Guide du voyageur à Poitiers et aux environs/Texte entier

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GUIDE
DU
VOYAGEUR À POITIERS
ET AUX ENVIRONS
PAR
CH. DE CHERGÉ
Inspecteur des Monuments historiques du département de la Vienne ;
Ancien Président de la Société des Antiquaires de l’Ouest ;
Ancien correspondant du Ministère de l’Instruction publique, etc., etc.

TROISIÈME ÉDITION
refondue et ornée de nouvelles gravures
avec plan détaillé de la ville



POITIERS
LIBRAIRIE LÉTANG
Successeur JUSTIN RESSAYRE, Éditeur
6, RUE DE LA MAIRIE, 6

1872

GUIDE
DU
VOYAGEUR À POITIERS
ET AUX ENVIRONS

Par autorisation spéciale de la maison Hachette ce
GUIDE se vend à la Bibliothèque de la gare de Poitiers.


POITIERS
ARRIVÉE DE PARIS.

POITIERS
ARRIVÉE DE BORDEAUX.







POITIERS
VUE PRISE DE L’AQUEDUC ROMAIN.

NOTE DU NOUVEL ÉDITEUR.


Poitiers, ce 30 juin 1872.

Ces lignes, écrites au frontispice du Guide du Voyageur à Poitiers, ne sont pas une réclame en faveur de sa troisième édition. L’éloge de ce travail n’a-t-il pas été fait, il y a bien longtemps déjà, par le poëte quand il écrivait : Bis repetita placent, « les livres qui plaisent se rééditent ».

Le succès eût sans doute suffi à faire accepter l’œuvre si heureusement commencée par mon prédécesseur dont il me tient à cœur de garder et les traditions honnêtes et les vieilles amitiés.

Mais à publier ce livre, j’éprouve un plaisir réservé, celui de faire acte de bon Poitevin. Car le but de l’auteur comme le mien, est d’attirer des touristes dans la ville en la faisant connaître. Arrivé d’hier, l’idée de payer aujourd’hui l’hospitalité qui m’est offerte, m’attache donc et déjà me séduit.

Au moment où les douleurs de la Patrie ont rendu poignant, mais plus vif, l’amour de son pays, il m’est doux que mon premier acte de commerce soit une entreprise en l’honneur du Poitou, l’une des belles provinces de France et désormais mon foyer plus intime.

Justin RESSAYRE,
Ancien Magistrat et Avocat,
Membre de la Société des Gens de Lettres de France.

ITINÉRAIRE SOMMAIRE.


Si vous n’avez pas le temps de suivre tous les détours que le désir de ne rien laisser sur notre route sans l’explorer avec vous nous a fait suivre à nous-même, voici l’itinéraire abrégé que nous vous conseillons.

Les titres courants et la table des matières vous guideront du reste.

1o Place d’Armes, p. 31. — 2o Le Lycée, p. 71. — 3o Monastère de Sainte-Croix, p. 92. — 4o Temple de Saint-Jean, p. 98. — 5o Église cathédrale de Saint-Pierre, p. 112. — 6o Église de Sainte-Radégonde, p. 153. — 7o Église de Montierneuf, p. 193. — 8o Le Jésu, p. 218. — 9o Le Palais, p. 224. — 10o L’École de droit, p. 241. — 11o Église de Notre-Dame, p. 274. — 12o La Promenade de Blossac, p. 315. — 13o Église de Saint-Hilaire-le-Grand, p. 324.


Il sera bon de se reporter à un avis fort important qui se trouve à la page 417.



A V A N T - P R O P O S

(ÉDITION DE 1868)


« Rara avis. »


Ami lecteur,

Pourquoi ce petit livre ?

Il n’est assurément pas destiné à un grand retentissement dans le monde bruissant des lettres, et il est de ceux qui ne payent même pas le papier que l’on tache d’encre pour les faire.

Pourquoi donc ce petit livre ?

Voici ce pourquoi :

Ce petit livre fut fait une première fois, il y a déjà quelques années.

Alors, il lui advint cette bonne fortune : il trouva ce que nos devanciers appelaient « des bénins lecteurs », et, un jour, l’éditeur se vit obligé de dire à sa jeune clientèle, — qui, sans doute, sur la vieille renommée du bonhomme, désirait le lire à son tour, — ce mot si doux aux lèvres d’un éditeur : « épuisé ».

Et l’éditeur, s’adressant au faiseur du livre, lui tint à peu près ce langage :

« C’est une chose rare, par le temps qui court, cher auteur, qu’une deuxième « édition d’un livre sérieux sur un sujet tout local, publié dans une humble ville de « province et écrit par une plume de province aussi.

« Eh bien ! cette chose rare — rarissime même, — votre étoile fortunée vous « offre l’heur de la réaliser sans peine ni labeur. Ce Guide que vous improvisiez « naguère, il m’en souvient, en 23 jours, avec de grandes fatigues de corps et « d’esprit, ne demanderait à votre plume, aujourd’hui plus débile, que quelques « rares instants ravis à l’inutile farniente du paysan inoccupé.

« En effet, après les appréciations dont « votre Benjamin » a été l’objet de la « part des maîtres de la science[1], vous ne pouvez — lors même que vous y « songeriez — vous ne pouvez rien changer ni à l’agencement de son ensemble « ni à la forme que sut y revêtir votre pensée ; il ne saurait entrer non plus dans « la mienne de vous demander d’oublier un seul instant votre devise aimée et de « sacrifier un seul atôme de vos convictions d’hier pour vous mettre un peu plus « en harmonie avec ce que de hardis esprits appellent les principes « d’aujourd’hui.

« Donc, vous n’avez absolument rien à faire, heureux, trois fois heureux « mortel, pour saisir au vol cet oiseau, si rare dans les volières de MM. les « auteurs… une deuxième édition.

« Et puis, tout vous sourit : le crayon facile et savant d’un confrère dévoué[2] « a dessiné pour vous les principaux sujets qui devront illustrer vos nouvelles « pages, et un éditeur renommé a mis à votre disposition, en souvenir de vos « gracieusetés passées, ses meilleures gravures poitevines[3]. Et d’ailleurs ce « livre, vous le devez à votre éditeur ; vous le devez à ces écrivains amis ou « bienveillants, qui ont généreusement refusé de moissonner dans l’inépuisable « champ, où leurs mains habiles eussent assurément su cueillir les plus riches « récoltes ; ce livre, vous le devez enfin à la ville que vous aimez comme votre « mère, et qui l’accueillera, soyez-en sûr, comme une mère sait accueillir un « fils. »

Eh bien ! ami lecteur, vous savez, ou vous ne savez pas, que les auteurs, — même les auteurs des petits livres, — sont un tant soit peu comme les pères, ou plutôt ils sont de vrais pères à l’endroit des enfants de leur intelligence, et ils en ont toutes les faiblesses, et, par exemple, celle qui fait que certaine fibre est agréablement chatouillée quand on voit se produire dans le monde, avec quelque avantage, le fils de ses œuvres, ou bien quand on entend parler de ses succès.

Et je me suis laissé « enjôler et coiffer par la parole doulcettement « emmiellée du tentateur », et je lui ai promis de faire ce rien qui, tout à coup, hélas ! s’est transformé en un fardeau bien lourd à ma chère paresse.

En effet, depuis quelques années, sans qu’on y ait pris garde, ma bonne vieille ville de Poitiers a été tellement modifiée dans un grand nombre de détails, qu’il n’est presque pas une seule page de mon livre d’aujourd’hui qui ne porte l’empreinte de changements considérables de nature à constituer, en fin de compte, un remaniement complet de l’œuvre passée, afin qu’elle se trouvât en harmonie avec les réalités du présent.

J’avoue que le fond est absolument le même ; les irrégularités de forme échappées à la rapidité d’une véritable improvisation, les réflexions que suggéraient les événements du jour tombé désormais dans l’oubli des temps, ont seules disparu, et, pourtant, ce n’en est pas moins un livre assez neuf pour offrir, je le crois sincèrement, quelque intérêt à ceux-là même qui possèdent, non pas son frère jumeau, mais son aîné.

Et maintenant, au moment où il va se lancer dans la carrière toujours périlleuse de la publicité, il ne me reste plus qu’à lui dire :

« Tu vas affronter l’espace et les dangers, mais non pas à ces hauteurs « inaccessibles où place, au sein de la nue qui le protège contre d’impuissantes « menaces, le roi des airs ; toi, tu n’es qu’un tout petit oiseau dont la vie « éphémère doit se passer à voleter timidement et terre à terre, à la portée facile « du plomb meurtrier. 

« Ah ! puisse-t-il t’épargner comme il épargna ton frère, et ne pas « condamner mes yeux à te voir rentrer au nid paternel, l’aile brisée, dès ton « premier vol, par l’arme dangereuse qui ne peut atteindre les aigles et qui tue « les petits oiseaux ! »

CH. DE CHERGÉ.

Saint-Hilaire (Indre), 18 août 1867.

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HISTORIQUE


La ville de Poitiers était, avant la révolution de 1789, la capitale du Poitou, le chef-lieu de l’Intendance, le siège d’un vaste Évêché, auquel ont emprunté les Diocèses de la Rochelle, Angoulême, Angers, Tours, Bourges et Limoges ; d’une Généralité fort étendue ; d’un Présidial auquel ressortissaient 300 hautes justices, qui dépassaient le ressort actuel de la Cour d’appel, et s’étendaient jusqu’à des limites dépendant aujourd’hui des Cours de Bordeaux, Limoges, Bourges, Orléans et Angers.

Elle avait en outre un Bailliage, une Sénéchaussée, une Élection, un Hôtel des Monnaies, une Université, 5 Chapitres, 24 paroisses, 11 monastères d’hommes, 15 communautés de femmes, 60 édifices consacrés au culte catholique ; et leurs clochers de toutes formes, de toutes grandeurs, lui donnaient de loin un aspect fort singulier.

Elle est aujourd’hui, bien que déchue de son ancienne importance, le siège d’une Cour d’appel divisée en trois chambres, à laquelle ressortissent les tribunaux des 4 départements de la Vienne, des Deux-Sèvres, de la Vendée et de la Charente-Inférieure ; d’un Évêché qui comprend les 2 départements de la Vienne et des Deux-Sèvres ; le chef-lieu du département de la Vienne ; elle dépend de la 4e Subdivision de la 18e Division militaire (Tours), de la 15e Légion de Gendarmerie (Tours), et de la 26e Conservation forestière (Niort).

L’Académie dont elle est le chef-lieu est une des plus étendues des seize Académies de France. Elle comprend trois Facultés (Droit, Sciences et Lettres) ; trois Écoles secondaires de Médecine et de Pharmacie, situées à Poitiers, Tours, Limoges ; huit Lycées établis dans les chefs-lieux des départements de la Vienne, de la Charente, de la Charente-Inférieure, des Deux-Sèvres, de l’Indre-et-Loire, de l’Indre, de la Haute-Vienne ; enfin dix-neuf colléges communaux (dont quatre de plein exercice), situés à Châtellerault, Loudun, Civray, dans la Vienne ; à Cognac, Confolens, La Rochefoucault, dans la Charente ; à Melle et Parthenay, dans les Deux-Sèvres ; à Luçon et Fontenay-le-Comte, dans la Vendée ; à Chinon, dans l’Indre-et-Loire ; à Issoudun et la Châtre, dans l’Indre ; à Magnac-Laval, Eymoutiers, Saint-Junien et Saint-Yrieix, dans la Haute-Vienne. L’Académie est dirigée par un Recteur, assisté de huit inspecteurs d’Académie (un pour chaque département) et d’un Conseil académique.

Poitiers est situé au confluent du Clain et de la Boivre, à 335 kilomètres de Paris, à 215 d’Orléans, à 101 de Tours, à 32 de Châtellerault. Sa population est de 31 034 âmes (recensement de 1866).

Malgré les améliorations très-nombreuses dont elle a été l’objet depuis 50 ans, la ville de Poitiers est encore fort loin de pouvoir être citée parmi les villes de France que le voyageur doit visiter pour la seule satisfaction de ses regards. Son aspect général, des hauteurs qui la dominent presque de tous côtés, a quelque chose, il est vrai, de pittoresque, qu’on chercherait en vain dans des cités plus populeuses et plus régulières : mais, si l’on pénètre dans l’intérieur, avec les effets trompeurs de la perspective disparaît le charme factice qu’avaient produit ces bâtiments mêlés aux touffes d’arbres, ces rues profilées, pour ainsi dire, au milieu des jardins verdoyants, et l’on se trouve face à face avec une décevante réalité.

Beaucoup de ses rues sont encore étroites et tortueuses : ses bâtiments sont généralement dépourvus de toute ornementation, de tout style. Elle n’a pas un grand nombre de ces vastes places largement aérées, de ces quartiers neufs, de ces monuments brillants de jeunesse qui font la décoration et l’honneur de nos cités modernes ; ou bien, si elle en compte quelques-uns, ils sont, en général, de nature, hélas ! à produire un effet tout contraire. Mais si tout cela ne constitue pas précisément ce que M. de Custine appelle fort peu galamment, quelque part, un monceau de vieux plâtras, cela, du moins, ne peut point, en conscience, être appelé beau.

Cependant, après avoir fait la part à la critique, soyons juste. Poitiers a conservé, malgré les révolutions et leurs conséquences modificatives, une partie de ce cachet remarquable que le moyen âge imprimait à ses cités les plus importantes, et qui n’était après tout que le reflet d’autres mœurs et une satisfaction donnée à d’autres besoins.

Mais c’est précisément cette physionomie toute spéciale à laquelle chaque jour enlève une ride, un trait, c’est précisément ce facies original, qui doivent solliciter le voyageur, et surtout le voyageur intelligent, à donner quelques heures d’examen réfléchi à l’antique capitale du Poitou.

Les seuls monuments qu’elle puisse montrer avec quelque orgueil sont, il est vrai, noircis par le temps ; mais, presque tous aussi, ils sont remarquables à des titres divers.

Chaque période un peu importante de l’histoire de l’art depuis le VIe siècle s’y trouve représentée par des échantillons à un état plus ou moins parfait de conservation, mais qui peuvent servir d’objet d’étude approfondie pour l’artiste et pour le savant ; les souvenirs historiques réveillés par ces pierres se rattachent, du reste, presque tous aux phases les plus essentielles de notre histoire.

C’est, en effet, près de nos murs que se sont livrés les grands combats auxquels la France doit sa religion, sa nationalité, ses franchises ; c’est dans son enceinte même que fut proclamé le salut de la monarchie, menacée de devenir anglaise, et sauvée alors par les vigoureuses croyances de nos pères ; c’est là que vécurent de grands saints, et chaque pas rappelle leur souvenir, leurs vertus, leur protection efficace ; c’est là que se développèrent, au sein de l’étude et du travail, des générations entières de savants, des poëtes, des littérateurs, des hommes distingués dans divers genres et qui ont honoré leur pays. Que faut-il de plus, même aux yeux des esprits superficiels, pour leur faire agréer, en faveur du fond, ce qu’ils seraient peut-être tentés de dédaigner dans la forme ?

C’est ce que nous avons pensé, au moment où nous avons mis la main à notre œuvre, et c’est aussi ce qui nous a dirigé dans son exécution. Dès lors que le fait historique domine chez nous, de toute la hauteur de son importance morale, le fait matériel et le monument qui en est l’expression plus ou moins complète, ou qui s’y rattache indirectement, de même aussi la partie historique de notre œuvre devait prendre des proportions en harmonie avec son importance réelle.

C’est ce qui expliquera à nos lecteurs pourquoi, avant de les initier à la connaissance plus intime de chacun de nos monuments, nous nous sommes cru obligé de faire passer sous leurs yeux une large esquisse de l’histoire générale à laquelle leur vie particulière se trouve essentiellement mêlée, et pourquoi, dans leur histoire propre, nous n’avons jamais voulu perdre de vue, au milieu des détails variés de la description technique, le point essentiel qui peut seul leur donner une valeur réelle et incontestable.

D’ailleurs, et pourquoi ne le dirions-nous pas ? si nous avons dépassé certaines limites, c’est que nous avons contracté une dette importante vis-à-vis de nos concitoyens et de nos frères en études sérieuses : l’un, notre maître pourtant[4], poussa l’abnégation, bien flatteuse pour nous, jusqu’à vouloir nous laisser marcher seul dans la voie que sa science avait parcourue avec honneur avant nous, et où nous ne pouvions guère que le suivre ; l’autre, notre confrère désintéressé, généreux[5], mit à notre disposition, avec une rare modestie, pour plusieurs de nos gravures, ce crayon facile auquel il sait si bien joindre, quand il le veut, la plume élégante du chroniqueur ; l’autre, enfin[6], nous permit de pratiquer avec lui ce communisme littéraire de vieille date entre nous, mais qui eût effrayé peut-être toute autre amitié que la sienne, et nous n’avons eu qu’à puiser à pleines mains, aujourd’hui encore comme hier, dans les trésors de ses riches archives.

En ce qui concerne spécialement cette troisième édition, nous avons reçu des communications qui accusent une obligeance amie dont nous ne pouvons mieux témoigner notre reconnaissance à nos éminents confrères[7] qu’en employant à rectifier nos erreurs et à perfectionner l’œuvre qu’ils honorent ainsi, toutes les observations dues à leur bienveillance.

Nous devons donc d’autant plus qu’on a plus fait pour nous ; et si nous avons une crainte fondée, c’est que le cadre où nous avons été forcé de nous enfermer ne nous ait pas permis d’être à la hauteur de notre tâche.

Puissiez-vous, ami lecteur, en accordant à ce petit livre une faveur moins éphémère que celle d’une lecture rapide, aussitôt oubliée, nous autoriser à croire que nous ne sommes pas resté trop éloigné du but que nous nous proposions !

Si l’on s’amusait à rechercher dans les premiers auteurs l’origine des Poitevins et de Poitiers, on y lirait que les paisibles habitants de cette tranquille cité descendent en droite ligne d’Hercule et d’une vierge de nature humaine et serpentine, habitant une île de la Scythie appelée île Sylvestre.

Vous dire comment cette filiation, en passant par les Scythes, les Agathyrses et les Pictes, a donné le produit qui existe aujourd’hui et qui fait partie du grand tout que nous nommons le peuple français, c’est ce que nous n’essayerons point.

Nous n’avons ni le temps ni l’espace pour ce faire. Nous serons aussi sobre à l’endroit de l’étymologie des noms de Pictavia, Picti, Pictavi, Pictones, qui ont été donnés par les auteurs latins au pays et à ses habitants.

De grands savants ont vu dans ces mots la preuve que nos ancêtres « se « peindaient tout spécialement de rouge : de là furent appelés Picti et le pays « Pictavia, et eux Poictevins rouges » : d’autres, prenant pour point de départ cette donnée ingénieuse, ont vu dans le fard rouge du visage de nos pères un moyen tout nouveau de les rattacher à leur divin auteur, et, se souvenant des exploits du fils de Jupiter et d’Alcmène, dieu de la force, ils ont pensé que le mot Picta vis (force peinte) exprimait fort heureusement l’idée complexe d’une origine céleste et de l’antique habitude du tatouage.

Enfin, quelques-uns, plus timides, ont découvert que Pictavia signifiait tout bonnement que le pays de Poictou était primitivement (mais, malheureusement pour l’étymologie, il a cela de commun avec un grand nombre d’autres) « painct « et enrichy d’arbres, blés, vignes, fontaines, rivières, boys, boucages et « pasturages ».

Puis sont venus les traînards qui, suivant péniblement les sentiers battus de l’étymologie, ont ramassé dans quelque coin obscur cette présomption importante : « que la cité de Poitiers fut appelée Pictavis, ab ave pictâ, parce « qu’elle fut édifiée au lieu où l’on « avait trouvé un oiseau peint ».

Cela sent un peu la vieille histoire du nom latin du Capitole, et nous rappelle, presque malgré nous, l’étymologie burlesque qu’un grave auteur attribue au nom de la capitale du Loudunais : Loudun, Laudunum, ainsi nommée parce qu’on trouva dans les fondements de la ville l’os d’un homme.

Avouez, lecteur, que tout cela est d’égale force !

Quant à nous, tout en admirant ces efforts d’imaginative, nous nous demanderons s’il est absolument indispensable, pour notre salut et pour celui de nos lecteurs, de croire à la nécessité d’un radical à prétentions dans le nom de nos pères.

La réponse sera négative, car, depuis que nous avons vu faire dériver Lutetia, nom latin de Paris, de la blancheur de ses jolies femmes et de la boue de ses rues sales, notre foi, jadis très-robuste, en l’infaillibilité de l’étymologie, s’est métamorphosée en scepticisme grandement prononcé : aussi ce scepticisme nous fera-t-il dire que nos ancêtres furent appelés Pictons tout bonnement parce qu’il leur fallait un nom tel quel, qui les distinguât de leurs voisins, et que ce fut celui-là plutôt qu’un autre que le hasard leur imposa.

S’il avait un sens, nous avouons très-humblement ne le point connaître. Quant à l’origine de la population elle-même, nous ne suivrons point nos devanciers pour examiner avec eux si le Poitevin est Kelte ou Goth ; nous aimons mieux nous rattacher, comme l’a fait avant nous un spirituel écrivain, à l’idée que nous sommes, sans conteste valable, un franc rejeton de la noble souche gauloise ; il nous serait pénible de penser qu’on ait droit de nous regarder comme une branche sauvage apportée on ne sait d’où, pour être entée presque par force sur ce vieil arbre dont le fer des Romains essaya vainement de mutiler les rameaux vivaces et de comprimer la séve généreuse.

Cet arbre généalogique en vaut bien un autre : qu’en pensez-vous, ami lecteur ? Nous nous y tiendrons, par conséquent, sans plus chercher ailleurs.

Après avoir appartenu à cette grande nationalité gauloise dont l’existence est marquée dans le vide des temps par ces deux jalons historiques, le sac du temple de Delphes et le sac de Rome, le Poitou suivit les destinées de la Gaule, lorsque l’épée de César vint lui demander compte du sang versé par l’épée de Brennus ; il fut alors soumis par Publius Crassus, lieutenant du futur dictateur, et il fournit à la flotte du vainqueur son contingent, lorsqu’il alla attaquer les Vénètes.

Cependant, lors du soulèvement d’une grande partie de la Gaule, les Pictons suivirent l’élan national, à l’exception de quelques personnages, dont l’un, entre autres, a laissé un nom historique qui se rattache à l’existence même de la ville de Poitiers.

Nous voulons parler du Picton Duratius. Demeuré flidèle aux Romains, ce chef soutint contre Dumnacus, chef des Andes (Angevins), dans la capitale même des Pictons (Limonum), un siége en règle, qui annonce l’importance relative, à cette époque, de cette cité au milieu des bourgades sans défense de la Gaule vaincue.

Une monnaie a été frappée au nom de ce personnage : nous la reproduisons, comme étant le monument le plus ancien de l’existence de notre cité.

(Le savant de Saulcy a cru voir dans l’effigie de l’obvers de cette monnaie la tête de Vénus, dont prétendait descendre, comme on sait, Jules César. — Revue numismatique, 1851. p. 396.)

Cette existence antique, nous la réclamons pour la ville actuelle, en dépit des prétentions de certains auteurs qui placent le Poitiers primitif au lieu dit le Vieux-Poitiers, près duquel les voyageurs qui arrivent de Paris passent, après avoir vu se réunir les eaux du Clain et de la Vienne. Ce lieu, où subsistent encore quelques restes de constructions, n’était qu’une mansio romaine, établie au lieu où les Gaulois avaient laissé les traces de leur séjour, et tout au moins un monument de leur civilisation primitive dans ce Menhir grossier couvert d’une inscription tracée par la main du peuple vainqueur, et léguée aux sphynx de l’avenir.

Nous n’acceptons pas non plus cette idée de Dufour que la ville primitive de Poitiers dut être placée, rive droite du Clain, sur les hauteurs de Maubernage (Montbernage). Laissons à ce faubourg la réputation gastronomique dont nous parlerons plus tard, et à laquelle il n’a pas la sotte prétention d’ajouter l’orgueil d’une trop vaniteuse origine.

À voir la situation de la ville de Poitiers au confluent de la Boivre avec le Clain, sur une espèce de promontoire qui s’étend dans une anse de cette dernière rivière, et dont l’escarpement est tel que la ligne de faîte est élevée d’environ 40 mètres au-dessus de la vallée, il est évident que les premiers habitants du pays, qui songèrent à se réunir pour opposer une défense énergique, à un ennemi commun, trouvèrent dans cette situation favorable toutes les conditions qu’exigeait leur salut, et ils surent en profiter.

Après la soumission complète du pays, le Poitou fit partie de la Gaule aquitanique. Les débris trouvés dans des fouilles nombreuses, et l’existence d’un immense amphithéâtre, prouvent, à défaut de documents historiques, tout ce que Limonum emprunta de magnificence et de richesse à la civilisation romaine, et nous sommes en droit de reconstruire par la pensée cette cité importante, avec ses palais et ses temples revêtus de marbre, décorés de sculptures élégantes, avec ses villas semées çà et là sur le bord des nombreux cours d’eau qui sillonnent le pays.

Des fouilles, des recherches faites avec soin prouvent que, sous la domination romaine, la ville dut être entourée d’une fortification continue, dont le caractère romain se reconnaît à son parement composé de lignes alternées de petites pierres et de briques horizontalement et régulièrement espacées.

Malgré les assertions de l’historien Dufour, il est aujourd’hui démontré que, loin d’avoir la forme allongée que cet auteur lui attribue dans ses plans, l’enceinte romaine de la ville de Poitiers affectait, avec des dimensions moins vastes, une forme presque circulaire, assez éloignée de la figure irrégulière de l’enceinte actuelle.

L’aspect des lieux suffirait seul, du reste, comme nous l’avons déjà dit, pour justifier cette opinion, en raison de la nécessité d’une bonne défense, si l’existence même de la muraille antique dans des caves et souterrains ne constatait pas une ligne de fortifications que l’on peut suivre sur notre plan, où elle est indiquée par des signes particuliers.

Toutes les magnificences dont la civilisation romaine avait doté la ville de Limonum disparurent sous l’invasion des barbares, et ce fut sans doute pour se défendre contre leurs attaques que les maîtres du monde, menacés à leur tour, entassèrent tous les débris somptueux des palais et des temples écroulés, et construisirent avec ces matériaux précieux cette deuxième enceinte qui s’appuie presque partout sur la première enceinte romaine, mais qui offre par ses casemates et ses voûtes ornées de riches sculptures, de figures, de symboles et d’inscriptions antiques, un caractère vraiment curieux à étudier, et que nos lecteurs ne trouveront peut-être nulle part ailleurs.

Les Visigoths, qui dominaient du fond de l’Espagne jusqu’à la Loire, et dont la capitale était Toulouse, avaient obtenu en 418, de l’empereur Honorius, la cession du Poitou, et ils avaient fait de Limonum un des centres de leur puissance. Ce fut de là qu’Alaric II, leur roi, sortit en 507 pour aller se faire battre et tuer dans les plaines de Voclade (Voulon, et non Vouillé) par le roi des Francs, Clovis. Cette rude bataille anéantit, avec le pouvoir du défenseur de l’Arianisme dans les Gaules, cette hérésie dangereuse, et constitua le royaume catholique des Francs. Le vainqueur, devenu possesseur de ce vaste pays d’Aquitaine, établit des Comtes dans les principales cités, et Poitiers fut le lieu de résidence de l’un d’entre eux, sous la puissance souvent contestée des rois et ducs d’Aquitaine, descendants de Clovis, jusqu’à l’extinction de sa dynastie.

C’est pendant cet intervalle que les Sarrasins d’Espagne, attirés par les immenses richesses que leur promettaient les plaines fertiles de la France et ses monastères puissants, envahissent le territoire, ravagent sur leur passage les cités les plus populeuses, les temples les plus saints, et viennent enfin, à quelques lieues de Poitiers, dans les plaines de Moussais-la-Bataille (732), se faire écraser par le sauveur de la religion et de la nationalité française, le glorieux chef des Francs, Charles le Martel.

Malgré le prestige qui devait favoriser les vues ambitieuses du vainqueur, un attachement traditionnel et instinctivement national portait les Aquitains à soutenir la race de leurs anciens maîtres, et l’on vit Amingus ou Amanuge, Comte de Poitiers, sous le malheureux Waiffre, dernier Duc mérovingien d’Aquitaine, se faire tuer dans la lutte vraiment patriotique soutenue par ce prince contre son heureux rival, Pépin le Bref, fils du vainqueur des Sarrasins.

Waiffre, assassiné par des traîtres, après une résistance honorable, entraîne avec lui la chute des Aquitains ; puis Charlemagne, à son retour de son expédition d’Espagne, rétablit le royaume d’Aquitaine en faveur de son fils Louis, qui venait de naître, et nomme pour gouverner en son nom, quinze comtes chargés de la défense du pays et de l’administration de la justice, Abbon, le premier, est investi de ce titre de confiance pour la ville de Poitiers, et tant que la puissante main du maître se fait sentir, lui et ses successeurs remplissent fidèlement leur mandat.

Mais, sous les faibles successeurs du grand empereur, les Comtes du Poitou, Ducs d’Aquitaine, dont la puissance s’étendait sur la rive gauche de la Loire, depuis Saint-Florent-le-Vieil jusqu’à la mer — cette zone n’en fut détachée définitivement que vers 963 pour être réunie au Comté de Nantes — étendent leur domination jusque sur les frontières d’Espagne, guerroient avec leurs redoutables voisins, protègent les rois de France eux-mêmes contre leurs grands vassaux, fournissent, depuis Guillaume Ier jusqu’à Guillaume X, une suite héréditaire de souverains belliqueux, amateurs des lettres et des arts, et dont l’un mérite par ses poésies, conservées encore, le titre de Troubadour — « il était bon troubadour, bon chevalier d’armes, et courut longtemps le monde pour tromper les dames » — tandis que son aïeul avait conquis par des qualités réelles le surnom plus glorieux de Grand.

Puis, à la mort de Guillaume X, que l’Église de Poitiers honore d’un culte public, toute cette puissance se concentre sur la tête de sa fille, Aliénor d’Aquitaine. Seule héritière de toutes ces grandeurs, elle donne avec sa main, au fils du roi de France, plus tard roi lui-même sous le nom de Louis VII, une couronne de plus (1137).

Mais la répudiation, plus honorable que politique, de la princesse par son royal époux (1152), investit bientôt le roi d’Angleterre, Henri II, d’un pouvoir fatal à la France, pouvoir qui pèse rigoureusement sur les Aquitains, impatients du joug, et toujours forcés de le subir, malgré les soulèvements incessants et infructueux que provoque un patriotisme vivace.

Après avoir vu son fils, Richard Cœur-de-Lion, et son petit-fils, Othon d’Allemagne, posséder tour à tour le Duché d’Aquitaine, la Comtesse-reine s’en ressaisit à la mort de Richard (1199), en fait hommage au roi de France Philippe-Auguste, s’associe son autre fils Jean d’Angleterre, dit Jean-Sans-Terre, et gouverne à peu près seule ses vastes États.

Elle avait, sous le règne de son mari, Henri II, construit dans sa capitale des monuments dignes d’elle, et protégé la ville par une enceinte nouvelle qu’exigeaient ses développements ; mais, lorsqu’elle devient seule maîtresse des destinées du pays, elle sent le besoin de se gagner les cœurs, qu’elle s’était aliénés par des actes d’oppression tyrannique : elle continue les privilèges accordés aux Poitevins par ses prédécesseurs, celui, par exemple — et il est assez significatif pour mériter d’être cité — celui de marier leurs filles comme ils le jugeraient à propos, et crée une Commune à Poitiers (1199).

La Comtesse-reine meurt ; le Poitou est confisqué sur Jean-Sans-Terre, pour crime de félonie et de parricide, par la cour des Pairs de France. L’impétueux Philippe-Auguste exécute, les armes à la main, cet arrêt vengeur du meurtre odieux de l’innocent Arthur de Bretagne, et saint Louis donne plus tard le Comté de Poitou à son frère Alphonse.

Après la mort de ce prince, Philippe le Hardi, roi de France, son neveu, réclame le Poitou, et l’obtient par droit de réversion. Philippe le Bel, Philippe le Long, le possèdent tour à tour. Le premier de ces princes, d’accord avec le pape Clément V, décrète la suppression de l’Ordre religieux et militaire des Templiers, et c’est à Poitiers même que se discute, dans des pourparlers secrets et dans des réunions publiques, cette mesure violente, commandée peut-être par la politique, mais qui donne lieu à des explications contradictoires, sans justifier le sang versé pour elle.

C’est dans les champs de Maupertuis, presque en vue de Poitiers, qu’eut lieu la sanglante défaite du roi Jean par le prince Noir (1356), et c’est à cette désastreuse journée, si fatale à la noblesse française, que se rattache le grand fait historique de l’accroissement de l’influence de la Commune.

Le traité de Brétigny (8 mai 1360) place le Poitou sous la nomination anglaise ; mais la noble épée de du Guesclin l’arrache bientôt, et pour toujours, à ce joug odieux (1371). Il devient l’apanage de Jean de Berry, frère du roi Charles V (1392), retourne à la couronne pour redevenir encore (1417) apanage de Charles de France, dauphin de Viennois, depuis Charles VII, qui le réunit à la couronne, « sans qu’il puisse en être détaché à l’avenir, même en faveur d’un « prince du sang ».

Et, en effet, il avait bien mérité cette preuve particulière d’affection royale. Pendant les malheurs qui frappent ce souverain, c’est à Poitiers que ses droits sont reconnus, c’est à Poitiers que son avènement au trône est proclamé. Tandis qu’un héraut d’armes anglais crie sur la tombe encore ouverte du malheureux Charles VI : Vive Henri VI d’Angleterre, roi des Français ! les Poitevins, fidèles aux fils de saint Louis comme ils l’avaient été aux fils de Charlemagne, protestent contre les lâches acclamations des Parisiens, en criant : Noël pour Charles VII, roi de France !

Réduit à quelques villes indomptables dans leur attachement à leur nationalité, le roi transfère à Poitiers (1418) le Parlement et l’Université de Paris, qui y restent jusqu’en 1436, et c’est en raison de ce séjour que les membres du Présidial de Poitiers porteront, a l’avenir, la robe rouge, insigne spécial des cours souveraines.

En 1428, Jeanne d’Arc est conduite au roi à Chinon ; elle lui annonce la victoire. En mars 1429, elle subit à Poitiers, devant les docteurs de l’Université, les interrogatoires qui constatent la réalité de sa mission divine, et c’est de Poitiers, de l’hôtel de la Rose, où elle était descendue, qu’elle s’élance, tout armée à blanc, pour aller faire couronner à Reims ce roi qu’on appelait par dérision le roi de Bourges, et que l’histoire, grâce à la Pucelle, nommera plus tard le Victorieux.

À dater de là, le rôle de la ville de Poitiers n’offre rien de très-remarquable jusqu’au XVIe siècle ; mais la prédication luthérienne est pour elle une époque de deuil et de sang.

Calvin, le novateur astucieux, séjourne dans ses murs, enjôle et coiffe, suivant l’expression naïve d’un historien, plusieurs habitants distingués, et tient ses conciliabules dans des grottes sauvages dont l’une, située sur les bords du Clain, porte encore son nom. L’excitation qu’il provoque entraîne de sanglantes attaques contre les prêtres, puis des représailles judiciaires.

Le mal fait des progrès : Poitiers, foyer des nouvelles doctrines, devient un point de mire ; il est pris et repris par les huguenots et les catholiques, et enfin, le 26 mai 1562 et jours suivants, il est livré au pillage d’une troupe de bandits gascons protestants qui violent les tombeaux, brisent les autels, mutilent les monuments religieux, volent les trésors des églises et s’abandonnent aux horreurs d’une rage effrénée.

À leur tour, les catholiques, commandés par le maréchal de Saint-André, chassent les Gascons ; le maire Herbert est pendu à une potence ; un soldat fait une « fricassée d’oreilles d’hommes, conviant à ce banquet quelques siens « compaignons ». C’est l’histoire, hélas ! trop réelle, des guerres civiles, quel qu’en soit le drapeau !

La question religieuse s’envenime de toutes les passions politiques ; la France devient une vaste arène où se débattent des intérêts qui, d’un côté du moins, ne sont pas les siens.

Dans ce vaste conflit, Poitiers se trouve assiégé par l’amiral Coligny, chef des protestants, qui, malgré les troupes dont il dispose et l’étendue défavorable de la ville, se voit forcé, par le courage indomptable des habitants, à lever honteusement le siège au bout de sept semaines d’une défense désespérée (7 septembre 1569), et va se faire battre complétement à Moncontour.

À partir de cette date glorieuse pour elle, la ville de Poitiers, agitée encore par les éléments de trouble qui avaient germé dans son sein, éprouve quelques luttes intestines. Mais bientôt son histoire et sa vie, sauf quelques faits particuliers de mince importance, vont se trouver fondues dans l’histoire et la vie de la grande nationalité française.

Depuis lors aussi, le cœur tout français de ses habitants a répondu à tous les battements du cœur de la France : aux jours de ses triomphes, il a bondi de joie et d’orgueil ; aux jours de ses désastres, il a ressenti la douleur de ses humiliations ; et quand il ne s’est pas associé aux élans que l’on demandait à ses enfants, c’est que ces élans étaient indignes de la France.



GUIDE
DU
VOYAGEUR À POITIERS


Nous sommes en gare de Poitiers.

Les premiers bâtiments de l’embarcadère, construits en 1852 et remplacés en 1855, à l’époque où l’ouverture des lignes ferrées de la Rochelle et de Rochefort a donné à la station de Poitiers une plus grande importance, n’existaient pas eux-mêmes lorsque nous publiions le petit livre que nous rééditons aujourd’hui.

À cette époque aussi, les amis hardis de leur pays (on les appelait même les mauvaises têtes, et nous en étions) pouvaient espérer encore que les longues et vives discussions qui avaient trouvé un fidèle écho dans la presse locale, au sujet des voies d’accession de l’embarcadère à la ville, aboutiraient à l’adoption en principe d’un vaste projet dû à l’initiative toute patriotique d’un enfant de la cité (M. A. Pichot).

Ce plan magnifique, — auquel on pouvait seulement reprocher, après quelques faciles modifications, le temps nécessaire à son exécution complète, si l’on avait la sagesse de ne vouloir pas jouir trop tôt pour jouir plus largement, — ce projet, qui eût donné à la vieille cité un aspect des plus grandioses, sans détruire ni altérer rien de ce qu’on aime à conserver d’un passé respectable, fut rejeté par de très-timides appréhensions qui reculèrent devant l’avenir, comme si l’avenir, prudemment envisagé et prévu, était autre chose que la vie de ce qui ne meurt pas.

Et aujourd’hui, condamnée par la force même des choses à l’exécution partielle, successive, et par cela même relativement plus coûteuse, d’une partie seulement de ce magnifique plan d’ensemble si heureusement inspiré dans son origine, la ville de Poitiers doit regretter de n’en avoir pas alors adopté au moins le principe fécond.

Au lieu de cette rampe d’accession fort mesquine qui s’ouvre aux visiteurs, au lieu de cet escalier assez peu monumental qui aboutit à une ruelle étroite et rapide, on verrait, sinon aujourd’hui, au moins plus tard, des rampes symétriques sillonner, à droite et à gauche, l’abrupt coteau que domine assez piteusement, pour le moment du moins, la nouvelle préfecture, aboutir à des promenades suspendues à ses flancs, et verser les flots des voyageurs au centre même où les appellent de rapides affaires ou les nécessités d’un séjour plus prolongé.

Mais laissons là des regrets inutiles — il n’a pas dépendu de nous de les épargner aux hommes consciencieux et amis de leur pays comme nous-même, qui les ont provoqués sans mauvaise intention — et contentons-nous, cher lecteur, de savoir qu’au moment où parut notre Guide, il pouvait être encore question d’espérances dont il est fâcheux que cette nouvelle édition ne puisse pas saluer avec vous l’entière réalisation.

Maintenant nous supposons, cher lecteur, que vous êtes logé dans l’un des confortables hôtels ou restaurants qui sont tous, ou à peu près, placés au centre de la ville, dans un cercle assez restreint, et dont notre table et notre plan vous indiqueront, du reste, les noms et la situation ; nous supposons, de plus, que vous avez le temps et la volonté de visiter en détail et avec un soin minutieux la cité tout entière ; car, si vous n’aviez que quelques instants à lui accorder, il faudrait abréger votre course et vous référer, à cet égard — toujours à notre table — au mot itinéraire sommaire. Nos premières hypothèses admises, nous vous prenons par la main, décidé à ne plus la quitter avant le terme de notre course.

Pendant le trajet, qui sera long, cette main deviendra peut-être celle d’un ami, lors même que nous ne serions pas d’accord sur des points où vous respecterez toujours, parce qu’elles vous paraîtront sincères, les convictions que vous ne croiriez pas devoir partager.

Mais, auparavant, veuillez jeter un coup d’œil sur notre plan, dégagé de détails topographiques inutiles, et qui sera pour vous le fil d’Ariane, à l’aide duquel vous sortirez sans effort, sinon sans fatigue, du dédale de nos rues quelque peu tortueuses.

Dirigeons-nous maintenant vers la place d’Armes, qui va devenir notre point de départ.

Place d’Armes.— Cette place, autrefois le Marché vieil, nom qui indique sa destination primitive, fut appelée place Royale après la cérémonie du 25 août 1687, époque à laquelle eut lieu, avec grande pompe et accompagnement de cloches, sermons, tambours, trompettes, scènes théâtrales et mythologiques, ballets, feux de joie, symphonies, soupers publics et danses, l’érection d’une statue de Louis XIV par le corps des marchands de la ville de Poitiers, en souvenir du rétablissement des arts et du commerce. Cette œuvre fut confiée au sculpteur poitevin Girouard, qui a laissé plusieurs compositions en diverses abbayes de France, et qui est mort en 1720 à l’abbaye de Prières, diocèse de Vannes. (Voir notre article au Dictionnaire des Familles du Poitou, t. II, p. 160.)

Le monument, tout en pierre peinte en bronze, se composait d’un piédestal enrichi de sculptures, et dont les quatre coins étaient soutenus par quatre Termes, représentant les diverses nations subjuguées. La statue pédestre du grand roi dominait cette scène ; le prince était habillé à la romaine, avec un manteau fleurdelisé. C’était le goût du temps ; il est vrai que, par compensation, le théâtre affublait Brutus et César de la perruque monumentale de Louis XIV.

À huit pieds, une balustrade en fer doré, entourée de bancs, formait une enceinte. Cette composition, qui n’était pas sans mérite, — et sur laquelle le marbre noir étalait en latin et en français les pompeux éloges que le héros du jour méritait sans doute… alors, — fut détruite un peu plus d’un siècle après. Le vent de la faveur populaire avait tourné.

On vit, du reste, à cette époque, d’étranges choses. Tel était le vertige, que, souvent, les mêmes bras qui naguère entassaient pierres sur pierres en l’honneur de la royauté, tenaient à ne plus laisser sur le sol français un seul grain de sable qui pût attester l’existence de cette idole de la veille, brisée le lendemain.

Le 16 août 1792, un de messieurs du Conseil général de la commune fit la motion de « descendre ce Louis XIV, dont l’attitude fière et menaçante osait « encore insulter ceux que son féroce orgueil avait fait trop longtemps gémir… » Le surlendemain 18, la statue avait été descendue et détruite, et l’on vendait pour 25 livres les pierres du piédestal.

Il ne reste plus rien aujourd’hui de l’œuvre de Girouard, sinon la tête de la statue, déposée au musée des antiquités de l’Ouest, où vous la verrez, ainsi qu’une partie du modèle en terre qui servit sans doute au statuaire, et que l’on a retrouvée plus tard dans les déblais de la caserne de cavalerie de Montierneuf.

Malgré la destruction du monument perpétuel de la place Royale de Poitiers en 1792, l’Ermite en province, de M. de Jouy, l’y voyait encore en 1824 ! Nous citons ce tour de force de vue rétrospective, afin de rappeler une fois de plus, et en passant, comment, trop souvent, on écrit l’histoire. Si les appréciations politiques et religieuses de l’Ermite étaient aussi vraies que ses récits, qu’a-t-il pu faire de ceux de ses lecteurs qui l’ont cru sur parole ? On le sait !

« Sur la place qu’occupait autrefois l’image d’un roi qui restera grand quand « même, s’élève aujourd’hui une fontaine » (ainsi disions-nous dans la 1re édition de notre Guide, et nous ajoutions :) « Son incontestable utilité, jointe à son « caractère parfaitement inoffensif, au point de vue politique, aussi bien que « sous le rapport monumental, semble devoir la garantir contre les terribles effets « des révolutions. Ne jurons de rien cependant, etc. »

Elle n’est plus.

Hôtel de la Préfecture. — Dans la direction de l’Ouest, une rue d’assez belle apparence débouche sur la place d’Armes ; sa physionomie actuelle, les vides qui, à droite et à gauche, attendent des façades encore à venir, son nom même — elle s’appelait hier rue Impériale — tout indique sa jeunesse ; et, en effet, elle est née en 1866.

Vous nous demanderez sans doute, aussitôt, quel est le logis qui, à son extrémité, clôt l’horizon et ferme la perspective ; et, quand nous vous aurons dit que ce logis est l’hôtel de la Préfecture, qui a reçu, depuis peu, ses hôtes officiels, vous vous étonnerez sans doute de l’aspect écrasé et relativement mesquin de ce monument.

La faute en est, disent les uns, à l’oubli d’un nivellement préalable, qui, s’il eût été fait, eût imposé une notable surélévation au monument lui-même. Cette raison n’est pas acceptable, parce qu’elle est impossible.

Les esprits tout à fait radicaux rejettent tous les torts sur le style même du monument, qui est, disent-ils, ce qu’il est parce que, de par ce style même, il ne pouvait être autre. Si ceci était vrai, ce serait la condamnation péremptoire de ce qui, cependant, ne nous semble pas devoir être condamné aussi lestement ; mais nous avouons très-humblement que nous eussions préféré toute autre chose, ne fût-ce que pour éviter cette observation à peu près unanime et fort judicieuse : « Pourquoi, dans un pays renommé pour la brillante et solide qualité « des matériaux de construction qu’il exporte au loin, n’a-t-on trouvé rien de « mieux que d’importer l’emploi des briques, auxquelles se condamnent à regret « les régions privées de la pierre, cet élément essentiel de toute belle « construction, si richement prodigué par la nature à notre sol privilégié ? »

On répond à ceci que, pourvu que la distribution intérieure de ces vastes bâtiments se prête aux exigences des nombreux services qu’ils doivent contenir, pourvu qu’ils fournissent à leurs hôtes ordinaires le confortable qui leur est dû et les facilités de convier quelquefois une foule distinguée, à venir en prendre sa part, cela suffit. À la bonne heure !!

Nous ne rechercherons point, entre toutes ces raisons, laquelle a raison plus que l’autre ; mais nous constaterons comme unanime encore cette opinion : pour le prix que le département de la Vienne a mis dans cet immeuble (plus d’un million), il pouvait obtenir une chose plus monumentale et plus digne de soutenir l’honneur du présent en face des œuvres du passé.

Et c’est ici le cas, cher lecteur, de vous indiquer une note à consigner aussitôt sur votre carnet de voyage, au cas où vous songeriez plus tard à publier vos « impressions ».

À Poitiers, quelques monuments publics modernes passeront sous vos yeux ; plusieurs monuments plus ou moins anciens fixeront vos regards : eh bien ! quand vous aurez comparé les uns avec les autres, fussiez-vous aux antipodes de ce qu’on nomme un antiquaire, vous avouerez qu’à Poitiers le moderne, jusqu’ici, n’a pas eu d’heureuses chances.

En revanche, il est vrai, il a, de temps à autre, l’heur d’un mot gaulois que la verve du populaire applique rarement hors de propos et qui reste.

Oyez plutôt :

Un touriste, après avoir compté sur ses doigts les urnes semées, il faut le reconnaître, avec une bien large profusion sur la façade du nouveau Palais préfectoral, demande un jour, d’un certain air, « pourquoi :

« Ces vingt pots dont l’aspect tant soit peu cinéraire
« Imprime au monument un cachet funéraire ?
« — Parbleu » ! — fit un passant, — « la raison, la voilà : »
« Un million, Monsieur, se trouve enterré là. »

Constatons maintenant que diverses rues, les unes complètement décidées en principe, les autres seulement projetées, seront exécutées plus tard, selon les indications fournies, dès aujourd’hui, par notre plan, et rendront faciles de tous côtés les abords du Palais départemental.

Archives départementales, — Avant de quitter la nouvelle Préfecture, disons un mot des principaux documents que contiennent les riches archives départementales qui y sont déposées.

Classées conformément à l’instruction de M. le ministre de l’intérieur du 24 avril 1841, elles se divisent en archives anciennes ou historiques, et en archives modernes ou administratives.

Les archives anciennes se divisent en archives civiles et en archives ecclésiastiques.

Celles-ci comprennent deux séries : clergé séculier et clergé régulier, et se composent ensemble de 2 867 liasses et de 828 registres. Dans la série du clergé séculier sont classés les titres de l’évêché de Poitiers, du chapitre de la cathédrale, de la chambre ecclésiastique du diocèse, du grand et du petit séminaire ; des églises collégiales de Saint-Hilaire, Sainte-Radégonde, Notre-Dame et Saint-Pierre-le-Puellier de Poitiers, Notre-Dame de Châtellerault, Notre-Dame de Montmorillon, Notre-Dame de Mirebeau, Notre-Dame de Morthemer, Sainte-Croix de Loudun et Saint-Pierre de Chauvigny ; des cures et fabriques ; des chapelles.

La série intitulée clergé régulier comprend : 1o les abbayes d’hommes : Angles, Saint-Benoît, de Quinçay, Saint-Hilaire de la Celle, Charroux, Saint-Cyprien, l’Étoile, Fontaine-le-Comte, la Merci-Dieu, Montierneuf, Moreaux, Nouaillé, le Pin, Saint-Savin, etc. ; 2o les prieurés ; 3o les couvents d’hommes ; 4o les abbayes de femmes : Sainte-Croix et la Trinité de Poitiers, Fontevrault ; 5o les couvents de femmes ; 6o les commanderies de l’Ordre de Malte composant le grand-prieuré d’Aquitaine, et les commanderies de l’Ordre de Saint-Antoine de Viennois ; 7o les hospices et aumôneries.

Les archives civiles sont partagées en trois séries : 1o administrations provinciales : intendance et bureau des finances de la Généralité de Poitiers, assemblée provinciale, 250 liasses et 180 registres ; 2o instruction publique : Faculté de médecine, collége royal de Poitiers, 84 liasses et 31 registres ; 3o féodalité, familles, notaires et tabellions, 300 liasses et 37 registres. Total, pour les archives civiles, 634 liasses et 248 registres.

Les Écossais. — Comme nous voulons vous ramener « tout doulcettement » jusqu’à notre point de départ — la Gare — sans opérer trop d’évolutions et de retours sur nos pas, il nous faut bien régler tout de suite nos comptes avec certaines rues qui resteraient désormais trop loin du cercle de nos explorations.

Ainsi, puisque nous sommes en face de la grille de la nouvelle Préfecture, tenons note de ceci : à gauche et à droite existait une ruelle dite des Écossais, munie à ses deux extrémités d’une porte, absolument comme une rue des Juifs au moyen âge ; mais cette clôture, qui se fermait chaque soir, avait pour but de protéger la ruelle contre les scènes nocturnes que son isolement, sa longueur et sa situation eussent rendues trop ordinaires.

Jadis, elle était le lieu de rendez-vous et le champ de bataille des duellistes qui firent pendant de trop longues années à la ville de Poitiers une réputation que ses étudiants ont eu le bon esprit d’oublier.

Le nom des Écossais lui vient de la maison que vous trouverez à l’extrémité de la ruelle, au nord, dans la rue dite de la Visitation, et dont voici l’histoire :

Ce logis, situé en face du plan de la Visitation était l’hôtel de la famille Irland, aujourd’hui éteinte. Son premier auteur établi à Poitiers, Robert-Irland, était Écossais d’origine, jurisconsulte et professeur distingué ; il était appelé pour cela l’Écossais docteur (Rabelais le nomme ainsi) : de là « le logis de l’Écossais », puis « des Écossais », et enfin « la ruelle des Écossais ».

La Visitation. — Quant au couvent de la Visitation, voici comment il fut établi à Poitiers : les Religieuses de ce nom, ayant obtenu, le 5 septembre 1633, l’agrément du Corps de ville, vinrent se fixer d’abord dans une maison située derrière les Trois-Piliers, devant le couvent du Calvaire, et qui se nommait les Arènes. (Il sera question plus loin de tous ces lieux-là.)

Plus tard, elles se logèrent dans la maison de la famille Irland dite des Écossais, et donnèrent leur nom au logis et à la rue.

Aujourd’hui, sur le front mutilé de cet édifice religieux incomplet que vous voyez orné d’un bas-relief qui n’a pas besoin d’explication, vous pourriez écrire cette apostrophe sanglante de l’Évangile: « Ma maison est une maison de « prières, et vous en avez fait une caverne de voleurs. »

La Visitation est en effet devenue la maison de détention, la prison départementale.

Sa charmante église, qui était à peine achevée au moment de la Révolution, fut démolie jusqu’à une hauteur qui permît à ses quatre murs d’enclore le jardin du geôlier. Quelle délicate attention ! tandis que l’on pouvait les raser jusqu’aux fondements et faire disparaître toute trace d’une vieille « superstition » !

Quant aux Religieuses expulsées, elles ont trouvé plus tard, comme nous le verrons, un asile dans la maison de l’ancienne sous-chantrerie de la cathédrale, près du temple de Saint-Jean. — (Voir plus loin les détails sur cette maison religieuse.)

La rue de la Visitation débouche dans la rue des Basses-Treilles, appelée de ce nom, ainsi que la rue des Hautes-Treilles qui la suit, parce que ces terrains, vagues autrefois, renfermaient une certaine quantité de treilles en rapport.

Dans la première de ces rues, à gauche, au no 10, cette maison, qui fut habitée par un avocat distingué (M. Bréchard), rival souvent heureux de M. Boncenne, dont il sera parlé plus loin, était, avant la Révolution, voisine du jeu de paume dit du Faisan (no 8).

La rue Neuve. — Tournant à droite, en quittant la rue des Basses-Treilles, nous suivrons la rue Neuve. Elle méritait, il y a deux siècles, ce nom, qui ne lui sied plus aujourd’hui. Elle fut commencée avant 1611 et elle fut terminée avant 1616.

Elle est désignée dans quelques titres sous le nom de rue du Minage, sans doute parce qu’en 1626, sous la mairie de Charles Irland, sieur de Beaumont, Lieutenant criminel, le minage, qui se tenait au bout de la rue de la Regratterie, fut transféré dans la rue Neuve, vis-à-vis de la mairie, puis, plus tard, près des Halles, où il est encore.

Tout en vous racontant l’histoire de cette rue, nous sommes arrivé avec vous aux lieux où se réunissaient, ou plutôt s’entassaient, en 1626, les provisions de la cité.

Arrêtons-nous maintenant : ne voyez-vous pas incorporé avec la maçonnerie d’une maison située à gauche et qui forme le coin de la rue, un petit monument composé d’une pyramide avec son dé et son soubassement ? Un bas-relief mutilé décore la base ; vous y apercevez, malgré les traces des coups qui l’ont défiguré, un évêque bénissant, un enfant, un baquet.

Laissons à notre annaliste Bouchet le soin de vous raconter l’événement miraculeux que la reconnaissance des Poitevins voulut transmettre à la mémoire des générations futures en l’honneur du saint évêque Hilaire, le grand Docteur de l’Église :

« Le lendemain, ou deux jours après, saint Hilaire alla visiter les églises de « la cité, et, en allant par les rues, estoit suiuy de tant de peuple, qu’à peine on le « pouvoit voir, car il n’alloit sur mulle ne cheual.

« Et une femme, qui lors demeuroit en vne maison, à présent assise deuant « les grands Escolles, et maison commune des Seigneurs de la Ville, sçachant « qu’il passoit deuant saditte maison, ainsi qu’elle baignoit vn sien petit enfant de « laict, le laissa en la baignouëre, par l’ardent désir qu’elle auoit de voir S. « Hilaire.

« Et au retour, qui fut incontinent, trouua son enfant noyé et mort.

« Quoy voyant s’escria à haute voix, en disant: « Ha ! mon Dieu ! faut-il que « je perde mon enfant pour auoir faict un bien ! » Et en vne rage de deüil print « son fils mort entre ses bras, couuert d’un petit linge, et le porta après S. Hilaire, « auquel, ainsi qu’il arriuoit à son logis, déclara le cas et accident, le priant en « grande foy et espérance qu’il priast Dieu que son enfant receust la vie.

« Sainct Hilaire, voyant la douleur de la pauure mère, qui n’auoit que cet « enfant et sa très-grande foy, et aussi que l’enfant estoit mort pour la grande « affection que la mère auoit eue de le voir, se mit en oraison, où il fut assez « longuement en pleurs et larmes, prosterné contre terre.

« Et luy, qui estoit d’ancien aage. ne se leva jamais que Dieu n’eust, à sa « prière, l’enfant ressuscité, lequel il bailla à sa mère tout vif, et prenant le laict « de sa mammelle deuant tout le peuple, dont chacun par esbahissement rendit « grâces à Dieu et à sainct Hilaire. »

La pyramide fut élevée en haut de la rue Neuve, en face de l’échevinage, en 1615, sous la mairie de Pierre Pidoux de Malaguet, et l’on y plaça le bas-relief qui représente le sujet du récit de Bouchet. Ce bas-relief était alors protégé par un grillage, et un auteur prétend que le tout avait été trouvé dans la maison où s’était fait le miracle. Ce qu’il y a de plus sûr, c’est que cette partie du monument est de beaucoup antérieure à l’érection de la pyramide, et elle dépendait probablement d’un monument plus ancien.

Nos pères racontaient que le grillage fort serré qui était placé sur le bas-relief y avait été mis depuis qu’un ivrogne avait été puni, par la privation de son bras, des mutilations dont il s’était rendu coupable contre le monument, objet de la vénération publique. Nous ignorons à quelle époque la pyramide, qui gênait sans doute la circulation, fut incorporée avec la maison où elle se trouve.

Les vieillards les plus âgés nous ont affirmé qu’ils l’avaient toujours vue où elle est. Fut-elle déplacée lors de l’établissement du Minage ? Nous ne savons, mais cela est probable.

Cependant nous sommes porté à croire que cette pyramide est bien la colonne dont parle Golnitz, et qu’il vit en 1631, presque au milieu de la ville, portant cette inscription en latin : « A saint Hilaire, évêque de Poitiers, le défenseur le plus fidèle, le plus assidu, le plus certain de notre cité ».

À cette occasion, nous faisions remarquer, dans la première édition de notre Guide, combien il serait à propos qu’un monument public rendît au personnage historique le plus illustre que Poitiers ait vu naître dans son sein l’hommage solennel qui lui semblait dû.

Mais aujourd’hui, en présence des myriades de statues que la pénurie de vrais grands hommes fait élever partout à des célébrités inconnues, quand elles ne sont pas de mauvais aloi, il nous paraît plus digne de notre éminent Docteur de ne pas abaisser sa taille de géant au niveau de tous ces pygmées dont on ne parlera plus depuis des siècles, quand notre évêque de Poitiers continuera d’être célébré dans l’histoire comme un grand écrivain, comme un grand homme, et, ce qui vaut mieux encore, n’en déplaise à d’aucuns, comme un grand Saint.

L’Hôtel de Ville. — En apercevant sur cette façade dépourvue de style et d’ornement ces mots : Hôtel de ville, vous ne vous douteriez point assurément que les bâtiments, plus maussades encore, qui complètent cette triste construction, aient pu contenir autrefois toutes les choses importantes qu’ils renfermaient.

Il fut décidé, en 1767, que l’entrée de l’hôtel de ville serait démolie et remplacée par un nouveau portail, dont les dispositions seraient telles qu’il pût recevoir l’ancienne horloge. (Nous verrons plus loin l’histoire de cet instrument populaire.)

Cependant ce ne fut que le 12 thermidor an XII (3 juillet 1804) que M. Bourgeois, maire de Poitiers, posa la première pierre du nouveau portail, qui reçut, longtemps après, en 1846, l’horloge régulatrice indispensable, écrivait alors une plume fort peu réactionnaire, « pour conjurer l’anarchie constante qui « régnait entre toutes les horloges de la ville ».

Ainsi donc, pour sauver du chaos anarchique
Le peuple horologique
Et sans songer à mal — notez ce point, lecteur —
Ce qu’il faut, avant tout, c’est un… Régulateur.

Saisissons à la volée cette réflexion et, sans nous y arrêter, dans la crainte de quelque mauvaise pensée, pénétrons dans l’enceinte municipale.

C’était là que la Commune de Poitiers, et plus tard l’Université et la librairie (bibliothèque), se trouvaient fraternellement réunies.

Parlons d’abord de la Commune. L’institution de la Commune de Poitiers, l’une des plus anciennes de France, remonte à Aliénor d’Aquitaine. La première charte est de l’année 1199, confirmée plus tard avec accroissement de priviléges par Philippe-Auguste en 1204, 1214 et 1222.

Voilà, certes, de vieux titres de noblesse municipale, et nous estimons que leur date ne nuit en rien à leur valeur. Elle prouve l’habileté de ce grand roi, qui infusait par là aux populations de l’Aquitaine, un peu hésitantes encore sous l’empire des idées féodales, le sentiment de la nationalité française, à laquelle il les rattachait par une concession politique faite à propos, au lieu de leur imposer la dure loi d’un vainqueur.

On possède la liste complète et sans lacune des maires depuis Robert-Régnault (1213-1215) jusqu’à nos jours ; mais, dès 1199, il y avait un maire et il se nommait Soronet.

Cette liste comprend 409 maires, savoir : 379 élus et réélus suivant le mode primitif (de 1213 à 1692 et de 1718 à 1769) ; 3 maires perpétuels (de 1693 à 1717), en vertu de l’édit de Louis XIV, qui, en 1692, rendit ces fonctions héréditaires et vénales ; 2 nommés par le roi (de 1773 à 1790) ; 5 élus suivant les formes prescrites par la loi du 14 décembre 1789 ; 4 présidents de l’administration municipale, et 16 nommés par le chef du gouvernement.

La noblesse avait été accordée aux maires et échevins de la ville de Poitiers dès 1372 par le roi Charles V. C’était une juste récompense des services rendus par les hommes auxquels étaient déléguées ces rudes fonctions, à une époque où il fallait joindre à l’énergie du caractère l’influence qui ne s’acquérait que par une supériorité bien justifiée, et où la responsabilité était si lourde, que quelques-uns durent payer de leur tête le trop dangereux honneur de commander aux autres. Aujourd’hui, Dieu merci, on ne va pas si loin. Mais si nous disions que la récompense se mesure aussi à l’étendue de la responsabilité, on nous accuserait sans doute de surfaire, par système, le mérite des temps passés, et d’amoindrir la valeur réelle de la distinction personnelle que les chefs de nos grandes cités emportent presque toujours aujourd’hui dans leur retraite.

Certes, nous n’entendons point prétendre que nos mœurs actuelles, imprégnées de principes tout opposés à ceux des siècles écoulés, pussent se prêter à faire revivre ce qui est mort ; mais nous estimons que les véritables penseurs ont le droit de regretter tout ce qu’il y avait de bon dans ce que l’on a tué. Or, la distinction qui récompensait dans les générations à venir les grands services municipaux rendus par les pères établissait une puissante solidarité d’honneur que le cœur humain, tel qu’il est fait, — et on ne le changera pas, — ne retrouve plus, quoi qu’on en dise, dans la récompense individuelle et éphémère d’aujourd’hui, qu’oubliera l’égoïsme de demain.

Nous tenons donc toujours, et quand même, pour fort politique l’usage établi sur ce principe de la vieille loi, trop souvent inobéie, nous le savons, mais justifiée, Dieu merci, par de nombreux exemples : « Noblesse oblige ».

Quoi qu’il en soit de cette thèse de nos deux premières éditions, qui ne peut être que purement spéculative aujourd’hui, voyons quelle fut sa mise en pratique, à Poitiers, avant la Révolution.

En 1667, Louis XIV révoqua les priviléges accordés aux maires et échevins de toutes les villes du royaume : mais il est assez remarquable qu’un arrêt du conseil du 4 janvier 1685 excepta de cette mesure générale les maires de Poitiers, qui durent néanmoins être élus quatre années de suite pour avoir droit aux priviléges nobiliaires ; puis, au mois de mars 1765, une nouvelle mesure, contre laquelle le corps de ville protesta vivement, et qui resta par le fait sans exécution, abolit complétement le privilége de noblesse.

La mairie fut établie en titre d’office avec la noblesse après vingt ans d’exercice ; mais, l’office n’ayant point été levé, un brevet du roi du 16 mars 1773 investit le titulaire des fonctions de maire, avec obligation de remplir cette charge pendant dix ans pour obtenir des lettres de noblesse, qui lui furent du reste accordées en 1774, en raison de ses services et de ceux de sa famille.

Dans l’origine, le maire, les douze échevins ou pairs et les douze conseillers ou jurés étaient réélus chaque année (charte de Philippe-Auguste de 1222). Cette élection avait lieu le premier vendredi après la Saint-Jean-Baptiste, et l’installation du maire se faisait le jour de Saint-Cyprien (14 juillet). Ces vingt-cinq Élus formaient le conseil de ville, qui expédiait dans ses séances hebdomadaires les affaires courantes. Les vingt-cinq, réunis aux soixante-quinze bourgeois, s’assemblaient tous les mois : c’était ce qu’on appelait le mois et cent, où se traitaient les questions majeures.

Lecteur, écoutez bien ceci : le maire ne pouvait être choisi que parmi les échevins ou les bourgeois ; et les échevins, à leur, tour, ne pouvaient être pris que dans les soixante-quinze (les bourgeois). Comme on le voit, c’était tout un système de représentation municipale qui doit prouver aux constitutionnels les plus purs qu’ils n’ont rien inventé en ce genre, et que c’est bien avec raison qu’on a dit ces mots profonds : Ce n’est pas la liberté (la bonne, la sage) qui est nouvelle en France.

La ville de Poitiers avait ses armoiries particulières ; les voici: « d’argent au lion rampant de gueules, à la bordure de sable interrompue par le chef, chargée de neuf besants d’or, au chef d’azur chargé de trois fleurs de lis d’or, rangées en fasce. »

(Voir, à l’appendice le chapitre spécial consacré à ce sujet important.)

Dans la cour de l’hôtel de ville, à droite, se trouve l’ancienne chapelle ou aumônerie de l’échevinage, construite, ainsi que la librairie ou bibliothèque qui se trouve au-dessus, en 1460.

Aujourd’hui cette chapelle sert de magasin aux châssis et aux toiles sur lesquels la détrempe officielle célèbre périodiquement par des couches successives les couches successives des gouvernements dont la chère capitale a doté jusqu’ici les provinces ébahies. Elle offrait aussi un asile à la très-pacifique artillerie de notre garde nationale et aux paniers à eau, trop souvent guerroyants, de nos sapeurs-pompiers. Ainsi, là, sous l’abri tutélaire de ces voûtes bénies, l’eau et le feu, ces deux ennemis terribles, vivaient côte à côte et en paix. Que n’en est-il ainsi de tous les ennemis en ce monde, et pourquoi ne viennent-ils pas, après tant de malheurs, se donner, sous les dômes élevés au même Dieu, le baiser de la vraie fraternité !

Les bureaux de la police sont au coin de la cour, à gauche ; ceux des pompes funèbres, un peu plus près, en retour d’équerre. Nous ne vous souhaitons nullement d’être volé, encore moins de….. ; mais, si cela vous arrivait par hasard, prenez toujours note des renseignements.

La salle de la mairie était placée à l’étage supérieur, au-dessus de la chapelle ; c’était primitivement la librairie ou bibliothèque, construite en 1460 ; on y montait par cet escalier à vis construit dans la tourelle à l’angle à droite.

Aujourd’hui, le cabinet du maire, la salle des mariages et des réunions du conseil, le secrétariat et une partie des bureaux occupent les bâtiments autrefois affectés à l’Université. Le reste des bureaux (bureau militaire et bureau de l’état civil) est au rez-de-chaussée ; on y arrive en passant sous la vis de l’escalier.

Il était question, depuis de longues années, de la reconstruction de cet hôtel, qui est en vérité insuffisant pour les besoins de l’administration et indigne de l’importance de la ville ; mais toujours des difficultés graves, des besoins plus pressants avaient fait ajourner ce projet, dont la réalisation a enfin reçu un commencement d’exécution — on le verra plus loin — en 1869. En attendant, on se tient dans le provisoire, et le monument qui le couvre reste aussi… provisoirement.

L’Université, ainsi que nous l’avons dit, vivait en parfait accord avec Messieurs du corps de ville.

Établie à Poitiers par une bulle du pape Eugène IV, du 29 mai 1431, et par lettres patentes du roi Charles VII, du 16 mars suivant, elle se composait des quatre Facultés : de théologie, de droit civil et canonique, de médecine et d’arts. Les professeurs étaient à juste titre fort renommés, et c’était auprès d’eux que, des contrées lointaines, on venait chercher, à grands frais, le savoir et l’instruction qu’ils donnaient à leurs nombreux élèves.

Des hommes éminents sont sortis de l’Université de Poitiers ; ses chaires furent briguées par les plus grands maîtres, et, dès le règne de Louis XII, elle était fréquentée par plus de 4 000 écoliers venus de France, d’Allemagne, d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande.

Les anciens auteurs ont caractérisé, par ce qu’ils appellent leurs impedimenta, les écoles du moyen âge. Celles d’Orléans avaient leurs danseurs, celles d’Angers leurs braillards, celles de Paris leurs crottés (ce qui, par parenthèse, indique assez que de tout temps la boue a régné en maîtresse dans la capitale de la France, bien digne, sous ce rapport, de son nom latin Lutetia, et de l’une des deux étymologies qu’on lui donne).

Les écoles de Poitiers, mieux partagées déjà, et préludant par des jeux pacifiques aux luttes sanglantes qui plus tard les mirent en si triste renom, avaient alors leurs flûteurs et joueurs de paume. Ce dernier jeu était fort en vogue à Poitiers, et nous verrons, à chaque pas, la preuve que le nombre des établissements destinés à le favoriser était considérable.

Les premiers exercices de l’Université eurent lieu en 1431, dans le couvent des Jacobins (v. à ce mot), qui fut regardé depuis lors, en quelque sorte, comme le chef-lieu universitaire. C’était là que se faisaient les cours de théologie, ainsi qu’au collége de Sainte-Marthe ; les actes pour les grades avaient lieu, comme nous le verrons, dans l’église paroissiale de Sainte-Opportune.

Les cours de la Faculté de droit se faisaient dans la salle dont on a fait depuis la grande salle de l’hôtel de ville. La chambre du conseil des professeurs se trouvait vis-à-vis.

Ce fut de 1447 à 1450 que fut construit le corps de bâtiment, « long de 96 pieds et large de 25 », qui renferme la grande salle et les bureaux, le long de la rue Rousturière ou rue Terrière, qui prit sans doute bientôt après, à cause des écoles établies dans cette vaste construction, le nom de rue des Grandes-Ecoles, qu’elle porte encore.

L’Université de Poitiers avait pour Chancelier le Trésorier du Chapitre de Saint-Hilaire. C’était lui qui, sous l’autorité du Recteur, recevait le serment des gradués et leur délivrait les lettres (diplômes).

