Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/nègre, esse s.

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Administration du grand dictionnaire universel (11, part. 3p. 903-904).

NÈGRE, ESSE s. (nè-gre, è-se — du latin niger, noir, ténébreux, qui se rapporte probablement au même radical que nox, nuit, proprement « la mort du jour », de la racine sanscrite noc, détruire, périr, latin neco. L’affaiblissement de a en i se présente déjà dans le sanscrit niça pour naça, nuit, et dans le latin nisus, épervier, qui se rattache à la même racine). Individu d’une race dont la couleur est noire : Un nègre. Une négresse. Les nègres. africains. Les nègres. australiens. Le Père Dutertre dit que, si tous les nègres sont camus, c’est que les pères et mères écrasent le nez à leurs enfants. (Buff.) L’amour excite chez les négresses des transports inconnus partout ailleurs, et elles poussent l’audace du plaisir jusqu’à la rage la plus effrénée. (Virey.) La stature du nègre est généralement au-dessous de la moyenne. (A. Maury.) Le nègre est l’image de Dieu taillée dans l’ébène. (Fuller.) Le maître du nègre est l’image du démon taillée dans l’ivoire. (Horace Smith.). Le mulâtre ressemble plus à un nègre qu’à un blanc. (Maquel.) Le diable des nègres est peint en blanc : j’aime cette représaille. (A. d’Houdetot.) || Esclave noir employé aux travaux des colonies : Les nègres. tremblent sous le fouet du commandeur.

— Par anal, Personne condamnée à un état de misère et d’assujettissement : Les pauvres sont les nègres de l’Europe. (Chamfort.)

Nègre blanc, Nom donné quelquefois aux albinos de race noire.

Nègre pie, Albinos de race noire, dont l’albinisme est incomplet : Les nègres pies ou tachés de blanc sur diverses parties de leur corps ressemblent à ces panachures des pétales et des feuilles de certains végétaux cultivés. (Virey.)

Traite des nègres, Commerce consistant dans l’achat et la vente des nègres destinés, comme esclaves, aux travaux des colonies.

Nègre marron, Esclave nègre qui s’est enfui de chez son maître : Les nègres marrons ou fugitifs savent très-bien découvrir de loin et entendre les blancs qui les poursuivent. (Virey.)

Traiter quelqu’un comme un nègre, Le traiter avec beaucoup de dureté et de mépris : Les envoyés de Saint-Domingue se plaignaient, devant M. de Villèle, de la façon cavalière dont ils étaient traités par plusieurs journaux. « Les journaux ! les journaux ! dit le ministre, ne voyez-vous pas bien qu’ils me traitent moi-même comme un nègre ? »

Travailler comme un nègre, Travailler beaucoup, péniblement et sans relâche : Faire travailler ses ouvriers comme des nègres.

— Techn. Couleur tête de nègre, Brun très-foncé.

— s. m. Mamm. Nom vulgaire de trois singes, appartenant aux genres cercopithèque, sajou et tamarin.

— Ichthyol. Nom vulgaire du thon dans quelques localités.

— Entom. Nom vulgaire de quelques papillons diurnes.

— s. f. Pop. Expression dont les soldats se servent pour désigner les puces. En Provence, on dit de même niéro, de l’italien nero, noir. || Punaise, dans le langage du peuple parisien. || Boule noire qui sert à des examinateurs pour exprimer qu’ils rejettent le candidat : Toutes les fois que j’essaye de passer un examen, je suis repoussé par une majorité de négresses. (H. Murger.) || Bouteille de vin. || Étouffer, Éventrer une négresse, Éternuer sur une négresse, Boire une bouteille de vin.

— Moll. Nom marchand du cône cordelier. || Espèce de volute. || Olive maure.

— Adjectiv. Qui appartient à la race noire : Les esclaves nègres. Nos courtisanes, en Europe, n’ont pas mieux que les esclaves négresses l’art de consumer et de renverser de grandes fortunes. (Virey.) || On dit plus ordinairement nègre aux deux genres.

— Syn. Négro, noir. Le substantif noir ne fait considérer l’homme que sous le rapport de sa couleur. Nègre se dit proprement des noirs originaires de l’Afrique, et il ajoute ordinairement à l’idée de couleur celle de la servitude, du travail forcé, de l’état presque sauvage, parce que toutes ces choses ont surtout pesé sur les hommes tirés de ce pays. À un autre point de vue, le mot noir s’applique à des hommes dont la couleur peut être moins foncée que celle des nègres proprement dits, de sorte que les nègres sont les plus noirs des noirs.

