la critique a ses inconvénients ; en voulant caractériser d’un mot ou d’une phrase toute une époque, tout un personnage, on risque quelquefois d’être injuste. Mais Lamartine a souvent le mot heureux, quand un parti pris ne l’aveugle pas à l’avance. Ainsi il y a du vrai dans sa définition de Lamennais:n un agitateur de style, » et dans celle de Sainte-Beuve ; > un ento LITT

mologisto qui étudie les grands hommes à la loupe ; » Michelet est appelé le « Shakspeare de l’histoire ; » Bossuet, la ■ personnification de la prose brusque, • et Fénelon, celle « de la prose molle. » Si Lamartine s’en était tenu à ces aperçus vagues, il aurait encouru le reproche, que lui adressa Gustave Planche, de viser plutôt à faire des mots sonores qu’à dire des choses utiles ; mais les considérations élevées dont il accompagné ces définitions, trop rapides pour être complètes, rachètent bien ce défaut léger. Le poëte a des aperçus soudains qui illuminent la discussion ; au rebours de l’investigation patjente qui, par l’analyse du détail, arrive peu à peu à formuler un jugement d’ensemble, c’est de la vue d’ensemble que Lamartine éclaire successivement toutes les parties de l’homme ou de l’œuvre qu’il étudie. Aussi ce Cours de littérature n’est-il fructueux que pour l’esprit déjà imbu de connaissances préalables, et pouvant rectifier de lui-même ce que produit de défectueux la rapidité du coup dœil de l’auteur.

À la suite de ces ouvrages, nous nous contenterons de mentionner le Tableau de la littérature ancienne et moderne, étrangère et nationale, de l’abbé de La Porte (1777, 4 vol. in-12), ouvrage judicieux, mais passé de mode ; le Tableau historique des littératures anciennes et modernes, de Camille Tuiles (1827, gr. in-32) ; les Leçons de littérature comparée, de J.-C. Génin (1841, in-8û) ; les Étudesde littératures comparées, de Philarète Chasles (1840 et ann. suiv., 12 vol. in-8u), excellente suite d’ouvrages ; la plupart des études qui la composent ont leur compte rendu spécial dans le Grand Dictionnaire.

II. — Littératures particulières.

Littérature grecque (HISTOIRE DE Là), par

Schœll (1825, 8 vol. in-S » ). La première édition de cet excellent ouvrage parut en 1813 (2 vol. in-8°); un des volumes était consacré à la littérature grecque proprement dite, et l’autre à la littérature sacrée. L’ouvrage obtint un grand et légitime succès. Schœll, y travaillant sans cesse, lui donna plus de développements, et il devint ce qu’il est aujourd’hui, le plus vaste monument élevé à la gloire des lettres grecques. Le volume consacré à la littérature des Évangiles et des Pères de l’Église manque à l’ouvrage en huit volumes. Mais rien n’empêche de le considérer comme un neuvième coma, et nous imiterons en cela les bibliographes et les traducteurs. Voici le plan suivi par l’auteur : établir une classification raisonnée des livres grecs, exposer sommairement l’histoire des auteurs, faire connaître le genre de leurs ouvrages, apprécier le mérite de chacun, chercher riufltience que l’esprit de la nation grecque a eue sur ces productions, discuter les points critiques, littéraires et historiques restés douteux, réunir enfin la bibliographie à la partie historique, mais en la laissant séparée de la narration. Ce plan a été parfaitement rempli. L’auteur divise en six périodes l’histoire de la littérature grecque : la première comprend les temps fabuleux et finit avec la prise de Troie (xuia siècle av. J.-C). La seconde s’étend depuis l’année 1270 avant notre ère jusqu’à l’archontat de Solon, en 594 : les poèmes d’Hésiode et d’Homère se trouvent dans cette série. La troisième période s’arrête à l’avènement d’Alexandre (335 avant J.-C.) ; c’est l’âge d’or de la littérature grecque : poBtes, historiens, philosophes, orateurs forment l’immortel cortège de Périclès. La quatrième finit à la conquête de la Grèce par les Romains (146 av. J.-C) ; l’Égypte devient le foyer des lettres grecques ; Alexandrie, le nouveau centre de la civilisation, fait pâlir Athènes. Mais l’érudition tient la place du génie : la liberté pouvait seule enfanter les chefs-d’œuvre vainement attendus. Il est vrai que les sciences mathématiques et expérimentales prennent un essor prodigieux.

Dans la cinquième période, qui s’étend jusqu’à l’avènement de Constantin (306), la littérature grecque s’éclipse devant.celle des Romains, laquelle s’éteint presque avec Trajan. Dans la sixième période, dont le tea’ine est la prise de Coustantiuople par Mahomet II (1453), quelques signes de vie signalent à peine l’existence d’une littérature agonisante.

La méthode qu’il a suivie amène dans le cadre de son Histoire des sujets qui n’appartiennent pas à ce que nous appelons en

France littérature ; mais on Allemagne et en Angleterre on étend la signification de ce mot. C’est pourquoi l’auteur parle des ouvrages de géographie, de médecine, de jurisprudence, etc., ouvrages qui méritent, en effet, une mention ou une étude. Dans le dernier livre, il fait un historique d’un très-haut intérêt.’ Il montre comment la littérature grecque a été connue en Occident.

Le volume complémentaire, traitant de la littérature sacrée et ecclésiastique, introduit le lecteur dans un autre monde moral. Il est ici question des livres, authentiques ou apocryphes, de l’Ancien et du Nouveau Testament, originairement écrits en grec. Au sujet des Évangiles et des évangélistes, Schœll établit une controverse dans laquelle M. Renan a trouvé une érudition toute faite pour la thèse de son introduction à la Vie de Jésus.

L’ouvrage de Schœll, qui a mis à profit tous les travaux de la philologie allemande, est d’une grande valeur et d’une utilité fré LITT

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quente. La partie bibliographique contient d’excellentes indications, bien que l’auteur lui-même y ait relevé quelques inexactitudes.

Littérature grecque (HISTOIRE DE LA), par

Ottfried Millier (en allemand, 1840, 2 vol. in-S » ; traduction française par M, Hillebrand, 1866, 2 vol. in-8°). Ottfried Mùller avait formé le projet de donner une histoire complète de cette littérature, de laquelle toutes les littérature ? modernes sont sorties. La mort ne lui a permis de réaliser que la moitié de son dessein, et il s’est arrêté à l’époque d’Alexandre ! e Grand. C’est un Anglais, M. Donaldson, qui l’a continuée en 1858. La pensée dominante d’Ottfried Millier est que la civilisation grecque, dans toutes ses parties, est absolument originale, née spontanément du sol, et qu’elle ne doit rien à l’Orient, à l’Inde. Ce point de vue, que Mùller partageait avec Wolf, Niebuhr et Boeckh contre Creuzer, Voss et Lobeck, a été reconnu entièrement faux ; les études sanscrites ont prouvé que tout, en Grèce, civilisation, mœurs, mythologie, langue, était enté sur l’Inde, et que les Urecs s’étaient bornés à une assimilation parfaite. Il en résulte que Ottfried Millier a dépensé la plus grande partie de son talent à essayer de couler à fond ce qui était la vérité, et que la loi du développement hellénique, but principal de son ouvrage, ne peut être formulée qu’en dehors de lui. Les temps primitifs, Orphée, Hésiode, Homère même, qui sont éclairés d’un jour si vif par les Védas, sont restés lettres closes pour lui, par suite de son aveuglement voulu. Mais toute la période classique est traitée de main de maître avec une remarquable solidité. Lès tragiques surtout sont étudiés à un point de vue tout nouveau, au point do vue

Psychologique, en tenant moins compte de la eauté de la forme que des sentiments qui devaient animer, dans chaque circonstance, et le personnage qui parle, et le poète qui lo fait parler. Le sentiment de l’antique n’a jamais été aussi vivement rendu.

« Ce qui frappe le plus dans cet ouvrage, a dit le traducteur, M. Hillebrand, c’est d’y voir réunies des qualités presque opposées et qui trop souvent s excluent. Un enthousiasme qui se communique et un sentiment poétique des plus délicats uniment les investigations les plus arides en apparence, et s’allient naturellement au procédé le plus sévèrement

méthodique que l’on puisse désirer. Les études de détail ne font jamais perdre de vue la portée de l’ensemble, et les idées générales, loin d’être étouffées par la masse et la minutie des recherches spéciales, leur communiquent, parce qu’on les sent toujours présentes, une vie supérieure. »

La traduction.française, donnée par M. Hillebrand, est précédée d’une longue étude sur Ottfried Mùller et l’école historique de la philologie allemande. Cette introduction est fort instructive ; elle embrasse tout le mouvement de la philologie allemande depuis cinquante ans, et contient une foule de détails peu connus en Franco. La traduction est une translation respectueuse du texte original. Des noies complémentaires et un Index enrichissent ce travail, qui a fait passer dans notre langue une œuvre véritablement célèbre en Allemagne, eu Angleterre et en Italie. La traduction anglaise, publiée en IS40, avant l’ouvrage original, ne le reproduit pas fidèlement ; la traduction italienne, de M. Ferrat (Florence, 1858), jouit d’une grande estime.

Littérature grecque (HISTOIRE DE L/i), par

Alexis Piorrou (1850, in-lS). Sous la forme d’un simple résumé, cot ouvrage donne plus qu’il ne promet ; les vues d’ensemble, quoique rapides, permettent de pénétrer dans les détails principaux. Se contentant d’énumérer et d’apprécier d’un mot les auteurs de second ordre, M. Pierron a pu donner plus do place aux illustres génies de la race hellénique. Chaque grand nom, chaque.genre, chaque période est l’objet d’une étude attentive. Son livre finit avec Proclus ot l’école d’Athènes, dernier rayon des lettres grecques profanes. M. Pierron laisse de côtelés Pères de l’Église, « parce que, dit-il, ils ont, surtout ceux du iv<= siècle, le droit de revendiquer une place considérable, et que ce serait leur manquer de respect de les faire figurer dans un uppendice à l’histoire de la littérature profane. » Ce n’est donc que cette dernière qu’il a entendu traiter, et l’ordre qu’il a suivi est l’ordre chronologique. Il a gardé une juste proportion entre les hommes de génie et le menu peuple des hommes de talent ; il s’est efforcé de recueillir les reliques de quelques poètes mutilés par le temps ; mais ce qui, à nos yeux, fait le principal mérite de son ouvrage, c’est qu’il procède moins par dissertations que par citations. Elles sont nombreuses et généralement bien choisies. Les appréciations sont justes et modérées et dénotent une indépendance que l’on aiine à constater chez un universitaire. Par exemple, l’empereur Julien est, chez lui, replacé dans son véritable jour de guerrier illustre, d’écrivain de génie et de véritable sage, au lieu d’être relégué dans l’ombre avec le surnom flétrissant d’apostat. C’est une réhabilitation courageuse et équitable.