Le conservateur des privilèges apostoliques de l’Université était, ainsi que nous le verrons, l’abbé de Montierneuf.

Le Recteur était le chef du corps : il était nommé tous les ans, et on le prenait successivement dans chacune des Facultés et par rang d’ancienneté. Chaque Faculté avait son Doyen.

Les officiers de l’Université étaient un avocat général, un procureur général et son substitut, un secrétaire général, un receveur général, un avocat et un procureur.

Les secrétaires de ces Facultés étaient aussi comptés parmi les officiers de l’Université, et avaient même le pas sur les deux derniers désignés.

La cloche de l’Université, qui annonçait les thèses et les cérémonies relatives aux études, était placée dans le clocher de Saint-Porchaire, dont nous allons parler, et où elle existe encore. C’est la plus grosse, et nous nous souvenons de l’avoir entendue quelquefois annoncer des solennités spéciales, devenues, peu à peu, de plus en plus rares. Quant à la prose de nos jeunes soutenants, elle n’est plus carillonnée par l’airain officiel, donc,

Si quelque point cloche en icelle
Plus n’accusez la campanelle !

Nous entrerons dans les détails sur chaque Faculté quand l’occasion s’en présentera dans le cours de la promenade que nous allons poursuivre : mais vous feriez bien de vous reporter, dès ce moment, aux mots Jacobins, Sainte-Opportune.

La rue de la Mairie, en l’an VII rue de la Municipalité, après avoir été auparavant la rue de la Maison-Commune, et auparavant encore la rue de l’Intendance, s’appelait, dès le XIIIe siècle, la rue de l’Aguilheriede Aguilheriâ — sans doute du nom d’une maison ainsi nommée, vendue le mercredi après l’octave de la Pentecôte, 1267 (6 juin), laquelle avait appartenu à Guillaume l’Aiguillier, d’une famille municipale qui a donné un maire à la ville de Poitiers en 1609.

Notons, en passant, cet exemple — et il ne sera pas le seul — du nom d’une famille s’imposant à la rue qu’elle habitait.

En sortant de l’hôtel de ville, suivons à gauche, et, après une centaine de mètres, nous serons en face de l’église de Saint-Porchaire.

Sur la main droite, on voyait, il n’y a pas très-longtemps, une large pierre plate recouvrant un simple égoût dans lequel venaient s’engouffrer les eaux du quartier qui allaient s’écouler dans la rue des Basses-Treilles. C’était ce que l’on décorait du nom pompeux de pont de Saint-Porchaire.

Cette richesse d’expression hyperbolique avait avantageusement servi plus d’une fois — disent les traditions eschollières — les pauvres enfants prodigues de la basoche.

Des pères barbares, des tuteurs endurcis, n’avaient pu résister à la menace d’un dernier acte de désespoir, fort peu redoutable assurément du haut des parapets du pont de Saint-Porchaire, mais qui, à cent lieues de là, prenait les proportions gigantesques d’un crime, alors infâmant, qu’on était heureux d’éviter au prix d’un crédit supplémentaire ajouté au budget primitif du besoigneux étudiant.

Tous les tuteurs et grands-parents n’étaient pas, dit la légende, d’humeur aussi accommodante, et un des anciens nous racontait l’agréable tournure que sut prendre un escholier qui entendait se garder une porte de derrière pour l’heure des explications redoutables au jour de sa trop facile résurrection.

Le vaurien — qui avait affaire à un homme d’esprit apparemment —

Poussant jusques au bout contre un « père sans cœur »
Du faux mêlé de vrai l’artifice trompeur,
Sut colorer un jour, sous le pont homicide,
Par un gai bain de pieds, son pseudo-suicide.

Cette plaisanterie, dans le goût du temps, pouvait, il est vrai, tuer le pauvre père confiant dans les effets sauveurs du sentiment de la conservation : mais notre étourdi n’y songea même pas ; il avait fait « une bonne farce », et voilà tout !

Ah ! que bien plus profondément sérieux sont aujourd’hui nos fils de famille embarrassés : témoin celui dont un brave sot de père nous redisait hier, avec une admiration à faire frémir les penseurs, la « délicieuse saillie » :

« J’ai vingt protêts en mains, d’attendre je suis las ».
Lui disait son banquier ; « ne me paîrez-vous pas ?
« — Eh si ! certainement, et bientôt, je l’espère ;
« Mais laissez-moi, d’abord, réaliser mon père !...

« Réaliser son père ! » Certes, notre héros du pont de Saint-Porchaire s’y prenait bien, en son temps, de manière à faire la chose ; mais nous gagerions qu’il n’eût pas été de force à trouver le mot.

Décidément la richesse de la langue nouvelle se prête admirablement aux progrès du nouvel esprit français !!

Saint-Porchaire, autrefois paroisse la plus considérable de Poitiers, comptait, avant la Révolution, 2,000 communiants, et possédait, de même que celle de Saint-Germain, que nous verrons plus tard, une école primaire gratuite. — La gratuité de l’instruction n’est donc pas d’aujourd’hui, et, sur ce point, la statistique du passé, telle que nous la savons, étonnerait fort le présent. — C’était ce qu’on appelait les Petites Écoles.

Saint Porchaire, l’un des premiers abbés de Saint-Hilaire-le-Grand, contemporain de Grégoire de Tours, fonda, vers la fin du VIe siècle, le monastère qui prit son nom, devint un prieuré dépendant primitivement de l’abbaye royale, et plus tard, et sous la condition de certaines redevances, fut soumis à l’abbaye de Bourgueil. En dernier lieu, il était réuni au Petit-Séminaire.

Les reliques du patron de cette église ont été découvertes en 1676 dans la crypte de la chapelle de Saint-Sauveur, située de l’autre côté de la rue, à l’extrémité nord du magasin actuel que décorent les armoiries et le nom de la ville de Poitiers ; elles étaient renfermées dans un sarcophage en pierres de petite dimension, taillé en forme de chevalet, portant cette inscription :

IN hoC TvMVLo RqIeSci ScS PoRCRIus.

Ces restes précieux reposent aujourd’hui dans l’église paroissiale de Saint-Porchaire.

Avant la Révolution, ils étaient exposés, dans une belle châsse en argent, en une vaste niche à droite du grand autel.

Cet autel n’était pas le même que celui d’aujourd’hui, lequel appartenait aux Bénédictins de Saint-Cyprien. Saint-Porchaire a pris en outre les boiseries de Saint-Didier et une statue de la Vierge provenant de Saint-Hilaire.

Cette église est une œuvre du XVIe siècle. Ses deux nefs sont séparées par des colonnes cylindriques sans chapiteaux, sur lesquelles retombent les nervures des voûtes, ce qui leur donne l’aspect de véritables palmiers. Elle n’offre rien de remarquable.

On peut dire même que sa construction est disgracieuse, et qu’elle autorise à condamner sans appel le système des églises à deux nefs, dont elle offre un exemple heureusement assez rare sous le rapport architectonique aussi bien que sous le rapport de la convenance pour les cérémonies du culte catholique. Cependant nous connaissons sa copie à peu près textuelle à Prissac (Indre).

Elle était autrefois décorée de peintures et de monuments funéraires élevés dans les chapelles ou retraits pratiqués dans les murs latéraux, en l’honneur de personnages éminents.

Parmi eux on compte des savants distingués, et entre autres des membres de la famille Blacwod, qui a donné à la malheureuse reine d’Ecosse, Marie Stuart, l’un de ses plus fidèles et de ses plus ardents défenseurs, Adam de Blacwod, conseiller au présidial de Poitiers.

Tous ces monuments ont disparu du sol sur lequel ils devaient briller à perpétuité, pour transmettre aux générations à venir la mémoire des hommes du passé. L’histoire seule peut conserver la trace effacée de leur existence éphémère.

À défaut des sculptures murales qui décoraient Saint-Porchaire, cette église peut montrer avec un certain orgueil les tableaux qu’elle possède. Nous citerons : 1o l’Invention de la sainte Croix, tableau de l’école de Boucher, ou du moins de son époque : les figures du second plan rappellent sa manière ; le dessin en est bon ; 2o un évêque présentant à sainte Radégonde des reliques : c’est un tableau qui n’est pas sans mérite ; 3o la Sainte Famille, placée dans la deuxième arcade de l’église, à gauche ; nous la regardons comme pouvant avoir des rapports avec la jolie toile que nous verrons plus tard dans la chapelle de la Vierge, à Montierneuf ; 4o la Descente de Croix est une composition régulière ; le dessin en est bon ; la tête du Christ est remarquable, et la plupart des têtes sont fort belles. Elle est signée Jean Boucher, bitur, inven, et fecit. 1618.

La tour qui sert de façade et de contre-fort à l’église appartient seule à la construction primitive et accuse le faire des architectes du XIe siècle.

Elle se compose, outre le portail à plein cintre et à moulures en damier (ou échiqueté), de trois ordres d’arcatures romanes superposées, bouchées aux 1er et 2e étages. Le plein de la maçonnerie présente en quelques parties l’opus reticulatum.

Le 3e étage est séparé des deux premiers par une corniche portant sur des modillons variés représentant des figures d’animaux.

Chaque face de la partie supérieure est divisée en deux grandes baies, dans lesquelles sont inscrites des arcades géminées.

Le tout est surmonté d’une toiture obtuse, sur laquelle s’élevait, avant la dernière restauration du monument, un campanile emprunté naguère à l’église des Augustins, que nous allons voir bientôt.

Les colonnes du portail qui soutiennent les archivoltes sont lourdes et écrasées : leurs chapiteaux historiés sont décorés de sculptures curieuses. À droite on voit, au milieu d’un médaillon ovale (sorte de vesica piscis), un personnage debout, vêtu d’une longue tunique, vu de face, les bras en croix.

Autour du médaillon on lit cette inscription :

hic daniel domino vincit cœtum leoninum.

Cette inscription est remarquable par l’emploi de l’M romain et de l’M semblable à ω un minuscule grec renversé.

D’après cette inscription et d’après les pourctraicts des lions à gueules béantes qui servent comme de supports au médaillon, il n’est pas douteux que ce ne soit Daniel dans la fosse aux lions.

Et, en effet, le sculpteur, s’étant trouvé gêné sans doute par l’espace accordé à son ciseau pour représenter sur le même plan l’assemblée léonine au complet (cœtum leoninum), s’est cru autorisé à rejeter deux de ses redoutables membres sur le chapiteau de la colonne à gauche ; mais, afin que les visiteurs peu initiés à la connaissance de son histoire naturelle spéciale ne pussent se méprendre sur ses véritables intentions, il a eu le soin d’écrire à côté de ses lions, en majuscules romaines, le mot LEONES. Et, en vérité, la précaution n’était pas inutile, au dire de bon nombre de méchants critiques, qui prétendent y voir de gros chats.

Pour mettre le sculpteur et les critiques d’accord, nous dirons : à défaut d’un texte de l’Ecriture, l’artiste a pensé que le prophète eut maille à partir avec cette espèce particulière de lions que le blason, sous le nom de lions léopardés, a dessinés sur les bannières des preux.

On ne peut donc douter que le personnage élevé dans les airs qui présente un vase à Daniel ne soit le prophète Habacuc portant au condamné la nourriture préparée pour ses propres moissonneurs. (Daniel, ch. XIV, vers. 32 et suiv.)

Au-dessus du portail, un bas-relief compris dans un cadre en chanfrein, orné de moulures en damier, est tellement fruste, qu’on n’oserait affirmer quel est le sujet qu’il représente. Cependant on pourrait y voir encore Daniel, les lions, l’oiseau qui plane au-dessus du prophète, le roi, reconnaissable à ses riches vêtements, qui vient le 7e jour pleurer sur le prophète (vers. 39), dont on aperçoit dans un groupe les coupables accusateurs.

En dehors de ce sujet tiré de l’Ancien Testament, on voit sur un des chapitaux du portail les deux oiseaux symboliques buvant dans le même calice, emblème si souvent reproduit par les sculpteurs du moyen âge.

Pour être juste et pour fournir au visiteur le plaisir d’une interprétation moins facile, nous devons faire remarquer que la représentation des lions sculptés sur le portail de Saint-Porchaire pourrait bien exprimer la pensée de la juridiction qui appartenait à certaines églises, et dont les actes extérieurs se formulaient inter leones.

Voici comment s’expliquerait ce système :

Il existe dans certaines églises d’Italie, à la porte principale, des colonnes de forte dimension reposant sur des lions. La disposition de ces colonnes rappelle, selon des antiquaires fort compétents, le trône de Salomon, et indique le siège sur lequel s’exerçait jadis le pouvoir de la juridiction pontificale inter leones.

Dans les églises plus petites, dont les dimensions ne se prêtaient pas à de grandes décorations, la même idée a pu se reproduire, sur une échelle réduite, dans les petits lions qui, au lieu de supporter la colonne, étaient supportés par elle ou bien ont été sculptés sur les chapiteaux eux-mêmes. Et comme ces figures pouvaient être peu apparentes, ou même peu exactes, il est arrivé quelquefois que l’on a inscrit au-dessous le nom de l’animal qu’elles représentaient ou qu’elles étaient censées représenter, afin que nul n’ignorât que c’était là que s’exerçait la juridiction ecclésiastique.

Nous verrons, du reste, la représentation irrécusable de ces emblèmes en avant de la façade de l’église de Sainte-Radégonde, et elle existait, comme nous le dirons, en l’église cathédrale de Saint-Pierre. Sur l’un des pilastres du clocher de Saint-Porchaire, on lit un fragment d’inscription romaine. La fin du mot memoriæ et le commencement du mot æternæ indiquent assez qu’elle était gravée sur un tombeau dont le cippe a été pris et incorporé dans la construction de la tour.

Eh bien ! ce monument, le plus complet et le mieux conservé des types rares fournis par l’architecture du XIe siècle, a failli disparaître en 1843 sous de fâcheuses préventions.

Des luttes vives s’engagèrent au sein du congrès archéologique, réuni à Poitiers, entre les antiquaires conservateurs et l’autorité municipale d’alors qui croyait de bonne foi, nous en sommes certain, que cette question était une question de sûreté publique.

Déjà même l’emplacement destiné à recevoir les matériaux de la tour était officiellement désigné, l’adjudication de la démolition du monument était consommée, lorsque, sur nos instantes prières, une dépêche ministérielle arrêta l’œuvre de destruction.

À la suite d’expertises contradictoires, l’édifice classé parmi les monuments historiques fut presque miraculeusement arraché à la pioche et au marteau.

Le malade condamné à mourir de par la sentence de quelques membres de la Faculté maçonnière, déclaré de fort bonne constitution physique par d’autres, le tout suivant l’usage immémorial que conservent avec tant de respect les successeurs d’Hippocrate et de Gallien, fut enfin, à tout hasard, confié aux soins du médecin ordinaire des monuments historiques M. Joly-Leterme, architecte de la ville de Saumur, inspecteur des monuments historiques de Maine-et-Loire.

Habitué à traiter de tels sujets, connaissant à fond leur tempérament et les précautions hygiéniques qu’ils exigent, celui-ci fit tout simplement usage de sa méthode médicale, et, grâce au ministre de l’intérieur, qui paya les frais du traitement, il sut garantir à notre vieil ami et à sa compagne inséparable, qui fût tombée avec lui, de longues années de vie et de santé.

On n’a point entendu dire, en effet, depuis lors, que la complexion, jugée si délicate, du pauvre condamné, ait été le moins du monde altérée. Et cependant de nombreux hivers, bientôt trois dizaines, ont déjà passé sur sa tête chenue.

Espérons que ses joyeux carillons annonceront plus tard à nos arrière-petits-neveux la bienvenue en ce monde des arrière-petits-enfants de ces ingrats qui ne lui avaient accordé que 24 heures d’existence !

En quittant Saint-Porchaire, laissons à gauche le magasin construit sur les ruines de l’ancienne chapelle de Saint-Sauveur, et pénétrons droit devant nous, dans la rue des Hautes-Treilles.

Plusieurs des maisons de cette rue et de celle des Basses-Treilles appartenaient aux Augustins, qui les avaient données à rente ou à loyer.

Entre les nos 8 et 10 de cette rue, on voyait encore, il n’y a pas longtemps, au-dessus d’une porte cintrée décorée de pilastres, trois petites niches qui renfermaient autrefois les statues de la sainte Vierge, de saint Augustin et de sainte Ursule.

C’était la façade de la chapelle des Ursulines, que couronnait un fort joli clocher en charpente surmonté d’un gracieux campanile. Un peu en deçà de cette chapelle se trouvaient, de ce côté, les limites de la juridiction seigneuriale du chapitre de Saint-Hilaire, indiquées par une statuette du grand évêque, debout entre les écussons de France et du Saint-Siége.

Les Ursulines tenaient un pensionnat de jeunes demoiselles, et enseignaient gratuitement les filles du peuple ; leur école était très-fréquentée. Dispersées par la Révolution, elles n’ont pas reparu sur le sol poitevin.

La Grand’Maison ou les Religieuses de l’Adoration perpétuelle. — C’est dans la rue des Hautes-Treilles, aux nos 32 et 43, que se trouve le double établissement religieux dit de la Grand’Maison, où les enfants des deux sexes trouvent séparément les bienfaits d’une éducation tout à la fois solide et religieuse.

C’est en 1797 que cette maison fut achetée par Madame Henriette Aymer de la Chevallerie, fondatrice de l’Ordre qu’elle voua à l’Adoration perpétuelle et aux sacrés Cœurs de Jésus et de Marie.

Associée dans son œuvre pieuse à M. l’abbé Coudrin, qui, de son côté, organisa une communauté d’hommes, Madame de la Chevallerie réussit dans son entreprise, et lorsqu’elle mourut, en 1834, son Institut était dans l’état le plus florissant. Aujourd’hui, les Religieuses de


la Grand’Maison tiennent un pensionnat nombreux de jeunes demoiselles, et une école gratuite pour les petites filles pauvres ; les deux externats payants et l’école gratuite se partagent par moitié 160 élèves.

C’est remplir exactement les intentions qui ont enfanté cette congrégation.

Les statuts règlent, à cet égard, d’une manière fort sage, à quels membres est confié le soin de présider aux classes gratuites ou au pensionnat, et les précautions, que les supérieurs ou supérieures doivent prendre dans l’intérêt de l’éducation littéraire et religieuse des écoles.

L’adoration perpétuelle du Très-Saint-Sacrement de l’autel était aussi un des principaux devoirs de la congrégation : elle a lieu de nuit et de jour et successivement, eu égard au nombre et aux occupations des membres de la maison.

Au moment de l’adoration, on revêt le long manteau d’écarlate, qui tranche majestueusement sur le reste du costume, qui est de laine blanche.

Les prêtres de la Grand’ Maison ou de Picpus, après avoir eu à Poitiers un pensionnat florissant qui fut dispersé en 1828 par les tristes ordonnances de cette époque, étaient réduits depuis quelques années à une simple école primaire. Profitant de la loi de 1850, ils ont organisé une institution secondaire, qui a compté, en 1870, près de 200 élèves (cent pensionnaires).

Revenons un peu sur nos pas, suivons de nouveau la rue ex-Impériale ; à droite s’élève la chapelle de l’établissement, dont les grosses œuvres n’étaient pas terminées au moment où nous écrivions notre 2e édition et qui est aujourd’hui un monument.

Quelques critiques de détail n’enlèvent point à cette œuvre le mérite réel qu’il est juste de lui reconnaître.

Ce qui est justice aussi, c’est de rappeler ici que les Pères de Picpus comptent des martyrs parmi les victimes de la Commune de Paris, en mai 1871.

Nous sommes arrivés sur la place d’Armes ; reprenons notre course régulière.

Les Augustins. — Le portail en style du XVIIe siècle, qui dépasse l’alignement de la voie publique, presque en face de la salle de spectacle, était autrefois le péristyle de l’église des Augustins, fondée et bâtie, en 1345, par Herbert Berlaud, 11e du nom, chevalier, seigneur des Halles, appartenant à une des plus anciennes familles de la ville de Poitiers, dont un grand nombre de membres ont été enterrés dans cette église. Par son testament du 18 septembre 1356 (veille de la funeste bataille de Poitiers), le fondateur lègue aux Religieux sept vingts livres pour achever la construction de leur église, ce qui en fixe la date d’une manière précise. Quelques personnes attribuent au sculpteur poitevin Girouard ce péristyle, appliqué sur la façade — ceci est positif — par suite d’une autorisation du corps de ville à la date du 23 juin 1670.

Au lieu de la balustrade qui sert d’attique au monument, et qui a été construite depuis la Révolution, il y avait un fronton, surmonté des statues de la sainte Vierge, de saint Augustin et de sainte Monique. L’église (métamorphosée en bazar en 1860) était grande et sombre ; elle n’avait qu’une seule nef et n’avait point de voûte en pierre. La chaire à prêcher, œuvre d’art remarquable, était en bois de chêne sculpté et soutenue par un Samson colossal, que la malicieuse gaieté du peuple donnait pour directeur de conscience à ceux qui ne confiaient cette direction à personne. « C’est un pénitent du père Samson aux Augustins », signifiait poictevinement un homme qui ne remplissait jamais ses devoirs religieux.

C’était dans l’église des Augustins que l’un des régiments en garnison à Poitiers allait chaque dimanche à la messe militaire, qui était suivie du défilé de la parade sur la place, au son de la musique et des tambours. Ce spectacle attirait toujours un grand nombre de curieux.

Cette église a été coupée dans sa partie occidentale, et diagonalement, en 1866, à l’époque du percement de la rue ex-Impériale.

Salle de spectacle. — Cette salle, bâtie sur l’emplacement occupé jadis successivement par la Boucherie et par le Poids-le-Roi, établissement de vérification légale pour certaines marchandises soumises à certains droits a été inaugurée en 1819 ; elle est située presque en face de l’ancienne église des Augustins. Son aspect est peu gracieux et n’a aucun caractère, quoiqu’elle ait coûté une somme assez considérable. Ses dispositions intérieures ne sont guère plus heureuses.

Poitiers est compris dans le 13e arrondissement théâtral. Sa troupe privilégiée y joue l’opéra pendant les mois de mai et juin, et du mois d’octobre jusqu’à Pâques, on y joue le drame, la comédie et le vaudeville. Le prix ordinaire des places est ainsi fixé : stalles d’orchestre et premières, 2 fr. 50 c. ; balcon et baignoires, 2 fr. 20 c. ; parterre, 1 fr. 65 c. ; secondes, 1 fr. 30 c. ; troisièmes, 60 c. (Les billets se prennent sous le péristyle à droite de la façade.)

Sur le même côté de la place d’Armes où se prolonge la salle de spectacle, au faîte d’une maison décorée d’un vaste balcon, et qui sert de lieu de réunion à l’un des cercles de la ville, vous apercevez une plaque de bronze sur laquelle brille, en lettres d’or, l’inscription suivante :

ici est mort, le 22 février 1840, m. pierre boncenne,
avocat, doyen de la faculté de droit.
la ville de poitiers
a voulu consacrer ce triste souvenir
pour honorer la mémoire
d’un de ses enfants les plus illustres.

M. Boncenne méritait cet hommage de ses concitoyens. Après avoir brillé dans les luttes dramatiques du barreau, à l’époque où la justice venait de rentrer dans ses sanctuaires profanés, après avoir acquis une réputation incontestée comme orateur éloquent, il se livra à l’enseignement et composa un livre qui fait autorité.

Sa Théorie de la procédure civile est une conception hardie, qu’un esprit supérieur pouvait seul tenter de réaliser. Il a su élever à l’état de science une étude qui semblait condamnée aux stérilités de la pratique, et son œuvre révèle dans la partie réputée la plus ingrate du droit l’heureuse alliance de l’école historique et de l’école rationnelle. (V. notre article dans le Dict. des fam. du Poitou, t. Ier, p. 388.)

À l’angle opposé de la Place d’Armes, la maison d’un joaillier, jadis l’hôtel de la famille de Nieuil, se trouve sur l’ancien emplacement consacré à la Poissonnerie.

À l’heure où nous écrivons ce livre, l’Hôtel de Ville qui se construit là, en face de celui de la Préfecture, n’est pas encore à une hauteur qui nous permette de le juger. Au lieu de le décrire, même d’après les plans, toujours fort beaux… sur le papier, nous offrons tout simplement à nos lecteurs sa pourctraiture empruntée à la belle


médaille commémorative frappée à l’occasion de la pose de la première pierre du palais municipal, qui a eu lieu le 31 octobre 1869, par S. Exc. M. Bourbeau, ministre de l’instruction publique, ancien maire de la ville.

(V. à l’appendice le procès-verbal de cette cérémonie, lequel fournira tous les détails qui, pour éviter d’inutiles répétitions, ne trouvent pas place dans cette page.)

Saint-Nicolas. — En quittant la place d’Armes, dirigeons-nous par l’angle sud-est dans la rue de la Lamproie ; puis, à quelques pas plus loin, en suivant la rue d’Évreux, dont l’écriteau a été un peu tard orthographiquement rectifié par l’intervention municipale, nous nous trouverons bientôt à l’hôtel de la Lamproie. Nous y touchons, là, sur la main droite. Pénétrons dans cette cour, qu’une grande porte toujours ouverte semble nous solliciter de visiter à loisir.

Au fond, n’apercevez-vous pas des colonnes supportant une voûte hémisphérique noircie par le temps ? L’une d’elles ne remplit plus depuis de longues années déjà son rôle préservateur ; se serait-elle affaissée sous le poids du lourd fardeau qui la pressait ? Non ; les architectes du XIe siècle bâtissaient solidement ; ils bâtissaient pour eux et pour nous, ingrats, qui n’avons pas su respecter leurs œuvres.

Vous voyez bien que ce sanctuaire d’un temple chrétien devenu ce que vous le voyez aujourd’hui devait être nécessairement mutilé.

Dans une remise, il faut pouvoir faire entrer une voiture ; or, l’entre-colonnement de l’abside de la vieille église de Saint-Nicolas n’ayant pas la voie, force a bien été de couper une colonne et de lui substituer les étais horizontaux qui la remplacent aujourd’hui et qui produisent un si bon effet. Hâtons-nous de dire que cette mutilation n’est pas l’œuvre des propriétaires actuels de l’hôtel, ils ne l’eussent pas commise.

Cette ruine est tout ce qui reste de la collégiale de Saint-Nicolas, fondée, avant 1030, par Agnès de Bourgogne, troisième femme de Guillaume le Grand, comte de Poitou, qui la dota et y plaça douze chanoines. Cette collégiale ne fut pas longtemps florissante ; des désordres graves forcèrent le pape Urbain II à la supprimer par Bulle du 16 novembre 1093, et à disposer de ses biens en faveur de l’abbaye de Montierneuf, qui avait elle-même été fondée, comme nous le verrons plus tard, par le fils d’Agnès.

C’est à cette suppression que se rattache un fait raconté déjà dans notre Histoire de l’abbaye de Montierneuf, et que vous aimerez peut-être à lire ici, à titre d’échantillon des mœurs et coutumes de ces temps déjà si loin de nous. Il est extrait d’une Bulle authentique du pape Urbain II, donnée à Saintes le 18 des kal. de mai 1096.

Les moines de Montierneuf, héritiers, de par la décision papale, des revenus et richesses de la collégiale de Saint-Nicolas, avaient hérité en même temps de leurs charges et obligations.

Parmi celles-ci figuraient le cens de quelques vignes à payer, et des processions à faire avec MM. les chanoines de Saint-Hilaire. Des difficultés surgirent, et on en saisit le pape Urbain II lui-même, lorsqu’il vint à Poitiers, en 1096. Il était entouré des prélats et seigneurs les plus considérables du temps, et ce fut cette auguste assemblée qui prononça la sentence. « Le cens serait perçu selon la coutume ; quant aux processions, comme il semblait peu convenable que des moines les fissent avec les clercs, chaque partie fut dégagée du lien qui semblait les unir mutuellement ; mais, pour maintenir une sorte de religieuse confraternité entre les deux corporations, lorsqu’un membre de l’une d’elles viendrait à décès, l’office des morts serait célébré pour le défunt dans l’une et l’autre église, au son des cloches ; et si l’un des chanoines de Saint-Hilaire voulait abandonner l’état séculier, il pourrait se retirer auprès des moines de Montierneuf comme au sein de ses frères. »

Malgré la crainte respectueuse que devaient inspirer la présence du chef de l’Église et le caractère de l’auguste assemblée qu’il présidait, Messieurs de Saint-Hilaire ne voulurent entendre aucune proposition d’arrangement.

Ce fut alors que le pape, voyant qu’ils avaient en vue les intérêts de la terre plutôt que ceux du ciel, leur rappela avec sévérité l’allégorie suivante : « Un loup, « leur dit-il, fut placé chez un instituteur pour apprendre ses lettres ; mais, « lorsque celui-ci disait A, celui-là répondait agneau ; et si le maître disait B, « l’élève répondait porc. Vous faites comme ce loup : je vous propose psaumes « et oraisons, et vous réclamez des choses qui certes ne sont d’aucun profit pour « le salut des âmes… »

La décision fut maintenue, avec menace d’anathème si les plaintes se renouvelaient.

Devenue l’église d’un simple prieuré, celle de Saint-Nicolas était encore consacrée au culte avant la Révolution ; on y disait la messe le dimanche, et, à certaines fêtes de l’année, il s’y rendait des processions.

L’hôtel d’Évreux. — Cet hôtel existait jadis à l’amorce de la rue actuelle de Corne-de-Bouc ; mais il portait pour enseigne les Vreux… Pourquoi cette différence entre l’orthographe municipale imposée au nom de la rue d’Évreux qui est sans doute la meilleure, puisqu’elle est officielle, et l’orthographe moins authentique de l’ancien hôtelier ? Cela exige une explication préalable. La voici :

L’abbaye de Nouaillé, sise à peu de distance de Poitiers, et sous les murs de laquelle se livra la fameuse bataille de 1356, était propriétaire de l’hôtel des Arènes et des Arènes elles-mêmes. Or, au XVIe siècle, l’un des abbés commendataires de cette abbaye, Raoul du Fou, évêque d’Évreux, fit bâtir sur les ruines du vieil hôtel des Arènes une maison nouvelle, qui fut appelée tout naturellement du nom de son propriétaire : hôtel d’Évreux.

Mais peu à peu la corruption du langage populaire changea ce nom en celui de l’hôtel des Vreux, qui devint un substantif bientôt synonyme d’antiquités romaines, ainsi que l’attestait jadis l’inscription en grands caractères qui recommandait aux préférences des voyageurs à pied et à cheval l’antique demeure du noble prélat.

Après avoir réfléchi aux nuits sans sommeil que nous évitons à nos confrères les étymologistes, en leur ôtant l’idée de chercher sous ces mots ce qui ne s’y trouva jamais et ce qu’ils pourraient peut-être bien y découvrir quand même, pénétrez par la pensée dans la cour de l’hôtel d’Évreux ; au fond, à main droite, vous eussiez aperçu, il n’y a pas encore de longues années, les restes d’une grande voûte plongeante ayant une pente de 25 centimètres par mètre, et dont les vastes dimensions accusaient la destination primitive.

L’amphithéâtre romain. — C’était une des entrées principales de l’arène. Çà et là régnaient encore la corniche aux profils simples sur laquelle reposait la retombée de la voûte, et l’appareil de minuto lapide, dont le placage solide avait résisté aux siècles, au feu et à l’intempérie des saisons. Des voûtes de moindre dimension, qui se coupaient, se brisaient, s’enchevêtraient les unes dans les autres et abritaient alors des magasins à fourrages, aidaient à reconstruire par la pensée le gigantesque monument.

Un escalier grossièrement pratiqué par l’usage dans le massif même des constructions s’offrait aux yeux à droite, et donnait accès sur les reins mêmes de la grande voûte d’entrée. Du haut de cet observatoire, malgré les mesquines demeures qui, semblables à des plantes parasites, s’étaient soudées aux flancs décrépits du colosse, on distinguait aisément le caractère imposant et majestueux de ce vaste édifice.

La forme elliptique de l’arène et des divers étages était retracée à l’œil par des ruines éparses, placées comme autant de jalons sur le vaste emplacement qu’occupaient autrefois, dans leurs jeux gigantesques, le peuple-roi vainqueur et le peuple gaulois vaincu.

Cet amphithéâtre, que nous croyons, malgré l’opinion vulgaire qui l’attribue à Gallien, l’œuvre des empereurs Adrien et Antonin (de 117 à 161), était remarquable par son étendue.

Des fouilles partielles faites sous nos yeux, avant le beau travail publié en 1843 par MM. Bourgnon de Layre et Lamotte, nous avaient personnellement autorisé, dès 1837, à réduire à des proportions moins vastes le diamètre de l’arène proprement dite ; mais cette conjecture, née de nos observations, et consignée alors dans un rapport resté inédit, puis justifiée plus tard par les immenses recherches de nos deux confrères, loin d’enlever au monument un degré d’importance en rétrécissant l’espace consacré au spectacle, augmentait au contraire l’intérêt qu’il nous offrait.

Elle donnait en effet une plus juste idée du grand nombre de spectateurs qu’un étage de plus conviait aux jeux sanglants des gladiateurs.

Il est désormais prouvé que le nombre des gradins sur lesquels les spectateurs s’asseyaient était de 60, et, d’après les calculs qu’autorisent les amphithéâtres connus où se trouvent encore indiquées les places de chaque spectateur, celui de Poitiers, à 40 centimètres par spectateur, devait contenir plus de 40 000 personnes assises et 12 000 debout.

Outre la porte d’entrée septentrionale, à laquelle correspondait, dans le prolongement du grand axe de l’arène, l’entrée méridionale ; outre les deux entrées moins importantes existant aux extrémités orientale et occidentale du petit axe, 124 vomitoires, assez larges pour donner passage à trois personnes de front, permettaient à ces 52 000 spectateurs, marchant avec la vitesse du pas militaire, de se placer ou de se retirer en moins de deux minutes.

C’est ce qui explique comment, malgré les variations possibles de l’atmosphère pendant une représentation publique, les Romains pouvaient construire en plein air et sans abri permanent ces gigantesques théâtres, qui doivent faire honte aux avortons enfantés par notre civilisation moderne.

Quelques auteurs ont écrit que l’amphithéâtre de Poitiers avait dû servir au spectacle des naumachies. Les découvertes faites et signalées par M. Bourgnon de Layre, à propos de nos aqueducs romains, détruisent complètement cette opinion.

Voici, du reste, d’après le travail de MM. Bourgnon de Layre et Lamotte, un tableau comparatif des proportions qui existaient entre l’amphithéâtre de Poitiers et ceux de Rome et de Nîmes.

GRAND AXE
TOTAL.
                  PETIT AXE
TOTAL.
                  GRAND AXE
DE L’ARÈNE.
Colisée (Rome), 205m » 171m » 93m  »
Arènes de Poitiers, 155  80 130  50 72  30
Arènes de Nîmes, 129  » 97  78 69  40
PETIT AXE
DE L’ARÈNE.
              ÉPAISSEUR
DES BATIMENTS.
              ÉLÉVATION
DE L’ÉDIFICE.
Colisée (Rome), 59   » 56   » 52  »
Arènes de Poitiers, 47   » 51  73 27  64
Arènes de Nîmes, 38  17 29  80 21  »

Lorsque les idées religieuses que le Christ avait apportées au monde eurent renouvelé la société païenne, les jeux du cirque durent perdre de leur prix aux yeux des populations chrétiennes. Ils leur rappelaient moins encore la magnificence de leurs maîtres et les plaisirs de leurs ancêtres que le sang de leurs martyrs, et tout porte à croire qu’à Poitiers comme ailleurs, elles vengèrent sur des murailles inertes les crimes qu’une odieuse persécution y avait fait commettre.

Dès le VIe siècle, la destruction de l’amphithéâtre de Poitiers dut être un fait accompli, et depuis lors, si son squelette abandonné retrouva quelquefois une vie éphémère, ce fut dans ces moments critiques où les défenseurs de la cité des Pictons durent s’en servir, en raison de sa situation dans le suburbium, hors des murs, comme d’un avant-poste formidable contre les ennemis qui se succédèrent dans ces temps de luttes barbares.

Puis ses pierres furent arrachées pour en construire des fortifications grossières, ses ornements décorèrent les temples, et il ne fallut, pour le conserver tel qu’il apparaissait encore il y a peu d’années, rien moins que l’usurpation intéressée des pauvres familles qui vinrent se nicher dans ses vomitoires, et se faire de sa ceinture protectrice un abri qu’elles n’eussent pu remplacer et qu’elles protégèrent à leur tour. Après des fortunes diverses, devenu, comme nous l’avons dit, la propriété de l’abbaye de Nouaillé, il fut cédé avec ses dépendances par bail emphytéotique du 16 avril 1757, et il appartenait en dernier-lieu, par suite d’échanges, aux hospices de Poitiers.

Sauf quelques formes de langage que nous avons dû adapter à ce qui n’est plus, les pages qui précèdent reproduisent la description de ce qui était encore au moment où nous écrivions notre première édition, et nous terminions ainsi :

« Serait-ce une pensée téméraire que d’espérer, pour ce monument, désormais, une protection plus efficace, qui servirait utilement les intérêts des pauvres ? Conserver à la ville de Poitiers l’un de ses plus anciens titres de gloire, c’est lui conserver aussi le seul attrait qui puisse, ainsi que nous l’avons déjà dit, solliciter la curiosité de ces touristes intelligents, dont la présence est semblable aux pluies fécondantes qui laissent partout où elles tombent les traces de leur action bienfaisante. »

Ceci s’écrivait en 1851.

En 1857, l’administration des hospices vendait, au prix de 100 000 fr., la portion de l’amphithéâtre qui lui appartenait, à une compagnie qui, après la complète démolition du vieux colosse, construisait à sa place le marché dit de Saint-Hilaire, inauguré le 17 mars 1859.

N’y avait-il aucun moyen de concilier les intérêts du présent avec ce que nous regardions comme un intérêt de premier ordre aussi ?

Pas plus que les hommes d’intelligence et de cœur qui défendirent en vain, il y a quinze ans, une cause qu’on ne doit pas dire mauvaise parce qu’elle a été perdue, nous ne saurions admettre une telle impuissance.

Bornons-nous, après avoir constaté le devoir noblement rempli, en cette grave circonstance, par la Société savante que son nom seul « obligeait », bornons-nous à cette simple réflexion :

« Si c’était à refaire, les actionnaires qui ont payé l’œuvre de destruction ne seraient-ils point, par hasard, aussi conservateurs que nous ? »

« Dans un siècle où tout acte de la vie humaine semble s’estimer à raison de ce qu’il peut rapporter à son auteur, veuillez, ami lecteur, prendre note de ce qui précède… à titre de moralité. » (2e édition.)

Une note adressée à notre « véracité » nous engage à constater que MM. les actionnaires, dont les capitaux, jusqu’à ce jour, à peu près complètement généreux,

Offrent, chaque matin, à chacun sa provende,
Bientôt, ne seront plus, faute d’un dividende
L’estomac creux, coupons en main,
Exposés à mourir de faim !

Bourcani. — Si le voyageur désirait suivre extérieurement les contours du colosse romain, il devrait, en sortant de l’hôtel d’Évreux, tourner à gauche, suivre la rue droite qui conduit au marché de Saint-Hilaire, puis la rue de Bourcani (Burgus canis).

Ce nom de Bourcani, si bien en rapport avec les habitudes de la population qui séjournait en ce lieu, les désordres de toute espèce qui s’y commettaient, tout nous porte à croire que c’était là que la Cour des Miracles de Poitiers tenait ses assises… Passons…

Suivons la rue du Petit-Bonnevaux, ainsi nommée d’un hôtel qu’y possédait l’abbaye de Bonnevaux, et où résidaient les Religieux de ce monastère quand ils venaient à Poitiers ; celle des Arènes, dont le nom n’a pas besoin d’explication, et la rue Corne-de-Bouc, autrefois de Saint-Ausone, puis des Pénitentes, et qui a sans doute emprunté son nom actuel à sa direction elliptique.

Evidemment toutes ces voies publiques s’étaient créées autour de l’amphithéâtre, dont elles enserraient l’enceinte primitive.

Aujourd’hui, une rue plantée d’arbres, dont le public s’est fait le parrain en l’appelant rue Lubac, du nom de son créateur, va les couper à angle droit dans la direction de l’Est ; mais elle ne leur enlèvera pas le caractère primitif que nous avons dû constater.

Les Pénitentes. — Au no 15 de la rue Corne-de-Bouc, cet édifice fort maussade, qui a éprouvé des fortunes bien diverses, était autrefois la communauté des Sœurs Pénitentes, qui recevaient les filles repenties.

Pendant la Révolution, ce fut une prison de suspects, puis il fut successivement magasin militaire, jardin botanique, petit séminaire, grand séminaire, caserne d’infanterie, école primaire, et enfin il est rentré dans l’administration de la guerre, qui paraît y tenir.

En revenant de la rue Corne-de-Bouc pour rejoindre le Lycée, nous laisserons à droite la rue de Paille (de Paleâ), ainsi nommée dès 1224, parce que, disent des auteurs, étant une des plus anciennes de la ville, elle était bordée de maisons couvertes en paille, suivant ce que Vitruve a écrit de la coutume des Gaulois.

Nous avons lu dans des titres de 1614 qu’elle se nommait alors rue de la Tripaille, vulgairement rue de Paille, nom dû sans doute à ce qu’alors, comme aujourd’hui et comme dès le XVe siècle, elle était habitée par des bouchers.

La tradition s’étant mise de la partie, ou a prétendu que ce nom lui venait de ce que les chanoines de Saint-Hilaire, ayant voulu faire enlever de l’église de la Celle le corps de leur saint, patron, qui y était déposé, firent tapisser de paille les rues que devait parcourir le cortége ; et comme celle-ci était la plus longue, ce fut sans doute à cause de cet avantage qu’elle hérita seule de la dénomination privilégiée.

Enfin d’autres étymologistes, entrevoyant des motifs beaucoup moins religieux, ont trouvé certains rapports entre le mot latin pales et le mot français paillardise, et ils invoquent à l’appui de leur système des arguments peu archéologiques, il est vrai, mais qui ont leur valeur.

Laissons ce débat et les lieux qui l’ont enfanté, et reprenons la rue du Collége. C’est là que nous trouvons ce qui s’appelait naguère du même nom que la rue, et ce qui s’appelle aujourd’hui un lycée. Et pourquoi n’a-t-on pas songé à débaptiser aussi la rue ?

Le Lycée. — Cet établissement d’instruction publique comprend actuellement dans sa vaste enceinte les bâtiments des deux colléges de Sainte-Marthe et de Puygarreau, et il a hérité des dépouilles du collége de Montanaris.

Le collége de Sainte-Marthe, organisé en 1522 par Antoine Gironet et Théobalde Girault, son épouse, était la suite d’un établissement d’instruction existant dès 1494 près de la chapelle et aumônerie de Sainte-Marthe.

Après les malheurs des guerres civiles, cet établissement délabré fut acheté par le corps de ville (1605) et cédé aux Jésuites, qui prirent alors la direction du collège royal. Le collège de Puygarreau, à gauche, en face du lycée, avait été fondé le 7 janvier 1478 par Françoise Gillier, dame de Puygarreau, veuve de Jean Bardin, conseiller au parlement.

À la suite de vicissitudes diverses, le collége de Puygarreau fut aussi acheté par la ville de Poitiers et cédé aux Jésuites (1608), qui en firent leur pensionnat. Il communiquait avec la maison des Religieux (le côté de la chapelle) par un passage souterrain dont la voûte s’écroula sous le poids d’une charrette. On établit depuis lors un passage couvert par-dessus la rue.

Le collège de Montanaris, situé vers l’angle de la rue de l’Ancienne-Comédie et de la rue d’Enfer, avait été fondé en 1507, sous l’invocation de Notre-Dame, par Antoine de Montanaris, du royaume de Naples, docteur en médecine, bachelier en droit, et curé de Romagne, près Couhé ; le corps de ville de Poitiers l’acheta comme ceux de Sainte-Marthe et de Puygarreau en 1607, et le donna aux Jésuites.

Cette corporation célèbre, dont les succès en matière d’enseignement n’ont pu jamais être contestés, même par ses ennemis les plus acharnés, venait d’être rappelée par Henri IV, lorsque le corps de ville supplia ce prince de créer un collége royal à Poitiers, ce qui fut accordé par lettres patentes de 1604.

Il fut confié aux Jésuites, qui fondirent en un seul collége les trois établissements dont nous venons de retracer les vicissitudes et l’histoire. En quelques années ils obtinrent des secours efficaces, 20,500 livres du roi, 12,400 du clergé, 1,352 de la ville, 140,000 de souscriptions particulières : en tout, 175,000 livres, somme considérable dans ce temps-là, et dont le chiffre honore notre population, toujours intelligente toujours dévouée aux œuvres utiles.

Ce fut avec ces ressources que les Jésuites purent faire construire et réparer les immenses bâtiments qui composent le lycée actuel. La chapelle, notamment, fut bâtie en deux années, de 1608 à 1610.

Plus tard, Louis XIV, voulant s’associer à l’œuvre de son aïeul, dota le collége de 4000 livres de rente.

Les élèves accoururent de toutes parts ; les contrées étrangères même fournirent leur contingent, de telle sorte que les RR. Pères durent ajouter comme annexe, en 1674, le collège dit des Pères Jésuites d’Hibernie (situé au carrefour de ce nom, qui s’appelle encore Plan des Petits-Jésuites ; nous en parlerons plus loin), où étaient admis les écoliers qui venaient des Iles Britanniques.

En 1720, le collége royal comptait 13 maîtres, enseignant depuis les éléments de la grammaire jusqu’à la théologie, et 800 écoliers dont bon nombre, il est vrai, tendaient à l’état ecclésiastique, pour lequel des établissements spéciaux furent créés plus tard.

Mais bientôt les Jésuites durent céder à la violence des attaques dont ils étaient l’objet de la part d’ennemis puissants, et, le 1er avril 1762, le corps de ville de Poitiers dut leur retirer les droits qu’il leur avait cédés. La génération qu’ils avaient élevée les récompensait ainsi des services qu’ils lui avaient rendus.

80 Religieux, jouissant d’un revenu net de 24,599 livres, occupaient alors les divers établissements qui dépendaient du collège ; leurs revenus furent séquestrés et si bien administrés, que, deux ans après seulement, les bâtiments étaient dans un état de délabrement complet, et que les maîtres n’étaient pas payés. Ces maîtres, laïques ou tirés du clergé, virent diminuer de moitié le nombre de leurs élèves jusqu’à ce que la plupart d’entre eux se retirèrent, par suite du refus de prestation du serment à la constitution civile du clergé.

Pendant la Terreur, on avait d’autre chose à faire que d’enseigner à la génération nouvelle la langue de Cicéron et d’Homère. C’étaient peut-être bien dans leur temps des républicains, mais un tant soit peu aristocrates car ils savaient lire et même passablement écrire, disait-on ; donc, point n’était besoin de propager leurs doctrines.

Mais lorsque cette honteuse manie d’ignorance fut passée avec les hommes qui étaient intéressés à la faire vivre, lorsqu’on songea à rééditier ce qui avait été si largement démoli, Poitiers fut doté d’une école centrale que l’on établit tout simplement dans l’ancien collége des Jésuites (1795).

Puis, en 1803, grâce à 57 000 francs de souscription (encore une souscription heureuse), cette école fut convertie en lycée, pour reprendre, en 1815, son premier titre de collège royal, qu’elle a perdu en 1848, pour reprendre encore une fois, sous la deuxième République, le nom franco-grec que lui avait imposé le premier Empire, et que lui a laissé tout naturellement le second.

Notons, en passant, le danger des noms d’aspect politique et leur parfaite instabilité chez nous. Aussi supplierons-nous les parrains futurs de nos futures fondations, municipales ou autres, de leur choisir, au jour de leur baptême officiel, des patrons plus sûrs de vivre longtemps.

Sans vouloir médire du calendrier moderne, qui a quelquefois son mérite, nous conseillerons toujours l’ancien : il a pour lui le passé, et, quoi qu’on en dise, nous croyons encore à son avenir.

Dans les dernières années qui ont précédé 1848, le collége de Poitiers, mis en réputation d’abord par l’administration habile de M. Carbon, s’était élevé, sous le provisorat de M. Ménard (de 1839 à 1850), à plus de 550 élèves, dont 280 internes, et il était compté alors parmi les plus importants de France.

La chapelle et la sacristie de cet établissement méritent d’être visitées.

Ne nous arrêtons pas à la façade de la chapelle : cette construction massive, et qui manque d’air et d’espace, annonce la solidité, mais elle n’a aucun caractère. Il faut pénétrer dans l’intérieur, et, si la porte est close, il faut frapper à la porte même du lycée, qui nous sera ouverte, à titre d’étrangers visiteurs, avec l’agrément du proviseur.

Après avoir traversé le porche, qui est défendu contre les envahissements tumultueux de la gent écolière par une grille en fer, nous apercevons devant nous le pavillon central, qui a été restauré en 1842.

Au-dessus du cintre de la porte, sur un écusson qui portait autrefois le chiffre de la Compagnie de Jésus, est sculptée la date de la fondation du collége royal, 1608 ; puis, au-dessus, on voit le buste de Henri IV, avec ces mots : Henri IV, fondateur, et plus haut, dans un cartouche, le médaillon de Louis XIV, avec ces mots : Louis XIV bienfaiteur.

C’est l’histoire du monument écrite sur ses pierres ; c’est la plus succincte et la meilleure, à notre avis.

Ces deux morceaux de sculpture datent de la restauration de 1842.

Pénétrons dans la chapelle à gauche. Ce monument servit, en 1789, de lieu de rassemblement général des trois ordres pour la nomination des députés aux états généraux, puis il devint le principal club de Poitiers pendant la Terreur, et enfin la salle décadaire.

Quoique le sanctuaire ne fût séparé de ces assemblées dangereuses que par un simple rideau, il fut respecté. On se borna à gratter les attributs et emblèmes trop compromettants ; mais il n’y eut point de ces horribles mutilations qui firent ailleurs d’irréparables désastres. Nous mentionnons ce fait extraordinaire, unique peut-être en son genre, et nous devions le noter à l’éternel honneur de la population poitevine.

Aujourd’hui, grâce à l’habile restauration qu’elle reçut en 1855, cette chapelle apparaît telle, à peu près, qu’elle sortit des mains de l’architecte ; pourtant beaucoup de membres et d’ornements d’architecture avaient été dégradés, mais ils furent alors réparés avec goût, avec bonheur.

Le tabernacle, ouvrage d’art du plus grand mérite dans son genre, daté de 1697, a été démonté en plus de mille morceaux par un habile ébéniste (Salmon), qui l’a reconstruit, en remplaçant toutes les parties manquantes. Le devant d’autel, qui était mobile pour recevoir des étoffes de diverses couleurs, suivant les fêtes, a été remplacé par un autre, sculpté par M. Lécuyer sur les dessins de M. Hivonnait.

C’est à ce dernier que l’on doit le crucifix placé en face de la chaire ; c’est une œuvre honorable pour l’artiste.

C’est encore lui qui a fait revivre avec habileté les couleurs effacées des tableaux sur toile qui accompagnent le grand autel, et dont un surtout a du mérite : c’est celui qui est encadré dans le retable ; il a pour sujet la présentation de Jésus-Christ au temple. Il est signé : Louis Finson de Bruges, 1615. Ce tableau a tous les défauts de costume, mais toutes les qualités de coloris des tableaux flamands. Dans le système primitif de décoration de l’église, ce tableau n’était pas masqué, comme il l’est, par le tabernacle, qui lui est postérieur de près d’un siècle.

Le temps avait fait disparaître complétement les peintures de la voûte au-dessus de l’autel et presque entièrement celles de l’arcade qui la précède. Ces peintures ont été très-heureusement ravivées par M. Hivonnait, qui a su fondre dans l’ensemble des milliers de retouches inaperçues. Les peintures de l’arcade représentent des auges exprimant, par leur adoration muette ou par leurs symphonies instrumentales, leur respect pour l’hostie sainte contenue dans un ostensoir de forme antique.

Sous la voûte, à gauche, Louis IX encore tout jeune, fait l’aumône aux pauvres ; à droite, le saint roi est entouré d’anges, dont l’un lui montre le chemin du ciel, tandis que les autres portent la croix, la couronne d’épines et les clous, précieuses reliques dont il dota la France.

Pénétrons dans la sacristie ; elle est peut-être encore plus remarquable que la chapelle. L’ensemble des tableaux qui la décorent représente les circonstances les plus notables de la vie de Jésus-Christ, depuis l’Annonciation jusqu’à l’Ascension.

Ces tableaux tout écaillés ont dû être retouchés, et l’artiste a dû refaire en entier celui de l’Adoration de Jésus enfant par Joseph et Marie. Mais ce qu’il y a de plus beau dans cette sacristie, ce sont les boiseries qui en ornent le pourtour et qui en forment le plafond. Les sculptures si délicates et si fermes qui les décorent, et qui avaient été mutilées, ont été restaurées avec une grande habileté.

Ces divers travaux de restauration, qui ont coûté 15 000 fr., ont été exécutés en 1845, sous la direction de M. Ménard, proviseur du collége. Les peintures ont été confiées au pinceau de M. H. Hivonnait, les sculptures au ciseau de M. Lécuyer, tous deux artistes de Poitiers ; elles font aux uns et aux autres le plus grand honneur.

À l’heure où nous écrivons, toute la portion des bâtiments du lycée située à gauche, et spécialement dite de Puygarreau, a été remplacée par de vastes constructions élevées à la suite de la chapelle, sous la direction de M. Lance, architecte de Paris, sur des terrains achetés par la ville de Poitiers, ce qui formera un ensemble tout à la fois plus commode et plus complet.

Mais, là encore, pourquoi de la brique, quand vous êtes si riches de belles et bonnes pierres ?

Du lycée aux Carmélites. — En quittant le lycée, nous suivrons la rue dite du Collége, et nous trouverons sur la gauche la rue du Puygarreau. Cette rue s’appelait Bourg-Marin (de Burgo Marini) dès le 9 septembre 1271, et elle conserva ce nom jusqu’au commencement du XVIIIe siècle, époque à laquelle elle prit celui des seigneurs de Puygarreau, qui y avaient fondé, comme nous l’avons dit, un collège.

Nous prions le lecteur de jeter les yeux à gauche, au no 10, sur ce grand bâtiment à pignons aigus, qui était autrefois la chapelle de Puygarreau, et qui, après avoir été transformée en salle de l’Ecole royale de dessin, est encore aujourd’hui affectée au même usage, avec cette différence toutefois que l’école est communale. Ce bâtiment n’a rien de remarquable ; il renferme au rez-de-chaussée grand nombre de plâtres moulés sur les bons modèles, et qui formaient le noyau d’un musée d’antiques commencé par un homme dont nous verrons plus tard le nom cité avec honneur, M. l’abbé Gibault.

L’institution de l’école de dessin date de loin déjà, et réclame quelques détails auxquels vous ne serez pas indifférent. Dès avant 1770, Boucher, premier peintre de Louis XV, avait conçu l’honorable et patriotique pensée de répandre en France le goût et la culture des beaux-arts, et surtout de la peinture. Cette idée. disons-le en passant, valait mieux que beaucoup de ses œuvres.

Il envoya donc dans les provinces quelques-uns de ses meilleurs élèves pour sonder le terrain et apprécier les dispositions plus ou moins artistiques qu’il avait à développer. Aujollest-Pagès fut chargé par lui de chauffer le bon goût poitevin, et ce peintre estimable fonda à Poitiers une école gratuite de dessin, qui fut autorisée en juillet 1772 par l’Académie royale de Poitiers, protégée par M. de la Bourdonnaye, comte de Blossac, intendant de la province, et, sur la demande des maire et échevins, constituée, par lettres royaux du 6 mars 1774, en école royale académique de peinture, sculpture, architecture et arts analogues au dessin.

Un règlement particulier organisa l’Académie poitevine le 6 août 1775, et elle se trouva composée d’officiers, d’amateurs et d’académiciens, le tout placé sous la haute protection de l’intendant de la généralité.

Jusqu’en 1789 elle obtint de véritables succès ; mais comme les arts, ces plantes délicates et frêles, ne sauraient guère fleurir au milieu de l’atmosphère révolutionnaire qui les tue, notre Académie, à cette époque de progrès, déclina rapidement ; et lorsque l’émancipation publique fut à son apogée — en 1792 — elle mourut.

M. Pagès, dont le zèle avait été pour beaucoup dans cette œuvre honorable, fut destitué ; mais, après la tourmente, il échangea ses épaulettes d’officier du génie contre ses pinceaux et ses crayons, et, s’il ne put ressusciter l’Académie, il reconstitua du moins l’école gratuite de dessin, qui depuis a été dirigée successivement par son gendre M. Hivonnait, et par ses petits-fils.

Le concours éclairé des représentants de la cité ne lui a pas manqué : des sacrifices importants ont été faits pour elle, et, outre la salle de l’ancienne chapelle du Puygarreau, une nouvelle a été établie dans les bâtiments de l’école mutuelle de la rue Saint-Germain, afin d’augmenter le nombre des élèves avec les facilités pour les recevoir. Elle a fourni plusieurs professeurs et bon nombre d’élèves habiles qui lui font honneur.

La maison no 12 offre plus d’intérêt, en raison de ses sculptures, de ses fenêtres ouvertes aux encoignures, de ses pilastres dressés en spirale autour de la tourelle de l’escalier, et de son caractère architectonique, conforme à la date de 1554 inscrite sur le fronton supérieur de cette habitation. C’est un spécimen précieux de l’art des constructions au XVIe siècle, et son intelligent propriétaire actuel fera bien de lui conserver intact son cachet originaire.

Dans cette rue du Puygarreau existent, en diverses maisons, les restes apparents, même hors du sol, de l’enceinte romaine ; ils sont la suite de ceux qui se trouvent dans le jardin du lycée.

La rue des Juifs. — En sortant de la rue du Puygarreau et en reprenant la rue du Collége, nous apercevons sur la main gauche une petite rue étroite, au bout de laquelle existe une porte en ogive. En 1850, cette porte ogivale avait encore sa sœur jumelle à l’extrémité qui s’ouvre sur la rue du Collége. Une boutade sans motif sérieux, sans utilité réelle, l’a fait abattre.

A quoi pouvaient servir, direz-vous, ces deux portes, dans l’intérieur de la ville, loin des atteintes de l’ennemi ? C’était là le quartier spécialement affecté aux juifs ; c’était là qu’étaient parqués les membres de cette nation errante, si maltraitée au moyen âge ; et chaque soir, à l’heure où sonnait le couvre-feu, les deux portes étaient solidement closes, afin que, pendant la nuit, la race maudite ne pût communiquer avec les chrétiens, sur lesquels elle se fût livrée sans doute à d’atroces vengeances ou à d’horribles maléfices. C’était pour cette raison que cette rue, aujourd’hui appelée de Penthièvre, se nommait autrefois rue des Juifs.

Après la rue du Collége, suit la rue d’Enfer, « ainsi nommée sans doute », écrivait en 1781 un avocat, « parce que la procession de la Fête-Dieu n’y passait jamais, ou parce que sa pente est assez roide ».

Tirons notre chapeau à cette heureuse idée et poursuivons ; peut-être découvrirons-nous que cette rue d’Enfer s’appelait autrefois d’un autre nom, alors même que la procession de la Fête-Dieu n’y passait pas plus qu’en 1781.

En face la rue des Balances-d’Or, sur le mur lisse d’une maison neuve, n’apercevez-vous pas un haut-relief barbouillé de rouge, de noir et de vert, qui représente un personnage à figure humaine tenant dans sa main vigoureuse un arbre qu’il vient d’arracher, et l’on ne peut en douter, car les racines et les branches chargées de fruits qui ressemblent à des noix ont échangé leurs positions naturelles respectives ? Eh bien ! ce haut-relief servait d’enseigne parlante à un établissement situé dans la rue d’Enfer, qui portait alors le nom de rue du Noyer-Arraché.

La rue des Balances-d’Or (ainsi nommée probablement d’une enseigne de marchand) nous conduira, en tournant à gauche, dans la rue du Gervis-Vert, et, à droite, dans la rue d’Oleron, à l’extrémité de laquelle un carrefour auquel nous devons restituer son nom de Plan du Poiz-de-Lere (le Puits-de-Leyre) ; ce puits était probablement situé à l’entrée de la Rua Hedera que nous croyons être la rue actuelle du Souci.

Revenons sur nos pas, tournons à gauche, suivons la rue du Gervis-Vert qui aboutit en droite ligne au Plan de la Celle et à l’ancien monastère des Filles de Sainte-Catherine, appelées vulgairement autrefois les Cathelinettes. Ce monument, assez étendu, qui n’a rien de remarquable, est aujourd’hui une caserne d’infanterie. L’enceinte romaine y a laissé ses vestiges.

Voici sur les Religieuses de Sainte-Catherine de Sienne, qui ont habité pendant près de deux siècles ce couvent, quelques renseignements inédits, dus à la bienveillance d’un de nos laborieux Dominicains.

L’acte de fondation de ce monastère à Poitiers est du 16 novembre 1621. La permission épiscopale est du 7 août 1628. La première prieure fut Anne du Moulin, venue du monastère d’Abbeville. La dernière fut Victoire Cibot, décédée le 28 avril 1783.

L’Ordre s’étant éteint, faute de sujets, la ville s’empare des bâtiments pour en faire une caserne, après un inventaire dressé en 1785, et après la vente aux enchères du mobilier.

Tout y passe, même les trois statues en pierre de la sainte Vierge, de saint Dominique et de sainte Rose de Sienne, qui occupaient alors les trois niches que vous voyez encore sur la façade restée à peu près intacte et qui furent adjugées au sieur Gouve, sculpteur, pour la somme de 41 livres.

Et, en vérité, ces pieuses images eussent fait assez piètre figure au front du logis des nouveaux hôtes du couvent des Dominicaines ; mais leur place vide accuse encore aujourd’hui, aux yeux des moins savants, l’origine fort peu militaire de cette œuvre du passé sur laquelle notre studieux correspondant pourrait fournir les éléments d’une monographie intéressante. — Avis à nos jeunes confrères.

La rue Sainte-Catherine, qui suit parallèlement, à gauche, la façade, aboutit à la rue de l’Arceau, ainsi nommée d’un ancien arc de triomphe qui servait autrefois de porte de ville de ce côté, et qui fut détruit seulement vers 1760. Il en reste encore quelques vestiges à gauche en descendant. Il se rattachait sans doute à l’enceinte romaine, dont les traces se retrouvent dans cette partie de la ville.

Saint-Hilaire de-la-Celle, aujourd’hui les Carmélites. — Revenons sur nos pas jusqu’au plan de la Celle.

De ce plan nous descendrons, à droite, dans la rue des Égouts, où débouche la rue de la Grille. Ces rues doivent, à notre avis, leur nom à la découverte qui y fut faite, au XVIIIe siècle, d’aqueducs souterrains et de fondrières couvertes de grilles de fer, au travers desquelles s’écoulaient les eaux de la ville qui affluent de ce côté. Un logis situé au coin des rues du Gervis-Vert et des Égouts, appelé La Grille, figure dans des titres de 1737.

En face de la rue de la Grille, no 25, à la suite d’une longue allée fermée par une porte qui ouvre sur la rue des Égouts, on arrive à la porte de la chapelle des Carmélites.

C’était autrefois l’église de Saint-Hilaire-de-la-Celle. La fermeture de cette porte, qui n’est pas sans mérite, provient de l’abbaye de la Trinité, dont nous parlerons bientôt. Dans le mur, à gauche en entrant, est encastré un bas-relief qui, selon les uns, faisait partie du tombeau d’Adèle d’Angleterre, femme d’Ebles Manzer, duc d’Aquitaine ; selon d’autres, du tombeau de Gerloc, femme du duc Guillaume Tête-d’Etoupes ; selon d’autres, enfin, il représente la cérémonie de la sépulture de saint Hilaire, ou, mieux encore, l’apothéose du Saint.

On prétendait en effet, mais à tort, que le saint évêque avait été enterré dans cette église. Peut-être son corps y fut-il déposé avant d’être transporté à la collégiale de son nom ; mais ce point est encore très-douteux, malgré la tradition que nous avons rapportée à propos de la rue de Paille.

Cette église fut primitivement un prieuré de l’Ordre de Saint-Augustin, dont saint Guillaume Ier était prieur avant son élévation à l’évêché de Poitiers, en 1180.

Érigée en abbaye au commencement du XVe siècle (1403), elle ne pouvait lutter avec ses puissantes rivales en influence et en renommée. Cependant, au XVIe siècle, elle possédait des richesses mobilières et des ornements d’un grand prix, qui furent pillés lors du sac des protestants (1562).

Elle fut réformée au XVIIe siècle, et les Génovéfains s’y établirent le 26 août 1652.

En 1736, son revenu était de 4 146 livres ; elle avait droit de justice haute, moyenne et basse, dans le bourg qui en dépendait et dans plusieurs autres lieux.

Avant la Révolution, l’une des paroisses les plus populeuses de Poitiers y était annexée ; elle comptait 1 100 communiants.

Les bâtiments, vendus et défigurés pendant la période révolutionnaire, sont aujourd’hui occupés par les Carmélites, qui possédaient, avant 1789, comme nous le verrons avec détail plus loin, ceux du grand-séminaire actuel.

Notre-Dame l’Ancienne. — Après la rue des Egouts, sur la place Saint-Pierre-Puellier, existent encore, dans la maison no 6, les restes de Notre-Dame-l’Ancienne. C’était une des vingt-quatre paroisses de la ville ; mais des auteurs présument qu’elle ne le fut pas dès l’origine, malgré son titre, et qu’elle fut plutôt alors occupée par des prêtres réguliers ou séculiers chargés de la desserte du monastère de Saint-Pierre-Puellier, sous le patronage duquel elle se trouvait placée dès 1372.

C’était près de cette église que se voyait le sceu † (Sureau) à l’ombre duquel sainte Loubette, selon la légende merveilleuse qui va suivre bientôt, était couchée, lorsque les précieuses reliques qu’elle rapportait de la Terre-Sainte lui furent miraculeusement ravies.

Saint-Pierre-le-Puellier. — Vous voyez sur la gauche, au no 2, des contre-forts encore bien conservés : ce sont les restes de la collégiale de Saint-Pierre-le-Puellier. C’était un des plus anciens établissements religieux de Poitiers, et son nom Sanctus-Petrus-Puellarum indique assez qu’il fut, avant d’être érigé en collégiale, le siège d’une communauté de filles.

Ce fut Adèle, épouse d’Ebles, qui, après avoir fondé le monastère de la Trinité (V. le paragraphe suivant), établit à Saint-Pierre-le-Puellier un Chapitre de treize chanoines, pour procurer aux Religieuses les secours spirituels dont elles avaient besoin. Nous verrons que sainte Radégonde avait agi de même à l’égard de l’abbaye de Sainte-Croix.

L’histoire de cette collégiale est entourée d’obscurité, et, à son origine, elle ne présente guère de faits certains.

C’est à elle que se rattache cependant une des légendes les plus populaires du pays, et que nous allons reproduire avec le langage naïf du chroniqueur.

C’était « au temps de Constantin, empereur, saincte Hellène, mère dudit empereur, émeuhe de dévotion, alla en Jhérusalem, et d’illec apporta une grande portion du précieux boys de la croix en laquelle avoyt esté cruciffié nostre Saulveur et Rédempteur, et en sa compagnée estoyt une saincte vierge appelée Lobète, de petite stature et mallaisée à cheminer ; laquelle saincte Lobète fut présente quand ladicte saincte Hellène trouva, au lieu du Calvaire, ladicte précieuse croix.

« Et parce que ladicte saincte Lobète avoyt longtemps demeuré au service de ladicte saincte Hellène, et avoyt affection et vollunté de venir ès parties de Bretaigne dont elle estoyt née, et qu’elle avoyt toujours esté de sainte vie, luy donna grant partie de ladicte vraye croix et aussi de la couronne d’espines de nostre Rédempteur.

« Ladicte saincte Lobète vinst à Poictiers et en l’église Nostre-Dame-l’Ancienne, près ladicte église Sainct-Pierre-le-Puellier, et en ung arbre appellé sceu, près ladicte église Nostre-Dame-l’Ancienne, mist et pendit son écharpe et gibbecière en laquelle estoyent ladicte vraye croix et reliques, et au pied dudict sceu s’endourmit ; et elle esveillée, ainsi que fut le plaisir de Dieu, la branche où elle avoyt pendu ladicte gibbecière se esleva si très hault que ladicte vierge ne pouvoyt avoyr sadicte gibecière.

« Quoy voyant ladicte vierge s’en alla par devers l’évesque dudict Poictiers, lui déclara les choses susdites : lequel, fort joyeux, conseilla ladicte vierge aller par devers le comte de Poictou lui expouser lesdites choses ; ce qu’elle fit…, lequel, fut moult lié et joyeux…, et après par luy et ledict évesque avoir veu et visité et approuvé ladicte vraye croix et relicques, considérant ladicte vierge estre ainsi d’une petite stature, bossée et boytteuse, fort débille et que à peine pouvoyt chemyner, luy donna autant de terre qu’elle pouvoyt circuyer en ung jours… ; icelle vierge commença aller par ladicte terre des Deffends, et par miracle divin la terre où elle passait s’elleva, et fecit aggerem par tous les lieux où elle marchoyt, affin de montrer combien se extandoyt ladicte terre que ledict comte luy auroyt donné affin que débat n’en survinst en temps advenir.

« Et ainsi que ladicte vierge vint à la rivière du Clain, icelle rivière se départit tellement, qu’on pouvoyt aller pied sec.

« Quoy voyant les serviteurs dudict comte qu’il n’estoyt que environ l’heure de midy, le dénoncèrent audict comte, lequel dist à ladicte vierge qu’elle se debvoyt contanter; ce qu’elle lit, et luy confirma ledit don, qu’il lui avoyt fait de ladicte terre. »

Voilà le récit merveilleux. Ce qu’il y a de certain maintenant, c’est que le Fief-le-Comte, qui formait la principale dotation du Chapitre, était réellement borné, d’un côté, par un « chemin herbu appelé, disent des titres anciens, la levée de Sainte-Loubette, » et que cette sainte femme avait donné son nom au cimetière voisin de l’église de Saint-Grégoire, dans lequel on prétendait qu’elle était enterrée. Nous avons déjà parlé du seuf (sureau), appelé le seuf de Sainte-Loubette, que l’on montrait près du puits de la Celle.

Quoi qu’il en soit, le Chapitre de Saint-Pierre-Puellier, que le peuple appelait, par corruption de langage, Saint-Pierre-Pilier, possédait des propriétés assez considérables à Poitiers et sur plusieurs points du diocèse. Ses vignes étaient étendues et productives.

Aussi, malgré les pertes qu’il avait éprouvées et les désastres qui, au XVIe siècle, l’avaient frappé comme toutes les fondations religieuses, ses revenus s’élevaient-ils encore, au moment de la Révolution, à 7 712 liv. 5 s. 6 d., sans y comprendre le vin, dont il fut récolté, en 1791, 156 barriques.

Si l’on se reporte à une époque plus reculée, on s’imaginera facilement que l’importance et la valeur de ces dernières redevances étaient bien plus considérables : aussi l’immense tonneau destiné à les contenir avait-il une réputation qui rejaillissait nécessairement sur ses propriétaires. On les appelait vulgairement, les chanoines de l’entonnoir, de l’ouillette, et, moins cérémonieusement encore, les ivrognes.

Nous avons entendu attribuer ces qualifications à la forme du clocher de l’église collégiale laquelle était surmontée d’une toiture en charpente et ardoise qui affectait exactement la forme d’une ouillette ou entonnoir renversé. La causticité populaire ne nous paraît point s’être donné la peine d’aller dénicher si haut le sobriquet malin dont elle frappait les chanoines.

