Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/révolution s. f.

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Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 3p. 1112-1113).

RÉVOLUTION s. f. (ré-vo-lu-si-on — du lat. revolulio, même sens ; formé de revolutus, part, passé de revolvere, retourner). Mouvement d’un mobile qui, parcourant une courbe fermée, repasse successivement par les mêmes points : La révolution de la terre autour du soleil. La révolution d’une roue d’horloge, du volant d’une machine à vapeur. Le temps de révolution de la sphère étoilée est le même pour tous les siècles. (Arago.) Plus les planètes sont éloignées du soleil, plus doit être longue la révolution autour de cet astre central. (I.. Figuier.)

— État d’une chose qui s’enroule : Le fil ne fait pas proprement des révolutions autour de la coque ; il y trace une infinité de zigzags qui composent différentes couches de soie. (Bonnet.)

— Par anal. Succession : La révolution des temps. La révolution des siècles. La révolution des saisons.

— Par ext. Changement qui arrive dans les choses de ce monde : Révolution dans les idées, dans les opinions. Révolution dans les coutumes, dans les usages. Révolution dans les sciences, dans les arts. Une révolution subite s’était opérée dans les esprits. Le temps amène, le temps fait d’étranges révolutions. (Acad.) Le monde est une révolution journalière d’événements qui réveillent tour à tour dans le cœur de ses partisans les passions les plus violentes. (Mass.) Jusqu’à la fin, vous ferez sentir, ô mon Dieu ! dans la révolution perpétuelle des noms et des fortunes, l’instabilité et le néant des choses humaines. (Mass.) Si je venais déplorer la mort imprévue de quelque princesse mondaine, je vous ferais voir cette révolution de conditions et de fortunes qui commencent et qui finissent. (Fléch.) On ne voit que RÉVOLUTIONS dans les affaires publiques et particulières. (Volt.) Quelles que soient les révolutions de la vie, l’homme ne craint plus de tomber lorsqu’il est assis à la dernière marche. (B. de St-P.) Les conquêtes d’Alexandre opérèrent une révolution dans les sciences comme chez les peuples. (Chateaub.) Ce qui place dans une catégorie bien particulière les révolutions que les sciences occasionnent, c’est qu’elles sont toujours heureuses. (Cuv.) Les révolutions de l’esprit humain se composent d’une foule de révolutions partielles des sociétés et des individus, dont chacune est longue à s’accomplir. (Jouffroy.) Il est permis de dire qu’une grande révolution est sur le point de s’accomplir dans le sein de la catholicité. (Renan.)

— Changement considérable dans le gouvernement d’un État, transformation de ses institutions : Révolution politique. Les révolutions romaines. Les révolutions de France, d’Angleterre. On n’a jamais connu les véritables causes de cette révolution. Une révolution sanglante, Une révolution pacifique. Cette loi avait suffi pour mettre le pays en révolution. Il prévit la révolution qui se préparait, qui allait éclater. (Acad.) Ces États sont exposés sans cesse à des révolutions. (Mass.) Il faut quelquefois bien des siècles pour préparer les changements ; les événements mûrissent, et voilà les révolutions. (Montesq.) Une nation en révolution est comme l’airain qui bout et se régénère dans le creuset. La statue de la Liberté n’est pas encore fondue ; le métal bouillonne. (Danton.) Quand le peuple est plus éclairé que le trône, il est bien prés d’une révolution. (Rivarol.) Les révolutions ne sont pas des jeux d’enfants. (Mirabeau.) Le despotisme enfante les révolutions. (Turgot.) Dans les révolutions, il y a deux sortes de gens : ceux qui les font et ceux qui en profitent. (Napol. Ier.) Ceux gui font des révolutions à moitié ne font que se creuser un tombeau. (Chateaub.) Les révolutions les plus terribles sont préférables à un gouvernement despotique. (Chateaub.) Toute révolution n’est qu’un effort que fait la société pour revenir à l’ordre. (De Bonald.) Les causes des révolutions sont toujours plus générales qu’on ne le suppose. (Guizot.) Toute révolution qui n’avance pas recule. (Lamart.) Pour conjurer les périls d’une révolution, il n’est qu’un moyen, c’est d’y faire droit. (Proudh.) Toutes les révolutions ne se justifient pas, mais toutes s’expliquent. (E. de Gir.) Jamais une révolution n’a valu une réforme. (E. de Gir.) L’éducation des peuples se fait par les révolutions. (Lamenn.) Les révolutions sont faciles à faire, mais elles sont difficiles à accomplir. (Dupin.) Quand on n’a pas pour soi l’opinion publique, c’est-à-dire la nation, on peut susciter des troubles, des complots, on peut faire des révoltes, mais non pas des révolutions. (Scribe.) La révolution est une transition entre un ordre ancien qui tombe en ruine et un ordre nouveau qui se fonde. (E. Littré.) La révolution, c’est le dessous qui devient le dessus. (Michelet.) La Révolution de 1789 fut un combat entre le passé et l’avenir. (Chateaub.) La révolution de Juillet est le triomphe du droit terrassant le fait. (V. Hugo.) La Révolution de 1789 a été une révolution juste et bienfaisante, puisqu’en moins d’un demi-siècle elle a augmenté du double la quantité des subsistances et diminué de plus d’un tiers la mortalité. (C. Dupin.) La Révolution de 1789 a mis chez nous la bourgeoisie en possession du sol. (L. Faucher.) La révolution de 1848 gouverna, on peut le dire, par la dictature de la liberté. (T. Delord.)

