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Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/misère s. f.

La bibliothèque libre.
Administration du grand dictionnaire universel (11, part. 1p. 333-334).

MISÈRE s. f. (mi-zè-re— lat. miseria ; de miser, malheureux, digne de pitié, qui se rapr. porte sans doute au même radical que le grec misos, haine, et le latin meestus, triste. Delà-, tre croit que miser signifie, proprement dér pourvu de tout, de la racine sanscrite miç, enlever). État, condition misérable, digne de pitié : Vt’ui-e dans la misère. Tomber dans la misère, dans une profonde misère, au comble de ta misère. Solon appelait les villes le ré- / ceptacle de la misère humaine. (D’Ablanc.) L’insensibilité à la une.des misères est dureté ;, s’il y entre du ptaisir, c’est cruauté. (Vnuven.) Il y a une espèce de honted’être heureuxà la vue de certaines misères. (La Bruy.) La misère ne consiste pas dans la privation des ■ choses, mais dans le besoin quis’en fait sentir.. (J.-J. Rouss.) L’enfant qui comprendra, la mi-, sère des autres y compatira naturellement.. (Mme Monmarson.) Il n’y a rien sur la terre de plus constant, de plus implacable que la misère du genre Aum’iiir.(Proudh.) L’hôpital est le temple de la misère., (Proudh.)

On doit du malheureux respecter la misère. ■ •

Crédillon. •’.

Nous sommes peu touchés des misères’des ntitreo,’

VlENNKT,

… Le travail, aux hommes nécessaire, Fait leur félicité plutôt que leur ntjjére.

Boileau.

! 1 Pauvreté : La misèrk porte au désespoir,

la grandeur inspire la présomption., (Pasc.) La splendeur des grands ajoute à notre propre misère te poids du bonheur des autres. (La Bruy.) La foule rampe dans la.misère. (J.-J. Rouss.) La misère des hommes croit toujours avec leur dépendance. (B. de St.-P.) La misexe fardée de luxe est effroyable. (Duputy.) La misère accroit l’ignorance, l’ignorance accroît la misère. (Mmo de Staël.) in misère tue te corps par les privations et l’esprit par-j le chagrin. (D. Jussieu.) Les réunions de pau, —vres sont toujours mauvaises ; il ne faut pas laisser fermenter la misère. (Mnrbeuu.) En-, tretenir la misère, c’est être complice de, tout, le mal moral qu’elle enfante. (J. Droz.) Corn-,’ bien de vices et de crimes on ferait disparaître, si l’on parvenait à bannir l’oisiveté et lu misère ! (Droz.) La misère est une maladie du corps social, absolument comme, la lèpre est une maladie du corps humain. (V. Hugo.) L’ér tendue de la, prostitution se mesure à la gran- ; deur du luxe et à la profondeur de la misère. (L. Faucher.) Il y a dans ce monde plus de misère que n’en peut guérir une charité sans bornes. (Fix.) La condition des peuples ignorants est ta barbarie et la misère. (A. Martin.) La misère du peuple est à l’ignorance du ■ pouvoir ce que l’effet est à la cause. (E..de Gir.) Dans la société actuelle, te progrès delà misère est parallèle et adéquat au progrès, de la richesse. (Proudh.) La misère fait tous, les jours des progrès en Fiance. (L.-N. Bonap.). Sous le despotisme, le droit à la misère est le seul possible. (Colins.) La misère et l’igno-., rance sont les deux plus grands adversairesde la liberté. (L. Plée.) Quand te misère pèse., sur l’homme, tout est possible en fait de servi ;,  : tude et de crime. (Vacherot.) La misère est' une servitude qui enchaîne l’âme aussi bien que le corps. (Mich. Chev.j L’ignorance n’est qu’une des faces de ta .misère. (E. About.) Il (Jhose fâcheuse et digne de pitié  : La richesse a ses misères. L’homme trouve en soi-même un amas de misères inévitables. (Pasc.) Les dignités sont une servitude de pus qu’H faut ajouter aux misères humaines. (Clément XIV), Nous ne devonsi chercher ailleurs que rfoii^/e^ dérèglement dé nos mœurs tes causes de nos misères. (Mass.) C’est une grande misère gué de n’avoir pas assez d’esprit pour bien parler ni assez de jugement pour se taire. (La Bruy.) On est tout réconcilié avec l’indigence quand oh a vu de près tes misères des grands. (Mme de Fontaines.)