— Encycl. Anthropol. L’espèce nègre habite la plus grande partie de l’Afrique, la Nouvelle-Guinée, la terre des Papous et quelques autres régions où elle a été transportée à l’état d’esclavage. On la divise en trois races principales, qui sont : 1° la race éthiopienne, d’un noir plus ou moins foncé ; 2° la race hottentote et boschimane, dont la peau est jaune enfumé ou feuille-morte ; 3° les Cafres, les Coptes et Foulahs, dont la peau varie du basané au noir, selon les peuplades. Les caractères essentiels de l’espèce nègre sont, en dehors de la coloration de la peau : un front étroit et comprimé aux tempes, le vertex aplati, les lèvres grosses, les maxillaires très-saillants, le nez court et aplati, l’angle facial de 60° à 75°, les apophyses montantes de la mâchoire supérieure convergentes, les os du nez n’atteignant pas le frontal, les organes génitaux volumineux, les mamelles allongées et pyriformes, les poils rares, les cheveux laineux et les muqueuses violacées. L’espèce nègre forme environ le cinquième de la population du globe. On a longtemps discuté pour savoir si les nègres et les blancs avaient une même origine ; quelques auteurs n’ont reconnu qu’une seule espèce d’hommes, qu’ils ont divisée en races et variétés, selon les climats, l’alimentation et les circonstances locales ; mais le plus grand nombre des naturalistes et des philosophes s’accordent aujourd’hui pour admettre qu’il y a eu, dès le principe, autant d’espèces qu’il en existe maintenant. « Ce sont, dit Littré, divers préjugés religieux et la tendance à la recherche absolue des causes premières qui ont fait admettre la dérivation de toutes les espèces d’un couple unique, et repousser les différences spécifiques des hommes, au lieu de les recevoir telles que l’observation les démontre, et qui ont fait, comme conséquence dernière, supposer des variétés et des races seulement. Mais il y a eu originairement autant d’espèces formées qu’on en voit aujourd’hui et qu’il y a de milieux plus spécialement habités par chacune d’elles ; seulement, le mode de leur formation première est, pour les unes et les autres, aussi impossible à découvrir et à démontrer que celui de quelque espèce d’être que ce soit. »

Lé caractère qui frappe le plus, à la vue des nègres, est la coloration plus ou moins foncée de leur peau ; or, comme cette espèce n’habite que les climats les plus brûlants de la terre, on en a conclu que la chaleur et la lumière étaient la cause de cette coloration. Comme observation à l’appui, on a fait remarquer qu’en Europe les populations présentent une teinte d’autant plus brune qu’elles habitent une région où la température est plus élevée. Le Suédois, le Danois, l’Allemand et l’Anglais sont notablement moins bruns que le Français, l’Espagnol et l’Italien ou le Grec. Le Marocain et le Maure, exposés aux rayons d’un soleil plus ardent, ont le teint encore plus foncé et se rapprochent sensiblement de la coloration des nègres de la Guinée. Sous le climat brûlant de l’Éthiopie, inondé sans cesse par des flots d’une ardente lumière, qui noircit et dessèche, on voit les cheveux se rouler et se crisper sur la tête du nègre comme sous le fer chaud ; la peau, qui exsude une huile noire abondante, est violacée et comme tannée. Les animaux et les plantes elles-mêmes revêtent une coloration plus sombre. De plus, sous ces zones torrides, la sécrétion hépatique est augmentée ; la bile, en excès, se mêle à toutes les humeurs et contribue à former la coloration brune ou noire de la peau, qui envahit en même temps le sang, les chairs et jusqu’au tissu encéphalique. Les nègres, dès leur plus tendre jeunesse, abandonnés tout nus sous un ciel de feu, à l’air libre et brûlant, acquièrent aisément cette couleur noire, qui finit par se transmettre avec le sang. Tel est le raisonnement de tous les auteurs qui, comme Buffon, Robertson, de Paw, Zimmermann, etc, n’admettent d’autres causes, pour expliquer la coloration des nègres, que l’influence du climat et la manière de vivre. Ces faits sont incontestables. Mais ces causes, ajoutées à celles qui résultent des habitudes des nègres, sont tout à fait insuffisantes pour expliquer la coloration des nègres. On remarque, en effet, que d’autres peuples, vivant dans une même zone que les nègres, sous la même température, n’offrent pourtant pas la même coloration. Si la couleur du teint ne doit être attribuée qu’au seul climat, pourquoi les Samoyèdes, les Lapons, les Esquimaux, les Groenlandais, etc., qui vivent dans un pays froid, humide, mal éclairé, sont-ils plus bruns que les peuples du centre et du midi de l’Europe ? Les Norvégiens et les Islandais sont très-blancs ; mais les Labradoriens, les Iroquois, les Tartares et autres, qui vivent sur le même parallèle, sont, au contraire, d’un teint extrêmement basané. Les Espagnols et les Japonais jouissent d’une même température et d’un climat à peu près semblable ; les premiers cependant sont très-bruns et les seconds sont basanés et comme tannés. Dans le sud de la Nouvelle-Hollande, où il fait au moins aussi froid qu’en Angleterre, se trouvent des peuplades aussi noires que plusieurs de celles qu’on rencontre dans les régions les plus chaudes de l’Afrique. Enfin, les mahométans, établis depuis des siècles au milieu des nègres, un grand nombre d’Européens également établis depuis des siècles parmi eux, mais sans jamais mêler leur sang, ont tous conservé et conservent encore leur coloration primitive. Pourquoi n’a-t-on pas trouvé un seul nègre dans le nouveau monde ? Le climat, dans plusieurs contrées, y est pourtant aussi chaud qu’en Afrique, et ce n’est pas l’état sauvage qui manquait aux indigènes de l’Amérique pour acquérir à l’air libre la coloration noire. D’un autre côté, des nègres transportés dans les zones tempérées depuis des siècles n’ont nullement pu changer de couleur. Ainsi donc, il reste évident que les raisons tirées du climat ou de la chaleur et de la lumière sont insuffisantes. Un fait qui a une très-haute importance physiologique, c’est que les négrillons naissants présentent une coloration blanche ou légèrement jaunâtre ; le tour des ongles et les parties génitales seulement ont une teinte brunâtre ; peu à peu, ils noircissent entièrement, qu’ils soient nés dans les pays froids ou dans les pays chauds, qu’ils soient exposés à la lumière ou renfermés dans des appartements sombres. Il faut donc admettre une cause constitutionnelle, tout à fait supérieure à celle du climat et de la manière de vivre.