Les révolutions, fatales ou prospères,
Du sort qui conduit tout sont les jeux ordinaires.
                    Voltaire.

|| Se dit particulièrement de la révolution politique la plus mémorable qui ait eu lieu dans un pays, de celle qui y a établi un ordre de choses durable : La révolution d’Angleterre. La révolution de Suède. La Révolution française. La Révolution française est la première gui ait été fondée sur la théorie des droits de l’humanité et sur les principes de la justice. (Robespierre.) La Révolution française a formé au-dessus de toutes tes nationalités particulières une patrie intellectuelle commune dont les hommes de toutes les nations ont pu devenir citoyens. (De Tocqueville.) La Révolution française a fait couler sur la terre des flots de civilisation. (V. Hugo.) L’histoire de la Révolution française commence en Europe l’ère des sociétés nouvelles, comme la révolution d’Angleterre a commencé l’ère des gouvernements nouveaux. (Mignet.) La Révolution française, de même que la Réforme, apparaît comme une ère diacritique. (Proudh.) La Révolution française a été certainement un des grands faits de l’histoire ; elle est née d’une inspiration humaine et généreuse. (Guéroult.) La Révolution française a été le résultat des efforts les plus glorieux et du plus héroïque dénouement. (Peyrat.)

— Absol. Transformation politique qui s’est opérée en France à la fin du XVIIIe siècle : Pendant la Révolution. À l’époque de la Révolution. Les hommes de la Révolution. Les principaux événements de la Révolution. Il avait été ruiné par la Révolution. Son père avait été une des victimes de la Révolution. La Révolution, tout imparfaite qu’elle soit, a changé la face de la France ; elle y développe un caractère et nous n’en avions pas. (Mme  Roland.) La Révolution a été une revanche, le triomphe et la vengeance d’une majorité longtemps opprimée sur une minorité longtemps maîtresse. (Guizot.) La Révolution appelait les gentils comme les juifs au partage de la lumière et de la fraternité. (Lamart.) C’est la Révolution qui a rendu les paysans propriétaires. (Gén. Foy.) La Révolution a été l’origine de beaucoup d’erreurs, mais elle est aussi la date de beaucoup de vérités. (Royer-Collard.) Il appela par une proclamation patriotique au secours de la Révolution assaillie tous ceux qui l’aimaient, (Mignet.) De l’égalité croissante et de la liberté comprimée naquit la Révolution. (Lacordaire.) La Fayette est le caractère le plus pur de la Révolution. (H. Heine.) La liberté n’a été ni le premier motif ni le premier mobile de la Révolution. (Peyrat.) La Révolution a proclamé la liberté et lui a donné les garanties essentielles. (Peyrat.) La Révolution séduit d’abord par la fierté de ses allures et par ce grand air passionné qu’ont toutes les histoires gui se déroulent dans la rue. (Renan.)

— Physiol. Trouble subit dans l’exercice d’une ou de plusieurs de nos fonctions, à la suite d’un vive impression physique ou morale : Ce spectacle, cette nouvelle lui a causé une révolution telle, qu’il en est mort peu de jours après. Une grande révolution vient de se faire en moi. (J.-J. Rouss.) Un rien l’agite, et la moindre chose suffit pour lui causer une révolution (Th. Leclercq.)

— Anc. méd. Révolution d’humeurs, Mouvement extraordinaire dans les humeurs.

— Géol. Révolutions de la terre, du globe, Événements naturels par lesquels la constitution de la terre a été changée, lors de son travail de formation : Les traces des révolutions de notre globe ont frappé de tout temps l’esprit des hommes. (Flourens.)

— Physiq. Révolutions atmosphériques, Changements qui arrivent dans l’atmosphère, principalement par rapport à sa température, aux mouvements partiels ou généraux qui agitent sa masse et qui constituent les vents.

— Géom. Mouvement de rotation qu’une ligne, un plan, un corps exécute autour d’un axe immobile. || Surface de révolution. Surface engendrée par une courbe tournant autour d’une droite fixe. || Solide de révolution, Solide que l’on peut considérer comme engendré par le mouvement d’un plan autour une ligne droite qui forme un des côtés de ce plan et qui est prise pour l’axe de ce mouvement.