— Par ext. Personnes misérables : Secourir la misère. Insulter la misère, La misère invente et t’a propriété recueille. (Proudh.) La plupart des hommes vivent à côté de la misère sans lavoir. (J. Simon.) La propreté est té luxe de la misère. (Aug. Humbert.)

— Circonstances malheureuses : La miserb du temps. Les misères de notre siècle., v, <

— Fam. Bagatelle, chose de peud’ftnpartance : Ce ne sont souuent que des- misères qui font naître l’amour, et des misères qui lé. font cesser. (M « ie d’Arconville.) il (Jhoso sans> mérite, sans valeur : En vérité, il faut que le. goût et le génie tombent furieusement à, Parist l’on n’y imprime que de pareilles misères » (Volt-) El Chose pénible, ennuyeuse : C’est une misère que d’avoir affaire aux avocats.

— Poétiq. Infortune, pauvreté personnifiée : ’’..’,

La vile Oisiveté est Alla de Misent 1’—’

A. be Musset,’

m

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Voyez, voyez, c’est Misère qui passe, Sombre, pieds nus, couvert» de haillons ; Des pleurs amers ruissellent sur sa face.

Barri llot. Il faut, misère infime ! A ta griffe arracher, Autant qu’on pourra, l’Ame Avec toute sa chair.

A, Baiu>ibr.

— Pie. Faiblesse, impuissance, vanité, néant : La misère de l’homme se conclut de sa grandeur, et sa grandeur de sa misère. (Pasc.) il Vice, défaut moral ou intellectuel : La mort nous prend que nous sommes encore tout pleins de nos misères. (M™e de Sév.) Ces pauvres envieux, en raison de leur secrète mishre, je rebiffent contre le mérite. (Chateaub.) La -pensée a ses audaces, ses résolutions, ses sp£endourîj.ses*MlsÈRES. (MallefiUe.) Une extrême timidité révèle presque toujours la misère de l’intelligence» (Mme Monmarson.)

■*— Loci fam. Collier de misère, Travail constant et ennuyeux : Porter le collier de misère. AÂrro nous a attaché à tous le collier de misère. Il Crier misère, Se plaindre de son indigence vraie ou prétendue ; Il ne crie pas misère sans raison.".’.... Eh ! mon ami, pourquoi Toujours te lamenter, toujours crier misère ?

J, ’i ’ LACHAHBEAUDIp.

Il'Faire des misères, Se livrer à des taquineries Importunes : Vous aimez trop à faire

DE13 MISERES.’

■,7- Mythol. rora. Dresse de la misère, Fille dël’Erebe et de la Nuit.

rrr-Ascét. Vallée de misères, La terre, où les hommes sont livrés & toutes sortes de maux.

•— Hist. Vallée de misère, Nom qu’on donnait encore, au xvmt Biècle, aux quartiers de la rive droite à Pà"ris.

— Jeux. Grande misère, Coup que l’on gagne ; au boston, en ne faisant pas une seule levée : Il g eut un moment de la soirée où la vieille filléentreprit une grande misère en cœur ; le panier était plein’ de ficfïès et contenait, en Outre, vingt-sépîjous. (6àlz.) |[ Petite misère, Coup que l’on gagne en taisant une levée sans plus, i] Misère des quatre as, Coup que l’oit- peut jouer seulement lorsqu’on a les f* quatre as et dans lequel on né doit pas faire de levées.

— Chir. Lit de misère, Lit sur lequel on plîtçé une femme au momçnt de son accouchement ou un malade que l’on va opérer,

— Ornith. Bonhomme misère, Nom familier donné au muge-gorge, dans les contrées où il né se montre qu’eu hiver.

rr- Syn. Misère, adversi.lâ, détresse, disgrâce, Infortune, malheur. V. ADVERSITÉ.

"L" Misère, indlgouèe, pauvreté. V. INDIGENCE.

— Misère, t>a, ulc>le, bagatelle, etc. V. B4BlOLiE.

