Guerre aux hommes/01

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É. Dentu, Éditeur (p. 3-12).


I


Messieurs, c’est bel et bien la guerre que je vous déclare.

J’attaque plus fort que moi, j’attaque le sexe fort, tandis que je fais partie du sexe faible ; je dois donc avoir pour moi les gens de cœur toujours prêts à secourir le faible contre le fort.

Vous autres, messieurs, vous attaquez bien souvent les femmes dans vos clubs, dans vos cercles, dans vos réunions ; médire d’elles, les calomnier est un de vos plaisirs favoris.

Vous les attaquez, les insultez même, dans vos écrits, dans vos journaux, oubliant complétement qu’insulter qui ne peut vous répondre par un bon coup d’épée s’appelle, dans la langue française, d’un fort vilain mot !

Vous faites bon marché de nos défauts, de nos travers, de nos vices, de notre réputation.

De nos vices, de nos défauts, de nos travers, vous vous raillez impitoyablement.

Notre réputation ! Pour satisfaire à une petite vengeance, pour faire un mot spirituel, par désœuvrement même, vous la ternissez, sans songer que la bonne renommée est à la femme ce qu’est le parfum à la fleur,

Sans songer que femme est pour vous le synonyme de mère, fille et sœur.

Sans songer que l’Évangile dit : Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas que l’on vous fît. Sans nul doute, vous n’aimeriez pas que l’on calomniât, diffamât, ou que l’on médît de votre mère, de votre sœur ou de votre fille… et pourtant, l’on vous voit toujours disposés à mal parler des femmes.

Un jour, un jeune homme bien né, du meilleur monde, disait ceci dans un salon :

« Pour moi, je ne crois pas à la vertu des femmes ; je les divise en trois catégories : celles qui ont péché, celles qui pèchent et celles qui pécheront. »

Une personne lui demanda dans quelle catégorie il plaçait sa mère et sa sœur… Il comprit la leçon et répondit en balbutiant : « Mais certainement je fais une exception en leur faveur. »

Les hommes présents lui dirent alors : « Comme vous, nous tous, monsieur, nous croyons à la vertu de notre mère, de nos sœurs, de nos filles… » Vous le voyez, il est aussi maladroit qu’inconvenant de dire carrément : « Je ne crois pas à la vertu des femmes… »

Sur l’annonce de mon livre, un aimable et spirituel confrère, M. Konning, m’a dit dans le Figaro-programme :

« Vous allez écrire la Guerre aux hommes ! De grâce, réfléchissez-y bien pendant qu’il en est temps encore. Soyez clémente et méditez ce vers fameux de

Legouvé, — père de Wilfrid :
Respecte au moins ce sexe à qui tu dois… ton père ! »

Eh bien ! mais, cher confrère, voyez comme cela se rencontre, j’écris précisément ce volume pour dire aux hommes :

Respecte au moins ce sexe à qui tu dois… ta mère !

Je veux les prier de perdre un peu cette détestable habitude de dire, par ton, par genre, par vengeance, par dépit, du mal des femmes.

La femme a été, de tout temps, un grand sujet d’étude pour l’homme : un scalpel à la main, il l’a disséquée moralement et physiquement.

Avec acharnement et sans pitié aucune, il a fouillé les replis les plus secrets de son cœur.

Ses vices, ses défauts, ses travers, rien n’a échappé à son esprit biographique et inquisiteur.

Il a classé les femmes en différentes catégories : la sentimentale, la coquette, la femme incomprise, la femme légère, la femme de quarante ans, celle de trente, celle qui se donne, celle qui se vend, l’artiste, le bas-bleu, la grande dame, la bourgeoise, la lorette, la femme entretenue, la femme de théâtre.

Tous ces types, créés par lui, lui ont fourni des sujets d’études satiriques, remplis d’humour et surtout de malice, souvent de méchanceté.

Oh oui ! l’homme a été sans pitié pour les vices, les travers, les faiblesses des femmes, pour leurs ridicules.

Mais je me demande pourquoi il n’a pas mis le même acharnement à fouiller le cœur de l’homme ?

Pourquoi il a beaucoup moins exercé sa verve satirique contre les défauts, les vices, les ridicules des hommes ?

Pourquoi il ne les a pas classés, eux aussi, par catégories ?

Pourquoi il ne nous a pas esquissé certains types d’hommes, qui pourtant en valaient la peine, et qui auraient fait un digne pendant à certains types de femmes dessinés par lui ?

Oui, je me demande pourquoi… et ne trouve pas. Serait-ce la modestie qui l’aurait empêché de trop s’occuper de son sexe ?

Je ne crois pas, car la modestie n’est pas la vertu dominante des hommes !

Je serais plutôt tentée de croire que c’est parce que vous auriez eu trop de mal à dire de vous autres, messieurs… vous avez trouvé plus commode d’exercer votre esprit caustique et méchant sur les femmes… bien obligées de la préférence ; toutes, n’en doutez pas, nous sommes fort sensibles à ce gracieux et charitable procédé.

Pour mon compte, je veux vous prouver ma profonde gratitude en essayant de vous rendre la pareille. Je ne regrette qu’une chose, c’est de ne pouvoir le faire avec autant d’esprit que quelques-uns de vous autres, messieurs, en ont dépensé pour attaquer les femmes.