Pour les origines du génie grec, M. Alexis. Pierron à Suivi trop fidèlement Ottfried Mùller, qui l’a égaré ; on lui a même reproché de n’avoir fait qu’une réduction de l’œuvre allemande. M. Pierron s’en est défendu avec raison. Il a fait une œuvre qui lui appartient en propre, tant pour le plan que pour les développements, et il ne pouvait lui être interdit de profiter, pour un travail de cette nature, des grands ouvrages de ses devanciers.

Littérature ancienne (mÉMOIRIÎS DE), par M. Egger (1862, in-8°). C est surtout de littérature grecque que l’auteur s’occupe dans ce recueil, composé d’études diverses, remarquables par leur érudition. M. Egger est un chercheur, et ce sont les coins ignorés qu’il aime à mettre en lumière. La liste des cha Îlitres donnera une idée suffisante de la vaeur du livre : 1" Aperçu général de la littérature grecque ; ï » Du nouvel esprit de la critique en matière de littérature grecque ; 3° Conclusions sur les poèmes homériques ; 4° Aristarque ; 5° Des traductions d’Homère ; 6° Des livres attribués à Homère ; 7° De la philosophie et des postes gnomiques ; 8° Des origines de la prose dans la littérature grecque ; 9° Introduction à l’étude des historiens grecs ; 10° Si les Athéniens ont connu la profession d’avocat ; 11° Sur la collection des frugments des orateurs romains, avec quelques observations sur les fragments des orateurs attiques ; lgo Aperçu de critique sur le théâtre grec ; 13° Esquisse d’une introduction à l’histoire de la littérature grecque durant le siècle d’Auguste ; 140 Examen des fables de Babrius.

Littérature romaine (HISTOIRE DE LA), par Schœll (1815, 4 vol. in-8°). Ce grand ouvrage est le pendant de la Littérature grecque, du même auteur, et reste un des monuments’ philologiques et historiques les plus remarquables du siècle. Tout en suivant un ordre méthodique rigoureux, Schœll a intercalé dans sou ouvrage une masse de dissertations précieuses sur tous les points de détail sujets à contestation et éclairé les faits les plus obscurs avec le soin méticuleux, qu’apporte à ces sortes d’investigations l’école historique allemande. L’ouvrage est divisé en six périodes, que Schœll, assez puérilement, assimile aux âges de l’humanité:l’âge d’or, l’âge d’argent, l’âge de fer, etc. La première comfirend l’histoire de la littérature latine depuis a fondation de Rome jusqu’à la fin de la seconde guerre punique, 841 av. J.-C, en tout un espace de cinq cent treize années. Malheureusement, l’absence de documents ne

permet pas d’étudier sérieusement cette longue période. On n’en a conservé, en effet, que quelques phrases se rattachant à des poèmes épiques, des inscriptions et d’assez nombreux fragments de la loi des Douze-Tables. La seconde période va jusqu’à la mort de Sylla, 78 av. J.-C. Schœll trouve ici de nombreux sujets d’étude ; c’est là que la satire apparaît avec Lucilius, le poSme épique régulier avec Ennius, utilisé par Virgile. Piaute et Térence écrivent leurs comédies, Fabius Pictor son histoire ; Caton l’Ancien, les deux Gracques, Licinius Crassus et Marc-Antoine prononcent des discours restés célèbres parmi les contemporains de Cicéron. C’est aussi à cette époque que la philosophie fait, avec Pythagore, son entrée en Italie. La troisième période n’embrasse qu’un seul siècle ; mais c’est le siècle d’Auguste, l’âge d’or de la littérature romaine. C’est incontestablement ta partie la plus remarquable de son œuvre. Nulle part les grands écrivains latins n’ont été mieux appréciés. Les chapitres consacrés à Cicéron et Virgile dénotent une profonde connaissance de l’antiquité, et en outre une puissance de style qui s’élève, à de certains moments, jusqu à l’éloquence. Schœll appelle âge d’argent la quatrième époque, qui s’étend depuis la mort d Auguste jusqu’au règne d’Adrien, de 14 ans ap, J.-C. jusqu’en l’année 117. Elle commence avec Perse, Juvénal et Sénèque, et finit avec Pline, Quintilien et Tacite. La cinquième période part de l’année 117 et va jusqu’à la fin de la littérature latine. Schœll a fait précéder chacune des cinq périodes de son Histoire abrégée de ta littérature latine d’une introduction, ou plutôt de dissertations historiques qui servent à relier entre elles les différentes parties de son livre. La première formerait à elle seule un ouvrage des plus importants. Elle traite de l’origine de la population de l’Italie et de l’origine de la langue latine, menant de front une question géographique et une question philologique, qui se compliquent et s’éclairent réciproquement. Il élucide de même la période assez obscure qui marque la fin des lettres latines, dans une curieuse dissertation sur les dignités des empires d’Orient et d’Occident au ve siècle ; c’est un tableau complet de la civilisation à la fois romaine et barbare de cette époque.

Littérature romaine (HISTOIRE DU LA), pal’

M. Alexis Pierron (1852, in-18). Comme le précédent, ce livre est le corollaire du Précis de littérature grecque, du même auteur ; il est fait sur le même plan et dans le même but. M. Pierron a pu s’étendre un peu davantage, la littérature latine n’ayant guère que sept siècles d’existence, contre les quinze siècles de la littérature grecque ; il a de même réservé toutes les lettres sacrées. L’idée dominante du livre est que, sans la littérature grecque, il n’y aurait point eu de littérature latine, et elle est bien développée. M. Pierron en donne pour preuve cinq siècles entiers, les cinq premiers siècles de Rome, au travers desquels il est impossible de rien

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apercevoir qui mérite le titre d’œuvre littéraire, ni de relever un nom, un seul nom de poète ou de prosateur. L’éloquence elle-même, en dépit des institutions qui semblaient la provoquer à grandir, reste dans les langes jusqu’au moment où les hommes d’État romains commencent à lire Eschine et Démosthène.

M. Pierron « a dépouillé, dit-il, autant qu’il était en lui, toute prétention littéraire et toute pédanterie, cherchant, non pas à se faire admirer, maïs à faire admirer avec lui les chefs-d’œuvre de la langue latine. » Il a fait, en somme, un excellent résumé, un livre qui peut servir de guide sûr dans.l’étude des origines et des développements de cette littérature ; mais c’est dans d’autres ouvrages, dans celui de Schœll, par exemple, qu’il taut les suivre, pour en avoir l’idée complète.

Littérature du midi de 1 Europe, par SlS mondi (1812, 4 vol. in-8°). Un cours public, professé à Genève en 1811, sur la littérature des peuples méridionaux, a donné matière à cet excellent livre, qui ouvrit des horizons nouveaux sur une période littéraire presque ignorée et poussa les érudits à l’étude des langues romanes.

Les littératures provençale, italienne, espagnole, portugaise, issues de la grande souche latine, se sont développées sous des conditions différentes ; elles ont des ressemblances de forme et des particularités caractéristiques ; elles ont une originalité propre et des éléments d’emprunt. En soumettant à des analyses habiles les monuments de cette culture poétique, qui marquent des phrases successives du moyen âge, Sismondi a considéré chacune des littératures méridionales dans ses rapports avec l’histoire politique et religieuse de la nation qui l’a produite.

Sismondi reconnaît comme classiques, c’est-à-dire comme dignes d’examen et de critique, toutes les littératures, au rebours des érudits de l’Empire, qui ne reconnaissaient ce titre qu’aux littératures grecque et romaine, et des poètes qui s’exténuaient à copier des formes usées. C’est aux sources mêmes du vieux français, à notre ancienne littérature nationale tombée en discrédit, qu’il essayait, dans ce livre, de nous ramener, ainsi qu’à.l’étude des littératures sœurs de la nôtre.

Frappé de l’épuisement dans lequel se mourait la littérature française du xvme siècle, il veut démontrer aux poètes et aux critiques que l’étude des littératures étrangères offre des ressources nouvelles aux hommes de talent ; et il importe de remarquer que les productions littéraires du nord et du midi de l’Europe étaient pour la plupart ignorées, et quelques autres mal appréciées. Il ne veut pas seulement qu’on cherche dans les littératures étrangères des matériaux et des inspirations, mais encore qu’on y puise des

principes et des règles. Il veut, avant tout, que chaque peuple écrive et pense d’après lui-même.

Excellent dans son but et dans son ensemble, l’ouvrage de Sismondi pèche par quelques erreurs, dues surtout au peu d’avancement des sciences philologiques, au moment où il l’entreprit. Deux chapitres, le vue et le vme, sont consacrés au roman wallon ou à la langue d’oïl. Ces chapitres, qui nous intéressent plus directement comme se rapportant à l’origine de notre langue, sont ceux qui ont été le moins épargnés par la critique moderne. Une analyse plus profonde de la langue et de l’épopée des trouvères a démontré, dans l’une et dans l’autre, l’existence d’éléments celtiques, dont Sismondi niait la présence. Les chapitres bien plus importants où il traite de Dante, de Pétrarque et de la poésie provençale restent à peu près inattaquables.

Littérature française avant le *ue siècle

(histoire db la), pur J.-J. Ampère. V. France (Histoire littéraire de la).