— Bacyol. V. PAUPÉRISME/ ■

— Iconogr. Les Romains avaient personnifié la Mauvaise Fortune, la Misère, et honoraient d’un culte spécial cette divinité adverse. Une des plus anciennes et des plus ingénieuses allégories de la misère nous est offerte par un inarbre qu’Aiinghi a publié dans la ftçma subterranea (11, p. ES3) ; elle représente un enfant enchaîné dans son berceau, .image saisissante de l’adversité qui saisit i’hoinme dès sa naissance. Du Soimnerard a pub)iè dans son À Ibum du moyen âge une suite de miniatures du xve siècle, retraçant la Bonne et la Mauvaise fortune. Une gravure sur bois, de 1494, qui a été reproduite dans la Dibliotheca spr.nceriana (IV, p. 420), représente la Misère renversant la Fortune, dont la roue est brisée, Sadeler a grayé, d’après Martin de Vos, une composition qui nous montre la Misère pénétrant dans l’intérieur d’une maison : un squelette y joue de la cornemuse. La Misère humaine a été représentée d’une fuçon saisissante et originale dans les Danses macabres d’Holbeiiï et de divers autres maîtres allemands. Un "tableau de la Misère a été gravé, au commencement du xvne siècle, par G. vau Breen, avec une inscription eointnehçant’pàr ce» mots : Mox miseri lugent... Hûgartn a représenté la Misère du poète dans une estampa datée de 1740 : le poète est occupé à écrire dans un galetas, au milieu de son ménage ; au-dessus de la bibliothèque est un tableau représentant Pope rossant son confrère Curl ; ce dernier sujet est remplacé, dans un deuxième état de 1 estampe, par une carte géographique portant ce titre : Vue dés mines d’or du Pérou.

Au Salon de 1849, M. Alfred Gobert a exposé, un tableau intitulé Misère, ignorance et prostitution ; M. Jules Breton, un tableau intitulé Misère et désespoir ; M. Fernand Boissard, un tableau intitulé simplement Misère. Deux statuaires, M. J.-L. Gauthier et Emile Lancelot, ont exposé, l’un en 1850, l’autre en 1807, des figures de la Misère. Le premier a représenté le spectre hideux sous les traits d’un, vieillard^pelotonné dans une draperie en lambeaux. M, Bartholdi a sculpté le Génie dans les griffes de la Misère, œuvre poétique aussi hardiment exécutée que fortement conçueiL’hoimne de génie, que toutes ses aspirations emportent vers l’idéal, se sent retenu dans le monde-de la matière par les doigts croéhus, de^ia Miserai ses force3.se sont

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épuisées dans la lutte ; l’expression de sublime tristesse qui assombrit son visage atteste que son Ame a souffert plus encore que son corps dans ce combat douloureux. Signalons, enfin, la composition si fantastique, si originale que M. Glaize a intitulée la Pourvoyeuse Misère. Nous lui consacrons ci-après un article spécial. •

Callot a gravé sous ce titre : les Misères et les malheurs de la guerre, une suite de dix-huit estampes, éditées à Paris en 1633, par Israël Sylvestre. C’est une représentation spirituelle et navrante des horreurs au moyen (lesquelles les conquérants achètent la gloire. Teniers a peint aussi, sous le titre de Misères de la guerre, des scènes de pillage et de dévastation que Le Bas et Tardieu ont gravées.

Minore (DU PROBLÈME DE LA) et d« ma solution chez le* peuples anciens ai niodernés,

par M. Moreau-Christophe (Paris, 1851, 3 vol. m-8°). Il manquait à la science de l’économie sociale un traité ùi extenso sur la misère antique et moderne, traité qui embrassât cette grande question dans son étendue la plus compréhensible, et qui, l’envisageant sous tous ses aspects et la sondant dans toutes ses profondeurs, nous en fit connaître l’ensemble et’les détails dans le fait de l’existence et des progrès du mal. dans ses causes et dans ses effets, dans ses signes révélateurs et dans ses moyens de curalion, chez toutes les nations, dans tous les temps, depuis l’origine des sociétés humaines. C’est cette lacune qu’est venu remplir le livre de M. MoreauChristophe.

Fruit de vingt années d’études et de recherches, et couronné, dans une de ses parties mise au concours, par l’Académie des sciences morales et politiques, ce livre s’ouvre à nous comme un vaste répertoire, comme un panorama immense où l’analyse et la synthèse se prêtent leurs mutuelles clartés, et où se déroulent successivement à nos yeux chaque siècle, chaque période, chaque peuple, avec son cortège de misères et les nuances multiples, les prodromes distincts, les fruits diversement amers et les, remèdes nombreux et inutilement employés du mal endémique, éternel, qui dévore le monde depuis sa création.