Quelques auteurs ont pensé que la couleur noire de la peau des nègres était due à un excès de sécrétion biliaire. Cette humeur, disent-ils, sécrétée en très-grande abondance, se répartit uniformément dans les tissus, comme dans les cas d’ictère, et rend, sous les climats chauds, les individus bruns, brûlés et noirs. Cette théorie est aujourd’hui abandonnée. Blumenbach pense que les humeurs des nègres contiennent du carbone en excès, en même temps que de l’hydrogène ; que celui-ci se combine avec l’oxygène de l’air pour former de l’eau, laquelle est chassée par la transpiration, tandis que le carbone se concentre dans le réseau de Malpighi et produit ainsi la coloration noire de la peau et des autres tissus. La chimie moderne a démontré l’erreur de Blumenbach. L’anatomie nous montre la peau composée de deux couches essentielles, le derme qui recouvre les parties profondes, et l’épiderme qui forme la couche la plus externe. Celle-ci est elle-même formée par trois couches superposées, dont la plus profonde est composée de cellules polyédriques, et ce sont ces cellules qui contiennent dans leur intérieur la matière colorante brune ou noire qui constitue, en grande partie, la coloration de la peau ; nous disons en grande partie, parce que la couche moyenne de l’épiderme, désignée sous la dénomination du réseau de Malpighi, contient elle-même dans ses cellules une certaine quantité de matière colorante chez les individus bruns et une quantité beaucoup plus considérable chez les nègres. La couche épidermique supérieure, ou couche cornée, ne renferme pas de traces de matière colorante dans l’espèce blanche ; tandis qu’on y en trouve encore beaucoup dans l’espèce nègre. Cette matière se nomme pigment ; elle est demi-fluide ou sous forme de fines granulations, analogue à celle qui tapisse la face interne de la choroïde, la face postérieure de l’iris et les procès ciliaires : Cette matière est sécrétée sur place par la genèse, entre les cellules épidermiques, d’une couche de noyaux entre lesquels existe une petite quantité de matière amorphe, qui se remplit de granules pigmentaires de plus en plus nombreux. Selon que la coloration de la couche pigmentaire est rousse, brune ou noire, les individus sont blonds, bruns ou noirs. Les taches d’éphélides ou lentilles qu’on observe si souvent sur le visage des personnes blondes ne sont autre chose qu’un amas de matière pigmentaire. Et, comme les cheveux et les poils prennent leur nourriture dans le réseau muqueux où sont implantées les bulbes, si ce réseau est blond, brun ou noir, les cheveux et les poils le sont aussi. Le pigment qui revêt la choroïde et l’iris prend d’ordinaire la même coloration que le tissu dermique. Lorsqu’une plaie ou une longue suppuration ont détruit entièrement la couche épidermique de la peau, la sécrétion du pigment ne s’opère plus et l’on observe alors une cicatrice blanche, avec des poils blancs qui reviennent si les bulbes n’ont pas été également détruites. Les maladies cachectiques ont pour résultat de décolorer les nègres, qui jaunissent absolument comme les blancs pâlissent et s’étiolent dans les mêmes cas. Aussi les nègres les plus noirs sont-ils les plus robustes. Les négresses présentent généralement une teinte moins foncée. Lorsque les nègres sont échauffés, il se dégage de leur peau une exsudation huileuse et noirâtre qui tache le linge et répand une odeur désagréable. Les Foulahs puent tellement, que les lieux où ils ont passé restent imprégnés de leur odeur pendant plus d’un quart d’heure.