Littérature française au moyen âge (TA-BLEAU db la), par Villemain (1840,’2 vol. in-18), un des principaux ouvrages du célèbre critique. Reprenant la thèse de Sismondi, mais sous une forme littéraire beaucoup plus élevée, Villemain a limité son sujet aux peuples de l’Europe latine; toutefois, aux trois contrées que la civilisation romaine a particulièrement pénétrées, la France, l’Italie et l’Espagne, il a réuni l’Angleterre, dont l’idiome est mixte comme le génie. L’Europe chrétienne, l’Europe littéraire du moyen âge renfermait d’autres peuples ayant déjà une poésie populaire, l’Allemagne et la Scandinavie. Mais l’auteur avoue, sur ce point, l’insuffisance de son érudition, et avec une modestie bien spirituelle:« J’ai jeté, dit-il, la moitié de mon sujet parce que je n’y entendais rien ; j’abandonne toute la partie germanique, noa que je ne l’admire, non que je n’aperçoive de loin, avec une vue confuse et faible, tout ce qu’il y aurait de grand et d’instructif dans les vieux monuments de ce génie du Nord, qui florissait dans l’Islande républicaine, au milieu du monde barbare, qui, sous le nom de gothique, traversa tout le midi de l’Europe, et, sur sa terre natale, montra tant de vigueur indigène. Mais enfin je sais tout cela trop peu et trop mal ; je ne puis en parler. • Il ne s’occupe pas non plus du moyen âge latin, non par insuffisance d’érudition, assurément, mais parce que c’était le sujet du cours professé en ; nême temps par Ampère, qui s’est attaché à découvrir dans les monu LITT

ments primitifs de cet âge les indices de l’esprit français. Son but était d’étudier la formation du génie moderne, de réunir sous un point de vue comparé les premiers développements de la civilisation renaissante dans une partie de l’Europe, en montrant leur unité et leur diversité.

La naissance de la langue romane ou langue intermédiaire de l’Europe, la généalogie des idiomes issus de la souche latine, les nouvelles littératures qui surgissent de ce chaos en fermentation, tout ce nouveau monde intellectuel, vivifié par le christianisme et animé par l’influence de la civilisation arabe, en deçà, comme au delà de la Loire, en Angleterre, en Espagne, en Italie, voilà le spectacle, l’enseignement que présente ce bel ouvrage. L’auteur s’occupe avec sagacité des troubadours, des trouvères, des chroniqueurs, des romans de chevalerie ; l’Espagne, le Portugal, l’Italie apportent leurs contingents d’informations et de rapprochements. Villemain trace un léger sillon ; il indique la voie aux études approfondies ; l’horizon intellectuel se trouve agrandi.

Les chapitres les plus intéressants sont consacrés à la poésie des troubadours, à l’influence de Dante et des immenses travaux de la poésie italienne, à l’histoire de la littérature espagnole depuis le romancero du Cid, aux vieux drames français, mystères et sotties ; dans toutes ces études si variées, Villemain fait preuve de l’érudition la plus sûre, touche à mille sujets et présente une foule de considérations, d’aperçus, de réflexions, qui conservent leur ton d’originalité après les travaux des Sismondi, des Raynouard, des Fauriel.

Littérature française au jtwiQ siècle (TA-BLEAU de la), par M. Philarète Chasles (1820, il-8°). Composé d’abord pour le concours académique de 1828, cet ouvrage partagea le prix avec celui de M. Saint-Marc Girardin, dont nous parlons ci-après ; mais M. Philarète Chasles ne le livra au public que considérablement augmenté et remanié. L’histoire littéraire du xvie siècle est difficile à faire,

farce qu’elle est liée plus qu’aucune autre à histoire politique et religieuse et au grand mouvement de la Renaissance italienne. Les lettres, les sciences et les arts s’éveillent au bruit des armes et des disputes religieuses. La Grèce expirante lègue à l’Europe ses précieux manuscrits ; nos armes ouvrent à la curiosité de nos grossiers ancêtres les portes de cette Italie qui, derrière le rempart de ses monts, avait su profiter de nos folies superstitieuses et guerrières. Elle s’offre à eux brillante et civilisée déjà, avec ses monuments majestueux et ses ruines plus majestueuses encore, sa vieille littérature latine et sa poésie moderne. À côté des calmes études poétiques et des labeurs de l’érudition, il faut que l’historien donne place à la littérature passionnée des pamphlets, des prêches, des mémoires, des controverses. Chaque nom l’attire dans cette mêlée, où se coudoient Ronsard, Marot, Régnier, Malherbe, Montluc, Brantôme, de Thou, Pasquier, Rabelais, Montaigne et Amyot. Il faut parler des écoles et de leurs chefs, signaler leur génie et leurs erreurs, et rattacher sans cesse aux progrès des lettres les passions politiques et religieuses qui en étaient l’âme. C’est ce qu’a fait M. Ph. Chasles. Il raconte moins qu’il ne peint. Il est court et donne à sa pensée de la précision et du relief. Une partie excellente est celle qui traite de l’art dramatique et des prédicateurs burlesques de l’époque, véritables tribuns en chaire. Les progrès de la science grammaticale, les utiles veilles de ces hommes modestes, qui travaillaient incessamment sur des particules et des accents, les vicissitudes de la prononciation, la mort et la naissance d’un grand nombre de mots, tiennent aussi une place assez large dans l’ouvrage. Les recherches de M. Chasles, à cet égard, sont à la fois savantes et ingénieuses. Son ouvrage ne le cède guère en mérite qu’au l’ableau de la poésie française au xvie siècle, de Sainte-Beuve.

Littérature française au xvl<* siècle (TA-BLEAU DE la), par M. Saint-Marc Girardin (1862, in-8u). « Depuis 1828, dit l’auteur avec une feinte bonhomie, mes amis m’ont souvent conseillé de publier cet ouvrage. Je leur répondais que je voulais, avant de le publier, le refaire. J’ai gardé cette résolution pendant trente-trois ans, sans l’accomplir, et je commence à douter, du temps qui me reste. Je publie donc l’ouvrage-tel qu’il a été écrit en 1828, et j’y joins quelques études sur le même sujet, c est-à-dire sur l’histoire littéraire du xvie siècle. Mais j’ai la vanité de croire que tout cela ne vaut pas l’ouvrage que je voulais faire, et qui me parait d’autant meilleur que je l’ai toujours imaginé et jamais fait. » On ne peut guère mieux excuser la faiblesse de cette amplification académique; rien n’y vibre, rien ne pourrait faire penser que l’on a affaire à l’une des périodes les plus pleines et les plus étonnantes de notre histoire littéraire. Ce Tableau comprend six divisions méthodiques : Politique et Religion, — Histoire,

— Morale, — Philosophie, — Poésie,

— Style. Dans ces six chapitres fort courts, l’auteur a la prétention d’exposer le mouvement des lettres, la marche des idées et le progrès de la langue durant ce fécond xvie siècle. « Ne vous avisez point, dit Ch. Labitte, d’y chercher une étude minutieuse et

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savante : l’auteur se garde de pénétrer ; il court sur son sujet, il 1 effleure avec grâce. Les recherches lui ont peu coûté ; il a pu trouver dans les dictionnaires historiques et dans les mélanges littéraires la petite somme de notions superficielles, de détails biographiques et de jugements sommaires qu’il s’est contenté de mettre en œuvre. La phrase est claire, correcte, académique, et c’est le seul mérite du livre. » Des quelques fragments ajoutés au volume, trois se rapportent au xvie siècle ; dans un autre l’auteur étudie littérairement le poëme de Berthe aux grauts pies.

Littérature de 1 Europe pendant les ive, it>6 et XVM& siècles (INTRODUCTION A L’HIS-TOIRE de la), par Hallam. Ce livre, qui a paru en anglais (1837-1839, 4 vol. in-s » ), a eu une quatrième édition en 1348. Comme les autres travaux de Henri Hallam, il se recommandenon-seulementpar ladisposition même

des matières qu’il traite, mais encore par son exactitude. L’auteur y fait preuve d’une certaine impartialité. En réalité, VIntroduction à l'histoire de la littérature de l’Europe est un vaste tableau, assez substantiel, mais où les détails ne pouvaient trouver place.

Littérature (MÉMOIRES SUR La), de PalisSOt

(1771, in-8°). J. Chénier regarde ce livre comme une production hors ligne, mais ce n’est qu’un ouvrage très-superficiel. Il faut se défier surtout de la partie qui regarde les contemporains de l’auteur. Palissot y rend guerre pour guerre ; il se venge d’attaques personnelles par un oubli complet de plusieurs écrivains aussi connus que ceux qu’il apprécie. Bien plus, il a substitué la satire à l’éloge, d’une édition à l’autre, au gré de ses rancunes privées ; il ne témoigne d impartialité que dans la partie consacrée aux morts, encore fait-il preuve d’injustice à l’égard de Regnard. Palissot affecte de priver ce poète comique du premier rang à la suite de Molière ; il laisse cette place vacante, sans doute parce qu’il y prétend lui-même. C’est peut-être aussi sous l’influence de ce sentiment ambitieux qu’il s’occupe avec complaisance des auteurs qui ont cultivé le théâtre. En général, il émet de bonnes réflexions sur l’art dramatique, quoiqu’il ait peu d’idées neuves. Ses appréciations critiques sur Corneille, Racine, Molière, Boileau, sont judicieuses. On voit aussi, par quelques chapitres, qu’il savait payer aux philosophes ses contemporains un certain tribut d’admiration. Nul n’a rendu plus d’hommages au laborieux, modeste et vertueux. Bayle ; nul n’a plus vanté Montesquieu et J.-J. Rousseau ; nul enfin n’a loué de meilleure foi Fréret, Duclos, ûumarsais, Condillac. L’ancienne critique excellait dans l’analyse des détails, mais elle manquait de cet esprit généralisateur, de cette étendue de compréhension qui a fait de l’histoire littéraire, entre les mains de la nouvelle école, une branche de la philosophie de l’histoire.