Bans le premier volume, c’est l’antiquité qui nous apparaît sous les traits de Rome païenne, avec son hêrilité et ses esclaves, avec son patronat et ses clients, avec son patriciat et sa plèbe, avec ses affranchis, ses bandits, ses ob&rati, ses mendiants, ses prostituées, ses trois cent mille prolétaires, etc., ayant, pour soulager tous ses maux, ses leges agrarix, 3es leges annonaria, ses frumentaris fesseras, ses .congiaria, ses donaHua, ses missilia, sa sportula, ses epulte, ses sodalilates, etc., système de secours dont les colossales proportions n’ont été atteintes chez aucun autre peuple, et qui, pourtant, fut impuissant à tarir les sources du mal.

Dans le deuxième volume, c’est le mosaïsme, c’est le christianisme, c’est le moyen âge, qui Viennent successivement apporter le tribut de leurs efforts pour guérir la-lèpre dont ils sont également infectés ; le mosaïsme, avec son Pentuteuqueet ses jouissances matérielles à satisfaire, avec sa peine du travail et son double sabbat, avec son jubilé et ses banqueroutes périodiques, avec son hospitalité et sa dlmb triennale, etc. ; le christianisme, avec son Évangile et sa croix à porter, avec sa chanté et ses aumônes, avec ses hôpitaux et ses diaconies, avec son droit a, l’assistance et son communisme fraternitaire, avec sa résignation pour parer à l’insuflisance de tous ces moyens ; le moyen âge, avec ses capitulaires et ses seigneurs féodaux, avec ses serfs et ses bourgeois, ses paysans et ses vilains, avec sa gent taillable et corvéable à merci, avec ses communes affranchies et ses monastères, avec ses républiques ouvrières et ses jurandes, etc., et tout cela venant échouer contre le flot de la misère.

Bans le troisième volume, enfin, c’est le monde moderne ; c’est l’Europe catholique, c’est l’Europe protestante, c’est la France, chacune avec ses misères et ses institutions propres, chacune avec sa charité organisée et ses moyens plus ou moins perfectionnés d’obvier à la mendicité, de moraliser les condamnés, de soulager l’indigence, etc., moyens dont la multiplicité stérile n’accuse que trop les vices et l’impuissance, en même temps que l’intensité progressive du mal à guérir.

Serait-ce donc que le chancre de la misère est radicalement incurable ? Non ; mais c’est que, en confondant la pauvreté, qui est de essence de toute société humaine, avec la misère, qui n’en est qu’une excroissance, qu’un accident, on a, pour ainsi dire, fait rejaillir sur la possibilité d’extirper celle-ci l’impossibilité d’éteindre celle-là. C’est que, faisant de l’extinction de la misère plutôt une affaire qu’une vertu, on a employé dans ce but des remèdes qui ont opéré dans le sens inverse de ce but même ; de sorte que, en délinitive, tous les efforts qu’on a faits, depuis tant de siècles, pour fermer la plaie, ont eu pour résultat nécessaire de l’agrandir...

Que faire donc ?

C’est ce que M. Moreau-Christophe essaye d’indiquer dans ce que nous pourrions appeler la partie clinique de son livre, et il a soin de se tenir à une égale distance des utopies socialistes et des pratiques routinières ; sous

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n’oserions pas dire qu’il a résolu le terrible problème, mais c’est un grand pas que de l’avoir exposé avec tant de science, de franehise et de clarté.

Misère an temps lie In Fronde (LA) OU Un chapitre de l’histoire du paupérisme en

Franco, par A. Feillet (Paris, l8G2, *in-go). Ce livre n’est pas une reproduction banale de toutes les histoires de la Fronde qui l’avaient précédé ; il a sa raison d’être spéciale : la Fronde, parfaitement étudiée au point de vue de l’histoire politique, attendait un historien au point de vue économique ; Feillet eut l’ambition d’écrire cette histoire ignorée et ne fut pas, au-dessous d’une tâche aussi difficile.