La coloration de la peau n’est pas la différence la plus caractéristique qui existe entre l’espèce noire et l’espèce blanche. La structure anatomique nous présente un intérêt d’une tout autre importance, puisqu’elle rapproche le nègre de l’orang-outang presque autant que du type de l’espèce blanche ou caucasique. Il n’est pas étonnant, pour cette raison, que quelques philosophes anatomistes aient avancé que les singes étaient la racine originelle du genre humain. Plusieurs peuplades d’Asie et d’Afrique, voyant errer dans les forêts des troupeaux d’orangs-outangs, ont elles-mêmes conçu cette idée que notre espèce dérive du singe sauvage ; les indigènes des Moluques et des Îles de la Sonde reconnaissent positivement leurs ancêtres dans ces quadrumanes ; ils disent que, si les singes ne parlent pas et s’ils n’ont pas dépouillé leur aspect sauvage, c’est par mauvaise volonté, aimant mieux vivre au fond des bois, dans la fainéantise, que de travailler comme les hommes. Ce rapprochement peut être humiliant pour l’humanité, mais l’on ne peut se dispenser de le faire. « Pense-t-on, dit Virey, que ces hordes de nègres, de Hottentots nomades qui parcourent les solitudes africaines ; que ces sauvages noirs, nus, demi-velus, accroupis sous un ajoupa de feuillage ou couchant dans la crasse, dévorant leur vermine, tantôt se gorgeant de chair crue avec le poil ou les plumes et les intestins, tantôt se contentant de fruits acerbes, de racines ligneuses, végétant tristement avec leur femelle dans la plus complète stupidité, pense-t-on qu’ils soient fort au-dessus des pongos et des chimpanzés, qui vivent attroupés dans les mêmes climats ? »

Le Hottentot ne parle qu’avec difficulté, surtout à cause de l’obliquité de ses dents en avant ; il glousse presque comme les coqs d’Inde, ce qui offre encore un rapport manifeste avec l’orang, qui jette des gloussements sourds, à cause des sacs membraneux de son larynx, où sa voix s’engouffre. Quoique les femelles d’orang-outang éprouvent des évacuations menstruelles, portent sept à neuf mois leur petit et l’allaitent de leurs deux mamelles pectorales, comme dans notre espèce ; quoique l’anatomiste Edward Tyson ait trouvé par la dissection de son pygmée (le chimpanzé) que le cerveau, l’estomac, les poumons, le foie, la rate, les intestins, le cæcum et son appendice, le nombre des dents, etc., sont absolument les mêmes que chez l’homme, nous sommes loin de prétendre que ce singe appartienne à notre espèce ; nous voulons seulement faire remarquer qu’entre le singe et le Hottentot les rapports sont nombreux et frappants. Ce que l’on peut affirmer d’une manière certaine, c’est que le nègre diffère essentiellement de l’espèce blanche, non-seulement par la coloration de la peau et par les différences anatomiques que nous avons déjà signalées, mais encore par ses penchants autant physiques qu’intellectuels. Dans l’espèce nègre, le cerveau est moins développé que dans l’espèce blanche, les circonvolutions sont moins profondes et les nerfs qui émanent de ce centre pour se répandre dans les organes des sens sont beaucoup plus volumineux. De là un degré de perfection bien plus prononcé dans les organes ; de sorte que ceux-ci paraissent avoir en plus ce que l’intelligence possède en moins. En effet, les nègres ont l’ouïe, la vue, l’odorat, le goût et le toucher bien plus développés que les blancs. Pour les travaux intellectuels, ils ne présentent généralement que peu d’aptitude, mais ils excellent dans la danse, l’escrime, la natation, l’équitation et tous les exercices corporels. Dans les danses, on les voit agiter à la fois toutes les parties du corps ; ils y trépignent d’allégresse et s’y montrent infatigables. Ils distinguent un homme, un vaisseau à des distances où les Européens peuvent à peine les apercevoir avec une lunette d’approche. Ils flairent de très-loin un serpent et suivent souvent à la piste les animaux qu’ils chassent. Le bruit le plus faible n’échappe point à leur oreille ; aussi les nègres marrons ou fugitifs savent très-bien découvrir de loin et entendre les blancs qui les poursuivent. Leur tact est d’une subtilité étonnante ; mais parce qu’ils sentent beaucoup, ils réfléchissent peu : tout entiers à leur sensualité, ils s’y abandonnent avec une espèce de fureur. La crainte des plus cruels châtiments, de la mort même, ne les empêche pas de se livrer à leurs passions. Sous le fouet même de leur maître, le son du tam-tam, le bruit de quelque mauvaise musique les fait tressaillir de volupté ; une chanson monotone, prise au hasard, les amuse pendant des journées sans qu’ils se lassent de la répéter ; elle les empêche même de s’apercevoir de la fatigue ; le rhythme du chant les soulage dans leurs travaux, et un moment de plaisir les dédommage d’une année de souffrances. Tout en proie aux sensations actuelles, le passé et l’avenir ne sont rien à leurs yeux ; aussi leurs chagrins sont-ils passagers ; ils s’accoutument à leur misère, quelque affreuse qu’elle soit. Comme ils suivent plutôt leurs sensations ou leurs passions que la raison, ils sont extrêmes en toutes choses : agneaux quand on les opprime, tigres quand ils sont les maîtres. Capables de sacrifier leur vie pour ceux qu’ils aiment, ils peuvent, dans leurs vengeances, massacrer leurs maîtres, éventrer leurs femmes et écraser leurs enfants sous les pierres. Rien de plus terrible que leur désespoir, rien de plus sublime que leur amitié. Mais ces excès sont d’autant plus passagers, qu’ils sont portés plus loin. Rien de mobile comme leurs sensations, car leur violence s’oppose à leur durée.