Nous verrons du reste, plus tard, que chaque Chapitre de Poitiers était libéralement doté par le menu populaire d’une qualification très-significative.

Quant au fameux tonneau, il était déposé dans la grange dîmière du Chapitre. On en montre encore les bâtiments décorés des deux clefs, armes de MM. de Saint-Pierre-Puellier, au village de la Grange, auquel elle avait sans doute donné son nom, et qui est situé entre le faubourg de la Cueille et la Peloquinerie. (Voir au chapitre Poitiers extrà muros l’article le Porteau.) L’église de la collégiale, qui était construite en face de la rue de la Trinité, n’offrait du reste de remarquable qu’un cul-de-lampe qui ressemblait à une immense stalactite sculptée s’abaissant de la clef de la voûte.

Cet appendice avait paru d’une hardiesse si téméraire, qu’on avait cru prudent de le faire soutenir par un arceau supplémentaire. C’était une précaution inutile, car la coupe des pierres et l’agencement des nervures qui le tenaient suspendu au sommet de la voûte en avaient fait une œuvre d’une solidité inaltérable, constatée lors de sa démolition.

Les Filles-de-Notre-Dame, autrefois la Trinité. — Au coin de la rue de la Trinité, s’élève une construction toute moderne, dans laquelle il ne faut point chercher autre chose que l’emploi d’un vaste terrain sur lequel on a élevé de grands corps de bâtiments percés de grandes fenêtres.

La chapelle elle-même, malgré les dépenses qui y ont été faites et le luxe qui y règne, offre trop de prise à la critique. Il est bon néanmoins de la visiter, si elle est ouverte ; il y a toujours quelque chose à y gagner pour un homme de goût.

Dans ce vaste enclos, dont une partie, devenue propriété particulière, sert aujourd’hui d’habitation et de terrain de culture à un grand nombre de jardiniers fleuristes, s’étendaient autrefois les possessions de l’abbaye de la Trinité, qui fut fondée, disent les auteurs, en dedans de l’enceinte romaine, par Adèle, fille d’Édouard Ier, dit l’Ancien ou le Vieux, roi d’Angleterre, et troisième femme d’Ebles Manzer, comte de Poitou, laquelle y embrassa l’état monastique et y fut enterrée.

Nous avons vu qu’elle y adjoignit la collégiale de Saint-Pierre-Puellier, qui ne fut pas toujours d’accord avec sa suzeraine, car des contestations sans nombre surgirent entre les religieuses et les chanoines.

Cette fondation, confirmée par le roi Lothaire en 963, reçut des développements successifs, subit les chances communes à tous les établissements de ce genre, et existait encore néanmoins, à l’époque de la Révolution.

Les bâtiments, abandonnés alors par les pieuses filles qui les occupaient, reçurent une destination en harmonie avec le goût de l’époque. En ce temps de large liberté, les prisons ne suffisant pas à contenir tous ceux que l’on tenait à y enfermer, l’abbaye de la Trinité devint une prison de.... suspects.

Vendue et livrée bientôt après, elle fit place à une vaste maison particulière, qui a été démolie à son tour et noyée dans les immenses constructions actuelles. Plusieurs édifices religieux héritèrent de ses dépouilles ; nous avons vu la fermeture de la porte de son église décorer celle des Carmélites : nous verrons bientôt son riche autel à l’église cathédrale, et un groupe fort curieux du Sauveur au tombeau, à l’église de Notre-Dame-la-Grande.

Disons un mot maintenant de la congrégation religieuse qui occupe aujourd’hui l’ancienne abbaye de la Trinité.

Les Religieuses Filles de Notre-Dame ont commencé à Bordeaux, où elles ont eu pour fondatrice la vénérable Jeanne de Lestonnac, dont la cause de béatification se poursuit actuellement à Rome.

Cette sainte femme se proposa d’établir un Ordre enseignant qui pût préserver les jeunes filles du venin de l’hérésie et de l’esprit du siècle. L’Ordre fut, sur la demande du cardinal de Sourdis, archevêque de Bordeaux, approuvé par le pape Paul V le 7 avril 1607, et affilié à l’Ordre de Saint-Benoît, par ordonnance du cardinal, le 29 janvier 1608.

La maison de Poitiers fut fondée par la vénérable de Lestonnac elle-même, le 1er mai 1618, et occupa l’emplacement et les bâtiments où nous verrons bientôt la gendarmerie départementale. C’est dans la communauté de Notre-Dame de Poitiers que fut élevée Mlle Louise Trichet, fondatrice des Filles de la Sagesse, dont il sera parlé plus tard.

Dispersées en 1792, les Religieuses de Notre-Dame rentrèrent en communauté, le 29 septembre 1802, dans la maison du prieuré de Sainte-Radégonde, où elles sont restées jusqu’au 15 octobre 1841, époque à laquelle elles se sont établies où elles sont présentement. La chapelle a été consacrée par Mgr Guitton le 30 avril 1844.

Les supérieures de la maison de Poitiers s’y sont succédé sans interruption depuis 1620. La supérieure actuelle est la 32e. L’Ordre compte aujourd’hui 32 maisons en France, 12 en Espagne, 3 dans les États pontificaux, dont une à Rome, et 6 en Amérique. Celle de Poitiers est florissante et réunit sous une habile direction un grand nombre d’élèves.

La Résurrection. — Près de l’abbaye de la Trinité, s’élevait autrefois une petite et insignifiante église, du nom de la Résurrection, qui avait été primitivement bâtie aux frais de Frotier, chanoine de la cathédrale, et consacrée le 12 novembre 937 par Alboin, évêque de Poitiers. Le monastère fut, dès l’origine, donné à l’abbaye de Saint-Cyprien, dont il était un prieuré.

C’était, avant la Révolution, l’une des 24 paroisses de la ville ; elle comptait 400 communiants ; mais elle était alors à la nomination des Religieuses de la Trinité. Le chevet de son église était bâti sur les murs de l’enceinte de la ville.

Des Filles-de-Notre-Dame à Saint-Simplicien. — En quittant les Filles-de-Notre-Dame, suivons, pendant quelques instants, sauf à revenir sur nos pas, la rue à gauche, en remontant brusquement au nord : elle se nomme rue Raison-Partout.

Que signifie ce nom bizarre ? Nous ne saurions le dire : mais si vous jetez les yeux sur cette vaste maison, à gauche (no 1), qui était autrefois l’hôtel de la famille Dansais de la Villatte, vous lirez, sur les créneaux inoffensifs qui protègent sa pacifique entrée, ces mots : Tout par raison 1581 raison par tout.

On prétend qu’à Provins en Champagne, plusieurs maisons portent cette inscription, dont nous ne saurions expliquer le sens, chez nous, autrement que par sa date même. Elle indique, en effet, l’époque où la Réforme attribuait à la raison un rôle qui permettait de lui consacrer, en style lapidaire, un pareil aphorisme.

Puisque vous voyagez, ami lecteur, si jamais vous alliez à Provins, n’oubliez pas notre embarras d’aujourd’hui, afin de soumettre aux sphinx champenois l’énigme poitevine.

Revenons sur nos pas et suivons la rue qui se bifurque avec celle-ci, le long de la chapelle des Filles-de-Notre-Dame. Après quelques minutes de marche, nous arrivons à une autre rue qui coupe à angle aigu la rue Roche-d’argent, et qui se dirige vers le sud : c’est la rue de Saint-Simplicien, qui aboutit au plan de ce nom.

Saint-Simplicien. — Ce plan, établi sur l’emplacement d’un ancien cimetière appelé, dès 1327, le cimetière des Haumosniers, avait autrefois près de lui une église qui a été démolie, et sur l’emplacement de laquelle se trouve aujourd’hui une école de filles tenue par les Sœurs Filles de la Sagesse.

C’était une des 24 paroisses de la ville : elle ne comptait que 250 communiants, mais elle était l’objet d’un pèlerinage particulier. Saint Simplicien avait été, selon la tradition, décapité près de là, dans un pré voisin du pont Cyprien, et l’on montrait, à gauche de ce pont, en sortant de Poitiers, un trou qui y avait été creusé par le poids de la tête du saint. Or, au jour de la fête de saint Spicien (comme disait et comme dit encore le peuple), un grand nombre de pèlerins venaient de plusieurs lieues à la ronde mettre la tête au trou et toucher du front l’excavation miraculeuse, afin de se guérir de la migraine et d’autres maladies analogues.

Le trou est aujourd’hui couvert des terres qui ont nivelé le sol.

Du plan Saint-Simplicien, une rue se dirigeait autrefois en droite ligne vers la rue d’Argent, à laquelle elle se réunissait au point qui forme le retour d’équerre. Cette rue se nommait de Saint-Pélage, du nom d’une église assez ancienne possédée dès 1119 par l’abbaye de la Trinité, ainsi qu’il résulte d’une Bulle du 28 août, donnée par Calixte II.

La paroisse de Saint-Pélage ayant été réunie, en 1636, à celle de la Résurrection, les Religieuses de la Trinité obtinrent, en 1638, que la rue Saint-Pelage, fort mal habitée alors, fût réunie à leur enclos. Nous l’indiquons sur notre plan. La rue d’Argent, à laquelle elle aboutissait, devait peut-être son nom à la situation des ateliers monétaires. En tout cas, aujourd’hui, ce nom est une sanglante ironie.

Si vous ne craignez pas les marches et contre-marches, puisque nous avons parlé du pont Saint-Cyprien, qui se trouve à quelques pas de nous, descendons par la rue Saint-Simplicien jusqu’au boulevard de Saint-Cyprien, tournons à droite, et bientôt nous apercevions l’objet de nos recherches.

Le portail avait été abattu pendant le siège de 1569 : il fut refait en 1573 par les soins du maire de Poitiers, de Lauzon, et coûta 7 000 livres. Ces petits trous ronds symétriquement tracés au vilebrequin, qui décorent les pierres de taille de cette porte, et qui avaient engendré ce dicton populaire poictevin « picoté comme la porte de Saint-Cyprien », vous paraîtront sans doute trop régulièrement espacés pour être l’œuvre des balles lancées par les soldats de Coligny : c’est pourtant ce que vous aurez peine à faire croire à quelques ingénus de notre siècle de lumières.

Cette porte, condamnée par le corps municipal dès 1788, et sauvée par une opposition du comte d’Artois, prince apanagiste du Poitou, a été démolie sous la Restauration, pour donner un passage plus facile aux charrettes chargées. Le pont, œuvre fort maussade, était autrefois comme tous ceux de la ville décoré d’une statue de la sainte Vierge, en mémoire de la protection éclatante qu’elle avait accordée à la cité dans les jours de danger. Nous lirons le récit de ce fait miraculeux dans le cours de notre promenade. Revenons maintenant au plan de Saint-Simplicien.

Sur ce plan dans une maison située à gauche en remontant, nous verrons, si vous le désirez, un des échantillons les plus anciens de cette curieuse enceinte romaine, dont le caractère, si étrangement bizarre, justifiera à vos yeux ce que nous en avons dit dans notre introduction.

Après avoir examiné avec soin ces témoignages des luttes passées, nous reprendrons en montant notre rue Saint-Simplicien, et sur notre droite, au no 15, nous apercevrons les traces d’un récent badigeon de lait de chaux. Il recouvre la figure d’un éléphant, autrefois assez grossièrement barbouillée sur le mur. Cette figure, moderne elle-même, avait été superposée sur une peinture beaucoup plus ancienne, qui représentait le même sujet. C’était l’enseigne de l’auberge de l’Eléphant, dans laquelle, d’après une tradition religieusement transmise de père en fils, Henri de Navarre vint passer une nuit, tandis que la Ligue armait encore contre lui le roi Henri III.

Si vous nous demandez pourquoi le Béarnais faisait une telle escapade, nous nous empresserons de prévenir toute mauvaise pensée à l’encontre du vert-galant. Il venait, ce n’est pas douteux, pour s’entretenir avec Diane de France, duchesse de Châtellerault, sa belle-sœur, des grands intérêts que cette femme illustre avait pris entre ses mains, et qui devaient être bientôt sauvegardés, pour le bonheur du pays, par la réconciliation qu’elle sut amener entre le roi de France et son successeur.

C’est ainsi que l’un des faits les plus heureux qui aient été ménagés par la Providence à son royaume de prédilection se rattache directement à l’humble maison du pauvre quartier de Saint-Simplicien de Poitiers.

Religieuses de la Visitation. — En poursuivant notre course, à l’extrémité de la rue Saint-Simplicien, au point où elle est coupée par la rue des Jardiniers, nous apercevons, sur la main gauche, un monument dont l’aspect extérieur annonce la destination. C’est un monastère.

C’était autrefois la sous-chantrerie de l’église cathédrale. Elle est habitée aujourd’hui par les Religieuses de la Visitation, privées, par la confiscation révolutionnaire, du couvent qu’elles possédaient à l’autre extrémité de la ville, et qui forme aujourd’hui comme nous l’avons vu, la prison départementale. (V. page 37.)

C’est ici le lieu de compléter en quelques mots l’histoire trop succincte que nous avons donnée, en la page 37, de l’établissement à Poitiers des filles de sainte Chantal. Elles furent appelées dans cette ville par Mlle Chateigner de la Roche-Posay, sœur de l’évêque de Poitiers de ce nom, laquelle, après avoir été élevée dans la religion réformée par sa mère, protestante zélée, se convertit à 18 ans et convertit sa mère à l’âge de 84 ans.

A la mort de celle-ci, arrivée huit années après, elle se retira au couvent de la Visitation de Bourges, d’où l’affection de son frère, aidée du concours de l’évêque de Châlons et de l’archevêque de Bourges, neveu et frère de sainte Chantal, la détermina à venir fonder à Poitiers même une maison de cet Institut, et le contrat de cette fondation fut signé à Châlons le 13 juin 1633.

Le 13 août 1633, l’évêque de Châlons acheta en son nom le premier logement occupé par les Religieuses (rue des Arènes, comme nous l’avons dit), et, après les nombreuses épreuves qui accueillirent, à son début, la première Supérieure (Mme de Lâge de Puylaurent), cette œuvre obtint le succès dont elle était digne.

Nous avons vu, p. 37, par quelles étapes les pieuses filles de sainte Chantal sont passées pour arriver dans l’humble asile qu’elles occupent aujourd’hui. Il est bon de s’y reporter pour compléter l’ensemble de notre récit.

Religieuses de Sainte-Croix. — A l’extrémité de la rue qui suit à droite, et sur la main gauche, nous voyons briller au-dessus d’une porte neuve une modeste croix de pierre. Les bâtiments compris dans cet espace étaient autrefois ceux du Doyenné de la cathédrale. C’est là que se sont retirées, depuis le Concordat, les pieuses filles de sainte Radégonde, débris vénérables de l’antique et célèbre abbaye de Sainte-Croix, dont nous allons bientôt retracer l’histoire. Pour le moment, nous nous bornerons à vous engager à aller visiter la chapelle tout nouvellement construite, dont le clocher gracieux vous indique l’entrée. C’est un édifice qui fait honneur à l’architecte (M. Ferrand), lequel a su, en empruntant au XIIIe siècle ses inspirations, faire une œuvre à laquelle l’exiguïté forcée de l’ensemble n’enlève rien du mérite réel de ses heureuses proportions.

« Quand cette chapelle sera terminée, quand on aura restitué à son chœur la grille en fer que l’abbesse Marie-Thérèse-Radégonde de Baudéan de Parabère avait fait exécuter pour l’ancienne chapelle de Sainte-Croix, et qui est une œuvre remarquable de la serrurerie du XVIIIe siècle bonne à conserver, malgré cette jeunesse relative, comme une sorte de monument historique, ce sera un des sanctuaires de Poitiers les plus dignes de fixer l’attention.

« Il sera, en effet, le dépositaire des trésors qu’aimeront à voir les yeux du touriste simplement curieux, et que voudront surtout vénérer les cœurs chrétiens. » Ce futur de notre 2e édition est, aujourd’hui, le présent.

Les filles de sainte Radégonde sont assurément les plus pauvres des servantes du Seigneur ; mais elles sont riches des objets précieux qu’elles rattachent au souvenir glorieux de leur royale fondatrice.

Elles montrent avec respect un petit pupitre en bois de chêne dont se servait, dit-on, la reine de France, et, ni le genre de sculpture ni les sujets mis en relief par le ciseau de l’artiste sur ce meuble plusieurs fois séculaire n’autorisent à repousser dédaigneusement le témoignage respectable d’une longue tradition.

Ce pupitre a 10 cent. de hauteur sur le devant, 16 à la partie postérieure, 20 cent. de large sur 22 de profondeur.

Aux quatre angles les symboles des évangélistes, sur les côtés l’image de la croix, en haut et en bas les colombes symboliques, au milieu l’agneau divin : tel est l’ensemble de cette composition simple et bien ordonnée, dont notre gravure reproduit du reste très-fidèlement l’image.

Il en est de même de la croix de fer que la tradition encore désigne comme ayant servi à sainte Radégonde pour les mortifications qu’elle s’imposait en appliquant sur ses chairs déjà amaigries par la pénitence cette croix rougie au feu.

Elle a quatre branches presque égales et douze centimètres de hauteur. — On croit que les trous dont elle

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est inégalement percée servaient à fixer des pointes aiguës destinées à pénétrer dans les chairs.

Elle est encore aujourd’hui, de la part des malades, l’objet d’une pieuse confiance.

Nous dirons plus loin (Voir l’article sur l’abbaye de Sainte-Croix) comment les héritières de Radégonde se trouvent aujourd’hui en possession de ses plus insignes reliques ; bornons-nous, en ce moment, à décrire le monument que l’art moderne a su consacrer à ces restes vénérés.

Exécutée à l’aide d’une souscription qui fut aussitôt remplie, et qui a permis de la rendre digne de son objet, la châsse des reliques de sainte Radégonde n’est pas destinée cependant à briller par le prix de la matière dont elle est composée ; elle est en cuivre ciselé, doré et émaillé. Sa valeur intrinsèque n’est donc pas de nature à stimuler la cupidité qui se rua jadis sur les reliquaires d’or et d’argent de nos trésors religieux : et comme, pour valoir quelque chose en dehors de la destination à laquelle elle est affectée, elle devrait conserver le caractère qui lui est imprimé et par conséquent accuser partout les mains qui en seraient sans droit dépositaires, il faut espérer que nulle tentation mauvaise ne portera désormais atteinte à ce précieux monument.

Voici sa description sommaire :

La châsse des reliques de sainte Radégonde a la forme d’une église du XIIIe siècle, et c’est à ce siècle, si remarquable pour la pureté du style, que l’on a emprunté ce genre des décorations adoptées. Les deux grandes faces ont 50 cent., les petits côtés 25. L’élévation est de 60, en y comprenant le couronnement du toit de l’édifice. Sur le rampant de la première face, deux médaillons quadrilobés, formés d’émaux de diverses couleurs, représentent : 1o saint Médard bénissant sainte Radégonde prosternée à ses pieds ; 2o le miracle des avoines. On voit le bon laboureur qui vient de jeter le grain qu’une intervention miraculeuse a fait germer et grandir au point de cacher la fugitive aux regards du guerrier qui la poursuit.

Sur la face verticale du même côté, la reine est représentée offrant à saint Pient, évêque de Poitiers, le pain que ses mains ont préparé pour le sacrifice, et elle lui dit : Iste panis non est communis cum reliquo.

Dans les petites arcades sont dessinées sainte Agnès et sainte Disciole, les compagnes fidèles de Radégonde.

Sur l’autre côté de la châsse, l’artiste a reproduit, au milieu d’ornements en tous points semblables à ceux que nous venons de décrire, les sujets suivants :

Dans les deux médaillons du rampant : 1o l’apparition de Notre-Seigneur Jésus-Christ a sainte Radégonde dans sa cellule ; 2o la mise au tombeau de la reine par saint Grégoire de Tours.

Dans la grande arcade trilobée, sainte Radégonde à genoux reçoit de saint Euphrone, évêque de Tours, la relique de la vraie croix que l’empereur d’Orient Justin le Jeune lui avait envoyée.

Dans l’une des petites arcades, l’évèque de Poitiers, saint Fortunat, est représenté tenant un phylactère sur lequel on lit le premier vers de l’hymne Vexilla regis, qu’il a composée pour la cérémonie de la réception du bois sacré, alors qu’il n’était encore que simple prêtre.

Dans l’autre des petites arcades, saint Junien tient en ses mains le cilice et la discipline que Radégonde et lui avaient échangés en témoignage de leur sainte amitié.

L’intérieur de la châsse contient une portion insigne du bras et de la tête de la sainte, ce qui est indiqué sur le plat d’un des petits côtés par un bras en haut relief, et de l’autre côté par le buste même de la reine.

Au bas du bras et du buste, une cavité garnie d’un cristal laisse apercevoir les saintes reliques.

Le blason ajoute son langage à ces symboles parlants. Les armoiries d’Alphonse de France, frère de saint Louis, comte de Poitou, et celles de Mgr Louis-Edouard Pie, évêque de Poitiers, rappelleront aux âges futurs la mémoire du prince qui fut un des plus grands bienfaiteurs de l’antique église de Sainte-Radégonde, et le souvenir du prélat auquel fut due la pensée d’offrir aux reliques de la patronne de Poitiers un monument digne d’elles. L’inscription suivante complète cet assemblage magnifique, scintillant de dorures, d’émaux et de riches ciselures :

« Hanc capsam sumptibus cleri et fidelium conditam solemniter benedixit, in « eâque sacra ossa de capite et de brachio beatæ Radegundis, apud « monasterium sanctæ Crucis servari assueta, reclusit Ludovicus Eduardus, « episcopus Pictavensis, anno Domini MDCCCLIV, operis magister et delineator « Johannes Baptista Lassus. Celavit Achilles Legost. »

« L’an du Seigneur 1854, Louis-Edouard, évêque de Poitiers, a bénit cette châsse, exécutée aux frais du clergé et des fidèles, et y a renfermé les saints ossements de la tête et du bras de sainte Radégonde, conservés à son monastère de Sainte-Croix. Elle a été exécutée sur le modèle et les dessins de J.-B. Lassus, et ciselée par Achille Legost. »

Nous devons ajouter que M. Geoffroy Dechaume, l’un des plus habiles sculpteurs de notre époque, a fait les deux grands reliefs du bras et de la tête, et que M. Stheineil, dessinateur des cartons des vitraux de la Sainte-Chapelle de Paris, a dessiné les quatre sujets en émail qui décorent les deux rampants du toit de la châsse.

Ces deux artistes éminents, à l’exemple de M. Lassus, le savant architecte restaurateur de la Sainte-Chapelle et de la cathédrale de Paris, ont ajouté au mérite de leur œuvre celui d’une pieuse générosité.

Mais ce qui dépasse de beaucoup la valeur de ces objets, si précieux pourtant, c’est le morceau considérable du bois de la croix du Sauveur que l’empereur d’Orient Justin le Jeune envoya à sainte Radégonde, et que ses saintes filles conservent encore. Les pierres du Levant, les lames d’or qui couvraient le don impérial ont disparu en 93 pour enrichir quelques mains sacriléges ; mais le vrai trésor a toujours été protégé contre d’indignes profanations, et ce titre authentique, auquel elles doivent le beau nom qu’elles portent, les Religieuses de Sainte-Croix de Poitiers le regardent avec raison comme la plus belle portion de leur héritage.

Avant de quitter ces lieux bénits, demandez qu’on vous indique le dépositaire de la clef du temple Saint-Jean. Ce vieux voisin des Religieuses de Sainte-Croix mérite autre chose qu’une simple visite de cérémonie.

Temple Saint-Jean. — Nous sommes maintenant en face d’une véritable célébrité archéologique, qui a soulevé de graves discussions entre les plus savants, et a fourni aux opinions les plus opposées l’occasion de se produire.

S’il n’est pas résulté de ces luttes pacifiques une solution que l’on doive accepter comme un point de loi incontestable, il en est rejailli du moins sur le monument lui-même une sorte d’auréole qu’il perdra peut-être à vos yeux au premier aspect, mais qu’un examen plus réfléchi lui restituera bientôt.

Et pourtant, malgré cette importance réelle, malgré les titres qu’il pouvait faire valoir en faveur de sa conservation, ce monument précieux eut un jour besoin d’emprunter la voix éloquente du roi de notre barreau poitevin (M. Boncenne) et des hommes d’intelligence rangés sous sa bannière, pour obtenir grâce devant les rigueurs de la ligne droite et les exigences de la petite voirie.

N’allez pas croire pourtant, — et, votre plan à la main, vous en conviendrez avec nous, — qu’il fallût absolument, comme aucuns le prétendent à mal, comprendre le vieux temple entre deux parallèles bâties qui auraient réuni la rue Bourbon-Orléans au Pont-Neuf ; non.

Des convenances plus ou moins convenables avaient rendu nécessaire une rue tortueuse quand même, sans doute afin de ne pas renoncer à la louable coutume en vigueur de temps immémorial dans notre bonne ville, ainsi que vous pouvez juger vous-même, ami lecteur, d’après les échantillons qui sont passés sous vos… pas. Tel est l’exposé vrai du fait qui sert, bien à tort, vous le voyez, de texte aux déclamations rectilignes des antiquaires.

Et cependant, un jour, s’il eût dépendu d’un maire de Poitiers que ce vieux reste du passé pût disparaître, il en serait de lui, aujourd’hui, comme de l’amphithéâtre : il ne serait plus.

Nous n’oublierons jamais ni l’irritation inexplicable du chef de la cité, le jour où, par-devant M. le préfet de la Vienne, — c’était alors M. d’Imbert de Mazères, — se plaidait, fort placidement de notre part, la question de vie ou de mort du doyen des monuments religieux de la catholique France, ni cette menace étrange : « Nous verrons bien, Monsieur, qui de nous deux l’emportera. »

Ce qui faillit l’emporter ce furent — et nous le consignons ici comme un fait à garder — ce furent les roues des charretiers avinés, qui durent à une surveillance singulièrement endormie, de pouvoir, sans répression, briser, en passant, les bornes protectrices que nous avions fort prudemment fait poser à l’angle le plus menacé du monument, que nous dûmes faire replacer de nouveau, et puis encore après, en les reliant entre elles par des armatures en fer.

Inutile de raconter comment ensuite, dans les premiers jours de la république de 1848, nous dûmes demander au représentant du gouvernement d’alors — M. Paul Mabrun — sa protection dans un cas extrême qui ne se produisit point, malgré de misérables excitations.

Le bon esprit de notre population rendit inutile, fort heureusement, une énergie sur laquelle il ne nous était vraiment permis de compter que dans une certaine mesure.

Les temps et les hommes sont changés ! Quand on a vu l’État, appréciant à sa juste valeur le monument qu’il avait racheté et pris sous sa protection spéciale, lui consacrer d’importantes allocations destinées à le faire revivre, au lieu de l’abandonner à une lente mort — que souhaitaient, il faut bien le dire, un grand nombre, — on a compris enfin qu’il y avait réellement quelque chose de plus digne d’une cité renommée comme centre intellectuel, que des vœux inintelligents ou un mauvais vouloir ridicule.

Sous l’inspiration de ce sentiment honorable, les représentants de la ville, répondant à une généreuse impulsion, ont voulu s’associer largement à la pensée du gouvernement, en mettant à la disposition de leur chef des crédits suffisants pour dégager les abords du monument et concilier sa conservation, désormais assurée et bien accueillie, avec les exigences de la circulation publique.

Telle est l’origine des travaux qui s’exécutaient au moment où se publiait notre 2e édition, et qui sont aujourd’hui complètement achevés.

Et maintenant, étudions le monument lui-même et disons son histoire.

Nous allons d’abord examiner avec soin son aspect extérieur, et faire la part aux divers siècles.

Aux plus anciens appartient le bâtiment rectangulaire, ce que Dufour appelle le quadrifrons ; aux derniers, la façade si pauvre du côté de la porte, avec son campanile rustique.

Remarquons ce système de maçonnerie bizarre composée de couches de larges pierres plates et de briques, dont l’emploi dans les décorations des frontons constitue une sorte de construction polychrôme. Ces pilastres noyés dans la maçonnerie ne brillent pas précisément par leur aplomb et leur à-propos. Notons par quel artifice fort peu ingénieux les fenêtres en plein cintre sont devenues plus tard des oculus.

Des antiquaires font remonter l’époque de la construction de ce monument au règne de Gallien, vers la fin du IIIe siècle, et ils pensent qu’il fut consacré à la mémoire de Claudia Varenilla, épouse du gouverneur de la province aquitanique, dont il serait le tombeau. Ce serait là le monument public qui fut décerné par la ville de Poitiers élevé par Censor Pavius et à ses frais à son épouse, et où fut érigée sa statue, ainsi que le constate une inscription gravée sur le marbre funéraire, que vous verrez plus tard au musée des antiquités de l’Ouest.

D’autres auteurs estiment, malgré cette inscription, que le temple Saint-Jean ne saurait être attribué à une pareille destination, et qu’il fut dès l’origine, un temple chrétien. Ces diverses thèses ont été soutenues par les plus savants adeptes de l’archéologie ; nous n’avons donc point la prétention de nous ériger en juge-suprême entre nos maîtres ; mais il nous sera permis, sans doute, d’avoir notre opinion et de la résumer en peu de mots.

Il faut écarter d’abord, dans l’appréciation de l’architecture du temple Saint-Jean, la nef ajoutée après coup du Xe au XIe siècle peut-être.

Les peintures et fresques, même celles du haut, auxquelles on avait voulu attribuer un caractère particulier beaucoup plus ancien et beaucoup moins chrétien qu’à celles qui décorent la partie inférieure, sont également, à notre avis, postérieures à la construction de la nef, et sont aussi en harmonie avec le symbolisme connu et employé dans les édifices religieux d’une époque reculée, mais qui ne nous parait pas de beaucoup antérieure au XIe siècle.

Quant à l’appareil même de la construction primitive de l’édifice, il nous semble appartenir à la période gallo-romaine où l’on bâtissait encore des monuments importants romano more.

Nous avons lu, dans le recueil manuscrit de D. Fonteneau (nous ne citons point la page, mais le fait est exact), une note qui autoriserait à croire que le temple de Saint-Jean fut construit avec les débris mêmes de l’amphithéâtre romain.

Or, nous l’avons dit à propos de ce monument, ce fut vers le VIe siècle que dut être consommé cet acte de destruction, impossible tant que le peuple-roi, ses jeux et même le souvenir de sa grandeur pesèrent sur les vaincus, mais qui devint facile au moment où la décadence de l’empire romain réveillait, avec des idées d’indépendance nationale, le mépris qu’une religion nouvelle vouait aux temples des faux dieux et aux arènes, où avait été versé depuis si longtemps le sang de ses martyrs.

L’œil le moins exercé s’aperçoit, quand on entre dans le temple, qu’il est composé de pièces de rapport, de chapiteaux en complète inharmonie avec les fûts des colonnes qui les supportent, et qui ont dû nécessairement être enlevés à un monument d’un style et d’un goût plus purs, pour orner les murailles nues d’un monument usurpateur.

Cette observation, justifiant au besoin la note du savant bénédictin, sape par sa base le système qui consacre à Varenilla un tombeau que nos pères n’ont point élevé pour elle. Et, en effet, ce tombeau eût été construit à une époque où le goût et l’observation des règles de l’art étaient encore en vigueur, — IIIe siècle — et il n’eût pas manqué, dès lors, de présenter, dans son ensemble et dans ses détails, un caractère d’accord avec les exigences de l’art romain.

D’ailleurs, les signes du christianisme brillent là dans toute leur splendeur, non-seulement sur le fronton méridional, décoré de la croix du Christ, mais encore sur les chapiteaux près de l’abside, qui sont ornés du poisson symbolique (ἰχθυς, monogramme de Ιησοῦς Χριστὸς Θεοῦ Υἱὸς Σωτήρ).

Nous inclinons donc vers l’opinion des écrivains qui voient dans le temple Saint-Jean un monument construit près de l’église cathédrale (qui a toujours été placée où elle est aujourd’hui), consacré dès son origine au culte chrétien, à la cérémonie du baptême par immersion, et plus tard par infusion, un baptistère enfin.

La piscine octogone, la tradition, le nom du Saint sous le vocable duquel il se trouve placé, l’absence de preuves positives pour justifier qu’à une époque reculée on y ait fait déposer l’inscription funéraire de Claudia Varenilla (que nous y avions fait transporter en 1836 seulement, de la cathédrale où elle se trouvait alors), tout semble concourir à démontrer la justesse de cette attribution.

Loin d’avoir rien à changer au texte qui précède, et qui est celui de notre première édition, nous devons déclarer au contraire, et non sans une certaine satisfaction qui sera comprise des lecteurs, que les travaux importants faits en vue de la restauration du monument depuis que nous écrivions ceci, ont complètement justifié nos appréciations.

Ces travaux, en effet, nous ont livré, dans les entrailles mêmes du sol, au nord et au sud, les fondations de ce que nous ne pouvons appeler d’un autre nom que du nom d’absidioles, et les restes du béton et des mosaïques formant le pavage intérieur primitif, et dépassant du côté de l’ouest les arcades bâties du Xe au XIe siècle, et par conséquent le quadrifrons. Ces travaux nous ont offert les traces de maçonnerie gallo-romaine le long du mur de ce pronaos ; ils ont mis à nu le canal qui, du côté de l’Ouest, conduisait dans la piscine l’eau du baptême, et celui qui lui servait à l’Est de décharge, — N’est-ce pas, dès lors, une question désormais jugée, non point par nous, mais par les faits ?

Oui, c’est bien là le plan chrétien complet, avec son symbolisme, avec son orientation liturgique, avec tous ses caractères religieux irrécusables, et que seuls pourraient nier, à l’avenir, ceux qui n’auraient pu voir ce que nous voyons. C’est bien là, enfin, le baptistère de la cité d’Hilaire et de Martin, placé à côté de l’église épiscopale, à côté de la cellule du soldat de Pannonie, à côté de la propre demeure de l’illustre maître du saint catéchumène, et où, à partir du VIe siècle, croyons-nous, nos pères durent recevoir l’eau de la régénération, que nos enfants trouveront bientôt encore, nous l’espérons du moins, dans ce temple, lui-même régénéré.

Un mot sur les fresques de l’intérieur. On les trouve superposées à plusieurs couches, ce qui autorise à penser que l’édifice dut en être décoré à une époque bien ancienne. Celles qui existent ont un caractère vraiment intéressant pour l’étude de l’art. Les moins modernes sont celles qui tapissent le carré long où se trouve la piscine ; elles sont peut-être du Xe au XIe siècle : celles de l’abside nous paraissent offrir les caractères propres au XIIIe siècle ; mais elles recouvrent des compositions de la même époque que les précédentes.

Avant la Révolution, l’église de Saint-Jean portait le titre d’abbaye et de paroisse ; mais l’office divin ne s’y célébrait que le 24 juin, jour de la fête de saint Jean-Baptiste. Le nombre prétendu des communiants était de 25.

Elle devint plus tard une fonderie : sa piscine semblait faite pour cela ; puis un fourneau pour les soupes économiques : cette piscine s’y prêtait encore mieux ; enfin elle était une décharge de la cathédrale au jour où un homme intelligent (M. le préfet Alexis de Jussieu) l’enleva à ces indignes usages, et la sauva (1834) au prix de 7 032 fr., y compris les frais d’appropriation et de premier établissement du Musée, qui y fut établi en 1836.

Ce fut plus tard qu’eut lieu la lutte dont nous avons dit plus haut les détails et l’issue. En 1852, sous le ministère de M. de Morny, une première allocation, suivie de plusieurs autres (de 1853 à 1859), fournit à M. Jolly-Leterme, l’habile architecte de la commission des monuments historiques, les moyens d’exécuter, comme il le sait faire, la complète restauration du monument, laquelle fut opérée après les études les plus sérieuses et avec l’approbation des hommes les plus compétents.

On a suivi avec une exacte fidélité, dans la reconstruction des absidioles, l’appareil et les lignes indiquées par la portion de ces membres de l’édifice retrouvée intacte à sa base, au-dessus de ses fondations, comme il est encore facile de s’en assurer aujourd’hui.

La couverture est un recouvrement en dalles comme l’antiquité les pratiquait, avec joint recouvert formant larmier d’une assise sur l’autre, pour empêcher les eaux de rentrer par les lits des assises. Les édifices grecs et romains ont été couverts presque tous ainsi à l’origine, et les dalles de pierre, qui, dans notre Poitou, étaient posées à plat sur les voûtes de nos absides de Civray, Chauvigny, etc., avec moins de précaution et plus grossièrement, il est vrai, n’étaient autre chose que l’emploi de ce système primitif.

Les contre-forts ont été retrouvés dans les fouilles, existant encore à 0m60 de hauteur, et les arrachements qu’on voyait autrefois sur le parement des murs aux arêtiers, dans toute la hauteur de l’édifice, et qui, jusqu’à la découverte des bases des contre-forts, avaient été pour nous une énigme insoluble, devinrent parfaitement intelligibles et indiquèrent, sans qu’un doute fût désormais possible, le système des contre-forts.

Ce système était, du reste, employé dans la construction des édifices de cette époque et antérieurement. Ainsi les murs de l’Agora d’Adrien, à Athènes, sont soutenus par d’énormes contre-forts, si saillants qu’entre eux on a établi des logettes pour les marchands.

Les piédestaux des arènes de Nîmes, jusqu’au 1er étage, où ils se convertissent en colonnes, ne sont pas autre chose que des contre-forts.

L’architecte qui a restauré le temple Saint-Jean, guidé par les traces irrécusables que lui livrait le monument confié à ses soins, n’a donc rien inventé ni rien ajouté ; il s’est borné à refaire ce qui existait dans le passé.

Quant à la toiture, il a adopté un système général dont l’histoire de l’art nous fournissait l’ensemble, et dont les détails ont pu être copiés sur nature.

Ainsi ces tuiles plates (tegulæ), ces tuiles courbes (imbrices), dont l’agencement habile protégeait nos pères et leurs vainqueurs contre les fréquentes averses d’un climat pluvieux ; ces antéfixes à masques fleuronnés, qui dissimulent si heureusement un vide désagréable à l’œil, tout en dessinant une ligne d’ornementation sévèrement gracieuse, tout cela a été moulé par le potier sur des types gallo-romains exhumés du sol poitevin, et dont vous trouverez bientôt les originaux dans notre musée d’antiquités.

Eh bien ! n’est-il pas vrai que l’ensemble né de tous ces détails présente un caractère sui generis que vous n’avez vu nulle part ailleurs ? N’est-il pas vrai, dès lors, que ceux-là ont été deux fois patriotes qui, au risque de quelques pauvres lazzis, ont su conserver ce curieux spécimen de l’art chez nos pères à leur double patrie : au Poitou, à la France ?

Chapelle de Saint-Martin. — En quittant le temple Saint-Jean, il faut tourner à droite et s’engager dans une ruelle aboutissant à une des portes latérales de l’église cathédrale. Après quelques pas seulement, nous apercevrons, sur la main droite, une chapelle.

Ce fut là que, selon la tradition la plus respectable, consignée dans les plus anciens auteurs, saint Martin vécut à côté de saint Hilaire, lorsqu’il vint demander à l’illustre évêque l’enseignement de la vérité et le baptême.

Sur ce sol sanctifié s’éleva, dès les temps les plus reculés, une chapelle agrandie plus tard, puis ruinée, et que Mgr Louis-Édouard Pie, si justement jaloux de la conservation de tous les souvenirs du grand passé de la sainte Église de Poitiers, a fait récemment reconstruire dans l’enclos dépendant de la maison des Religieux Oblats de Saint-Hilaire (dont nous allons parler bientôt).

Dans ce modeste oratoire, sur la pierre des chapiteaux et des consoles qui soutiennent la retombée des arcs-doubleaux, vous verrez, écrite par le ciseau d’habiles et pieux sculpteurs, l’histoire du saint personnage qui préludait là, il y a quinze siècles, aux actes de sa vie merveilleuse, et vous remarquerez qu’il n’est question en effet, dans ce livre de pierre, ni du moine, ni de l’évêque, mais du soldat de Pannonie, du converti, du catéchumène, du nouveau chrétien. Pour suivre la deuxième grande phase de la vie poitevine du disciple d’Hilaire, vous devrez quitter les murs de Poitiers, et aller à Ligugé, à quelques kilomètres de là, chercher la trace, vivante aussi, du fondateur de la vie monastique en Occident.

Nous vous avons dit que cet oratoire de saint Martin est sorti d’hier des mains de ses pieux constructeurs, et pourtant il porte déjà sur ses plus délicates décorations l’empreinte de mutilations détestables. Vous aurez peine à croire qu’elles soient dues à des enfants de la cité, que l’on connaît et qui les ont méchamment commises.

L’esprit de charité est une belle chose ; nous comprenons aussi que l’on recule devant l’application rigoureuse du code pénal à des faits qui imposent aux parents une grave responsabilité ; mais enfin, puisque, dans ce siècle de progrès en toutes choses, on n’a pas encore pu obtenir que le sentiment seul de l’art protégeât ce que devraient faire respecter de plus saintes pudeurs ; puisque le code pénal français n’admet pas la punition qui devrait être infligée sur la place publique à de coupables drôles, eh bien ! qu’on se serve du code pénal tel qu’il est, et qu’on attache au pilori de l’opinion publique les noms de ceux qui commettent de pareilles choses et de ceux qui les ont rendues possibles par les lâchetés d’une mauvaise éducation !

Saint-Hilaire-entre-les-Églises. — A côté de la chapelle de Saint-Martin se trouve l’antique sanctuaire dont le nom est dû à sa situation et au vocable sous lequel il fut placé dès son origine.

Il est évident pour nous que la première église, l’Ecclesia matrix de Poitiers, qui fut élevée à Dieu quand cessa la persécution païenne, fut établie là où se trouve aujourd’hui la cathédrale de Saint-Pierre, et que l’évêque dut résider à côté de ce sanctuaire.

Rien n’est donc plus naturel que de croire à la vérité de la tradition qui nous dit que saint Hilaire habitait au lieu même où s’éleva plus tard l’église qui fut placée sous le vocable du grand docteur, et qui, à raison de sa position entre la cathédrale et le baptistère de Saint-Jean, s’appela Saint-Hilaire-entre-les-Églises.

A part les souvenirs si précieux qui se rattachaient à cet humble monument, il n’avait rien qui méritât, au point de vue de l’art, de fixer l’attention.

Dès le Xe siècle, cette église, rebâtie par un chanoine de Poitiers, avait été cédée au Chapitre de la cathédrale. — Avant la Révolution, elle avait titre de paroisse et réunissait cinquante communiants.

Confisquée révolutionnairement, elle fut vendue en 1823 à la fabrique de la cathédrale, par son propriétaire d’alors, moyennant une modeste indemnité.

Elle fait aujourd’hui partie de l’établissement diocésain des Religieux Oblats de Saint-Hilaire, dont elle forme la chapelle.

Mgr Louis-Edouard Pie, évêque de Poitiers, qui tient à honneur de relever les sanctuaires détruits dans des jours néfastes, ne pouvait laisser dans la poussière des ruines et de l’oubli celui que la piété de nos pères avait élevé sur les lieux mêmes qui furent les témoins de la vie, des œuvres et de la mort du plus illustre de ses prédécesseurs.

Ils deviendront les témoins aussi des serments de ces dignes Religieux qui s’honorent du nom du grand évêque, et qui jurent d’être les plus dévoués entre les plus dévoués à tous ses successeurs.

De Saint-Hilaire-entre-les-Églises à Saint-Pierre. — Retournons sur nos pas : il convient d’aborder la cathédrale d’un autre côté que celui qui nous présente cette porte latérale d’une architecture plus que modeste : tournons à droite, suivons la rue neuve, que d’irrespectueux gamins avaient déjà nommée, à défaut de baptême légal, la rue Mal persée (l’orthographe ne fait rien au mot, il restera quand même). Tournons à droite ; nous sommes dans la rue du Coq.

Pourquoi est-elle ainsi nommée ? Est-ce en raison du coq que vous pouvez voir encore étendre ses ailes de pierre à l’angle d’une maison de la renaissance qui forme elle-même l’angle de la rue du Coq et de la rue Saint-Pierre, et sur laquelle cet emblème est sculpté en petit relief ? Ce coq était-il une enseigne achalandée, ou bien avait-il été sculpté à cause du nom de la rue ? Question oiseuse, n’est-il pas vrai, cher lecteur ? Ne vous semble-t-il pas naturel, à vous qui n’êtes peut-être pas antiquaire à trente-six karats, qu’à côté de la rue Saint-Pierre se place la rue du Coq, de même que l’emblème religieux de cet animal domestique accompagne le prince des apôtres ?

Si notre idée vous paraît plus qu’ingénieuse, nous vous permettons d’en rire. Aussi bien, depuis quelque temps, nous sommes furieusement sérieux, et Dieu sait quand vous pourrez vous dérider avec nous.

Chambre de Diane. — Vis-à-vis du lieu où s’ébat le coq dont nous vous parlions à l’instant, à l’angle opposé, à gauche, s’élève une maison portant le no 1 de la rue Saint-Paul.

Cette maison était autrefois décorée d’une façade en bois, à étages surplombant les uns sur les autres, et vous lirez dans beaucoup d’auteurs que là est encore conservée la chambre de la fameuse Diane de Poitiers, à qui elle appartenait.

Cette chambre existe en effet ; les poutrelles de son plancher sont peintes ; des entrelacs, des rosaces, des trophées composés d’un sceptre surmonté d’une fleur de lis et posé sur un arc et une flèche en sautoir, des chiffres en majuscules romaines, des initiales formant une sorte de devise, un certain luxe de dorure et de peinture sur les cheminées et sur les volets, tout cela avait fixé l’attention de nos ancêtres, et plusieurs y avaient vu le chiffre amoureux du roi Henri II :



Ce chiffre, joint à ce que le nom de Diane de Poitiers rendait présumable, de la part de cette femme célèbre, dans la ville dont elle semblait (bien à tort cependant) la suzeraine, tout cela avait porté à croire que cette maison avait effectivement appartenu à la maîtresse du fils de François Ier.

Mais un examen plus réfléchi, fait avec une sagacité profonde par l’un de nos plus érudits chroniqueurs (M. de la Liborlière), nous semble avoir démontré d’une manière évidente que le chiffre ayant été mal lu, les données artistiques et locales ayant été insuffisamment appréciées, on doit penser que la maison et la chambre attribuées à Diane de Poitiers ont été habitées par Diane de France, fille légitimée de Henri II et de Philippe Duc, demoiselle piémontaise.

Cette Diane devint plus tard duchesse de Châtellerault et d’Angoulême, gouvernante du Limousin, et elle s’illustra par son caractère et par les services qu’elle rendit à la France.

Nous en avons déjà parlé à propos de l’auberge de l’Éléphant, qui s’est trouvée sur notre passage. Il est donc inutile de s’y arrêter plus longtemps, de même que, si vous craignez d’être indiscret en frappant à la porte des hôtes actuels de l’ancien logis princier, il faut nous hâter de poursuivre notre course.

Église de Saint-Savin. — En face de la maison de Diane débouche la rue de Saint-Savin : elle doit ce nom à l’église paroissiale placée sous le vocable de ce Saint, et qui est située à 150 pas environ sur la main gauche. Cette église, qui n’offrait rien de remarquable, est aujourd’hui un magasin. La paroisse comptait 500 communiants.

A l’angle de cette rue de Saint-Savin et de la rue de Saint-Pierre, ne voyez-vous pas quelques statues grossières, encore debout dans la maçonnerie d’une sorte de grange ? C’était là l’église de Saint-Luc, mentionnée dans une bulle du Pape Gélase II donnée à Marseille, le 23 octobre 1119, en faveur de l’abbaye de Nouaillé, près de Poitiers, à laquelle cette église appartenait. Elle avait été fondée pour recevoir douze pauvres. C’est tout ce qu’en dit Dufour, et nous ne nous y arrêterons pas plus que lui.

Palais Épiscopal. — Voici la place de Saint-Pierre. À droite, l’ex-hôtel de la Préfecture, est redevenu, depuis 1870, le Palais épiscopal.

Après la tourmente révolutionnaire, il y eut un moment où il fallut loger le chef de l’administration départementale, et on l’installa tout bonnement dans l’antique demeure des évêques. L’évêque, à son tour, dut se caser où il put.

On raconte à ce sujet une anecdote que nous ne croyons pas indigne d’être conservée.

Napoléon Ier, de passage à Poitiers, fut reçu tout naturellement à la préfecture. Or, après une exhibition officielle de ses brillants fonctionnaires, au moment où l’évêque allait se retirer — c’était alors Mgr de Pradt, Ier aumônier de Sa Majesté, et il occupait non loin de là un très-modeste logis : « Monsieur l’Evêque, où demeurez-vous ? » lui dit l’empereur. — « En face de chez moi, Sire. »

Quel mot sérieux sous l’envelope légère d’une repartie qui pouvait paraître, et qui n’était peut-être, dans la bouche du prélat courtisan, qu’une réponse spirituelle !

Aujourd’hui, le successeur de Mgr de Pradt est enfin rentré chez lui, et, grâce à un échange entre l’État et le Département, le Palais épiscopal a été rendu à ses hôtes légitimes. C’est une trace de moins de ces spoliations déplorables qui ont au moins, contre le droit de propriété si vivement attaqué de nos jours, le tort politique d’offrir à des appétits sans cesse excités la leçon toujours trop bien écoutée de ce mauvais exemple : « la possession légalement tranquille du bien d’autrui ».

A partir de la grosse tour de la cathédrale, à la base de laquelle vous apercevez les traces des constructions qui y adhéraient autrefois, s’élevait encore en 1830 une clôture lourde et massive, défendue par une sorte de guichet ou poterne recouvert d’un dôme en pierre. Ce n’était pas d’un bon goût, c’était du XVIIe siècle pur sang ; mais cela avait un caractère imposant, et, au besoin, on eût pu, à l’abri de ces murailles épaisses, soutenir contre une émeute le siège devant lequel n’eût point reculé Mgr de la Roche-Posay, Evêque de Poitiers, quand il s’agissait, en 1615, de conserver à S. M. le Roi la ville épiscopale, alors dirigée par des dévouements fort douteux. Naguère, s’il eût fallu protéger la fidélité de la cité à n’importe quoi, les faibles barrières d’alors eussent été d’un très-mince secours pour l’énergie d’un Préfet, quand les tambours de Mgr de la Roche-Posay — c’est ainsi que le peuple appelait, au temps de la Fronde, le tocsin de l’église cathédrale, — eussent sonné la charge.

Église cathédrale de Saint-Pierre. — Laissons là l’Evêché-Préfecture, pour passer à quelque chose de mieux. Voici l’église cathédrale de Saint-Pierre.

C’est là que siége aujourd’hui le seul des Chapitres de Poitiers qui ait été conservé par le concordat. Avant la Révolution, il comptait environ 30 prêtres, tant dignitaires que chanoines et chapelains ou hebdomadiers. Mais ses revenus, diminués par les lourdes charges du passé et par les brèches successives qui y avaient été faites, étaient peu considérables.

Cependant, comme, malgré cette pénurie réelle, les cérémonies du culte s’y faisaient avec beaucoup de dignité, et qu’il y avait une sorte de rivalité, sur beaucoup de points, avec le Chapitre de Saint-Hilaire, le peuple appelait MM. les chanoines de Saint-Pierre, les glorieux. Ce titre se justifiait, populairement parlant, par certaines distinctions dans le costume, qui n’appartenaient pas aux autres Chapitres.

Celui de Saint-Pierre portait, l’hiver, un habit de chœur composé d’un grand manteau de drap noir, dont les devants étaient doublés de velours cramoisi, d’un camail en rotonde fermé par devant avec des boutons rouges, et terminé en arrière par une longue pointe triangulaire. Un capuchon faisant partie du camail, doublé de velours cramoisi comme le manteau, recouvrait complètement la tête. Cet habit de chœur se prenait à la Toussaint et se quittait à Pâques.

Passons au monument.

Ce parvis, qui se développe sous nos yeux, a été décoré en 1831 d’une longue suite de marches d’escalier en pierre avec bornes reliées par des chaînes de fer : il était autrefois protégé contre les envahissements de la voie publique par de forts parapets. On y voyait les lions et la chaire, signes de la juridiction qui s’exerçait devant les églises les plus importantes.

Nous verrons bientôt, devant celle de Sainte-Radégonde, un type encore assez bien conservé de ces sortes de constructions qui déterminaient l’enceinte dans laquelle se passaient certains actes religieux ou civils, ainsi que nous l’avons déjà dit, à propos de Saint-Porchaire. (V. p. 54.)

« Ce parvis est encombré aujourd’hui : des amas de matériaux de toute sorte annoncent qu’un grand travail se prépare : et, en effet, la belle rosace qui surmonte le portail va être reconstruite.

« Altérée par le fâcheux incendie qui dévora en 1681 le grand orgue, elle menaçait de s’écrouler bientôt. Espérons que cette restauration, coûteuse mais nécessaire, fournira l’heureuse occasion de restituer à la façade de notre cathédrale son véritable caractère, en déchargeant son faite inachevé des additions monstrueuses qui l’écrasent, et en la couronnant d’un fronton digne d’elle. Peut-être aussi fera-t-elle disparaître du front déshonoré de la tour principale ces quatre ignobles éteignoirs, emblème fort juste assurément de l’artiste qui les y posait naguère. »

Ainsi disions-nous… il y a 20 ans. Depuis lors, une partie seulement de ce qui se devait faire s’offre à peu près achevée aux regards du visiteur, et il faut espérer que des jours plus prospères verront l’entier accomplissement de nos vœux.

Et maintenant, en face de ce vestibule de la maison de Dieu, sursùm corda !

Sans partager complétement l’enthousiasme trop louangeur qui a présidé quelquefois à l’appréciation de cette façade monumentale, et que l’on pardonne aisément à une sorte de paternité littéraire, nous ne saurions approuver ni les dédains dont elle a été l’objet, ni le silence injurieux qui lui a ravi sa véritable place au milieu de ses brillantes rivales.

Si elle a les défauts, elle a aussi, et à un haut degré, les qualités de son époque. Au peu de symétrie de ses tours mutilées et des membres qui la composent, on peut opposer l’harmonieux ensemble de ses portails, les heureuses conceptions qui en ont inspiré les touchants détails, et l’on peut dire d’elle que, si elle a été mal jugée, c’est qu’elle aura été mal étudiée.

Ne tombons donc point dans ce reproche, et livrons-nous ensemble, cher lecteur, à un examen dont votre curiosité au moins tirera quelque profit.

Et d’abord interrogeons l’histoire du monument, demandons-lui les phases diverses par lesquelles il a dû passer : c’est un moyen sûr pour guider plus tard notre marche.

Il y a tout lieu de croire, nous le répétons, que la cathédrale actuelle de Saint-Pierre, qui a toujours été placée sous le même vocable, a été bâtie, selon les respectables traditions du catholicisme, sur l’emplacement même où fut édifiée l’église primitive dès les premiers jours de la prédication évangélique de saint Martial, l’apôtre de l’Aquitaine (1er siècle).

Elle éprouva, comme toutes les églises de Poitiers, les fortunes diverses que lui firent les guerres intestines et les invasions barbares, et fut plusieurs fois incendiée, jusqu’à ce que la piété magnifique de Guillaume le Grand, duc d’Aquitaine, la fît renaître de ses cendres en 1018. Elle fut dédiée au bout de trois années, le 15 octobre 1021.

Son étendue, restreinte alors (elle était probablement placée en ligne, le long de la même voie publique, avec celles de Saint-Hilaire-entre-les-Églises, de Saint-Martin et de Saint-Jean), ou bien encore la nature des matériaux dont elle fut composée, expliquent seules la rapidité de sa construction et celle de son anéantissement.

En effet, après avoir été témoin, pendant le XIe siècle, de plusieurs faits importants, après avoir vu se réunir des conciles, après avoir été visitée par saint Bernard, qui y commença la conversion de Guillaume X, comte de Poitou, elle disparut pour faire place à l’édifice immense qui développe sous nos yeux sa sévère et quelque peu massive architecture.

Ce fut en 1102 que les fondements en furent jetés par Aliénor d’Aquitaine, comtesse de Poitou, et par Henri II, roi d’Angleterre, son époux : mais les travaux marchèrent lentement pendant les guerres et les querelles intestines suscitées par l’occupation anglaise, et cependant le grand autel put être dédié avant 1199, et le chœur était clos en 1241.

Le saint roi Louis IX et son frère Alphonse, comte apanagiste de Poitou, contribuèrent par leur munificence à l’œuvre pieuse : mais, malgré ce puissant concours, à la fin du XIIIe siècle, les deux travées les plus rapprochées de la façade manquaient encore, et les deux premiers étages des tours, qui devaient leur servir pour ainsi dire d’arcs-boutants, étaient seuls achevés.

La façade n’existait point alors : mais, sous l’administration du bienheureux évèque Gauthier de Bruges (de 1278 à 1301), sous l’épiscopat d’Arnaux d’Aux (cardinal et camérier de Clément V, de 1307 à 1312), l’œuvre immense prit de grands développements, et elle devait être à peu près terminée, lorsque, le 4 juin 1363, Jean de Lioux, évêque de Poitiers, y fit son entrée solennelle, puisque, dès 1351, les chapelles absidales des transsepts étaient décorées de peintures et d’ornements.

Au-dessus de la toiture du chœur s’élançait, à une époque fort reculée, une flèche en charpente, dont l’existence est accusée par l’état des lieux et par les gravures les plus anciennes. Elle s’élevait, y compris la croix de 10 pieds, à 307 pieds au-dessus du pavé de l’église, et devait couper, d’une manière fort heureuse, à notre avis, la ligne de faîte de la toiture, à laquelle elle enlevait beaucoup de sa lourdeur.

Atteinte, le 15 février 1713, de la foudre, qu’elle devait pourtant éloigner de l’édifice à en juger par la destination des cloches qu’elle renfermait (les petites cloches qu’on sonnait lorsqu’il advenait temps de tonnerre), elle fut considérablement endommagée, et elle fut démolie définitivement en 1769.

Une bulle d’Urbain V donnée vers 1365, confirmant les indulgences accordées à ceux qui contribueraient par leurs aumônes à la construction de l’église, autorise à croire qu’à cette époque il restait encore quelque chose à faire : et en effet le couronnement de la tour du Nord, appelée pour ce fait la tour neuve, ne fut achevé qu’au commencement du XVe siècle.

Enfin le mardi 18 octobre 1379, jour de la fête de saint Luc, l’évèque de Poitiers, Bertrand de Maumont, consacra, au milieu des pompes de la liturgie catholique, le temple vénéré, dont la première pierre avait été posée 217 ans auparavant par un prince anglais, et qui venait d’être achevé, grâce à la protection efficace d’un fils de France, du pieux comte de Poitou, Jean, duc de Berry, comte apanagiste de la province, devenue pour jamais terre française.

Plus tard, ses voûtes retentissent au bruit des chants qui proclament l’avènement au trône du roi Charles VII, lequel, par une sorte de sacre anticipé, reçoit des mains du vénérable évêque Simon de Cramaud, cardinal, la couronne qu’il devait aller demander plus tard et plus solennellement à la basilique royale de Reims.

Dans les siècles suivants, de nombreux priviléges et des dons précieux rehaussent l’importance de la cathédrale. Des orgues, une horloge, un vaste jubé, une sonnerie puissante, des fresques, des peintures historiées, de riches ornements d’or et de soie, des vases sacrés d’un goût exquis, des reliquaires vénérés, des stalles et boiseries gracieuses, des chapelles multipliées, des sépultures épiscopales, avaient ajouté à la magnificence et à la pompe toute particulière du culte qui faisait de cette église le plus remarquable de nos temples.

Mais voici venir les hordes du comte de Sainte-Gemme et leurs sanglants exploits.

A défaut de l’inventaire des trésors des églises, que le chef des impies gascons avait réclamé, ses satellites se chargent de le dresser eux-mêmes, et bientôt (les 27 et 28 mai 1562), orgues, horloge, jubé, sonnerie, stalles, riches ornements, vases d’or et d’argent, vitraux scintillants, archives importantes, tout sera pillé, brisé, brûlé, fondu.

Examen fait des pertes matérielles éprouvées dans ces jours néfastes, il sera reconnu qu’elles s’élèvent à la somme, énorme pour ce temps-là, de 50 448 livres 10 sols, ce qui équivaudrait à peu près à 176 568 fr. 50 c. de notre monnaie.

Après cette triste épreuve, la désolation régnera pendant longtemps dans le temple du Seigneur ; puis de nouvelles craintes saisiront les cœurs lorsque les boulets de l’amiral de Coligny (1569) prendront pour point de mire le chevet, les combles, les tours de la vaste cathédrale, craintes bientôt dissipées au chant de l’hymne d’actions de grâces qui retentira sous ses voûtes sauvées.

Alors, la cathédrale oubliera peu à peu ses désastres passés, mais les embellissements qu’elle recevra ne seront pas toujours heureux. Le goût du XVIIe et du XVIIIe siècle y appliquera son cachet, fort triste souvent sous le rapport de l’art, et fort peu convenable aussi au point de vue religieux.

Puis, lorsque la Révolution jettera sa lave brûlante sur le sol français, notre cathédrale, privée de son pontife et de ses prêtres exilés, verra s’élever sous ses voûtes l’autel de la religion philosophique.

Dépouillée de ses ornements, de ses tombeaux profanés, elle deviendra tour à tour salle décadaire, temple de la Raison, lieu de réunion des assemblées civiques ; sa démolition sera proposée, et elle échappera comme par miracle au sort qui a frappé tant de monuments remarquables.

Puis, lorsque le calme aura succédé à la tempête, lorsque de meilleurs jours brilleront sur la France, elle sera rendue au culte du vrai Dieu ; et lentement, à raison de l’étendue des maux soufferts et de la pénurie des ressources pour y apporter remède, elle reprendra sous l’administration de pieux pontifes, sinon sa splendeur primitive, du moins cette noble simplicité qui en fait l’un des temples les plus majestueux du Très-Haut.

Et maintenant que nous savons l’histoire du temple saint, ses vicissitudes diverses, ses jours glorieux, ses jours de deuil, nous pouvons désormais procéder à l’examen matériel de ses diverses parties.

Mais, auparavant, nous ferons ensemble, si vous le voulez bien, cher lecteur, ce que nous pourrions appeler un petit voyage autour de lui. Laissons, pour le moment, sa façade ; nous y reviendrons.

Voici, à gauche, vers le transsept, sous cet auvent maussade, une porte latérale : approchons-nous, c’est la porte Saint-Michel.

Cette porte, qui s’appelait ainsi parce qu’elle donnait entrée au clergé de la paroisse de ce nom, dépendante du Chapitre, fut, pendant les longues années qui s’écoulèrent avant l’achèvement de l’édifice, la principale porte ; elle dut être dès l’origine, et par ce motif sans doute, décorée de tout le luxe de sculpture que vous voyez déployé sur ses chapiteaux.

À droite, c’est la Salutation angélique, l’Adoration des Mages, la Visite de la Vierge à sainte Élisabeth.

A gauche, Hérode reçoit les Mages ; le diable essaye d’atteindre, en se glissant le long du siège royal, jusqu’à l’oreille du tyran pour lui souffler de mauvaises pensées. Hélas ! on ne le sait que trop, et ce n’est pas là de l’histoire ancienne seulement : le trône ne s’est pas toujours trouvé assez élevé pour protéger les chefs des États contre la diabolique escalade.

C’est le cas, narguant l’amende,
De poser cette demande :
« Tourneront-ils mieux l’écueil,
« En trônant sur un fauteuil ? »

Plus loin, Hérode tient conseil avec le prince des prêtres, qui lui explique les prophéties touchant la venue du Messie : dans ce conseil, le diable encore a voix consultative… au moins ; et tandis que les Mages se hâtent d’accomplir leur pieux pèlerinage, Hérode, sous l’inspiration malfaisante de l’ennemi du genre humain, donne l’ordre du massacre impitoyable qui s’exécute sous ses yeux ; et cependant la sainte famille gagne la terre hospitalière qui la ravit à son persécuteur.

Cette dernière composition, qui est bien supérieure à celle du côté droit, et qui n’est pas due probablement au même ciseau, mérite un examen particulier sous le rapport de sa conception, de son agencement et de ses détails.

Faisons maintenant le tour de cette maussade construction, qui ne devrait pas se trouver là, quoique ce soit le presbytère ; puis tournons brusquement à droite, dans la rue dite Derrière-Saint-Pierre, autrefois de la Psallette-de-Saint-Pierre, à cause de l’établissement religieux qui s’y trouvait ; après avoir jeté un coup d’œil sur cette annexe qui renferme la sacristie des messes et la salle capitulaire, œuvre du XIVe siècle (elle n’offre rien extérieurement qui soit digne de fixer votre attention, et prouve une fois de plus combien une sacristie, cet appendice relativement moderne de nos monuments religieux, est toujours chose difficile à placer), nous examinerons avec soin le chevet.

Ce chevet, de 49 mètres de hauteur sur 39 mètres de largeur et 4 mètres d’épaisseur à sa base, est composé de quatre plans superposés, dont le second est percé de trois fenêtres en plein cintre qui éclairent les trois nefs.

Ce qui vous frappera dans cette partie de l’édifice, c’est son caractère sévère, majestueux et cet aspect imposant qu’il doit à la rectitude de ses belles lignes et à la pensée de l’inaltérable solidité de ses larges assises.

Lorsqu’il fut construit, c’était une innovation hardie de substituer ainsi aux riches absides que l’art roman avait jusqu’alors soudées aux nefs des temples comme autant d’appendices obligés, cet immense contre-fort dépouillé de tout artifice de construction qui pût garantir cette partie contre la poussée des voûtes et des charpentes et dont pas une pierre cependant n’a perdu l’aplomb qu’elle reçut au XIIe siècle, malgré les boulets de Coligny, qui n’y ont laissé que quelques traces de leur action impuissante.

Revenons maintenant sur nos pas vers la façade ; il est temps de lui accorder l’examen qu’elle réclame. Trois portails, correspondant aux trois nefs intérieures, composent la base de cet ensemble majestueux, et, malgré les ravages des protestants, nous pourrons y lire presque couramment une de ces grandes épopées religieuses que le catholicisme plaçait toujours à l’entrée de ses temples, sous les yeux de ses enfants.

Dans le portail du milieu, le sculpteur a reproduit en trois tableaux successifs la trilogie des derniers temps du monde. On y voit, en effet, dans le linteau même, la Résurrection des morts. Ils secouent la poussière de la tombe, et s’élancent pêle-mêle de leurs cercueils entr’ouverts au bruit de la trompette mystérieuse.

Plus haut, séparés de la première scène par des moulures nébuleuses, apparaissent le Jugement de Dieu et la Séparation des bons d’avec les méchants. Ceux-ci, les maudits du Dieu vengeur, vont être précipités dans l’abîme des douleurs, représenté par ce Léviathan dont la gueule béante a déjà reçu ses victimes et s’apprête à engloutir celles que vont lui livrer les satellites du démon.

Ces artisans du mal saisissent sans pitié les malheureux damnés, les chargent sur leur dos et les jettent en pâture au monstre insatiable et toujours dévorant. Parmi ces damnés, il en est de toutes classes, de toutes conditions. La sévérité scrupuleuse de l’artiste n’a pas reculé même devant une représentation que quelques-uns appelleront peut-être de la satire, et que, plus exact, nous nommerons du nom de bonne et sainte liberté. Sous cette mitre, nous reconnaissons un évêque indigne ; sous ce costume religieux, une fille du Seigneur devenue dès ce monde une fille de Satan.

La leçon est dure ; elle devait l’être pour justifier aux yeux du peuple le principe d’égalité devant la justice de Dieu, la seule qui lui fût prêchée alors, la seule, il faut bien le dire, au risque de blesser quelques rares convictions, qui puisse être jamais possible.

Mais la scène a changé : voici la contre-partie de ces douleurs amères, de ces grincements de dents éternels : les boucs ont été séparés des brebis : à droite du Fils de Dieu se rangent les élus, sous la protection de l’ange qui tient à la main une épée nue.

Parmi ces élus figurent encore un évêque, une religieuse. — Ceux-là ont été dignes de leur mission sainte, et ils reçoivent la couronne immortelle due à leurs vertus.

Puis, au sommet du tympan, au plus haut des cieux, règne dans sa gloire, assis sur son trône étincelant, le Souverain Juge, arbitre des destinées du monde, dispensateur des peines et des récompenses, selon les mérites de chacun. Il est entouré des anges, ministres de sa volonté puissante qui tiennent en main les instruments de la Passion, tandis qu’à genoux, à ses pieds, sa tendre Mère joint ses douces et irrésistibles supplications à celles du Disciple bien-aimé, et prie pour ses enfants chéris.

Ce vaste bas-relief est encadré dans quatre voussures séparées par des courants de vigne sauvage qui serpentent de la retombée jusqu’au sommet de l’arc. Chaque voussure elle-même se termine au point d’intersection par un buste du Sauveur bénissant à la manière latine et vers lequel se tournent les regards et la pose de soixante-huit personnages encadrés dans des niches ornées de dais taillés à jours.

Ce sont les douze apôtres, reconnaissables aux attributs qui les caractérisent ; les docteurs de la loi nouvelle tenant en main le Livre de science ; les prophètes, aux phylactères déroulés ; plusieurs saints de l’Ancien Testament ; puis de saints évêques et religieux avec leurs mitres et capuces.

Dans cette auguste assemblée figurent David, Salomon, saint Joseph tenant une branche de lis, gracieux emblème d’où s’échappe, par un symbole plus gracieux encore, l’enfant Jésus ; puis enfin un grand nombre de saints vénérés par l’Église.

Le petit portail à gauche représente la dormition (le trépas) de la sainte Vierge et son couronnement. Ici-bas, autour de cette dépouille mortelle prête à s’envoler au ciel, se pressent les apôtres, les disciples, les anges de Dieu ; puis, plus haut, sur son trône radieux, le Sauveur a fait asseoir sa divine Mère, et il a placé sur sa tête un riche diadème, tandis que les anges du tympan et de la dernière voussure balancent leurs encensoirs parfumés.

Outre les anges, cinquante-deux statuettes placées sous de gracieux dais sculptés et ornant les quatre voussures, représentent des vierges saintes, des pontifes, des religieux, des cénobites et des confesseurs, dans l’attitude du recueillement et de la prière.

Le petit portail à droite reproduit le trait principal de la vie de saint Pierre, patron du temple.

L’imagier a saisi le moment où, selon les saintes Écritures, Jésus-Christ choisit le pêcheur de Galilée pour en faire le chef, la base de son Église, et pour lui en confier le gouvernement. Le Sauveur est entouré de plusieurs de ses disciples, parmi lesquels on est autorisé à voir le patron du sculpteur lui-même, suivant une coutume assez usitée dans les œuvres de cette nature.

Au-dessus de cette scène terrestre apparaît, comme dans le tympan de la dormition, la glorification du prince des apôtres, dont les restes précieux, déposés dans un reliquaire magnifiquement décoré, sont exposés à la vénération des peuples, que représente assurément cette foule d’hommes et de femmes dans l’attitude de la prière.

Peut-être ce reliquaire reproduit-il même la figure de la châsse d’or massif, ornée de pierreries, donnée à l’église cathédrale par Jean de Berry, comte de Poitou, et où était renfermée une partie de la barbe et de la mâchoire du saint apôtre, relique précieuse que la tradition disait apportée de Rome par saint Hilaire lui-même, et qui joue un rôle important dans l’histoire de la cathédrale. C’était sur cette châsse que les évêques prêtaient serment au jour de leur installation solennelle.