— Sylvie. Nombre d’années déterminé pour l’exploitation d’une forêt.

— Syn. Révolution, changement, Innovation, etc. V. changement.

— Encycl. Politiq. Tout changement considérable dans l’organisation politique d’un peuple quelconque peut s’appeler révolution. Dans ce sens, il y a des révolutions qui s’accomplissent lentement par le progrès des lumières ou des mœurs ; il y en a d’autres qui se font brusquement par des coups de force, soit qu’un usurpateur, après avoir corrompu quelques chefs militaires, se serve de l’armée pour renverser du pouvoir celui qui l’exerce, soit que le peuple en masse se soulève pour secouer un joug dont il est las et dont souvent il ne se débarrasse que pour en porter un autre. Faire l’histoire générale des révolutions, ce serait faire celle du genre humain tout entier depuis que les hommes, sortis de l’état de nature, se sont organisés en sociétés plus ou moins régulières. Nous n’entreprendrons point ici une pareille tâche. On peut, d’ailleurs, trouver tous les éléments de cette histoire dans les études historiques que nous avons rattachées à chaque nom de peuple ou de pays. Mais nous prendrons le mot révolution dans un sens plus restreint : nous le considérerons comme désignant d’une manière toute spéciale les efforts violents que font de temps en temps les peuples les plus avancés pour conquérir une liberté politique et civile qui jusqu’à présent leur a presque toujours été, ou complètement refusée, ou mesurée avec une insultante parcimonie. Ce qu’on appelle l’esprit révolutionnaire, à ce point de vue, présente beaucoup de points communs avec l’esprit libéral ; il en diffère seulement parce qu’il semble supposer une tendance plus prononcée à employer les moyens violents, auxquels le simple libéralisme préfère des procédés plus lents et plus doux.

On se plaît souvent à flétrir l’esprit révolutionnaire et à le présenter comme un élément de désordre, contre lequel tout gouvernement qui veut vivre doit tourner tous les éléments de force dont il dispose. Si les gouvernements étaient tous fondés sur la justice, si tous les gouvernants remplissaient leur devoir, qui est de protéger partout les faibles et de travailler constamment à perfectionner les institutions dans le sens du bien-être général, on aurait raison de blâmer l’esprit révolutionnaire. Mais puisque, malheureusement, il y a des gouvernements injustes, des chefs d’État qui n’emploient leur pouvoir que pour opprimer les faibles, maintenir ou même étendre les privilèges des classes riches aux dépens de la classe la plus nombreuse, on est forcé de reconnaître qu’il y a quelque chose de bon et d’utile dans l’esprit révolutionnaire. Quand les abus du pouvoir deviennent trop criants, les révolutions sont quelquefois un remède nécessaire, on ne peut le nier ; il faut même qu’elles soient toujours possibles pour maintenir les gouvernants dans certaines limites par la crainte qu’elles leur inspirent ; mais il faut qu’elles soient rares, parce qu’elles sont pour le corps social des crises toujours dangereuses. Pour qu’une révolution éclate, il faut ordinairement que quelques hommes animés de l’esprit révolutionnaire se mettent à la tête du peuple ou au moins l’excitent à s’insurger en masse. Ces hommes doivent-ils être regardés comme des héros ou comme de grands criminels ? On les mettra au nombre des héros si l’insurrection provoquée par eux triomphe ; on les traitera comme des criminels si elle succombe. Mais, au point de vue de la simple justice, l’homme qui provoque une insurrection ne peut être approuvé, ou un moins excusé, que si deux conditions se trouvent réunies : 1° que des abus manifestes et criants soient commis journellement par ceux qui ont en main le pouvoir ; 2° que des signes presque certains annoncent chez une grande partie de la population une disposition bien marquée à prendre part au mouvement, pour en assurer le succès. En dehors de ces conditions, l’homme qui tente une révolution quand elle n’a aucune chance d’aboutir commet réellement un grand crime, car il cause la mort de bien des innocents, il arrête l’essor du commerce et de l’industrie, produit de grandes misères et finalement n’arrive qu’à faire resserrer encore les liens dans lesquels les libertés publiques étaient enchaînées.

De toutes les révolutions que l’histoire rappelle à notre souvenir, celle qui s’est proposé pour but la liberté dans son acception la plus étendue est la Révolution française, que tous les peuples de la terre s’accordent à nommer la grande Révolution. Nous allons en esquisser rapidement les faits principaux ; ce sera le meilleur moyen de mettre sous les yeux du lecteur une peinture aussi exacte que possible des révolutions en général. Cependant, avant d’aborder ce récit, nous dirons quelques mots de ce qu’on appelle ordinairement la Révolution de 1688, en Angleterre. Elle avait été précédée d’un autre mouvement plus tragique, qui s’était terminé par la décapitation d’un roi et la proclamation d’une république, mais auquel l’histoire n’a point appliqué le nom de révolution d’une manière aussi formelle.