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Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/montagnard, arde adj.

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Administration du grand dictionnaire universel (11, part. 2p. 478-479).

MONTAGNARD, ARDE adj. (mon-ta-gnar, ar-de; gn mll. — rad. montagne). Qui est de la montagne, qui habite les montagnes : Peuple montagnard. L’ours est une bête grave, toute montagnarde, curieuse à voir dans sa houppelande grisâtre ou jaunâtre de poils feutrés. (H. Taine.)

… Les fils du Tyrol, peuple héroïque et fier,
Montagnard comme l’aigle et libre comme l’air.
                 A. de Musset.

|| Qui aime les montagnes : J’ai eu de la boue et de la neige, mais vous savez que je suis un peu montagnard. (V. Hugo.)

— Qui est propre aux habitants des montagnes : Mœurs montagnardes. Chant montagnard. Costume montagnard.

J’errais parmi les clans sous le plaid montagnard.
                             C. Delavigne.

|| Qui a rapport aux montagnes : Les vives senteurs de ces arbustes se mêlaient aux sauvages parfums de la nature montagnarde. (Balz.)

— Hist. Qui appartenait au parti de la Montagne : Depuis la chute des girondins, le parti montagnard, resté seul, avait commencé à se fractionner. (Thiers.)

— Substantiv. Personne qui est née dans les montagnes ou qui y habite : Les montagnards d’Écosse. L’hospitalité des montagnards bretons est renommée. (E. Souvestre.) Les montagnards sont, en général, hardis, entreprenants, rudes. (L’abbé Bautain.) La marmotte est l’emblème du pauvre montagnard, qui s’engourdit dans sa misère. (Toussenel.)

— s. m. Hist. Membre du parti de la Montagne : Les montagnards et les girondins. || Nom donné, en 1848, aux membres du parti démocratique social. || Nom donné à tous ceux qui ont des idées démocratiques avancées.

— Techn. Cheval que les omnibus prennent au bas des montées, pour les aider à les franchir. || Conducteur de ce cheval.

— Superstit. Nom donné à des diables qui, dit-on, séjournent dans les mines, sous les montagnes, et se plaisent à tourmenter les mineurs.

— Ornith. Espèce de faucon d’Afrique.

Montagnards (HISTOIRE DES), par Alphonse Esquiros (1847, 2 vol. in-8°). Lamartine venait de publier les Girondins ; il fallait un pendant à ce livre mémorable. Les girondins n’étaient, en effet, qu’une des deux grandes forces auxquelles la Révolution est due, et la moins énergique. L’Histoire des montagnards venait à propos, quoique signée d’un nom moins célèbre que celui de Lamartine, mais déjà connu honorablement dans le camp de l’opposition extrême, car M. Esquiros était alors à l’extrémité la plus avancée du parti radical. Il y est resté politiquement ; mais l’âge et l’expérience de la vie lui ont appris à mettre dans ses écrits et sa conduite beaucoup plus de modération, ainsi qu’il convient à un collaborateur de la Revue des Deux-Mondes.

« Les girondins, dit-il avec raison, n’ont joué dans le grand drame révolutionnaire qu’un rôle rapide et subordonné. Non-seulement la Montagne leur a survécu, mais encore c’est dans son sein, au milieu des éclairs et du tonnerre, que se sont révélés les oracles de l’esprit humain transfiguré. De là sont parties la force et la lumière. À peine si les girondins ont résisté ; ils ont pâli devant les événements ; ils se sont effacés dans un torrent d’éloquence. Les montagnards ont, au contraire, renouvelé entre eux, avec le pays et avec le monde entier, la lutte des géants. Foudroyés, ils ont enseveli la Révolution dans leur désastre immense, et, après eux, la République n’a plus été qu’un fantôme. »

Ce sont là des vues étroites : la chute de la Montagne n’a pas compromis la Révolution, qui fut dès lors un fait acquis. Ses conquêtes sont restées debout ; le 9 thermidor n’y a pas touché ; il a seulement fait sortir la France d’une crise héroïque, mais qui n’était pas un état normal.

