Guerre aux hommes/03

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É. Dentu, Éditeur (p. 42-99).


III

BIEN DES CHOSES ILLOGIQUES DANS LE MONDE
ET DANS LE CODE


Les hommes disent : « La femme est un être faible. »

Eh bien ! je veux me ranger de leur avis, et je reconnais que la femme est un être faible !

Ceci admis, il faut avouer que les hommes sont bien peu logiques en bien des choses, en celles-ci entre autres :

L’enfant est, avec raison, reconnu comme un être faible ; aussi le monde, les lois sont, pour ses fautes, remplis d’indulgence.

Et vous imposez à la femme, que vous appelez un être faible, l’infaillibilité.

Tandis que vous autres hommes, le sexe fort, le sexe barbu, vous vous reconnaissez le droit de faillir, en disant : l’homme est si faible !

Pour la femme qui a failli, le monde, les lois sont implacables… à tous les mais, vous répondez, vous les juges, elle ne devait pas faillir ! c’est-à-dire qu’il faut que cet être, que vous appelez faible, soit plus fort que vous autres, qui vous dites forts… Il faut qu’elle soit infaillible !…

Pour cet être, réputé faible par vous autres, point de merci, point d’indulgence… Aucune circonstance atténuante n’est admise par vos lois… Elle ne doit pas pécher !… Mais, vous autres hommes, vous autres formant ce sexe fort… vous vous êtes fait une morale des plus faciles… Pour vous autres, vous êtes remplis d’indulgence, vous excusez toutes vos actions par ces mots : « L’homme est faible… »

Avouez, au moins, que votre logique n’est pas grande !

Avouez qu’abusant de la position de maître souverain que vous vous êtes faite dans le monde, sous prétexte que la force et l’intelligence étaient pour vous, vous vous êtes réservé le droit de tout faire… Vous avez semé plaisir et roses sous vos pas… et avez jeté sur notre route, à nous, pauvres femmes, des ronces et des cailloux à pleines mains… toujours sous prétexte, sans doute, que nous sommes de faibles créatures !…

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Est-ce logique ?

Un homme voit une jeune fille, bien jeune, bien naïve… Pour la séduire, il met en œuvre tout son génie infernal, son expérience du mal.

S’il réussit, si la jeune fille succombe, voilà une action blâmable commise, un crime aux yeux de la morale. À ce crime, deux complices, l’homme qui a entraîné la femme, qui a d’abord eu l’initiative, qui l’a séduite… Mais voilà que le blâme reste en entier au moins coupable des deux… la jeune fille porte seule la peine de la faute : pour elle, le déshonneur, le blâme, le mépris… pour lui, rien ! un triomphe de plus. On dit avec un sourire : « C’est un don Juan. »

Un jour, alors que sa passion, son amour, ou son caprice, seront éteints, lui-même méprisera cette candide jeune fille, sans se souvenir de tout ce qu’il a dépensé d’adresse, de rouerie, de fourberie, pour la faire succomber… Il dira : « Si elle avait été honnête, elle m’aurait résisté… » Le monde dit aussi cela, lui aussi, tout en appelant la femme un être faible ; il exige que même la jeune fille soit infaillible, et qu’elle sache, elle naïve et candide, résister à l’homme le plus séduisant, le plus trompeur, le plus roué !…

Est-ce logique, je vous le demande ?

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Un homme est amoureux d’une femme, il lui fait la cour ; pour arriver à se faire aimer, il emploie tous les moyens : il devient un diplomate excellent, il déploie toutes les ressources de son esprit, toutes les grâces séductrices que Dieu lui a données.

Quand il est parvenu à se faire aimer, il persuade à la femme que l’amour sanctifie tout, même l’adultère ; il plaide avec art, avec passion, il feint le désespoir, il parle de se brûler la cervelle, de s’expatrier, si celle qu’il aime ne lui prouve pas son amour… Eh bien ! s’il parvient à rendre la femme coupable, lui-même, un jour dira d’elle : « Ah ! ce n’est pas une femme vertueuse ! »

Si elle résiste, il y a gros à parier qu’il deviendra son implacable ennemi, ou que, pour masquer sa défaite, il se targuera d’une bonne fortune qu’il n’a pas eue…

Avouez que c’est mettre les femmes dans une triste alternative ?