Comme dans le portail précédent, le sommet de chaque voussure est décoré d’un buste du Christ vers lequel se portent les regards de cinquante-deux personnages placés sous de gracieux dais sculptés à jours. Ces personnages représentent les vierges sages et les vierges folles, de saints guerriers, de pieux évêques, et enfin des anges, aux ailes à demi-déployées.

Il y a dans ces trois compositions d’un genre différent, et dont quelques parties ne sont peut-être pas dues au même ciseau, une verve, un entrain, un mouvement remarquables, et ces qualités, réunies à un sentiment profondément religieux, sont plus que suffisantes pour racheter des défauts qui, du reste, sont dus à l’influence irrésistible des traditions artistiques et même des intentions préexistantes, auxquelles l’imagier ne pouvait guère se soustraire.

Et puis figurez-vous cet immense bas-relief rehaussé d’or et de pourpre étalant aux rayons du soleil les couleurs les plus brillantes, reflétant les splendeurs étincelantes du ciel, les noires profondeurs des enfers ; ajoutant par les puissants contrastes du coloris aux reliefs de la sculpture, et vous aurez une juste idée de l’effet que devaient produire sur les imaginations et les cœurs ces œuvres nées du catholicisme, et que le catholicisme savait si bien taire tourner au profit de ses utiles enseignements.

Pénétrons maintenant dans l’intérieur du temple : arrêtons-nous un instant sur la première marche de l’escalier qui nous conduit à la nef latérale.

Admirons le magnifique effet de ces voûtes, de ces arcs, de ces nervures, qui se croisent, se brisent, s’enchevêtrent sans confusion, de ces piliers semblables aux arbres d’une forêt de palmiers, entre lesquels circule l’air, contre lesquels se brisent les rayons étincelants ou amortis du jour, pour produire, au travers des vitraux colorés, leurs effets de lumière variés.

Complétons cet examen du premier coup d’œil, en nous plaçant sous la voûte en coquille qui supporte le buffet d’orgue. Peut-être avez-vous visité bien des cathédrales ; vous avez dû en voir de plus somptueusement décorées, de plus riches par les détails et la profusion des ornements : vous n’en avez pas trouvé qui eussent un caractère plus majestueusement grandiose.

Ce caractère, que personne ne lui contestera, notre église de Saint-Pierre le doit à la sobriété de ses décorations, à l’élévation inusitée des voûtes de ses bas-côtés, aux proportions gracieuses de ses piliers, sveltes malgré leur puissant diamètre ; enfin à cet artifice de construction trop habile pour être purement symbolique, qui, en diminuant la largeur des nefs vers le chevet, en même temps que s’abaissent brusquement les voûtes, ajoute à la fuite des lignes et à la profondeur de la perspective.

Cependant elle ne fut pas toujours aussi nue, aussi dépouillée.

Avant la dévastation que lui fit subir le protestantisme (1562), elle montrait avec orgueil ses nombreux autels, ses tableaux, son jubé : alors, et depuis encore, les tombeaux richement sculptés et les pierres funéraires où se gardait la mémoire de ses pontifes, les peintures brillantes qui couvraient les parois de ses hautes murailles : tout cela a disparu successivement dans des jours néfastes, jours de deuil pour la religion, pour la patrie, pour l’art.

« Vous déplorerez, et vous aurez raison, la fâcheuse pensée qui porta M. de la Poype de Vertrieu, évêque de Poitiers, à placer, en 1714, le grand autel sous la grande voûte du transsept. Il était auparavant, suivant les prescriptions liturgiques, élevé au fond de la basilique, où il produisait un effet plus convenable sous tous les rapports.

« Vous regretterez aussi sans doute que le vœu d’un patriote de 1793 n’ait pas été exaucé, et que cette immense et lourde grille, si disgracieuse à l’œil, ne se soit pas alors métamorphosée en piques citoyennes ; tout cela sera mis à sa place lorsque des temps meilleurs permettront au prélat qui gouverne aujourd’hui le diocèse de suivre les inspirations de son bon goût. »

Ainsi disions-nous naguère ; aujourd’hui, vous le voyez, cher lecteur, tout, en effet, « a été mis à sa place », et, si quelques critiques de détail sont encore possibles (elles le sont toujours ici-bas !), l’œuvre d’ensemble ne saurait, sans injure imméritée, se comparer à ce qu’elle a remplacé en 1859.

L’autel en cuivre repoussé et doré, avec décorations d’émaux (style du XIIIe siècle), que vous devrez examiner de plus près, sort des ateliers de Bachelet, de Paris, et honore cet artiste. Nous n’osons blâmer ceux qui le souhaiteraient moins nu dans sa partie postérieure, qui, originairement, n’était pas faite pour être vue, et qui révèle trop aujourd’hui ce qui lui manque complètement de ce côté.

Dirons-nous que toutes les critiques dont le velarium qui surmonte cet autel a été l’objet sont mal fondées ? Non ; mais il en est d’exagérées.

La grille du chœur et du sanctuaire qui a remplacé celle du XVIIIee siècle (mise à la porte), et qui affecte, elle aussi, les caractères du XIIIe siècle, est une œuvre de serrurerie qui n’est pas sans mérite.

Quant à la balustrade qui règne autour de l’édifice et à la tribune de l’orgue, œuvres qui coûtèrent, avec le badigeon, près de 20 000 livres, et furent exécutées de 1770 à 1783, nous n’en dirons qu’un mot. Il serait à souhaiter que la restauration du XIXe siècle pût faire disparaître celle du XVIIIe.

Vous ferez avec nous le même souhait à ce petit temple grec en marbre et en plâtre (quel assemblage !) que vous voyez à droite. Ce sont, dit-on, des fonts baptismaux. Il faut bien le croire, puisqu’on le dit ; mais, si cela est, ne trouveriez-vous pas là une raison de plus pour que l’antique baptistère de Poitiers, le temple de Saint-Jean, dût redevenir le baptistère de l’église cathédrale d’aujourd’hui ?

Dans les bas-côtés, vous remarquerez le bon goût des sculptures variées qui décorent la corbeille des chapiteaux, et les mille formes singulières imposées aux modillons par le symbolisme religieux, et souvent aussi par le caprice de l’imagier.

Il faut bien se garder, en effet, cher lecteur, de voir avec les yeux de ces ultras qui se chargeraient de trouver des intentions symboliques jusque dans une toile d’araignée, et qui seraient de force à écrire des volumes pour le prouver.

Au milieu de cette arcature en plein cintre qui cache d’une façon si heureuse le nu des murailles, vous découvrirez deux arcs en ogive : deux seulement, c’est bien peu, et encore ne sont-ils là que par nécessité. L’architecte, voulant que le sommet des arcs de son arcature se trouvât sur toute la ligne à une hauteur égale, a dû nécessairement, là où l’espace qui lui était donné pour développer sa courbe s’est trouvé plus restreint, substituer l’ogive au plein cintre.

Ne serait-ce pas une nécessité semblable qui aurait donné la première idée de l’ogive et enfanté les admirables résultats qu’elle sut produire. lorsque, d’accidentelle qu’elle était, elle devint un système ?

Nous voudrions vous donner une idée de l’ensemble de nos remarquables vitraux et des rapports qui les lient entre eux ; mais peut-être préférerez-vous connaître en même temps tout ce qui passera sous vos yeux.

Le premier vitrail représente l’histoire de Moïse, la révolte des Hébreux sous l’impulsion de Coré et l’histoire fort incomplète de Balaam ; ce vitrail et ceux qui suivent doivent être une œuvre du XIIIe siècle.

Dans le transsept de droite se trouve la chapelle dite des Apôtres, aussi appelée la Chapelle de paroisse, parce que c’est là que se trouve, depuis 1804, l’autel paroissial. Dès 1361, cette chapelle était décorée des images en pied de ses patrons.

Votre regard, quelque peu attentif, découvrira les traces de ces images sous le badigeon qui les couvre.

Ne croyez-vous pas qu’à moins d’être bien maussades, ces pourtraictures du XIVe siècle devaient être et étaient préférables aux caricatures de pierre que Mgr de Saint-Belin, évêque de Poitiers, fit placer, dans les premières années du XVIIe siècle, sur les tristes consoles qui les supportent ? Et ne serait-ce pas faire acte de bon goût que de les reléguer où l’on relègue ordinairement les choses de cette sorte ?

L’autel provient du couvent des Jacobins, sur lequel il fut confisqué révolutionnairement ; et, en vérité, sous le rapport de la convenance artistique aussi bien que des principes sacrés d’un droit qui n’est si menacé aujourd’hui que parce que le mépris qu’on en fit naguère a été trop effrontément proclamé, trop facilement sanctionné, nous préférerions voir cet autel partout ailleurs que dans notre église cathédrale.

Cette œuvre, qui, dans son genre, n’est pas précisément sans mérite, accuse doublement l’époque à laquelle elle doit naissance (le XVIIe siècle), et, certes, elle n’est pas à sa place. Le devant de cet autel est dû au ciseau d’un Poitevin établi et mort à Nantes, M. Thomas Louis. Nous verrons plus loin une autre production de cet artiste intelligent et religieux.

Le tableau encadré dans le retable est assurément le tableau capital de l’église cathédrale, qui est fort pauvre sous ce rapport. Il représente un sujet traité par le fameux Dominiquin, l’Institution de la dévotion du rosaire par saint Dominique. Plusieurs parties de cette vaste composition, et notamment le groupe à gauche, sont remarquables.

Le vitrail du fond représente l’Histoire de Job et la touchante parabole de l’Enfant prodigue ; celui du côté représente des légendes très-difficiles à reconnaître, mais qui semblent avoir rapport à saint Pierre et à saint Paul.

Inutile d’examiner cette lourde chaire en pierre et carton placée en 1835, ces statues de vierges ou de saints venues on ne sait d’où, et qui devraient y retourner, au lieu de trôner sur ces disgracieuses et massives consoles ; ces chapelles absidales dédiées à sainte Madeleine et à saint Laurent, dont l’affreuse image s’enlumine des reflets de faux marbres.

Arrêtons-nous un instant.

Pour placer les autels de ces absidioles, ou a faire disparaître l’ornementation en arcature qui les décorait, comme le reste de l’église, et vous remarquerez sans doute que, par un artifice de construction fort ingénieux, l’architecte, tout en substituant aux absides arrondies le chevet que nous avons admiré extérieurement, avait su prendre dans l’énorme épaisseur de ce chevet la place suffisante pour y découper des absidioles intérieures ; mais il a perdu son temps et sa peine, car il avait compté sans ses successeurs MM. les architectes du XVIIIe et du XIXe siècle.

Ce tableau sur bois, aux dimensions colossales, et qui représente la résurrection du Sauveur au milieu d’une immense légion de saints, avec accompagnement de chœurs et de chants, serait pour vous une énigme, si vous ne saviez que son donateur s’appelait Toussaint Johannet, chanoine de Saint-Pierre et directeur des musiciens du chapitre. C’est un ex-voto.

Le vitrail qui illumine le chœur de ses verres historiés représente l’histoire de la sainte enfance de Jésus-Christ et les principaux traits de sa Passion.

L’inscription que vous lisez au point d’intersection des nervures de la voûte reproduit, selon l’opinion de l’historien de la cathédrale, le nom de l’architecte de l’église, ADAM. Quant à l’inscription gravée à la clef de la voûte voisine, elle a défié depuis longtemps les déchiffreurs d’énigmes. Nous n’essayerons point de vous livrer ses secrets inconnus.

Nous sommes en face de l’autel de la Sainte-Vierge. Là encore brillent le marbre et l’or, mais, pour le coup, c’est du vrai, vrai marbre. Seulement les colonnes étaient en marbre noir, les soubassements en marbre rouge, et on les a peints… en marbre blanc. La destination de cet autel, dédié à la Mère de Dieu, exigeait cela, a-t-on dit. Notez bien sur votre carnet de touriste ce fait étrange. Nous gagerions volontiers que vous ne retrouverez son frère jumeau nulle part ailleurs.

Cette tache à notre honneur disparaîtra plus tard, nous en sommes sûr ; mais quand viendra ce plus tard ? Toujours trop tard !

Le vitrail qui domine la chapelle de la Vierge représente Jésus-Christ crucifié, au moment où Longin vient de lui percer le flanc ; puis sa résurrection et son ascension ; la mort de saint Pierre et de saint Paul, et les donateurs en habits royaux : on croit que ces figures sont celles de Henri II d’Angleterre et d’Aliénor d’Aquitaine, son épouse. Ce vitrail daterait alors de la fin du XIIe siècle, et il est cité comme une des rares verrières de cette époque reculée.

Le vitrail à droite contient des détails de la vie de saint Pierre, auquel il semble plus particulièrement consacré ; mais on y voit figurer aussi les noms de saint Jean, de saint André, de saint Antoine et d’autres saints.

Le vitrail à gauche représente l’histoire de saint Fabien, pape, martyrisé sous l’empire de Dèce, en 250.

Cet autel si maltraité offre de véritables qualités dans sa composition, mais il a le tort grave de n’être pas dans l’église de l’abbaye de la Trinité, dont il faisait partie avant 1793, et avec laquelle son style et son sujet étaient sans doute plus en harmonie. C’est donc encore une dépouille opime. La balustrade de cet autel provient de l’abbaye de Sainte-Croix. Encore une dépouille.

Si nous pouvons obtenir entrée dans la salle du Chapitre, nous y verrons une suite fort intéressante de portraits représentant un assez grand nombre d’évêques de Poitiers, depuis Simon de Cramaud (1385) jusqu’à nos jours. Il est fâcheux que le plus ancien de ces monuments historiques ait perdu sous une restauration trop radicale une partie de son mérite antique.

En sortant du Chapitre, donnons une prière aux pasteurs qui reposent dans le caveau (autrefois chapelle souterraine) de Saint-Sixte, affecté depuis quelques années à la sépulture des évêques.

Le tombeau élevé en 1845 à la mémoire de Mgr de Bouillé sollicite notre attention.

Nommé évêque de Poitiers en 1817, mort en 1842, à l’âge de 83 ans, Mgr de Bouillé avait mérité, par une administration toute paternelle, ce témoignage de vénération élevé à sa mémoire par le clergé et les fidèles de son diocèse. Ce monument est dû au ciseau de M. Thomas Louis, l’auteur du bas-relief de l’autel de la paroisse.

Nous partageons l’opinion émise par un écrivain sur un anachronisme de saison et sur les anges qui servent de tenants aux armoiries du prélat ; mais nous n’adhérons nullement à certaines critiques de cette œuvre, quoiqu’elles se produisent avec l’appareil de doctrines artistiques fort sonores.

La verrière qui suit contient l’histoire de Loth et d’Abraham, avec les détails que raconte la Bible sur Sodome, Abimélech, Sara, Isaac, Eliézer. On regarde ce vitrail comme appartenant à la première moitié du XIIIe siècle.

Du même côté accordez en passant un coup d’œil à ce tableau peint sur bois en 1590 pour célébrer la conversion de Henri IV. Cet ex-voto, dû au pinceau d’un peintre nommé de Jax, est une démonstration, fort intelligente et fort bien sentie, du dogme catholique de l’Eucharistie dans ses rapports avec la sainte Trinité. Il y a du mérite dans cette œuvre.

L’ex-voto peint à l’huile, qui se trouve appliqué sur la muraille où il a été retrouvé par M. l’abbé Auber, il y a peu d’années, n’offre pas un grand intérêt.

Si nous pouvons pénétrer dans le chœur, les stalles offriront à notre examen un sujet fertile. Leurs légères colonnettes, surmontées de la gracieuse ogive, encadrent des anges tenant des couronnes dans leurs mains, puis des monstres, des animaux symboliques, des sujets religieux habilement sculptés, mais qu’une épaisse couche de peinture a défigurés.

Parmi les animaux symboliques, vous remarquerez sur l’ancienne stalle du doyen du Chapitre un petit hibou, oiseau solitaire et taciturne qui aime la nuit, craint le soleil et le jour, le mouvement et le bruit : serait-ce une allusion ?

Ces stalles, œuvre capitale, l’une des plus remarquables de France, sont dues au ciseau d’un sculpteur de la première moitié du XIIIe siècle. En raison de cette date et de la manière dont elles sont exécutées, ces stalles sont un monument précieux, auquel il est à regretter qu’un malencontreux pinceau ait ajouté des couches de peinture impossibles à détruire sans danger pour ce qu’elles décorent.

Derrière les stalles, qui ont été découpées habilement à cet effet, l’on a placé un bel orgue d’accompagnement, dû à la générosité d’un des membres du Chapitre (M. de Larnay), générosité qui s’est produite dans plusieurs autres dons fort importants.

Cette chapelle, au fond du transsept nord, était dite primitivement de Saint-André, à cause d’une relique insigne de ce saint ; elle fut appelée plus tard des Évêques, soit parce que plusieurs y étaient ensevelis, soit plutôt parce qu’après les ravages des protestants, les statues de huit évêques (sans doute les huit évêques honorés d’un culte public à Poitiers) y avaient été placées.

Elle se nomme chapelle du Sacré-Cœur depuis qu’en 1816 y fut établie la dévotion au Sacré Cœur de Jésus ; l’autel qui la décore, et qui est d’un bien pauvre style, provient des Capucins (voir leur article plus loin), dont la cathédrale hérita en 1792.

Après un coup d’œil d’estime au tableau du Denier de la veuve (Fleury, 1819), de grâce, ne jetez pas les yeux sur ces toiles indignes du chœur grandiose où elles sont attachées : — non pas que nous craignions, même pour un instant, que vous puissiez voir un vrai saint Hilaire dans la figure de ce je ne sais quoi habillé en évêque. — Passons.

Comme tout cela est pâle et froid, en comparaison de ces vitraux, étincelants, qui représentent, au fond de la croisée, l’histoire touchante de Joseph, à droite la légende d’un saint martyr et celle de saint Blaise, évêque de Sébaste en Arménie, légende fort renommée au XIIIe siècle, et que nous reverrons bientôt sur les vitraux de Sainte-Radégonde !

Le vitrail qui suit, dans le bas-côté, contient l’histoire de Josué, ses guerres et ses victoires dans la Terre promise.

N’apercevez-vous point sur votre droite un dessin bizarre tracé à la pointe sur le mur de la troisième travée, au-dessus du soubassement qui règne autour de l’édifice ?

On a lieu de croire que c’était la représentation, l’épure du labyrinthe ou chemin de Jérusalem, qui se trouvait autrefois dans la cathédrale de Poitiers, comme il en existait dans beaucoup d’autres. C’était effectivement une sorte de labyrinthe s’élevant en saillie dans la nef en détours multipliés, et dont les fidèles suivaient les mille méandres dans cet esprit de foi qui leur faisait appliquer cette pratique pieuse à la mémoire du trajet que parcourut Jésus-Christ pour se rendre au Calvaire au milieu des douleurs de la Passion.

C’était alors sans doute une forme spéciale de prières, une dévotion qui nous semble ressuscitée aujourd’hui sous le nom de Chemin de la Croix.

Orgue. — Avant de sortir de ce temple auguste, n’oublions pas de donner quelques instants encore au magnifique instrument qui en fait retentir les voûtes sonores des sons puissants de ses riches accords.

La première mention d’un orgue dans l’église Saint-Pierre est faite à la date du 4 juin 1363, à l’occasion de l’entrée d’Aymeri de Mons, évêque de Poitiers.

Nous ne savons si c’était le même qui fut détruit en 1562, lors du pillage des protestants.

Un orgue beaucoup plus complet succéda à celui-ci. Il fut exécuté par Crespin Carrelier, de Rouen, qui avait fait en 1609 le grand orgue de Saint-Hilaire. Il fut livré le 27 avril 1613 au prix de 6 800 liv. tournois. Il fut accepté par messire Jean Titelouse, chanoine organiste de l’église métropolitaine de Rouen, pour le Chapitre de Poitiers, et, pour Crespin Carrelier, par messire Florent Bienvenu, chanoine de Notre-Dame de Laon et organiste de la Sainte-Chapelle de Paris.

Cet instrument remarquable fut réduit en cendres le 26 décembre 1681, par suite de la négligence de l’organiste, qui oublia d’éteindre les charbons qu’il y avait laissés.

Le Chapitre de Saint-Pierre dut se contenter, longtemps après cet accident, du petit orgue placé du côté du jubé, qui servait à accompagner le plain-chant : et cet instrument imparfait servit aux cérémonies du culte jusqu’à la réception du grand orgue actuel.

Un acte capitulaire du 15 novembre 1786 décida la reconstruction de cet orgue, et le traité fut signé avec Henri-Claude-François Clicquot, facteur d’orgues du roi, le 18 avril 1787. Une vente de bois à Smarves produisit 43 286 liv. 8 s. 5 d.; une souscription, 12 000 liv. ; le Chapitre donna 1 517 liv. 16 s. 4 d. La menuiserie, exécutée par Favre, coûta 21 300 liv. ; l’instrument, 34 192 livres, ce qui, avec les menus frais, éleva le prix total à 56 800 liv. 4 s. 9 d.

Il fut pendant quatre années en construction, et ce fut François Clicquot qui l’acheva après la mort de son père ; il fut terminé le 29 novembre 1789. Enfin, il fut reçu le 7 mars 1791 par MM. Lardi et Véron, organistes de Poitiers.

C’était une triste époque pour des œuvres de ce genre. Bientôt après, l’église fut fermée aux fidèles : ainsi, à peine l’orgue de Saint-Pierre avait-il accompagné pendant quelques jours les chants religieux, que ses majestueux accords se mêlaient au bruit des chansons sacriléges par lesquelles on célébrait le culte des déesses très-peu divines de la République.

Ce fut à ce prix qu’il échappa, et à grand’peine encore, aux mains barbares qui voulaient faire de ses tuyaux sonores des balles patriotes, et ce résultat fut aussi obtenu en partie par l’intervention du menuisier Favre, dont le juste orgueil se trouvait flatté des compliments que lui valait son œuvre.

Restitué au culte catholique, l’orgue de Saint-Pierre a été restauré par Nyssen, d’Angers, en 1813, et accepté le 25 septembre par MM. Véron et Maresse, organistes, puis relevé et mis à neuf par Pierre-François Dallery, facteur d’orgues du roi, et reçu par MM. Véron et d’Aubigny, organistes de Poitiers, le 4 novembre 1822.

Cet instrument remarquable, auquel il ne manquerait que quelques réparations et modifications assez simples mais coûteuses et nécessaires, qu’on devrait obtenir d’administrateurs éclairés, est un grand seize pieds ; il se compose de quarante-quatre jeux distribués sur quatre claviers à la main d’ut à mi, et d’un clavier de pédales de deux octaves et demie.

Ses tuyaux en étain forgé donnent aux sons une rondeur admirable et un éclat sans rudesse, auxquels ajoutent encore la bonne disposition et l’heureux emménagement des divers jeux qui le composent.

Les sculptures du buffet de l’orgue, ainsi que de la chaire de la grande nef, sont dues au ciseau habile de Berthon, artiste poitevin, lequel, à l’exemple des maîtres, a reproduit, sous la figure des anges qui jouent de leurs instruments, les portraits de ses jeunes enfants, dont l’un est mort, en 1866, curé-doyen de Neuville.

Si le genre d’ornementation qu’il a adopté est loin d’être irréprochable, quant au style mis en rapport avec l’intérieur de l’église de Saint-Pierre, on ne peut nier du moins que l’artiste n’ait révélé dans son faire un talent remarquable, et n’ait ajouté, par la richesse des décors, au mérite intrinsèque de l’œuvre du fameux Clicquot.

C’est à tous ces avantages réunis que l’orgue de Saint-Pierre de Poitiers doit d’être classé, par les facteurs et les organistes les plus célèbres, au nombre des instruments de ce genre les plus beaux et les plus parfaits qui soient connus non-seulement en France, mais à l’étranger.

Si vous pouvez obtenir l’autorisation de monter dans les combles et de visiter la charpente, nous vous recommandons d’une manière spéciale la partie qui couvre les transsepts, et surtout le sanctuaire. Lors même que vous seriez architecte, vous trouveriez assurément quelque chose à gagner à cette visite, et nous vous la conseillons.

Votre curiosité doit aussi vous porter à aller voir de près, dans la grosse tour, le bourdon, qui, aux jours solennels, annonce les grandes fêtes catholiques.

Fondu en 1734 par les ordres de Monseigneur Jérôme-Louis de Foudras de Courcenay, évêque de Poitiers, ce bourdon est un des plus considérables de France. Si vous ne pouvez l’entendre sonner, vous jugerez de la rondeur du sol naturel que donnent ses volées, lorsque vous saurez que sa circonférence est de 6 mètres, que sa hauteur est d’un mètre 65 cent., que son battant a 25 c. d’épaisseur sur 82 cent. de tour, et que ce bourdon pèse près de 9 000 kilogrammes.

Avant la Révolution, cet instrument sonore jetait avec une libre expansion à la ville entière ses sons graves, prélude des plus touchantes solennités : il était bien placé pour cela, car il dominait la tour qui l’enserre aujourd’hui, de toute la hauteur d’une forte charpente revêtue d’une mince toiture en dôme qui ne formait nul obstacle aux puissantes vibrations de l’air.

En 1811, un préfet, dont il faut dire le nom, car il est digne de cet honneur, M. Mallarmé, trouva que son voisin était trop bruyant pour ses oreilles administratives, et il obtint (c’était alors le bon temps… pour les préfets), il obtint, disons-nous, la condamnation du malencontreux bourdon, lequel fut descendu à grands frais et à grand’peine dans la gaîne de pierre d’où ses sons étouffés, ne s’échappant qu’avec peine du côté opposé au palais administratif, ne gênèrent plus l’hôte passager qui l’habitait.

(Voir, pour plus de détails, l’Histoire de la Cathédrale de Poitiers, par.M. l’abbé Auber, insérée dans les Mem. de la Soc. des antiq. de l’Ouest, 1848 et 1849, résumée dans les lignes qui précèdent.)

Sortons de l’église cathédrale en nous dirigeant vers la deuxième porte qui s’ouvre dans la nef latérale de droite, après la chapelle de paroisse, car la première nous ramènerait au temple de Saint-Jean.

Maison des Oblats de Saint-Hilaire. — En face de vous s’ouvre la maison des Religieux Oblats de Saint-Hilaire, dont il a été déjà dit quelques mots plus haut.

Ces Religieux, qui obéissent à une règle calquée sur celle des Oblats de Saint-Ambroise, fondés à Milan par saint Charles Borromée, font surtout profession d’une entière dévotion à l’évêque, dont ils dépendent exclusivement. Ils forment une congrégation diocésaine, et sont employés comme prêtres auxiliaires pour l’éducation de la jeunesse, pour les missions et pour toutes les fonctions du saint ministère.

École cléricale. — Après avoir franchi la grille qui renferme cet établissement, et qui dépendait autrefois de celle du chœur de la cathédrale, nous voyons en face de nous l’École cléricale.

C’est un externat d’enfants que les PP. Oblats forment à la piété, aux exercices du culte, et à qui on donne l’instruction correspondant aux classes de grammaire, jusqu’à ce qu’on puisse les envoyer au petit séminaire de Montmorillon.

Évêques de Poitiers. — Après avoir esquissé l’histoire de la cathédrale de Poitiers, il est tout naturel de parler des prélats qui ont occupé ce siége important, dont on a détaché plusieurs parties pour constituer les diocèses de Maillezais et Luçon, et d’autres portions qui sont annexées aujourd’hui aux diocèses d’Angoulême, de Bourges, de Tours et d’Angers. En cheminant vers les lieux où existait jadis l’abbaye de Sainte-Croix, un peu à droite de l’école cléricale, disons un mot des évêques de Poitiers.

La foi chrétienne fut prêchée au milieu du ler siècle, dans le Poitou, par saint Martial, l’apôtre de l’Aquitaine, qui sans doute y recueillit les fruits abondants qui naissaient partout sous ses pas. Le siège épiscopal de Poitiers, l’un des plus anciens des Gaules, a été établi, selon certains auteurs, peu après le milieu du IIIe siècle.

Nous croyons devoir le faire remonter bien plus haut, au temps même de l’apôtre de l’Aquitaine, saint Martial, que nous regardons comme un des disciples du Sauveur. (V. nos Vies des Saints du Poitou, t. I.)

On ignore les noms de la plupart des évêques qui précédèrent saint Hilaire, et on ne peut, dès lors, fixer le nombre total des prélats qui ont occupé jusqu’à ce jour son siège glorieux.

On en connaît 118, dont deux administrèrent le diocèse deux fois, à deux reprises différentes ; sept furent décorés de la pourpre romaine ; un, saint Emmeran, fut martyr de la foi qu’il alla prêcher en Bavière, et plusieurs portent des noms chers à plus d’un titre à la catholicité.

Le premier de tous, saint Hilaire, docteur de l’Église, confesseur de la foi catholique, qu’il a défendue contre l’arianisme avec une vigueur et un talent qui l’ont fait nommer par saint Jérôme « le Rhône de l’éloquence latine, » souffrit pour sa foi les persécutions et l’exil, et mourut de la mort des saints le 13 janvier 367 ou 368.

On a de lui un grand nombre d’ouvrages de la plus haute importance. Un savant prélat (Mgr Cousseau, évêque d’Angoulême) lui attribue la composition du Te Deum, cette hymne magnifique qui exprime, aux jours de leurs triomphes, la reconnaissance des peuples chrétiens, comme il dut exprimer le triomphe et la reconnaissance du grand évêque à son retour au milieu de son troupeau bien-aimé. (V. Mémoires de la Société des antiquaires de l’Ouest, 1836.)

Un rescrit de la Congrégation des Rites du 29 mars 1851, approuvé par le Souverain Pontife le 4 avril, a confirmé le titre de docteur de l’Église à l’illustre évêque de Poitiers, qui fut, au milieu des tempêtes du monde, « le grand « champion de l’Église, la trompette de l’Occident contre les Ariens, et qui, au « témoignage de saint Jérôme, porta de tous côtés les lumières de la foi par « l’autorité de sa confession, par la prudence de sa vie, par le renom de son « éloquence, nous léguant d’admirables écrits que l’on peut parcourir sans se « heurter une seule fois le pied, et lire sans y soupçonner une ombre d’erreur ».

Saint Venance Fortunat (599) a honoré son siége par sa piété profonde, les lettres par ses poésies sacrées, reflet brillant de la littérature antique, et par ses autres compositions, consacrées en partie à la mémoire des plus saints personnages.

Saint Pierre II mérita par sa fermeté contre Guillaume le Troubadour, qu’il osa, pour crime d’adultère, excommunier au milieu de son église, en présence de la foule assemblée, d’être exilé à Chauvigny, où il mourut en 1115.

Les historiens rapportent qu’au moment où l’évêque commença la formule d’excommunication, le comte tira son épée pour l’en frapper. L’évêque ayant réclamé quelques instants de recueillement, acheva la formule et dit au comte : Frappe, j’ai fini. Le comte remit son épée au fourreau en disant au courageux pontife : « Je ne t’aime pas assez pour vouloir t’envoyer en paradis. »

Cette scène émouvante reproduit bien exactement la physionomie de ces temps éloignés, ce mélange de foi et d’impiété qui s’alliait alors dans les natures farouches des grands de la terre, et l’influence salutaire que savaient exercer les prêtres du Seigneur sur ces âmes fières et brutales, inaccessibles à toute crainte purement humaine.

Gilbert de la Porée, né à Poitiers, évêque en 1141, savant distingué, soutint, touchant le mystère de la sainte Trinité, des erreurs assez graves qui furent combattues par saint Bernard, et qu’il rétracta noblement au concile de Reims, qui les avait condamnées (1148).

Gauthier de Bruges, pieux et savant Religieux de l’Ordre des Frères Mineurs, nommé évêque en 1271, mort en 1306, mérita par ses vertus le titre de Bienheureux. (V. plus loin les détails qui le concernent, à l’article des Cordeliers.)

Simon de Cramaud, cardinal, patriarche d’Alexandrie, prit une part très-active aux débats du grand schisme d’Occident, dont il contribua à préparer l’extinction par son infatigable ardeur. Ce fut lui qui présida, en 1395, l’assemblée importante tenue à Paris à cet effet. (V. la notice qui lui a été consacrée par M. l’abbé Auber, Mém. des antiquaires de l’Ouest, an. 1840.)

Jacques Jouvenel des Ursins, archidiacre de Paris, président de la chambre des comptes, patriarche d’Antioche, mort en 1456, rappelle un nom illustré par de grands services rendus à la France.

Si Guillaume de Clugni fut un des conseillers du terrible Louis XI, qui l’employa dans ses affaires les plus importantes (1479), Pierre d’Amboise, frère du cardinal (1481), rappelle le nom du ministre habile et sage qui fut aussi le conseiller bien écouté de Louis XII, le Père du peuple.

Henri-Louis Chasteigner de la Roche-Posay, appartenant à une de nos plus illustres familles poitevines, se souvint du sang qui coulait dans ses veines lorsque les troubles de la Fronde menaçaient d’envahir la ville de Poitiers : il ne recula pas devant l’étrange résolution de substituer le casque et la pique à la mitre et au bâton pastoral pour maintenir dans la fidélité au roi ses diocésains hésitants.

Les chaînes tendues devant le palais épiscopal et l’attitude militaire du prélat épargnèrent sans doute à la ville de grands malheurs, et le tocsin qu’il fit sonner valut aux cloches de sa cathédrale le surnom populaire de tambours de Mgr de la Roche-Posay : cette épithète pittoresque, que nous avons déjà citée, a bien assurément son mérite.

Dans les derniers temps, le siége de Poitiers a compté de sages administrateurs, dont le zèle, le dévoûment et le courage furent à la hauteur de leur mission sainte. Au milieu des difficultés qu’enfantaient les tristes débats de la Révolution, l’un d’eux, Mgr Beaupoil de Saint-Aulaire, refusa du haut de la tribune nationale de souiller ses cheveux blancs par le serment schismatique que lui défendait sa conscience, et il mourut dans l’exil.

L’histoire de nos évêques, depuis les premiers temps jusqu’à nos jours, prouverait, à ceux qui la voudraient lire, que les successeurs du grand Hilaire n’ont jamais répudié l’héritage si noble d’indépendance et d’héroïque fermeté que leur légua le persécuté de Constance.

L’Église de Poitiers reconnaît comme saints huit de ses évêques : saint Hilaire, saint Gelais, saint Anthème, saint Pient, saint Fortunat, saint Emmeran, saint Maximin et saint Pierre II du nom. En outre, deux de ses pontifes, Guillaume Tempier et Gauthier de Bruges, ont été honorés de la béatification.

Conciles. — À côté de l’histoire de la cathédrale et des évêques de Poitiers, se place naturellement celle des conciles tenus dans cette ville. Ils sont au nombre de neuf.

Le premier, tenu le 13 janvier 999, sous la présidence de Séguin, archevêque de Bordeaux, promulgua des canons contre ceux qui envahissaient à main armée les biens ecclésiastiques.

Le second, tenu en 1023, présidé par Islon, archevêque de Bordeaux, traita la question, alors assez indécise malgré son évidence, de l’apostolat de saint Martial.

Le troisième, tenu en 1032 ou 1033, sous la présidence d’Isembert Ier, évêque de Poitiers, ordonna des restitutions à faire à la suite des malheurs causés par la famine qui désolait le pays.

Le quatrième, tenu en 1036, sous la présidence du même prélat, renouvela pour le diocèse les règlements de la trêve de Dieu.

Le cinquième, présidé par Géraud, évêque d’Ostie, légat de Grégoire VII, sous l’épiscopat d’Isembert II, prononça, le 13 janvier 1073, une nouvelle sentence contre les doctrines du fameux archidiacre d’Angers, Béranger, déjà condamné à Rome, Verceil, Paris et Tours, et qui vint en personne défendre ses doctrines.

Le sixième, présidé par Hugues, évêque de Die, légat du Saint-Siège, les 15 et 16 janvier 1078, fit des canons contre les hauts bénéficiers qui pratiquaient la simonie. Le roi Philippe Ier, intéressé dans la question, par suite de ses prétentions aux investitures, tenta de provoquer des désordres, dont le légat se plaignit vivement auprès du pape.

Le septième concile, l’un des plus importants, réunit cent quarante Pères, dont la grande majorité, restée fidèle à la morale et à la foi religieuse, malgré la retraite de quelques lâches, prononça, le 18 novembre 1100, l’excommunication contre Philippe Ier, roi de France, et l’adultère Bertrade.

Ces 80 Pères résistant par leur attitude impassible aux violences d’une soldatesque effrénée, qu’excitait contre eux la fureur du comte de Poitiers, Guillaume X, et bravant la mort pour confesser leur foi, offrent une des plus belles scènes de notre histoire. Il est vrai que parmi ces personnages éminents siégeaient Robert d’Arbrissel, depuis fondateur de Fontevrault, et Bernard de Tiron, l’honneur de l’Eglise de France et de la chrétienté.

Le huitième concile, qui se tint à Poitiers, sur l’ordre du pape Pascal II, présidé par Brunon, évêque de Segni, le 25 juin 1106, réunit tous les évêques de la provinces et plusieurs des provinces voisines. On y vit assister le fameux abbé Suger et Boëmond, prince d’Antioche, qui raconta en termes brûlants les malheurs des chrétiens de la Terre Sainte, dont il avait supporté sa part dans un douloureux esclavage. À sa voix, l’enthousiasme fut à son comble, et une nouvelle croisade fut proclamée pour la délivrance du tombeau du Christ.

Enfin, le neuvième et dernier concile est tout récent. Il s’est tenu au mois de janvier 1868, sous la présidence du cardinal Donnet, archevêque de Bordeaux, assisté de Mgr Pie et des autres évêques de la province ecclésiastique, auxquels vinrent se joindre, pour la clôture, quelques autres archevêques et évêques, invités en même temps à assister aux magnifiques solennités célébrées à Poitiers en l’honneur du 15e centenaire anniversaire de la mort de saint Hilaire. Ce saint concile a porté des décrets réglant des points importants de discipline ecclésiastique, et a condamné fort énergiquement les principales erreurs de notre siècle et de sa philosophie anti-chrétienne.

Ancienne abbaye de Sainte-Croix, aujourd’hui les Hospitalières — Nous sommes sur la place dite de l’Évêché. Là, vers l’angle sud-est, se trouvait, avant la Révolution, l’entrée de la vaste abbaye de Sainte-Croix.

Dans son enclave, un peu à gauche, s’élevait une très-petite église du nom de Saint-Austrégésile, vulgairement Saint-Oustrille, décorée, malgré son exiguïté, du titre d’église paroissiale, et qui comptait 80 communiants ; le curé était à la nomination de l’abbesse.

Une autre église ou chapelle placée dans l’enceinte du monastère et derrière la porte prenait le titre de « Saint-Hilaire de près-la-Porte » : retrò portam Sanctæ Crucis.

Plus loin, sur le même côté, on voyait la double chapelle dite du Pas-de-Dieu, qui se composait d’une petite enceinte grillée où l’on montrait l’empreinte vénérée du pas de Dieu, et d’un oratoire voûté : le tout communiquant, malgré une séparation grillée, avec l’intérieur de l’abbaye.

Cette chapelle avait été élevée au lieu même où avait existé la cellule de sainte Radégonde, en mémoire de l’apparition miraculeuse de Jésus-Christ à cette sainte, quelque temps avant sa mort.

Le Fils de Dieu s’était alors, disent les chroniques, présenté à la sainte reine dans sa cellule, pour lui annoncer l’heure de sa délivrance terrestre, et, en disparaissant, il avait laissé sur la dalle l’empreinte d’un de ses pas.

La chapelle du Pas-de-Dieu était l’objet d’une affluence nombreuse de visiteurs au jour des stations de la Semaine Sainte. Nous verrons la partie essentielle de ce monument dans l’église de Sainte-Radégonde, où il fut transporté en 1792.

Le Pas-de-Dieu était fort anciennement un prieuré qui fut supprimé, ainsi qu’un autre office ecclésiastique dit du Saint-Sépulcre, situé dans l’enclos de l’abbaye, par une bulle du pape Sixte IV, du 6 mars 1478. Les titulaires étaient des Religieuses de Sainte-Croix.

La chapelle et une partie des bâtiments de l’antique abbaye ont disparu. Ces constructions n’avaient rien de remarquable et qui fût digne d’être cité avec détails. Cependant les stalles du chœur des Religieuses n’étaient pas sans mérite, et offraient cette particularité, qu’en outre des boiseries qui les décoraient, chacune d’elles était ornée d’un petit tableau représentant un des traits de la vie de la sainte fondatrice. Cette collection, qui appartient, par son faire et son origine, à l’école flamande, avait été donnée par le prince d’Orange à Flandrine de Nassau, sa parente, abbesse de Sainte-Croix, de 1605 à 1640.

Ces tableaux, ou du moins la plus grande partie, ont été sauvés par des mains pieuses, et ils décorent aujourd’hui le monastère des Religieuses de Sainte-Croix, que nous avons visité déjà.

Dans l’ancienne chapelle de Sainte-Croix s’élevait le tombeau en marbre, rehaussé d’or, consacré à la mémoire d’une abbesse de l’antique famille de Montaut-Navaille. Il ne reste plus qu’un fragment de ce tombeau.

Si vous avez la curiosité de pénétrer plus tard dans les détails intimes de notre École de médecine, vous le verrez à l’amphithéâtre, où il sert de..... table de dissection ! Si du moins on pouvait dire : ex morte vita ? Mais non ; il n’y a qu’une profanation toute crue !

Plus heureuse, la cheminée de marbre qui ornait le salon abbatial décore l’ancienne salle de réunion du conseil académique, aujourd’hui salle des séances de la Société des antiquaires de l’Ouest. Ce n’est plus profanation, c’est simplement spoliation.

L’abbaye de Sainte-Croix fut fondée par sainte Radégonde, épouse de Clotaire Ier. Après le meurtre de son frère, tué par ordre de son époux, elle abandonna celui-ci, et se retira près de saint Médard, évêque de Noyon, qui lui donna le voile ; puis à Saix, où elle continua à mener une vie pleine d’austérités.

Enfin, elle se rendit à Poitiers, près du tombeau du grand Hilaire, et elle y fonda un monastère, avec l’autorisation de Clotaire et le secours de Pientius, évêque de Poitiers, et d’Austrapius, gouverneur de la province.

Ce monastère fut d’abord placé sous l’invocation de la sainte Vierge ; mais, lorsqu’après sa constitution, sa clôture et les nombreuses donations qui lui furent faites, il eut reçu de l’empereur Justin le Jeune une portion insigne de la relique de la vraie croix, il changea son nom primitif et fut appelé monastère de Sainte-Croix.

Ce fut à l’occasion de la translation de ce fragment précieux que Fortunat, depuis évêque de Poitiers, et alors uni par les liens d’une amitié toute chrétienne à Radégonde et à ses saintes filles, composa les hymnes magnifiques Vexilla Regis et Pange lingua, qui furent chantées pour la première fois dans cette auguste solennité, rehaussée de toutes les pompes du catholicisme.

Placé sous la règle de saint Césaire, le monastère de Sainte-Croix fit bientôt de grands progrès ; et lorsque sa fondatrice mourut, le 13 août 587, il comptait plus de deux cents Religieuses, sous la direction d’une sainte abbesse.

Après avoir réuni dans son enceinte les filles des roi, il fut érigé en abbaye et placé sous la protection spéciale des monarques qui gouvernaient la France. Parmi ses priviléges, on cite l’exemption du service militaire et de toutes redevances.

Détruite par les Normands, reconstruite après les ravages de ces barbares, l’abbaye de Sainte-Croix, qui compte parmi ses dignitaires des membres de la famille royale et des plus illustres maisons de France, subit le sort commun à ces établissements, et, après avoir brillé

d’un vif éclat, elle fut abolie par la Révolution, qui dépeça ses bâtiments et n’en laissa subsister que les quelques membres informes qui se voient encore aujourd’hui, et c’est là que sont établies depuis peu les

Religieuses de Saint-Joseph dites Sœurs Hospitalières. — Cette communauté, établie à Paris le 9 octobre 1644 et qui débuta en donnant ses soins aux malades de notre ancien Hôtel-Dieu, occupait, avant la Révolution, un couvent près des Halles, puis s’était établie en face du Palais de justice, sur le Plan Saint-Didier. — V. ci-après.

En 1861, lors de l’ouverture de la nouvelle rue qui conduit du boulevard Solférino au Plan de Saint-Didier, les Religieuses Hospitalières allèrent occuper les bâtiments délaissés par les RR. PP. Jésuites, rue d’Orléans, et qui, restaurés et agrandis depuis l’établissement de ces Religieuses dans l’ancien Évêché, constituent aujourd’hui l’important pensionnat d’élèves internes et externes si habilement dirigé par les Frères des Écoles chrétiennes.

Lors de leur établissement à Poitiers, elles donnaient leurs soins aux malades de l’Hôtel-Dieu, qu’elles quittèrent pour aller occuper en 1655 une maison de la rue des Trois-PiliersV. plus loin cet article — et où elles continuèrent à soigner les malades du sexe, conformément aux bases de leur Institut.

Aujourd’hui, elles reçoivent dans leur maison un certain nombre de pauvres malades de leur sexe et y admettent, moyennant une rétribution convenable, des malades plus aisées dont la santé exige des soins particuliers.

Avant la Révolution, elles tenaient un pensionnat de jeunes demoiselles ; aujourd’hui elles donnent l’instruction aux filles pauvres.

La triste construction que vous apercevez de la rue du Pont-Neuf dans l’enclos à droite en descendant, était autrefois la partie des bâtiments de Sainte-Croix où se trouvaient les appartements de l’abbesse. L’intérieur n’offre rien de plus brillant que l’extérieur, quoique, après la Révolution, on en eût fait le Palais Épiscopal, jusqu’au jour tout récent (1870), où l’Évêque, rentrant enfin chez lui, put quitter la demeure qu’il avait, bien involontairement, usurpée sur les filles de Sainte-Radégonde ! — V. p. 111.

Nous avons vu plus haut les lieux où les débris de cette corporation si fameuse autrefois ont cherché un modeste asile. La relique de la Croix du Sauveur que possédait, comme nous l’avons dit déjà, l’abbaye de Sainte-Croix, était, avant la Révolution, l’objet d’une vénération toute particulière, et lorsqu’elle devait être portée solennellement aux Rogations, tout le clergé du Chapitre de Sainte-Radégonde se rendait processionnellement au monastère pour y chercher le fameux reliquaire.

Le plus haut dignitaire le recevait des mains de l’abbesse, après avoir fait serment de le rapporter fidèlement. C’était au chanoine le plus récemment nommé qu’était attribué l’honneur de le porter, et pour ce fait il était obligé d’avoir les jambes et les pieds nus pendant toute la durée de la procession ; seulement, dans les églises où s’arrêtait le cortège, on lui présentait des pantoufles, et, par une sorte de compensation pleinement justifiée, en rentrant à l’abbaye pour y remettre son précieux dépôt, il recevait des Religieuses une paire de bas de soie noire.

La Grand’Gueule. — C’est à l’abbaye de Sainte-Croix que se rattache l’histoire de ce monstre effrayant. Cette figure, jadis très-fameuse à Poitiers, était en bois sculpté et colorié ; elle représentait un dragon ailé, la gueule béante, le corps couvert d’écailles ; sa croupe recourbée se terminait par une queue de scorpion, et ses pattes étaient armées de griffes crochues.

Relégué pendant toute l’année dans les greniers de l’abbaye de Sainte-Croix, ce monstre en sortait aux jours des Rogations avec la sainte relique de la vraie Croix, pour être porté triomphalement en tête des processions générales, au bout d’un long bâton, par un homme vêtu d’un surplis par-dessus son habit bourgeois, et coiffé d’un chapeau militaire avec une cocarde.

La Grand’Gueule était alors ornée de banderoles, de rosettes et de livrées brillantes ; et, tandis que sur son passage les uns s’inclinaient humblement, d’autres moins respectueux, mais non moins confiants sans doute dans sa puissante intervention, jetaient dans le gouffre toujours ouvert de sa gueule béante des cerises, prémices des fruits de l’année, des tartelettes et autres pâtisseries, parmi lesquelles se distinguait surtout le casse-museau, ce produit poitevin que nous avons vu détrôné, malgré son antique popularité, par un usurpateur révolutionnaire qui valait moins que lui.

Quelle était l’origine de ce singulier usage ? Que représentait cette figure étrange ? Était-ce un souvenir du fameux serpent d’airain élevé dans le désert ? était-ce le symbole allégorique de l’idolâtrie, de l’hérésie, de l’arianisme, marchant devant la croix victorieuse qui les avait terrassés et vaincus ? Était-ce une réminiscence du paganisme qui avait représenté le dieu de la lumière chassant devant lui le dieu des ténèbres ?

C’étaient là les suppositions des gros bonnets de la science. Le peuple, lui, ne voyait dans la Grand’Gueule que l’effigie authentique d’un monstre bien réel, ayant existé en chair et en os, et s’étant repu, pendant de longues années, du sang des malheureuses filles de Sainte-Croix, assez imprudentes pour s’égarer dans les souterrains des caves de l’abbaye qui lui servaient de repaire.

Puis, selon les uns, le dragon, traversant les airs à la vue de sainte Radégonde, aurait été frappé de mort tout simplement par l’effet foudroyant d’une prière fervente que la Sainte avait adressée à Dieu ; selon d’autres, il aurait succombé sous les coups d’un criminel auquel on avait fait grâce de la vie, à condition qu’il tuerait le monstre, mais qui fut empoisonné par son haleine empestée et périt dans son triomphe.

Qu’était-ce donc que la Grand’Gueule ? Nous vous conseillerons, ami lecteur, d’aller demander à nos confrères les antiquaires de Metz ce qu’était le Graouilli, dragon ailé qu’on promenait dans cette ville aux jours de saint Marc et des Rogations ; à nos confrères de Rouen, ce qu’était la Gargouille ; à nos confrères de Tarascon, ce qu’était la Tarasque ; à nos confrères de Paris, ce qu’était le monstre volant que l’on promenait aussi dans les processions, et partout avec grand renfort de pâtisseries et de gâteaux : ils vous répondront que c’étaient des monstres audacieux qui avaient commis de terribles ravages, et qui avaient succombé sous l’intervention protectrice des saints patrons du pays.

Cette identité, si remarquable dans des faits qui n’ont pu se passer identiques dans un si grand nombre de lieux différents, nous porterait à incliner vers les interprétations allégoriques qui ont pu se prêter partout aux mêmes sens, et donner lieu par conséquent partout aux mêmes manifestations.

Quoi qu’il en soit, l’effigie de la Grand’Gueule, après avoir été reléguée dans divers lieux indignes d’elle, figura pendant quelques heures dans un musée, et fut réclamée par l’autorité ecclésiastique, qui lui accorda un refuge honorable dans la bibliothèque du grand-séminaire.

Là, le poitrail du monstre déchu étale aux yeux le nom




de son auteur, la date de son exécution, sa croupe impuissante, son dard inutile, et c’est en vain, croyons-nous, que sa gueule, insatiable autrefois, attend depuis de longues années sa pitance des temps passés. Elle la trouverait difficilement, même une fois par an, dit-on, dans les reliefs des friandises qui surchargent rarement la table de ses nouveaux hôtes.

La Mandille. — C’est ici le lieu de parler d’un usage qui a certains rapports avec la procession de la Grand’Gueule : nous voulons parler de ce qu’on appelait à Poitiers la Mandille.

Dans diverses solennités, avant la Révolution, et surtout au jour de la procession du vœu de Louis XIII, qui avait lieu en l’honneur de la sainte Vierge, le 15 août, deux représentants des corps de métiers, qui étaient alors officiellement constitués en corporations légales ayant le nom de maîtrises, se mêlaient au cortège, vêtus de costumes taillés sur des patrons fort étranges, rappelant les coupes du moyen âge, et composés de pièces de rapport aux couleurs les plus tranchantes et les plus ridiculement bariolées.

Les bonnets de ces personnages affectaient des formes encore plus excentriques, et c’était à qui leur donnerait le caractère le plus bouffon. Sur ces bonnets étaient représentés en relief les principaux instruments en usage dans la corporation. Cette exhibition très-pittoresque, sinon très-religieuse, excitait, comme on le pense bien, l’attention curieuse et les regards de la foule.

Nous ignorons quelle était l’origine de cet usage ; mais nous sommes porté à croire que très-anciennement, c’était un pieux honneur rendu à la Mère de Dieu par les chefs des maîtrises ; puis, en raison de l’altération successive qu’avait éprouvée, dans la suite des temps, leur costume, primitivement officiel, ce costume, devenu extraordinaire seulement au bout de quelques siècles, avait fini, la bonne volonté y aidant, par dégénérer en une véritable mascarade, indigne de la solennité à laquelle elle était mêlée, mais dont on n’avait pu la distraire, sans doute en raison de son origine et des pieuses intentions qui la couvraient de leur égide.

En émettant cette opinion nous croyons fermement être dans le vrai.

Le Pont Neuf. — Puisque nous touchons au pont Neuf, que nous apercevons à quelques pas devant nous, accordons-lui un coup d’œil.

Quoique son nom ne soit pas heureux, en ce sens qu’il exprime une idée de jeunesse que d’autres monuments de ce genre peuvent revendiquer à plus juste titre que lui, et qui, pour cette cause, n’aurait jamais dû à l’origine lui être donné par ses parrains, ce nom seul, à défaut de la courbe de ses voûtes, indiquerait assez qu’il est d’une date relativement récente. Une plaque de cuivre trouvée dans la maçonnerie de ce pont, lorsqu’en 1843 il fut restauré pour être allégé à l’extrados et consolidé à sa base, a été déposée au musée des Antiquités de l’Ouest ; elle résume en quelques mots l’histoire de ce monument ; la voici :

l’an mil sept cent soixante dix huit,
sous le règne de louis seize, a été
commencé ce pont, aux frais des
habitants de la ville, sous l’autorité
de monsieur de la bourdonnaye, comte
de blossac, intendant de la province ;
sous l’administration de monsieur léonard
françois xavier pallu du parc, maire ; sous
la direction de monsieur barbier, ingénieur
en chef, par le sieur callet, entrepreneur.
l’an mdcclxxviii.

Du haut de cet observatoire notre œil embrasse un gracieux horizon. Là s’encadrent à gauche la vénérable basilique dédiée à sainte Radégonde, patronne de Poitiers, avec son abside romane, sa nef reprise à plusieurs fois, sa tour élégante et sa flèche aiguë, destinée à recevoir les petites cloches appelées primes ; puis ce dôme tout moderne qui abritait naguère les pieuses Filles de Notre-Dame, lorsque, dans leurs modestes débuts, elles étaient réduites à se contenter de la demeure des prieurs de Sainte-Radégonde ; à droite, sur l’autre rive, c’est une longue et abrupte ceinture de rocs escarpés parmi lesquels vous remarquerez sans doute ce bloc qui se dresse à pic, semblable à un menhir druidique : c’est la Roche de Coligny, la cuirasse de l’amiral, à l’abri de laquelle le chef des protestants disposait, pendant le mémorable siège de 1569, ses attaques et ses batteries impuissantes.

C’est bien là encore le cours un peu trop calme de notre Clain que menacent d’expulser de son lit séculaire des joncs envahisseurs. La pacifique rivière ne semble-t-elle pas, suppliante, tendre vers vous ses bras desséchés, pour vous demander de joindre vos instances aux nôtres, afin que si sa canalisation, dont on parle depuis des siècles, ne devient pas bientôt une vérité, on la débarrasse au moins promptement de ses hôtes incommodes ?

Sainte-Radégonde. — Revenons maintenant sur nos pas, puis, au débouché du pont Neuf, suivons, à droite, cette rue en zigzag qui se nomme rue des Carolus. Si nous avions le temps d’explorer les maisons qui bordent cette ligne, nous y trouverions les traces incontestables de l’enceinte romaine. Leur existence continue les données historiques relatives à la construction de l’église qui s’offre à nos regards, c’est l’église de Sainte-Radégonde.

Bâtie vers 560 par l’épouse du roi Clotaire, en dehors de l’enceinte de Poitiers, sous l’invocation de la Mère de Dieu, elle fut appelée, pour ce fait, Sainte-Marie-Hors-des-Murs. Elle fut, dès le principe, destinée aux clercs qui desservaient le monastère de Sainte-Croix, fondé, comme nous l’avons vu, peu auparavant par la reine lorsqu’elle quitta son royal époux pour se consacrer à la vie religieuse.

Cétait en raison de cette origine que, jusque dans les derniers temps, le prieur, dignitaire le plus élevé du Chapitre, était à la nomination de l’abbesse de Sainte-Croix.

Ce chapitre ne passait pas pour être très-accommodant : c’est ce qu’indique au moins l’épithète de chicaneurs accolée par la malice populaire au nom de ses membres.

Lorsque le tombeau de sa fondatrice eut été déposé dans l’église, elle s’agrandit et fut enfin placée sous le vocable même de la sainte reine.

Ravagée pendant les invasions successives des Sarrasins et des Normands, et pendant les luttes dont l’Aquitaine fut le théâtre sous le roi Louis le Débonnaire (IXe siècle), elle avait reçu en 838 la dépouille de Pépin Ier, roi d’Aquitaine, mort à Poitiers le 13 décembre.

Pendant cette triste période de nos annales, le précieux dépôt qu’elle renfermait avait été soustrait à la fureur de l’ennemi et caché dans les profondeurs de la crypte, où il fut heureusement retrouvé au mois de mars 1012 par les soins de l’abbesse Béliarde, ainsi que l’attestent deux inscriptions récemment découvertes.

Enfin, après un nouvel incendie (1083), l’église fut relevée et dédiée avec solennité le 15 des calendes de l’année 1099. Puis elle reçut, à diverses époques, des modifications importantes, et subit d’affreuses mutilations de la part des protestants, lors du pillage de 1562.

Avant de pénétrer dans ce sanctuaire vénérable, examinons l’ensemble du monument ; il accuse lui-même les diverses révolutions dont il a été l’objet et la victime. Le long de la rue étroite qui règne devant sa façade, on aperçoit un parvis dont le sol creusé en contre-bas est défendu par de solides remparts.

A leur sommet apparaissent encore les restes mutilés des anges qui servaient de tenants à l’écu royal de France, et des lions accroupis, symbole de la juridiction interleones qui s’exerçait sur ce siège de pierre taillé dans l’épaisseur du mur, en face du portail. Nous avons déjà parlé de ce symbole à l’article de l’église de Saint-Pierre, et nous en avons vu l’application et l’explication à propos de l’église de Saint-Porchaire, p. 54.

Le style de la tour du porche, si remarquable par la pureté de ses formes et par sa conservation, justifie les textes historiques : il répond en effet au XIe siècle, et sa partie supérieure, qui est octogone, semble refléter les traditions byzantines.

Le portail, qui a été en quelque sorte plaqué à la base de la tour, dénote le faire du XVIe siècle par la forme des ogives, par ses balustres à jours et par les arêtes prismatiques de ses enroulements sculptés en relief.

Ainsi, lorsqu’en 1562, la fureur des protestants se ruait sur ces sculptures à peine achevées, c’était l’œuvre d’hier, l’œuvre des mains de quelques-uns d’entre eux peut-être, qu’ils mutilaient lâchement.

Il est à désirer, bien que ce portail ne soit pas à sa place, qu’il puisse être restauré, à moins qu’on ne le fasse disparaître pour lui restituer son style primitif.

Dans la nef, on doit admirer l’ampleur que donnent au temple l’absence des bas-côtés et la hardiesse de ses voûtes élancées. Cette ampleur a été augmentée encore par la restauration de 1849, restauration si vivement provoquée depuis longtemps (1839) par nos écrits, et qui a placé l’autel au-dessus de la crypte, sous la voûte de l’abside, entre les colonnes historiées et armoriées dont on a fait revivre les couleurs et les formes.

Au temps du Chapitre, le chœur des chanoines était isolé au milieu de l’église, qu’il encombrait littéralement de ses murailles élevées, garnies intérieurement de boiseries et de stalles. Il se terminait du côté de la nef par un jubé.

L’autel de la paroisse, laquelle comptait 1,500 communiants, était placé au fond de l’église, dans l’absidiole, aujourd’hui chapelle de la Sainte-Vierge.

Le visiteur le moins versé dans la science archéologique distinguera facilement dans la construction de l’église de Sainte-Radégonde, consacrée en 1099, le style d’époques bien différentes : la nef, par exemple, est en partie de beaucoup postérieure à l’abside, à laquelle elle a été assez maladroitement soudée, et la portion la plus près de la tour a subi elle-même, ultérieurement, de larges modifications. Les voûtes, les arcatures qui ornent la surface des murs latéraux, la décoration des piliers, tout accuse un degré de parenté très-rapprochée entre l’église de Sainte-Radégonde et celle de Saint-Pierre.

A droite, dans la nef, existe une sorte de petite chapelle protégée par une grille en fer ; c’était autrefois un tombeau pratiqué, suivant la coutume, dans l’épaisseur du mur latéral. Deux statues en pierre, rehaussées de couleurs tranchantes, représentent N.-S. Jésus-Christ et sainte Radégonde. Entre les deux personnages se trouve une empreinte ayant la forme d’un pied tracée dans la pierre : cette empreinte est recouverte d’un fort grillage en fer.

Ce monument, qui a été transporté en 1792 dans l’église de Sainte-Radégonde, faisait jadis partie de la chapelle du Pas-de-Dieu qui existait dans l’enclos de Sainte-Croix, et dont nous avons parlé précédemment, à l’article de cette abbaye (V. p. 142). Il a conservé la faveur populaire dont il était autrefois l’objet, ainsi que l’attestent les traces non équivoques des cierges qui y brûlent constamment, et les pièces de monnaie déposées aux pieds de l’image vénérée.

Jetons un coup d’œil sur l’ensemble du monument, sur les peintures de sa voûte restaurées en 1849 par M. Hivonnait sous la direction de M. l’abbé Auber, historiographe du diocèse, et sur ses antiques vitraux.

Le plus petit représente la vie légendaire de saint Blaise, évêque de Sébaste et martyr, auquel était consacré un autel dans l’enfoncement pratiqué près de la chaire. Nous avons déjà vu ce sujet sur un vitrail de l’église de Saint-Pierre : c’était autrefois la chapelle de Sainte-Madeleine. On y place actuellement, au jeudi saint, le reposoir.

Au-dessus de l’ogive, brille une assez bonne copie de la Cène, de Philippe de Champagne. On prétend que cet artiste a donné aux apôtres les traits des solitaires de Port-Royal : c’était sans doute un acte de foi à sa manière.

Le grand vitrail a dû être donné, de 1311 à 1316, par Philippe le Long, comte de Poitou, dont on voit briller partout les armoiries écartelées de France (d’azur semé de fleurs de lis d’or) et de Poitou (de gueules semé de tours d’or).

Ce vitrail représente le jugement dernier, sujet très-rare dans les vitraux ; c’est un des plus complets qui existent. Au centre de la rosace, on voit le donateur à genoux devant sainte Radégonde. L’histoire de Jésus-Christ complétait cette vaste composition aujourd’hui défigurée par suite du pillage de 1562.

La troisième fenêtre contient les principales scènes de la vie légendaire de sainte Radégonde, qui est continuée, pour ainsi dire, sur la fenêtre qui fait face à la grande rosace du Jugement dernier.

L’autre vitrail, bien que dans un état de conservation satisfaisant, ne peut être expliqué.

Si la sacristie est ouverte (à droite, avant la balustrade qui règne devant la crypte de l’église), nous vous conseillons d’y entrer.

Ce petit monument offre un charmant échantillon de l’architecture de transition.

Les nervures de ses voûtes, agencées avec art, sont supportées par des demi-colonnes engagées, reposant elles-mêmes sur des figures formant consoles, parmi lesquelles on croit, mais sans preuves, que quelques-unes sont historiques et représentent Aliénor d’Aquitaine et l’évêque de Poitiers Gilbert de la Porée. À la clef de la voûte on voit le Père Eternel, et aux quatre angles les symboles des évangélistes.

Cette sacristie, restaurée en 1841, sous la direction de la Société des antiquaires de l’Ouest, mérite d’être citée pour sa parfaite conservation au milieu des atteintes de tous les genres de vandalisme qui ont successivement passé sur nos temples.

Si le sacristain se trouve sous notre main, demandons-lui communication du tableau du miracle de Vouillé, désignation impropre, mais qui sera comprise : c’est un vieux tableau représentant un roi à cheval, un laboureur avec ses bœufs et un champ de blé.

Que signifient-ils ? — La tradition raconte que, poursuivie par son royal époux, la reine Radégonde était sur le point d’être atteinte, lorsqu’elle arriva près d’un laboureur qui semait de l’avoine.

Voulant échapper aux mains de Clotaire, la Sainte dit au paysan : « Lorsqu’on vous demandera si vous avez vu passer la reine, répondez que vous « n’avez vu personne depuis que vous semiez ce blé » ; puis elle entra dans le champ.

La semence, à peine répandue, se prit à croître aussitôt et s’éleva à une hauteur telle, que la fugitive fut complétement cachée, ce que voyant, Clotaire comprit l’intervention miraculeuse du protecteur de Radégonde et se retira.

Le souvenir de ce miracle qui est consacré dans les vitraux de notre église, et qui figurait dans l’office propre célébré dans cette collégiale, a été pieusement conservé par les habitants du bourg de Vouillé, qui montrent encore aujourd’hui un champ dont les laboureurs n’ont jamais pu (disent-ils) redresser les sillons qui étaient contournés, afin de mieux dérober la fugitive aux regards du roi.

Une autre tradition plus plausible, en raison du séjour que la sainte fit à Saix, place le lieu de ce miracle au Champ-Carré, près de Saix, au delà de Loudun. — (Sur cette question et sur celles qui concernent sainte Radégonde, voir la Vie de cette sainte par M. Ed. de Fleury, ancien Recteur de l’Académie des Deux-Sèvres.)

Pénétrons maintenant dans la crypte.

Au milieu du cintre qui surmonte l’escalier, vous lirez sur une plaque en marbre noir la fondation faite en 1658 par la reine Anne d’Autriche, en mémoire de la guérison de son fils bien-aimé Louis XIV, guérison miraculeuse qu’elle devait à l’intercession efficace de la Sainte.

Une lampe d’argent, allumée nuit et jour, et deux messes solennelles fixées au 29 juin et au 13 juillet de chaque année, devaient conserver à perpétuité le souvenir de la reconnaissance royale… Et, en effet, trois lampes d’argent descendaient autrefois de la voûte devant le maître-autel. La plus grande avait été donnée par Anne d’Autriche.

Son fils Louis XIV, qui avait voué son premier dauphin à sainte Radégonde, avait envoyé à cette église un poupon de vermeil de grandeur naturelle, qui avait été placé dans une niche grillée, pratiquée dans le premier pilastre à droite du sanctuaire ; de l’autre côté, on voyait un tableau représentant la princesse de Conti offrant aussi à la Sainte-son nouveau-né.

Que sont devenus les riches dons de Louis XIV ? que sont devenus les petits-fils de Louis XIV eux-mêmes ? Demandez-le aux révolutions, qui ne se contentent plus, du reste, et depuis longtemps déjà, de ne tuer que des rois !

Au moment où nous écrivions notre première édition, au bas de l’escalier, à droite dans l’épaisseur du mur, un tombeau grossier contenait le corps de sainte Agnès, première abbesse de Sainte-Croix ; à gauche vis-à-vis, reposait sainte Disciole, disciple bien-aimée de sainte Radégonde. Une lourde balustrade de marbre blanc entourait l’autel, au-dessus duquel était placée la statue de sainte Radégonde, œuvre attribuée au célèbre Girardon. Tout cela avait été donné par la mère de Louis XIV ; mais, en 1853 et 1854, Mgr Pie, évêque de Poitiers, réunissant à une allocation de l’État le produit de la souscription diocésaine pour l’œuvre de Sainte-Radégonde, a pu faire disparaître ce placage inintelligent, qui cachait aux regards le tombeau de la Sainte, et hâter l’exécution des travaux, qui ont rendu à cette crypte vénérée son véritable caractère et son aspect des temps passés.

Sous la direction de M. Jolly-Leterme, architecte des monuments historiques, le sol a été abaissé jusqu’à son ancien niveau, et a été pavé de dalles sur lesquelles ont été gravées des imbrications dont le modèle a été emprunté au pavé primitif.

Dans l’épaisseur des murs, à droite et à gauche, ont été pratiqués deux passages donnant accès à la crypte circulaire, restée sans issue depuis que l’on avait bouché l’ouverture extérieure conduisant à l’escalier qui y aboutissait. Dans les chapelles absidales de cette crypte, dallée et ornée de peintures murales reproduisant le modeste appareil du XIIe siècle, ont été élevés trois autels sous l’invocation de sainte Radégonde, de sainte Agnès et de sainte Disciole.

L’inauguration de ces autels, complément heureux des travaux de restauration déjà commencés depuis plusieurs années, a eu lieu avec une pompe extraordinaire le 12 août 1854.

L’autel principal de l’église (œuvre de M. Hivonnait, artiste de Poitiers, 1849) a été, ce jour-là, consacré par Mgr Baillès, évêque de Luçon, et, dans la crypte, les autels de sainte Radégonde, de sainte Agnès et de sainte Disciole ont reçu la même consécration des mains de Mgr Pie, évêque de Poitiers ; de Mgr Cousseau, évêque d’Angoulême, et de Mgr Pallu du Parc, évêque de Blois, ces deux derniers enfants du Poitou.

Et alors aussi la statue en marbre blanc de la patronne de Poitiers fut posée sur un piédestal en avant du tombeau de la sainte, et chaque jour le pauvre emprunte aux doux produits de l’abeille des champs l’humble ex-voto qu’il vient suspendre pieusement aux mains de cette statue royale, qui fut elle-même l’ex-voto d’une puissante princesse, mère d’un grand Roi !

Sous cette voûte, à la lumière des cierges toujours brûlants, contemplons avec une pieuse émotion le sarcophage en marbre noir qui renferme une partie de ce qui reste de l’une des plus grandes saintes de la chrétienté.

Ce sarcophage, qui est peut-être celui-là même qui reçut la dépouille mortelle de la reine lorsqu’elle fut élevée hors de terre, fut ouvert le 28 mai 1412, à la demande de Jean, duc de Berry, comte de Poitou. Ce prince désirait et avait obtenu, plus par crainte qu’autrement, disent les chroniques, la permission de prendre le


chef et les deux anneaux de la reine ; mais il fut obligé, par force divine et miraculeuse, de se contenter d’un des deux anneaux de la sainte, laquelle retira sa main pour retenir celuy de la religion. Le corps fut trouvé plus odorant que la basme, et il était entier voilé, couronné, et ses mains jointes.

A un siècle et demi de là, le 27 mai 1562, les protestants pénétraient dans la crypte vénérée, brisaient le couvercle du tombeau, arrachaient les ossements et les faisaient brûler au milieu de la nef.

Sauvés furtivement par des mains fidèles, quelques-uns des débris du précieux trésor furent scellés dans un reliquaire de plomb et déposés de nouveau en grande pompe, le 28 février 1565, dans le tombeau, où ils ont été depuis respectés, même par les fureurs révolutionnaires.

Des miracles incontestables ont constamment prouvé depuis lors, et jusque dans ces derniers temps, la sainteté de la glorieuse patronne de Poitiers, et ils justifient l’immense affluence de pèlerins qui, de plusieurs départements éloignés, viennent chaque année, pendant le mois d’août, prier sur son tombeau.

Ce pieux usage, que rien n’a pu affaiblir, ajoutait au poids des considérations artistiques que nous invoquions dans notre première édition pour que l’on rendît à la crypte de Sainte-Radégonde son caractère primitif, en lui restituant l’ampleur de ses formes si tristement mutilées. Notre vœu a été largement rempli.