Littérature française pendant le ivniG siècle (tableau de la), par M. de Barante (1803, in-8°). Quoique écrit à un point de vue purfois réactionnaire, hostile aux grandes choses de la Révolution, cet ouvrage a du mérite ; il est surtout remarquable par la finesse des analyses. Le temps na fait que ratifier le jugement que Mmo de Staël en a porté à l’époque où il parut. « Dans l’ouvrage que nous annonçonsj.dit-elle, la littérature du xvmasiècle est considérée a un point de vue général ; plusieurs auteurs y sont juges avec une sagacité profonde : mais c’est’surtout la question principale qui y est approfondie dans tous les sens. Cette question consiste à savoir s’il faut accuser les écrivains du xvuic siècle des excès qu’on reproche à la Révolution, ou si leurs tendances étaient bonnes et leurs intentions pures. L’auteur cherche à prouver que leurs erreurs étaient le résultat des circonstances politiques dans lesquelles ils se sont trouvés, de ce relâchement de principes sociaux, préparé par la vieillesse de Louis XIV, la corruption du régent et l’insouciance de Louis XV. Mais il croit voir un sincère amour du bien dans le désir général qu’éprouvaient alors les hommes éclairés d’accomplir ce bien par les lumières… On aime à rencontrer dans les opinions et dans le caractère des jeunes écrivains un mélange heureux d’austérité dans les principes et d’indulgence pour les hommes ; niais ce qui domine avant tout dans ce discours, c’est l’esprit français, l’amour de la patrie. Composé originairement pour un concours académique (1808), le Tableaude la littérature au xvme siècle n’a pas obtenu de prix ; il fut publié l’année suivante, anonyme, et successivement augmenté par l’auteur. Il en a été fait, en 1847, une septième édition.

Littérature au iiiu’siècle (TABLBAU DE

LA), par M. Villemain (183S, i vol. in-so). Ce livre reproduit les éloquentes leçons faites à la Sorbonne de 1827 a 1829. Le sujet de ce Tableau n’avait été traité que dans une certaine mesure par MM. de Barante, Jay et V. Fabre. M. Villemain, s’instituant juge et historien dans des conditions d’indépendance morale qui ne s’étaient pas présentées jusqu’alors, eut à faire la part du bien et du mal, du blâme et de l’éloge ; il dut aussi réagir contre le mépris des productions étrangères et contre l’oubli de l’antiquité. En introduisant le lecteur sur la scène bruyante qu’il va parcourir d’un pas rapide, il commence par caractériser d’une manière générale le xviie et le xviiie siècle. Ces deux cycles de la pensée moderne s’expliquent l’un par l’autre. Dans le premier, c’est l’autorité souveraine, et en littérature, en philosophie, la. force contenue, le respect des croyances et des traditions. Dans le second, qui continue le précédent, sur plusieurs points, négation passionnée, en morale surtout, tiayle est l’ancêtre direct du xvimo siècle. Le mouvement de cette révolution intellectuelle se termine par une révolution sociale ; il commence par le doute méthodique. Fontenelle, Voltaire, Rousseau, Montesquieu, Buffon, Diderot, d’Alembert, tels sont les grands noms que le xvnie siècle peut opposer aux gloires intellectuelles du siècle de Louis XIV. M. Villemain étudie les causes, la portée de cette bataille tumultueuse, les systèmes, les œuvres, les mœurs, les hommes ; il passe tantôt en Angleterre, tantôt en Italie ; il compare le génie étranger au génie français ; il va des philosophes aux historiens, et des poëteS aux orateurs. Il s’arrête, avec Mirabeau, au seuil de la Révolution française, qui donne un dénoûment et un sens à l’histoire du xvuie siècle et à l’histoire de France. M. Villemain, qui constate les faits en historien et qui les juge en moraliste et en critique, formule une conclusion favorable sur l’œuvre et le rôle du siècle de Voltaire.

« Chacun, dans cette lecture, dit M. Sainte-Beuve, peut apprécier la marche du critique, le procédé savant des tableaux, la nouveauté expressive des figures, cette théorie éparse, dissimulée, qui est à la fois nulle part et partout, se retrouvant de préférence dans des faits vivants, dans des rapprochements inattendus, et comme en-action ; cette lumière enfin distribuée par une multitude d’aperçus et pénétrant tout ce qu’elle touche… L’originalité de M. Villemain dans sa critique pro—fessée, ce qui lui constitue une grande place inconnue avunt lui et impossible depuis a tout autre, c’est de n’avoir pas été un critique de détail, d’application textuelle de quatre ou cinq principes de goût à l’examen des chefsd’œuvre, un simple praticien éclairé, comme Laharpe l’a été à merveille dans les belles parties de son cours ; c’est de n’avoir pas été non plus un historien littéraire, à proprement parler, et dans ce vaste pays mal défriché, dont on ne connaissait bien alors que quelques grandes.capitales et leurs alentours, de ne s’être pas choisi un sujet circonscrit, tel ou tel siècle antérieur… M. Villemain, nourri de l’histoire, de l’antiquité et des littératures modernes, de plus en plus attentif à n’asseoir son jugement des œuvres que dans une étude approfondie de l’époque.et de la vie de l’auteur, et en cela si différent des critiques précédents qui s’en tiennent à un portrait général au plus, et à des jugements de goût et de diction, ne diffère pas inoins des autres appliqués et ingénieux savants ; sa manière est libre en effet, littéraire, oratoire, non asservie à l’investigation minutieuse et à la série des faits, plus à la merci de l’émotion et de l’éloquence. L’histoire, chez lui, prête sa lumière à l’imagination, le précepte se fond dans la peinture. »

Littérature française depuis ses origines jusqu’en 1389, par M. Géruzez (Paris, 1852, in-SÇ), C’est un des meilleurs livres de l’auteur. Un des grands mérites de cet ouvrage, c’est d’être complet et proportionné. Depuis les origines de la langue elle-même jusqu’au terme que l’historien s’est marqué, on trouverait difficilement, soit une grave lacune, soit un hors-d’œuvre. L’auteur s’est proposé d’éclairer successivement toutes les époques, de montrer l’origine de tous les genres, leurs phases, leurs progrès, de mettre en relief toutes les figures intéressantes et toutes les œuvres qui ont eu quelque influence. Il ne dédaigne pas les époques barbares, retrace le mouvement intellectuel du moyen âge, et rattache le développement de la poésie au mouvement social. Les temps modernes et le xvue siècle ont ses préférences, mais un grand esprit d’équité règne dans toute cette Mistoire de la littérature française.

Eloigné de l’admiration exclusive et hautaine de M. Nisard pour les grands génies, de son mépris affecté pour les oubliés, il étudie, comprend et fait, valoir les écrivains de deuxième ou de troisième ordre, et plus d’une fois trouve dans leurs écrits, sans craindre d’amoindrir Corneille, Molière ou Massillon, l’occasion de restituer ù des auteurs trop pauvres pour être ainsi volés des mots, des traita, des passages entiers que l’erreur populaire semblait avoir démarqués à tout jamais.

M. Géruzez a essayé de continuer son travail par une Histoire de la littérature pendant la Révolution (1859). L’entreprise était utile et éminemment intéressante ; mais nous ne croyons pas que le tempérament littéraire de M, Géruzez suffise à une pareille tâche. Pour juger des orateurs, des poêles, des publicistes comme Mirabeau, Barnave, Saint-Just, Chénier, Cam’lle Desmoulins, figures sévères dans lesquelles le côté littéraire n’est qu’un aspect secondaire du génie politique, il faudrait plus de souffle, plus de passion que n’en possède M. Géruzez. L’Histoire littéraire de la Révolution ne saurait être l’œuvre d’un érudit sage, correct et froid.

Littérature française de * » 8 » • ISf © (TA LITT

BLEAC HISTORIQUE DE L’ÉTAT ET DES PROGRÈS

de la), par Marie-Joseph Chénier (1810, in-8°). Ce travail avait été commandé par Napoléon à l’Académie française : Chénier en fut chargé par ses collègues, et il écrivit à cette occasion le plus remarquable de ses ouvrages.

Nul littérateur n’était mieux préparé par ses goûts de bibliophile, par ses vastes lectures et par la merveilleuse promptitude de sa mémoire, à remplir la tâche imposée. Nul aussi, en raison de ses inimitiés politiques et de ses ressentiments d’auteur et de poëte, outragé et calomnié jusqu’à l’infamie par ceux dont il devait se constituer le juge, ne pouvait entreprendre le travail demandé avec plus de répugnance. S’armant de courage et de générosité, Chénier imposa silence a ses rancunes et fit taire la haine. Son Tableau est un exposé méthodique ; il comprend les douze sections suivantes : Grammaire, Art de penser, Analyse de l’entendement : — Morale, Politique et Législation ; — Rhétorique et Critique littéraire ; — Art oratoire ; —Histoire ; — Romans ; — Poésie épique, traductions et imitations ; — Poésie didactique ;

— Poésie lyrique ; — Tragédie ; — Comédie ;

— Drame. Un appendice, qui est un rapport à part sur le meilleur ouvrage de littérature digne du grand prix, présente une critique judicieuse du Lycée, de Laharpe.

L’historien critique, prenant les choses de haut, trace un aperçu rapide des progrès faits jusqu’à lui en chaque genre, puis il passe & l’iippreciation, en général sommaire, des ouvrages classés dans ce groupe. Par littérature, Chénier entend toutes les productions écrites de la pensée, celles du moins que le goût et le style caractérisent. Pauvre en œuvres de premier ordre, la littérature de la Révolution et de l’Empire est extrêmement riche en œuvres estimables.