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Les hommes se plaignent continuellement que les femmes d’aujourd’hui sont trop mondaines, trop dépensières, que le mariage devient chose impossible… Et pourtant voyez les jeunes filles coquettes, mondaines, commençant à aller au bal à seize ans, s’y montrant parées richement, ayant déjà des allures évaporées, légères ; bien rarement ces jeunes filles-là restent vieilles filles ; toujours elles trouvent un imprudent qui les épouse, quitte à crier après contre le luxe effréné des femmes et leurs goûts mondains, sans songer, le moins du monde, que lui seul est coupable, puisque, au lieu de prendre pour femme une jeune fille élevée sagement, modestement, il a épousé celle-là.

Il est encore, croyez-le, Messieurs, des jeunes filles élevées pour faire de bonnes mères de famille, n’ayant pas des goûts mondains. Mais de celles-là vous n’en voulez pas, vous jetez sur elles un petit regard dédaigneux, et vous allez porter votre cœur à cet oiseau au beau plumage… Vous prenez la rose et faites fi de la violette !

Très-bien ! mais ne vous plaignez pas.

Surtout cessez d’accuser les femmes, en tout et pour tout ; vous devriez toujours dire : « C’est ma faute, ma très-grande faute ! »

Le vieillard cacochyme, au lieu d’épouser une veuve d’un certain âge ou une vieille fille… épouse une toute jeune, toute belle jeune fille… et si, un jour, il lui en mésarrive, il maudit les femmes, les accable d’anathèmes…

Avouez pourtant qu’il a été le plus fou et le plus coupable !…

Le jeune homme qui n’a qu’une modeste aisance, et peu ou pas les goûts du monde, va prendre femme dans le monde, au lieu de la chercher dans un milieu sagement bourgeois.

Les hommes ne voient pas une jeune et jolie paysanne, ou ouvrière, sans mettre tout en œuvre pour la détourner de cette vie honnête et laborieuse… ensuite ils se plaignent avec étonnement du grand nombre de femmes entretenues, de lorettes, qu’il y a à Paris !…

Encore et toujours ils oublient de dire : Mea culpa !

Ils méprisent ces femmes, qui pourtant ne sont ce qu’elles sont que par faute des hommes !

Est-ce assez illogique ?

Pousser une personne au mal, le commettre avec elle, la jeter par ses conseils dans une vie de désordre, et ensuite la mépriser parce qu’elle a trop écouté vos perfides paroles !…

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Je voudrais bien savoir, si ce mode inqualifiable de spéculation n’avait pas encore germé dans l’esprit des Français, ce que nous dirions si un intrépide voyageur, revenant d’un pays barbare, nous racontait que, dans ce pays-là, il y a des maisons de mariage : que l’on voit à la quatrième page de certains journaux des annonces ainsi conçues :

« M. X… maison de confiance, grand choix de jeunes veuves et de jeunes filles, depuis vingt mille francs jusqu’à un million de dot… » et si surtout ce voyageur nous assurait que bien des hommes, et du meilleur monde encore, ruinés, criblés de dettes, s’adressent à ces maisons pour avoir une femme, non, je me trompe, une somme de… pour payer leurs dettes, et la femme en plus.

Si l’on vous disait : « C’est ainsi qu’ils choisissent celle qui doit être leur compagne, celle qu’ils feront dépositaire de leur honneur, la mère de leurs enfants ! »

Vous diriez, vous tous Français, à cet étranger : « Mais, dans ce pays-là, ils sont de vrais barbares ! ils ne savent ni ce que c’est que l’honneur, ni la dignité d’un homme !…

« Ils font du mariage, cette sainte et respectable institution, un honteux trafic, une spéculation !…

« Fi l’horreur ! »

Eh bien ! grâce aux tendances déplorables de notre siècle, qui font de l’or le but principal de la vie, tous les moyens sont bons pour en gagner.