Tout le monde sait l’état d’anarchie qui signala la minorité de Louis XIV : nul n’ignore les noms des chefs, le secret et la multiplicité des intrigues, les succès divers, le désordre général des affaires présentes, l’incertitude absolue de l’avenir ; mais au milieu de ces compétitions d’ambitions équivoques, triomphes d’un jour, de ces petits complots menés parfois avec adresse, souvent avec esprit ; parmi ces mouvements de troupes, régulières ou autres, ces engagements ou sanglants ou ridicules, ce qu’on ignore généralement, ce qui a peu ou point préoccupé les historiens, c’est l’épouvantable misère du peuple, du peuple qui ne riait ni ne chantait avec ces nobles et gais conspirateurs, mais qui, selon la coutume éternelle, payait très-cher leurs incartades. La misère était affreuse ; c’est une idée heureuse et instructive de nous en avoir présenté le tableau. Celui que nous en a donné Feillet a une haute importance morale ; d’autant plus qu’il le trace avec une très-remarquable impartialité, ne se laissant arrêter dans ses appréciations ni par les vertus incontestées d un Vincent de Paul, ni par la gloire plus contestable d’un Condé. Il est bon, il est équitable qu’eu rendant toute justice au héros de la charité chrétienne nous apprenions que la voie qu’il a suivie avec tant d’éclat lui avait été ouverte par des hérétiques depuis honnis et persécutés par le grand roi, les jansénistes de Port-Royal, vrais fondateurs, Feillet l’a prouvé, de l’assistance des pauvres. Il est bon, pour l’éternelle justice, que le grand Condé, « cet autre Alexandre, » élevé par l’éloquence de Bossuet sur un si glorieux piédestal, nous soit montré tel qu’il fut : avare, cruel, comptant pour rien le sang de ses soldats, pour moins que rien les misères du peuple. Peut-être pourrait-on reprocher à l’auteur de ce beau livre de n’avoir point placé assez haut la solution du grand problème qui ne pouvait manquer de Te - préoccuper. : l’extinction du paupérisme ; peut-être s’est-il exagéré, sur ce grave sujet, le rôle de la charité privée ; mais ce qu’il faut demander à un historien, ce n’est pas tant de donner des théories certaines que de grouper des faits vrais, intéressants et instructifs ; sous ce rapport, le livre de Feillet est irréprochable ; il mérite, à n’en pas douter, les trois épithètes que Sainte-Beuve a accumulées sur lui : « savant, effrayant et édifiant. » Aussi a-t-il atteint quatre éditions ; la dernière est augmentée d’un nouveau chapitre et d’un important uppendice.

Misères’do la guerre (LES). Jacques Callot fit, sous ce titre, deux séries de gravures : la première, les Petites misères, composée seulement de six petites planches, parut en 1633, l’année même de la prise de Nancy par les Français ; la seconde est triple en grandeur et en nombre ; on l’appelle les Grandes misères. Toutes les phases de la guerre y sont parcourues : l’aspect du camp, bientôt la mêlée furieuse, le villnge dévasté ou la maraude en grand ; puis viennent les scènes de pillage, de meurtre, de viol ; les lieux les’plus sacrés ne sont pas mémo respectés ; une abbaye de femmes devient un horrible théâtre d’exploits pour ces misérables. On ne saurait suivre pièce à pièce ces dix-huit compositions lamentables, si frappantes de vérité, surtout pour les contemporains de Callot au moment de la terrible guerre de Trente ans. Heureusement, pour consoler de ces scènes d’horreur, l’artiste a montré dans quelques-unes le châtiment arrivant à pas lents : c’est la justice prévôtale qui, do temps en temps, pend, roue, ou fait passer par les armes quelques bandits ; ou bien ce sont les paysans qui massacrent impitoyablement les truînards tombés dans leurs embuscades. D’autres soldats, après la guerre, mènent l’existence la plus misérable, on les voit infirmes et mendiants ; « bien peu nombreux sont ceux qui méritent ! une glorieuse récompense au terme d’une honorable carrière. » Des vers de Callot servent d’explication à ces tristes planches. Voir : M. ftfeaumé, Vie et œuvres de Callot (2 vol.) ; M. Ch. Blanc, Vie des peintres célèbres au point de vue de l’art, et M. Feillet, pour l’interprétation historique de ces dessins, dans la Misère au temps de la Fronde et saint Vincent de Paul. Callot sert pour l’historien d’introduction aux tristes récits de cette époque.