« L’auteur, dit M. Théry, pour éviter de trop longs développements, tomba quelquefois dans l’excès contraire, et fait passer sous nos yeux avec une extrême rapidité des tableaux qui laissent des impressions trop fugitives. Mais peut-être était-ce là une condition nécessaire du sujet qu’il avait choisi. Le nombre des ouvrages, souvent le genre de ces ouvrages même, qui, au défaut d’un examen Spécial et approfondi, ne voulaient qu’être indiqués, de peur qu’on ne prît la mesure de l’analyse pour la mesure de leur mérite, déterminèrent la marche qu’il crut devoir adopter. Il en résulte que, par un singulier contraste, le Tableau de la littérature paraît substantiel dans la forme, parce que Chénier y conserve toujours ce sérieux, cette énergie, et, pour le dire encore, cette solennité qu’il a portés dans ses poésies, tandis que le fond de l’ouvrage est assez superficiel. Un éloge qu’il faut s’empresser de donner à l’auteur, parce qu’il avait besoin pour le mériter de s’affranchir de. beaucoup de préjugés, et de contredire même beaucoup de jugements que lui avaient inspirés auparavant ses injustes dégoûts, c’est qu’il fait preuve, dans son examen des auteurs contemporains, d’une assez grande impartialité. »

S’il manque à l’ouvrage de Chénier la largeur de vues de l’esthétique allemande, on ne peut du moins lui contester la justesse des aperçus, un goût sûr, de vastes connaissances, la maturité du talent. ■ C’est la plume d’un mourant, dit Ch. Labitte, qui a tracé ! e Tableau : cette plume pourtant ne tremble point, elle n’est, devant la mort, que plus terme et plus sûre d’elle-même… Ici, Chénier atteint du premier coup dans la prose ces mêmes qualités élégantes et fermes qu’il avait laborieusement conquises dans ses vers. » Le Tableau de la littérature, qui assure à Chénier un rang distingué parmi les critiques et les prosateurs, fut désavoué par l’Académie française en 1816, comme n exprimant que les idées de l’auteur 1

Littérature française sous Im Restauration

(histoire de la), par M. Alfred Nettement (Paris, 1852). L’auteur a parfaitement compris son sujet ; de plus, les qualités d’écrivain ne lui font pas défaut. Il semblerait donc que, dans des conditions si favorables, il a dû produire une œuvre excellente ; en bien, non, tant s’en faut, et en voici la raison. M. Nettement ne s’est pas contenté d’introduire la politique dans la littérature, comme son sujet le comportait, il a eu le tort de la prendre exclusivement pour guide dans ses appréciations. Une histoire littéraire doit être impartiale ; M. Nettement a fait de la sienne une œuvre de passion et de parti, et par conséquent une œuvre souverainement injuste. S’il ne dit pas ouvertement :

Nul n’aura de l’esprit hors nous et nos amis, on voit trop qu’il n’est pas éloigné de le penser. En présence des deux courants d’opinion agissant en sens inverse, l’un remontant impétueusement vers un passé lointain, l’autre pressé de se précipiter vers l’avenir comme vers une terre promise, M. Nettement a cédé docilement à l’impulsion du premier. Le beau mouvement ne curiosité savante, de critique et da poésie, qui ranima l’esprit français, cause presque de la peine à M. Nettement, parce qu’il y découvre de nombreuses traces d’esprit révolutionnaire et de progrès démocratique. Aussi se montret-il injuste envers les chefs de ce mouvement, Courier, Béranger, Victor Hugo, Benjamin Constant, Mérimée, Jouffroy, Rétnusat, Vitet, Sainte-Beuve, Duvergier de Hauranne,

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Ampère, Damiron et Dubois, dont il restreint la gloire ou même qu’il passe sous silence. La seule excuse qu’on puisse invoquer en sa faveur, c’est qu’aveuglé par l’esprit de système et de parti il est de bonne foi dans les erreurs qu’il commet.

M. Nettement, deux ans après, fit paraître une Histoire de la littérature française sous la royauté de Juillet. Conçue dans le même esprit que l’ouvrage précédent, elle est susceptible de3 mêmes appréciations.

Littérature française contemporaine (Paris, 1839-1855, 8 vol. in-8<>), ouvrage commencé par Quérard, continué parMM.Maury, Louandre et Bourquelot (Paris, 1839-181-4). Au second volume, Quérard, s’étant vu dans l’impossiblité de remplir les engagements contractés avec son éditeur, fut dépossédé de son entreprise et, de plus, condamné à des dommages-intérêts.

11 faut bien reconnaître que l’ouvrage de Quérard a de graves et nombreux délauts, notamment la poursuite exagérée des détails oiseux, des anecdotes qui n’ont que le mérite stérile d’être piquantes, et même pas toujours. Il n’en est pas moins vrai que dans l’ouvrage de Quérard les renseignements utiles se trouvent, bien que noyés dans trop de fadaises. L’érudition de l’auteur ne saurait être contestée ; son goût et sa critique seulement laissent à désirer. Le travail de ses continuateurs est, à cet égard, plus sage et plus mesuré. Quérard, il est vrai, n’était pas tenu de reconnaître la supériorité de ses rivaux ; mais il devait se dispenser d’écrire contre eux un pamphlet de mauvais goût, intitulé Omissions et bévues, etc. (1848, in-8°). La justesse de certaines critiques ne saurait en justifier l’amertume, surtout si le lecteur peut les attribuer au dépit d’un amour-propre froissé.

Littérature française depuis ses origines jusqu’en « 830 (HISTOIRE DE LA), par M. Demoyeot (Paris, 1853). « Pour bien comprendre l’histoire de la nation française, dit Heeren, il est essentiel de la considérer comme issue de la race celtique. C’est ainsi seulement qu’on peut s’expliquer son caractère si différent de celui des Allemands, caractère qui, malgré les divers mélanges qu’eut à subir la nation celtique, est demeuré tel encore chez les Français que nous le trouvons dessiné dans César. • M. Demogeot applique cette remarque à l’histoire de notre littérature et ? établit-directement sa filiation à partir des Celtes qui, d’après Diodore de Sicile, aiment une chose presque autant que bien combattre, c’est finement parler. « Entre la société antique qui se meurt avec l’empire romain, dit-il, et le monde moderne qui se constitue au moyen âge, il y a six siècles de laborieuse préparation, pendant lesquels toutes les forces vivantes qui doivent produire une civilisation nouvelle s’agitent en désordre et comme dans un vaste chaos. Cette époque, stérile en apparence, n’en renferme pas moins les germes féconds de l’avenir. Nous devons donc reconnaître et saisir dans leur manifestation littéraire ces influences diverses dont la combinaison nous a faits ce que nous sommes. Les principales sont les traditions de la Grèce et de Rome, les enseignements du christianisme et les mœurs apportées par l’invasion germanique. Mais sous cas courants étrangers, qui s’uniront bientôt en un grand fleuve, est le sol même qui se creuse pour les.contenir, je veux dire la race primitive, antérieure à la double conquête romaine et germanique, à la double civilisation hellénique et chrétienne et dont le caractère persévérera sous tant de modifications diverses. » Parti de ce point de vue, il est facile de prévoir que M. Demogeot soignera le côté de l’érudition de préférence au côté critique. Les premiers siècles de notre littérature sont, en effet, pour lui une mine de découvertes inépuisable et, ce riche filon rencontré, on comprend qu’il n’en abandonnera l’exploitation que lorsqu’il pensera qu’il ne reste plus rien de bon à extraire. De là un énorme défaut dans la composition de son ouvrage, le manque de proportion. Le moyen âge en remplit plus de la moitié, et lorsque nous avons parcouru quatre cents pages pour arriver au siècle de Louis XIV, nous avons droit d’être surpris de passer en deux cent soixante pages seulement lu revue des écrivains français de Corneille à Alexandre Dumas. Nous aurions préféré moins de détails sur le Cycle français du xifl siècle et les poésies carlovingiennes et des appréciations plus solides sur l’époque contemporaine. On serait tenté de croire que » M. Demogeot avait d’abord commencé une étude sur les premiers temps de notre littérature jusqu’au xvi » siècle, puis que, son travail à peu près terminé, il lui a pris fantaisie de le pousser jusqu’à nos jours. Le plan de l’édifice étant changé, les pièces de raccord ne sont plus en rapport avec les fondements et le premier étage ; à l’architecture massive ont succédé de légères colonnades. Ce vice de construction est d’autant plus fâcheux que c’est la partie la plus intéressante qui a été sacrifiée, et que, si l’ouvrage de M. Demogeot peut faire le charme des érudits, il ne remplit pas son but et ne saurait passer pour un cours de littérature à l’usage du public. Néanmoins, disons-le vite pour ne pas être injuste, c’est le mérite de la première partie de son livre qui nous autorise à être sévère envers la seconde ; c’est le voisinage qui

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écrase cette dernière ; si elle eût paru seule, peut-être ne lui aurions-nous distribué que des éloges. Elle se recommande, en effet, par de grandes qualités, de la conscience, de la justice et de la justesse, une grande indépendance de jugement et une sorte de libéralisme littéraire assez rare dans un membre de l’Université. Le style même se rapprocherait assez de la grande écoli’. si M. Demogeot n’avait trop souvent essayé de fondre aveu les siens les jugement* de ses devanciers les plus autorisés, ce qui ôte l’unité il sa diction et fait de certains passages une sorte de mosaïque plutôt qu’une œuvre personnelle. Nous l’en blâmons d’autant plus que, là où il est entièrement lui-même, il se produit avec bien plus d’avantage. Ainsi nous aimons à le voir ne pas sacrifier le xix<= siècle au xvnc, comme il est de tradition classique de le faire, et reconnaître que c’est une époque littéraire remarquable que celle qui a produit les Victor Hugo, les Lamartine, les Musset et les Béranger pour la poésie ; les Michelet, les Quinet, les Mignet, les Augustin Thierry et les Thiers pour l’histoire, sans parler de bon nombre d’illustrations non moins distinguées dans tous les genres, dans les sciences, par exemple les Cuvier et les Arago.

Littérature française (HISTOIRE DE LA.), par

M.’D. Nisard (Paris, 1844, 4 vol. in-8<>). A proprement parler, le livre de M. Nisard n’est pas une histoire, c’est une suite d’études critiques sur les œuvres principales de notre littérature.

M. Nisard oublie volontairement toutes les œuvres de second ordre ; il s’arrête de parti pris au siècle de Pascal, de Boileau, de Bossuet ; ou s’il entre dans le siècle de Voltaire, de Montesquieu, de Rousseau, il dissimule mal son dédain pour cette littérature dégénérée. Nous n’avons pas besoin de dire combien nous trouvons outré ce mépris des écrivains du dernier siècle. La poésie classique était morte alors, mais la prose française n’a guère connu de plus beau temps.

De plus, M. Nisard semble n’avoir point connu, ou du moins a négligé d’indiquer les sources de notre littérature. Après l’influence latine et l’influence grecque, nous avons subi tour à tour l’influence italienne, l’influence espagnole, l’influence anglaise ; aujourd’hui, on ressent l’influence allemande, et quelque peu l’influence orientale. Ces fait3 n’ont pas frappé M. Nisard.