Le Français en est arrivé à regarder avec indifférence ces maisons de mariage.

D’autres ne rougissent pas d’y prendre femme, et surtout l’argent qui leur est nécessaire pour solder leurs débauches passées !

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Un homme fera la cour à la femme de son ami le plus intime, il n’en rougira pas, il s’en fera même gloire s’il a réussi.

Pour la décider à oublier ses devoirs, il trouvera mille raisons, il essayera de lui persuader qu’en le faisant elle sera excusable, qu’il n’y aura aucun crime en cela.

Mais si son ami, à lui, lui joue le même mauvais tour, il l’accablera d’injures, il ne trouvera pas de mots assez durs pour qualifier sa conduite.

Sa femme ?

Il la tuera, la méprisera, ou la chassera !…

Est-ce logique ?

Car n’était-il pas prêt à soutenir qu’il ne commettait pas un grand crime en séduisant la femme de son ami, et que cette femme n’était pas coupable, puisque l’amour excusait tout ?

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La femme n’est ni libre, ni heureuse en France !

J’en suis persuadée, tous les hommes vont se récrier et dire que je ne sais ce que je dis, que c’est en France que la femme jouit de la plus grande liberté, qu’elle est la plus heureuse.

C’est là ce qu’on a répondu à tous les orateurs, à tous les auteurs qui ont voulu élever la voix en faveur de la femme.

Cela ne prouve qu’une chose, c’est que le Français est bien le peuple le plus léger, le plus superficiel du monde entier ; il n’approfondit pas et il juge les choses d’après les apparences.

Je pose en fait que si le peuple français examinait sérieusement, sans parti pris, la position que les lois, le monde, l’égoïsme de l’homme, font à la femme, en France, il serait de mon avis, et, songeant à ses sœurs, à ses filles, il frémirait d’épouvante, et il élèverait la voix hautement en faveur de cette cause sacrée, jugeant qu’elle est, pour le moins, aussi grave que celle de la décentralisation ou autres.

La femme n’est pas libre en France !

Je vous avertis de suite que, par liberté, je n’entends pas celle qu’on lui laisse, de montrer son visage, d’aller au bal à moitié nue, de passer son temps au bois, au théâtre, de faire des dépenses folles pour se parer de vains atours, d’avoir auprès d’elle une cour de désœuvrés, qui ne cherchent qu’à la pousser au mal, à ternir sa réputation… Non, je ne parle pas de ce genre de liberté, car je trouve qu’elle en a beaucoup trop ; on lui en ôterait, que j’applaudirais du fond du cœur.

Les lois, les usages, les hommes, concourent à qui mieux mieux à porter, à pousser la femme à oublier que la vertu est son plus bel ornement ; que la vertu est à la femme ce qu’est le parfum à la fleur, son principal attrait ! Et, ensuite, lorsque quelques-unes d’elles ont eu le malheur de succomber, elles ne rencontrent, dans le monde, dans les lois, chez les hommes, qu’implacabilité, et non pas le pardon, comme la Madeleine aux pieds du divin Maître !

Ceci est encore un manque de logique !…

La liberté que je réclame est une liberté plus sérieuse, plus digne d’un être raisonnable, intelligent, d’un être égal à l’homme.

C’est d’être traitée par les lois, par le monde, comme un être intelligent et non comme un enfant.

Car, en France, la femme est toujours en tutelle ; l’homme est son tuteur de droit… En vrai tuteur de comédie, il use, le plus souvent, de sa position pour dépouiller, pour opprimer sa pupille.

Je réclame pour elle l’égalité devant la loi ;

Son émancipation dans les choses sérieuses !

Je demande que, tout comme l’homme, elle devienne majeure… Jeune fille, son père est son tuteur, rien de mieux ; mais, mariée, qu’elle reste sous la tutelle de son mari, c’est absurde.