Après les profanations des protestants, une portion de la tête et du bras de sainte Radégonde fut donnée à ses pieuses filles, et ce sont ces restes si précieux qui furent solennellement déposés, le 13 août 1854, dans la magnifique châsse dont nous avons donné précédemment la description et l’image. (V. p. 96.)

Atelier de sculpture religieuse. — En sortant de l’église de Sainte-Radégonde par la porte latérale du sud, sur la main gauche, un peu avant un petit édifice à dôme couvert d’ardoises, et qui fut autrefois la chapelle des Religieuses Filles de Notre-Dame, vous trouverez un atelier dont la direction artistique est confiée aux soins d’un des RR. PP. Oblats de Saint-Hilaire. Les ouvriers laïques qu’il a formés depuis longues années sont aujourd’hui chargés de l’œuvre, qu’ils ont prise à leur compte, et qui offre toute garantie pour l’intelligente et exacte exécution de tout ce qui concerne la sculpture religieuse et l’ornementation des églises.

L’atelier du R. P. Besny a fourni à un grand nombre de paroisses du diocèse de Poitiers et des diocèses voisins la preuve de ce que l’on sait y faire, en conciliant les exigences de l’art religieux avec les modestes ressources dont on peut disposer pour les satisfaire.

L’Assomption. — Retournons sur nos pas. Si nous suivions le parvis de la façade de l’église de Sainte-Radégonde, nous verrions devant nous la rue du Pigeon-Blanc, dont le prolongement, qui aboutit à la rue du Pont-Joubert, comprend des traces souterraines de l’antique enceinte romaine ; puis, au nord de l’église, un bâtiment neuf dont la forme accuse la destination pieuse. Et, en effet, sous l’aile de la patronne des Poitevins, sont venues se placer, il y a peu de temps, les Religieuses de l’Assomption, dont la maison-mère est à Paris, et qui ont établi là un noviciat de leur congrégation, dont un des objets principaux est l’adoration perpétuelle du Très-Saint-Sacrement.

De Sainte-Radégonde au Pont Joubert. — Maintenant nous remonterons, si vous le jugez à propos, vers Saint-Pierre par la rue qui débouche diagonalement en face de Sainte-Radégonde : c’est la rue de la Psallette-Sainte-Radégonde.

Après avoir fait quelques pas au milieu des étalages de cierges, de médailles et d’objets de piété qui nous disputeront la largeur déjà étroite de la rue, nous apercevrons sur la gauche un grand portail décoré du signe de la Rédemption.

C’est la porte d’entrée de la communauté des Dames de l’Union-Chrétienne, congrégation vouée essentiellement à l’éducation. Ces Religieuses, qui n’étaient point cloîtrées, occupaient avant la Révolution, dans la rue des Trois-Cheminées, une maison sans aucune apparence ; elles tenaient alors, comme aujourd’hui, un pensionnat de jeunes demoiselles et une école de charité pour les petites filles.

C’est en 1630 que Marie Lumague, veuve du chevalier François de Pollalion, conseiller du roi, jeta les premiers fondements de la communauté de la Providence, dont celle de l’Union-Chrétienne dérive immédiatement.

En effet, transférée de Lyon à Charonne, près Paris, la Providence fut dirigée par saint Vincent de Paul, qui proposa à quelques pieuses filles de cette communauté de s’associer d’une manière plus intime, dans le but d’atteindre une perfection plus grande.

C’est de cet acte, de cette déclaration insérée dans la préface des règles et constitutions de cet Institut, qu’il prit le titre d'Union-Chrétienne.

Gouvernée par de saintes filles, cette association, bénie déjà par l’homme de Dieu dont le nom est si cher à la chrétienté, protégée par Louis XIV, par de puissants seigneurs, par de pieux prélats, fit de grands progrès, et compta bientôt des maisons dans un grand nombre de villes de France.

Poitiers fut l’une des premières dans lesquelles l’institut se développa et où il atteignit jusque dans ces derniers temps par des succès mérités le but que se proposaient ses fondateurs.

N’allons pas plus loin : suivons à droite la rue Sainte-Radégonde, et jetons un dernier regard sur l’église cathédrale. Déplorons l’inspiration mauvaise qui l’a si disgracieusement encombrée de ce côté, en y élevant une maison curiale, fort commode assurément pour le pasteur, mais fort incommode pour le temple, et suivons la première rue à droite, en passant devant ce portail du XVIe siècle, qui offre à vos yeux son ogive prétentieuse : c’est la triste rue Barbate, au milieu de laquelle se trouve une école communale gratuite tenue par les Frères des Écoles chrétiennes.

En face de la rue Barbate, à son extrémité, vous verrez un des rares échantillons des vieilles maisons du vieux Poitiers, avec ses étages surplombant, avec son toit aigu ; le tout soutenu par des bois debout recouverts d’ardoises qui les protègent contre l’eau, et forment en même temps une sorte de décoration de la façade.

Voici la rue Saint-Michel : descendons un peu, et sur notre main gauche, au coin de cette rue qui débouche dans celle de Saint-Michel, et qui se nomme des Filles-de-Saint-François, au lieu où s’élève maintenant, sur une terrasse, une maison particulière, nous verrons l’ancien emplacement du cimetière et de l’église Saint-Michel, qui a donné son nom à la rue.

C’était, avant la Révolution, une des paroisses les plus populeuses de la ville ; elle comptait 1 800 communiants. Nous savons déjà qu’elle dépendait du Chapitre de l’église cathédrale, et qu’elle avait donné son nom à la porte latérale de cette église, par laquelle son clergé avait coutume d’y pénétrer.

Les manuscrits de D. Fonteneau constatent qu’à une époque fort reculée, l’église de Saint-Michel était composée de deux églises superposées, dont la première était dédiée à saint Georges, et l’étage inférieur à saint Michel. La partie supérieure, menaçant ruine, fut démolie vers 1743, et l’on ne conserva que la partie inférieure.

Ce monument n’avait, du reste, rien de remarquable ; on y arrivait en traversant le cimetière qui le précédait. Dom Fonteneau pense qu’il n’était pas antérieur au XIIIe siècle.

Quand il fut réparé en 1753, on trouva, dans les fouilles faites, la preuve qu’il avait été construit sur les débris de l’ancienne enceinte de la ville. Des blocs de marbre blanc, couverts de lettres annonçant des inscriptions funéraires, se trouvèrent dans les fondements ; plus tard, en 1839, lorsque l’on creusa les canaux des fontaines publiques, l’opinion émise par D. Fonteneau sur l’existence d’une ancienne porte de ville en cet endroit, pendant la période romaine, parut justifiée par les découvertes qu’on y fit alors.

Le pont Joubert. — Nous apercevons à quelques pas un pont jeté sur le Clain ; accordons-lui la même faveur qu’à son frère : il la mérite, ne fût-ce qu’en raison de son droit d’aînesse (les antiquaires reconnaîtront toujours ce droit-là). C’est en effet un des plus vénérables par son âge, ainsi que l’atteste son genre de construction.

Primitivement, il s’appela pont de Saint-Angilbert ou Ingilbert, du nom d’un abbé de Saint-Riquier en Ponthieu en 793, mort en 814 ; puis plus tard la corruption du langage modifia successivement ce nom, et l’on dit le pont Saint-Anjeobert, Saint-Enjoubert, et enfin le pont Joubert. Il existait avant le XIe siècle, car il est question, dans des titres de cette époque, des moulins du pont d’Ingilbert.

Ce pont fut presque entièrement reconstruit en 1450 par les soins d’Hilaire l’Archier, maire de Poitiers. En 1482, il fallut le réparer à cause des fortes avaries que lui avait faites une inondation. Il fut presque entièrement emporté en 1561, ainsi que les autres ponts de Poitiers, par une inondation encore plus considérable.

Le peuple effrayé vit dans ces ravages successifs de tristes présages, et il n’eut pas tort. Les années suivantes furent en effet calamiteuses pour la ville de Poitiers.

C’était par la porte du pont d’Angilbert que les évêques devaient faire, d’après le cérémonial, leur première entrée dans leur ville épiscopale.

Ce pont, défendu dès le temps de Guillaume IX, comte de Poitou, par une tour que ce prince y fit élever, dans la crainte de quelques entreprises hostiles de la part de Geoffroy Martel, comte d’Anjou (1106), était gardé en certains temps par des seigneurs poitevins.

Ainsi le baron de Morthemer devait, à cause de ce fief, venir une fois en sa vie, et en personne, accompagné de quatre hommes d’armes garder pendant quarante jours et quarante nuits le pont et la porte de Saint-Anjeobert.

Cette porte ou plutôt cette entrée de la ville se composait d’une poterne entre deux tours au milieu du pont. Elle a été démolie en 1829, parce que la porte était trop étroite pour laisser passage aux charrettes chargées d’objets d’un gros volume.

La chapelle que vous voyez sur l’une des piles du pont à droite réclame quelques explications.

A l’époque où la ville de Poitiers dut, selon une tradition que nous rapporterons plus tard, son salut à la protection de la sainte Vierge et de ses saints patrons Hilaire et Radégonde, la cité reconnaissante fit élever aux portes de la ville sur tous les ponts et dans plusieurs édifices religieux, des chapelles en l’honneur de la Mère de Dieu.

Celle du pont Joubert est la seule qui ait survécu à la destruction de ses nombreuses sœurs : sur le frontispice vous lirez le quatrain suivant, tout empreint d’une gracieuse naïveté, et dû au Vénérable Père de Montfort, fondateur des Sœurs de la Sagesse, qui, au siècle dernier, évangélisa les habitants de ce quartier de la ville :

Si l’amour de Marie
Dans ton cœur est gravé,
En passant ne t’oublie
De lui dire un Ave.

Ce quatrain qui suffisait au sentiment poétique de nos bons aïeux, était reproduit sur toutes les chapelles publiques et particulières qui décoraient les portes, les ponts, les angles des rues et les façades des maisons. Il a disparu partout à peu près.

La Fontaine du Légat. — A l’extrémité du pont Joubert, sur la gauche, près du lit de la rivière, s’élève un petit monument ogival : il couvre la source dite Fontaine du Légat. Nous ignorons l’origine de ce nom, mais nous savons que ce fut René Cytois, seigneur du Breuil, maire de Poitiers en 1663, qui fit construire ce monument. L’emblème religieux du salut des hommes le couronnait autrefois : il a disparu.

La machine hydraulique. — En continuant notre course le long de la rive droite du Clain, nous arriverons aux bâtiments qui renferment la machine hydraulique chargée d’alimenter les mille tuyaux qui font circuler dans la ville l’eau nécessaire aux besoins de sa consommation. Mesurez de l’œil la distance qui sépare cette machine du château d’eau qui s’élève à l’entrée de la promenade de Blossac, et vous admirerez d’autant plus la simplicité de ses rouages, et la puissance des pistons qu’ils font mouvoir.

Voici le résumé du système : le moteur de l’appareil, qui n’est autre que l’eau du Clain, imprime son action à une roue en fonte munie d’aubes en tôle, laquelle, à son tour, transmet, à l’aide d’une bielle lixée à son arbre, cette action au piston d’une pompe.

Le mouvement de va et vient de ce piston aspire et refoule les eaux des sources de la Celle, qui s’échappent dans les tuyaux, traversent la ville et vont s’amasser dans le réservoir de Blossac. Cette machine, dont la puissance est de onze chevaux, fournit 700 mètres cubes d’eau par jour, dont 550 peuvent être contenus dans le château d’eau et former, au besoin, une réserve utile.

« Rendons à chaque siècle et à chacun la justice qu’ils méritent, et, après avoir donné des éloges à l’ingénieur Cordier, après avoir rappelé que les travaux relatifs à l’établissement complet des fontaines dans la ville ont commencé en 1837, sous l’administration de M. Régnault, maire, qu’ils ont été achevés sous M. Jolly en 1841, et qu’ils ont coûté 315 000 fr., avouons que les Romains, nos maîtres en tant de choses, faisaient au moins aussi bien que nous en ce genre.

« Il est reconnu aujourd hui que, dans certains cas, les eaux de nos fontaines ne sont pas des eaux de fontaine, qu’elles ne peuvent pas arriver en tout temps, que leur volume diminue avec l’usage qui fatigue la machine et que les digues qui servent de barrages sont souvent emportées par les grandes crues. Ces inconvénients graves, on les eût évités en dirigeant vers une restauration facile des aqueducs construits à Poitiers par le peuple-roi les ressources financières dont on pouvait disposer alors.

« Dans cette question importante, l’archéologie unie à la science eût rendu un immense service au pays ; la science dédaigna son humble sœur, et elle eut tort pour elle, et plus grand tort pour nous. Encore une fois, puisse l’avenir ne pas nous prouver trop rudement que le passé peut être bon à quelque chose ! »

Ainsi disions-nous dans notre première édition. L’avenir, qui est aujourd’hui le passé, a prouvé que la machine hydraulique, ne pouvant élever que 700 mètres cubes d’eau en vingt-quatre heures, était insuffisante pour les besoins de la ville, qui, en été, en consomme 900 mètres cubes. Pour remédier à cet inconvénient, sous l’administration de M. Grellaud, maire de Poitiers (1859), une machine à vapeur de la force de vingt-cinq chevaux, fabriquée et installée par MM. Coudroy et Cie, de Douai, a ajouté sa puissance plus régulière et plus sûre à celle de son aînée. Cette machine élève, en vingt-quatre heures, 1 500 mètres cubes d’eau, c’est-à-dire toute la quantité d’eau débitée par la fontaine de la Celle. Les tuyaux de distribution de la machine hydraulique servant également pour distribuer l’eau élevée par la machine à vapeur, les dépenses d’établissement de cette dernière ne se sont élevées qu’à 80 000 fr.

Une locomobile de secours des ateliers de MM. Farcot a été installée dans l’usine des fontaines ; elle fonctionne depuis quelque temps et produit de bons résultats. Par suite d’une combinaison due à MM. Farcot, cette locomobile marche concurremment avec la machine hydraulique, ce qui diminue sensiblement la dépense du combustible. Enfin, pour améliorer, autant que possible, le service des eaux, MM. Farcot ont été chargés de réparer l’ancienne machine à vapeur, et, à l’heure où nous écrivons, on s’occupe de ces réparations.

Montbernage. — Si nous suivions la route qui se présente devant nous au nord, elle nous conduirait, par une pente bientôt accentuée, au faubourg de Montbernage, ou plutôt, pour parler plus correctement, de Maubernage.

Ce faubourg, ainsi que nous l’avons dit page 12, pourrait réclamer, d’après Dufour, l’honneur d’avoir été l’antique Limonum.

Ce n’est pas pour une telle origine, mais à l’occasion de l’incendie dont il fut victime au commencement de ce siècle, qu’il fut chanté par un rimeur poitevin dont les excentricités poétiques amusaient alors nos joyeux pères.

De ce poëme sérieusement burlesque, notre ingrate mémoire n’a gardé, hélas ! qu’un hémistiche, celui dans lequel, voulant exprimer comment le feu avait été produit par une trombe d’eau qui avait inondé un tas de chaux vive, le Virgile poitevin, saturé des souvenirs mythologiques de son classique modèle, s’écriait, dans son style audacieusement figuré :

« Vulcain naît de Neptune, etc. »

Veuillez, ami lecteur, ne pas estimer, d’après ce produit intellectuel, la saveur d’une production indigène d’un tout autre goût.

Nous voulons parler des excellents fromages de Montbernage, qui, connus du populaire sous le nom de chabichous, jouissent, dans le monde culinaire, d’une réputation justement méritée, et surent conquérir un jour, dans un congrès spécial tenu par les plus fins gourmets, un rang fort distingué.

Toutefois, si vous aviez l’idée d’en goûter, et surtout d’en mettre en poche pour en faire part à vos amis, usez de la précaution que nous prenons toujours nous-même. Munissez-vous de quelques feuilles de papier carbonifère (fort utile invention de notre concitoyen, M. Pichot, place d’Armes), et enveloppez-en avec soin le produit maubernageois.

C’est là le seul moyen d’éviter à votre sens olfactif une épreuve à laquelle il résisterait peut-être difficilement, et qu’en tout cas les voisins obligés de voyager avec vous seraient en droit de ne pas subir.

Revenons maintenant sur nos pas, repassons le pont Joubert, et remontons la rue Saint-Michel.

Les Carmes. — Nous trouvons à droite la rue des Carmes, laquelle doit son nom au couvent des Religieux de ce nom, qui fut fondé, vers le milieu du XIVe siècle, par Guillaume Felton et par le fameux Jean Chandos, grand sénéchal du Poitou sous la domination anglaise, l’un des généraux les plus distingués du roi Édouard et rival de l’illustre du Guesclin. Cette fondation avait été faite, au dire d’un auteur, en 1367, en action de grâce du gain de la bataille de Mautpertuis (bataille de Poitiers, 1356).

Avant la Révolution, on voyait dans les cloîtres les armoiries des fondateurs, et au-dessus l’inscription suivante :

monsou guille de felton,
monsou jehan chandos,
fondeurs de cette église et de ce lieu

(Les armes de Jean Chandos sont d’argent au pal aiguisé de gueules.)

On pénétrait dans l’église et dans les cloîtres par deux portes différentes suivies de plusieurs marches. L’église, sous le vocable de Notre-Dame, était assez grande, mais n’avait rien de remarquable. De la chapelle de la Vierge on sortait par une porte suivie d’une ruelle qui conduisait à la rue Saint-Michel. Elle existe encore.

L’église était ornée d’un orgue, et le chœur des Religieux, placé dans les étages supérieurs du couvent, communiquait avec l’église par deux grandes fenêtres garnies de grillages à gauche du sanctuaire. Les maisons, à partir du no 25 en remontant, ont remplacé le couvent, entièrement détruit par la Révolution.

À cette époque, il comptait huit Religieux sous la direction d’un prieur : on les saluait du titre de Pères, et plusieurs étaient des prédicateurs goûtés du public. Le couvent des Carmes était affilié, comme ceux des Cordeliers, des Augustins et des Minimes, à l’Université.

Les Minimes. — A côté de la ruelle de ce nom, sur l’emplacement où s’élevait, avant la Révolution, l’église des Minimes, et où l’on pénètre par l’entrée dite de la Salpêtrière, on a construit une salle d’asile qui reçoit trois cents enfants, sous la maternelle direction qui y préside. (Il y en a une autre près de Saint-Hilaire, une autre dans le faubourg de Montbernage, une autre au haut de celui de la Cueille, et la ville de Poitiers a fait pour ces utiles établissements de très-grands sacrifices qui ont été secondés par la munificence de l’État.)

Ces diverses salles d’asile sont tenues par les dévouées Sœurs de la Sagesse, qui dirigent aussi plusieurs écoles communales gratuites de la ville, et qui sont enfin constituées les infirmières des trois hospices de Poitiers. — On verra plus loin le berceau de ce pieux Institut d’origine toute poitevine.

L’Ordre des Minimes, fondé par saint François de Paule, fut confirmé en 1473 par Sixte IV. Après la visite faite par le saint prêtre au roi Louis XI, qui avait imploré son assistance pour le protéger contre les terreurs de la mort, ce prince lui donna dans son palais du Plessis-lez-Tours un logement pour lui et ses Religieux, et le fils du terrible monarque, Charles VIII, leur bâtit un couvent dans le parc du château et un autre à Amboise.

Nous ignorons l’année en laquelle les Religieux de cet Ordre s’établirent à Poitiers. À l’époque de la Révolution, ils ne comptaient que deux membres, y compris le correcteur (supérieur). Au temps de leur splendeur, ils fournissaient des prédicateurs à la ville. Ils étaient, ainsi que les Carmes, les Cordeliers et les Augustins, affiliés à l’Université, qui se réunissait dans l’église des Minimes en certaines occasions.

La Maison des Trois-Clous. — Dans la Grand’-Rue, au n°16, n’apercevez-vous pas une maison couronnée d’un toit aigu surmonté d’une petite girouette ? Elle se compose de trois étages. Au-dessus de la plus haute fenêtre, s’alignent trois grands clous : au-dessus de la plus grande, apparaît l’écu royal de France aux trois fleurs de lis, ayant pour tenants deux anges.

À l’angle droit du premier étage, une figurine représente un homme à mi-corps, tenant un phylactère.

Quels sont, direz-vous, ces emblèmes ? que signifient-ils ? Dans quel but ces trois clous ont-ils été placés là ? Question bien indiscrète, cher lecteur, car vous courez risque de mettre notre science en défaut, et ce serait chose fâcheuse pour un cicérone qui doit savoir tout (même ce qu’il ne sait pas, ajoutent quelquefois les méchants), afin de vous l’apprendre.

Essayons pourtant : d’abord cette figurine est (on le dit du moins) la représentation d’un Religieux Minime : c’est assez difficile à croire, si l’on en juge par le costume ; mais enfin… Et lorsque la procession solennelle de la Fête-Dieu passait devant cette statue, on attachait, et on attache encore, à ces clous un morceau de pain ou de gâteau, un paquet de cerises, une petite fiole pleine de vin et des fleurs.

Quelle signification pouvait présenter cet usage ? Était-ce un symbole ? Nous le croyons ; mais, plus soucieux de l’honneur des Minimes, auxquels on attribuait l’origine de cette coutume singulière, que ne le furent avant nous de malicieux Poitevins, nous ne dirons point que par cette exhibition publique les Religieux prétendaient « montrer à Dieu qu’ils ne manquaient de rien ; » mais qu’au contraire ils entendaient le remercier par un solennel hommage de tous ces biens matériels nécessaires à la vie, et que l’homme doit à la toute-puissance et à la bonté de Celui qui les a créés.

Cette explication est peut-être moins piquante que la première, mais elle a le mérite, à notre avis, d’être plus juste et plus vraie.

La tradition prétend que la maison où se voient nos trois clous fut habitée par Charles VII, lorsqu’il résida à Poitiers, en 1422. L’histoire ne dit rien qui puisse justifier ou démentir ce fait. L’écusson royal pourrait seulement établir un commencement de preuve ou tout au moins de présomption d’une visite royale.

En continuant à suivre la Grand’Rue, nous trouvons sur notre gauche une sorte de ruelle étroite, du nom de Montgautier. C’est Montgauguier qu’il faudrait dire. Elle s’appelait autrefois de Saint-Léger, du nom d’une église placée sous ce vocable (Saint-Léger ou Liguaire, S. Leodegarius, prieuré existant dès 1123), et qui y était située ; mais un commandeur de l’Ordre de Malte, le commandeur de Montgauguier (cette commanderie était située dans le canton actuel de Mirebeau, Vienne), étant venu y habiter, la rue prit le nom de cet hôte important, et la corruption du langage en a fait la rue de Montgautier.

Église Saint-Paul. — Si vous aviez la curiosité de pénétrer jusqu’à l’extrémité, vous déboucheriez dans la rue Saint-Paul, appelée, pendant la Révolution, rue Las-Caze ; puis dans une ancienne impasse, aujourd’hui rue Neuve-de-Saint-Paul, et là vous trouveriez à gauche une grange qui fut autrefois la petite église paroissiale de Saint-Paul.

Saint-Paul fut primitivement une abbaye dont la fondation est absolument inconnue, et qui fut possédée par les comtes de Poitou. Le plus ancien des titres qui la concernent est du mois de mars 924. Ebles en était abbé, et le comte Ebles le Manzer y stipula en son nom avec l’abbé de Nouaillé.

Plus tard, lorsque Guillaume IX, comte de Poitou, duc d’Aquitaine, eut fondé l’abbaye de Montierneuf, Saint-Paul devint presque aussitôt un prieuré de la nouvelle abbaye, du consentement d’Isembert II, evêque de Poitiers, car Saint-Paul relevait en fief du siège épiscopal.

Avant la Révolution, c’était une paroisse comptant 500 communiants, et, dans les derniers temps, on avait conservé la mémoire d’un curé de Saint-Paul, dont les sermons produisaient sur ses auditeurs la plus vive impression. On citait entre autres un sermon sur la mort, prêché pendant les Quarante Heures, dont l’effet avait été tel, que les auditeurs épouvantés se dressèrent sur leurs bancs avec un frémissement de crainte irrésistible.

On raconte le même fait du P. Massillon prêchant son fameux sermon du petit nombre des élus.

On voyait dans l’église Saint-Paul le tombeau du marin La Galissonnière, chef d’escadre, père du marin célèbre qui battit les Anglais à Minorque, en 1756.

École primaire supérieure communale. — Au coin de la rue Saint-Paul et de celle du Gervis-Vert (gervis, à Poitiers, veut dire treillis), existait autrefois le jeu de paume de l’Oison. Il fut supprimé, et sur son emplacement s’éleva un vaste hôtel appartenant à la famille Cousseau de Massignac, dont un représentant, un de nos plus vieux amis, était, il y a peu de temps encore, ministre plénipotentiaire de France en Perse. La ville de Poitiers a acheté cet hôtel pour y placer en 1846 son école primaire supérieure communale, lorsque celle-ci fut obligée de déguerpir de l’ancien couvent des Pénitentes (rue Corne-de-Bouc), que réclamait fort rigoureusement le ministre de la guerre. (V. page 70.)

La ville a dépensé pour l’achat et l’appropriation de l’hôtel de Massignac plus de 70 000 fr. ; mais son école primaire supérieure a été plusieurs fois signalée par les inspecteurs généraux de l’Université comme une des meilleures de France.

Redescendons maintenant par la rue Saint-Paul ; prenons à gauche la rue Montgautier et remontons la Grand’Rue.

Hôtel du grand prieuré d’Aquitaine ou la Grande-Commanderie. — Là, sur notre main gauche, n’apercevez-vous pas, au-dessus d’un portail de vastes dimensions, un écusson mutilé dont les insignes annoncent les armoiries de l’Ordre de Malte ? C’était là, en effet, l’hôtel où se tenait le grand-prieur d’Aquitaine, l’un des dignitaires les plus éminents de l’Ordre, chargé de l’administration et de la direction des nombreuses commanderies placées dans la vaste étendue de son ressort.

Les bâtiments de cet hôtel existent encore au milieu des jardins ; ils sont aujourd’hui maison particulière. Ils renfermaient autrefois un riche chartrier, dont les trésors sont déposés aux archives départementales et forment la sixième subdivision de la deuxième série des archives ecclésiastiques.

L’hôtel de la Rose. — Nous sommes arrivés enfin à l’extrémité de cette rue justement appelée la Grande.

A gauche, voici la rue du Petit-Maure. Au 13 novembre 1398, elle s’appelait de la Jabruelhe (de la Jabrouille), sans doute du nom de Jean de la Jabrouille, abbé de Saint-Cyprien en 1229.

Elle prit son nom moderne de l’enseigne de l’auberge du Petit-Maure, située dans son parcours, et où mourut en 1609, le poëte Rapin, enfant de Fontenay. L’honorable illustration de ce Poitevin rejaillit sur notre cité : il lui devait sa science et son goût pour l’étude des lettres.

Une maison neuve, habitée maintenant par un pharmacien, forme l’angle de cette rue du Petit-Maure et de celle de Saint-Étienne. C’était là que se trouvait l’hôtel de la Rose, hôtel qui fut habité par Jeanne d’Arc lorsqu’elle vint à Poitiers, en 1428.

La jeune fille était placée sous la garde de Jean Rabasteau, conseiller au parlement de Poitiers, qui avait mission de veiller sur elle et de l’accompagner partout où besoin serait.

« l’ay ouy dire en ma jeunesse (dit l’annaliste Bouchet) et dès l’an mil quatre « cent quatre vingt et quinze, à feu Christofle de Peyrat, lors demeurant à « Poictiers, et près ma maison, qui auoit près de cent ans, qu’en maditte maison « y auoit eu hostellerie, ou pendoit l’enseigne de la Rose, ou ladite Jeanne estoit « logée, et qu’il la veit monter à cheval, toute armée à blanc, pour aller au dit « lieu d’Orléans, et me montra vne petite pierre, qui est au coing de la rue S. « Estienne, ou elle print auantage pour monter sur son cheual. »

Cette pierre, que la tradition avait protégée depuis, ne put trouver grâce en 1825 devant la pioche des paveurs qui réparaient le pavé des rues Saint-Étienne et du Petit-Maure. Elle fut alors brisée ; mais ses fragments, réunis par une main pieuse, furent patriotiquement conservés et déposés au musée des antiquités de l’Ouest, où vous les verrez bientôt.

Passons… et ne nous arrêtons pas trop sur un souvenir qui, en provoquant de douloureuses comparaisons, ferait monter sans doute à nos fronts le rouge d’une honte patriotique à l’évocation de ces jours glorieux où la France

Par l’étranger cruellement meurtrie,
Mais sous son vieux drapeau gardant son vieil honneur,
Croyante en Dieu, croyante en la Patrie,
Dans cette double foi trouvait son vrai sauveur.

Continuons notre route par la rue à droite, dite rue des Trois-Cheminées.

À l’extrémité sur la main droite, au no 27, une petite porte bien modeste semble annoncer à peine l’entrée d’une chapelle : c’est la chapelle des Religieuses du Calvaire. On y pénètre de la rue même ; mais autrefois il fallait traverser un porche et une cour sur le côté.

Les Religieuses du Calvaire. — Le couvent des Religieuses du Calvaire occupe aujourd’hui l’ancien couvent où vivaient, avant la Révolution, les Religieuses de l’Union-Chrétienne, que nous avons vues logées aujourd’hui près de l’église de Sainte-Radégonde. (V. page 163.)

La congrégation des Filles du Calvaire fut fondée à Poitiers en 1617 par le capucin François Leclerc du Tremblay, plus connu sous le nom historique de P. Joseph, et qui joua un rôle important dans les grands événements politiques auxquels le mêla fort activement le cardinal de Richelieu, dont il fut — c’est le cardinal lui-même qui l’a écrit — « la consolation, le secours, le confident et l’appui ». On l’appelait l’Éminence grise, et son habileté fut plus d’une fois fort utile, dans les plus graves conjonctures, aux desseins de l’illustre ministre de Louis XIII.

L’histoire a dit notamment que, sans l’énergie du capucin, à l’époque où les désastres de la guerre de Trente Ans avaient amené les Impériaux à 20 lieues de Paris, Richelieu épouvanté eût commis la faute d’une

faiblesse qui l’eût infailliblement perdu et qui eût, alors, compromis la France elle-même.

Le portrait authentique que nous donnons de ce personnage exprime bien, à notre sens, son caractère.

Le P. Joseph associa à l’œuvre religieuse dont Poitiers fut le premier théâtre Antoinette d’Orléans, fille de Léonor d’Orléans, duc de Longueville, et de Marie de Bourbon, qui le seconda puissamment par son dévoûment et ses héroïques vertus.

Nous verrons plus loin les lieux mêmes où, à son origine, fut établi l’Institut de Notre-Dame du Calvaire, dont le but primitif, sous l’exacte règle de Saint-Benoît, était, comme il l’est encore aujourd’hui, d’honorer la Passion de N.-S. Jésus-Christ et d’appliquer ses œuvres pour obtenir de Dieu la conversion des infidèles et des hérétiques, et le recouvrement des lieux saints consacrés par la vie et la mort du Sauveur.

Cet Institut comprend aujourd’hui vingt maisons, dont la première est à Poitiers.

Rue de l’Étude. — Ancien Jeu de Paume. — La rue de l’Étude, qui aboutit à droite, peu après le couvent du Calvaire, à la rue des Trois-Cheminées, s’appelle ainsi par corruption ; elle devrait se nommer rue de l’Esteuf, du nom donné à la balle dont on se sert pour jouer à la paume. Si vous voulez que nous justifiions cette assertion, veuillez faire quelques pas.

Là se trouvait naguère une porte surmontée d’un bas-relief mutilé. Plusieurs personnages y figuraient ; mais, grâce aux pierres des gamins auxquels ils avaient servi de but, ces personnages ne pouvaient plus déjà nous dire ce qu’ils faisaient là. Au-dessous on lisait ces mots : A L’ESTUDE 1592, mots dérisoires et malins, que le maître du jeu de paume du XVIe siècle adressait à ses joyeux clients,

Plus pressés de répondre à l’appel caressant
De l’Esteuf bondissant,
Qu’à l’appel de l’Eschole
Et du Digeste enflé de Cujas et Barthole.

Ce jeu de paume fut supprimé quelques années avant 1712. La ville de Poitiers comptait, nous l’avons déjà dit, un grand nombre d’établissements de ce genre, le jeu auquel ils fournissaient des acteurs et des instruments étant alors très en vogue. — Demandez donc aujourd’hui à nos escholiers ce qu’est devenu le jeu de paume de leurs pères, et demandez aux pères s’ils ne préféreraient pas voir les grands enfants qui font aujourd’hui, comme autrefois, l’école buissonnière, partiquer le jeu de paume et ses fortifiants exercices, plutôt que de s’énerver par l’alcool et l’absinthe, dans la longue inertie de leurs heures périlleusement inutiles.

Prieuré de Saint-Denis. — Continuons notre course. Voici un carrefour : à droite, à l’extrémité de cette rue dite de Saint-Denis, sur le lieu occupé par la maison no 31, s’élevait autrefois l’église du prieuré de Saint-Denis, dont la rue a pris le nom.

Ce prieuré, sur lequel les auteurs ne fournissent que peu de notions, fut donné avec ses dépendances, par Guillaume Ier, évêque de Poitiers, le 15 mai 1120, à l’abbaye de Noyers en Touraine. Il était situé près des murs de l’enceinte romaine de la ville ; et une des fausses portes de la cité, la porte Maynard, se trouvait, dès le XIe siècle, à peu de distance, dans la direction du couvent des Carmes ; elle donnait issue probablement vers les moulins de Bajon.

A gauche de notre carrefour se dirige la rue Sainte-Opportune, du nom de l’église qui s’y trouvait. À quelques pas sur la main gauche, au no 7, une maison du XVIe siècle vous montrera sur l’imposte de la porte un gracieux bas-relief qui provient des ruines du château de Bonnivet. Nous vous parlerons bientôt de ce château, à l’article du Musée.

Communauté des Filles de la Croix, dites Sœurs de Saint-André. — Plus loin, sur la main droite, au no 12, une modeste porte donne entrée dans l’humble demeure des Filles de la Croix, dites Sœurs de Saint-André. Cet Institut religieux, fondé, en 1806, par Mme Marie-Elisabeth Bichier des Ages, d’une famille poitevine, à laquelle se joignit plus tard l’abbé André Fournet, prêtre poitevin, dont le procès de béatification est pendant en cour de Rome, se livre à l’instruction des enfants pauvres, sans négliger, dans les campagnes, le soin des malades.

Cette Congrégation, approuvée, est aujourd’hui très-florissante, et compte de nombreux établissements en France et à l’étranger. La maison-mère, à Supérieure générale, est dans le diocèse, à La Puye (Vienne).

La chapelle de la maison établie à Poitiers s’ouvre sur la rue des Gaillards, ainsi nommée d’une famille qui y habitait à une époque reculée, et qui est encore très-honorablement représentée à Poitiers aujourd’hui dans la magistrature, à laquelle elle a fourni un membre éminent de la Cour suprême, M. Nicias Gaillard, auteur de diverses notices relatives à l’histoire du Poitou.

Sainte-Opportune. — En face de cette rue des Gaillards, une grande porte cache aux yeux les restes de l’église de Sainte-Opportune, mentionnée comme paroisse dès le 16 août 1281 ; elle comptait, au moment de la Révolution, 300 communiants.

Les abbés de Montierneuf ayant été investis du titre de conservateurs des privilèges apostoliques de l’Université de Poitiers (XIVe siècle), Étienne, l’un d’eux, patron de l’église de Sainte-Opportune et doyen de la Faculté de théologie, fit décider que cette église servirait pour les actes de la sacrée Faculté, et la désignation du lieu, inscrite sur les thèses, était ainsi libellée : in scholis opportunicis.

Nous avons lu quelque part que c’était en vertu de cette prérogative que le curé de Sainte-Opportune devait être nécessairement au moins bachelier en théologie. Voici à quelle occasion spéciale fut prise cette décision :

C’était en 1462 ; le maire et le conseil de la ville de Poitiers donnèrent mandement par lequel ils décrétèrent que la cure de Sainte-Opportune ne serait dorénavant donnée qu’à un bachelier ou licencié en théologie, « en « contemplacion des belles et notables études qu’y fait tous les jours M. Pierre « Maurice, le curé actuel ».

Ceci nous porterait à croire qu’à cette époque la paroisse de Sainte-Opportune était le centre d’études théologiques en renom, d’où la désignation in scholis opportunicis.

Les Feuillants, aujourd’hui Religieuses du Sacré-Cœur. — Revenons de la rue Sainte-Opportune. Suivons la rue des Quatre-Vents (ce nom conviendrait mieux à un carrefour ; il est vrai qu’elle y aboutit). Ainsi disions-nous dans nos deux premières éditions, et, depuis, nous avons acquis la certitude que c’étaient aux rues actuelles des Feuillants et des Filles-de-Saint-François que les titres anciens appliquaient le nom de Quatre-Vents. — Un jeu de Paume dit des Quatre-Vents existait encore là en 1615. Tournons à droite ; voici la rue des Feuillants, ainsi appelée de l’Ordre religieux qui y était établi avant 1793 et qui lui donna son nom.

Ces Religieux ne prêchaient ni ne confessaient, et ils étaient peu nombreux. On en comptait quatre seulement au moment de la Révolution ; leur chef se nommait prieur. Leur fondation remontait à l’année 1616.

Lorsque la procession des Rogations passait devant leur couvent, ils devaient mettre une couronne de fleurs sur la tête de l’image de la sainte Vierge. Quelques-uns des bâtiments de ces Religieux ont été conservés dans l’immense construction édifiée par les Religieuses du Sacré-Cœur sur l’emplacement de l’ancien couvent des Feuillants ; et, malgré le titre tout différent que portent ses nouveaux hôtes, le nom des Feuillants a longtemps dominé dans les désignations ordinaires.

Si vous pouviez obtenir entrée dans ce couvent voué à l’instruction des jeunes demoiselles, qui y reçoivent, comme vous le savez sans doute, une brillante et solide éducation, vous verriez une chapelle moderne dont le plan n’est pas assurément parfait, mais qu’il ne faut pas juger d’après son triste aspect extérieur, et qui a plus de caractère que la plupart des œuvres de ce genre.

Le Bon-Pasteur. — Au commencement de la rue qui forme la prolongation de celle des Feuillants, et qui se nomme rue des Filles-de-Saint-François —vous allez savoir bientôt pourquoi — vous apercevez à droite, sous le no 26, les bâtiments du Bon-Pasteur. Cet établissement, dont le titre seul indique qu’il est destiné à remplacer l’ancienne maison des Repenties, a été fondé par Mgr de Bouillé, évêque de Poitiers, pendant les dernières années de son long épiscopat, qui s’est terminé en 1842.

Les Filles de Saint-François. — C’est au commencement de 1629 que ces Religieuses avaient demandé et obtenu la permission de s’établir à Poitiers. Leur couvent, qui a donné son nom à la rue, était situé autrefois sur la main gauche, à quelque distance de là. Il avait peu d’apparence. L’établissement qui l’a remplacé n’en a guère davantage, de ce côté-ci du moins, mais nous le verrons plus loin sous un autre aspect.

Dans l’espace compris aujourd’hui entre la Grand’Rue, la rue des Filles-de-Saint-François et la rue du Pré-l’Abbesse, existait, au XVe siècle, l’enclos de l’hôtel des Grands-Moulins, lequel hôtel ouvrait dans la rue des Filles-de-Saint-François. Cet enclos, qui contenait au moins vingt hectares de notre mesure actuelle, renfermait dans son enceinte d’immenses jardins, de vastes vergers, des ateliers de teinture, trois moulins à farine, deux moulins à papier, des tanneries, des réservoirs, des pêcheries alimentées par l’eau du Clain et destinées à la provision des habitants. Les tanneries et teintureries avaient été fondées par Maurice Claveurier (vivant vers 1420), alors propriétaire de l’hôtel des Grands-Moulins.

En tournant à l’angle Est du couvent des Religieuses du Sacré-Cœur, vous trouverez la rue du Pré-l’Abbesse, ainsi nommée sans doute parce qu’elle conduisait au pré de ce nom ; et lui-même était ainsi appelé, parce qu’il faisait partie du domaine particulier de l’abbesse de Sainte-Croix. Ce pré, actuellement coupé dans sa longueur par le boulevard, était compris dans l’enceinte de la ville, et la courbe qu’il décrit du côté du Clain était protégée par des tours et murailles dont on voit encore quelques restes.

C’était cependant un des points les plus faibles de la ville, malgré le bras de rivière qui pénétrait dans l’intérieur pour aller se joindre plus bas au lit du Clain : aussi fut-il, pendant le siège de 1569, l’objet de plusieurs attaques rendues infructueuses par l’inondation factice dont nous parlerons bientôt.

Collége des Jésuites. — Nous devrions écrire « nouveau collége, etc. », puisque nous avons dit, à la page, 71, l’histoire de l’ancien, à propos du lycée, logé aujourd’hui chez les Jésuites du XVIIe siècle.

Du nouveau collège, comme de son devancier, nous allons dire, et en moins de mots, l’histoire.

C’est au mois d’août 1854 que, sur les instances de Mgr L.-E Pie, évêque de Poitiers, organe des vœux d’un grand nombre de pères de famille de son diocèse, la Compagnie de Jésus résolut d’ajouter un collège à la résidence qu’elle possédait rues Neuve et de l’Industrie.

Cet établissement succédait alors à l’institution ecclésiastique libre dite de Saint-Vincent-de-Paul, dirigée non sans succès jusque-là, depuis plusieurs années déjà, par des prêtres du diocèse, et qui occupait à cette époque, dans la rue Bourbon-Orléans, dont il sera bientôt parlé, une portion de l’ancien couvent des Jacobins, que l’évêque de Poitiers devait lui-même, partie à une pieuse munificence, partie à une acquisition personnelle.

Malgré l’exiguïté relative de ce local, qu’agrandirent bientôt après d’indispensables annexes, le nouveau collége, qui comptait un personnel de 40 Pères, reçut, dès la première rentrée, plus de 150 élèves, qui purent suivre les cours complets des études, depuis les classes élémentaires jusqu’à la philosophie.

L’année suivante, le nombre des élèves s’étant déjà considérablement accru, on dut loger ceux des classes élémentaires à la résidence.

Cet état de choses ne pouvait durer ; il présentait des inconvénients de toute sorte et à tous les points de vue : il fut donc résolu qu’il serait fait choix d’une situation qui pût se prêter aux développements matériels qu’exigeait le succès désormais assuré de l’œuvre, et qu’on essayerait de se « loger chez soi ».

Au centre de la ville, la chose était irréalisable, car l’étendue, condition essentielle et première en supposant qu’on l’y pût rencontrer, ne s’obtiendrait qu’au prix de sacrifices impossibles. On jeta donc les yeux sur le vaste emplacement qu’avaient occupé jadis les religieuses Filles de Saint-François, et grâce à l’intervention prudente, dévouée, habile, d’un ancien élève des RR. Pères, plusieurs acquisitions successives les mirent en possession de l’objet de leurs vœux (2 octobre 1856).

Deux ans après, à la suite d’immenses travaux préparatoires exigés par les énormes difficultés du terrain, la première pierre du nouveau collége était solennellement bénite, au milieu d’un concours empressé, par Mgr Pie, évêque de Poitiers (15 juin 1857).

Il nous semble convenable et même utile de consigner ici le texte même de l’inscription qui a constaté ce fait :

« Omnipotenti Deo, sacrum, — Pio IX Pontifice Maximo — Ludovico « Napoleone Imperatore genti Francorum jura dante, — Petro Beckx Societatis « Jesu supremo moderatore, — Ludovicus Eduardus Pius, — dignitatis fidei « religionis — Hilarii doctoris Ecclesiæ et Pictonum Episcopi — successor et « hæres, — lectæ juventutis ad pietatem avitam informandæ — litterisque et « artibus erudiendæ — parens ac patronus, — regularis ordinis fautor eximius, — « clero civitatis magistratu delectu civium — inspectante et favente, — hunc « auspicalem lapidem — collegii Pictaviensis Societatis Jesu — posuit, — « solemni ritu dedicavit, — ineunte pervigilio sancti Francisci Regis Soc. Jesu. — « XVII Kal. jul. anno MDCCCLVII. »

Les travaux, qui devaient être achevés au commencement de l’année 1860, ne permirent cependant aux hôtes du nouvel établissement d’y trouver l’asile si vivement souhaité qu’à la fin de l’année scolaire, et ce fut le 4 juillet seulement qu’eut lieu la bénédiction solennelle du collége de Saint-Joseph.

Dès le lendemain, les maîtres reprirent leurs cours, à peine interrompus pendant quelques heures, et ils continuent depuis lors, avec un succès que notre reconnaissance paternelle souhaite de voir grandir encore, à donner à une jeunesse nombreuse et choisie l’éducation qui fortifie l’étude des sciences et des lettres par la pratique des devoirs du chrétien.

Nous n’avons point à vous citer ici, ami lecteur, comme à propos de l’ancien collége des Jésuites, une chapelle et une sacristie monumentales. Le modeste provisoire qui offre son étroite enceinte à des assistants toujours trop nombreux n’a rien qui puisse, en dehors des jours où l’on y jouit de la pompe des cérémonies religieuses et de l’harmonie des chants pieux, provoquer une curiosité purement curieuse.

Il n’en est pas ainsi de la bibliothèque, qui est riche en ouvrages de réelle valeur pour les esprits sérieux.

Quant aux constructions importantes que le R. P. architecte a dû élever sur un sol ingrat, au milieu de difficultés qui n’ont pas été toujours assez heureusement vaincues, elles ont le caractère, à peu près forcé, de leur emploi.

« Cela ressemble à une belle caserne », a-t-on dit fort souvent autour de nous. Au point de vue purement architectonique, le mot est peut-être relativement vrai ; mais, peut-être aussi, était-il difficile qu’il en fût autrement, à en juger par les nombreux échantillons de monuments similaires que le passé et le présent offrent à peu près partout à nos regards, et qui mériteraient mieux encore que celui-ci l’irrévérencieuse comparaison dont il est l’objet.

« Mais ce n’est pas une raison pour qu’on puisse donner à une pensée, juste en soi, cette entorse qui — disons-le — ne déplaît pas à plusieurs : « Cela fera une « belle caserne. »

« Il est bien vrai que si le progrès humanitaire devait fatalement aboutir à une fraternité des peuples se formulant en un monde de frères-ennemis ayant toujours le sac au dos et l’arme au pied, il serait peu nécessaire de dresser les intelligences aux délicats travaux de la pensée : ces nobles préparations de la tête et du cœur ne feraient pas des masses de chair assez résistantes contre la mitraille du fusil à aiguille et du canon rayé : logiquement, dès lors, la gymnastique du corps devrait être substituée partout à celle de l’esprit, et, logiquement encore, le collége devrait être partout remplacé par la caserne.

« Si c’est là l’idéal des imprudents qui ne peuvent entrevoir les abîmes creusés par la logique à l’extrémité des horizons cachés à leur vue impuissante, que Dieu nous garde de pareils myopes !! »

Voilà ce que nous écrivions en 1868. Y a-t-il quelque chose à changer à ce texte si tristement prophétique ? Oui, un mot..... Ces myopes étaient des aveugles !!

École préparatoire de médecine et de pharmacie. — Revenons sur nos pas jusqu’au carrefour des Quatre-Vents ; suivons vers le N.-O. la rue de l’Hospice, et, à quelques pas de là, nous nous trouvons en face de l’École de médecine, que sa façade, construite en 1857-58, indique suffisamment.

Ainsi que nous l’avons vu, page 46, en l’article de l’Hôtel-de-Ville, Poitiers eut, dès 1431, une Université qui compta quatre Facultés, parmi lesquelles celle de médecine, qui ne put jamais atteindre la réputation de sa sœur, la Faculté de droit. À une époque fort reculée, elle manquait déjà des ressources qui lui eussent été nécessaires pour vivre et pour maintenir ses prérogatives. Son enseignement ne pouvait être, dans une pareille situation, l’objet de l’assiduité et du concours, qui contribuent si efficacement, par une réaction toute naturelle, à élever le niveau des études. Ceci explique son regrettable effacement.

La Faculté de médecine tenait le troisième rang dans la hiérarchie ; son grand costume se composait d’une simarre noire, sur laquelle était posé un manteau doublé en bleu céleste, avec bordure d’hermine, et d’une épitoge. — La couleur actuelle des revers est amarante. — La masse du bedeau de la Faculté était autrefois fort remarquable. Elle était d’argent, ornée de ciselure, de bosses, d’émaux et de dorures. Elle a disparu depuis longtemps ; mais sa représentation coloriée est conservée aux archives de l’école actuelle.

La Révolution balaya la Faculté de médecine de Poitiers ; mais, demandée par le Conseil municipal le 6 mai 1805 et dotée le 4 mars 1806, vivement réclamée par M. Chéron, préfet du département, une école de médecine la remplaça. Le décret impérial, du 19 octobre 1806, est daté de Mersebourg (Saxe prussienne). Le gouvernement était là où se déployait le drapeau de la France, et ce drapeau flottait alors en pleine Prusse, qui, hélas ! ne l’a pas oublié depuis… Faisons comme elle !!… Un arrêté ministériel du 20 décembre 1806 nomma six professeurs, qui furent installés le 19 janvier 1807.

L’école fut administrée par un secrétaire désigné par ses confrères jusqu’au 20 décembre 1820, époque à laquelle un directeur, nommé par la Commission d’instruction publique (Conseil royal), fut établi.

Enfin, l’ordonnance du 13 octobre 1840, en réorganisant les écoles secondaires de médecine, attribua à celle de Poitiers, comme aux autres, le nom d’école préparatoire de médecine et de pharmacie ; mais elle n’a pas le droit de conférer le grade de docteur, qui ne peut être obtenu que devant l’une des Facultés de médecine de France.

Grâce aux sacrifices du Conseil municipal, au zèle et au désintéressement des professeurs, notre École a reçu de nombreuses améliorations intérieures.

Elle possède un musée, un amphithéâtre d’anatomie, un laboratoire de chimie et une bibliothèque fondée par les professeurs, et augmentée par les dons de quelques bienfaiteurs, dont le nombre, en s’accroissant, rendrait un vrai service à l’utile instruction que doit favoriser une pareille création.

Près de l’école, existe l’établissement départemental de la Maternité, source féconde d’enseignement pratique pour les élèves, qui doivent à l’administration éclairée de M. Bourbeau le bienfait de la création arrivée enfin, il faut du moins l’espérer, à sa dernière étape, après une longue Odyssée, d’un jardin botanique construit dans une des dépendances de l’Hôtel-Dieu, près de l’école. L’entrée pour le public, qui en jouit déjà, se trouve sur le boulevard.

Chaque année, la bienveillance éclairée du Conseil général vote une allocation qui permet de récompenser par des médailles noblement disputées les meilleures études et les compositions les plus remarquables présentées aux concours.

Tous ces motifs d’émulation, toutes ces conditions favorables ont, depuis quelques années, et sous l’habile impulsion de directeurs capables et dévoués, augmenté le nombre des élèves et élevé le niveau de cette École ; mais elle aura toujours à lutter contre la force même des choses, qui maintiendra le personnel étudiant à un chiffre toujours trop restreint.

En effet, si le nombre des élèves de cette École n’est pas aussi grand qu’on pourrait le désirer, ce résultat nécessaire doit être attribué à la multiplicité, fâcheuse à notre avis, de ces sortes d’établissements qui ne devraient être accordés qu’aux grands centres d’instruction publique.

Voici quelles sont les chaires de l’École de médecine de Poitiers : Clinique interne, avec un chef de clinique ; — id. externe et médecine opérat. — Pathologie interne. — id. externe. — Accouchements et maladies des femmes et enfants. — Anatomie et physiologie, avec un chef des travaux anatomiques. — Histoire naturelle médicale. — Chimie et pharmacie. — Matière médicale et thérapeutique. Ces divers cours sont faits par huit professeurs titulaires, trois professeurs adjoints et cinq professeurs suppléants. L’un de ces derniers est chargé des fonctions de chef des travaux anatomiques. — Deux élèves sont attachés aux cours d’anatomie et de chimie, le premier en qualité de prosecteur, le second comme préparateur.

L’Hôtel-Dieu. — L’Hôtel-Dieu, hospice civil et militaire, était, au moment de la Révolution, le grand-séminaire.

À cette époque, on n’avait plus besoin de prêtres ; mais les progrès de la civilisation et de la liberté n’avaient pu empêcher qu’il y eût encore des malades et des pauvres. On les logea donc dans la demeure des lévites du Seigneur, qui furent plus tard, à leur tour, mis à la place des Carmélites ; nous en parlerons bientôt. Ils obtinrent, jusqu’à leur complète dispersion, un asile dans une maison particulière qui est habitée par les Religieuses du Bon-Pasteur, dont il vient d’être question ci-dessus.

L’Hôtel-Dieu était auparavant situé, comme nous le verrons, au milieu de la ville, près de l’église de Notre-Dame, dans des conditions hygiéniques détestables. Plus anciennement encore, au XVIe siècle et du temps de l’historien du siège de Poitiers, ce nom d’Hôtel-Dieu était attribué à l’Hôpital-des-Champs, dont nous parlerons plus tard.

Aujourd’hui il est, sous tous les rapports, fort convenablement placé, et ses bâtiments, sans être d’une ordonnance digne d’être citée, ont cependant un aspect monumental.

Cet établissement, tenu par les Sœurs dites Filles de la Sagesse, assistées d’élèves internes, d’infirmiers et de gens de service, peut recevoir près de 300 malades.

C’est ici le lieu de dire qu’à l’époque où les Religieuses Hospitalières vinrent s’établir à Poitiers — 9 octobre 1644 — elles commencèrent par donner leurs soins aux malades de l’Hôtel-Dieu (l’ancien) ; mais, quand elles quittèrent cet asile passager pour se loger dans leur couvent (v. ci-dessus, p. 145), la charité, qui fut toujours de bon conseil, inspira au cœur de plusieurs dames de condition — comme on disait en ce temps-là pour désigner la classe la plus élevée de la société — la généreuse pensée de se faire infirmières de l’Hôtel-Dieu. — C’est pour nous un devoir bien doux à remplir que de citer parmi ces Religieuses du monde deux des plus dévouées, mesdames de Chaume et de la Gagnerie. Nous voudrions pouvoir dire par qui sont représentées aujourd’hui, dans la cité, ces deux familles, dont les noms, si dignes d’être honorés, ne s’y retrouvent plus.

Saint-Cybard. — Après quelques pas, si nous tournions à gauche, par la rue Sous-Saint-Cybard, nous verrions encore debout une partie de l’église de Saint-Cybard, édifice romain qui, après avoir été l’église d’une paroisse comptant, à l’époque de la Révolution, 600 communiants, devint un magasin à fourrage, et plus tard une école de gymnastique.

Le cimetière de cette église, ou plutôt le terrain vague qui l’entourait, et sur lequel a été construite une partie des maisons qui bordent la rue de l’Hospice, était, à l’époque du moyen âge, consacré aux « joyeuses et triomphantes monstres des mystères de l’Incarnation, Nativité, Passion, Résurrection et Ascension de Notre Seigneur Jésus-Christ ». C’était, en effet, par ces mystères ou drames pieux que nos bons ancêtres préludaient aux chefs-d’œuvre dramatiques du siècle de Louis XIV.

C’était aussi, sans doute, dans ce cimetière que se trouvait une « butte pour tirer l’arbalète ».

Dans la rue Saint-Cybard se trouve le couvent des Sœurs de la Miséricorde, qui ont été établies le 1er août 1834 par la famille Dupont, à qui la ville de Poitiers doit beaucoup d’œuvres de bienfaisance. À cette époque, il ne comptait que six Sœurs. Augmenté par d’autres fondations, le personnel s’est élevé, depuis 1865, à vingt-cinq. Une jolie chapelle, qui se compose d’un des bas-côtés de l’ancienne église de Saint-Cybard, a été construite en 1856 et a complété cet utile établissement.

Cette Congrégation, dont le but est de soigner gratuitement à domicile, le jour et la nuit, les malades pauvres, n’est pas d’origine poitevine. Elle a été fondée en 1822 à Séez (Orne), par l’abbé Bazin, vicaire général du diocèse. Elle prend tous les jours, et c’est justice, de nouveaux accroissements.

École mutuelle et salle de Dessin — Reprenons la rue de l’Hospice, en négligeant la rue de Chasseigne, qui nous conduirait au quartier de cavalerie : nous l’aborderons d’un autre côté.

A l’extrémité de la rue de l’Hospice, à l’angle formé par les rues des Buissons (autrefois du Plat-d’Etain), de Saint-Germain et des Fumiers (nous préférons son ancien nom de rue des Fossés), nous apercevons un grand bâtiment moderne, dont l’aspect et l’enseigne annoncent la destination : c’est une école primaire communale.

On y a joint, pour l’étude du dessin, une salle spéciale.

C’est dans la salle de cet établissement que se tiennent les séances de la Société philanthropique de secours mutuels. Cette association, établie entre les ouvriers de la ville, et qui compte plus de 1 200 membres, a pour but, à Poitiers comme dans les nombreuses localités où elle existe aujourd’hui officiellement réglementée, de venir en aide, au moyen d’une cotisation mensuelle, à ceux que les maladies ou des accidents mettraient dans l’impuissance de suffire aux premiers besoins de la vie. Parfaitement organisée, dirigée par des chefs intelligents et honnêtes, patronnée par l’autorité municipale et par des bienfaiteurs de toutes les classes, cette association est dans un état de prospérité réelle.

Église de Saint-Germain. — Plus loin, sur la main droite, un clocher carré, couvert d’une toiture plate, annonce l’existence d’une ancienne église. C’était celle de Saint-Germain.

Elle était située, dans l’origine, et dès 1123, hors des murs de la ville. Dépendante de l’abbaye de Saint-Paul, elle fut réunie au monastère de Montierneuf, en même temps que l’abbaye de Saint-Paul, par Isembert, évêque de Poitiers, le 10 juillet 1083.

Avant la Révolution, la paroisse de Saint-Germain comptait 1 800 communiants ; elle possédait une école primaire gratuite pour les garçons. Il y en avait une semblable, nous le savons déjà, dans la paroisse de Saint-Porchaire. C’était ce qu’on appelait les Petites Écoles. Elles étaient tenues par de jeunes ecclésiastiques qui y faisaient leur temps de séminaire.

Constatons de nouveau, ce qui n’est, du reste, que justice, et ce qu’a fort bien prouvé un de nos plus honorables anciens inspecteurs d’Académie (notre vieil ami M. Fayet), qu’avant la révolution, l’instruction publique était donnée en France par le clergé dans des proportions qu’ignorent, il faut le croire pour leur honneur, mais non à leur honneur, ceux qui ne reculent pas devant des accusations glorieusement démenties par les faits.

Quartier de cavalerie. — Descendons par la rue de la Bretonnerie, ainsi nommée dès 1422, peut-être parce que dès lors on y voyait pendue, comme en 1671, l’enseigne du duc de Bretagne. Si nous pouvons en obtenir l’autorisation, tâchons de pénétrer, à l’extrémité de cette rue, dans le quartier de cavalerie : il mérite d’être visité.

C’est un fort bel établissement en son genre. Il a de l’air, du soleil, de l’espace. Seulement la ville de Poitiers est bien un peu autorisée à regretter de n’en pas être propriétaire, après avoir dépensé, en capital et intérêts, quelque chose comme SEPT CENT MILLE FRANCS pour le faire construire.

Ce chiffre vous étonnera sans doute, cher lecteur : mais ce n’en est pas moins de la plus parfaite exactitude.

C’est après avoir entrepris cette grande œuvre et avoir absorbé ses ressources et compromis alors l’équinlibre de ses finances, que la ville de Poitiers s’est vue forcée, crainte de pis, de prier le gouvernement de vouloir bien l’en décharger. Cette remise a eu lieu effectivement par suite d’ une délibération du Conseil municipal du 2 février 1829. C’est étrange, n’est-il pas vrai ? Mais pourtant cela est.

Montierneuf. — Une grande porte d’un style fort modeste se présente à nous, et, dans le lointain, au bout d’une petite place plantée d’arbres alignés, nous apercevons la façade à pignon triangulaire d’une église : c’est l’église de Montierneuf.

Ce nom vient de moustier neuf (monastère neuf, monasterium novum) par opposition au moustier de Saint-Cyprien, bâti auparavant, et par corruption on a dit Moustier-Neuf, et enfin Montierneuf.

Fondée en l’année 1077 par Guillaume Guy-Geoffroy, comte de Poitiers et duc d’Aquitaine, l’abbaye de Montierneuf fut placée, dès l’origine, sous la règle de Saint-Benoît et sous la direction de l’abbaye de Cluny, et elle fut richement dotée par son puissant protecteur qui ordonna, en mourant à Chizé, en 1086, que ses restes fussent déposés au milieu des bons moines dont il réclamait les prières, après avoir souvent fraternisé avec eux.

En effet, il leur avait voué une amitié toute particulière, et, lorsqu’il résidait à Poitiers, il ne laissait point s’écouler de jour sans descendre au moustier neuf. S’il venait de courses lointaines, ou même après une courte absence, il ne mettait les pieds dans son palais qu’après avoir visité ses seigneurs. Il se rendait lui-même à la cuisine, demandait au cellerier quel devait être l’ordinaire du jour, et, s’il apprenait qu’il se composât d’œufs, de fromage ou de maigres poissons, aussitôt il ordonnait au pourvoyeur de préparer des mets plus délicats, et à son trésorier de les payer.

Guillaume fut très-regretté, cela se conçoit aisément, et nous trouvons un témoignage authentique de ce sentiment fort naturel dans la prose émue d’un chroniqueur du temps, le moine Martin.

Suivant ses intentions, le prince fut enterré dans l’abbaye.

Montierneuf éprouva le sort de toutes les fondations religieuses. D’abord riche et puissante, cette abbaye vit s’accroître, par les donations des comtes de Poitou, et même des rois d’Angleterre, devenus ducs d’Aquitaine, ses immenses possessions ; puis elle vit baisser peu à peu, avec l’ardeur de la foi, le zèle des donateurs, et après les guerres de religion qui ensanglantèrent la patrie et firent autant de ruines des beaux monuments qui couvraient le sol français, elle déclina rapidement.

Nous avons vu une portion des bâtiments claustraux enclavée dans la caserne de cavalerie que nous venons de visiter à l’instant, et formant le corps du milieu de cet établissement militaire : il ne fallait rien moins qu’une terrible révolution pour produire un tel changement de destination.

La liste des abbés de Montierneuf fournit pendant 700 ans 58 noms, parmi lesquels figurent ceux des Coucy, des Saint-Gelais-Lusignan, des La Rochefoucauld et des Cossé.

Dès la création de l’Université de Poitiers, au quinzième siècle, les abbés de Montierneuf furent investis du titre de conservateurs apostoliques des privilèges de cette Université, et ils ne reculèrent jamais devant les contestations qu’il leur fallut soutenir pour se faire maintenir dans les droits et honneurs attribués à ce titre.

Voici quels étaient, au XVe siècle, à Montierneuf, les dignitaires ; c’étaient : l’abbé, trois officiers obédienciers, le prévôt, l’aumônier et le ségretain ; sept officiers cloîtriers ; le sous-prieur, le chantre, l’infirmier, l’hôtelier, le sous-ségretain, le sous-aumônier et le sous-chantre. Il y avait en outre un prieur qu’on faisait venir de Cluny, et qui était chargé de maintenir la discipline régulière et les pratiques telles qu’elles s’observaient pour les cérémonies en la maison-mère.

Les officiers séculiers étaient : le sénéchal, les sergents du bourg, le crieur public, le frocquier (chargé de confectionner les frocs), le barbier (chargé de faire les barbes et tonsures, et de saigner les religieux à des époques déterminées), le baptitan (frunitor, tanneur), le lavandier, le portier, le cuisinier, le fournier.

L’abbé de Montierneuf était élu par les Religieux réunis en Chapitre, conformément aux statuts de l’Ordre de Cluny.

Le costume des Religieux de Montierneuf consistait, avant la Révolution, en une soutane semblable à celle des prêtres séculiers : ils ne portaient point de rabat. Une bande d’étoffe noire se rattachant au cou avec deux boutons formait une espèce de scapulaire. Au chœur, ils avaient la robe à larges manches, sorte de coule monastique. À la procession du jour de Saint-Marc, ils portaient à la main de longues baguettes blanches.

Leur église offrait une particularité assez rare dans les derniers temps, quoiqu’elle ne fût qu’un reste des traditions qui se sont conservées plus religieusement dans les églises d’Italie. La sainte réserve destinée aux malades n’était point déposée dans le tabernacle, mais dans un appareil suspendu par des chaînes légères à une crosse de grande dimension peinte en noir, qui se trouvait placée dans la chapelle de l’abside (aujourd’hui de la Sainte-Vierge).

La coutume de déposer la sainte hostie dans un tabernacle, sur le grand autel, est moderne, et, dans les monastères surtout, elle n’existait point aux temps de ferveur, où la sainte Eucharistie pouvait être sans crainte placée sous la seule garde de la foi. Aujourd’hui encore, en Italie, dans la plupart des basiliques, il existe une chapelle, celle dite du Saint-Sacrement, qui est spécialement affectée au dépôt sacré.

Le contingent scientifique fourni par l’abbaye de Montierneuf au monument élevé par les mains des laborieux enfants de saint Benoît est assez mince. Cependant cette abbaye compte quatre auteurs recommandables : le moine Martin, chroniqueur et premier historien de l’abbaye, dont les travaux ont été recueillis et publiés par D. Martenne ; puis Hugues et Richard de Poitiers, auteurs de la chronique de l’abbaye, publiée par d’Achéry (le dernier a composé seul une histoire universelle, dont quelques fragments se trouvent dans le Rerum gallicarum scriptores) ; enfin, Pierre de Poitiers, secrétaire de Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, grand-prieur de cette abbaye, et plus tard abbé de Saint-Martial de Limoges, traducteur de l’Alcoran. Il fit ce dernier travail à la prière de son digne chef, dont il était tendrement aimé, et qui l’appelait son cher fils.

Prosateur et poëte, Pierre de Poitiers composa l’épitaphe inscrite sur le tombeau du fameux Abailard, et, après avoir célébré les vertus et la marche triomphale de Pierre le Vénérable à travers l’Aquitaine, il le défendit contre les poignards dont il fut menacé, deux ans après, par ceux auxquels il venait apporter la réforme et l’exemple de ses vertus.

À l’abbaye de Montierneuf était attachée une paroisse qui comptait, avant la Révolution, 1 300 communiants. Le service paroissial se faisait à l’autel de la chapelle du fond, aujourd’hui dédiée à la sainte Vierge. Le curé était prêtre séculier.

Bâtie au XIe siècle par Pons, moine de l’abbaye, ainsi que l’indique sa signature au bas d’une charte, précieuse sous ce rapport, l’église qui existe encore aujourd’hui fut dédiée le 24 février 1096, par le pape Urbain II, lorsque ce Souverain Pontife revint du concile de Clermont, où il avait prêché la croisade contre les infidèles.

C’est ce que constate l’inscription importante que vous verrez dans l’intérieur de l’église, sur le mur de l’abside, du côté de l’évangile, et pour la conservation de laquelle la Société des antiquaires de l’Ouest a fait exécuter un châssis vitré qui la protégera désormais contre les mutilations des amateurs et des badigeonneurs, races bien nuisibles aux monuments que l’une veut restaurer, et l’autre immortaliser dans ses albums dits archéologiques.

L’église de Montierneuf offre un beau type de l’architecture romane pure, unie à celle du XIIIe siècle. On doit admirer surtout la largeur de sa nef et de ses bas-côtés, largeur peu ordinaire au XIe siècle, et la portion supérieure de l’abside, plus moderne, appelée vulgairement la lanterne, dont les vastes fenêtres, en ogive primordiale, laissent pénétrer une vive lumière dans le chœur, tandis que les petites fenêtres en plein cintre des bas-côtés éclairent la nef et les transepts d’un demi-jour qui inspire le recueillement et la prière.

Ce magnifique effet, particulier à ces combinaisons architectoniques, s’est reproduit admirablement dans l’œuvre remarquable qu’a construite à Nantes M. Lassus, interprète habile de l’art chrétien, œuvre gigantesque aussi en plein XIXe siècle, et qui fait tant d’honneur à l’initiative entraînante de M. l’abbé Fournier, curé de Saint-Nicolas, aujourd’hui évêque de Nantes.

La nef actuelle n’a point la longueur que le plan primitif lui assignait ; elle s’étendait de trois travées encore sur la place actuelle qui la précède ; mais les ravages des protestants forcèrent l’abbé Rousseau de la Parisière à faire abattre, vers 1640, ces trois travées et la façade, qui furent remplacées par le pignon et le portail grec que l’on voit aujourd’hui. — Nous ne savons quelle était la façade antique, qui ne put être achevée par le fondateur, dit l’histoire ; mais nous sommes sûr qu’elle valait mieux que celle de M. de la Parisière.

L’écusson qui brille au-dessus de ce portail appartient à la restauration de 1817, dont nous parlerons bientôt. Il représente les armoiries de M. du Hamel, alors préfet de la Vienne, allié à l’illustre famille poitevine des Chasteigner.

Un clocher flanqué de quatre clochetons surmontait le dôme surbaissé qui domine le grand autel ; il s’écroula après la Révolution, et endommagea par sa chute l’édifice entier.

Pendant la Terreur, Montierneuf avait servi à des usages ignobles : ses voûtes avaient retenti d’un bruit tout nouveau pour elles : les hennissements des chevaux et les blasphèmes des soldats qui les gardaient avaient remplacé, en ces jours néfastes, la prière qui ne faisait plus résonner les échos profanés du saint lieu. — 1870 a revu, hélas ! quelque chose de ces tristes scandales heureusement plus passagers, mais dont le souvenir restera quand même.

Mais, après l’orgie, lorsque, à la voix puissante de Napoléon Ier, les exilés revirent le sol de la patrie, le Dieu qui avait été exilé comme eux fut officiellement rappelé dans ses temples.

Montierneuf, sauvé de la destruction par les soins de son curé, M. l’abbé Sabourain, fut restitué, non sans peine, au culte catholique, car il fallut la persévérante ténacité de M. le préfet du Hamel pour arracher au ministère de la guerre le beau magasin à fourrages, qu’il disputa pied à pied aux justes exigences du culte et de la religion ; et pourtant c’était en pleine Restauration et sous un gouvernement gravement accusé d’être par trop clérical !!

A cette époque, l’administration militaire avait fort médiocrement aussi le goût artistique et archéologique ; on prétend même que les traditions de cette époque sont encore assez vivantes dans ce corps éminent, mais ce doit être une calomnie.

Malheureusement, des mains des démolisseurs, le temple de Montierneuf dut tomber entre les mains des architectes, et alors, c’était à peu près la même chose.

Sous les auspices de Monseigneur le comte d’Artois, depuis Charles X, et de son auguste fils, qui fournirent une somme considérable (50 000 francs), Montierneuf restauré — comme on restaurait en 1817 — put offrir un temple spacieux à la paroisse la plus pauvre de la ville ; mais il ne lui rendit pas sa vieille basilique romane avec ses sculptures sévères et originales, avec ses chapiteaux variés, dont on peut voir encore de gracieux échantillons joncher le sol qui précède le temple. L’ornementation uniforme des chapiteaux restaurés, les oves et les arcs grecs remplaçant les feuillages et les entrelacs du moyen âge, les mauvaises fresques qui ont la prétention de singer de l’architecture en relief là où le sculpteur n’a jamais porté le ciseau, les chapelles à retables et à frontons grecs, tout cela défigure malheureusement cette belle basilique.