Enfin, autre défaut non moins sérieux, M. Nisard ne reconnaît que les talents qui ont reçu une sorte de consécration officielle. Nous n’ignorons pas ce qu’il y a d’outré dans la manie qui sévit en ce moment de refaire les réputations ; d’exhumer les écrivains justement oubliés ; de ressusciter les morts qui sont fort bien dans la fosse ; mais le parti pris de M. Nisard est plus nangereux encore. Défenseur assermenté dô la tradition, il ne donne une place qu’aux-hommes de gènje et n’enregistre ques les œuvres durables, c’est-à-dire consacrées par une admiration légendaire.

Il fait de la critique conservatrice, comme il l’appelle lui-même. C’est une très-grave erreur : la littérature vit de liberté, et non de règles et de traditions, et si le mot n’était trop fort, nous trouverions M. Nisard outrecuidant d’avoir voulu soumettre la république des lettres à la dictature du sabre.

Cela dit, il ne nous eu coûte rien do reconnaître que M. Nisard est un juge fort

compétent quand il s’enferme dans le cercle d’études qu’il a voulu se tracer à lui-même. Il comprend bien, cela n’est pas douteux, ses auteurs favoris. Son étude d’Athalie est un modèle d’interprétation esthétique. Et puis, par une contradiction heureuse, l’auteur, en arrivant au terme de sa carrière, so croit obligé de rendre justice à quelques-uns de ses contemporains. Ses jugements elogieux contredisent toutes les doctrines du livre. Les principes sont méconnus par lo législateur, mais en paraissent d’autant plus sincères. Nous le remercions d’avoir afnché sans honte son admiration pour A. de Musset et George Sand, et nous louons sincèrement l’effort que l’auteur a dû faire pour ouvrir à ces profanes le saint des saints.

Littérature indépendante (la), par M. Victor Fournel (1862, in-18). L’auteur range dans la littérature indépendante les écrivains qui se sont dérobés au grand courant clnssique du XVil° siècle, ceux qui n’ont pas subi l’influence officielle et triomphante, la discipline, la correction, l’unité imposées par Malherbe et Bojleau d’un côté, de l’autre par Richelieu et Louis XIV. Le terme ainsi entendu s’applique donc non-seulement ù des auteurs d un ordre secondaire, comme Saint-Amant, Cyrano de Bergerac, Scarron, Dassoucy, mais même à des talents de premier ordre comme Saint-Simon.

Le chapitre le plus intéressant et— le plus curieux est consacré à la bohème littéraire du xvno siècle. On y voit un trio de figures littéraires aussi semblables dans leur diversité que diverses dans leur ressemblance. C’est d’abord Théophile de Viau, le poète libertin, le philosophe de cabaret ; Saint-Amant, le boute-en-train des rouyes trognes et des francs buveurs, l’Homère du melon, du petit-salé et de la crevaillei enfin l’épicurien Chapelle, bon fainéant du Alarais.

On voit que M. V. Fournel a repris la plupart des noms qui figurent dans la galerie de Grotesques de Théophile Gautier. Mais son cadre est plus large ; ni Saint-Simon ni Chapelle ne pouvaient figurer comme grotesques, et ils comptent parmi les indépendants. Purtout où il se rencontre avec Gautier, M. Fournel a moins de verve et de caprice, mais son livre offre un tableau plus complet des irréguliers du grand siècle.

Littérature française (ESSAI SUR Là), par

M. J.-J. Weiss. Ce livre, publié en 1865, se compose d’études, d’articles de journaux, que l’auteur a réuuis ensemble, ce qui indique assez qu’ils ne se rattachent l’un à l’autre par aucun lien qui en forme une œuvre complète, à quelque point de vue que ce soit. C’est une série de tableaux qui ne manquent pas de couleur, mais où il ne faudrait pas rechercher le cachet, l’originalité dont sont généralement empreintes les compositions mûries par de longues et fortes méditations.

Littérature ancienne et élrangèro (ÉTUDES de), par M. Villemain (1846, in-8U). Ce volume est un recueil de notices séparées ; il contient de savantes études sur Hérodote, Lucrèce, Cicéron, Plutarque, Lucain, Tibère ; une dissertation sur la corruption des lettres romaines ; un essai sur les romans grecs ; des notices sur Shakspeare, Milton, Pope, Wicherley, Young, Byron. L’auteur y fait preuve de sa finesse ordinaire et du sens critique le plus exercé. « Dans son opuscule sur la Corruption des lettres romaines, M. Villemain, dit Littré, recherchant la cause, l’attribue auprogrès du despotisme et à l’abaissement des esprits par l’esclavage. En effet, le regard est immédiatement trappe par cet énorme pouvoir que la conquête du monde et la concentration de l’autorité avaient remis à une seule main. Pourtant, malgré l’apparence, c’est à quelque chose de plus profond qu’il faut demander l’explication. Si dans l’empire des Césars quelque grand intérêt intellectuel ou moral avait ému les hommes, le despotisme n’aurait pu empêcher que cet intérêt se fitjour, communiquanll’impulsion et la vie à la pensée commune. » M. Villemain a, en effet, corrigé ce que cet aperçu avait d’inexact dans son Tableau de l’éloquence chrétienne au rve siècle.

Littérature française à l’étranger (HISTOIRE ;

de la), depuis le commencement du xvue siècle, par Sayous (Paris, 1853). titre qu’il faut expliquer, ce qui est un grand défaut pour un titre. M. Sayous nous laisse croire que son livre traite de l’influence de notre littérature à l’étranger. Point ; il n’en est rien. La matière du livre est tout autre. » C’est l’histoire des Français qui ont écrit à l’étranger et sous l’influence des mœurs étrangères, en y joignunt l’histoire des étrangers qui ont écrit dans la langue française, soit chez eux, soit en France. »

Le sujet, ainsi défini, est fort intéressant et fort curieux. Mais’, entre la conception et exécution, il y a un abîme que M. Sayous û’a pas franchi. Il n’a pas su montrer, comme il l’annonçait dans sa préface, l’influence de la France sur l’étranger et réciproquement." 11 n’a pas indiqué d’une manière satisfaisante ce que la Savoie nous a apporté par l’intermédiaire de saint François de Sales, de Vaugelas et de Saint-Réal, tous les trois Savoyards de naissance. Il y avait là une large part à faire aux influences de race et d’éducation. Ailleurs, l’auteur leur a trop sacrifié au contraire. Est-il vrai, par exemple, que ce soient les habitudes anglaises qui aient donné à Saint-Kvremond, vers la fin de sa carrière, une pensée plus ferme et plus sérieuse ? La Hollande a-t-elle transformé Bayle aussi complètement que le suppose M. Sayous ? La tâche que s’était imposée l’historien était difficile : c’est son excuse.

Il en a une autre : si son livre est parfois paradoxal, iLest toujours intéressant et, tranchons le mot, amusant. On ne s’ennuie jamais en le lisant. Il a su donner une forme Tive et pittoresque à ses analyses qui se sui-Tent sans se ressembler. C’est une galerie de portraits et non une série de biographies. L’historien est peintre. Peut-être peut-on lui reprocher d’embellir ses modèles, surtout’ quand ces modèles sont protestants : car M. Sayous ne dissimule pas assez sa sympathie pour ses coreligionnaires. Mais son protestantisme n’a rien de farouche et d’exclusif. Sa foi est le fruit du libre examen, c’est dire assez qu’elle est tolérante et large. La modération, l’équité des critiques font le principal mérite et le principal charme du livre, o On y apprend beaucoup, a dit M. de Sacy, et quandoul’afini on éprouve pour M. Sayous ce qu’il dit avoir lui-même éprouvé pour Bayle : on aime l’écrivain qui sait si bien faire aimer les lettres. • (Sacy, Variétés littéraires.)

Mentionnons encore :

Littérature et voyages, par Ampère (1834, 2 vol. in-8u). Recueil d articles originairement parus dans la Ileoue des Deux-M ondes.

Littératuro française, du xvie siècle jusqu’à nos joui » (HISTOIRE DE L.i)), par M. Godefroy (1860, 2 vol. in-8°). Ouvrage écrit à un point de vue trop clérical.

Littérature depuis Honxère jusqu’à l’école romantique (ÉTUDE SUR Là), par M. Artaud

1863, in-8°). Recueil de notices intéressantes ; les meilleures sont celles qui concernent l’antiquité ; le chapitre intitulé Histoire de la langue française mérite aussi d’être noté.

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Littérature anglaise (HISTOIRE DE LA), par M. Mézières (1834, 2 vol. in-8°). D’intéressantes analyses d’œuvres se succèdent dans un ordre logique, mais l’ouvrage est loin d’être complet ; les jugements portés par l’auteur manquent d’originalité.

Littérature anglaise (ESSAI SUR Là), par Chateaubriand (Paris, 1836, ï vol. in-8°). Cet ouvrage n’est ni une histoire complète ni un examen systématique des lettres en Angleterre ; ce n’est qu’un recueil de morceaux semés de citations et de réflexions, mal reliés ensemble et d’une valeur fort inégale. Shakspeare etMilton y sont appréciés de main de maître, avec leurs qualités et leurs défauts. L’auteur profite de ses remarques sur l’absence de goût, si regrettable dans la poésie anglaise, pour rendre hommage à la perfection de nos maîtres classiques, si vivement attaqués alors par l’école romantique. Il réclama en faveur de l’idéal contre le réalisme et rappelle que si le génie enfante, c’est le goût, ce bon sens du génie, qui conserve. Il admet qu’on élargisse le domaine de l’art pour y introduire le drame, mais il nous invite à creuser davantage l’ànie humaine pour y découvrir de nouvelles sources d’émotion, au lieu de chercher à frapper les sens, à glorifier la matière par une poétique brutale tirée de théories immorales.

L’essai sur la littérature anglaise n’est que l’introduction de la traduction du Paradis perdu de Milton. Cet essai est écrit avec assez de précision, mais il est trop incomplet pour être tenu en grande estime, surtout depuis le remarquable travail publié par M. Taine sur la littérature anglaise.