Aussi, voyez la position d’une femme mal mariée : si elle est mariée sous le régime de la communauté, son mari, quelque fortune qu’elle lui ait apportée, peut en disposer à son gré, la manger avec la première danseuse venue… Vous ne répondrez que, dans ce cas, la femme a le droit de demander une séparation de biens au tribunal… D’abord, comme elle ne peut le faire que lorsque sa fortune est aux trois quarts gaspillée, ou en totalité, c’est un peu tard, et cela ne lui sert plus à rien ; ensuite, c’est toujours une triste nécessité que celle où l’on est d’aller conter en public ses affaires de famille à un tribunal, d’aller accuser le père de ses enfants, celui dont on porte le nom.

Ne vaudrait-il pas mieux laisser, en mariage, le droit à la femme de gérer sa fortune ?

Vous me direz à cela qu’elle pourrait la dépenser mal à propos… Voyez les femmes veuves ; font-elles plus de folies que les hommes ? Se ruinent-elles, gèrent-elles mal leurs affaires ?

Non, l’expérience est là pour prouver que la femme libre de sa fortune, ne la gaspille pas, au contraire ! Et, en tout cas, il vaudrait tout autant qu’elle-même dépensât une fortune qui lui vient de sa famille, que de la voir gaspiller par son mari, le plus souvent avec d’autres femmes !

Dans le régime dotal, le mari ne peut disposer du capital argent que lui a apporté sa femme, mais il a le droit de faire ce qu’il veut des revenus, de laisser sa femme dans la misère, ou à peu près, et lui, de vivre gaiement avec les rentes de sa femme !

Ceci ne me paraît ni juste, ni logique !

Le tribunal, il est vrai, condamne l’homme qui laisse sa femme dans le besoin… Mais il appelle besoin manquer de pain, de souliers, de vêtements ! Voyez comme une femme qui a apporté cinquante mille francs de rentes à son mari doit être satisfaite si celui-ci se contente de lui donner le pain de tous les jours, une paire de souliers cloués tous les six mois, avec une robe de bure pour l’hiver, une d’indienne pour l’été, et qu’elle sache que le surplus de ses rentes sert à acheter des robes de velours et des mantelets de dentelles à une autre femme ! Cela s’est vu et se voit, hélas !

Ne serait-il pas plus naturel qu’elle pût disposer de cet argent, bénéficier des faveurs de la fortune et dépenser ses rentes un peu selon ses goûts.

Mais, me direz-vous encore, vous ne parlez là que pour les femmes qui ont de mauvais maris. C’est vrai : pour les bons maris, le code, les lois sont inutiles. Le code est surtout pour les criminels ; les lois qui doivent régir le mariage sont surtout faites en prévision des mauvais maris, et non des bons.

Maintenant, la loi, le code, accordent encore à la femme le droit de se séparer de son mari.

Mais il faut pour cela qu’elle ait été battue par lui devant témoin, dit la loi, ce qui tendrait à faire supposer qu’en tête-à-tête il en a le droit… On m’accordera bien qu’un mari peut être un fort mauvais mari, et n’être pourtant pas aussi mal élevé qu’un crocheteur !

Ou bien il faut que le mari entretienne une femme sous le toit conjugal. Notez que cela lui donne le droit de l’entretenir sous un toit voisin, ce qui n’est ni plus moral, ni plus agréable pour la femme légitime !

Pourquoi, je le demande, ne pas reconnaître l’égalité de l’homme et de la femme dans la question de fidélité conjugale ?