Ajoutez à cet affront moderne celui qu’a reçu le fondateur de l’abbaye, grâce à la ciselure d’un artiste poitevin qui n’a pas craint de graver son nom sur cette tombe quasi-royale, et vous déplorerez le sort qui, restituant au culte vingt ans trop tôt un monument défiguré, n’a pas pu le placer sous la sauvegarde des pasteurs éclairés qui le gouvernèrent plus tard.

Le 8 juillet 1822, la sépulture de Guillaume, fondateur de l’abbaye, a été retrouvée après quelques recherches auxquelles présidaient les autorités religieuses et civiles. Le lieu de cette découverte fut alors indiqué par une dalle avec inscription au milieu de la grande nef.

Le corps du duc reposait dans un sarcophage en pierre de deux mètres de long, fort épais et creusé à une profondeur de 76 centimètres ; le squelette annonçait une taille de 1 mètre 82 centimètres. Les restes des vêtements, les brodequins, la croix ancrée placée sur sa poitrine, tout indiquait qu’il avait été enseveli avec l’habit monacal par-dessus son costume ducal. Les ossements étaient gros, blancs, sains.

Après avoir constaté l’identité du personnage qu’il s’agissait de retrouver, on replaça sur le sarcophage le lourd couvercle qui l’avait protégé depuis si longtemps contre l’indiscrète curiosité des hommes.

Ce fut alors que fut élevé, sur le lieu même où repose le duc, le mausolée qui depuis a été relégué dans le coin obscur où on le voit trop encore. Nous répétons avec intention l’expression de notre regret à cet égard, parce que nous n’acceptons point le reproche qui nous a été adressé quelque part au sujet de ce monument.

S’il est, comme on l’a dit, la reproduction exacte de celui qui avait été élevé en 1643 (ce dont il est fort permis de douter, et nous en doutons beaucoup), il nous autorise à dire que l’on a eu tort de choisir un tel modèle et très-grand tort, après l’avoir édifié sur la place où il devait s’élever, de l’exiler là où il n’est plus qu’un non-sens.

Le calvaire pittoresque qui cache la nudité du fond du transsept à droite a été construit, il y a peu d’années, par les soins de M. le curé Lacroix et de ses paroissiens ; il a été solennellement inauguré par Mgr Donnet, archevêque de Bordeaux, sur la fin de l’épiscopat de Mgr Guitton, évêque de Poitiers (1846).

L’inscription qui se lit à côté de l’autel de la chapelle absidale de ce même transsept est celle qui constate la mort de René Caillet de Chizé, abbé de Montierneut, décédé le 10 juin 1529, et dont le corps gît devant l’autel.

La chapelle dite de Sainte-Barbe, où vous lisez sur des plaques de marbre blanc des noms gravés en lettres d’or, est assignée à une Confrérie dite de la Bonne Mort, dont le nom seul indique le but, et qui existait dès 1471.

Le maire de Poitiers y déposait autrefois un cierge le jour de la fête de la sainte martyre. Les peintures murales du transsept à gauche ont été faites en 1855 par M. Hivonnait (de Poitiers), qui a exécuté en 1858 le vitrail de la chapelle de la Sainte-Vierge.

Les autres vitraux, placés tout récemment, sont dus à MM. Guéritault, peintres verriers établis à Poitiers. Ils sont d’un genre tout différent, et si l’on peut reprocher à l’un d’avoir trop imité dans sa naïve simplicité le faire des siècles les plus reculés, peut-être aura-t-on le droit de trouver les autres un peu trop jeunes.

Ce sont, du reste, deux écoles entièrement opposées, et que nous n’entendons point juger ici. Non est his locus.

Le trésor de l’église actuelle possède une relique dite de Saint-Marc ; mais tout porte à penser que les restes renfermés dans ce reliquaire sont ceux d’un des premiers abbés de Montierneuf, nommé Marc, et non point les restes vénérés du grand évangéliste protecteur de Venise.

Quelques tableaux, qui ne sont pas sans mérite, décorent l’église de Montierneuf. Nous citerons celui qui est suspendu au premier pilier, à gauche, et qui représente les saintes femmes, saint Jean et Nicodème pleurant sur le corps du Sauveur. Ce tableau, mal restauré, parait être de l’école des Carraches.

Dans la chapelle de la Sainte-Vierge se trouve une petite toile avec fond de paysage ; elle est de l’école de Boucher, et représente la Vierge assise, tenant sur ses genoux l’Enfant Jésus, qui semble jouer avec saint Jean. Ce tableau, fort gracieux, est peut-être, comme nous l’avons déjà dit, l’original de ce que nous avons vu dans l’église de Saint-Porchaire, quoique cette dernière composition soit plus vaste, et contienne, de plus, les figures de saint Joseph et de sainte Anne (v. page 51).

En face de la sacristie, un tableau de grande dimension représente saint François Régis prêchant la foi chrétienne ; à ses pieds, des hommes déposent un moribond que les prières du saint vont rendre à la vie. Ce tableau de Heindryck a été horriblement maltraité, et encore plus horriblement restauré. Dans la chapelle de ce transsept, qui est spécialement dédiée à saint Fiacre, patron des jardiniers, vous verrez plusieurs statues modernes dues à l’atelier de sculpture religieuse dont nous avons parlé page 162.

Ne blâmez pas trop certains anachronismes que les artistes ont dû subir, de par la volonté des donateurs : dura lex, sed lex.

Ainsi, par exemple, le bon saint Isidore, le patron des laboureurs, a dû revêtir un costume qui ne rappelle guère le XIIe siècle, et, n’était la ceinture qui lui fut laissée par grâce spéciale, en sa qualité d’Espagnol, rien n’exprimerait dans cette image les idées qu’elle aurait dû représenter avant-tout. Dura lex, sed lex.

Quand donc l’art religieux ne sera-t-il plus condamné à des exigences aussi regrettables ?

On pourrait me répondre, il est vrai, que l’artiste ne devrait pas les subir, et peut-être n’aurait-on pas complètement tort.

(Pour plus de détails, v. notre Mémoire historique sur l’abbaye de Montierneuf, honoré d’une mention par l’Institut, et publié par la Société des antiquaires de l’Ouest en 1844.)

Chapelle de Sainte-Catherine. — En sortant de l’église de Montierneuf, à l’extrémité de l’avenue qui le précède, à droite, vous verrez une petite chapelle : c’est la chapelle de Sainte-Catherine.

Remontant à une date reculée et depuis longtemps abandonnée, elle a été ravie à des usages profanes par M. le curé actuel (M. Dubois), qui l’a restaurée pour qu’elle pût servir de lieu de réunion destiné à de pieux exercices.

A côté se trouve une bibliothèque populaire, composée de bons livres qui sont donnés en lecture pour combattre, au sein de la religieuse population de cette paroisse, les enseignements malsains qui, quoi qu’on en dise ne sauraient élever le niveau de la vraie moralité et de la véritable honnêteté, surtout lorsqu’ils se répandent dans un milieu d’où la bonne politique seule devrait les faire prudemment bannir. Oui, c’est bien à ces enseignements corrupteurs que la société doit les périls dont les plus aveugles ont pu entrevoir l’effrayante réalité au travers d’horribles lueurs : car

Si la capitale embrasée,
Des restes du pétrole est un hideux musée,
De ce crime nouveau, ses murs accusateurs
Ont dénoncé les vrais auteurs.

Hôpital général. — Nous apercevons devant nous un bâtiment assez régulier. Une niche avec une statue de Saint décore sa façade, sur laquelle on lit encore ces mots : Hôpital des Religieux de la Charité.

C’était là, en effet, que les Religieux de cet Ordre recevaient, avant la Révolution, les hommes malades et les aliénés. Réuni à l’hôpital général pendant la Révolution, cet établissement n’en forme plus qu’un avec lui. Cet hospice, immense par l’étendue de ses bâtiments construits pêle-mêle, sans goût et sans aucun plan arrêté, n’offre rien qui puisse exciter votre curiosité. Il est desservi par les Sœurs de la Sagesse, dont nous avons déjà parlé plusieurs fois, par des élèves internes, infirmiers et gens de service. On peut y admettre près de 600 malades.

Les aliénés reçoivent les soins qu’exige leur état dans un corps de bâtiment séparé.

Dans le principe, l’hôpital général était ce que l’on pouvait appeler un simple dépôt de mendicité pour les pauvres infirmes, qui fut établi en 1657 à l’Hôpital-des-Champs, en attendant qu’on eût un local suffisant. Les bâtiments de l’hôpital général ne furent construits qu’en 1680, vingt-trois ans plus tard. Des demoiselles séculières soignaient et surveillaient les pauvres, que l’on faisait travailler à des ouvrages de laine. Les femmes aliénées y étaient admises, mais dans des bâtiments peu vastes et fort incommodes.

De précieux souvenirs religieux se rattachent à cet établissement. Le Père Montfort (Louis Grignon de la Bachelleraye), fondateur des missionnaires du Saint-Esprit et des Sœurs de la Sagesse, homme d’une piété si vive et d’une vie si exemplaire qu’il est aujourd’hui sur le point d’être canonisé, en fut l’aumônier en 1701.

Ce fut aussi là que Mlle Marie-Louise Trichet, dont la famille est encore honorablement représentée dans nos

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murs, se plaça sous la direction du Père Montfort et réunit le noyau de pieuses filles qui devait former la Congrégation des Sœurs de la Sagesse.

La maison-mère, transférée à Saint-Laurent-sur-Sèvre (Vendée), a compté jusqu’à 1 600 Religieuses qui se vouent au soin des malades, des aliénés dans les hôpitaux, à l’instruction des enfants pauvres et des sourdes-muettes.

On vous montrerait encore dans l’hôpital la chambre de chacun des deux saints personnages, la croix qui présida aux premières réunions des premières Filles de la Sagesse, la statue de la sainte Vierge qui reçut leurs premiers vœux.

Ces souvenirs, essentiellement poitevins, pourront ne pas produire le même effet sur tous les cœurs ; mais,


assurément, si peu que l’on soit doué de quelques sentiments de générosité purement naturelle, on reconnaîtra que le mobile qui inspire le sacrifice d’une vie tout entière vouée au soulagement des souffrances, de l’humanité, au soin des infirmités les plus rebutantes est un mobile saint, qui a droit au profond respect de-ceux-là même qui ne peuvent le comprendre.

Pont de Rochereuil. — En quittant le carrefour Montierneuf et en suivant la rue de Rochereuil, nous aboutirons au pont qui porte le même nom ; et si nous voulons connaître les premiers bains publics construits à Poitiers, nous les trouverons à quelque distance sur la droite. Ils sont dus à l’initiative de l’entrepreneur Galland, dont nous aurons occasion de parler bientôt.

Le pont de Rochereuil existait déjà avant le XVe siècle, car à cette époque (1486) Yves Charlet, maire de Poitiers, fit reconstruire une de ses arches qui était en mauvais état. Les eaux du Clain ayant emporté une partie de ce pont en 1561, lors de l’inondation qui lit tant de ravages à Poitiers, et étant revenues à la charge en 1582, l’extrémité du pont fut emportée.

L’inondation de 1604 acheva l’œuvre des années précédentes, de telle sorte que Jean Goguet, sieur de la Roche-Graton, trésorier de France et maire de Poitiers fut obligé d’y faire de très-grandes réparations.

Ce pont a joué un rôle fort important dans le siège de 1569 par l’amiral de Coligny, et voici comment :

Les assiégeants ayant fait de fortes brèches vis-à-vis du Pré-l’Abbesse, côté faible de la ville, la menaçaient d’autant plus sérieusement qu’ils étaient parvenus à mettre à sec le lit secondaire du Clain derrière les murailles. Ce que voyant, de hardis inventeurs d’expédients imaginèrent de profiter d’anciennes écluses et pales, qui existaient sous les arches du pont de Rochereuil, pour fermer hermétiquement le passage à l’eau et la faire refluer en amont, au risque de voir emporter le pont lui-même.

Mais, comme dit l’historien auquel nous empruntons ces détails, on agit « nonobstant toutes ces remontrances, suivant la raison qui dict que, pour la « doubte et crainte d’un inconvénient advenir, il ne faut différer à faire un œuvre, « duquel on voit à l’œil le profit estre présent » ; et de fait les eaux, en s’amoncelant, débordèrent bientôt, si bien qu’elles formèrent une petite mer qui décontenança d’autant plus les assiégeants, qu’à la malice de leur jouer ce mauvais tour, les Poitevins, toujours Français d’esprit comme de cœur, ajoutaient la malice de dire — mot charmant — que « l’amirauté n’avait point de pouvoir « sur cette mer-là ».

Ce fut en vain, en effet, que l’amiral essaya de briser les pales à coups de canon ; les trous faits par les boulets étaient aussitôt bouchés par derrière avec des planches, des pierres et de la terre amoncelée ; puis bientôt, les assiégés s’étant avisés d’attacher au-devant des pales de grosses balles de laine en suspens jusqu’à l’eau, « les coups donnant contre n’avoyent d’autre effet que de « faire danser les balles ainsi pendues ». Tout cela, ajoute notre Liberge, « arresta mieux l’eau qu’auparavant, et leur osta presque toute l’espérance de « nous pouvoir priver de notre marée par artillerie. »

En examinant avec attention le pont de Rochereuil, on remarque encore les traces des coulisses dans lesquelles jouèrent les vannes de 1569.

Bientôt après, une attaque formidable fut tentée contre la porte de ville de ce côté ; mais, repoussés à trois reprises, mitraillés par le feu du château qui les prenait en flanc, les huguenots furent forcés de se retirer, et cette brillante journée influa beaucoup sur la levée du siège.

Du haut de ce glorieux témoin de la courageuse défense de nos pères, examinons le paysage qui se déroule sous nos yeux.

A droite, ce sont les Dubes ou Dunes, ces roches à pic du haut desquelles les huguenots jetaient aux fidèles catholiques l’injure et la mitraille.

Devant nous, dans l’axe de la rivière, un pont, nouvellement construit pour la voie de fer, étale ses courbes gracieuses et brillantes de jeunesse.

Sur la gauche, les restes mutilés de deux tours accusent l’existence du château fort que Jean, duc de Berry, comte de Poitou, avait reconstruit en 1375, qui vit dans ses murs le roi Charles VII, Jeanne d’Arc, Richemond, Dunois, La Hire, Xaintrailles, noble pléiade, salut de la patrie.

Ce château, après avoir protégé la cité contre ses ennemis dans des jours de péril, fut démantelé en 1586 par le peuple de Poitiers, sous les yeux du faible Henri III : c’était après l’assassinat de Guise, et pendant que François Palustre, ardent ligueur, était maire.

Aujourd’hui, sur l’esplanade faite avec les ruines de la forteresse, le bourreau exécute les arrêts de la justice humaine, qui s’accomplissaient autrefois sur la place du Pilori, dont il sera parlé plus tard.

Des souterrains donnaient issue, disait-on, dans la campagne, sur la rive droite du Clain, et c’est au travail incessant des eaux qui les ont effondrés que sont dus les gouffres dans lesquels disparaissent chaque année, malgré de douloureuses leçons toujours inutiles, les imprudents qui se confient au sol incertain d’un périlleux abreuvoir.

Pont Guillon. — Poursuivons notre route. Ce pont, sur lequel nous traversons la Boivre à son confluent avec le Clain, est assez récent, et il porte, dit-on, le nom d’un bon prêtre qui, sous l’intendance de M. le Nain — de 1732 à 1743 — avait amélioré ce passage en rectifiant le lit marécageux du petit ruisseau.

Des fortifications reliaient le château à la porte de Saint-Lazare (Porte de Paris) : elles ont diparu. La tour de la Poudrière, debout encore, était très-sérieusement menacée quand nous écrivions en 1851 le texte de notre première édition, et voici ce que nous disions alors : « Elle vient d’être condamnée, sans « pitié pour les souvenirs qu’elle rappelle, pour la glorieuse défense qui honora, « qui sauva nos pères, et, faut-il le dire, sans utilité réelle pour le charme des « yeux, sans nécessité pour la sûreté publique. La réflexion, cette bonne « conseillère des hommes sérieux, la sauvera. » La chaleureuse intervention de la Société des antiquaires de l’Ouest auprès du chef de l’État se joignit à la réflexion des hommes sérieux : la tour fut sauvée (1851) ; et, dans le livre que M. Hachette offrait en 1854 comme vade-mecum à ses innombrables clients, on peut lire cette appréciation d’un écrivain de talent et de cœur :

«  On sera frappé, sans nul doute, de l’apect de cette vieille tour qui semble «  être demeurée là comme un jalon oublié des temps anciens, et qui proteste « contre les envahissements de l’âge moderne. On a bien fait de la conserver : « c’est un reste précieux des remparts


« contre lesquels sont venus autrefois se briser les ennemis du pays. » — Jules DE PEYSSONNEL, Guide-Itinéraire de Paris à Bordeaux, 1854.

Porte de Paris. — Cette porte était établie à peu près là où se trouve la petite entrée qui donne passage sous le chemin de fer, dans l’axe de la rue de la Chaussée. Elle s’appelait autrefois porte de Saint-Lazare ou de Saint-Ladre, du nom d’une maladrerie ou léproserie sise près du faubourg, dont les revenus furent réunis à l’hôpital général de la ville de Poitiers par arrêt du conseil du roi du 31 janvier 1695, et lettres patentes enregistrées au parlement de Paris le 6 juillet 1696.

Les lépreux, qui étaient placés sous le patronage de saint Lazare, étaient vulgairement désignés sous le nom de Ladres, et leur patron était aussi nommé indifféremment saint Lazare ou saint Ladre.

Le faubourg attenant à cette porte avait hérité de son nom, mais il était aussi appelé quelquefois faubourg Bellouard. Il avait été donné en 1270 par Alphonse, comte de Poitiers, à l’abbaye de Montierneuf.

La principale porte actuelle a été construite sur remplacement de vastes jardins, derrière les maisons qui bordaient la route de Paris.

Suivons la rue de la Chaussée, dont le nom s’explique fort bien sans qu’elle ait été voie romaine : les moulins nombreux situés en aval et la masse d’eau qui, venant des étangs de Montierneuf et de Saint-Hilaire, pressait de son poids cette véritable chaussée, suffisent assurément pour contenter un étymologiste même exigeant.

Ne tournons point à gauche, nous retournerions sur nos pas, sur cette artère de création toute récente qui nous ramènerait à la tour de la poudrière ; à droite, nous n’avons rien à voir, sur le boulevard du Grand-Cerf, à moins que vous ne désiriez aller requérir à la poste, située à quelques pas de là, un cheval de renfort, qui, en vérité, ne serait pas de trop pour nous faire gravir les rues à pic qu’il nous faudra parcourir.

Évitons aussi de pousser trop loin en ligne droite : la ligne droite nous conduirait aux Trois-Rois — jadis les Trois Mois Mages : — et comme cette rue n’a pas encore repris son nom républicain de 1793 (les Trois-Tyrans), elle choquerait peut-être nos mutuelles sympathies… actuelles. Tournons donc brusquement à droite, pour nous trouver en compagnie des Trois-Pâtureaux. Des Pâtureaux, à la bonne heure : ce sont bergers des champs, paissant de blancs moutons : il est vrai qu’ils les tondent, qu’ils les mangent même quelquefois ; mais que voulez-vous ? jusqu’à nouvel ordre, les moutons seront tondus et mangés par les pâtureaux !… à moins qu’ils ne tondent et ne mangent les pâtureaux… Et ce devrait bien être leur tour, assurent les naturalistes de la nouvelle école. Et pourquoi pas ?

En attendant que vous soyiez mangé - car il s’agit de cela et de vous, cher lecteur, vous le savez bien — s’il vous plaît rapprocher ces Trois-Pâtureaux des Trois-Rois leurs voisins, vous trouverez dans cet ensemble une réminiscence purement religieuse des premières scènes de la vie du Sauveur auquel croyaient nos pères !

Suivons la rue de la Latte (des Orbaux en 1401, de Tranchepied en 1491, et enfin de la Latte-d’Or ou simplement de la Latte).

Voici à gauche la rue du Moulin-à-Vent, qui a sans doute pris son nom de l’enseigne d’une auberge qui existait dès 1631, époque à laquelle Abraham Golnitz, auteur d’un livre intitulé Ulysses Belgico-gallicus et publié à Leyde, passa par Poitiers et logea en cette auberge pendant trois jours.

Ce touriste hollandais nous a laissé dans son ouvrage une description de Poitiers et de ses curiosités, qui n’est pas sans intérêt. Il n’est pas toujours exact, mais il l’est beaucoup plus que la plupart des voyageurs anciens et modernes.

Il s’applaudit, comme si c’était chose extraordinaire, de n’avoir point été inquiété par les écoliers, qui alors étaient peu courtois pour les étrangers. Ils avaient, il est vrai, autre chose à faire en ce temps-là : ils se tuaient entre eux, ce qui leur fit interdire l’usage des armes.

Aujourd’hui les étudiants de Poitiers n’insultent point les étrangers, ils font très-bien ; ils ne se tuent point, ils font encore mieux.

Vis-à-vis du débouché de la rue qui a donné lieu à cette petite digression, se trouvait une maison particulière où était logée, avant la Révolution, la Maréchaussée. Cette gendarmerie d’alors n’avait point à cette époque de caserne. Nous allons trouver bientôt sur nos pas celle que la Révolution lui a faite.

Le grand séminaire, autrefois les Carmélites. — Ce monument fort important est situé dans la rue des Carmélites, qui prit son nom des pieuses filles de l’Ordre du Carmel qui vinrent y habiter en 1630. Elles avaient demandé, le 22 avril 1629, la permission de s’établir à Poitiers ; elles l’obtinrent et en profitèrent pour y construire leur monastère. Elles furent aidées dans cette œuvre par la munificence de la reine. C’est ce qui explique le grandiose des constructions, et notamment de la chapelle, que nous vous conseillons de visiter.

Elle est, en effet, remarquable en son genre, qui n’est pas assurément celui que nous préférons pour les édifices religieux, mais qui peut être apprécié à un certain point de vue. Elle a été construite sur les plans d’un architecte italien nommé Leduc, mais plus connu sous le nom de Toscane ; on y lit l’inscription suivante, placée par les soins de l’ancien supérieur (Mgr Cousseau, ajourd’hui évêque d’Angoulême).

Nous la reproduisons, parce qu’elle résume l’histoire du monument :

HUJUS TEMPLI
SIMULQUE MONASTERII VIRGINUM DE CARMELO
LAPIDEM PRIMARIUM,
A GILB. CLEREMBALDO EP. PICT. BENEDICTUM,
POSUIT REX LUDOVICUS XIV
CUM MATRE SUA ANNA AUSTRIACA,
ET CONJUGE MARIA THERESIA
IV NONAS JULII ANNO MDCLX.
TEMPLUM IPSUM
ANTONIUS GIRARD, EPISCOPUS PICTAVIENSIS,
III NONAS JULII ANNO MDCIC,
D. O. M. IN HONOREM B. MARLE VIRGINIS,
SOLEMNITER DEDICAVIT :
QUOD POSTEA, SUB FINEM SEQUENTIS SECULI.
ORTA TRIBULATIONE MAGNA,
PULSIS VIRGINIBUS SACRIS,
VASTATUM AC DIU VIOLATUM,
TRANQUILLIS TANDEM TEMPORIBUS,
REGIS LUDOVICI XVIII MUNIFICENTIA
RESTAURATIS ATQUE AMPLIFICATIS
MONASTERII ÆDIFICIIS
INDUCTISQUE CLERICIS SEMINARII
CUM S. THEOLOGLE MAGISTRIS
ET RECTORE REV. D. MICHÆLE MESCHAIN
RECONCILIAVIT SACRISQUE RESTITUIT,
XVI KAL. DECEMBRIS ANNO MDCCCXXIV.
ILLmus AC REVmus D. D. J. B. DE BOUILLÉ, EP. PICT.
Domum tuam
Decet sanctitudo, Domine.

Le 5 juillet 1660, Louis XIV, revenant de la frontière d’Espagne avec sa mère Anne d’Autriche et son épouse Marie-Thérèse, posa la première pierre de ce monument, laquelle fut bénite par Gilbert de Clérembauld, évêque de Poitiers. Il fut dédié par Antoine Girard, évêque de Poitiers, le 5 juillet 1699, sous l’invocation de la sainte Vierge. Cette chapelle fut pillée et profanée pendant la Révolution, et divisée en plusieurs étages pour servir de salles et de dortoirs aux hôtes du dépôt de mendicité du département de la Vienne, établi dans l’ancien monastère des Carmélites.

Après la Restauration, le concours du roi Louis XVIII et le zèle du clergé lui restituèrent sa splendeur primitive, et elle fut réconciliée par Mgr de Rouillé, évêque de Poitiers, le 16 novembre 1824.

Au moment où éclata la Révolution, le grand séminaire était établi, comme nous l’avons vu, dans les bâtiments qui forment aujourd’hui l’Hôtel-Dieu. Il était tenu par les Lazaristes.

Avant d’entrer au grand séminaire, les aspirants au sacerdoce passaient un peu plus d’un an dans le séminaire de Saint-Charles ou petit séminaire, dont il sera parlé plus loin, également tenu par les Lazaristes, et où ils n’étaient admis qu’après deux années d’études théologiques. Ils restaient au grand séminaire trois années, et suivaient, en recevant les ordres sacrés, les cours de théologie aux Jacobins.

Le grand séminaire n’admet aujourd’hui que les élèves qui ont fait une année de philosophie, et, au bout de trois années, ils peuvent être ordonnés prêtres. Le grand séminaire possédait pour maison de campagne le Petit-Château, aujourd’hui propriété particulière, située près de Saint-Benoît, à 5 kilomètres de Poitiers. Sa maison de campagne actuelle est située à Mauroc, un peu au delà de ce bourg. Une chapelle simple, mais du meilleur goût, y a été construite par les soins de Mgr Pie, évêque de Poitiers, qui, s’il ne trouve plus à Mauroc la magnifique terre dont ses prédécesseurs jouissaient à Dissais, dans leur ancien château de plaisance, y peut jouir du moins quand il le veut, du calme et de la solitude nécessaires aux grands travaux de la pensée.

Pendant la Terreur, le troupeau ecclésiastique fut dispersé, mais il se réunit après la tourmente, et, grâce au bon vouloir d’un gouvernement réparateur, les anciens bâtiments des Carmélites furent restaurés, agrandis, complétés par une aile tout entière, et ils purent recevoir avec honneur les jeunes lévites, l’espoir du sacerdoce.

La bibliothèque du grand séminaire n’a pas seulement donné un asile à la Grand’Gueule, dont nous vous avons parlé à la page 147. Elle pourrait offrir encore à votre examen, dans sa collection de neuf à dix mille volumes, un bon nombre d’ouvrages de valeur pour les études ecclésiastiques. On y admire surtout deux superbes manuscrits de la fin du XVe siècle.

Le premier, très-fort vol. in-4o, est un bréviaire selon l’usage de l’église du monastère de la Trinité de Poitiers. Incipit breviarium secundum usum ecclesiæ monasterii Trinitatis Pictav.

Il a été écrit par les soins de dame Anne de Prie, nommée abbesse de ce monastère en 1484, morte en 1500. Aussi l’écrivain a-t-il mis en tête la Vie de sainte Anne, mère de la sainte Vierge.

Ce bréviaire contient en encadrement vingt-cinq miniatures délicieuses, sans compter les légères et charmantes vignettes qui en ornent presque toutes les pages.

Il est mentionné expressément par l’auteur de la Gallia christiana (II. 1308) en ces termes : Exstat in hoc monasterio breviarium ejus (Anna de Prie) curâ eleganter scriptum.

L’autre manuscrit est un missel poitevin in-folio dont nous ignorons l’origine.

Les miniatures d’encadrement, qui sont nombreuses, offrent presque partout la grotesque satirique que nous trouvons reproduite sur la pierre dans nos églises de la même époque. Les deux miniatures en pleine page qui précèdent le canon de la messe sont d’une véritable beauté. Elles représentent, à gauche, Jésus attaché en croix, avec les principales scènes de la Passion en encadrement, et, à droite, le triomphe de la loi nouvelle sur la loi ancienne.

Il est un autre dépôt auquel le séminaire de Poitiers attache avec raison un grand prix : nous voulons parler des précieuses reliques du vénérable Cornay, ancien élève du séminaire, d’où il partit pour aller cueillir dans les missions du Tong-King la palme du martyre (1837).

Ces reliques sont conservées dans la cellule du défenseur de la foi, que l’on réserve religieusement, et ce sanctuaire, vénéré par les successeurs du généreux apôtre, n’a pas été étranger sans doute aux nobles dévoûments qui ont honoré depuis quelques années notre diocèse.

Voici la signature du martyr :

Rue Boncenne. — La première rue à gauche, de création toute récente (1860-61), a pris le nom du Poitevin éminent dont nous vous avons déjà parlé (page 60) : elle ne pouvait mieux faire, car elle aboutit à ce palais de justice qui fut pendant si longtemps témoin des triomphes de l’illustre avocat, et où s’asseoient encore chaque jour des magistrats qui s’honorent d’avoir été ses élèves.

Cette rue a été ouverte à travers de vastes enclos aboutissant au couvent des Hospitalières, que nous avons vues transplantées aujourd’hui dans l’ancienne abbaye de Sainte-Croix, V. p. 145, et on ne peut nier qu’elle n’établisse une voie de communication fort directe de la gare avec le centre réel de la ville.

Sa largeur est convenable : et l’aspect des jeunes maisons qui la bordent ne ressemble nullement à la très-humble modestie des façades des logements du Poitiers d’il y a cinquante ans.

Mais ce facies élégant n’aurait-il pas son revers, comme toutes les médailles ? et certain renard moraliste qui passerait par là ne serait-il pas tenté de lâcher la fameuse apostrophe : « Belle tête ! mais… » ?

Ici, la cervelle en moins, ce serait ce vaste jardin d’autrefois qui permettait, sans qu’on fût obligé de les acheter au prix d’une longue course ou d’une exhibition de toilette plus fatigante (pour quelques-uns) que la course elle-même, de trouver chez soi l’utile agrément d’une promenade nécessaire aux chefs du ménage et l’air pur réclamé par les jeunes poumons de la famille nombreuse.

Il est vrai que la famille nombreuse s’en va comme les grands jardins et avec eux ! et précisément à cause de la toilette qu’il faut étaler aux exhibitions coûteuses de la promenade publique.

Sur cette moralité, bien sérieuse, n’est-il pas vrai ? car elle se rattache à l’une des plus graves questions de ces temps-ci, continuons notre course, et bornons-nous à effleurer la rue, comme la réflexion qu’elle a fait naître. Toutefois et par une transition plus naturelle qu’elle ne doit sembler au premier coup d’œil, passons à l’histoire de

La caserne de Gendarmerie. — Il est évident, en effet, que les insatiables besoins que créera l’exagération d’un luxe effréné entraîneront, pour les satisfaire, des appétits désordonnés, auxquels la société devra opposer, à son tour, le luxe (nécessaire celui-là) de nombreux gendarmes.

C’est donc de la gendarmerie… nationale, apparemment aujourd’hui, — et qu’elle garde avec le mot la chose — que nous avons à vous parler.

Elle occupe une partie des bâtiments de l’ancien monastère des Filles de Notre-Dame, que nous avons vues établies aujourd’hui sur l’emplacement de l’antique abbaye de la Trinité (V. p. 86). Le reste des constructions a été démoli pendant la Révolution.

Les Religieuses habitaient encore leur couvent en 1792 ; mais à cette époque, le 9 avril, ayant refusé de se présenter, selon leur coutume, sur leur terrasse au moment du passage de la procession qui se faisait à l’occasion du Miracle des Clefs (voir ci-après), et d’y chanter le Regina cœli, ce refus, justement motivé pourtant, puisqu’il s’agissait, de la part des pieuses filles, de ne pas faire acte d’adhésion publique au clergé constitutionnel assermenté qui présidait à la cérémonie, provoqua une émeute violente.

Malgré les efforts de la municipalité et l’autorité des magistrats, les prôneurs de « la liberté des cultes, enfin conquise sur l’intolérance des temps « d’obscurantisme religieux », envahirent brutalement le monastère, et cette émeute ne s’apaisa qu’à la nuit.

Ne seriez-vous point tenté de penser avec nous que si les braves qui firent cette journée existaient encore, ils se soucieraient peu d’en tenter une deuxième édition contre les hôtes actuels de l’ancien monastère ?

Il est probable aussi que, quoique intrus eux-mêmes, ces hôtes nouveaux défendront mieux la propriété départementale dont ils sont les usufruitiers, que ne purent le faire autrefois les légitimes possesseurs d’icelle, si, par impossible, quelques sectateurs des idées nouvelles essayaient, un jour ou l’autre, de mettre en pratique, contre la maréchaussée du XIXe siècle, la doctrine du progrès.

Rue de l’Industrie. — Le Jésu. — Encore une rue nouvelle, elle date de 1851, et elle a été faite par les mêmes procédés que sa sœur cadette. Suivons-la.

Sur la main droite, une porte ayant un caractère religieux vous indiquera l’entrée de la chapelle du Jésu, dont le nom seul vous dira que là se trouve la résidence des RR. PP. Jésuites. Je suppose que ce nom ne vous effraie pas, quoiqu’il ait épouvanté de petits hommes d’État et de grands journalistes ; j’admets encore que vous ne redoutiez pas les terribles vengeances dont un romancier trop célèbre racontait naguère sous sa plume diffamatoire les excès impossibles, et que vous ne croyiez que médiocrement aux ogres. Entrons donc chez les Jésuites.

Ne vous laissez pas repousser par l’aspect extérieur peu gracieux du monument, malgré le clocher qui le surmonte. Dans cet édifice, à la différence de ceux de la rue Boncenne, le dedans vaut mieux que sa figure.

Cette chapelle, construite sur les plans du R. P. Tournesac, sous le vocable du saint Nom de Jésus et de Notre-Dame de Bon-Secours, a été solennellement consacrée le 20 juin 1854, veille de la fête de saint Louis de Gonzague, par Mgr Pie, évêque de Poitiers, assisté de Mgr Cousseau, évêque d’Angoulême.

Peut-être trouverez-vous que le sanctuaire, réellement tronqué, n’est pas en harmonie avec la longueur et l’ampleur de la nef ; que les fenêtres et les voûtes ne sont pas du plus pur XIIIe siècle ; peut-être remarquerez-vous encore quelques détails où la critique pourra mordre. Si l’architecte était là, peut-être son humilité ne vous dirait-elle pas que ces défectuosités, ces manquements même aux règles essentielles de l’art ne sont pas de son fait : mais nous, qui n’avons ni les motifs de générosité ni les raisons de charité fraternelle que le R. Père pourrait invoquer en faveur d’un obligeant silence, nous vous affirmerons qu’il est complétement innocent de toutes ces choses regrettables, dont il faut laisser l’entière responsabilité à ceux qui, dans l’exécution, ont modifié des plans irréprochables.

Et pourtant, malgré tout cela, n’est-il pas vrai que cette chapelle offre un aspect d’ensemble qui plaît à l’œil et qui satisfait le goût, et que, lorsqu’on pénètre dans le détail de ses diverses parties, son agencement apparaît merveilleusement approprié à la destination spéciale à laquelle elle est affectée ?

Au sortir de la chapelle du Jésu, suivons à droite. À l’extrémité de notre rue de l’Industrie, nous retrouverons celle de la Mairie. La maison de notre éditeur en forme l’angle. Tout près de là existait un portail assez remarquable par ses sculptures. C’était le portail d’entrée de l’hôtel de la Juridiction consulaire, juridiction équivalente au tribunal de commerce actuel. Ce portail, transféré, en 1848, au parc de Blossac, a été démoli en 1858, et les statues qui le couronnaient sont aujourd’hui déposées au musée des antiquités, où nous les verrons bientôt.

M. Létang, notre éditeur, n’a pas voulu suivre son vieux voisin dans les hasards de son pèlerinage ; il est demeuré fidèle à son no 6, et il a bien fait : car, si le sort du libraire eût été lié au sort du pauvre monument, au lieu d’un magasin brillant et achalandé, ce ne serait pas seulement une échoppe misérable et déserte qu’il tiendrait aujourd’hui, il serait, lui aussi, complètement ruiné.

La maison voisine, coupée en 1851 par l’établissement de la rue de l’Industrie, était, sous M. de Blossac, l’Hôtel de l’Intendance, qui n’avait point de local officiellement affecté aux besoins du service et de l’administration. Il est vrai que l’on faisait beaucoup moins de paperasserie qu’aujourd’hui, et voilà pourquoi, sans doute, aujourd’hui il faut des palais dont on critique la magnificence, dont on regrette surtout le prix qu’ils coûtent, mais que l’on bâtit quand même magnifiques et coûteux. L’art y gagnerait, il est vrai… si l’on y mettait de l’art.

La rue Saint-François, qui participait, nous le croyons du moins, au nom de sa voisine (de Aguilheriâ), ne nous offre rien qui mérite de fixer notre attention.

Tournons à droite ; suivons la rue des Cordeliers, ainsi nommée du couvent qui existait autrefois, et dont l’église subsiste encore entière dans l’intérieur de la maison no 15, à droite.

Les Cordeliers ou Franciscains vinrent s’établir à Poitiers en 1267, dans une chapelle dite de Sainte-Catherine, sous la protection de Hugues de Lusignan (probablement Hugues XI le Brun) et de Guy, sire de Cognac et d’Archiac, son frère, leurs fondateurs. Où était située cette chapelle ? Serait-ce, par hasard, celle que nous avons vue près de Montierneuf, et dont nous n’avons pu indiquer l’origine ? C’est plus que douteux, et Dufour pense, sans toutefois motiver son opinion, que cette chapelle devait se trouver près de la rue du Chaudron-d’Or, dans le pâté de maisons qui se trouve contigu à celui des Cordeliers au sud, et il paraît incliner à penser que le véritable fondateur de ce couvent est Alphonse, frère de saint Louis, comte de Poitou.

Quoi qu’il en soit, en 1295, après la suppression des Frères des Sacs ou de la Pénitence (les Fratricelles ou Frérosts), lesquels, d’ailleurs, n’occupaient plus leur ancien monastère, ce dernier, situé près de la rue actuelle des Cordeliers, fut concédé par l’évêque Gauthier et son Chapitre aux nouveaux Religieux, qui virent s’augmenter leur importance au bout de peu d’années, de telle sorte qu’ils possédaient une grande partie de l’espace compris entre les rues actuelles des Cordeliers, des Jacobins, de l’Éperon et du Chaudron-d’Or.

C’est à ce couvent que se rattache un des faits les plus importants de notre histoire politique et religieuse : la suppression de l’ordre si fameux des Templiers.

Lorsque le pape Clément V vint à Poitiers, au mois de juin 1307, pour traiter avec Philippe le Bel de cette grave affaire, il y séjourna pendant près de seize mois, et il habita dans le couvent des Cordeliers, tandis que le roi se tenait aux Jacobins.

Ils communiquaient ensemble, assure-t-on, au moyen d’un passage pratiqué dans ce but entre les deux couvents.

Lorsque l’affaire s’instruisit régulièrement, le pape manda devant lui 72 chevaliers, et leur fit subir un interrogatoire, après lequel il les renvoya à Paris.

Vous savez le reste : Jacques Molay mourut sur un bûcher, ajournant devant le tribunal de Dieu les juges qui l’avaient condamné, et laissant à l’histoire, disent quelques-uns, une énigme dont le mot mystérieux nous échappe.

C’est au séjour du pape Clément V à Poitiers que se lie naturellement une légende que nous allons reproduire et dont la partie la plus dramatique se passa dans les caveaux de l’église même des Cordeliers. Le chanoine de Loudun qui nous en a laissé le récit le tenait, nous dit-il, de la déclaration d’un écuyer du pape qui en avait été témoin. On le trouve aussi dans la chronique d’Antonin, archevêque de Florence.

Gauthier de Bruges, Religieux Cordelier dont nous avons parlé page 139, à l’article des évêques de Poitiers, avait été placé sur le siège épiscopal de cette ville sous le gouvernement de Nicolas III.

Une discussion s’étant élevée entre Bertrand de Goth, archevêque de Bordeaux, et l’archevêque de Bourges, qui prétendaient tous les deux à la primatie de l’Aquitaine (l’archevêque de Bourges s’intitule encore primat des Aquitaines, quoique l’évêque de Poitiers soit suffragant de Bordeaux), Gauthier de Bruges crut devoir reconnaître la suprématie de l’archevêque de Bourges, et il agit en conséquence.

Bertrand de Goth étant monté sur la chaire de saint Pierre sous le nom de Clément V, le pape n’oublia point les griefs de l’archevêque, et il eut le tort d’en tirer vengeance en déposant le vertueux et savant évêque de Poitiers. Gauthier de Bruges, aussi humble qu’il était savant, aussi soumis qu’il était vertueux, obéit au chef de l’Église et se retira dans son couvent des Cordeliers, à Poitiers (1305). L’année suivante, il mourut le jour de saint Vincent (1306) ; mais, avant son décès, il appela de la sentence de déposition prononcée contre lui, « à Dieu et au futur concile, et ordonna que la cédule apellatoire qu’il « avoit faicte et escrite de son appellation fust mise entre ses mains avec son « corps en sa sépulture après son trespas, ce qui fut faict ». Et eurent lieu « de grands miracles ». — V. Bouchet —

Lorsque Clément V vint à Poitiers pour y traiter avec Philippe le Bel la grande question de la suppression des Templiers, « on lui récita comme le dit feu « euesque Gautiés, duquel il veit la sépulture auoit ordonné à la fin de ses « iours...

« Le pape fut curieux de veoir laditte cédulle et commanda qu’on fist « ouverture de laditte sépulture, pour avoir la cédulle, ce qui fut faict, mais ne fut « lors possible de pouuoir retirer de la main dudit euesque laditte cédulle sans la « rompre : ce qui fut rapporté au pape. Lequel enjoignit aux messagers de faire « inionctions audit euesque trespassé, sous peine d’inobédience, de lascher « ladite cédulle, auec promesse de la remettre, après icelle leue, en sa main.

« On fist le commandement du pape, et incontinent, par miracle, ledit « euesque entrouurit la main, et lascha laditte cédulle ; laquelle fut veue et lueue « par le pape, et tantost après remise en laditte main dudit euesque qui la « resserra comme elle estoit auparauant, dont ledit pape fut fort esbahi, et non « sans cause, et dès lors fist faire vne plus honorable sépulture audit euesque « qu’elle n’estoit, et se repentit bien de lui auoir osté son éuesché. » — V. ibid. —

Un autre chroniqueur raconte que ce fut un archidiacre du pape qui fut chargé de requérir la remise de l’acte d’appel et qui le reçut en ses mains ; mais que, lorsqu’il voulut sortir du caveau, il fut arrêté par une force secrète et irrésistible qui le retint comme otage jusqu’à ce que la cédule d’appel eût été restituée à l’appelant.

Quoi qu’il en soit, ce qui est certain, c’est que Clément V reconnut noblement son injustice, et qu’il rendit à la mémoire du bienheureux Gauthier les honneurs d’une réparation justement méritée.

Le corps de Gauthier de Bruges avait été inhumé dans un tombeau élevé devant le grand autel. Nous avons des raisons de croire que ces précieux restes seraient facilement retrouvés, et qu’il serait dès lors possible d’en faire faire la recherche et de déposer ces cendres oubliées dans un lieu plus digne d’elles.

L’église des Cordeliers reçut, après la funeste bataille de Maupertuis-Poitiers (19 septembre 1356), les dépouilles mortelles d’un grand nombre de chevaliers et écuyers tués dans cette rude journée.

Parmi eux, nous citerons le duc d’Athènes, connétable de France ; l’évêque de Châlons, Jean de Bourbon, etc., etc. Les armoiries de tous ces nobles guerriers furent peintes en grand relief et décorèrent le funèbre asile qui n’a pas su les protéger contre le temps et l’oubli.

Avant la Révolution, on voyait au milieu du chœur un magnifique tombeau de marbre noir servant de piédestal à deux belles statues qui représentaient un comte et une comtesse de Mortemart. Cette famille avait sa sépulture dans l’église des Cordeliers. Il ne reste de ce monument que des souvenirs et un dessin déposé à la bibliothèque publique. À en juger par cette représentation, il était fort remarquable.

Si vous pénétrez dans l’intérieur de la maison no 15, à gauche, sous le porche, vous verrez la porte de l’ancienne église. Elle a conservé sa tribune, dont le cintre inférieur était fermé autrefois par un tambour en bois que nous avons vu à l’église cathédrale, dans le collatéral de gauche, et qui masque la porte donnant sortie vers le presbytère.

L’autel était à la romaine et placé en avant du chœur des moines. La boiserie qui le garnissait et les stalles ont été utilisées, à l’époque de la Révolution, dans l’église de Sainte-Radégonde.

La chapelle des Cordeliers est aujourd’hui une salle de gymnastique.

Le magasin de poudres de la ville était voisin des Cordeliers, ce qui faillit causer de grands malheurs, lorsque, en 1678, le feu prit au couvent et y fit beaucoup de dommage. La bibliothèque faillit être consumée.

Presque un demi-siècle auparavant (1627), tandis que le roi Louis XIII faisait le siège de la Rochelle, le grand Conseil, pour se rapprocher de lui, se réunit à Poitiers, et ce fut aux Cordeliers qu’il tint ses séances.

Les Cordeliers, auxquels on donnait le titre de Pères, avaient pour supérieur un gardien. Ils étaient, ainsi que les Carmes et les Jacobins, affiliés à l’Université. Ils fournissaient aussi des prédicateurs à la ville. C’était à eux qu’appartenait, avant la Révolution, le triste privilége d’assister les criminels que la justice des hommes livrait au bourreau. À cette époque, ils n’étaient plus que six Religieux dans leur couvent.

Presque vis-à-vis de l’ancien monastère des Cordeliers se dresse la façade méridionale du Palais de justice ; ce monument mérite notre attention.

Le Palais. — Des auteurs font remonter la construction primitive du palais au temps de l’empereur Julien, lorsqu’en 357 il réorganisa la province des Gaules. Ce fut la curie et le siége de l’autorité municipale.

Après la domination romaine, les rois wisigoths s’y logèrent au milieu des ruines. Reconstruit ou restauré sous Pépin, puis sous Charlemagne, ruiné sous ses successeurs, il fut appelé par Louis le Débonnaire son château royal de Poitiers.

Habité plus tard par nos comtes de Poitou devenus maîtres héréditaires du duché d’Aquitaine, il fut réédifié avec magnificence par Guillaume le Grand, au commencement du XIe siècle, et ce prince, aussi puissant qu’un roi, y tint sa cour, d’où cet édifice fut appelé Aula.

C’est à Guy-Geoffroy (Guillaume VII, fils de Guillaume le Grand) que l’on attribue la construction de l’immense salle des Gardes, qui forme aujourd’hui la salle des pas perdus de la Cour d’appel. Le style de sa décoration en galeries feintes, où l’ogive se mêle au plein cintre encore dominant, accuse l’époque de transition, qui se rapporte bien au temps de Guy-Geoffroy, mort en 1086.

Après les règnes d’Aliénor et des rois d’Angleterre, comtes de Poitou, saint Louis vint lui-même installer son frère Alphonse, qu’il avait investi du comté de Poitou, et ce fut là que le fier Lusignan, comte de la Marche, époux de la comtesse-reine Isabelle d’Angoulême, fit à son suzerain l’insulte publique qui fut si noblement vengée par la victoire et le pardon.

Brûlé en 1346 par les Anglais, le palais fut réparé en 1395 par Jean, duc de Berry et comte de Poitou, frère du roi Charles V, qui fit alors construire la façade méridionale, qu’il souda, sans trop de précaution, à la salle des Gardes.

Le duc de Berry ne se borna pas à la reconstruction de la façade méridionale de son palais ; il y ajouta le donjon flanqué de quatre tours qui s’avance vers la rue des Cordeliers et qui présente aux regards ses statues mutilées, ses fenêtres endommagées et sa face latérale horriblement défigurée par les maçons, qui en ont fait une Cour d’assises.

C’est là que se trouve la tour historique de Maubergeon (Malhberg, audiences en lieux couverts, Mallobergium) où, dès l’origine, et sous Charlemagne, furent tenues les audiences publiques et fut rendue la justice, et dont relevèrent depuis tous les fiefs capitaux de la province.

Si l’étymologie que nous venons de vous donner de ce mot de Maubergeon ne vous suffisait pas, voici celle que vous propose Piganiol de la Force dans la Description de la France, t. V, p.94 :

« On voit, dit-il, au milieu de la ville de Poitiers, une grosse tour ronde, construite de grandes pierres et ornée par le dehors de plusieurs figures qu’on dit avoir été le château d’un homme de crédit appelé Maubergeon. »

Si vous n’êtes pas content de celle-ci, vous êtes décidément difficile à satisfaire.

Ce fut dans le palais de Poitiers que le Dauphin, fils de France, fut proclamé roi sous le nom de Charles VII (octobre 1422) ; ce fut là encore que fut interrogée par les docteurs les plus habiles Jeanne d’Arc la Pucelle (mars 1429) ; ce fut là que s’assemblèrent les parlements de Paris et de Bordeaux, au moment où la France presque entière était anglaise ; ce fut là que les grands jours, ces assises solennelles de la plus haute juridiction d’alors, rendirent au pays la sécurité qui lui manquait, et léguèrent au présidial, digne prédécesseur de la cour supérieure qui y siège aujourd’hui, le soin de rendre bonne et prompte justice.

Cette souveraineté respectable, mais trop pacifique, ne sut point défendre énergiquement son domaine.

Envahie de toutes parts, la place, assiégée par d’ambitieux voisins, succomba aux attaques souterraines et clandestines dont elle fut incessamment l’objet. Les usurpateurs s’y cantonnèrent si bien, qu’un jour, lorsque l’Etat voulut rentrer dans une partie de ce qui lui appartenait légitimement, il fut contraint de l’acheter et de le payer à beaux deniers comptants.

Cela eut lieu, non sans peine, de 1845 à 1847, sous l’administration éclairée de M. d’Imbert de Mazères, préfet de la Vienne. Il obtint, au prix de 75 000 francs, la démolition des baraques qui cachaient aux regards la portion du vieil édifice que l’on aperçoit maintenant de la rue des Cordeliers.

« Bientôt, lorsque les ressources dont l’Etat peut disposer lui permettront d’achever l’œuvre qu’il a entreprise, ce monument, qui ne fut jamais achevé, recevra le couronnement que réclament ses tours démantelées et les réparations qu’exigent les cruels méfaits dont il fut victime. Précieux comme monument civil, il l’est encore plus, vous le voyez, par les souvenirs historiques qu’il rappelle. »

Ceci était bon à dire en 1867 ; mais aujourd’hui, après 1870-1871, est-il bien permis d’espérer ce bientôt-là ?

En attendant, vous pardonnerez à notre gravure de n’avoir pas reproduit sur ses premiers plans la grille en fer, le kiosque et les plantations qui encadrent aujourd’hui la base du monument. Cela ne prouve qu’un point : c’est que toutes ces choses-là sont plus jeunes que notre gravure.

Décidément, on a tort de devenir vieux. Les vieilles gravures sont comme les vieilles gens, elles radotent quelquefois : mais du moins, plus heureuses que les vieilles gens, elles sont souvent très-recherchées, et précisément en raison de leur âge. Heureuses vieilles gravures !

Nous n’avons pu voir qu’une partie de ce que nous avons dû vous décrire pour ne pas couper notre récit : maintenant revenons sur nos pas, afin d’examiner l’intérieur du monument. Tournant à droite, par la rue Saint-François, nous arriverons en face d’un fronton grec décoré des attributs de deux royautés successives. La 2e république, au moins, a eu le bon esprit de ne pas s’offusquer des chiffres que le gouvernement de 1830 avait substitués aux signes qu’il proscrivait, lui qui devait être proscrit à son tour; et, dans les temps, nous en avons félicité sincèrement la 2e république. Donc, compliments encore à la troisième..... sur ce point !

Il n’y a rien de niais, rien de stupide comme cette guerre faite à des monuments inoffensifs, qui devraient conserver toujours le cachet, bon ou mauvais, de leur origine, et le voir réapposé sur leur front par des mains intelligentes, quand les rides et les injures de la vieillesse l’ont effacé.

Sous le rapport du style, hélas ! celui-ci est bien triste : c’est, suivant le dire de l’un de nos devanciers, « ce que l’architecture moderne emploie indistinctement pour en faire l’entrée d’une église, d’une salle de spectacle, d’un corps de garde ou d’une mairie » et, ce qu’il y a de pire, c’est que le constructeur de ce tribunal de première instance, à peine édifié, que vous voyez à main gauche, s’est cru obligé, par ce précédent déplorable, de faire taire les répugnances de son bon goût devant une symétrie à laquelle il n’aurait pas dû se laisser condamner.

Mieux valait prendre l’essor, être soi-même, et rendre ainsi nécessaire la démolition ultérieure de l’œuvre de la Restauration. Quoi qu’il en soit, cette œuvre en elle-même avait remplacé des abords d’une saleté incroyable, encombrés de boutiques sombres et laides.

La grande salle, dont nous avons retracé l’histoire, a 49 mètres 30 centimètres de long sur 17 mètres de large. Ses vastes développements, à l’abri de sa belle charpente, se prêtent à merveille aux cérémonies publiques, qui souvent déjà y ont déployé leurs pompes et leurs magnificences. C’est là qu’aboutissent toutes les pièces destinées au service de la cour.

Au milieu, voici la salle des audiences solennelles et de la première chambre civile : c’était là qu’était autrefois la chapelle du palais, rétablie en 1608, avec laquelle la prison était en communication, pour que les détenus pussent assister aux offices religieux.

La salle du coin, à gauche, aujourd’hui deuxième chambre civile et des appels de police correctionnelle, était le siège du présidial, jugeant tour à tour comme sénéchaussée (tribunal de première instance) et comme cour d’appel des tribunaux inférieurs du ressort.

Vis-à-vis s’ouvrait la porte conduisant à la juridiction des eaux et forêts, là où siégeait naguère le tribunal de première instance.

L’Élection, chargée de juger les questions d’impôt, tenait ses audiences dans le greffe actuel de la cour.

Quant à la juridiction consulaire, nous avons vu qu’elle avait son hôtel particulier dans la rue de la Mairie.

A l’extrémité, à droite (là où est la salle de la cour d’assises), le bureau des finances, composé des trésoriers de France, jugeait les matières financières, domaniales, etc. ; en face se trouve aujourd’hui la salle de l’ordre des avocats, corps distingué qui a toujours su conserver intacte sa renommée de science, d’indépendance et de probité, et qui la justifie par ses actes dans un temps où toutes ces grandes choses deviennent de plus en plus rares.

La face méridionale, œuvre de Jean duc de Berry, accuse bien le XIVe siècle ; ses détails sont réellement fort gracieux, et les statuettes qui entrent dans son système d’ornementation sont d’un excellent goût.

Les trois cheminées que vous voyez si largement ouvertes, et qui servaient sans doute à réchauffer la salle des gardes, laissaient échapper la fumée de leur âtre immense par trois tuyaux qui traversent en ligne droite les arcs des fenêtres ogivales.

Ces cheminées furent longtemps cachées par une cloison, et elles servaient de magasins à bois de chauffage pour la cour d’appel. Bien qu’on pût dire rigoureusement qu’elles n’avaient pas précisément changé de destination, il était à regretter que cette mutilation eût enlevé à ces monuments curieux leur véritable caractère.

Elles ont été débouchées à l’époque où, sous la direction habile de M. le conseiller Pilotelle, membre de la Société des antiquaires de l’Ouest, le palais de justice fut l’objet d’une restauration qui, bien que malheureusement trop incomplète encore, fait le plus grand honneur à messieurs de la cour et à la mémoire de l’homme plein de zèle et de goût qui s’y devoua si résolûment.

Durant le calamiteux hiver de 1870-1871, les énormes bûches placées depuis longtemps dans ces deux immenses cheminées servirent enfin à réchauffer de nombreux bataillons de mobiles revenant de la guerre, et que la ville, déjà encombrée de soldats de toutes armes, s’était vue obligée de loger, pendant plusieurs mois, dans le sanctuaire de la justice.

L’église Saint-Didier, église paroissiale, était située à peu de distance du palais, sur l’emplacement qu’occupe aujourd’hui la maison no 7, formant le coin du plan et de la rue Saint-Didier ; elle n’offrait rien de remarquable. Son clocher en pierre était surmonté d’une toiture pointue en charpente et ardoise.

Vendue nationalement, elle n’a été démolie que depuis quelques années. Aux jours de fêtes solennelles, on décorait son sanctuaire d’une tapisserie donnée par le Chapitre de la ville de Langres, dont saint Didier avait été évêque. Cette tapisserie, sur laquelle étaient brodées les armoiries du Chapitre, et qui représentait plusieurs traits de la vie du Saint, fait aujourd’hui partie du mobilier municipal, et figure dans toutes les fêtes qui exigent un certain appareil d’échafaudages. Ce n’était pas précisément le but des donateurs.

La paroisse de Saint-Didier comptait, avant la Révolution, 1 800 communiants. Les deux cimetières de cette paroisse, qui étaient contigus, ont formé le plan actuel de Saint-Didier. L’ancien cimetière a formé la partie N.-O. ; le nouveau, la partie plus rapprochée de l’église et du palais. Au milieu de ce dernier se trouvait un puits autour duquel on allait en procession chanter un Libera, au jour des Morts.

La Regratterie. — A l’extrémité de la rue Saint-Didier, à droite se trouve la rue de la Regratterie (nommée aussi, dans des titres, de la Regueterie), sans doute parce qu’elle était habitée autrefois par les revendeurs ou fripiers que, dans le langage populaire, on nomme encore regrattiers.

Nous verrons, du reste, en poursuivant notre course, que ces honorables industriels n’ont pas complétement abandonné le théâtre de leurs anciens exploits.

Le minage se tenait très-anciennement au bout de cette rue, près l’hôtellerie Saint-Jacques. L’article suivant semble même nous autoriser à croire qu’il s’y tenait avant le XIVe siècle. Ce ne fut qu’en 1626 qu’il fut transporté, comme nous l’avons vu, dans la rue Neuve.

Maison du Pin. — La rue qui se prolonge dans l’axe de la rue de la Regratterie, à gauche, n’est autre que celle du Moulin-à-Vent, dont nous avons parlé à la page 211.

Dans cette rue, sur la main droite en descendant, au no 1, existait autrefois une maison nommée la maison du Pin, parce qu’elle était une succursale de l’abbaye de ce nom située près de Poitiers. Un traité avec l’abbé et les religieux de cette abbaye ayant été fait, sur l’ordre du roi, par son sénéchal de Poitou, au mois de février 1301, et confirmé par lettres patentes de Philippe le Bel du même mois, le roi renonça par ce traité à la rente de 14 livres que lui payait l’abbaye, sous la condition que lui et ses successeurs seraient à l’avenir, conjointement avec l’abbé de ces religieux, propriétaires par indivis du droit de minage.

Depuis ce traité, les boisseaux servant d’étalons étaient marqués d’une fleur de lis et des armes de l’abbaye-du Pin, et gardés à Poitiers dans la maison du Pin.

Vieilles-Boucheries. — Suivons la rue de ce nom, ainsi appelée parce que, avant 1421, époque à laquelle Charles VII ordonna que la boucherie serait établie en face de l’église Sainte-Radégonde, la boucherie se tenait dans cette rue, alors dépendante de la paroisse de Saint-Cybard ; détournons à gauche, et suivons le zigzag qui nous conduira au plan des Petits-Jésuites.

Les Pétits-Jésuites. — Nous avons dit l’origine du premier de ces noms à propos du lycée (v. page 72). C’était là que se trouvait le collége dit des Pères Jésuites d’Hibernie ou Petits-Jésuites, lequel a donné son nom au plan lui-même.

La maison occupée dès l’origine par les RR. Pères était l’ancien hôtel de notre savante famille des Ste-Marthe. Sully y avait logé en 1611.

Les fondations de bourses faites par la veuve O’Mamers et par N. Crouley annoncent que cette œuvre avait été appréciée et encouragée par nos voisins d’outre-mer, auxquels elle était, du reste, plus spécialement utile.

Voici l’histoire de cet établissement situé dans la rue de la Prévôté.

Après l’expulsion des Jésuites, il fut consacré à former le dépôt officiel des mendiants, vagabonds et gens sans aveu que fournissait la Généralité de Poitiers, et dont il était exactement défrayé par les soins de la maréchaussée, et c’était ce qui lui avait fait donner avant la Révolution, par suite d’une analogie assez imparfaite cependant, le nom de Bicêtre. La chapelle desservie par les Capucins, qui y célébraient habituellement l’office divin, était ouverte au public.

Les bâtiments sont habités actuellement par les Sœurs de la Charité des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie, qui consacrent leurs soins pieux à l’éducation des petites filles pauvres.

De 1850 à 1854, l’établissement a été augmenté, et une jolie chapelle en style ogival, dont la façade règne sur la rue, y a été construite d’après les plans du R. P. Tournesac. Elle a été consacrée le 8 août 1854 par Mgr Pallu du Parc, évêque de Blois. Cet établissement appartenait alors aux Sœurs de la Providence Sainte-Marie de Saintes, qui ont été remplacées en 1859 par les Religieuses qui l’occupent aujourd’hui. Il compte en Sœurs, en pensionnaires et externes, 150 personnes.

La Prévôté. — A l’extrémité de la rue de la Prévôté, sur la droite, étaient les bâtiments et prison de la Prévôté. L’hôtel en face porte seul ce nom aujourd’hui, malgré l’asile qu’il donne aux pieux instituteurs du peuple. Vous ne serez peut-être pas fâché, cher lecteur, de savoir ce qu’étaient autrefois ces magistrats si redoutés que l’on appelait les prévôts.

Ils furent primitivement les délégués des comtes et gouverneurs des provinces pour rendre la justice et percevoir les impôts en leur nom. Hugues Capet les réduisit à ce dernier rôle en instituant juges les sénéchaux et baillis.

Mais Philippe-Auguste, ayant créé un prévôt des grands maréchaux chargé de réprimer les excès des gens de guerre, et qui ne put suffire à son office, ce fonctionnaire fut autorisé par Louis XI, en 1494, à se choisir des lieutenants dans les provinces, jusqu’à ce que le roi lui-même crût devoir les nommer directement, ce qui les rendit promptement indépendants.

En 1514, leur autorité ne s’exerce cependant encore que sur les gens de guerre, puis bientôt sur certains criminels civils qu’ils doivent saisir et conduire aux sénéchaux et baillis, avec lesquels ils ne jugent concurremment qu’en 1544.

La rude besogne que leur confient les édits et qu’exigent les soins d’une police dont ils étaient à peu près seuls chargés dans les campagnes, la promptitude de leurs arrêts, la célérité de leur exécution, tout contribue à jeter une crainte salutaire dans les cœurs, et aussi à entourer d’une auréole plus qu’imposante la personne des prévôts.

Ils sont, disent les édits, cousins et écuyers en titre du roi ; ils portent l’habit court, le manteau à collet, le chapeau à plumes, le bâton de commandement argenté à la main et l’épée au côté ; ils ont 3 600 livres d’appointements, fort gros traitement à cette époque. Leurs archers sont vêtus de la casaque aux armes du roi et du prévôt.

Ils sont assistés de deux conseillers, lieutenants de robe courte, aux appointements de 1 200 livres, d’un conseiller assesseur, d’un conseiller procureur, d’un greffier, de deux exempts, aux appointements de 300 livres ; de 20 ou 30 archers, aux appointements de 200 livres.

Après la division des pouvoirs des prévôts, il y eut à Poitiers prévôté royale et maréchaussée avec prévôt provincial (pour la province), puis un prévôt général (pour la Généralité). Ce titre a disparu, avec tant d’autres choses à l’époque de la Révolution.

Mais la Restauration le fit revivre un instant, dans les premières années de son règne, et ce ne fut pas le prétexte le moins habilement exploité par les passions politiques d’alors contre le gouvernement dont elles combattaient, disaient-elles, les excès et les fautes… fort de l’expérience passée, nous ajouterons « et le principe ».

On a lieu de croire que le gracieux édifice dont vous voyez la riche façade étaler sous vos yeux le luxe de sa brillante architecture fut dès l’origine l’hôtel du prévôt, l’hôtel de la Prévôté, qui lui a laissé son nom. « C’est d’elle, sans doute, que parlent les registres de l’hôtel de ville quand ils disent que c’est en 1529 que le sieur Berthelot commença à faire construire cette belle maison au-dessus des Trois-Rois. »

Telle était l’opinion d’un de nos devanciers. Il avait vu les armoiries de René Berthelot sur les écussons lisses ou indéchiffrables qui se trouvent à l’intérieur du monument. C’était une erreur. On appliquait à la maison de la Prévôté ce qui ne se rapporte réellement qu’à une maison située plus bas, sur la main gauche, dans la rue de la Chaîne, au no 24. Cet hôtel, fort remarquable aussi, est masqué sur la rue par des constructions plus récentes. Il porte les écussons parfaitement conservés de son constructeur. Nous en parlerons plus loin.

La Prévôté, qui offre aux regards sa luxuriante richesse, son exubérante profusion de broderies, d’arabesques, de feuilles de vigne et de grappes de raisin, de guirlandes de fleurs, de figurines, de sirènes, de singes, et, au milieu de tout cela, l’ogive dégénérée, mêlant sa courbe fléchissante et panachée aux cintres surbaissés, aux lignes droites, raides et croisées, aux meneaux à nervures prismatiques, peut être citée comme un type


du genre d’architecture adopté du XVe au XVIe siècle.

C’est, du reste, un échantillon fort précieux de ce style en raison de la parfaite conservation de l’ensemble et de la plupart des détails. Nous ne parlerons pas de la croix moderne, fort maladroitement placée au sommet du portail.

Vous remarquerez, sans doute, que, malgré sa situation à l’intérieur d’une ville fortifiée, la demeure du noble seigneur cache sous le manteau pacifique de son ornementation délicate et frêle le squelette guerrier d’une sorte de forteresse avec ses tours et ses tourelles.

Rien n’y manque, pas même le luxe d’un moucharaby qui, du sommet du corps central de l’édifice, semble protéger la porte d’entrée et les fenêtres des deux étages. L’architecture est en cela l’expression exacte de la société d’alors.

Bientôt l’idée détrônera la force matérielle. Les guerriers bardés de fer, les châteaux garnis de créneaux puissants disparaîtront : la féodalité expirante a reçu, il est vrai, du souffle chevaleresque de François Ier la vie éphémère qui l’anime encore ; mais ce n’est plus qu’une sorte de cadavre que l’on pare de fleurs, comme l’architecte de notre monument a paré son œuvre des dehors trompeurs d’une force inutile et factice.

Notre gravure exprime l’alliance que nous avons essayé de vous faire saisir, et qui mérite votre attention.

Si nous voulons visiter l’intérieur de cet établissement, où les Frères des Écoles chrétiennes tiennent leurs classes gratuites pour les enfants pauvres, il faut traverser le porche voûté qui conduit à la cour, au fond de laquelle a été percée, en 1858, la porte qui fait face à la porte d’entrée et qui en reproduit le système décoratif.

Les croisées sont du même genre que celles de la façade ; leurs pilastres sont décorés de griffons. À droite, une galerie en bois est soutenue par quatre colonnes formées d’une réunion de petites colonnes à nervures prismatiques s’enroulant autour du noyau de la colonne principale, dont elles font comme une sorte de colonne torse d’un aspect fort étrange. — Nous avons remarqué ce système de décoration dans la galerie extérieure du château d’Oyron, bâtie par Claude de Gouffier, grand écuyer de France sous Henri II (XVIe siècle).

Les appartements n’ont rien qui réponde à la richesse de la façade : ils sont grands, mais sans aucunes décorations ni sculptures.

Les maisons situées à côté de la Prévôté ont un caractère qui doit porter à croire qu’elles ont été bâties à la même époque, et que peut-être même elles étaient une annexe de l’hôtel du prévôt.

Rue de la Chaîne. — Elle tire sans doute son nom de son voisinage avec les prisons de la Prévôté, dans lesquelles étaient déposés les criminels. Faisons quelques pas dans cette rue à pente rapide, mal pavée, mal aérée, étroite et rendue moins large encore par le surplomb des étages des maisons qui la bordent ; c’est un échantillon précieux du Poitiers du XVIe siècle, et vous pouvez vous faire une idée à peu près exacte de sa physionomie aux temps passés.

Chez elle, en effet, les traditions du moyen âge vivent encore, nous ne dirons pas sur les murs, mais sur les charpentes de ses maisons de bois et d’ardoise ; chez elle, l’eau de Jouvence de la civilisation moderne n’a pas encore effacé toutes les rides de son front vieilli ; mais cela viendra bientôt.

Au no 24, sur la gauche, un hôtel se distinguait, au XVIe siècle, entre ses humbles voisines ; il accuse à l’intérieur le bon goût et la science de son constructeur. Il se nommait René Berthelot, seigneur de Fief-Clairet, licencié ès lois, lieutenant criminel à la sénéchaussée présidiale de Poitiers, et l’un des bourgeois de cette ville, élu maire en 1529. Ses armoiries étaient « d’or à trois aiglettes éployées d’azur, membrées de gueules ».

Le Pilori. — Retournons sur nos pas, suivons la rue à gauche ; elle se nomme rue du Trottoir et conduit à la place du Pilori.

Cette place où se tint, avant la Révolution (1787), le marché, qui y avait été transféré depuis que la démolition de la tour du beffroi en avait privé le plan de Notre-Dame, était, ainsi que l’indique son nom, le lieu consacré aux exécutions criminelles. C’est là que périrent le plus souvent de grands coupables, mais quelquefois aussi ces pauvres soldats des causes vaincues, dont la politique fait des martyrs !

Depuis quelques années, des plantations ont été faites sur cette place ; elle a été nivelée, embellie, et il ne lui reste plus de ses tristes souvenirs qu’un nom que 1830, encourageant en cela 1848, faillit remplacer par celui du général Berton, exécuté en 1822 pour s’être mis à la tête du mouvement insurrectionnel de Thouars.

Sans quitter le Pilori, si vous vous placez dans l’axe de la rue Cloche-Perse (Cloche-Verte), ainsi nommée de quelque enseigne d’auberge ou de boutique existant dès avant 1559, vous apercevrez à main droite, au coin d’un pâté de maison, et sur un arrière-plan, un petit pavillon percé d’une fenêtre carrée.

À côté de cette fenêtre, ne voyez-vous pas (et si vous ne le voyez pas avec vos yeux à vous, joignez-y ceux de votre opticien), ne voyez-vous pas un fer de mulet encastré dans la maçonnerie ? Voici l’histoire de ce fer :

Quelques années avant la Révolution, un muletier chargé de conduire des sacs de poudre avait eu l’imprudence d’attacher son mulet dans la rue Cloche-Perse, à quelque distance de là ; une étincelle, qui jaillit du pavé frappé par le pied de l’animal, provoqua une explosion immense. Le mulet disparut ; mais une de ses jambes, lancée avec violence contre la fenêtre de la maison que vous voyez, l’enfonça complètement, et c’est en souvenir de cet accident que le fer attaché à cette jambe a été placé près de la fenêtre qui fut victime de sa brusque visite.