Dans ses Portraits littéraires, Gustave Planche a jugé avec une inflexible rigueur l’œuvre de Chateaubriand ; M..Villemain a usé d’une indulgence plus courtoise. « Dans une histoire littéraire ainsi faite, dit-il, faite de souvenir, par occasion, par accident, on ne peut espérer beaucoup d’exactitude et d’unité. C’est assez, si, avec l’éclat du talent, elle offre des généralités intéressantes, quelques vues nouvelles, et quelques points approfondis, à côté des omissions et des lacunes inévitables dans un travail trop rapide et trop vaste.

Littérature anglaise (HISTOIRE DE LA), par

Henri Taine (1864, 4 vol. in-8°). Cette œuvre puissante n’est pas un de ces livres qu’on lit seulement pour apprendre le sujet traité et pour jouir de quelques pages bien écrites, c’est une véritable philosophie en action qui renouvelle la substance de l’esprit et laisse après soi une manière particulière de regarder les choses. On y trouve une connaissance merveilleusement précise du sujet, une érudition immense, une imagination vive, largement sympathique, une dialectique serrée, un style dont la trame simple et forte se recouvre des couleurs les plus vives et des arabesques les plus délicates. Aux yeux de l’auteur, cet ouvrage est moins une histoire particulière, un ensemble de biographies que

l’épreuve répétée d’une nouvelle méthode historique, exposée dans l’introduction de l’œuvre. M. Taine se propose de faire passer l’histoire au rang de science positive. Dans ce but, il ne se contente pas d’étudier les hommes d’une époque historique avec leur physionomie ondoyante et diverse. Il va plus avant. « 11 y a, dit-il, un système dans les sentiments et dans les idées humaines, et ce système a pour premier moteur certains traits généraux, certains caractères d’esprit et de cœur, communs aux hommes d’une race, d’un siècle et d’un pays. De même qu’en minéralogie les cristaux, si divers qu’ils soient, dérivent de formes corporelles simples, de même en histoire les civilisations, si diverses qu’elles soient, dérivent de quelques formes spirituelles simples. » M. Taine a très-nettement marqué les points qui suffisent pour déterminer cette sorte de configuration d’un personnage et d’une nation. Lorsqu’il étudie un personnage, il commence par étudier les trois grandes causes qui ont exercé une influence capitale sur sa conduite, ses habitudes, son esprit : la race, le milieu, le moment. Selon lui, l’homme n est pas seulement l’artisan des événements, il est aussi l’ouvrage des événements ; son esprit n’est pas une table rase, mais une table qui porte déjà des empreintes. Presque partout en histoire, à côté des influences de la race et du milieu, on voit une tendance régnante qui impose en partie aux choses naissantes leur tour et leur direction. Enfin, à ces trois grandes causes, viennent se joindre d’autres causes qui marquent également leur empreinte sur la physionomie morale et intellectuelle, soit d un individu, soit d’une nation : la religion, l’art, la philosophie, l’État, la famille, les industries, éléments qui constituent dans la méthode de M. Taine ce

qu’il appelle la loi des dépendances mutuelles. Au point de vue de cette méthode, l’histoire devient le récit de la végétation humaine, et l’objet de l’historien est à chaque époque un problème d’anatomie et de physiologie morales.

L’Histoire de la littérature anglaise de M. Taine est un ouvrage extrêmement remarquable, « C’est, dit M. Emile Montégut, le plus vaste et le plus complet travail qui ait encore paru parmi nous sur ce fertile et amusant sujet de la littérature anglaise. Il semble que la matière devrait être épuisée, et

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cependant la riche mine a été encore à peine explorée. Tout compte fait, que reste-t-il de tout ce qui a été écrit sur la littérature anglaise ? Quelques leçons éloquentes de M. Villemain, les nombreuses esquisses si brillantes et si vivantes écrites au hasard du caprice et de l’occasion, cette souveraine maitresse des reviewers et des journalistes, par M. Philarète Chasles, et ça et là quelques essais dus & des talents divers que leurs études ont exceptionnellement conduits à fouiller telle ou

telle province de cette littérature… Le lecteur trouvera pour la première fois, dans le livre de M. Taine, un tableau général exact et complet de cette littérature. Pour la première fois, il fera connaissance avec des œuvres et des hommes qui jusqu’à présent n’avaient représenté pour lui que des noms et des titres, ou dont on lui avait incomplètement expliqué la valeur… Le livre de M. Taine va, nous l’espérons, contribuer à dissiper cette ignorance et fixer l’opinion du public sur toutes ces matières encore confuses et mal élucidées. Le lecteur entendra prononcer cette fois avec la sympathie, le respect et l’admiration qu’ils méritent, une foule de noms qui, probablement, ne s’alliaient dans son imagination à aucun sentiment poétique nettement défini, et qui ne réveillaient en lui d’autre souvenir que celui des nomenclatures arides contenues dans des abrégés d’histoire littéraire… La décision du jugement, tel est le premier mérite de cette œuvre remarquable. Le second est un sentiment exact et vrai de la littérature qu’elle expose. M. Taine ne vous laisse pas maître de jouir à votre gré des beautés qu’il vous présente, il veut que vous en jouissiez d’une manière conforme de tout point à la sienne. Il ne vous introduit pas dans ses sujets, à vous y pousse par les épaules, et, au moment où vous commenciez à entrer en contemplation devant le spectacle qu’il vous montrait et où vous ne demandiez qu’à prolonger la rêverie, il vous tire par le bras avec une incroyable force de muscles et vous entraîne vers un autre spectacle tout différent du premier, qu’il vous force d’admirer séance tenante, tandis que vous êtes encore tout ému de votre précédente admiration et mal éveillé de votre précédente rêverie. Il paye sa décision et sa fermeté d’intelligence par l’excès de l’esprit systématique, la violence du trait, l’abus de la force et la monotonie du procédé. Une certaine dureté brillante distingue son talent, et il semble parfois, en tournantses pages, qu’on remue de minces feuillets métalliques dont on voit le refietet dontonentend le bruissement sonore. Une certaine prolixité concise le distingue aussi ; il torture sa pensée jusqu’à ce qu’il ! ait présentée sous vingt images différentes. »

Cette histoire, proposée à l’Académie française pour un prix de 20, 000 francs, fut éliminée, à la suite de vives attaques dirigées par M. Dupanloup contre l’auteur, comme entachée de doctrines matérialistes et panthéistes.

Littérature allemande (HISTOIRE DE la), par Julian Schmidt (1853, in-8°). Ce livre, qui a fait époque à cause de l’élégance et de la force du style, de la profondeur des aperçus, et surtout des jugements passionnés et souvent empreints de partialité que l’auteur émettait sur les écrivains les plus importants, a été fort attaqué. On a reproché avec quelque raison à Julian Schmidt de n’être qu’un critique et pas autre chose, et en conséquence de n’avoir pas pour ce qui est seulement beau, entre autres pour la poésie, l’admiration et l’intelligence nécessaires. Ses jugements sur Gutzkow, sur Heine et même sur Gœthe, sont d’une dureté qui ne s’explique que par le sentiment strictement moral qui les dicte, sentiment qui ne semble pas être celui qui doit présider au jugement des œuvres littéraires. Julian Schmidt est un doctrinaire qui n’a que trop souvent torturé, au nom de ses doctrines, les auteurs qui ne les partageaient pas. Il a écrit aussi une Histoire de ta littérature française, en deux volumes, qui n’est pas sans mérite quoique écrite trop exclusivement au point de vue allemand.

Littérature poétique des Allemands (HIS-TOIRE DB la), par Gervinus (1835-1855, 5 vol. in-8°). Il n’y a pas de peuple qui possède autant d’histoires littéraires, d’abrégés, de manuels sur toutes les époques que les Allemands. Le livre de Gervinus fut pourtant, à son apparition, jugé comme une chose nouvelle. Au lieu de prendre la littérature dans ses faits, dans l’analyse de ses productions, de ranger par ordre chronologique les œuvres littéraires, de les accompagner de critiques, d’études sur la vie de leurs auteurs, et quelquefois sur l’époque où elles avaient paru, Gervinusentreprit d’étudier les lois de formation et de développement de chaque genre.

Le premier il donna, à un point de vue élevé et philosophique, l’exposé complet de l’histoire littéraire allemande et l’appela nationale. Au lieu d’un simple compenditim à l’usage des écoles, le livre de Gervinus était la véritable philosophie de l’histoire appliquée aux événements littéraires et au développement intellectuel du peuple. Il a été ainsi, dans la critique littéraire, le continuateur de Lessing et de Herder, et a su appliquer leurs procédés à la partie historique de la littérature, que ces auteurs n’avaient traitée qu’accidentellement dans leurs écrits. On lui a reproché de fonder ses jugements littéraires

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sur la morale plutôt que sur l’esthétique, ce qui l’a rendu souvent trop sévère à l’égard des auteurs de la Restauration et de la poésie moderne. Néanmoins on reconnaît dans son œuvre une tendance libérale très-prononcée qui l’anime d’un bout à l’autre, et en relie, d’une manière logique et conséquente, les parties les plus diverses. Il a répandu un attrait singulier sur le tableau du xive et du xve siècle. Cette littérature démocratique, où le peuple remplace les maîtres, et que représente le groupe original de Thomas Murner, d’Ulrich de Hutten et de Hans Sachs, forme un des meilleurs épisodes de son œuvre. Le mérite essentiel de l’ouvrage de Gervinus, avec l’abondance des documents et la fécondité des vues, c’est l’ampleur et la netteté du plan. L’auteur a distribué ses matériaux avec beaucoup d’art dans l’ensemble. Le reproche qu’on pourrait adresser à ce livre, c’est qu’il est difficile à lire ; ses phrases manquent de clarté et de simplicité. Connaissant à fond son sujet, il va en avant sans se soucier si ceux qui le lisent ont fait les mêmes études que lui et peuvent le comprendre.

Littérature espnguole (HISTOIRE DELA), par

Bouterweck. V. espagnole (Histoire de la littérature).

Littérature espagnolo (HISTOIRE DELA), par Ticknor. V. espagnole (Histoire de ta littérature).