On me dira : L’infidélité de la femme a plus d’inconvénients. Cela peut être vrai. Mais la loi devrait être juste et logique ; or, le cœur de la femme est fait comme celui de l’homme : il est accessible au dépit, au désir de la vengeance, à la faiblesse ; ses sens, tout comme ceux de l’homme, peuvent l’entraîner à faillir. Vouloir lui imposer une fidélité rigoureuse à l’homme qui excite son dépit, sa colère, en ayant une maîtresse, qui la délaisse complétement alors qu’elle est jeune, dans la force de l’âge, c’est sans doute très-sage, très-moral. Reste à savoir si c’est possible !…

La loi est faite de façon à exiger de la femme d’être la vertu incarnée, de n’avoir ni sens, ni faiblesses, de rester intacte et pure, quelque mari qu’elle ait. Mon Dieu ! je reconnais que c’est le devoir de la femme, qu’elle doit être ainsi, que la femme infaillible est digne de respect et d’admiration. Mais tout, depuis la Bible jusqu’à l’Évangile, nous dit que la femme, tout comme l’homme, est sujette à faillir, et je trouve que la loi serait plus sage, si, au lieu de lui demander, l’infaillibilité, c’est-à-dire l’impossible, elle lui rendait le devoir, la vertu plus faciles ; en montrant moins d’indulgence pour l’homme, en établissant l’égalité devant les devoirs conjugaux, elle y arriverait.

Lorsqu’une femme est séparée de son mari, lorsqu’elle a eu des motifs assez graves pour obtenir cette séparation, elle reste néanmoins sous la tutelle de son mari ou du tribunal.

Cette tutelle ne lui est d’aucun secours, elle ne lui tend point une main secourable, elle l’entraîne seulement à la ruine ; car la femme ne peut rien faire : commerce, placement, achat, vente, sans demander une autorisation préalable, ce qui lui fait dépenser en frais d’avoués, de jugements, souvent plus que les rentes qu’elle a.

Nul ne l’ignore, la justice n’est point une chimère en France, mais pour l’obtenir il faut plaider, pour plaider il faut de l’argent !

La position de la femme séparée, même de celle qui l’est dans les meilleures conditions, est rendue intolérable par le Code !

Tout est ainsi fait par les lois des hommes, en France, que malheureusement, pour un trop grand nombre de femmes, le bâton de maréchal, c’est le veuvage…

On se plaint que la démoralisation prend des proportions effrayantes, et on a raison.

La faute en est aux hommes, et aux lois qu’ils ont faites, à leur imprévoyance, à leur sot égoïsme…

Pour chasser la démoralisation des mœurs, ou tout au moins la diminuer… il faudrait d’abord que les hommes ne fissent plus du mariage, cette sainte et respectable institution, un honteux trafic, une affaire commerciale ; il faudrait qu’ils ne choisissent plus la dot, mais la femme, qu’ils la cherchassent bonne, vertueuse, ayant des goûts pouvant sympathiser avec les leurs, un caractère pouvant s’harmoniser avec le leur ; qu’ils épousassent, enfin, une femme qu’ils puissent aimer, qu’ils aiment déjà, et non un sac d’écus.

Il faudrait qu’ils missent autant de soins à choisir celle qui sera leur compagne ; celle à qui ils confieront ce qu’ils ont de plus précieux, leur honneur ; celle qui sera la mère de leurs enfants : qu’ils missent à cela les mêmes soins qu’ils mettent à choisir sa fortune.

Il faudrait qu’ils réfléchissent à cela avant de donner leur nom à la première femme tarée, qui a l’adresse de les captiver ; il faudrait que les vieillards renonçassent à leur folie d’unir leur décrépitude à la beauté, à la jeunesse… ;

Que l’homme fût bien pénétré des devoirs du mari ; que la loi lui imposât ce qu’il impose à la femme, la stricte fidélité : que celui-là seul enfin qui se sent la force d’être bon mari se mariât.

Que si, malgré toutes ces précautions prises de part et d’autre, il se trouve que les époux se sont trompés et ne peuvent pas vivre ensemble, et si l’un des deux se conduit de façon à ce que l’autre ne puisse lui pardonner, il faudrait alors que la loi, au lieu de prononcer une séparation, qui est une chose antimorale s’il en fut, contraire aux lois du bon sens et aux lois de Dieu, prononçât un divorce, laissant les deux époux libres, elle, de se choisir un autre mari, et lui, de reprendre une autre compagne. Les mœurs, s’il en était ainsi, seraient moins mauvaises…

L’Église, direz-vous, s’y oppose ; vous savez bien que non : elle reconnaît treize cas de rupture de mariage !

