Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/mousquetaire s. m.

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Administration du grand dictionnaire universel (11, part. 2p. 642-643).

MOUSQUETAIRE s. m. (mou-ske-tè-re — rad. mousquet). Soldat d’infanterie armé d’un mousquet : Les mousquetaires espagnols. || Soldat d’un corps de cavaliers formant dans la maison du roi deux compagnies distinguées l’une de l’autre par la couleur de leurs chevaux : Mousquetaires gris. Mousquetaires noirs. En 1696 s’en alla à Dieu Sobieski, ancien mousquetaire de Louis le Grand. (Chateaub.)

— Par plaisant. Mousquetaires à genoux, Ancien sobriquet des apothicaires :

Mousquetaire à genoux, c’est ce que le vulgaire,
En langage commun, appelle apothicaire.
                       Boursault.

Voilà tout bien appareillé,
Le mousquetaire agenouillé
Et le malin corps en posture.
                       Piron.

— Loc. fam. Boire comme un mousquetaire, Boire beaucoup et de bons vins.

— Modes. Au XVIIIe siècle, Partie de la coiffure des femmes, qu’on a appelée aussi FRIPON.

— Théâtre. Nom qu’on donnait autrefois, dans les théâtres espagnols, à la partie la plus pauvre et la plus nombreuse du public.

— Métrol. anc. Pièce de 6 blancs ou de 30 deniers.

— Adjectiv. Fanfaron, déluré, leste : Des façons MOUSQUETAIRES.

— Encycl. Hist. On donna d’abord le nom de mousquetaires aux soldats qui furent armés du mousquet dans les compagnies de piquiers, où ils servaient avec les arquebusiers et remplissaient presque le rôle actuel de l’artillerie. Pendant toute la seconde moitié du XVIe siècle, il y eut à peu près un mousquetaire pour trois piquiers. En 1600, Henri IV créa, pour le service de sa garde, une compagnie de gentilshommes, armés de carabines, et qui pour cela furent appelés les carabins du roi. Vingt-deux ans plus tard, Louis XIII ayant donné le mousquet à cette compagnie lui fit prendre le nom de mousquetaires ; le nombre de ces gardes était de 100, et un de leurs premiers capitaines fut M. de Montalet. En 1634, le roi lui-même prit ce titre. « Le roi Louis XIII, par ses lettres du 3 octobre 1634, la charge de capitaine des cent mousquetaires étant vacante par la démission volontaire du sieur Montalet, s’en fit lui-même le capitaine ; il fit capitaine-lieutenant M. de Troisville, Dubois sous-lieutenant et Goulard cornette. » (Dupleix.)

Le roman d’Alexandre Dumas, les Trois mousquetaires, a rendu populaire la figure de M. de Troisville ou plutôt de Tréville, comme il se fit appeler plus tard. C’était un type de droiture, d’esprit et de fierté. Il ne put jamais consentir à faire une cour servile au cardinal de Richelieu, comme la plupart des hauts personnages de l’époque. Heureusement pour lui, le roi, qui aimait peu le cardinal, le soutenait, sans quoi les duels presque journaliers qui avaient lieu entre les mousquetaires et les gardes du premier ministre auraient certainement amené la dissolution de sa compagnie, dissolution souvent demandée au roi par Richelieu. Louis XIII tint bon ; il n’était pas mécontent de ces rixes qui humiliaient Richelieu, dont les gardes, paraît-il, n’étaient pas souvent les plus forts. « C’était pour le roi un véritable plaisir d’apprendre que ses mousquetaires avaient maltraité les gardes du cardinal ; et réciproquement celui-ci s’applaudissait comme d’une victoire lorsque les mousquetaires avaient le dessous. » (Boullier, Histoire de la maison militaire des rois de France.)

Mazarin hérita de la compagnie des gardes de Richelieu et de sa haine contre les mousquetaires. Louis XIII étant mort, Mazarin, maître du pouvoir sous la régence d’Anne d’Autriche, supprima les mousquetaires (164-) ; mais il les fit réorganiser en 1657 sur d’autres bases, avec son neveu, Philippe, duc de Nevers, pour son capitaine-lieutenant ; comme Louis XIII, Louis XIV prit le titre de capitaine des mousquetaires. Mazarin, en 1660, ayant donné au roi sa compagnie de gardes, qui portaient aussi le nom de mousquetaires, il y en eut dès lors deux compagnies. Cette seconde compagnie, équipée sur le même pied que la première, n’entra en service qu’en 1663, lors de l’expédition de Lorraine ; le roi en était également capitaine. Elles étaient fortes chacune de 300 hommes dans cette expédition et n’en comptèrent plus que 250 à la paix ; en campagne, les enrôlements volontaires de gentilshommes en portaient l’effectif à un nombre illimité.

Le nom de mousquetaires gris et mousquetaires noirs qu’on leur donnait quelquefois provenait, non de la couleur de leurs costumes qui peu à peu arrivèrent à être presque identiques, mais de la robe de leurs chevaux. Les chevaux de la 1re compagnie étaient gris ou blancs ; ceux de la 2e étaient noirs ; les premiers logeaient rue du Bac et les second au faubourg Saint-Antoine, dans deux belles casernes que Louis XIV leur fit construire. Le cadre des officiers se composait, pour chaque compagnie : de 1 capitaine-lieutenant, 2 sous-lieutenants, 2 enseignes, 2 cornettes, 6 porte-étendards, 1 porte-drapeau, 2 aides-majors, 8 maréchaux des logis, 4 brigadiers et 16 sous-brigadiers. Après avoir été armés exclusivement du mousquet, ils reçurent le fusil ; les officiers n’avaient que l’épée et les pistolets ; il en était de même, à cheval, des maréchaux des logis et des brigadiers ; à pied, ceux-ci étaient armés de la hallebarde, comme les sergents des autres corps.