Littérature italienne (HISTOIRE DE LA), pal’

Tiraboschi. V. italienne (Histoire de la littérature).

III. — Littérature dramatique.

Littérature dramatique (COURS DE), par

A.-W. de Schlegel (1809-1814, 3 vol.). Cet ouvrage, qui fait autorité pour tous les jugements qui n’intéressent pas la scène française, est la rédaction des quinze leçons que fit Schlegel à Vienne en 1808. La traduction de Mme Necker de Saussure parut en 1809-1814 (3 vol.) ; l’ouvrage original avait été imprimé sous ce titre : Leçons d’art dramatique et de littérature (1S09-1S11).

Ce Cours embrasse tout ce qui s’est produit de plus remarquable au théâtre depuis les Grecs jusqu’à nos jours ; ce n’est point une nomenclature stérile des travaux des divers auteurs. L’esprit de chaque littérature y est saisi avec l’imagination d’un poète.

On ne peut contester à l’ouvrage de Schlegel un mérite assez rare en tout temps, même chez les écrivains qui marquent par le style, le savoir et l’esprit. Son Cours brille par une foule d’idées profondes, originales, créatrices. Replacer la théorie de l’art sur son vrai terrain, lui assigner ses limites naturelles, exposer et défendre les divers procédés, les diverses formes qui ont dû correspondre à différents degrés de civilisation, apporter dans l’histoire littéraire ce feu sacré qui inspire l’enthousiasme pour les grands génies et leurs œuvres, savamment analysées, tel est le travail qu’a entrepris et exécuté le critique allemand. Traiter ainsi la critique, c’est faire à son tour œuvre de génie.

Schlegel est surtout excellent lorsqu’il apprécie le théâtre grec, celui de Shakspeare et celui de Calderon. On peut le consulter encore sur Métastase et Alheri. C’est dans ces appréciations que Schlegel justifie le mot de Rime de Staël : » Il n’a point d’égal dans l’art d’inspirer de l’enthousiasme pour les grands génies qu’il admire. » 11 est à regretter que le théâtre français soit en général fort mal jugé ; mais Schlegel est évidemment sous l’influence de la passion. C’est la dictature de Napoléon qu’il s agit d’attaquer dans la dictature du théâtre français. et ce qui le prouve, c’est que le ton et la nature de sa critique changent à l’instant. Le professeur qui tout à l’heure combattait avec autant d’éloquence que de raison cette vieille critique négative, exclusivement acharnée aux défauts, analyse Racine à peu près comme Laharpe aurait analysé Shakspeare. Il ne voit dans le théâtre français rien autre chose que l’imitation du théâtre grec, et, après avoir prouvé combien cette imitation est loin d’être exacte, il. en conclut tout simplement que la copie est mauvaise et inférieure à l’original, au lieu d’en conclure qu’elle est autre, et que cette différence constitue sa véritable originalité.

■… Schlegel, dit Henri Heine, n’a jamais pu comprendre que la poésie du passé. Celle du temps présent lui échappe. Tout ce qui est vie moderne lui semble excessivement prosaïque, et il n’a pu concevoir la poésie de la France, ce sol maternel de la société et da la poésie modernes. ■

Littérature dramatique (COURS DE) Ou Recueil, par ordre de matières, des feuilletons de Geoffroy (Paris, 1819, 6 vol. in-8°). Cette collection, assez mal faite, comprend ce que le critique a écrit pendant quinze années sur le théâtre et l’art dramatique. Loué d’abord par les critiques de son école, puis bafoué par ses ennemis, l’Aristarque des Débats n’a été juge que de nos jours. Dans ses articles de feuilleton, Geoffroy s’est contenté trop souvent d’égayer la malignité du public, et a négligé d’être impartial. Cependant on ne peut lui refuser une pénétration d’esprit qui lui fait saisir sur-le-champ les beautés et les défauts d’un ouvrage, une imagination vive, un goût pur et sain, un jugement solide et une profonde connaissance des anciens modèles. Au compte rendu de la représentation des pièces de théâtre, cadre assez borné et passablement uniforme, le feuilletoniste ramène toutes les questions, toutes les discussions à l’ordre du jour. Sa lutte a deux objets en vue : d’un côté, il combat pour certains principes sociaux ; de l’autre, il s’escrime pour ou contre des intérêts de coulisses et des princes de théâtre. Loin d’éviter les personnalités, il les recherche. Il revient chaque fois dans la lice armé de nouveaux arguments, de nouveaux sarcasmes ; on l’accuse même d’utiliser sa plume à la façon de l’Arétin. « Maigre ses défauts et même ses vices, dit M. Sainte-Beuve, Geoffroy était un critique d’une valeur réelle, d’une grande force de sens, d’une fermeté un peu lourde, mais qui frappait bien quand elle tombait juste ; d’une solidité de jugement remarquable, quand la passion ou le calcul ne venait pas a la traverse… Il eut assez de flexibilité pour changer sa manière (celle, de l’Année littéraire). On sentait bien que sa légèreté n’était pas toujours naturelle, et que le poignet était pesant ; pourtant il sut animer et féconder ce genre de critique, en y introduisant les questions à l’ordre du jour, et en y mêlant à tout propos une polémique qui flattait alors les passions… Ses articles, relus aujourd’hui, ont fort perdu. Les gens du métier, cependant, en font cas toujours, et y trouvent encore d’utiles remarques. Mais leur vogue, dans le temps, fut prodigieuse. »

Nous ne pouvons, toutefois, nous dispenser de dire qu’en soutenant dans le Journal des Débats, alors appelé Journal de l’Empire, une guerre implacable contre Voltaire en particulier, et le xviiie siècle en général, Geoffroy flattait et servait sans courage, ou du moins sans dignité, la politique de l’empereur.

Littérature dramatique (cours de), par M. Saint-Marc Girardin (1843 et suiv., 4 vol.). La principale partie de cet ouvrage est celle qui traite de l’usage des passions dans le drame. L’auteur disserte sur les plus grandes questions de l’art dramatique, au point de vue des passions, qui sont les ressorts du drame ; il les expose par ordre historique, et cause sur un ton familier, renonçant en cela a l’exemple périlleux que son maître lui avait donné. Ce Cours est une revue capricieuse ; on y étudie chacune des affections <ie l’âme humaine séparément dans les expressions diverses qu’elle a reçues des écrivains anciens et modernes. On y compare ces différentes peintures, pour tirer du rapprochement, souvent arbitraire, une leçon de goût ou de conduite, au besoin un arrêt ironique. Chateaubriand avait procédé de la même façon dans son Génie du christianisme, en considérant les sentiments principaux du cœur humain, les caractères de père, de mère, d’époux et d’épouse, au point de vue de l’expression chez les anciens et chez les modernes. Une telle façon de procéder, toute comparative, offre de la variété. Le critique passe de Sémiramis à Lucrèce Borgia, et sait retrouver dans deux drames si différents une donnée identique ; il compare de même le Roi Leur au Père Goriot, puisque l’affection paternelle fait le fond des deux ouvrages, si dissemblables aussi, o Cette méthode, dit M. Sainte-Beuve, n’est pas assez simple, assez suivie ; elle fait trop de chemin en peu de temps ; comme le théâtre des romantiques, elle a ses perpétuels changements à vue… Les choses qu’il dit sont fines, le plus souvent judicieuses, mais elles arrivent souvent d’une manière scintillante. Lui qui sait si bien indiquer les défauts de la cuirasse d’autnti, voilà le sien. Il a des commencements de chapitres parfaits de ton, de tenue, de sévérité, d’une haute critique ; puis il descend ou plutôt il s’élance, il saute à des points de vue tout opposés… Il y a dans un seul de ses chapitres prodigieusement d’idées, de vues, d’observations, bien plus sans doute que dans le même nombre de pages de Quintilien et de Lougin ; mais il y a aussi du bel esprit. »

C’est cet ouvrage, incomplet dans son ensemble, dont l’objet même est discutable et qui ne peut en tout cas être bien utile à un auteur dramatique, qui a fait la réputation de M. Saint-Marc Girardin, Quelques parties brillantes ont pu faire assez d’illusion pour lui assurer une certain succès.

Littérature dramatique (histoire de la), par Jules Janin (Paris, 1853). Le titre est quelque peu trompeur ; l’ouvrage n’offre qu’un recueil de feuilletons. M. Jules Janin a choisi, parmi les nombreux comptes rendus qu’il a faits des pièces, des livres et des événements de son époque, tous ceux qui se rapportaient au théâtre. Il les a revus sommairement, et les volumes se sont ajoutés aux volumes. M. de Sacy en a très-spirituellement exprimé le caractère artistique et non scientifique, littéraire et non historique. « Si vous voulez savoir, dit-il, en quelle année de la fondation de Rome est né le vieux Plaute, et en quelle année il est mort, ce n’est pas à M. Jules Janin que je vous renverrai. M. Jules Janin l’aurait appris dix fois, qu’il serait encore très-capable de se tromper. Le ciel ne l’a pas fait pour travailler à l’Art de vérifier les dates. Vous trouverez assez d’ennuyeux pédants qui vous donneront là-dessus tous les renseignements possibles, quand même l’histoire ne leur en fournirait pas de très-sûrs. Mais voulez-vous un portrait plein de feu et de vie du vieux comique romain, M. Jules Janin est


votre homme. Lisez son ouvrage ; et s’il vous reste ensuite quelques scrupules sur la fidélité des détails, vous avez Plaute lui-même. M. Jules Janin vous aura donné envie de le lire, grand mérite, but suprême de la critique : inspirer l’envie de lire et de relire ces maîtres. »

Mais la critique du théâtre ancien est la moindre partie de l’ouvrage de M. J. Janin ; son livre vaut surtout par l’appréciation des pièces modernes ; on y retrouve toutes les impressions, toutes les émotions, toutes les passions de l’auteur ; on sent l’homme. Quelle différence entre ce livre et le Cours de littérature dramatique de Geoffroy ! La méthode semble la même. Analyse des pièces contemporaines, tel est le fond commun des deux ouvrages. Mais J : Janin remplace la monotonie, la froideur et le fiel de son prédécesseur par la bonne humeur et la fantaisie.