Le nouveau Code seul y met obstacle ; il a défait une des belles institutions de Napoléon 1er !… sous le vain prétexte des enfants !… Est-ce que leur position n’est pas la même dans la séparation !… Sans compter le nombre d’enfants sans nom, d’enfants dits bâtards, voués au malheur, qui sont le produit de l’état actuel des choses… Le Code trouve-t-il cela moral et humain ?.…

Du reste, je me sens d’autant plus à l’aise pour me prononcer dans cette question de la nécessité du divorce, que je me trouve être exactement du même avis qu’un homme qui, avant d’être le souverain aimé des Français, était déjà un grand penseur, un habile écrivain, au jugement sûr et profond.

Napoléon III, alors qu’il n’était encore que le prince Louis, écrivait ceci dans son volume intitulé : Des idées napoléoniennes, page 115 :

Après avoir énuméré, une à une, toutes les grandes et belles choses qu’avait faites l’Empereur 1er, le prince Louis s’adressant aux gouvernements qui lui ont succédé leur dit… « Si dans le séjour céleste où repose en paix sa grande âme, Napoléon pouvait encore se soucier des agitations et des jugements qui se heurtent ici-bas, son ombre irritée n’aurait-elle pas le droit de répondre à ses accusateurs : « Tout ce que j’ai fait pour la prospérité de la France je n’ai eu pour l’accomplir que l’intervalle des batailles ; mais vous qui me blâmez, qu’avez-vous fait pendant vingt-quatre ans d’une paix profonde ?…

Avez-vous, etc.

Avez-vous, etc.

Avez-vous rétabli la loi du divorce, qui garantissait la moralité des familles ? »

On le voit bien, l’Empereur ou le prince Louis, ce qui ne fait qu’un, a dit, a écrit, et pensé comme moi, que le divorce est moral, qu’il est nécessaire à la moralité des familles.

Mais si l’on me demande pourquoi l’Empereur pensant et ayant écrit cela n’a pas rétabli le divorce,

Je serai forcée d’avouer que je n’en sais rien, et que je ne me doute nullement de la réponse qu’il ferait à l’âme de son oncle, si elle lui posait cette même question ?

Peut-être Napoléon III a-t-il tant trouvé de choses à rétablir en France, qu’il n’a point eu le temps encore de songer au divorce…

C’est là ce qui est le plus probable…

Le meilleur des souverains, le plus grand, ne peut faire tout à la fois, puisque Dieu a mis sept jours à faire le monde !…

La femme n’est pas heureuse en France !

Il va sans dire que je ne parle pas de celles qui ont des rentes, n’ayant d’autre souci que celui de les dépenser, qui ont été choyées, gâtées par leurs parents, et qui ont des maris parfaits.

Ce n’est pas de celles-là dont je veux m’occuper ; celles-là, ni la loi, ni le monde n’ont à s’occuper de leur bonheur, puisqu’elles le possèdent.

Je parlerai de la femme du peuple, de l’ouvrière, de la fille ou femme d’employé, de la femme du monde qu’un revers jette dans l’indigence, de l’orpheline sans fortune, mais ayant de l’instruction et appartenant à une honorable famille.

La femme du peuple ! mais à elle, autant qu’à l’homme, sont échus les travaux les plus pénibles : aux champs, on la voit piocher, bêcher, porter des poids lourds. Le paysan ne paraît pas trop convaincu que sa compagne est un être faible ; volontiers il lui abandonne la tâche la plus lourde. Ces fatigues, jointes à celles de la maternité, la vieillissent, l’usent avant l’âge.

L’ouvrière !

Mais c’est elle, le plus souvent, qui nourrit ses enfants par son travail, et souvent elle est battue par son mari, qui veut qu’elle lui abandonne le fruit de son labeur de la semaine, pour aller le boire au cabaret ; ensuite il rentre ivre chez lui, et la malheureuse femme est encore battue…

Il est incontestable que, dans la classe ouvrière, la femme est plus laborieuse que l’homme, et remarquez qu’il faut qu’elle travaille souvent tout en étant grosse ou nourrice.