Les Africains sont extrêmement jaloux de leurs femmes, et malheur à celui qui a corrompu la maîtresse ou la femme de l’un d’eux. La femme qui les a trompés n’échappe pas elle-même à leur vengeance. La polygamie est en usage chez les noirs d’Afrique ; chaque individu peut prendre autant de femmes qu’il lui plaît et les répudier à volonté pour vivre avec des concubines. Les mamelles des négresses sont grosses et fort longues, si bien qu’elles peuvent les replier par-dessus les épaules et allaiter ainsi les enfants qu’elles portent sur leur dos. Les négrillons se cramponnent à leurs mères de manière que celles-ci peuvent se livrer au travail sans s’inquiéter de leurs nourrissons. Les enfants des négresses ne sont jamais emmaillottés, ce qui leur permet de déployer librement leurs membres. Les mères sont d’excellentes nourrices, et les blancs n’hésitent pas à leur donner leurs enfants à nourrir. Leur lait est extrêmement blanc ; mais leurs nourrissons de l’espèce blanche prennent toujours des yeux et des cheveux très-noirs, lors même que leurs parents sont blonds.

C’est en vain que quelques philanthropes, ont essayé de prouver que l’espèce nègre est aussi intelligente que l’espèce blanche. Quelques rares exemples ne suffisent point pour prouver l’existence chez eux de grandes facultés intellectuelles. Un fait incontestable et qui domine tous les autres, c’est qu’ils ont le cerveau plus rétréci, plus léger et moins volumineux que celui de l’espèce blanche, et comme, dans toute la série animale, l’intelligence est en raison directe des dimensions du cerveau, du nombre et de la profondeur des circonvolutions, ce fait suffit pour prouver la supériorité de l’espèce blanche sur l’espèce noire.

Mais cette supériorité intellectuelle, qui selon nous ne peut être révoquée en doute, donne-t-elle aux blancs le droit de réduire en esclavage la race inférieure ? Non, mille fois non. Si les nègres se rapprochent de certaines espèces animales par leurs formes anatomiques, par leurs instincts grossiers, ils en diffèrent et se rapprochent des hommes blancs sous d’autres rapports dont nous devons tenir grand compte. Ils sont doués de la parole, et par la parole nous pouvons nouer avec eux des relations intellectuelles et morales, nous pouvons essayer de les élever jusqu’à nous, certains d’y réussir dans un certaine limite. Du reste, un fait physiologique que nous ne devons jamais oublier, c’est que leur race est susceptible de se mêler à la nôtre, signe sensible et frappant de notre commune nature. Leur infériorité intellectuelle, loin de nous conférer le droit d’abuser de leur faiblesse, nous impose le devoir de les aider et de les protéger.