Un ébranlement général du quartier fut la conséquence de l’effroyable tonnerre du Jupiter-muletier ; mais il n’y eut aucun autre malheur à déplorer. Aussi les habitants s’empressèrent-ils, pour rendre grâce à la sainte Vierge de sa miraculeuse protection, d’élever à la Mère de Dieu un monument de leur reconnaissance. C’était une statue de Marie, placée au fond d’une niche que décoraient des bouquets et des cierges. Une inscription rappelait en outre le fait qui avait donné lieu à cette pieuse manifestation de la foi de nos pères.

Ce monument fut brisé par la Révolution. La maison de bois où il se trouvait a été récemment remplacée par une maison en pierres.

Anguitard. — Nous sommes dans la rue des Flageolles, ainsi nommée peut-être de Jean de la Flageolle, lieutenant de Guillaume de Taveau (1386). Il existait autrefois dans cette rue un jeu de paume dit le jeu de paume des Flageolles ; il fut détruit au commencement de juillet 1782.

A l’extrémité de cette rue, en tournant à droite, au no 8, nous apercevons une maison dont le caractère et les souvenirs qu’elle rappelle sollicitent quelques réflexions. C’était là ce qu’on appelait la maison des Plaids d’Anguitard, les fief, bourg et tour d’Anguitard. Cette tour, selon quelques notes historiques, avait été construite en 1324 par le maire de Poitiers, Jean Guichard, et la corruption du langage expliquerait suffisamment la métamorphose de ces noms en celui-ci : An-Guitard ; mais, selon une autre étymologie, ce mot dériverait plutôt de Damp Guitard ; Turris Dompni (pour Domni) Guitardi. (V. un titre de 1318 de Notre-Dame-la-Grande, archives départementales.) Elle existe encore dans la maison no 8 qui fut la maison de la famille Brumauld de Beauregard, et que nous vous conseillons de visiter, si l’obligeance de son propriétaire vous le permet.

C’est, en effet, dans ses caves et souterrains que vous pourrez prendre une juste idée de cette enceinte romaine casematée par nos vainqueurs pour se défendre contre ceux qui allaient les vaincre à leur tour.

Ce fut l’aspect étrange de ces constructions gigantesques qui frappa si vivement l’ardente imagination de Jean Brumauld de Beauregard, et qui inspira au futur prélat, qui devait être l’honneur de l’épiscopat et du siége d’Orléans, ce goût prononcé qu’il manifesta dès sa plus tendre jeunesse pour les études archéologiques.

Le fief, bourg et tour d’Anguitard possédait autrefois plusieurs droits dans la ville de Poitiers, — les bourgs de Saint-Hilaire et de Montierneuf exceptés, — droits qui étaient déjà tombés en désuétude en 1410, et qui portaient principalement sur les fours, les forges et les ferrages de chevaux.

Le ressort de cette moyenne justice comprenait, à l’intérieur de Poitiers, le pâté de maisons enclavé entre les rues des Flageolles, des Gaillards, de Sainte-Opportune, des Quatre-Vents, de Saint-Cybard et la place entière du Pilori. Cette juridiction n’était point exercée en 1789.

Le plan de l’Étoile. — Il a pris sans doute son nom de sa forme résultant de sa situation au point de réunion de quatre rues qui y aboutissent en diagonale. L’étoile d’or sur champ d’azur qui se trouve sculptée en relief sur la façade de la maison no 2, et à laquelle elle peut servir aujourd’hui d’enseigne, comme elle faisait déjà en 1737 à la maison de Jean Brunet, tenant par le devant au logis dit de la « Petite Étoile », a symbolisé ce nom.

Au coin du plan formé par la rue de la Tête-Noire (no 13), remarquez un nouvel échantillon du style du XVIe siècle, dans ces fenêtres percées aux encoignures de la maison qu’elles décoraient en l’éclairant et en donnant jour sur deux points différents.

Dans l’angle Est du plan de l’Étoile, ce portail, construit en 1856, vous indique la Faculté des sciences, dont nous vous parlerons bientôt.

La rue de l’Étoile s’est appelée rue de Sainte-Opportune, à cause de la proximité de l’église de ce nom, et rue de l’Hôtel-Dieu, à cause de l’établissement hospitalier qui était où se trouve maintenant le siège de l’Académie, dont nous allons vous dire l’histoire.

Revenons sur nos pas. Au sud, dans le caveau de la maison située à l’angle de la rue de l’Étoile et de la place du Marché, on a trouvé, il y a peu d’années, les restes bien conservés d’une mosaïque qui se prolongeait sous la rue actuelle, et qui accusait là l’existence d’un établissement romain d’une certaine importance.

Voici maintenant l’entrée principale de ce que d’aucuns appellent le palais universitaire (quel palais !!), qui renferme, comme vous le voyez inscrit sur son front, les Facultés de droit, des sciences et des lettres.

L’École de Droit. — Ce nom absorbe un peu les autres, et, il faut le dire, il a eu dans le passé un retentissement qui explique la popularité actuelle dont il jouit.

Le bâtiment que vous voyez là, devant vous, est un pauvre spécimen du moderne, à Poitiers. Il fut rapiécé à diverses époques, lorsqu’il était affecté au service des pauvres malades, car c’était, comme nous l’avons déjà dit, l’Hôtel-Dieu, avant la Révolution, époque à laquelle cet établissement fut transféré au séminaire, et, depuis lors, il a été complété par le corps de façade destiné à loger les Facultés des sciences et des lettres (1845).

Pourquoi cette triste construction, malgré sa destination connue et malgré l’importance de la cité, est-elle dépourvue de tout caractère de toute grandeur ? Ah ! les chercheurs de raisons à toutes choses ont trouvé cette explication.

Quand il s’agit de dresser les plans de ce phalanstère intellectuel :

« Palais de la science et de ses professeurs,
« Le dieu des arts, dit-on, en cette conjoncture
« Crut devoir aussitôt faire appel à ses sœurs ;
« Une seule manqua… Ce fut l’Architecture. »

Vous trouverez peut-être ceci un peu mythologique dans la forme…. mais au fond ?

Pénétrons sous le porche maintenant. Le rez-de-chaussée du corps de bâtiment en face, au delà de la cour, est à peu près exclusivement affecté à l’École de droit. C’est là que se trouve la salle des Exercices publics, — en même temps, salle de cours, — où vous pourrez voir le buste en bronze de M. Boncenne, l’illustre doyen de l’École, dont nous avons parlé à propos de la place d’Armes (page 60). Ce buste, œuvre du fameux statuaire David (d’Angers), a été placé dans cette salle, où retentit pendant si longtemps la parole éloquente de notre illustre maître, par la reconnaissance de ses élèves. Ce monument, simple, digne, honore ceux qui l’ont élevé, aussi bien que l’homme qui sut l’inspirer. Plus loin sont la salle du conseil, et deux salles de cours, et au-dessus le secrétariat et la bibliothèque, qu’il ne faut pas confondre avec la bibliothèque publique.

Elle a été fondée, il y a une trentaine d’années, par les professeurs, et elle est entretenue au moyen d’une cotisation mensuelle prélevée sur leur traitement.

Cette collection, due à une générosité si honorable s’est enrichie de divers dons. Les plus nombreux datent du ministère de M. Bourbeau, doyen de la Faculté avant d’être ministre de l’instruction publique.

Disons maintenant ce que fut autrefois cette école et ce qu’elle est aujourd’hui.

L’origine de la Faculté de droit remonte à 1431, époque à laquelle, ainsi que nous l’avons dit à l’article de l’hôtel de ville (page 46), eut lieu l’institution de l’Université de Poitiers, dont la Faculté de droit civil et canonique faisait partie.

Elle jouit, dès l’origine, d’une réputation méritée, que lui valurent la science de ses professeurs et le soin qui fut apporté par ce corps éminent à se recruter parmi les supériorités réelles du temps. Le nombre des élèves grandit avec la renommée de l’école, et il s’éleva à un chiffre tel, que ce devint à Poitiers une véritable puissance, avec laquelle il fallut plus d’une fois compter sérieusement, mais qui rendit aussi des services quand on dut s’adresser à son courage.

Nous ne dirons pas, avec quelques écrivains, que ce fut à ces services spéciaux que les étudiants de Poitiers devaient le droit de porter l’épée, droit dont ils usaient et abusaient avant la Révolution. Ce droit était commun aux étudiants de toutes les Universités, sans doute parce que ces étudiants étant censés « vivre noblement», comme on disait en style légal et officiel, jouissaient du privilége qu’avait la noblesse de porter l’épée.

S’ils furent en aussi haut renom, si la Faculté produisit de doctes magistrats, de savants professeurs, des littérateurs distingués, n’allez pas croire qu’il n’y eût pas de nombreux maraudeurs, joueurs de riboute et autres, faisant l’école buissonnière et manquant à l’appel.

Nous avons vu déjà la malicieuse plaisanterie de l’enseigne du jeu de paume de l’Estude ; Rabelais nous dit aussi que les étudiants du XVIe siècle étaient de loisir et ne savaient à quoi passer le temps ; et, avant la Révolution, on savait faire son droit en bottes, c’est-à-dire ne paraître à l’école, et même à Poitiers, que pour prendre les inscriptions d’alors ; cela se fait encore, dit-on… à Paris, la ville par excellence pour les facilités de toute nature données aux écoles buissonnières de tout genre. Et, à propos de cette triste spécialité de la moderne Babylone :

N’est-ce pas le fin mot de la thèse subtile
De certains chauds prôneurs de ce séjour facile ?
Sur ce point politique, on les dit routiniers ;
Seraient-ils pas plutôt, eux aussi,.... buissonniers ?

Les épreuves, du reste, n’étaient pas très-rudes. Les examens se faisaient en tête à tête chez quelque professeur ; les thèses seules se soutenaient en public dans la salle des cours, qui était, comme nous l’avons dit, la grande salle actuelle de l’hôtel de ville, et devant un seul professeur, les réunions de la Faculté n’ayant lieu que pour les thèses de licence marquantes et pour le doctorat. Dans ce cas, le présidial, les trésoriers de France et le corps de ville étaient invités, et certes ce devait être fort amusant pour eux. Passe encore pour le présidial, c’était son affaire ; peut-être même pouvait-il trouver là quelque chose à appliquer ; mais les trésoriers ? mais le corps de ville ? Voyez-vous d’ici le Conseil municipal d’aujourd’hui condamné à subir l’assistance aux thèses de MM. les aspirants licenciés ?

Avant la Révolution, le grand costume de la Faculté de droit consistait en une simarre noire sur laquelle était posé un long manteau d’étamine écarlate avec une épitoge et une doublure d’hermine.

En 1789, la Faculté de droit de Poitiers fut supprimée, ainsi que les autres établissements d’enseignement public. Le siècle des lumières innées n’avait pas besoin de conserver le feu sacré. Mais, après les jours d’exil, notre école fut rappelée par le décret du 4e jour complémentaire an XII, et elle fut solennellement installée le 23 juin 1806 dans l’ancien Hôtel-Dieu par le tribun Chabot (de l’Allier), inspecteur général des écoles de droit.

Voici quelles sont actuellement les chaires de cette école : deux de droit romain, — trois de code civil, — une de procédure civile et législation criminelle, — une de droit commercial, — une de droit administratif.

Outre ces cours obligatoires, qui sont faits par huit professeurs titulaires, dont l’un est en même temps doyen de la Faculté, et par deux agrégés, d’autres cours facultatifs complètent ce remarquable enseignement, et les étudiants sont obligés, en sus, de prendre des inscriptions et de suivre un des cours dans l’une des Facultés des sciences ou des lettres.

Les étudiants en droit formaient autrefois une corporation redoutable par son esprit de corps et par l’humeur querelleuse de ses membres. À sa tête étaient placés un prévôt et son lieutenant, choisis parmi les plus mauvaises têtes et les meilleures lames.

Ces héros du suffrage de leurs pairs étaient chargés de soutenir, au besoin, l’honneur du corps contre tous tenants, et c’était un genre de thèse qui leur convenait mieux que tout autre, car ces étudiants de dixième année étaient plus assidus aux cours de la salle d’escrime qu’à ceux de la Faculté.

La rivalité incessante qui régnait entre l’école et les officiers de la garnison, l’infériorité assez ordinaire de ces derniers dans le jeu dangereux dont ils étaient presque toujours victimes, rendaient le séjour de la ville de Poitiers très-désagréable aux chefs de corps, qui déclinaient, le plus possible, l’honneur de venir faire décimer dans nos murs leurs brillants états-majors.

Les mœurs, les usages ont changé, et, soit en raison de leur plus jeune âge, soit en raison de l’heureux affaiblissement d’un triste préjugé, nos étudiants d’aujourd’hui ont complètement oublié les dangereuses traditions de leurs devanciers.

Mais si la réputation brétailleuse de notre école s’est éclipsée, elle a fait place à une réputation plus honorable pour elle ; si l’on ne cite plus ses terribles succès dans d’odieux combats, on célèbre ses triomphes dans les luttes plus nobles et plus patriotiques de l’intelligence, et c’est en envoyant ses dignes représentants sur tous les champs de bataille des concours, c’est en faisant inscrire partout ses vainqueurs parmi les maîtres de la science, qu’elle a prouvé depuis un demi-siècle la supériorité incontestable de son personnel et de son enseignement.

Faculté des Sciences. — L’enseignement que se partagent aujourd’hui la Faculté des lettres et celle des sciences était réuni, comme on le verra bientôt, dans l’ancienne Université de Poitiers, sous le nom de Faculté des arts.

La nouvelle Faculté des sciences de Poitiers a été instituée par décret du 22 août 1854. Les cours ont été ouverts deux mois après. Son premier doyen a été M. Chenou, qui a pris, l’an dernier seulement, sa retraite.

Voici les chaires dont elle se compose : mathématiques pures et appliquées, — physique, — chimie, — histoire naturelle.

Elle compte un secrétaire agent comptable, un préparateur de physique, ou préparateur de chimie, un garçon de laboratoire chargé de l’atelier de montage et de réparations.

Chaque professeur fait deux leçons par semaine, et des conférences particulièrement destinées aux personnes qui veulent prendre leurs grades. Chacune des branches d’enseignement possède des collections venues d’acquisitions ou de dons particuliers, d’envois par le Muséum et l’École des mines de Paris. Une partie de ces collections a été créée par le professeur lui-même.

La Faculté tient, par an, trois sessions d’examens pour les candidats aux grades de bachelier ès sciences, et deux pour les trois ordres de licences (mathématiques, physique et histoire naturelle).

La Faculté n’a admis jusqu’à ce jour (depuis 17 ans) au grade de docteur qu’un seul candidat. C’est bien triste ! Et c’est la condamnation sans appel de la regrettable tendance qui pousse à multiplier, aux dépens de l’élévation de leur niveau, les grands centres des hautes études. Que sera-ce plus tard, quand ce que l’on nomme par euphémisme la vulgarisation de l’instruction supérieure, en sera devenu l’émiettement ?

Et Dieu veuille que ces réflexions ne se puissent pas appliquer bientôt, même à l’École de Droit qui a su garder, jusqu’à ce jour, au milieu de ses sœurs, le rang conquis par les aînés de sa famille !!

Puisse la vulgarisation de la science qu’elle a si noblement distribuée, ne pas enfanter, comme conséquence fatale, des hommes de plus en plus vulgaires au milieu de plus nombreuses médiocrités !

Faculté des lettres. — Cette Faculté faisait aussi partie primitivement, sous le nom de Faculté des arts, de l’Université de Poitiers créée en 1431. Elle tenait le quatrième rang dans la hiérarchie, et suivait la Faculté de médecine.

D’après un arrêt du Parlement, le principal du collége de Sainte-Marthe (voir au mot Lycée) était doyen de la Faculté des arts, que composaient avec lui les deux professeurs de philosophie et celui de rhétorique. Elle conférait le titre de maître ès arts, nécessaire pour compléter les études faites dans les autres Facultés et pour se livrer à l’enseignement public, et celui de bachelier ès arts. Il fallait, pour y être admis, avoir fait son université, c’est-à-dire avoir fréquenté les deux cours de philosophie et de physique enseignés au collége.

Les examens se faisaient avec plus d’appareil qu’à la Faculté de droit ; mais les actes qui terminaient la deuxième année, et qui avaient lieu au collége (lycée) dans la salle des exercices (aujourd’hui salle de récréation des jeunes élèves), étaient accompagnés d’un luxe de discours, d’argumentateurs, de thèses et d’assistants assez effrayant pour ceux qui n’auraient pas connu le moyen, quelquefois trompeur cependant, des arguments communiqués.

Le grand costume de la Faculté des arts se composait d’une robe courte en moire de soie violette bordée d’hermine.

Cette Faculté disparut avec ses sœurs en 1789, et ressuscita pour Poitiers au souffle réparateur du décret du 17 mars 1808. Supprimée par ordonnance du 18 janvier 1816 avec seize autres Facultés, celle de Poitiers a été rétablie par l’ordonnance du 8 octobre 1845, et installée solennellement le 18 novembre suivant. Son premier doyen fut M. Derome.

Dans la première période de son existence (de 1808 à 1816), la Faculté des lettres de Poitiers n’a reçu que deux docteurs, parmi lesquels nous aimons à citer notre savant et regretté confrère, M. Cardin, si profondément versé dans l’étude de la linguistique.

La Faculté n’a pas dépassé le même nombre de docteurs dans la période de 1845 à 1872.

Voici les chaires dont se compose la Faculté de Poitiers : philosophie, — histoire, — littérature ancienne, — littérature française, — littérature étrangère.

Ces cours sont publics et se font dans une des salles du palais universitaire ; c’est dans la même salle qu’elle tient ses sessions d’examens pour le baccalauréat, la licence et le doctorat.

La justice nous oblige à confesser, malgré notre amour-propre poitevin, qu’aucune ville, sauf peut-être Paris, dans l’antique Sorbonne, n’a consacré aux lettres un local plus froid, plus lugubre et moins confortable.

Nous parlerons plus loin, avec détail, de notre vieille Université, à propos du couvent des Jacobins où se tenaient les séances officielles.

Nos comptes réglés avec les Facultés, quittons pour un moment la cour où vous voyez quelques cintres provenant (1860) des cloîtres de l’église de Notre-Dame (située en face) offrant à des plantes grimpantes leur solide et élégant appui, et, plus loin, un énorme sarcophage à deux places trouvé à Saint-Pierre-les-Eglises (Vienne).

Nous sommes sous le porche qui nous a donné entrée dans le palais de l’Université ; pénétrons par la porte à gauche, si elle est ouverte (si elle est fermée, l’appariteur, logé en face, vous l’ouvrira), dans une vaste salle où sont un peu entassés, il faut l’avouer, faute d’espace, les débris de sculpture et d’architecture des siècles passés.

Musée des antiquités de l’Ouest. — Cette collection, commencée vers 1820 par M. l’abbé Gibault, professeur à la Faculté de droit et conservateur de la bibliothèque de Poitiers (dont nous redirons plus loin d’autres services), puis continuée par la Société des antiquaires de l’Ouest à dater de 1834, fut, en 1836, déposée dans le temple de Saint-Jean, d’où elle dut, en 1854, être transportée là où vous la voyez, par les soins de la compagnie et à frais communs avec la ville qui y affecta 500 fr.

L’appariteur pourra, si vous le souhaitez, le catalogue imprimé en mains, vous donner des détails complets sur les divers objets qui solliciteront votre curiosité. — Et voici le sommaire, un peu pêle-mêle, comme la collection elle-même, des plus intéressants.

Les deux statues en pierre (150-151) que vous voyez défendant pour ainsi dire les deux côtés de la porte ont été sauvées de la destruction du portail de la juridiction consulaire (v. la page 219) ; elles vous donneront une idée du mérite réel de cette œuvre de notre sculpteur Girouard ; elles en formaient le couronnement. Ce portail, dont le propriétaire intelligent avait donné les matériaux à la ville, au lieu d’en faire des moellons (ce qui eût été rigoureusement dans son droit), avait été reconstruit à l’extrémité de l’une des allées de la promenade de Blossac, au temps des ateliers nationaux de 1848. — Monument ruiné avant même d’avoir été achevé, il fut re-démoli en 1859, et vous en voyez les restes.

Ces dais à pinacle (142) avaient été ajoutés à la façade romane de l’église de Notre-Dame au XVIe siècle. — Ils ont été supprimés avec raison, comme nous le verrons bientôt, lors de la restauration de cette façade.

Les nos 68 et suivants indiquent des sculptures d’un goût et d’une délicatesse qui reflètent leur époque — la Renaissance. — C’est tout ce qui reste du magnifique château de Bonnivet, demeure princière bâtie par le favori de François Ier avec un luxe qui faisait dire à son orgueilleux rival, le connétable de Bourbon, que « la cage était trop belle pour l’oiseau ». L’oiseau est allé mourir aux champs de Pavie au milieu du désastre que, malgré sa devise : « Festina lentè », il avait provoqué par sa bouillante imprudence ; la cage, brillante de toute la richesse du ciseau des meilleurs artistes de l’Italie, voilà à quoi elle est réduite aujourd’hui. — Graves pensées, que dominera sans doute le souvenir du noble et consolant billet du roi-chevalier, trop oublié naguère, hélas, « Tout est perdu, fors l’honneur ».

Sous divers nos (103 à 106), plusieurs colonnes milliaires vous offriront la forme de ces monuments à l’aide desquels le peuple-roi indiquait les distances qui séparaient les localités les plus importantes semées sur les voies romaines. Elles rappellent les noms des empereurs sous lesquels elles furent élevées : — Antonin, Commode, Alexandre Sévère, Constance Chlore.

No 40, bas-relief provenant de l’ancienne église de Sainte-Triaise, et représentant saint Hilaire, évêque de Poitiers, bénissant la sainte recluse.

Le chapiteau roman du XIe siècle (no 39) représente, à notre avis, une sorte de trilogie symbolique indiquant les dangers de l’intempérance : on y voit un blessé muni d’une jambe de bois, dont l’appareil ressemble fort à ceux d’aujourd’hui. — Ce chapiteau provient de l’église de Saint-Hilaire.

Nos1 à 4. — Fragment représentant des chèvres broutant ou couchées. C’est tout ce qui reste d’un antique tombeau provenant aussi de l’église de notre vieille collégiale, dans les murs de laquelle il avait dû être scellé afin d’empêcher qu’il ne s’en allât en morceaux, sous les efforts répétés des couteaux toujours agissants.

Et si vous tentiez, à votre tour, sur ces restes informes, le moindre frottement, il s’en exhalerait aussitôt une odeur désagréable qui l’avait fait nommer la pierre qui pue et que nos grands-pères et les anciens Guides expliquaient ainsi :

Selon eux, ce tombeau avait contenu les restes d’un grand coupable, d’un trois fois réprouvé ; et, lorsque le démon le quitta pour courir à d’autres victimes, sur la tombe même il fit…

Ce qu’il fit, le latin oserait vous le dire ;
Moins brave, le français s’y refuse tout net ;
Mais, entre nous, sachez — et cela doit suffire
Pour aider votre flair — que le mot rime en… ET.

Et de là l’odeur sui generis, que cette pierre diabolique aurait gardée jusqu’à nos jours.

La science n’accepte pas cette explication merveilleuse : pour elle, en dépit des affirmations des anciens Guides, la pierre qui pue est tout simplement du calcaire fétide qui doit l’odeur en question à la présence de l’hydrogène sulfuré qui en forme la base. Ah ! que la science est prosaïque !!

Plus près de nous (no 11), vous voyez un autel votif gallo-romain venant de Bapteresse, près Poitiers, dessemblant beaucoup à celui qui fut trouvé en 1711 sous le chœur de la cathédrale de Paris. — Les personnages sculptés grossièrement sur ses quatre faces représentent Mercure, Hercule, et, selon les uns, Mars et Vulcain ; selon d’autres, Minerve et Apollon.

Nos 115 et 116. Inscriptions du XIIIe siècle provenant de l’église abbatiale de Charroux, dont elles constatent la fondation par Charlemagne et Roger.

Avec ces fragments de pierres en cônes tronqués, à côté desquels gisent d’autres fragments taillés en creux, recomposons les meules de camp que les Romains emportaient avec eux dans leurs marches guerrières.

No 110. Voici le cippe funéraire de l’aruspice Sabinus, qui était probablement, au IIe siècle de notre ère, le chef d’un collége de prêtres à Poitiers. — Il a été trouvé,


en 1841, à deux mètres de profondeur, dans la maison des Filles de la Croix, rue des Gaillards, enfoncé dans un blocage du mur de l’enceinte romaine, et c’est précisément à l’acte dont il fut victime au temps des irruptions barbares qu’il doit son état de parfaite conservation. Le croquis que nous en donnons ne reproduit exactement que l’ensemble du cippe ; mais il suffira pour donner une idée juste des monuments romains de ce genre.

Toutefois, pour le lecteur qui n’aurait pas sous les yeux le monument lui-même, voici le texte complet destiné à rétablir dans sa vérité cette inscription précieuse à plusieurs titres.

D  M        M


G F  SABINICAM
PANITEANENSIS
EQRHARVSPICI
SVITEMPORISSIN
GVLARIQVANLVIII
MVDVGFSABINIA
NVSPILPATPIRARIS
SIMOETAMANTIS
SIMO SIC SIBIFIERI
ANTE QVAMDECE
DITREBVS VMANIS
IPSE MANDAVIT

« Aux dieux Mânes et à la mémoire de Gaïus Fabius Sabinus de Teamum en Campanie, chevalier romain, l’aruspice le plus distingué de son temps qui a vécu 58 ans 5 mois et 5 jours : Gaïus Fabius Sabinianus, son fils, au meilleur et au plus chéri des pères. Lui-même a commandé avant sa mort de lui élever un monument. »

111. Inscription romaine du monument funéraire élevé à la mémoire de Claudia Varenilla, preuve de l’importance de la ville de Poitiers, dont elle atteste la prééminence, dès le IIIe siècle, sur les cités aquitaniques, par la résidence du haut fonctionnaire qui y exerçait sa juridiction.

144. Voici une cheminée du XVIe siècle (1557) ; elle provient du château de Chistray, près Châtellerault (Vienne), et a été donnée en 1845 par M. le comte du Crozet. Cette composition n’est pas assurément l’œuvre de Jean Goujon ; elle est loin de valoir, par la taille du ciseau et le fini de l’exécution, les sculptures de Bonnivet ; mais elle a un mérite de naïveté et de composition que bien des artistes pourraient envier.

18. Ce petit cadre mosaïque a été composé de fragments des marbres trouvés en divers endroits de la ville de Poitiers et à diverses profondeurs ; ils indiquent la période romaine, qui a laissé partout, dans le sous-sol actuel, des traces nombreuses de sa riche civilisation.

102. Voici la tête de la statue de Louis XIV que 1792 vit disparaître de la place d’Armes, et dont nous vous avons parlé en la page 32.

Au-dessous vous voyez des tuiles plates à rebords ou convexes — tegulæ, imbrices — et l’antéfixe représentant un masque encadré de fleurons. Tout cela a été exhumé du sol romano-poitevin, et a été copié à l’aide du moulage pour engendrer la couverture appliquée au temple de Saint-Jean. — V. p. 106.

109. Monument votif de Lepida, fille de Valens, épouse de Réginus (IVe siècle).

85. Voici la blanche statue de marbre de Jeanne de Vivonne, épouse de Claude de Clermont, tué à la bataille de Moncontour, et dame d’honneur de la reine Louise. Ce sont les seuls restes du monument funéraire qui existait aux Cordeliers de Poitiers.

78. Porte (incomplète) du château de Bonnivet.

Au-dessous (no 145), ce pélican colorié était autrefois l’enseigne tout industrielle de l’imprimeur Marnef, et qu’il a reproduite sur tous les ouvrages sortis de ses presses renommées.

C’est le cas de vous rappeler que, dès le XVe siècle, Poitiers comptait des adeptes de la science de Guttenberg, et que les Jean Bouyer, les Guillaume Bouchet, les Marnef, etc., se sont distingués dans cet art, que nous avons vu exercer encore par les descendants de ce dernier.

182. Reproduction en plâtre de quelques sculptures, intéressantes pour l’art musical, de la façade de l’église de Civray (Vienne).

149. Torse de la statue en marbre blanc de Louis XIII. C’était celle que le cardinal-ministre avait fait placer au-dessus de la porte d’entrée de son royal château de Richelieu. À celui qui lui prêtait son nom pour le faire régner de fait sur la France, le grand ministre (un Poitevin) accordait l’honneur de faire trôner sa statue de marbre dans son propre palais. C’était un échange de politesses auquel, si Louis XIII y perdait quelque chose, la France a beaucoup gagné, ce nous semble.

La Société des antiquaires de l’Ouest a acheté au toisé du marbre cette œuvre d’un maître. Elle l’a arrachée du milieu des ruines que la cupidité a faites dans les lieux qui virent naître et briller Armand du Plessis, cardinal de Richelieu. Peu après cette acquisition, à laquelle nous sommes fier d’avoir attaché notre nom, un artiste de Tours nous céda la tête, qui ajoute un prix réel à ce monument vraiment historique. Cette tête avait été séparée du tronc à l’époque où l’on guillotinait, hélas ! autre chose que des statues.

129. Cette stèle représente un personnage tenant à la main un instrument que quelques antiquaires ont regardé comme un spécimen de l’ascia ;

L’ascia était, selon eux, un instrument sous la protection duquel les vivants plaçaient les tombes des morts qu’ils voulaient honorer par des soins de conservation particuliers ; sub asciâ dedicare. D’autres ont pensé que la forme de cet instrument, qui se rapprochait de celui de la croix, permettait aux premiers chrétiens d’éluder les difficultés graves qu’ils eussent éprouvées à placer leurs cendres sous la protection d’un signe illégal et proscrit.

Cette stèle provient du cimetière de Civaux (Vienne), remarquable par le grand nombre de monuments funéraires de dates fort reculées qu’il a offerts à l’étude des savants encore incertains de sa véritable origine.

8. Celle qui l’avoisine est de la même provenance. M. Albert Lenoir, consulté sur la date approximative, l’a attribuée au IVe ou au Ve siècle. Elle reproduit sans doute le costume de l’époque, le sagum.

N.B. Civaux est situé à 40 kilom. de Poitiers, sur les bords de la Vienne, en aval de Lussac-les-Châteaux. L’annaliste Bouchet (que combattent sur ce point les plus savants critiques de notre temps, lesquels fixent le champ de la bataille dite de Vouillé (507) à Voulon, sur les rives du Clain) affirme que cette sanglante mêlée eut lieu dans les plaines de Civaux, et il fait ensevelir les morts des deux armées dans les milliers de sarcophages de pierre que recèle cet asile funèbre. Il n’ose pas ajouter, avec le peuple de ces contrées, qu’une pluie de ces meubles de la mort était tombée tout à propos du ciel ce jour-là.

L’origine certaine de cette énorme agglomération de tombes est encore à déterminer.

136. Fragments de sculptures romaines de l’ancienne abbaye de Nanteuil-en-Vallée (Charente), reproduisant les animaux fantastiques ou symboliques si fréquemment employés dans les décorations religieuses de cette époque.

237. Inscription tumulaire d’un caractère assez rare, en ce sens que les lettres en gothique parfaite sont dégagées en relief sur le plat de la pierre.

139. Tombe chrétienne trouvée en 1853 dans le faubourg Saint-Lazare de Poitiers.

236. Autel gallo-romain transporté, vers 1800, de Poitiers à Buxerolles (près Poitiers), et obtenu par échange du maire de cette commune en 1863. On peut remarquer une grande différence entre le style et l’exécution de cet autel comparé avec l’autel gallo-romain de Bapteresse (no 11), tout en constatant dans l’ensemble le caractère d’une parenté fort rapprochée. Mais ce dernier est de beaucoup supérieur à l’autre par la sculpture, qui offre des qualités d’une véritable valeur. Ces qualités indiquent-elles absolument une date différente ? Non ; l’une peut être l’œuvre d’un goujat, et l’autre l’œuvre d’un artiste.

Maintenant, ami lecteur, inclinez-vous devant cette pierre grossière et informe qui ne dit rien à vos yeux, mais qui va parler à votre intelligence, à votre cœur… à moins que vous ne soyiez pas Français, ou que vous ne soyiez de ceux qui prétendent que la France ne date que de quatre-vingts ans, ou mieux encore, que vous n’apparteniez à la secte qui n’admet plus de patrie pour les membres de la grande famille de l’humanité !

Ce granite, d’un noir verdâtre et micacé, faisait partie du montoir qui existait autrefois, suivant l’usage, devant l’hôtel de la Rose, dont nous avons parlé, page 176, et ce fut de ce bloc même que la célèbre pucelle d’Orléans, Jeanne d’Arc, s’élança sur son palefroi (1428) pour commencer cette série de hauts faits qui devaient sauver la nationalité française, en conduisant à Reims et à Paris le petit roi de Bourges.

Que de choses dans les souvenirs rappelés par ce bloc brut et sans nom !

Avant de quitter le Musée pour aller visiter, plus loin, les collections d’histoire naturelle et la bibliothèque, donnez un regard à ces coulevrines et à ces petits engins de guerre qui, exilés des embrasures des bastions, gisent là-bas à l’extrémité nord de la salle. Ils ont leur mérite. Plusieurs, après avoir défendu notre cité contre ses ennemis, ont célébré pendant longtemps le souvenir de leurs triomphes, aujourd’hui, comme eux, trop oubliés.

Musée d’histoire naturelle. — Ce musée, dont la porte d’entrée s’ouvre à gauche sur le palier auquel on arrive en quittant le musée des antiquités de l’Ouest, se compose ainsi qu’il suit :

I. De 5 000 échantillons, tant de minéralogie que de géologie. La minéralogie doit beaucoup au zèle et au désintéressement de feu M. le baron de Cressac, ingénieur des mines, longtemps député de la Vienne. — II. D’une collection de botanique, composée: 1o d’un herbier général, dit herbier Denesle, du nom du professeur qui l’avait créé ; 2o des algues de l’Ouest de la France ; 3o de l’herbier des plantes phanérogames du département, donné par M. Delatre, naturaliste distingué, connu par des ouvrages estimés sur cette matière ; il faut y joindre les hépatiques et les mousses de la Vienne, données par M. l’abbé Delacroix. — III. De 92 mammifères, tant indigènes qu’exotiques, avec un commencement de collection de squelettes d’animaux. — IV. D’une collection d’ornithologie, comprenant environ 850 oiseaux, dont moitié à peu près appartenant aux espèces du département ; ajoutons-y une très-belle collection d’œufs, due à M. Garnier, sous-conservateur du cabinet. — V. De 118 reptiles exotiques ou indigènes. — VI. De 142 poissons, dans lesquels sont comprises 41 espèces du département. — VII. D’une belle suite de coquilles exotiques ou du département. — VIII. Enfin, de quelques crustacés, insectes et zoophytes.

Il faut y ajouter 115 volumes imprimés ou manuscrits à l’usage spécial du cabinet, parmi lesquels on cite la Carte géologique de France, les Mémoires de la Société géologique de France, le Dictionnaire universel d’histoire naturelle, l’Anatomie comparée de Cuvier, l’Ornithologie du Dauphiné, etc., etc. Le noyau de cet établissement, qui s’enrichit chaque jour, est dû à l’activité de feu M. l’abbé Gibault, dont nous allons vous dire le zèle et le dévouement en vous parlant de la Bibliothèque publique, située au-dessus du musée d’histoire naturelle.

La Bibliothèque publique. — Il est parlé dans notre histoire locale, de la bibliothèque que Guillaume V, comte de Poitou et duc d’Aquitaine (942), possédait en son palais, à Poitiers.

Au XIIe siècle, nos églises, et notamment celle de Saint-Pierre, possédaient des bibliothèques.

Au XVe, l’Université de Poitiers fit déposer la sienne dans la chapelle des Apôtres, à la cathédrale.

Jean, duc de Berry, comte de Poitou (1392), avait aussi fondé une bibliothèque dans l’une des tours de son palais ducal ; mais tous ces dépôts étaient et devaient être peu considérables, en raison de la difficulté que présentait la confection si lente des œuvres destinées à les enrichir.

Cependant, en 1461, Mourault, maire de Poitiers, voulut faire achever la librairie de l’hôtel de ville, qui ne fut terminée qu’en 1473, selon Thibaudeau, et, en raison de l’étendue de ce bâtiment (v. p. 45), il y a lieu de croire que les livres de la commune étaient déjà assez nombreux.

En 1473, Robert Poitevin, trésorier de Saint-Hilaire, légua à cette librairie six volumes de médecine. À trois siècles de là, un intendant de la généralité de Poitiers, M. le Nain (de 1732 à 1743), conçut la pensée d’une bibliothèque publique, et ce fut encore un trésorier de Saint-Hilaire, Richard Desgrois, chancelier de l’Université, qui, adoptant cette heureuse idée, disposa en faveur de la future collection, de quelques livres et manuscrits (1751).

Notre bibliothèque n’existe réellement comme établissement sérieux que depuis la Révolution. Mais à quel prix ? Au prix de la confiscation, de la spoliation, de l’exil, de la mort même des très-légitimes propriétaires d’une grande partie des trésors qu’elle possède aujourd’hui. Cela est triste à penser.

Cependant, avant cette époque, un homme dévoué à l’étude de l’histoire de son pays, le fondateur des Affiches du Poitou, Jouyneau-Desloges, s’était associé au zèle du chancelier de l’Université ; et, de leur côté, les étudiants en droit, réunis à leurs professeurs, avaient créé pour le besoin de leurs études une bibliothèque spéciale. On peut voir, sur un tableau conservé avec soin à la bibliothèque publique, les noms de ces studieux et généreux jeunes gens.

Mais tous ces essais étaient bien imparfaits, lorsque survint la terrible révolution qui, sans scrupule, entassa aux chefs-lieux de chaque département les richesses bibliographiques des abbayes, des corporations religieuses et des châteaux.

Dans bien des départements, ces richesses précieuses furent dilapidées et perdues ou largement décimées par la cupidité ; c’étaient, à vrai dire, des voleurs qui se trouvaient volés à leur tour ; mais si le diable pouvait en rire, l’intérêt public y perdait toujours quelque chose.

À Poitiers, les trésors confisqués tombèrent entre les mains d’un ancien bénédictin de l’abbaye de Saint-Cyprien de cette ville, qui racheta du moins de regrettables faiblesses par un zèle ardent pour la conservation du butin que la nation venait de conquérir sur l’ennemi.

Les 50 000 volumes entassés dans les grandes salles du ci-devant collége des Jésuites furent triés, classés et catalogués ; et lorsque, à diverses époques et pour diverses causes, on fut obligé de vendre, au prix de 10 centimes la livre, la moitié de ces richesses, ou de restituer à quelques-uns des véritables propriétaires ce qui leur était légitimement dû, ou de composer plus tard des noyaux de bibliothèques au séminaire, au lycée et à la cour royale, ces opérations purent, du moins, se faire avec régularité.

En 1811, il fallut déguerpir de l’asile où s’était réfugiée la collection (le lycée), et ce fut alors qu’elle fut transportée dans le local qu’elle occupe actuellement ; mais, faut-il le dire ? ce déménagement ne put s’opérer qu’au prix d’une nouvelle vente de 7 290 volumes, qui réduisit le nombre des livres et manuscrits à 12 536 volumes.

La bibliothèque, définitivement installée chez elle, allait entrer dans une ère nouvelle, lorsque son conservateur, Dom. Mazet, mourut presque subitement (1818) au milieu de ses travaux, ou plutôt de ses projets de travaux, laissant son titre de bibliothécaire à un homme plein de zèle, d’ardeur et d’abnégation, M. l’abbé Gibault.

Celui-ci débuta en faisant acheter par la ville de Poitiers le cabinet et les collections de D. Mazet : c’était un trésor : car, indépendamment des manuscrits que le savant bénédictin D. Fonteneau avait recueillis pour former les éléments d’une histoire du Poitou, et qui se trouvaient au pouvoir de D. Mazet, son continuateur, ce dernier avait réuni dans son cabinet, sous le titre de Musæum Pictonicum, une collection composée en partie de livres sortis des presses du Poitou ou écrits par des auteurs nés dans cette province, et pouvant servir à son histoire.

Ce fut le noyau de cette collection poitevine qui occupe dans la bibliothèque une place à part, et qui mérite les justes éloges des connaisseurs les plus compétents. Cette collection dépasse aujourd’hui 3 000 volumes, en y comprenant les brochures ; et une administration intelligente y affectera certainement, toutes les fois qu’une occasion favorable se présentera, les ressources nécessaires à son accroissement.

Peu après cette importante acquisition, M. l’abbé Gibault, qui consacrait sur les 2 000 francs de son traitement 1 800 francs à l’augmentation et à l’administration de sa chère bibliothèque, fit acheter la collection d’histoire naturelle du professeur Denesle.

Les objets dont elle se composait, joints au fonds de la succession de D. Mazet, formèrent encore le noyau du musée que nous venons de visiter au rez-de-chaussée, au-dessous de la bibliothèque. La collection de D. Mazet contenait aussi divers objets d’antiquités. Ce fut l’origine du Cabinet des antiques, que nous allons visiter en sortant de la bibliothèque. La bibliothèque a dû beaucoup : 1o à la veuve de Jouyneau-Desloges, qui lui légua la collection de son mari, dans laquelle figuraient un grand nombre d’ouvrages poitevins ; 2o à Mgr de Beauregard, qui lui donna, lorsqu’il fut élevé à l’épiscopat, plusieurs manuscrits et objets précieux.

Toutes ces créations dues au zèle et au désintéressement de M. l’abbé Gibault doivent faire honorer sa mémoire. Pour nous, avouons-le, c’est un motif de regret de n’avoir plus revu, à la place qu’il occupait naturellement dans la grande salle de la bibliothèque, le portrait qui devait contribuer à le préserver de l’oubli qui vient si vite aujourd’hui...

Démissionnaire en 1830, pour refus de serment, M. l’abbé Gibault a eu plusieurs successeurs qui ont apporté leurs soins à la rédaction du catalogue, à l’amélioration du régime intérieur et à l’augmentation du trésor confié à leur garde.

Ce trésor, que le gouvernement et les dons généreux de plusieurs Poitevins ont enrichi, se compose aujourd’hui d’environ 30 000 volumes (y compris la collection poitevine, mais non compris une grande quantité de brochures formant 15 000 brochures et plaquettes) ; de 300 manuscrits (non compris les 89 vol. in-fo des manuscrits de dom Fonteneau).

Parmi les 214 incunables, la plupart fort rares, que possède la bibliothèque, on compte plusieurs Bibles : la plus ancienne est celle de Venise (Nicolas Sanzon, 1476) ; plusieurs heures imprimées sur vélin avec miniatures et arabesques ; le Confessionale d’Antonin, archevêque de Florence (Mayence, Pierre Schoiffer, 1478, in-4o) ; le Theodori Gazæ introductivæ grammatices, libri IV (Aldus, 1495) ; Thesaurus cornucopiæ et horti adonidis (Aldus, 1500) : ces deux derniers ouvrages, in-fo, sont revêtus d’une fort belle reliure antique ; la 1re édition des Opuscula latina de Pétrarque (Bâle, Jean de Amerbach, 1496, in-fo) ; le Térence, avec gravures sur bois représentant les personnages romains en costume du XVe siècle (Strasbourg, 1499, in-fo) ; enfin le premier essai, sans doute, de l’art de Guttenberg, fait à Poitiers, 39 ans après la découverte de l’imprimerie, sous ce titre : Breviarium historiale ex Landulpho de Columna excerptum (1479), petit in-4o gothique, très-soigné, imprimé chez un chanoine de Saint-Hilaire (in ædibus cujusdem canonici ecclesiæ B. Hilarii).

Les ouvrages les plus importants en théologie (partie la plus riche de la bibliothèque) sont les Bibles polyglottes de Ximenès, de Lejay et de Walton ; la Biblia ordinaria maxima ; le Psalterium hebræum, græcum, arabicum et chaldeum, d’Aug. Justiniani, archev. de Gênes (première édition polyglotte du Psautier) ; la Misna (code de droit civil et ecclésiastique des Juifs, 9 vol. in-4o max.).

La jurisprudence avait été négligée pendant les premières années de l’existence de la bibliothèque ; aujourd’hui c’est une des parties les plus complètes. Les travaux des interprètes du droit romain les plus célèbres en France et en Allemagne s’y trouvent à côté des meilleurs auteurs qui aient écrit sur l’ancien et le nouveau droit français.

Les sciences ne sont pas aussi bien représentées ; cependant il y a sous ce rapport de grands progrès, et cette partie importante offre aujourd’hui de précieux volumes. On y voit entre autres un magnifique in-fo max. : Salviani aquatilium historiæ, 1558, de belle impression, avec gravures très-soignées ; il est revêtu d’une reliure du XVIe siècle, ornée sur les plats de la devise et des armes de Diane de Poitiers, à laquelle il a peut-être appartenu, à moins qu’il n’ait fait partie de la bibliothèque royale de Henri II.

Si vous aviez à consulter les auteurs grecs ou latins, vous trouveriez ici les plus belles éditions de leurs œuvres.

La collection historique est considérable. On y voit les Acta sanctorum, par Bollandus ; le Recueil des historiens des Gaules et de la France ; les Ordonnances des rois de France de la 3e race ; l’Histoire littéraire de la France, par les Bénédictins ; les Mémoires de l’Institut ; la Description de l’Egypte, faite pendant l’expédition de l’armée française, avec les suites importantes qui ont paru depuis ; la Description de l’Asie-Mineure, par Texier ; les Catacombes de Rome, par Perret ; le monument de Ninive, par Botta ; enfin la majeure partie des Documents législatifs et historiques publiés par la commission des archives d’Angleterre, donnée à la bibliothèque par le gouvernement de la Grande-Bretagne, sur la demande de M. de la Fontenelle de Vaudoré, qui publiait alors à Poitiers la Revue anglo-française.

Parmi les manuscrits, on peut citer un bel Évangéliaire écrit en onciales carolines de la fin du VIIIe siècle (vélin in-fo, parfaitement conservé). Petri Lombardi liber sententiarum (Xe siècle). Pontificale romanum (XIe siècle). Vie de sainte Radégonde, par saint Fortunat, ornée de peintures byzantines de la fin du XIe ou du commencement du XIIe siècle.

(Notre gravure, malgré la liberté de ses allures, donne une idée du caractère des premières lignes de ce manuscrit précieux.)



Citons deux missels et un rituel ad usum ecclesiæ Pictaviensis. Rituel de l’abbaye de Nouaillé (XIIIe siècle). Le livre de Saint-Pierre-le-Puellier, contenant l’évangile de Nicodème, l’histoire de sainte Loubette et de la fondation de l’église de Saint-Pierre-le-Puellier. Plusieurs livres d’heures, psautiers des XIVe, XVe et XVIe siècles, remarquables par leurs belles miniatures, parmi lesquels se distinguent le beau psautier in-4o, sur vélin, attribué au roi René d’Anjou, et un petit livre d’heures du commencement du XVIe siècle. Rien n’égale la fraîcheur et l’éclat du coloris, la pureté de dessin des miniatures et arabesques qui ornent les blanches pages de son vélin. Un vol. contenant Statuta synodalia diocesis albiensis (in-4o). Antiquitates senonensis diocesis (in-4o, XVIe siècle).

Pancarta dignitatum, beneficiorum, etc., a capitulo Lemovicense dependentium (in-4o, XVIe). Le manuscrit original des « coustumes du comté et « pays de Poictou, mises et rédigées par escript en présence des gens des « trois estats dudict pays par nous Christophe de Thou, président, Barthélémy « Faye et Jacques Viole, conseillers du roy en sa court de parlement et « commissaires par lui ordonnés. » — Revêtu de la signature de ces trois commissaires (1559). Plusieurs manuscrits importants pour l’histoire locale. Mémoires pour l’histoire de l’église de Saint-Hilaire, par Rapaillon, chanoine. Antiquités de l’abbaye de Saint-Maixent. Refonte et continuation des Annales d’Aquitaine de Bouchet, par Bobinet, curé de Buxerolles, in-fo, 2 vol., XVIIe siècle. Le Gouvernement royal ou l’estat de la cour et du royaume après la mort du cardinal Mazarin, précieux manuscrit embelli de charmants dessins et écrit vers la fin du XVIIe siècle par un fort habile calligraphe.

Pour l’histoire générale, on peut citer : Réflexions sur l’histoire de France, par Boulainvilliers (inédit), in-fo. Chroniques de France, extraites des chroniques de Saint-Denis, in-fo. Mémoires des choses faites par de Vilarnoul et de Mirande, députés généraux des églises réformées, à commencer de novembre 1608, in-fo.

Mémoires du sieur Aubéry du Maurier, ambassadeur de France en Hollande au XVIIe siècle, vol. in-fo ; curieuses pages inédites, où, indépendamment des faits particuliers qui concernent l’auteur et sa famille (laquelle existe encore aujourd’hui près de Châtellerault), se trouvent beaucoup de choses propres à jeter une grande lumière sur l’histoire de France pendant les longues années que l’auteur a passées en Hollande, où il représentait son pays.

Cefut de cette mine précieuse que M. Ouvré, président de la Société des antiquaires de l’Ouest en 1857, tira le sujet d’une thèse remarquable qu’il soutint devant la Faculté des lettres de Paris et qui lui valut le grade de docteur.

En vous adressant à l’obligeance du bibliothécaire, vous aurez communication de ces précieux manuscrits, œuvre de patience et de goût, dans lesquels notre civilisation et nos progrès incontestables trouvent tous les jours encore beaucoup à prendre. Il vous montrera aussi une collection de gravures et dessins qui proviennent sans doute de l’ancienne école royale académique dont nous avons parlé à la page 77. Les œuvres des maîtres n’y sont pas nombreuses ; cependant vous verrez : 1o une belle scène du déluge, à la sépia rehaussée de blanc, de l’école italienne ancienne ; 2o un joli dessin par Natoire, représentant Adam et Ève ; 3o le Bon Samaritain, dessin au bistre ou à la sépia (ancien) ; 4o plusieurs beaux dessins aux trois crayons, reproduisant des figures tirées des tableaux des sept sacrements du Poussin. Nous n’oserions affirmer que ce soient des originaux de ce grand maître, mais ce serait fort possible : ils sont dignes de lui.

5o Deux dessins non signés, représentant le triomphe de la mort : ce sont deux pages remarquables. 6o Des contre-épreuves de dessins de la galerie de Médicis, de Rubens, qui ont les défauts de toutes les contre-épreuves : elles sont un peu pâles. Enfin quelques autres jolis dessins de l’école française, par Boucher, etc., etc.

Archives municipales. — C’est à la bibliothèque publique que sont conservées les archives municipales d’avant 1790. Classées avec soin, elles offriront à votre examen : 1o une série de chartes et ordonnances accordant ou confirmant les priviléges de la commune de Poitiers, depuis Aliénor d’Aquitaine ; 2o les registres des comptes de recettes et de dépenses de la ville depuis 1387, recueil précieux en raison des détails intimes et des renseignements qu’il fournit sur l’administration, le prix des denrées et de la main-d’œuvre, sur les usages et les faits historiques de cette époque ; 3o les registres des délibérations de l’échevinage depuis le commencement du XVe siècle ; 4o enfin des registres et papiers de l’Université de Poitiers, et principalement de la Faculté de droit.

La bibliothèque est ouverte au public tous les jours non fériés, de 11 heures à 4 heures ; à partir du mois de juin jusqu’aux vacances, le public y est admis de 6 à 8 heures du matin. Pour connaître avec plus de détails cet établissement, V. l’Histoire de la bibl. de Poitiers, par M. Pressac, bibl. adjoint. (Bulletins de la Soc. des ant. de l’Ouest, 1848. p. 222.)

Salle des Tableaux. — Nous ne voulons pas dire Musée — elle n’en mérite pas le nom. — Elle est située à côté de la bibliothèque. Avant d’y entrer, jetez un coup d’œil sur cette toile immense qui couvre les parois des murailles du dernier palier de l’escalier. Nous sommes obligé de vous dire que ce sont des fragments de la carte du diocèse de Poitiers, qui tapissait autrefois l’une des anti chambres du grand salon de réception de l’évêché. Ce produit colossal, mais peu exact sous le rapport de la situation des lieux et de leur distance entre eux, ne porte plus le titre qu’indiquait autrefois son objet. Ce titre a été effacé à l’époque où les scrupules du puritanisme civique protégeaient les regards contre tout ce qui pouvait avoir quelque rapport avec Dieu, ses ministres et ses autels.

Maintenant, dans cette salle des tableaux, les deux meilleurs, à notre avis, sont deux copies d’après Raphaël. La première est la Vierge et l’enfant Jésus, du tableau bien connu de la Sainte Famille qui est au Louvre.

On sait que cette belle toile fut offerte à François Ier par le grand peintre, en témoignage de sa reconnaissance pour la manière vraiment royale dont le monarque avait payé son tableau de l’Archange saint Michel victorieux du démon.

La seconde est une copie très-fidèle du portrait de Jeanne d’Aragon, vice-reine de Naples. Raphaël peignit la tête et Jules Romain peignit les mains.

Viennent ensuite le tableau qui représente Jésus-Christ remettant les clefs à saint Pierre : cette composition de P. Spenver a du mérite ; saint Sébastien d’après le Guide ; un combat entre deux panthères, dans la manière d’Oudry : ce tableau, qui a de la valeur, aurait grand besoin d’être nettoyé ; une vue de Venise, tableau moderne envoyé par le ministre de l’intérieur, bien touché et d’un bon ton de couleur, mais gâté par un nuage des plus lourds ; un portrait du duc de Chartres, gouverneur du Poitou ; un portrait de femme d’une famille encore dignement représentée dans nos murs : ce portrait est très-bien peint, et rappelle la manière de Mignard. Citons encore un portrait d’homme de l’école flamande, mais dont toutes les demi-teintes ont disparu par le frottement ; une femme peintre (portrait de Mme Lebrun ?) ; le miracle des clefs, tableau historique attribué à un peintre poitevin ; le festin de Balthazar, curieux tableau sur bois de l’école flamande (Franch) ; un torrent, par Groley, tableau moderne, don du gouvernement ; la chaste Suzanne ; trois aqua-teintes d’Hubert Clerget, représentant l’intérieur de la cathédrale de Chartres, l’extérieur de la même cathédrale et le portail de Saint-Germain-l’Auxerrois ; une corbeille de fleurs et de fruits, par Louis Martinet — 1857, don de l’Empereur. — L’insuffisance de la salle a forcé de laisser à l’hôtel de ville quelques tableaux donnés par le gouvernement depuis peu d’années. Parmi eux nous citerons deux grandes et belles toiles de M. de Curzon, où brillent les qualités reconnues à notre concitoyen. Un tableau de petite dimension, provenant de la collection Campana, est attribué au Titien. Il en est digne.

Le nombre des tableaux portés en catalogue, y compris ceux de la mairie, ne s’élève qu’à 67. Ce n’est qu’un commencement de collection, et il nous est permis d’espérer que, lorsque le nouvel hôtel de ville pourra offrir à ses richesses municipales un asile convenable, la cité possédera, elle aussi, un musée digne d’elle.

Musée des antiques et médailles. — Descendons, traversons de nouveau la salle du musée des antiquités de l’Ouest, rentrons dans la cour des Facultés, et, comme si nous voulions assister aux cours de celle des lettres, suivons cet escalier à gauche, traversons la salle des Pas-Perdus, et montons par l’escalier à droite.

Au haut de cet escalier, en face de nous, apparaît un tableau en bois à compartiments grossièrement barriolés, et renfermant les noms des membres du corps de ville de Poitiers avant la Révolution.

Presque vis-à-vis, apparaît un autre tableau d’un prix supérieur à celui-ci, et c’est un monument glorieux pour la ville de Poitiers. Il rappelle sa vieille enceinte, son aspect d’autrefois, et, mieux encore que cela, sa noble défense contre l’amiral de Coligny et les détails du siège mémorable de 1569. Sur l’encadrement sont peintes les armoiries des anciens maires de Poitiers.

Maintenant, au bout d’un corridor, s’ouvre à gauche, dans une galerie beaucoup trop restreinte pour le nombre des objets qui l’encombrent, le musée des antiques. Là vous verrez les précieuses reliques du passé et les échantillons des civilisations qui se sont succédé depuis les Egyptiens jusqu’à nos jours ; là vous verrez les statuettes sépulcrales d’Isis et d’Osiris, les fragments de momie et de granit du Memnonium, les haches et couteaux en pierre des Gaulois, nos ancêtres, leurs bracelets en grès, leurs instruments en os, leurs grains de colliers, leurs haches et coins en bronze avec leurs moules, leurs épées et anneaux du même métal, les anneaux de plomb qui formèrent leurs premières monnaies, et enfin les pièces qu’ils frappèrent en imitant d’abord les types de la Grèce et de Rome, et en mêlant à ces imitations leurs symboles particuliers, types successifs de la Celtique, de la Grèce et de Rome.

Le moyen âge étalera à vos yeux les caractères propres à ses œuvres dans les crosses des évêques et abbés, dans les reliquaires sculptés, dans tous les produits de l’imagination de ses artistes.

La Renaissance et l’époque moderne réclameront quelques-uns de vos instants en faveur de leurs meubles, parmi lesquels les meubles ébène et cuivre doré si remarqués, à l’Exposition universelle de 1867, dans les galeries de l’Histoire du travail. Admirez ces jolis reliefs et ces émaux. L’un de ces émaux (or sur fond noir) a paru mériter les honneurs de la gravure, et a été reproduit dans les Mémoires de la Société des antiquaires de l’Ouest. Il représente un combat sanglant au milieu d’une ville qui brûle.

La porte qui s’ouvre du côté opposé à celle du Musée des antiques conduit à la salle des réunions de la Société des antiquaires de l’Ouest.

Dans cette salle est aussi le médaillier, qui vous offrira ses 3,000 médailles et les types variés que l’art et les nationalités diverses imposèrent, dans la succession des siècles, à ces signes représentatifs de la valeur des choses, à ces véhicules du commerce et de la richesse des peuples.

C’est ici, ce nous semble, le lieu de vous parler de nos sociétés savantes, et de vous dire en peu de mots l’histoire de ces associations qui complètent si dignement à Poitiers le bel ensemble de nos établissements d’instruction, en plaçant à côté d’eux la preuve de leur utilité, le produit de leur action efficace et de leurs enseignements.

La Société d’agriculture, belles-lettres, sciences et arts a continué, le 31 décembre 1818, la Société des Arts d’émulation et d’agriculture, créée le 11 mars 1789. Après avoir varié dans le nombre réglementaire de ses membres, elle se compose aujourd’hui de plus de 200 membres, dont une quinzaine de membres d’honneur ou honoraires et plus de 30 correspondants.

Cette Société a rendu de très-grands services à l’agriculture et à l’horticulture, encouragées par son exemple et par des sacrifices intelligents. Son bulletin mensuel lui assure un rang distingué parmi les Sociétés de province.

Nous devons signaler : ses concours annuels pour les animaux et pour les produits agricoles ;

La première de toutes les expositions de la race mulassière, qui a eu lieu par ses soins à Poitiers en 1860, époque du concours régional ;

Une exposition des chiens de chasse en 1865 ;

Un concours général des vins du département de la Vienne en 1866.

La Société des Antiquaires de l’Ouest a été fondée en 1834, à la suite du Congrès scientifique de France, dont la seconde session eut lieu à Poitiers à cette époque.

Elle se compose de membres titulaires résidants et non résidants, de membres correspondants et de membres honoraires en nombre illimité.

Son but est « la description et la conservation des monuments compris entre la Loire et la Dordogne ». Elle a imprimé un mouvement salutaire aux saines tendances que notre époque doit à l’étude de l’archéologie ; elle a rendu des services par son intervention toujours accueillie auprès du gouvernement, et, ainsi que cela arrive à toute société travailleuse, elle a obtenu des succès qui lui ont fait prendre dans le monde scientifique une excellente position. Elle a publié 34 volumes in-8o de Mémoires et 12 volumes de Bulletins ornés de planches, où l’on trouve des renseignements précieux sur les monuments et les faits historiques de l’Ouest de la France. Plusieurs des ouvrages de ses membres ont été l’objet d’honorables distinctions. Un de ses fondateurs, M. Lecointre-Dupont, a obtenu de l’Académie des inscriptions et belles-lettres une médaille d’argent pour ses recherches sur la numismatique. D’autre part, le Comité impérial des travaux historiques et des sociétés savantes a décerné une médaille de bronze à M. de Longuemar et une à M. Ménard pour leur coopération au Répertoire archéologique de la Vienne ; une médaille de bronze à M. Imbert, pour sa Notice sur les vicomtes de Thouars ; une médaille d’argent à M. de Longuemar, pour ses travaux sur la géologie de la Vienne. Des mentions honorables ont été accordées par l’Institut à plusieurs Mémoires d’autres membres, insérés dans ses publications.

La Société des archives historiques, fondée depuis quelques mois seulement, a pour but spécial de protéger par l’impression des documents inédits les plus importants, ces précieux éléments de notre histoire contre les dangers dont les menacent chaque jour, et aujourd’hui plus que jamais, hélas ! trop de causes d’irréparable destruction.

La Société de Médecine a été fondée à Poitiers en 1836. Elle publie des bulletins estimés, dans lesquels se résument ses travaux et les observations de ses membres.

Société dikazologique. — Les élèves de la Faculté de droit ont aussi leur société savante spéciale. Ses réunions, qui se tiennent un jour de chaque semaine, au soir, dans la salle des exercices de la Faculté de droit, constituent en réalité une sorte de stage fort avantageux, dans lequel les futurs membres de la magistrature et du barreau s’essayent, avec fruit, aux luttes de la parole. Cette société se nomme la Société dikazologique (ce nom va bien avec celui de Lycée, il est de la même époque, 1801) ; elle a compté dans son sein — ainsi que celles qui existaient et se sont fondues avec elle — des noms qui, dans la magistrature et le barreau, montrent à leurs jeunes successeurs la voie honorable qu’ils suivront sans doute à leur tour.

Cette Société est spécialement composée d’étudiants ; mais les jeunes avocats, pendant leurs trois premières années de stage, ont des conférences pour débattre publiquement des questions de droit, sous la présidence du bâtonnier de l’ordre, et l’on obtient les meilleurs résultats de ces épreuves sérieuses.

« P. S. — Une pensée nous vient, nous la saisissons au vol :

« Au moment même où les épreuves de ce paragraphe passent sous nos yeux, nous recevons communication d’un projet d’association amicale et bienfaisante entre tous les anciens élèves du lycée de Poitiers ; or, si l’école de droit de cette ville ne pouvait prétendre à trouver sa place dans la réalisation de cette bonne pensée, ne pourrait-elle, avec les éléments si honorables dont elle s’est composée depuis près d’un demi-siècle, constituer, elle aussi, sa Société de francs-camarades, et opposer, dans l’intérêt de la patrie commune, à tant de causes qui divisent, ces relations amies qui rapprochent et unissent ? » A ce texte de notre 2e édition, nous n’avons, franchement, rien à changer, car, si les sentiments qu’il exprime avaient besoin d’une justification, ils la trouveraient assurément dans les effrayantes leçons qui nous démontrent la nécessité de serrer nos rangs en face de l’ennemi.

La grosse horloge. — A côté de l’Hôtel-Dieu, en face de l’église Notre-Dame, s’élevait une tour rectangulaire fort massive, surmontée au troisième étage d’une charpente revêtue d’ardoises (dont le modèle en bois est déposé à la bibliothèque publique), et couronnée d’un campanille en plomb. Le deuxième étage comprenait une chapelle qui servit pendant longtemps de chapelle à l’Hôtel-Dieu, avec lequel elle communiquait.

Cette lourde et maussade construction, élevée à 128 pieds 6 pouces au-dessus du niveau de la place Notre-Dame, et qui dominait ainsi la ville entière, était destinée à supporter la grosse horloge — (le peuple disait le gros horloge, et même — par suite d’une liaison qui n’est pas précisément spéciale à la ville de Poitiers, puisqu’elle frappe tous les jours nos oreilles — le grôt horloge) — qui y fut primitivement installée en 1388 par les ordres et aux frais de Jean, duc de Berry, comte de Poitou et d’Auvergne.

Ses forêts fournirent le bois de charpente ; les abbayes et églises voisines, une partie du métal, et le prince paya les fondeurs, car le timbre fut fait à trois reprises : d’abord le 4 avril 1387, par Jean Osmont, saintier (fondeur de cloches) de Paris ; puis les marteaux adaptés au mécanisme de l’horloge par Pierre Merlin, à la fin de 1387, ayant brisé ce timbre, il fut refondu deux fois en 1396 par Guillaume de Roucy, qui reçut 230 écus d’or.

Une inscription latine constatait les noms du donateur et de l’artiste ; mais le peuple y ajoutait la sienne, que voici ; nous la donnons dans toute sa saveur poitevine :

Balthazar je m’appelle,
18,600 je pèse ;
Si l’on ne me croit pas,
Qu’on me descende et me pèse ;
Mais quelque marché que je fasse,
Qu’on me remette en place.

Quiou qui qu’ou reloge a fat foaire,
O l’est in moaire nommé Boilève,
A cause que lez pouvre geans
Gne ne sçaviant à quo l’houre iglz diniant.

Après 400 années d’existence, ce monument, qui était assurément le plus populaire de tous, ayant été altéré par le temps malgré des tentatives inutiles pour arrêter sa ruine, on dut aviser à la descente du lourd fardeau qui l’écrasait. Ce fut en janvier 1787 que l’architecte Galland fit, avec un succès inespéré, cette opération difficile moyennant 6 000 liv.

Échappé au vandalisme révolutionnaire, grâce aux résistances honorables de la municipalité, ce timbre colossal, qui était aussi une œuvre d’art fort remarquable, fut condamné par des décrets impériaux : cassé à petits morceaux pour être vendu plus cher, il fournit matière à la fonte de plusieurs sonneries, et le prix qui en provint fut affecté à l’établissement du lycée de Poitiers. Nous avons vu déjà que la bibliothèque y avait aussi apporté son contingent.

Quant à la tour, qui n’était plus d’aucune utilité, et qui n’avait aucun mérite architectural, elle fut démolie de 1813 à 1815. Sur une partie du terrain qu’elle occupait, fut bâtie la maison no 12 ; le reste augmenta d’autant la place du Marché. (V. dans les Bulletins des antiq. de l’Ouest. 1844-46, p. 221. le Gros Horloge, par M. Pilotelle.)

Notre-Dame-la-Grande. — Voici assurément l’un des monuments les plus importants de notre cité, et il réclame quelques pages.

Notre-Dame-la-Grande ne fut, dès l’origine, qu’une collégiale ; mais quoiqu’elle ne fût pas abbaye, son premier dignitaire portait le titre d’abbé. Son hôtel était situé au bas de la Grand’Rue, près du détour de la rue Queue-de-Vache, aujourd’hui rue Saint-Fortunat, où l’on voyait avant 1850 une porte surmontée d’un écusson armorié très-bien conservé. Cette maison a été en partie reconstruite depuis.

Les armoiries du Chapitre de Notre-Dame-la-Grande étaient, d’après une enquête de 1521, « un ange de sable à deux têtes en champ d’or » — « Les « enfants et clergeons les portaient le jour des Roysons en leur bannière ; d’un « costé l’image de Nostre-Dame et de l’autre costé lesd. armes. » — Archives. départ.

Dufour pense que cette collégiale de Notre-Dame fut un établissement d’ecclésiastiques séculiers, une sorte de séminaire diocésain, sous la direction et la surveillance de l’évêque. Le rang de son abbé, qui était personnat dans l’église cathédrale, et qui précédait les chanoines, l’habitude où était l’évêque collateur de choisir cet abbé parmi les chanoines de la cathédrale, tout cela semblerait, en effet, indiquer les rapports qu’exigerait une telle destination.

Il est question de Notre-Dame-la-Grande dès le milieu du Xe siècle (950). — Eustachie, femme de Guillaume VI, y fut enterrée vers 1037.

Son aumônerie fut fondée en 1202 ; on n’a point conservé de nombreux documents sur son histoire.

La collégiale était peu richement dotée, ce qui expliquerait pourquoi, dès le 4 mars 1246, Jean de Melun, évêque de Poitiers, confirma un statut par lequel le Chapitre fixait à seize, l’abbé non compris, le nombre de ses membres : aussi, dans les sobriquets que la malignité populaire avait donnés aux chapitres de Poitiers, l’épithète de gueux avait-elle été assez justement octroyée aux chanoines de Notre-Dame.

Après les malheurs des guerres civiles et religieuses dont elle éprouva le contre-coup, l’église de Notre-Dame, devenue plus pauvre encore, malgré les dotations que lui avaient faites les personnes qui avaient voulu reposer à l’ombre de son sanctuaire, et qui y avaient annexé, aux XVe et XVIe siècles, les nombreuses chapelles que vous voyez soudées à sa nef latérale, attendit, mais en vain, de meilleurs jours.

Ce furent des jours plus mauvais qui advinrent ; et lorsque la manie des révolutions envahit tout le pays, la paroisse de Notre-Dame devint la section des sans-culottes, et vit, en 1798, son église livrée à l’éphémère essai de la religion des théophilanthropes, ces rêveurs enfants de la doctrine du directeur La Réveillère-Lépeaux. (Un Poitevin-Vendéen.... hélas !!)

C’est à cette collégiale et à la statue miraculeuse que renferme son église qu’il faut rattacher l’un des événements les plus populaires de notre histoire poitevine.

Nous voulons parler du Miracle des Clefs, auquel nous avons déjà fait allusion à propos des ponts Saint-Cyprien, Joubert, etc. Le récit de ce miracle est, du reste, indispensable à l’intelligence de ce qui va suivre. Écoutez-le donc, tel que Bouchet l’a consigné dans ses Annales :

« Le Maire de Poitiers avoit un clerc fort avaricieux, et de grand esprit, lequel il envoya pour aucuns ses affaires au païs de Périgort. Et lui estant dans la ville de Périgueux un iour de caresme du dit an 1202.

« Les Anglois qui tenoient la dite ville s’enquirent avec le dit clerc dont il estoit : il fit responce qu’il estoit serviteur du Maire de Poictiers, dont ils furent joyeux, et le tentèrent s’ils pourroient entrer en la dite ville par son moyen : il leur fit responce que s’ils vouloient lui donner un bon pot de vin (le mot et la chose ne sont pas d’hier, comme on le voit), leur livreroit la dite ville dedans le jour de Pasques prochainement ensuivant.

« Les Anglais le creurent : parce qu’il avoit un oncle en la dite ville de Périgueux, et aussi qu’il en étoit natif : et marchandèrent avec lui, à mil livres de la monnoye de France dont ils lui avancèrent une partie. Ledit clerc leur assigna journée au jour de Pasques ce pendant que les habitants seroient occupés à l’église. Et entreprindrent de la forme et de l’heure qu’ils viendroient.

« Le clerc retourna à Poictiers, et se montra plus diligent au Maire son maistre, que jamais n’avoit fait, pour plus aysement le trahir. Les Anglais se préparèrent pour aller à Poictiers, et y estre la vigile de Pasques à minuict, ainsi que le clerc leur avoit dit : ce qu’ils firent soubs fausses enseignes, en sorte que ceux de Poictiers ne furent advertis de leur approche.

« Et la nuict venuë après que le Maire fut couché, et eut mit derrière son chevet de lict toutes les clefs des portes de ladite ville, ainsi qu’il avoit accoustumé faire, le desloial serviteur (qui alloit et venoit en la chambre de son maistre quand il vouloit), voyant que son maistre dormoit, luy voulut desrober les dites clefs de la porte de la Tranchée, où se devoient rendre lesdits Anglais environ minuict, pour leur ouvrir les portes.

« Mais ne peut trouver les dites clefs, quelque diligence qu’il en fist, derrière ledit chevet du lict de son maistre, ne par tous les lieux secrets de la maison.