La femme de l’employé est forcée de faire des prodiges d’économie ; son mari gagne deux ou trois mille francs ; il faut avec cela payer loyer, nourriture, toilette ; aussi, de la cuisine, qu’elle fait souvent elle-même, elle passe au salon, à la chambre, qu’elle brosse, qu’elle époussette : ensuite elle prend l’aiguille, fait ses robes, raccommode les vêtements de son mari, de ses enfants ; sa vie est un continuel labeur.

Vous le voyez, tout n’est pas rose dans la vie des femmes ; et, s’il en est qui passent leur vie au bois, au théâtre, à étaler de ruineuses toilettes, il en est qui passent leur vie à travailler.

Maintenant, que fait-on pour adoucir la position de la femme, que fait-on pour qu’elle puisse, avec de la bonne volonté, gagner sa vie, celle de ses enfants ?

Les législateurs, les Français se sont-ils dit : « Les femmes, c’est-à-dire, notre mère, nos filles, nos sœurs, sont des êtres dignes de notre intérêt, nous ne saurions trop nous préoccuper de leur sort, de leur position ! »

Se sont-ils dit cela ?

Vous allez en juger.

Dans les fabriques, dans les ateliers, les femmes font le même travail que les hommes, et sont moins payées !

Les hommes de cette classe, comme s’ils voulaient condamner leurs sœurs, leurs filles, les femmes, enfin, à mourir de faim ou à se jeter dans la hideuse débauche, accaparent tous les états, toutes les places, ils sont coiffeurs, ils font les robes, les corsets, les chapeaux ; dans les magasins de mercerie, de toilerie, de nouveauté, on ne voit que des hommes, de grands gaillards sont là, mis en gandins, ils aunent les rubans, la dentelle, au lieu de labourer la terre ; et pendant que, paresseux, ils occupent ces places, une foule de pauvres filles sont sur le pavé, elles meurent de faim et un beau jour, cette mauvaise conseillère, la faim, les jette dans le vice !…

Vous les méprisez ! Plaignez-les plutôt, car beaucoup d’entre elles pleurent sur leur déshonneur, et auraient préféré que vous leur eussiez laissé une petite place au soleil pour gagner honorablement leur vie.

Que fait le gouvernement pour ces pauvres filles ?

Rien.

Songe-t-il qu’avec toutes ces inventions de machines à coudre… un plus grand nombre encore restera sans ouvrage ?

Je l’espère !

Pour les hommes, il y a une foule d’écoles gratuites, il y a l’école Centrale, les Arts-et-Métiers !

Pour les femmes, rien : aucune école où, comme aux hommes, on leur apprenne gratis un métier, un état, qui leur permette de gagner honorablement leur vie !

Cela est vraiment incroyable !

On compte donc la femme pour un zéro en France ?

Et l’on s’étonne ensuite de la quantité de malheureuses filles qui peuplent des lieux honteux, qui étalent leur honte et leur misère sur les trottoirs !

Et les hommes n’ont pas même la bonne foi de dire mea culpa !… Vous seuls vous êtes coupables, grandement coupables !…

Il est une autre catégorie de femmes, qui, certes, elles aussi, mériteraient qu’on voulût bien s’occuper de leur triste sort. Ce sont d’abord les orphelines, les veuves, que les petits employés à dix-huit cents, deux, trois, quatre ou cinq mille francs, laissent sans fortune. Elles sont généralement instruites, elles appartiennent à des familles bourgeoises honorables. Eh bien ! que voulez-vous que fassent ces femmes-là ?

Quelles carrières les hommes leur laissent-ils libres ?

Quelles ressources leur offre le gouvernement ? Aucune.

Ne devrait-il pas y avoir des écoles du gouvernement pour les filles sans dot des petits employés, école où on leur apprendrait gratis les arts ou une profession honorable ?