Les mousquetaires faisaient leur service, exécutaient leurs manœuvres à pied et à cheval ; à pied avec le drapeau, les tambours et les fifres, à cheval avec les étendards et les trompettes. Les drapeaux et étendards étaient de satin blanc ; ceux de la 1re compagnie portaient une bombe en l’air tombant sur une ville, avec cette inscription : Quo ruit it lethum ; ceux de la 2e portaient un faisceau de douze dards empennés, la pointe en bas, avec la devise : Alterius Jovis altera tela. En campagne, les deux compagnies de mousquetaires logeaient au quartier du roi, le plus près possible, l’une à droite, l’autre à gauche. Quand le roi n’était pas à l’armée, un détachement faisait le service auprès du commandant en chef.

Le costume des mousquetaires fut longtemps la casaque, semblable a celle des autres gardes. En 1668, après leur réorganisation, chaque compagnie eut un uniforme particulier et la soubreveste, espèce de gilet très-long qui tombait presque aux genoux ; pour le combat, ils dépouillaient la casaque, comme maintenant les cavaliers laissent le manteau, et ne gardaient que la soubreveste ; en 1673, Louis XIV leur donna un uniforme commun, casaque et soubreveste en drap bleu galonné d’or ; la 2e compagnie ne se distinguait que par quelques fils d’argent dans le galon. Ces uniformes étaient fournis par le roi. La marque distinctive des mousquetaires consistait en quatre grandes croix blanches qu’ils portaient aussi bien sur la soubreveste que sur la casaque, une par devant, une par derrière et une de chaque côté. C’était, avant eux, le signe de la cavalerie française ; on les portait brodées sur les hoquetons et cet usage remontait probablement aux croisades. Outre cet uniforme, les mousquetaires étaient tenus d’avoir, à leurs frais, un habillement de drap écarlate, veste et parement de même couleur, avec boutons et boutonnières d’or pour les mousquetaires gris, et d’argent pour les mousquetaires noirs. Ce costume écarlate fut cause que les mousquetaires portèrent aussi le nom de maison rouge du roi.

Orgueilleux de leur bonne tenue, de leur discipline, de leur noblesse, les mousquetaires déployaient le plus grand luxe ; leur nom était synonyme d’élégance et de courage. Les cadets des plus grandes familles s’enorgueillissaient de servir dans ces compagnies d’élite qui, du reste, en maintes occasions, méritèrent par leur bravoure les faveurs dont on les comblait. Les mousquetaires se firent surtout remarquer dans la campagne de 1672, au siége de Valenciennes (1677), à la bataille de Fontenoy (1745) et à Cassel (1766). Le duc de Bourgogne, dauphin, était mousquetaire, et, pour ne pas exciter de jalousie, il appartenait aux deux compagnies, dont il portait alternativement le costume.

Louis XVI supprima les mousquetaires en 1775, pour raison d’économie, et les réorganisa en 1789. Peu après, ils furent licenciés par la République. Lors de la première Restauration en 1814, ils réapparurent, mais pour peu de temps ; on les supprima définitivement en 1815.

— Théâtre. Les mousquetaires formaient dans le théâtre espagnol la portion du public la plus pauvre, la plus bruyante, la plus tapageuse et celle qui décidait la plupart du temps du succès ou de la chute de l’ouvrage. Ces mousquetaires, qu’il ne faudrait pas confondre avec ce que nous appelons la claque, car ils étaient fort indépendants, formaient une curieuse institution, qui se perpétua plus de deux cents ans. Ils jugèrent non-seulement Rueda et Cervantes, mais Lope, Terso, Calderon. D’où leur venait leur nom singulier ? probablement de ce qu’étant debout, au parterre, dans les corrales où se jouaient, en plein vent, les comédies, on les comparait plaisamment aux gens de pied de la milice ; dans les vieux auteurs, ils sont désignés sous le nom d’infanterie, ce qui rentrerait assez dans cette idée ; peut-être aussi leurs salves de bravos ou de sifflets, les projectiles dont ils criblaient les acteurs, les pétards qu’ils tiraient aux mauvais endroits leur méritèrent-ils cette appellation guerrière. Cervantes et Lope de Vega, dans leurs prologues, se sont souvent plaints avec amertume de l’insolence et de l’indocilité des mousquetaires, leurs crécelles, leurs pétards, les clochettes, les clefs forées ont, parait-il, assez souvent accueilli leurs chefs-d’œuvre. On trouve à la fin de quelques comédies des vers destinés à adoucir ce public tapageur, à lui demander sa bienveillance. « Honorables mousquetaires, don Manuel Morchon vous supplie, avec soumission, humilité et douceur (llendido upacible y blando), de lui faire l’aumône d’un bravo, et si ce n’est pas pour le mérite de l’œuvre, que ce soit pour le désir qu’il montre de vous satisfaire. » Ainsi s’exprime don Manuel Morchon à la fin de sa comédie Historia de amor. Antonio de Huerta en fait tout autant : « Si nous méritons un bravo, qu’on nous en fasse l’aumône ; messieurs les mousquetaires, décidez si nous en sommes dignes ! » Et au XVIIIe siècle, Solis s’exprime encore de même : « Ainsi trépasse ma comédie ; si vous lui trouvez du mérite, messieurs les mousquetaires, donnez un bravo pour son enterrement ! » (Doctor Carlino, comédie.)

Ces mousquetaires constituaient certainement une des physionomies originales du vieux théâtre espagnol.