Maintenant, la Montagne vit-elle éclore de grandes et belles passions à son ombre ? Sans contredit. Comme le dit M. Esquiros, « il y avait de l’amour passionné dans cette fureur du bien public qui immolait tout à une idée. Il faut embrasser d’un point de vue élevé cette époque terrible et glorieuse qui réunit tous les contrastes… Parmi les hommes que la Montagne éleva, dans un jour de tempête, au gouvernement du pays, il y en a qui ont sauvé le territoire d’une invasion étrangère, détruit les factions abjectes dont le triomphe aurait amené la perte de la France, assuré le respect de la souveraineté nationale, ouvert à la pensée humaine, en mal de vérité, des routes infinies. »

Le fait n’est pas contestable. L’auteur, d’ailleurs, ne prétend pas réhabiliter tous les terroristes. « Il y a, dit-il, certains actes qui font tomber sur les hommes une responsabilité foudroyante. »

L’auteur fait l’histoire des montagnards avec la ferveur d’un homme qui croit à ceux dont il écrit la vie et dont il analyse les idées. Il n’y a là rien de bien nouveau. Depuis soixante-dix ans, la France attentive écoute raconter avec ravissement son épopée révolutionnaire. Le ton et le geste sont la seule différence qu’il y ait entre les narrateurs qui ont essayé l’entreprise. M. Esquiros est un des mieux doués d’entre eux sous le rapport du style, de la bonne foi et du savoir. Quelquefois sa prose est un peu déclamatoire et ses allures sont prophétiques. Il s’est corrigé depuis de ces légers défauts.

Il y a d’ailleurs dans son livre des remarques originales et dignes d’être recueillies. Par exemple, il constate avec beaucoup de justesse ce fait nouveau dans l’histoire, qu’en 1793 le peuple français s’est battu pour une idée plus que pour la défense du territoire. Depuis, toujours le mot de patrie a eu le privilège de remuer les foules et de les jeter à la frontière. Ce ne fut pas lui qu’on invoqua en 1793 ; ce fut le salut des principes qu’on venait de conquérir et que menaçaient l’invasion des rois. « Si les hommes de 1793, dit M. Esquiros, ont défendu la patrie avec un héroïsme qui tient du prodige, soit à la tribune, soit sur le champ de bataille, c’est que la France était à leurs yeux le sol d’une idée ; ôtez cette idée, et le territoire, malgré les intérêts qui s’y attachent, malgré le sang martial de ses enfants, le territoire eût été envahi. Dira-t-on qu’ils combattaient pro aris et focis, ces conscrits sans veste et sans souliers, qui opposaient leur poitrine nue à la mitraille ? Des autels ? Ils étaient renversés. Des foyers ? Ces hommes-là n’en avaient pas encore. »

Il est constant que la Montagne et la Gironde ont su faire lever dans les consciences un vent qui frappa l’Europe de stupeur durant vingt-cinq ans et qui ne s’éteignit que sur le champ de bataille de Waterloo. « La Montagne, s’écrie l’auteur, était le Sinaï de la loi nouvelle ; terrible et foudroyante avec des éclairs aux flancs, un peuple prosterné à ses pieds et Dieu au sommet. Au peuple français se rattachaient les destinées des autres peuples, à la Révolution était lié le renouvellement de l’esprit humain. Qui pouvait résister à cela ? Trop près des hommes et des choses pour voir la main qui poussait les événements, d’insensés agitateurs demandèrent au passé et aux ténèbres de les couvrir. Ils se plongèrent d’eux-mêmes dans la mort. D’autres chefs de la Révolution luttèrent jusqu’au bout l’épée haute. Dépositaires de la puissance, ils voulurent hâter le terme de l’enfantement de l’avenir. Ils périrent aussi dans l’action, mais leur œuvre ne périra pas. La Révolution, désormais, n’a plus de violences à craindre ; elle forcera l’entrée des esprits par la lumière et ouvrira les cœurs par l’amour. Déjà ses ennemis se sentent fléchir, et le moment vient où nous nous embrasserons tous au pied de l’arbre dont elle a jeté les racines parmi des débris tachés de sang. »

Cette emphase ne choquait point en 1847 ; aujourd’hui, elle fait sourire un peu ; les prédictions qui l’accompagnent étaient aussi prématurées. Elles témoignent, dans tous les cas, d’une chaleur d’âme et d’une foi dans l’avenir qu’on serait heureux de rencontrer plus souvent.

Montagnards (LES DERNIERS), étude historique de J. Claretie. V. derniers montagnards.