Le gouvernement ne devrait-il pas réserver spécialement pour les femmes et filles de cette catégorie des places, des emplois ? Elles seraient aptes à beaucoup de choses, croyez-le bien.

Mais rien ne se fait pour elles ; celles même pour qui les parents se sont imposés des sacrifices pour leur faire apprendre un art, comme le piano, par exemple, trouvent partout des hommes comme concurrents, même au Sacré-Cœur ; et, dans tous les couvents, de préférence on prend des hommes pour professeurs…

Eh bien ! que voulez-vous que deviennent toutes ces pauvres femmes ?

Elles habitent des mansardes, se rougissent les yeux à quelque ouvrage à l’aiguille, ce qui leur rapporte trente sous par jour, de quoi porter des souliers déchirés, casser un morceau de pain dur… Si une maladie arrive, si le travail leur fait défaut, la misère, froide, horrible, devient leur compagne ; alors, ou elles demandent à la mort la fin de leur peine, ou, hélas ! elles la demandent au vice !

Si elles sont jeunes et jolies, ces pauvres victimes de la capricieuse fortune… elles trouvent de nombreuses mains tendues vers elles, mais non pour leur offrir une aide honorable, mais pour leur donner du pain en échange de leur honneur.

Que d’hommes, que l’on dit honorables, qui eux-mêmes se croient tels, et qui ont proposé ce marché infâme à la pauvre ouvrière qui venait leur demander aide et secours !

C’est affreux et inqualifiable !

Que ceux qui font les lois, qui dirigent tout ici-bas, se disent, lorsqu’ils lisent dans un fait divers : « Telle rue, tel numéro, on a trouvé le cadavre d’une femme où d’une jeune fille qui s’est suicidée… » Qu’ils se disent : « C’est ma faute, j’en rendrai compte à Dieu ! car, me laissant aller à ce vilain égoïsme qui fait le fond du caractère de l’homme, je me suis toujours préoccupé d’assurer le bonheur de l’homme de toutes les conditions, et j’ai oublié la femme ! »

Vous dites, sévère censeur, que c’est l’amour du luxe qui perd la femme, qui peuple le quartier Bréda et d’autres… Non, mille fois non ! C’est la misère, c’est la misère, c’est votre imprévoyance, c’est votre égoïsme !

La femme est ce que vous la faites ! À vous toute la responsabilité.

Les femmes de banquiers, les femmes de négociants, toutes les femmes du monde que l’adversité frappe brusquement, qui se trouvent dans la misère à la mort de leur père ou de leur mari…

Celles-là n’ont plus, n’ont aucune carrière ouverte pour elles.

À celles qui cherchent à gagner leur pain, celui de leurs enfants, dans la littérature, on dit : La femme est créée pour faire cuire son pot-au-feu !

Que voulez-vous que deviennent madame de X… la baronne de Y… ou de Z… si, du jour au lendemain, elles se trouvent sans fortune ? Broder ? On n’y gagne pas sa vie !

Qu’elles se fassent cuisinières, femmes de chambre, portières ?

C’est la seule ressource que vous leur laissez.

Et pourtant ces femmes-là, instruites, intelligentes, pourraient occuper très-bien une foule d’emplois, si vous vouliez les leur abandonner.

Vous me direz, il y a des bureaux de poste aux lettres, des bureaux de tabac, qu’on leur donne… Je vous répondrai, ces places, en petit nombre par comparaison aux femmes qui en auraient besoin, sont occupées en grand nombre par des hommes, les importantes surtout ; les autres sont données exclusivement aux veuves des militaires. Ces veuves-là sont dignes de l’intérêt du gouvernement, j’en conviens ; mais il est fâcheux pour les autres qu’on n’offre qu’à celles-là le moyen de gagner leur vie honorablement.

Cette imprévoyance des législateurs, des hommes d’État, ce sot égoïsme de tous les hommes… voilà la cause, bien plus que l’amour du luxe, du nombre effrayant de lorettes de tous les échelons qui se voient en France.

Encore et toujours la faute de l’homme !