« Si pensa le traistre clerc, que le lendemain matin en feignant de bailler les clefs à celui qui avoit la garde des portes, se desroberoit et les iroit ouvrir, avant que les portiers vinssent quérir les dites clefs ; et s’en alla monstrer aux Anglais sur la muraille, auxquels il jecta un brevet, par lequel il leur mandoit qu’ils attendissent jusqu’à quatre heures du matin, et qu’il ne failleroit de promesse.

« La dite heure sonnée, le dit clerc reveilla son maistre et luy dict que les portiers de la Tranchée demandoient les clefs pour ouvrir les portes. Le Maire fist responce qu’il estoit encores bien matin : le serviteur dist qu’il y avoist un gentil-homme qui vouloit sortir en diligence, pour aller vers le roy Phelippes.

« Le Maire le crut et voulut prendre les clefs des dites portes de la Tranchée, mais ne les peut trouver, dont fut tout effrayé : et après les avoir quises et cerchées par tout, se douta de trahison : si manda incontinent à plusieurs des habitants qu’ils allassent en armes aux portes, ce qu’ils firent et mesmement à la dite tranchée parce que c’était la plus dangereuse, et qu’il n’y a rivière : et virent les Anglais, lesquels s’entrebattoient eux mesmes.

« Le pauvre Maire s’en alla tout effrayé recommander la ville à Dieu, et à la Benoiste Vierge Marie en son église de Notre-Dame-la-Grande : et comme il fut devant l’image de Nostre-Dame, veit entre ses bras les dites clefs : dont rendit graces à Dieu, et plusieurs autres gens de biens, qui estoient avec luy.

« Le bruit fut incontinent par la ville que les Anglais estoient à la Tranchée, et le beffray sonné : parquoy chascun des habitants se mist en armes, et s’en allèrent tous esmeus à la porte, et veirent par les creneaux des murailles plus de mil et cinq cents Anglais morts et couchez par terre et les autres qui se tuoient.

« Par quoy ouvrirent les portes, et sortirent sur eux pour deffaire le demeurant, ce qu’ils firent fors ceux qu’ils retindrent prisonniers. Lesquels déclarèrent au Maire et aux principaux de la ville toute la trahison : et que le dit jour à l’heure de quatre heures, avoient veu audevant des dites portes une royne, vestue le plus richement qu’on sçauroit faire et avec elle une religieuse, et un Evesque, qui avoient sans nombre des gens arméz : lesquels s’estoient mis à frapper sur les Anglais : et qu’aucuns d’eux, considérant que c’estoit la Vierge Marie, sainct Hilaire et saincte Radégonde (dont les corps reposaient en la ville) s’estoient par désespoir occis eux-mêmes, et les autres tué et occis leurs compagnons. Dont tous les habitants rendirent grâces à Dieu et s’en allèrent faire leurs Pasques.

« Au regard du desloial clerc, on ne sceut qu’il devint, car depuis ne fut veu. Et est à conjecturer que par une des autres portes il se jecta en la rivière, et se noya, ou que le diable l’emporta. »

Malgré les graves raisons qui doivent faire douter des circonstances et des dates assignées à cet événement, ce qu’il y a de certain, c’est que, dès le XVe siècle, outre les monuments élevés sur tous les ponts, à toutes les portes de la ville, à presque tous les carrefours, on trouve dans les comptes des dépenses du corps municipal de Poitiers les traces de la dévotion à la sainte Vierge et des honneurs que lui rendait sa reconnaissance.

Il est parlé d’un hommage annuel de 50 livres de cire qui devaient brûler nuit et jour sur une roue ou couronne en bois peint, suspendue à la voûte de l’église de Notre-Dame, et des frais de la procession du lundi de Pâques. Plus tard, après les troubles religieux, la cire fut remplacée par un manteau dont le prix fut fixé, au XVIIe siècle, à 300 livres.

Mais, comme avec ce prix il n’était pas possible d’avoir un manteau assez riche, on réunissait plusieurs annuités ; cependant le fait matériel, la cérémonie de l’hommage, se reproduisait tous les ans.

Cet usage et celui de la procession ne furent interrompus qu’en 1794. Il avait résisté à 1793, à 1793 qui avait banni les prêtres et tué le roi !! 1830, si anodin pourtant, dit-on, le balaya de son souffle desséchant. C’était encore une tradition, et, disons-le franchement, 1830, qui coupait violemment le fil de la tradition monarchique héréditaire, ne se souciait pas beaucoup d’en conserver d’autres. — C’était logique ; mais ce qui fut logique aussi, ce fut 1848 brisant l’œuvre de 1830.

Depuis lors on se contenta de faire dans l’intérieur de l’église la procession annuelle et d’user les manteaux donnés ; mais, il y a quelques années, l’usage de la procession a été repris, toutefois sans le concours de son ancien cortége officiel.

En 1871 cependant — deux mois à peine après la désastreuse guerre qui venait d’ensanglanter la France — cette procession avait revêtu une solennité particulière. Voyant les hordes prussiennes s’avancer rapidement sur la Loire et envahir les villes et campagnes voisines, les religieux habitants de Poitiers s’étaient de nouveau placés, par un vœu, sous la protection de Notre-Dame, de saint Hilaire et de sainte Radégonde. Or, chose remarquable, l’armée ennemie, au moment de l’armistice, s’était arrêtée juste aux extrêmes confins du département de la Vienne, et non-seulement la ville, mais le diocèse avaient été préservés de l’invasion prussienne. En mémoire de cette nouvelle protection, une Messe solennelle, fondée à perpétuité, avait été chantée, à Sainte-Radégonde, l’an dernier, le lundi de Pâques, c’est-à-dire le matin même du jour de la Procession des Clefs, et le soir, à cette procession, on portait de magnifiques cierges aux armes du Souverain Pontife et de l’Évêque de Poitiers offerts, par le vœu dont nous venons de parler, aux trois célestes intercesseurs.

Mais revenons à l’antique procession dite des Clefs.

Vous ne serez peut-être pas fâché, cher lecteur, de savoir quels étaient les détails de cette cérémonie si populaire chez nous, au temps de sa splendeur.

Le jour de Pâques, après les vêpres, l’épouse du maire, accompagnée des femmes des échevins et des notables, et suivie du corps de ville, se rendait à Notre-Dame, précédée du manteau. Elle en revêtait la statue, après l’avoir parée de guimpes en dentelles : c’était ce que le peuple appelait la toilette de la bonne Vierge.

Le lendemain, les officiers municipaux venaient prendre avec pompe la statue. Le maire et un des échevins la demandaient à l’abbé, qui la leur confiait ; ils la portaient jusqu’à l’église Saint-Étienne et rejoignaient le clergé réuni à Saint-Pierre.

Puis, lorsqu’on arrivait devant l’une des portes de la cité, le corps de ville se détachait de la procession pour porter la statue jusqu’à l’entrée de la ville, où il était toujours accompagné des membres du Chapitre de Notre-Dame. La procession parcourait ainsi toute l’enceinte de la cité et revenait à son point de départ.

Nous avons vu que l’on ignorait quel fut le motif de la fondation de Notre-Dame, quelle est son origine, quel est son fondateur. Cependant, comme elle était située dans le fief de l’évêque de Poitiers, cette considération, jointe à celle que l’évêque, au jour de sa prise en possession, partait de l’église Notre-Dame pour se rendre en procession dans la cathédrale, a fait penser que cette église avait dû être fondée par un des prélats qui ont occupé le siège de Poitiers. On doit même être porté à croire, avec M. Lecointre, qu’elle fut construite après l’incendie de Notre-Dame-hors-des-Murs — depuis, Sainte-Radégonde — (1083), afin que la sainte Vierge ne cessât pas d’être la patronne d’une des principales églises de Poitiers.

L’aspect du monument, les costumes des personnages qui couvrent sa riche façade, la forme et les plis des vêtements, les souliers pointus, les types de convention adoptés pour représenter la Vierge et les anges, enfin l’ornementation générale, et diverses inductions historiques, ont porté des auteurs et des antiquaires à fixer l’époque de sa construction au XIIe siècle.

Malgré ce qu’on a pu dire des personnages qui y auraient été enterrés avant cette époque, et qui pourraient bien n’avoir été réellement inhumés que dans l’église de Notre-Dame-hors-des-Murs, cette opinion est, à notre avis, quant à la façade au moins, la mieux et la seule établie.

Dédiée, dès l’origine, à la Mère de Dieu, dont l’histoire joue un grand rôle dans l’immense bas-relief qui constitue sa façade, l’église Notre-Dame de Poitiers présente aux yeux de l’antiquaire le type le plus remarquable de l’architecture romano-byzantine parvenue à son apogée.

Aussi cette page d’architecture (et l’on semble autorisé à appliquer ce mot à ces monuments, véritables livres populaires du moyen âge) a-t-elle été reproduite dans tous les ouvrages spéciaux, et même dans les innombrables pittoresques qui ont envahi depuis quelques années la place des publications sérieuses.

Ce concours unanime prouve, du reste, le mérite réel de l’œuvre sur laquelle nous avons été heureux d’appeler la haute faveur du ministre de l’intérieur et les secours importants qui ont empêché sa destruction.

Cette destruction était imminente ; un mouvement de l’Est à l’Ouest s’était opéré dans la charpente et avait poussé en avant le sommet du pignon triangulaire qui surmonte la façade, lequel n’a que 60 centimètres d’épaisseur dans la partie qui devait résister à cet effort ; et comme cette épaisseur n’est pas réelle, parce qu’il faut en déduire les creux et les entailles profondes qui forment le médaillon du milieu de pignon ; comme aussi les reliefs de cette façade ne sont, à vrai dire, qu’un simple placage fort peu adhérent, maintenu par des T en métal, le pignon présentait sur une hauteur de 17 m. 66 c. un surplomb de 18 c. qui menaçait d’augmenter tous les jours.

Les chapiteaux qui soutenaient les archivoltes et les cintres des portes étaient loin d’être dans un état de conservation propre à rassurer ; les claveaux étaient disjoints ; les pierres, rongées par le temps, semblaient autant d’éponges solidifiées, que le poids supérieur devait bientôt réduire en poussière.

Un autre motif devait engager aussi l’administration des monuments historiques à se montrer empressée dans sa générosité.

Au XVe siècle, nos pères, ne pouvant se défendre de l’enthousiasme que leur avait causé la protection de la Mère de Dieu et des saints patrons auxquels ils devaient le salut de la cité, avaient soudé à la façade de l’église Notre-Dame, de chaque côté de la fenêtre du milieu, deux niches surmontées de dais aux pinacles flamboyants se terminant par des culs-de-lampe ornés de la pomme de pin classique et des feuilles d’acanthe en volutes. (Nous les avons vus au musée des Antiquités de l’Ouest.)

Ces niches renfermaient les statues de saint Hilaire et de sainte Radégonde, et au milieu, un dais plus riche encore abritait la statue de la Vierge.

Depuis longtemps les statues avaient disparu, mais les niches étaient demeurées vides, et elles altéraient d’une façon fort triste le caractère si complet, sans elles, de l’édifice.

La Commission des monuments historiques, en décidant la suppression de ces niches et la restauration de la fenêtre, a restitué à cette façade son aspect harmonieux et a fait disparaître fort sagement les éléments disparates qui pouvaient induire en erreur les visiteurs peu habitués à lire couramment dans ces livres des architectes du moyen âge.

Cette restauration, justifiée par un examen approfondi des restes que le XVe siècle semblait avoir laissés pour nous servir de guides sûrs dans notre œuvre délicate, a justifié à son tour l’opinion que nous avions soutenue au congrès de 1843 et dans une discussion archéologique avec l’honorable et savant M. Didron, secrétaire du Comité des arts et monuments.

Cet auteur distingué croyait que la façade de l’église Notre-Dame de Poitiers était autrefois percée d’un simple oculus, et que la ligne de statues qui décore le second rang de sculptures se prolongeait dans toute l’étendue de la façade. C’était même d’après ce système, partagé par M. Thiollet, artiste fort estimable, que le Comité des monuments avait fait exécuter la gravure qui se trouve dans les instructions officielles.

En cela M. Thiollet, notre compatriote, avait été induit en erreur par des souvenirs de jeunesse que son expérience et ses connaissances n’avaient pu rectifier.

Mais il est désormais hors de doute et de discussion que la fenêtre romane qui décore la façade Notre-Dame a été de tout temps telle que nous la voyons aujourd’hui et telle que l’a rétablie la restauration radicale opérée sous nos yeux.

Le portail situé à droite sur la façade méridionale est une œuvre du XVIe siècle ; il porte, lui aussi, l’empreinte que le cachet de cette époque devait appliquer aux monuments de notre Poitiers. Les trois niches contenaient les statues de la sainte Vierge, de saint Hilaire et de sainte Radégonde, en mémoire du Miracle des Clefs.

A côté s’élevait autrefois une statue équestre que l’on disait être la statue de Constantin, ce qui avait déterminé les savants du XVIe siècle à déclarer que cet empereur était le fondateur de l’église de Notre-Dame.

Détruite en 1562 par les protestants — qui ne devaient point aimer Constantin, car il bâtissait des églises, et eux les démolissaient — elle avait été rétablie par les soins de Guy Chevalier, en 1592, avec cette inscription :

Quam Constantini pietas erexerat olim 340
Ast hostis rabies straverat effigiem, 1562
Restituit veteres cupiens imitarier hujus
Vidus Eques templi cœmosiarcha (cœnobiarcha) pius
1592.

L’inscription et la statue ont été enlevées en 1808 ; l’inscription seule, après avoir été longtemps reléguée dans la chapelle des fonts baptismaux, a été rétablie plus tard.

La façade de l’église Notre-Dame de Poitiers constitue un immense bas-relief, presque tout entier consacré à l’histoire de la Mère de Dieu ; mais c’est surtout sur la frise qui règne au-dessus des trois arcs du portail que le sculpteur a retracé les allégories et les traits historiques qui s’y rapportent.

A gauche, on aperçoit Adam et Ève à côté de l’arbre de la science, autour duquel s’enlace le serpent tentateur. Au bas de l’encadrement, on lit cette inscription bien fruste aujourd’hui :

da : eve c.... e. t. homini primordia lvi

M. Lecointre-Dupont, dans son excellente notice sur la façade de Notre-Dame, à laquelle nous emprunterons beaucoup, interprète ainsi et d’une manière fort satisfaisante, à notre avis, cette inscription :

ada ; eve crimen fert homini primordia luctus.

Ainsi le deuil est entré dans le monde par la faute de nos premiers parents, et avec le deuil, la souffrance, fille du péché, dont on voit la personnification dans l’orgueil, le vice le plus dangereux, que représente Nabuchodonosor.

C’est en effet lui que l’on voit sur son trône avec tous les attributs de la puissance. Son nom est écrit à ses côtés :

nabvco                               nosor
                                      rex.

Au-dessus de la pointe ogivale de la première arcade, on aperçoit quatre prophètes annonçant la venue du Messie qui doit délivrer le monde des suites du péché. Deux des prophètes tiennent à la main des phylactères, les deux autres des livres. On y lit :

cvm venerit sanctus sanctorum.

résumé de la prophétie de Daniel sur les temps et les effets de la venue du Messie.

prophetam dabit vobis de fratribus vestris et non estima.

Texte composé du verset 15, ch. XVIII du Deutéronome, et de la fin du verset 36, ch. III de BARUCH.

post hæc in terris visus est et cum hominibus conversatus est.

Baruch, verset 38.

Enfin la prophétie d’Isaïe (ch. XI, vers. 1).

egredietur virga de radice jesse, et flos de radice ejus ascendet.

Les prédictions vont s’accomplir ; un ange annonce à Marie qu’elle sera mère, et que d’elle sortira le rameau de la tige de Jessé, que l’on voit lui-même accroupi, la tête ceinte de racines, d’où s’élève une tige couronnée d’un lis.

Le calice de cette fleur brillante sert lui-même d’appui à la colombe, emblème de l’Esprit-Saint. Cette tige, signe du salut, est adorée par les gentils, que représente un chevalier dont le buste a été mutilé au XVIe siècle.

A droite du cintre de la porte, la sculpture représente la scène de la Visitation. Nazareth et Jérusalem sont presque sur le même plan, et la cité ne se distingue de l’humble village que par ses tours, ses murailles, et par son temple, au sommet duquel brille par anticipation la croix du Fils de l’Homme.

Plus loin, la Vierge devenue mère est couchée dans son lit, d’où elle tend la main à son Fils reposant dans la crèche, et séparé de l’âne et du bœuf par une simple claie. On n’aperçoit que leurs têtes, dont le souffle semble réchauffer le nouveau-né.

Aux pieds du lit de la sainte Vierge, deux femmes plongent l’enfant dans un vase en forme de coupe et lavent son corps. Cette scène naïve a été reproduite quelquefois dans les vignettes des manuscrits du moyen âge.

Ce personnage assis, la tête appuyée sur sa main droite, et derrière lequel se dresse une petite colonne ornée d’un cordon de perles qui serpente autour d’elle et lui donne l’aspect d’une colonne torse, ce personnage dans l’attitude du recueillement, est sans contredit saint Joseph, dont la figure se trouve toujours mêlée, dans l’iconographie chrétienne, à ces scènes des premiers instants de la vie du Sauveur.

On remarquera même qu’il y a beaucoup d’analogie entre sa pose et celle qui lui est attribuée par les grands maîtres dans les innombrables saintes Familles dues aux pinceaux les plus renommés.

Nous ne citerons pour exemple que l’admirable tableau de Raphaël.

Au-dessous de ce personnage, deux autres s’embrassent avec effusion ; c’est sans doute la traduction de ce verset bien connu du psaume 84 :

Misericordia et veritas obviaverunt sibi,
Justitia et pax osculatæ sunt.

Si l’on objecte que l’un des personnages symboliques porte une figure virile, puisqu’il est incontestablement barbu, nous dirons avec M. Lecointre qu’il n’est pas étonnant qu’un artiste imbu des traditions byzantines ait symbolisé sous les traits d’un homme la Miséricorde, dont le nom grec Ἔλεος est en effet du genre masculin.

Dans une note manuscrite qu’il nous a communiquée, M. Lecointre propose une autre explication. Pourquoi ne verrait-on pas, dans ce personnage assis, le père de l’enfant prodigue ? Il attend le retour d’un fils égaré, dans les bras duquel il va s’élancer dès que ce fils, chéri malgré ses erreurs, reviendra chercher un asile sous le toit paternel. Ce qui exprimerait toujours, du reste, l’idée du pardon accordé au repentir.

À l’étage qui domine immédiatement la frise, les huit arcades ou niches cintrées renferment huit statues assises ; l’étage supérieur contient six arcades renfermant autant de statues debout.

Aux deux extrémités de cet étage, deux personnages décorés des attributs de l’épiscopat représentent sans doute saint Hilaire, le grand docteur poitevin, et saint Martin, son disciple, le thaumaturge des Gaules, qui fut pendant longtemps simple religieux à Ligugé, près Poitiers, avant de monter sur le siège de Tours.

Puis, à gauche de la fenêtre, on aperçoit saint Pierre, le chef des apôtres, au-dessous de lui saint Jean, le disciple bien-aimé, et saint Matthieu, placé le deuxième à droite.

Ces trois personnages se distinguent aisément, le premier aux clefs, symbole de la puissance qui lui a été conférée par son divin Maître, le second à ses longs cheveux, à sa forme féminine, le troisième au phylactère et au livre d’évangiles déroulé qu’il tient dans ses mains, comme saint Jean, pour indiquer qu’ils réunissent au titre d’apôtre celui d’évangéliste.

Les neuf autres statues représentent les neuf autres apôtres.

Puis, au-dessus de ces scènes religieuses et de ces personnages honorés par la piété des chrétiens, dans ce fronton triangulaire à pans coupés, décoré d’un appareil en disques et de l’opus reticulatum, brille, au milieu d’un ovale qui forme comme une sorte d’auréole glorieuse, le maître et dominateur de toutes choses, Jésus-Christ, entre le taureau, l’aigle, l’ange et le lion, symboles des quatre évangélistes, entouré de fleurs, d’étoiles, des astres du jour et de la nuit, des chœurs d’anges et de chérubins, qui célèbrent son triomphe.

Ainsi, dirons-nous avec M. Lecointre (et nous ne pourrions mieux dire), dans ses différentes divisions, la façade de Notre-Dame nous montre, sculptée, toute une histoire de la religion, depuis la faute originelle jusqu’à la consommation des siècles.

Nous y voyons se dérouler, d’abord, la chute du premier homme, suivie du règne de l’orgueil et du mensonge, puis les promesses successives d’un libérateur, et la naissance d’un divin enfant qui ramène avec lui sur la terre la vérité et la miséricorde.

Au second étage siègent les apôtres, continuateurs de l’œuvre divine, et les saints pontifes, successeurs des apôtres. Enfin, sur le fronton, Jésus-Christ règne, et l’Évangile règne avec lui.

Pour les populations illettrées du moyen âge, il y avait dans cette façade tout un cours d’instruction religieuse ; et, si nous nous représentons ces nombreuses figures telles qu’elles étaient jadis, galonnées d’or, empourprées de vives couleurs, quel puissant effet une pareille composition ne devait-elle pas produire sur des esprits pleins de foi, auxquels elle rappelait sans cesse tout ce qu’ils devaient croire, savoir et espérer ! (V. la notice de M. Lecointre, Mém. de la Soc. des ant. de l’Ouest, 1839.)

A part sa riche façade, dont nous venons de décrire l’épopée ; à part son clocher à toiture conique, à retraits appareillés en écailles de poisson, système suivi dans les clochers de Montierneuf et de l’église abbatiale de Charroux, l’église de Notre-Dame de Poitiers n’offre rien qui exige une mention particulière.

Par sa distribution, par sa nef à voûte en berceau, par son abside à voûte en cul-de-four, par ses collatéraux étroits à voûtes d’arêtes, prolongés au pourtour du sanctuaire, par sa crypte de dimension restreinte, par ses piliers lourds et trapus, elle rentre essentiellement dans la catégorie des églises ordinaires des XIe et XIIe siècles, et rien ne la signale, sous ce rapport, d’une manière spéciale à l’examen de l’antiquaire.

Cependant une restauration intérieure intelligente a fait disparaître une partie des tristes effets qui étaient de nature à provoquer le blâme des hommes de goût.

En 1859, c’est la démolition du lourd retable de l’autel et de l’autel lui-même, puis la réfection des chapelles grecques ; tout cela honore M. des Châtelliers, curé actuel de Notre-Dame.

Après cet examen de l’ensemble de notre monument, visitons-le dans ses détails.

Descendons ces quelques marches et suivons la nef à droite. Dans la 7e travée, n’apercevez-vous pas une petite colonne peinte en marbre et encastrée dans la maçonnerie du mur ? — Un cœur est sculpté au milieu, et de ce cœur s’échappent plusieurs fleurs. Voici les souvenirs que rappelle ce petit monument, incomplet aujourd’hui. Laissons-les raconter à l’historien, dont le langage naïf les exprimera beaucoup mieux que nous ne saurions faire.

« On dit communément que le nom de ladite église fut changé pour le premier miracle qui fut faict en ladite église, par les mérites et intercessions de la benoiste Vierge.

« Qui est que l’abbé de laditte église auoit un jeune nepveu, très dévot à la Vierge Marie, toutesfois au moyens de sa ieunesse, qui est volontiers portée à folie.... et eut une si merveilleuse contrition et desplaisir de son péché, qu’une faiblesse le print et s’esmeut le sang en son corps si très fort, qu’il mourut dedans un heure après.

« La pauvre femme, doutant de sa mort, et que si elle attendoit qu’il expirast, on lui pourroit imposer qu’elle l’avoit occis, s’écria : et à son cry vindrent des serviteurs, qui furent présents à voir trépasser ce ieune enfant, après qu’il eut reçu le sacrement de confession.

« Son oncle fut adverti,.. pourquoy ne sachant l’accident, le fit enterrer en terre prophane près de ladite église, ès doües du palais de Poictiers qui est encores. Lesquelles doües sont à présent remplies de maisons, et au lieu ou est comme on dit, la maison de Maisonnier dit Péricault.

« Le bruit fut grand de l’inconvénient, les uns en parloient en bonne sorte, les autres en mauuaise : mais il advint (comme Dieu voulut) que la vérité fut sceüe bientost : car quinze jours après ou environ, on trouva sur la fosse du trespassé une roze blanche, en branche verte nouvellement venüe, iaçoit que ce n’en fust la saison.

« Pourquoy fut le ieune enfant desenterré, et on trouva en sa bouche un petit billet de papier, où estoit escrit en lettre d’or, Maria : dont chàscun fust fort esbahi. Et à cette raison on fit information du cas, et comme il estoit mort, et on trouva par la femme, par le prestre qui l’avoit confessé et les serviteurs qui l’avoient veu trépasser qu’il estoit décédé en douleur et déplaisir qu’il avoit eu de son péché : par quoy fut mis en terre sainte.

« Et en commémoration de ce, on fit faire une image de Notre-Dame en la ditte église sainct Nicolas, qui est l’image qu’on y voit de présent, où depuis ont été faict tant de miracles au moyen de ce on appela depuis la ditte église Notre-Dame-la-Grande. » — V. Bouchet.

Jetons, en passant près de la porte de cette crypte étroite, un regard dans ses obscures profondeurs. Pendant les jours qui s’écoulent entre le jeudi saint et le jour de Pâques, le Saint-Sacrement y est exposé, et on l’en retire avec pompe pour figurer la résurrection triomphante du Sauveur.

Arrêtons-nous maintenant devant la chapelle qui se trouve à droite : c’est la chapelle de Sainte-Anne, fondée en 1475 par Yvon du Fou, grand sénéchal du Poitou, et Anne Moraude ou Mouraud de Puychévrier, dont elle porte les armoiries sculptées. C’était là qu’était, avant la Révolution, la riche sépulture des fondateurs. Déplorons les ravages et les mutilations dont elle a été l’objet en 1562 ; regrettons le mauvais effet de ces cordes, de ces poids, de ces boîtes, agents nécessaires de l’horloge établie par souscription, avant la Révolution, à la place de celle dont nous avons parlé. Le marteau frappait alors, comme aujourd’hui, sur la plus grosse des cloches de la sonnerie du grand clocher central.

Examinons en détail, et avec le soin dont il est digne, cet autel dû à l’habile ciseau du P. Besny, et qui représente un sujet souvent traité par les imagiers du moyen âge, la généalogie du Sauveur, l’arbre de Jessé ; et, après avoir donné une prière aux vénérables pasteurs dont la dépouille mortelle repose sous ses dalles, nous pourrons contempler à loisir la représentation de l’ensevelissement du Christ.

Cette œuvre, d’un artiste du XVIe siècle, existait autrefois, comme nous l’avons dit (p. 87), dans l’abbaye de la Trinité ; elle était placée à l’extrémité du chœur, près de la grille, du côté de l’épître, et avait été élevée à la mémoire de Marie d’Amboise, abbesse de la Trinité, morte le 8 février 1537, par sa nièce Jeanne de Clermond, fille de Louis de Clermond-Galerande et de Renée d’Amboise, qui fut pourvue de l’abbaye à la place de sa tante, par le roi François Ier, le 27 avril 1537.

On voit sur le sarcophage les armes d’Amboise (palé d’or et de gueules de six pièces).

Cette représentation, dans laquelle le sculpteur a exagéré les détails anatomiques, n’en a pas moins un mérite réel. Les costumes, qui sont ceux du XVIe siècle, peuvent servir de sujet à des études fort intéressantes à cet égard, et nous vous recommandons, si vous êtes dessinateur, de les copier exactement.

Votre croquis vous fournira, du reste, les moyens de constater si, comme on le dit, la France possède dans un très-grand nombre de localités, et entre autres à Moulins, Troyes, Solesmes, etc., etc., la reproduction fidèle de ce groupe.

Le fait est-il vrai ? il prouverait l’existence d’une manufacture de ces produits de l’art sculptural, sorte de passe-partout funéraires, dont la destination spéciale n’aurait été déterminée que par la simple modification des meubles armoriaux personnels aux défunts.

Continuons notre examen.

Ne nous arrêtons point à ces tristes chapelles, elles seront changées plus tard.

Déjà l’une d’elles vient d’être récemment l’objet d’une restauration heureuse et qui mérite d’être signalée.

L’ancienne chapelle de Notre-Dame-de-Pitié, qui suit immédiatement celle des fonts baptismaux, a été, au commencement de cette année, en quelque sorte transformée par le magnifique autel sorti des ateliers de Saint-Hilaire, que dirigent MM. Multon et Charon, dignes successeurs et élèves du R. P. Besny.

Nous avons cité cet établissement page 162, et nous avons le droit de recommander, comme justifiant notre opinion, l’examen de ce nouvel autel de N.-D.-de-Pitié, et le riche retable où se trouve représentée l’agonie du Sauveur.

La chapelle du fond a été, elle aussi, restaurée peu auparavant. Depuis la Révolution, on l’avait vouée à saint Louis ; mais on l’a rétablie sous son ancien vocable de la sainte Vierge, on l’a enrichie, et on lui a rendu ses trois baies romanes primitives. Cette chapelle était autrefois l’autel de la paroisse, qui comptait 250 communiants.

Enfin la chapelle dédiée à saint Joseph a été, toujours par les soins du curé actuel, M. Joseph Creuzé des Châtelliers, et depuis quelques années, entièrement et richement refaite. Son autel, son retable et ses vitraux méritent au moins un regard.

Regrettons le travail et l’argent dépensés dans ce confessionnal que, mieux dirigé, le sculpteur eût pu faire remarquable.

Entrons dans le chœur par la grille latérale au-dessous des cloches. Il y a peu de temps encore, l’autel en marbre était la deuxième moitié de l’autel des Bénédictins de Saint-Cyprien, dont nous avons vu la première moitié dans l’église de Saint-Porchaire.

Il a été remplacé, en 1858, par l’autel actuel, auquel le ciseau du P. Besny a su donner le caractère qui convenait à l’une des parties les plus essentielles d’un des plus complets monuments de l’art roman.

Naguère, au-dessus d’un christ en bois, assez remarquable et qui dominait l’autel, se trouvait un trousseau de clefs noircies par la rouille. C’étaient les clefs qui, suivant la tradition, devaient être livrées aux ennemis par un traître, et qui se retrouvèrent aux mains de la statue de la sainte Vierge, dans l’église Notre-Dame. Aujourd’hui, on a placé ces clefs — et cela était plus conforme à la tradition — entre les mains de la sainte Vierge ; et le christ a été posé vis-à-vis de la chaire.

Quant à la statue elle-même, vous voyez, sinon celle qui fut l’instrument du miracle, et qui fut sans doute détruite lors du sac de Poitiers par les protestants (1562), au moins celle qui l’a remplacée au XVIe siècle.

Une balustrade en pierre sculptée, dans le style du reste de la chapelle et qui ne manque pas de mérite, a remplacé tout dernièrement l’ancienne grille de fer qui entourait le sanctuaire : et au pavé grossier du chœur et du bas de l’autel, on a substitué une belle mosaïque. Puissent ces embellissements de Notre-Dame-la-Grande se continuer, grâce au zèle et à l’intelligence du pasteur qui gouverne cette religieuse paroisse !

La fresque antique qui couvre la voûte dominant le maître-autel a été découverte en décembre 1852. Elle est trop importante, au point de vue de l’art iconographique religieux, pour que nous puissions la passer sous silence.

Nous emprunterons tout naturellement à l’auteur (M. de Longuemar), qui l’a dessinée avec le soin et l’exactitude qui lui sont habituels, la description qu’il en a faite dans le premier Bulletin de 1853 de la Société des antiquaires de l’Ouest.

« Cette vaste composition, qui clora dignement, une fois restaurée, l’ensemble des peintures de cette église empreinte d’un cachet si original, ne comprenait pas moins de trente figures principales, outre de nombreux accessoires ; plusieurs ont presque disparu. Au fond de la coupole, la Vierge, avec l’enfant Jésus sur ses genoux, occupe le centre d’une auréole de forme elliptique brisée, au sommet de laquelle planent deux anges. De saintes femmes, dans l’attitude de l’adoration, se tiennent debout trois par trois de chaque côté.

« Sur les côtés de la coupole qui font retour, les douze apôtres, assis ou debout, dans des niches formées par des arcatures continues, sont rangés six à la droite et six à la gauche du groupe central ; puis viennent deux tableaux d’âmes suppliantes, sous la forme de figures nues et sans sexe, encadrés chacun entre deux archanges qui de leurs gestes désignent le ciel de la voûte. Ce ciel est occupé par un médaillon fort endommagé, qui pourrait avoir contenu une main nimbée, ou peut-être l’Agneau apocalyptique. Entre ce médaillon placé du côté de la nef et le groupe de la Vierge, tout le dos de la voûte était rempli par l’image colossale d’un Christ triomphant au milieu d’une auréole bilobée, à laquelle étaient accolés des anges de support et les tétramorphes évangéliques.

« Ce dernier tableau a été le plus maltraité de tous par l’humidité : on n’y distingue plus clairement que la tête du Christ, la main qui tient le livre ouvert et une portion du manteau.

« Cette grande fresque peinte à deux reprises différentes, ou plutôt modifiée par une seconde application de peinture faite immédiatement sur la première, à une époque postérieure d’un demi-siècle au moins, paraît dater d’une nouvelle dédicace de l’église sous le vocable de Notre-Dame. Dans le premier dessin, c’était le Christ, et non la Vierge, qui occupait le fond de la coupole, car on en voit encore la figure reparaître un peu au-dessous de celle de sa Mère ; sa robe n’a pas été changée, et le second peintre s’est contenté de jeter de longs voiles grisâtres par-dessus, pour opérer la transformation.

« Les chefs des apôtres, qui, dans le tableau primitif, occupaient la tête des rangs au fond de la coupole, ont obligé à un remaniement général de figures, pour les placer du côté de la tête du second Christ peint sur la voûte ; leur position est nettement indiquée à cette nouvelle place par le marchepied d’honneur placé sous leurs pieds. Les traits doubles de quelques contours de figures, les inscriptions tracées à plusieurs reprises confirment de la manière la plus nette le remaniement signalé.

« Le fond de toutes ces fresques, partagé en zones diversement nuées, comme on en trouve des exemples dans le manuscrit de la Vie de sainte Radégonde de la Bibliothèque de Poitiers, les disques au centre desquels les apôtres sont placés comme sous le narthex de Saint-Savin, et ce singulier remaniement dans les figures, indiquent deux intentions différentes dans cette décoration. Tels sont les caractères saillants qu’on peut y remarquer.

« L’épigraphie, bien maltraitée, permet cependant de conclure des formes des trois lettres O M E appliquées postérieurement à la dernière modification de ces peintures, qu’elles datent de la première moitié du XIIIe siècle ; car ces formes, qui n’appartiennent plus à l’onciale pure, ne sont pourtant pas décidément non plus celles des capitales gothiques rondes ; elles indiquent, par conséquent, une époque intermédiaire.

« Le style des figures, qui tient à la fois de la gravité et de l’immobilité romane, et du mouvement propre aux premiers essais du XIIIe siècle, confirme également cette présomption.

« Sans nous arrêter à examiner si un deuxième vocable a été réellement imposé à l’église de Notre-Dame-la-Grande à l’époque où la figure de la sainte Vierge aurait été superposée sur celle de son Fils, ne pourrait-on pas émettre cette opinion :

« Étant données la date du Miracle des Clefs, et, en tout cas, la reconnaissance incontestable de la cité pour la préservation miraculeuse qu’elle croyait devoir à la Mère du Sauveur, et dont elle monumentait le souvenir, à chaque pas, dans ses rues, sur ses ponts, dans ses temples, on serait autorisé à croire que la substitution de l’image de la Vierge Marie à celle de son Fils, dans la décoration principale de l’église de Notre-Dame, a eu lieu à l’occasion et en mémoire de l’événement miraculeux, qui coïnciderait précisément avec l’époque assignée par notre iconographie religieuse à la peinture murale dont nous venons de donner la description. »

Dans le chœur, se trouvent deux lutrins en cuivre, œuvre de moulage et de gravure qui mérite examen.

L’un est aux armes de P. Morin, abbé en 1696. L’autre, installé récemment, vient de l’ancienne abbaye de la Réau, et porte sur le pied trois médaillons gravés indiquant sa provenance : le premier médaillon contient l’image de saint Augustin, dont la règle était suivie à la Réau ; l’autre, l’image de Notre-Dame, sous le vocable de laquelle était placée l’église de cette abbaye ; le troisième enfin porte les armes royales.

Les stalles, qui sont celles des anciens chanoines, et qui étaient séparées du reste de l’église par une muraille précédée d’un jubé, n’offrent rien de remarquable.

Il n’en est pas ainsi de la chaire en bois de chêne, dont les sculptures méritent votre attention. Elle vient de l’ancien couvent des Filles-de-Notre-Dame.

En 1858, on a ajouté au simple pédoncule qui la supportait l’escalier actuel.

Ne regardez point cette chapelle des fonts baptismaux, ni la grille qui la protège : tout cela s’en ira au fur et à mesure que les bonnes traditions catholiques reviendront.

Il est toujours question de reconstruire la sacristie de l’église de Notre-Dame. Où la placera-t-on ? Les avis sont partagés à cet égard. Nous avons pris la liberté de donner carrément le nôtre, sans trop nous inquiéter s’il sera ou ne sera pas suivi.

Nous voudrions que des raisons de convenances locales ou de boutiques — c’est le mot ici — ou même d’économie d’argent, ne fissent pas réédifier cet appendice embarrassant sur les fondements des ignobles masures qui déshonorent depuis si longtemps la base du temple saint sur sa face méridionale.

On devrait s’estimer heureux de la nécessité qui exige leur démolition, et en profiter pour dégager complètement le monument dans la seule partie où l’on puisse, sans grands frais d’imagination ni d’écus, restituer son caractère primitif vrai à l’œuvre du XIe siècle au lieu d’aveugler forcément presque toutes les fenêtres de l’un des bas-côtés et d’écraser par une construction parasite ce qui devrait, au contraire, être mis soigneusement en relief.

Et si, par impossible, il pouvait être question de laisser les abords de l’abside complètement libres aux charrettes, qui n’y devraient jamais stationner, et à l’œil des voisins du sud que flatte une enfilade dont ils se pourraient fort bien passer aujourd’hui comme hier, pourquoi ne songerait-on pas à établir cette malencontreuse sacristie sur la face nord, comme pendant à la chapelle Sainte-Anne, en lui donnant, dans les profondeurs assainies du sol, l’espace que lui disputeront encore des exigences auxquelles on aura toujours tort de sacrifier quelque chose, parce qu’on ne les satisfera jamais ?

Marché de Notre-Dame. — Avant de quitter la place de Notre-Dame, constatons que le dégagement avantageux dont l’église est l’objet, dans la plus grande partie de son pourtour, est dû à l’établissement fait en 1860-61 du marché couvert situé au nord, et qui offre aujourd’hui son abri à l’approvisionnement de la cité et aux nombreux industriels qui y étalent leurs indispensables produits.

Saint-Étienne. — La rue qui débouche de l’Est sur la place de Notre-Dame se nomme ainsi du nom de l’église paroissiale de Saint-Étienne, qui était située au coin de la rue et de l’ancienne impasse Saint-Étienne. C’était un édifice de peu d’importance, et qui menaçait ruine au moment de la Révolution, de telle sorte qu’il était alors question de le démolir. Des propriétés particulières s’élèvent à sa place.

Maison de la Renaissance. — En nous dirigeant sur la rue du Marché, nous verrons sur notre main gauche, no 21, une petite maison dont la façade gracieuse fixera nécessairement votre attention.

Lors même qu’on ne lirait pas sur des cartouches au-dessous de deux de ses croisées la date de 1557, on lui assignerait assurément son âge, qu’elle porte écrit en toutes lettres sur son front rajeuni et mutilé par l’industrie.

Nous regrettons vivement que les recherches de nos devanciers et les nôtres ne nous aient pas permis de lire aussi bien sur cet écusson chargé d’une tour, que vous voyez dans un cartouche au-dessus de la deuxième fenêtre du premier étage.

Nous eussions voulu pouvoir vous dire le nom du propriétaire qui ne rougissait pas d’adresser à tous les passants, au milieu du doute qui se glissait déjà si fièrement dans les esprits, cette profession de foi énergique, noble et grand héritage à conserver :

in deo confido hoc est refugion meum.

Notre-Dame-la-Petite. — Cette église existait à l’angle sud du petit plan que vous voyez à gauche ; elle était paroissiale, fort laide, et avait, comme celle de Saint-Porchaire, deux nefs. La paroisse comptait 500 communiants. Nous avons vu, page 231, qu’avant Charles VII la boucherie se tenait dans la rue des Vieilles-Boucheries, et qu’en 1421 ce prince ordonna qu’il en serait établi une autre en face de l’église de Sainte-Radégonde.

En 1427, elle fut transférée dans une maison voisine appartenant à la collégiale de l’église, et on l’appela la grande boucherie. Elle fut abandonnée sous prétexte que la viande s’y gâtait, et l’on tint la boucherie à la place de Notre-Dame-la-Grande, que nous venons de quitter, et au marché vieil (la place d’Armes, au lieu où se trouve bâtie actuellement la salle de spectacle. V. p. 59).

Enfin, en 1805, les habitants de la place du Marché achetèrent de leurs deniers l’église de Notre-Dame-la-Petite, qui fut démolie, et sur l’emplacement de laquelle on éleva la boucherie démolie en 1861, époque à laquelle ses hôtes durent transporter leurs provisions nécessaires dans les marchés couverts de Notre-Dame et de Saint-Hilaire, où nous les avons vus établis.

Il paraîtrait, d’après certains titres, qu’il existait d’autres boucheries, et que certaines corporations avaient leurs boucheries particulières. D’autres avaient leur banc spécial à la boucherie publique.

Ainsi, en 1346, il y avait une boucherie dans la rue de la Bretonnerie ; le 7 février de cette année-là, eut lieu un bail à rente d’un banc en la boucherie de Poitiers, près du banc de l’abbé de Saint-Hilaire de la Celle.

Enfin, en 1443, le Chapitre de Saint-Hilaire avait sa boucherie établie près de l’hostel de MM. de Luçon (les Trois-Piliers; v. ci-après).

Certes, les cordons bleus d’alors devaient se louer d’une disposition qui leur évitait les fatigues dont leurs héritières sont peut-être en droit de se plaindre : il est vrai qu’alors (par compensation) on ne connaissait pas les omnibus..., et peut-être aussi un peu moins le saut de l’anse du panier, qu’autorise sans doute, aujourd’hui — toujours par compensation — un plus grand labeur.

Poursuivant notre course, si nous voulions savoir ce que c’est que l’Echelle du Palais, nous suivrions cette ruelle à droite, véritable échelle de pierre, qu’on dit être pourtant beaucoup plus belle, plus propre et mieux aérée qu’au temps où de sales échoppes la bordaient et l’encombraient dans tout son parcours ; mais il vaut mieux continuer notre marche.

Sur la main gauche, la maison du numéro 7 était jadis décorée sur sa façade du pélican que nous avons vu déposé au musée des antiquités de l’Ouest (v. p. 254), et qu’on a eu tort d’arracher à cette façade, même rajeunie, pour laquelle il signifiait que là était autrefois la maison des fameux imprimeurs Marnef. Ce blason de vieille noblesse industrielle était bon à conserver là.

Les Jacobins. — Suivons la rue des Jacobins. Au point où vient déboucher à gauche la rue que nous avons appelée de Bourbon-Orléans pour satisfaire tous les goûts (attendu que nous l’avons entendue nommer successivement de ces deux noms), vous apercevrez un pilastre cannelé d’ordre dorique, surmonté d’un reste d’entablement et d’une frise décorée des triglyphes de rigueur.

C’était autrefois la porte d’entrée du monastère des Jacobins, aussi connus sous le nom de Dominicains ou Frères Prêcheurs.

Les enfants de saint Dominique furent appelés à Poitiers, de 1217 à 1222, par l’évêque Guillaume IV du nom, et ce fut le doyen de l’église cathédrale, Philippe, depuis évêque à son tour, qui fut leur principal bienfaiteur en leur donnant l’église dite de Saint-Christophe, dont la cure fut réunie à Notre-Dame-du-Palais. Nous ignorons la situation de cette église ; mais nous devons présumer qu’elle n’était pas éloignée de l’emplacement occupé par le monastère des Jacobins.

N. B. À l’appui de ce texte de nos précédentes éditions nous sommes autorisé à citer l’opinion de l’auteur d’une monographie qui se prépare en ce moment sur l’ancien couvent de Saint-Christophe ; en effet, cet auteur, un dominicain, croit avoir retrouvé quelques vestiges de cette église dans la maison qui forme l’angle de la rue.

Aux dons de l’Évêque, la reine Blanche ajouta celui d’une place dont les Religieux firent la cour de leur maison. Une note que nous possédons assure que l’église des Jacobins fut bâtie par les seigneurs de Morthemer et de Couhé. La date n’en est pas fixée.

Hugues du Puy du Fou, sénéchal de Poitou sous Aliénor et Philippe-Auguste, et Valence de Lusignan, sa mère, ayant été inhumés dans l’église, de nouvelles donations lui furent faites, et plus tard, en 1310, Guy de Lusignan, comte de la Marche et d’Angoulême, étant mort à Poitiers, y fut aussi enterré, et sur sa tombe on représenta son image en cuivre, qui fut détruite par les protestants. Du cuivre ! cela pouvait se fondre… et se vendre, après !

Un demi-siècle auparavant, cette église des Jacobins avait reçu de nobles dépouilles. C’étaient celles d’une partie des chevaliers et écuyers qui avaient succombé dans les plaines de Maupertuis (19 septembre 1356), et parmi lesquels nous citerons le duc de Bourbon, le maréchal de Clermont, un Rochechouart, un La Rochefoucauld, etc. Leurs armoiries furent peintes comme aux Cordeliers, à fin de perpétuelle mémoire.

Que sont devenus les Religieux chargés de prier sur ces tombes ? Que sont devenues les voûtes qui les abritaient ? Tout a disparu au souffle des révolutions, et chaque jour, en passant sur ces pierres de la voie publique, nous foulons aux pieds la cendre ignorée de ces grands d’autrefois qui expièrent au moins par une mort généreuse leur impétueuse folie. Nous avons vu, à l’article des Cordeliers, page 220, que pendant le séjour que fit le roi Philippe le Bel à Poitiers, à l’occasion de la grande affaire de la suppression des Templiers, il s’établit aux Jacobins, d’où il pouvait communiquer facilement, à l’aide d’un passage intermédiaire, avec le chef de l’Église.

Avant la dernière bourrasque politique qui balaya le monastère des Jacobins, et trois ans avant le fameux pillage protestant de 1562, ce monastère avait eu le privilége d’une émeute huguenote, à la suite de laquelle son église avait été saccagée. C’était le 27 mars 1559, le lendemain du jour de Pâques.

Le mal fut grand ; il entraîna des pertes considérables et provoqua de rigoureuses représailles, qui n’empêchèrent point le renouvellement de ces actes coupables trois ans après.

Les bâtiments, ébranlés par ces attaques successives, résistèrent pourtant encore pendant de longues années ; mais, à la fin du XVIIe siècle, il fallut songer à les reconstruire. La première pierre ne fut cependant posée que le 22 mars 1714, après avoir été bénite par l’évêque de Poitiers.

L’église, qui s’ouvrait en face de la grande porte, était vaste et élevée ; nous avons vu son autel et son retable dans la chapelle de la paroisse, à l’église cathédrale. De nombreuses stalles se développaient dans le chœur en avant de l’autel. Elles étaient occupées plusieurs fois dans l’année par les membres de l’Université en grand costume, qui venaient y célébrer leurs cérémonies et processions spéciales.

Le monastère des Jacobins était, en effet, le véritable chef-lieu de notre Université, et c’était là, dans une vaste salle qui leur était destinée, que ses membres se réunissaient quand l’exigeaient les circonstances.

À l’origine de l’Université de Poitiers, dès 1431, les premiers exercices avaient eu lieu aux Jacobins, et ce fut dans ce sanctuaire de la science que se firent aussitôt les cours de la Faculté de théologie, plus tard divisés en deux cours fort nombreux, dont le second se fit au collége de l’Université, appelé collége de Sainte-Marthe.

Ces cours, qui, dans les derniers temps, devaient être suivis pendant trois années, sans compter les deux années préalables de philosophie, étaient faits par des Religieux de l’Ordre, parmi lesquels on a compté des professeurs doués d’un véritable talent.

Au bout des trois années, ou, moyennant dispense, après deux années de théologie, on était admis au séminaire, où l’on recevait les Ordres sacrés.

Quant aux grades dans la faculté, il fallait les conquérir en outre par des épreuves et des thèses publiques. Ces épreuves étaient nombreuses avant que l’on pût atteindre au doctorat. Pour avoir le droit de couvrir son chef du bonnet de docteur, on devait se faire recevoir maître ès-arts (v. page 246), puis subir deux examens sérieux, puis soutenir une thèse solennelle (la thèse tentative).

Au bout de deux années, pendant lesquelles il fallait assister à toutes les thèses et y argumenter, sans préjudice des trois thèses personnelles mineure et majeure ordinaire et opportunique (la sorbonique de Paris), on était enfin admis à soutenir la thèse aulique.

C’était, comme nous l’avons dit, dans l’église de Sainte-Opportune (in Scholis Opportunicis) qu’avaient lieu les actes pour les grades de la Faculté de théologie ; nous en avons dit les motifs, page 181.

L’Université assistait en corps à ces thèses, et la cérémonie s’ouvrait par un discours latin de quelques phrases que prononçait un enfant en costume ecclésiastique, et qui commençait toujours par ces mots : Rector magnifice, proceres academiæ sapientissimi, baccalaurei subtilissimi, omniumque ordinum auditores ornatissimi, etc. Les dragées, dont l’apprenti orateur était ordinairement bourré après la représentation, n’étaient pas sans doute ce qu’il goûtait le moins dans le chef-d’œuvre d’éloquence du soutenant.

Les docteurs en théologie, tous ecclésiastiques, portaient sur leur soutane une épitoge, ou camail en fourrure d’hermine : c’était le grand costume de la Faculté. Elle avait son bedeau particulier, dont la masse d’argent pur représentait un clocher gothique orné d’ogives, de trèfles et de découpures gracieuses.

Au moment de la Révolution, les Pères Jacobins étaient réduits à six Religieux, y compris le prieur. Ils fournissaient des prédicateurs à la ville. Nous retrouverons leurs successeurs établis dans l’ancien couvent des enfants de saint Benoît. — V. ci-après, en l’article de l’abbaye de Saint-Cyprien.

Écoles chrétiennes. — Dans une partie des anciens bâtiments occupés autrefois par les Jacobins, exista pendant quelques années, comme nous l’avons dit à propos du collège des Jésuites, un établissement libre d’instruction secondaire, sous le titre et la protection de saint Vincent de Paul. Il était tenu par des ecclésiastiques, et fut remise en 1854, aux mains de RR. PP. Jésuites, qui, en abandonnant cet asile pour transporter leur collége où nous l’avons vu, ont cédé leur place aux Religieuses hospitalières, remplacées aujourd’hui par le Pensionnat des Frères des Écoles chrétiennes.

Reprenons notre course, et revenons un peu sur nos pas.

Suivons la rue de l’Éperon, autrefois du Grand-Éperon, qui commence à cet hôtel décoré sur le flanc d’une grille de fer. L’hôtel de la Barre (c’était son nom) fut l’hôtel de l’intendance pendant l’administration de M. Boula de Nanteuil. Nous sommes heureux de trouver, en passant, l’occasion de citer ce magistrat, dont le zèle et la charité sont consacrés à Poitiers par la magnifique médaille qui lui fut offerte au nom de la cité reconnaissante, qu’il avait su protéger contre la terrible disette de 1785.

Voici cette médaille, fort remarquable à tous égards et que nos lecteurs aimeront assurément à connaître.

Elle est l’œuvre du célèbre Duvivier, graveur général des monnaies et médailles du Roi.

Le revers est occupé par l’inscription latine suivante :

antonio fr. alex.
boula de nanteuil
qui
regn. munificentissimo
ludovico xvi
provinciæ picton. præfectus
illi gravis annonæ
difficultate oppressæ
frumentum subministrari
providentissime curavit
hoc grati animi monum.
pictav. municipum
vovet consecrat
mdcclxxxvi.

« À Antoine-François-Alexandre Boula de Nanteuil, qui, sous le règne du très-bienfaisant Louis XVI, étant intendant de la Province de Poitou, alors désolée par une grande pénurie de subsistances, s’employa, avec la plus rare prévoyance, à l’approvisionnement des grains, la ville de Poitiers vote et consacre ce monument de reconnaissance 1786. »

L’ancien hôtel de l’Intendance est aujourd’hui celui de la succursale de la Banque de France. Prenez-en note, en cas de besoin.

Les deux portes qui suivent sont celles de notre intelligent imprimeur, dont le vaste et important établissement prend chaque jour, en France, une extension croissante, et jouit d’une réputation méritée.

Allons ! si peu que vous ayez à communiquer au public, en observations politiques, critique, littéraire, impressions de voyages (et certes, celui que nous faisons ensemble doit vous fournir ample matière à impressions), entrez, dites un mot, et… vous serez imprimé !

La rue qui vient couper en diagonale la rue de l’Éperon est la rue de l’Ancienne-Comédie, ainsi nommée de la salle de spectacle qui s’y trouvait autrefois et qui a été remplacée par la maison no 16 ; c’était un monument fort laid, fort sale, fort enfumé, sans décoration, sans machines.

Il avait été formé avec les restes d’un ancien jeu de paume, et il en avait tous les défauts. On ne peut imaginer rien de plus triste et de plus maussade. À Poitiers, la troupe des comédiens, comme on disait alors, était à peu près permanente et jouait ordinairement l’opéra.

Les rues du Chaudron-d’Or et de la Galère (noms qui leur viennent d’enseignes de boutiques) nous ramèneront à la place d’Armes.

Notez, en passant, un point essentiel : au milieu de la rue du Chaudron-d’Or, sur la main droite, se trouve le bureau de la poste aux lettres.

Arrivés sur la place d’Armes, repassons devant la salle de spectacle, au-dessous de la méridienne qui fait le bonheur des membres de cet ordre régulier que les historiens modernes appellent indifféremment l’ordre du cherche-midi ou des chevaliers du soleil.

La maison qui fait le coin des rues du Plat-d’Etain et de Saint-Porchaire était, il y a de longues années, occupée par un orfèvre nommé Mervache, dont la femme, enterrée vive, dut à la bague de prix qui avait tenté la cupidité d’un fossoyeur, la deuxième moitié d’une existence fort longue et fort bien remplie.

Les Halles. — Suivons la face ouest de la place d’Armes, puis la rue des Halles, ainsi nommée de l’hôtel et établissement qui y existaient dès le XIIe siècle. Ce fut, en effet, en 1188 que Geoffroy Berland obtint de Richard Cœur-de-Lion la permission d’établir une halle, où les marchands qui venaient à la foire du Carême seraient tenus de vendre leurs marchandises moyennant un droit de location.

L’un de ses descendants, Herbert Berland, ayant été fait prisonnier par les Anglais, lorsqu’ils s’emparèrent de Poitiers sous le commandement du comte Derby, fut à peu près ruiné par la rançon qu’il lui fallut payer, et ce fut pour l’indemniser de ces pertes que le roi Philippe de Valois, par lettres données à Paris le 16 décembre 1347, ordonna que la foire qui se tenait pour la Saint-Luc à la Pierre-Levée, se tiendrait dorénavant, ainsi que celle du Carême, dans les halles de Herbert Berland, avec droit d’hostelage.

De la famille Berland, les halles passèrent à Jean Mérichon, conseiller et maître des comptes du roi, époux de Jeanne Berland.

Rebâties en 1454, elles furent la source de nombreux procès, en raison de l’arbitraire qui régnait dans la taxation des bancs. À cette époque, la foire de la Mi-Carême durait déjà huit jours ; celle de Saint-Luc, trois jours seulement. Les halles étaient divisées en parties affectées aux merciers et aux drapiers.

Le fief des Halles passa à la famille de Montbron, par mariage avec Guyonne Mérichon, en 1466. Brûlées en partie en 1529, puis en 1572, rétablies par René Brochard en 1599 avec les droits résultant de l’établissement de deux nouvelles foires aux jours de saint Simon (28 octobre) et de saint Nicolas (6 décembre), créées par lettres patentes du 28 septembre 1577, elles passèrent dans la famille de Goret en 1646.

Adjugées à la communauté des Hospitalières, le 21 janvier 1704, au prix de 11 000 livres, elles ne furent point enclavées dans l’enclos de ces Religieuses, sur l’opposition que fit le corps de ville à leur demande. En 1728, les Hospitalières affermèrent les bancs et boutiques au prix de 110 livres par an, et en 1775 au prix de 370 livres par an.

En 1753, quatre nouvelles foires furent établies, au 13 janvier, au lundi des Rogations, au 26 juin et au 1er septembre, ce qui n’empêcha pas le commerce de Poitiers de demander et d’obtenir, par ordonnances du 19 mars 1829, une troisième foire de huit jours pour le 16 mai. Les deux plus anciennes sont encore les plus fréquentées

Au reste, à Poitiers comme partout ailleurs, les facilités de communications, jointes aux ressources qu’offrent les magasins de la ville, de mieux en mieux approvisionnés — si toutefois la pompe aspirante de Paris ne les met pas à sec eux-mêmes — tendent à annuler complètement ces antiques réunions, où le commerce, fort restreint alors, était obligé de venir chercher un aliment à son activité. (V. le Mémoire de M. Rédet sur les Halles.)

Les Halles, devenues propriété communale, ont été reconstruites en 1835, sous l’administration de M. Régnault de Lapparent, maire de Poitiers. Elles ont coûté 100 000 fr., et sont actuellement affermées 10 425 fr.

Hôtel des Halles. — Derrière les Halles, qui étaient protégées sur leur façade par une tour et un pavillon, se trouvait l’hôtel des Halles, qui avait été habité par les seigneurs de ce fief, et dans les derniers temps par les gouverneurs de la ville : sa cimétrie et structure le mettant hors d’insulte et en seureté contre les émotions populaires.

Sur une partie de l’emplacement de cet hôtel, qui appartenait depuis 1704 aux Hospitalières, se trouve aujourd’hui établi le Minage.

Anciennes Hospitalières. — À côté, sur la gauche, se trouvait le couvent des Hospitalières que nous avons vues établies en ce moment dans l’ancien couvent de Sainte-Croix. — V. page 145.

Ayant acquis, comme nous l’avons dit plus haut, en 1655, leur maison de la rue des Trois-Piliers, elles s’y retirèrent.

Une petite porte sculptée, engagée dans le mur au-dessus du niveau du sol, indique l’entrée extérieure de la chapelle des Hospitalières.

L’enclos de ces Religieuses comprenait un espace immense entre la rue des Trois-Piliers et la rue des Hautes-Treilles, dont une partie est occupée maintenant par l’établissement dit de la Grand’Maison, dont nous avons déjà parlé, p. 56.

Pendant la Terreur, le couvent des Hospitalières devint une prison de suspectes.

C’est aux environs des Halles que se trouvent situés la plupart des hôtels, auberges et restaurants qui vous offriront leur gracieuse hospitalité… « en payant », comme dit Rabelais.

Plus tard, nous changerons bien aussi cela. Et lorsque, tout étant à tous et rien à personne, chacun pourra, en vertu du droit à la vie, demander à chacun le pain, le vin, l’eau, le feu, le vêtement, le lit, le couvert, la vie enfin, sauf à se voir refuser, en vertu de la liberté individuelle, toutes ces choses que chacun apparemment ne sera point forcé de produire pour chacun, oh ! alors… comprenez-vous ?…. Eh bien ! alors vous aurez tout… ou rien, pour rien ; alors vous n’aurez plus besoin de monnaie pour aller à l’hôtel de France, ou à l’hôtel des Trois-Piliers, ou l’hôtel de l’Europe ; mais, par exemple, alors l’hôtel de l’Europe, l’hôtel des Trois-Piliers et l’hôtel de France pourraient bien faire de triste cuisine… s’ils font de la cuisine, et… alors… gare la faim !

Mais alors, aussi, vous jouirez d’une bonne compensation : vous ne serez pas, soyez-en sûr, entouré, pressé, bousculé, ahuri, au saut d’un train faisant temps d’arrêt, par cet empressement culinaire, qui court risque de faire revivre bientôt le supplice réservé naguère aux criminels de lèze majesté ; vous ne redouterez plus l’écartèlement dont vous menacent les héritières des traditions coustellières qui vous poursuivent, aujourd’hui, de leurs bruyantes invitations, comme, au temps du pauvre Golnitz, ce voyageur allemand de 1631, faisaient les Châtelleraudaises lui imposant leurs couteaux, de par la loi (veluti ex lege) — c’est lui qui l’a écrit ainsi.

Il est vrai que, par système de pondération, la Constitution aura peut-être établi le droit au travail, et alors, en vertu de ce droit, ex lege… Eh ! parbleu ! vous vous en tirerez comme vous pourrez…

Reprenons l’histoire de nos monuments : ce sera beaucoup plus clair, même pour ceux dont l’histoire est la plus obscure.

Les Trois-Piliers. — La rue des Trois-Piliers tire son nom de l’hôtel qui se trouve situé à l’embranchement de la rue du Petit-Bonneveau. Cet hôtel est fort ancien, et Thibaudeau prétend qu’il y avait là autrefois une des portes de ville.

Ce qu’il y a de certain, c’est qu’en novembre 1256, Guillaume Grossin, habitant de Poitiers, fait don aux abbé et monastère de Luçon d’un hébergement appelé les Piliers-Gauthier.

En 1443, un procès entre l’église de Luçon et celle de Saint-Hilaire fixe les droits de chacune des églises, et en 1468 l’hôtel est affecté à la personne de l’Aquarius de l’église de Luçon.

En 1522, la ville ordonna la construction de la grande rue tendant des Trois-Piliers à la porte de la Tranchée. Cette rue s’appelait autrefois, jusqu’à la rue de la Baume, rue de la Messagerie, parce que la messagerie était établie vis-à-vis des Trois-Piliers. Comme vous le voyez, la spécialité de ces lieux n’a pas changé avec les révolutions.

C’est encore là qu’aboutissent, comme à un centre obligé, les voitures publiques, les messageries qui vous ont conduit dans nos murs et qui vous emmèneront bientôt loin de la cité dont vous vous faites l’hôte passager. En attendant, continuons notre marche.

Nous soupçonnons que le mouton sculpté en relief sur la maison à gauche, au no 59, près de la rue de la Traverse, était une enseigne de boutique qui avait donné son nom à une partie de la rue des Trois-Piliers, qu’on appelait rue du Mouton, près la rue de la Truie qui file.

Ce dernier nom était encore dû sans doute à une autre enseigne, à laquelle on ne contestera pas du moins le mérite de l’originalité : ce n’est pas d’aujourd’hui, vous le voyez, que le charlatanisme a cherché les moyens d’exciter l’achalandage des pratiq… nous voulons dire des clients.

Poursuivons.

Ancienne Magnanerie. — La maison no 86, située en face de la rue de la Baume, rappelle un des essais de M. de Blossac, intendant du Poitou, dont nous allons bientôt retracer les services.

Pour doter la ville de Poitiers de l’industrie séricicole, il fit bâtir la maison que vous voyez. Ce devait être la Magnanerie. Les mûriers destinés à la nourriture des vers à soie étaient plantés dans les terrains vagues qui garnissaient alors, des deux côtés, la rue de la Baume, et dans l’intérieur des carrés de la promenade de Blossac.

Cet essai n’ayant pas réussi, le successeur de M. de Blossac, M. Boula de Nanteuil, fit de l’enclos de la rue de la Baume, à droite, un jardin botanique qui fut transféré par la Révolution au jardin de l’École centrale (collége royal) ; expulsé par le Lycée, il se réfugia aux Pénitentes ; expulsé par le Séminaire, il demanda asile auprès des boulevards, et enfin il obtint une toute petite place dans un coin de la pépinière départementale, d’où il faillit être encore chassé par les mûriers que lui-même avait remplacés dans la rue de la Baume, en attendant qu’il allât enfin terminer son odyssée près de l’École de médecine, qui sera pour lui sans doute, désormais, le port sûr depuis si longtemps cherché. — V. p. 188.

La magnanerie de M. de Blossac était tenue par la famille de son maître d’hôtel, dont le fils s’est distingué pendant la Révolution, au service de plusieurs puissances étrangères, par une bravoure brillante, et a conquis sur les champs de bataille le titre de baron et les plus glorieux insignes de l’honneur. (V. notre article sur le baron Crossard, Dict. des Familles de l’ancien Poitou, t. Ier, p. 724.)

Les Capucins, autrefois Saint-Grégoire. — A l’extrémité de la rue qu’on appelait alors fort souvent la Baume des Capucins, et qui s’appelle aujourd’hui rue de la Baume, à droite de cette grande porte qui donne entrée dans une maison de bains publics (no 1), se trouvait le couvent des Capucins.

Là existait très-anciennement le cimetière de Sainte-Loubette, du nom de la sainte qui y avait été, disait-on, enterrée. Nous avons parlé déjà de cette sainte et de la légende qui s’y rapporte (p. 83).

Plus tard, une église s’éleva près de sa tombe, sous le vocable de Saint-Grégoire. Elle fut placée dans la dépendance de l’abbaye de la Trinité avant 1119. En 1607, les Capucins étant venus s’établir à Poitiers, sur la demande et les instances de MM. de l’hôtel de ville, ce fut à Saint-Grégoire qu’ils se placèrent, et les nouveaux bâtiments furent commencés en 1610, sous la mairie de François l’Aiguillier.

L’église, dont la première pierre fut posée par les membres du présidial, fut consacrée, le 1er janvier 1614, par Mgr de la Roche-Pozay, évêque de Poitiers.

Avant la Révolution, les Capucins étaient au nombre de douze. Ils prêchaient beaucoup, servaient d’aumôniers à plusieurs communautés et étaient les directeurs de conscience d’un très-grand nombre de fidèles.

Détruit par la Révolution, qui n’a laissé debout que le chœur des Religieux, ce monastère occupait, entre les rues des Capucins, du Rempart-de-Tison et Derrière-le Petit-Séminaire, le vaste enclos où se trouve actuellement le magasin à fourrages, que notre orgueil décore du nom d’Arsenal, peut-être pour conserver à la postérité le souvenir des espérances déçues depuis, qui jadis firent croire un instant à la possession du magnifique établissement militaire dont la ville de Châtellerault a le droit d’être fière.

Le Petit-Séminaire. — À l’extrémité de la rue de ce nom, à gauche de l’établissement des Capucins, existait autrefois le séminaire de Saint-Charles ou petit séminaire, tenu, comme le grand séminaire, par la congrégation des Lazaristes.

Ce monument, devenu caserne d’infanterie du Petit-Séminaire — (singulière alliance de mots qui révèle de singulières choses), disions-nous en 1867, mais pas si singulière en 1872, par ce temps de militarisme franco-prussien — n’avait rien de remarquable ; il ne possédait pas même de chapelle ; c’était dans une salle basse que se célébrait, à huis clos, l’office divin. Le petit séminaire avait pour maison de campagne la propriété de Chaumont, située près de Croutelle.

Le Calvaire. — Sur le plan de ce nom, situé près de la caserne du Petit-Séminaire, existait, au lieu où se trouve la maison no 17, le couvent du Calvaire, dont le vaste enclos, qui s’étendait jusqu’aux boulevards, est divisé aujourd’hui entre plusieurs propriétaires, jardiniers et autres.

Les bâtiments et la chapelle de cet établissement n’avaient rien de remarquable.

Les Religieuses de cet Ordre sont aujourd’hui réunies, comme nous l’avons vu (p. 177), dans l’ancienne maison des Religieuses de l’Union-Chrétienne, rue des Trois-Cheminées.

Usine à gaz. — En suivant la rue Derrière-le-Petit-Séminaire, on arrive à l’usine qui fournit à la ville l’éclairage au gaz. Cet établissement, l’une des créations modernes les plus utiles, a été élevé en 1845, sous l’administration de M. Bouriaud, maire de Poitiers.

Porte de Tison. — Au bas de la rue sans nom qui conduit au boulevard de Tison, à peu près en face de cette rue, existait autrefois une fausse porte de ville, au-dessus de laquelle fut établie, lors du siége de 1569, une plate-forme munie d’artillerie qui fut d’une grande utilité pour protéger la ville de ce côté, où les chaussées du moulin de Tison la rendaient plus faible.

Au bas de l’escalier actuel, qui conduit à un abreuvoir, se trouve une pierre sculptée représentant un évêque tenant sa crosse à la main. Sous ses pieds on lit ces mots : bornes de Saint-Hilaire ; c’était là, en effet, que s’arrêtaient, de ce côté, les limites du bourg et de la juridiction de Saint-Hilaire.

Parc de Blossac. — Suivons, en remontant au sud, la pente du boulevard, et, tout en admirant le joli paysage qui se déroule sous nos yeux avec les eaux tranquilles du Clain, disons l’histoire de notre promenade, ce magnifique fleuron de notre modeste couronne poitevine.

M. Paul-Esprit-Marie de la Bourdonnaye, chevalier, comte de Blossac, venait d’être nommé intendant de la généralité du Poitou, dans laquelle il ne cessa, pendant 35 années (de 1751 à 1786), de favoriser toutes les choses bonnes et utiles.

Dès 1752, voulant donner du travail aux indigents, qui n’en trouvaient alors nulle part, il fit commencer la promenade qui porte aujourd’hui son nom. Ce n’était alors qu’un terrain vague, montueux, coupé de rocs et de ravins, provenant originairement, croyons-nous, d’une famille de Gilliers, dont il portait le nom.

Un acte du 3 décembre 1753 parle en effet de la cession faite, pour l’embellissement de la ville, d’un terrain situé bourg de Saint-Hilaire, au canton de Gilliers. Ce terrain se trouvait alors coupé par deux rues allant de celle de la Tranchée aux remparts de Tison dans le sens de l’ouest à l’est ; l’une d’elles, la plus près du rempart sud, se nommait rue de Beauvais ou de l’Engin.

Nous avons lieu de croire que, sous la domination romaine, c’était un vaste cimetière. En effet, lorsque les bras nombreux que M. de Blossac mit en œuvre remuèrent le sol et creusèrent les tranchées, ils mirent à nu plusieurs sépultures gallo-romaines dans lesquelles on recueillit des vases funéraires de toutes formes et de toutes dimensions, parmi lesquels plusieurs étaient d’un travail digne d’inspirer notre industrie moderne.

Les dessins de ces meubles remarquables existent à la bibliothèque publique, et ont été reproduits, avec le plan de Blossac, dans les Monuments du Poitou, publiés par MM. Gibault et de la Fontenelle. Notre musée en possède même quelques échantillons.

Bientôt les ravins furent comblés, les rocs en saillie disparurent, et à la place de toutes ces laides choses s’éleva une promenade plantée d’arbres dessinant de longues allées droites qui se coupaient, se croisaient pour se réunir, et que séparaient des massifs habilement disposés.

Tout cela était l’œuvre des bras du pauvre, qui y avait trouvé du pain, l’œuvre d’un administrateur bienfaisant et éclairé, l’œuvre d’un ingénieur des ponts et chaussées, qui mérite qu’on vous dise son nom, puisque sa science ne dédaigna point de tracer les modestes plans d’une humble promenade : il s’appelait Bonichon.

Néanmoins, cette œuvre était incomplète. Les lignes verdoyantes, les allées sablées s’arrêtaient à moitié de leur parcours actuel. En 1771, M. de Blossac reprit donc ses travaux, et bientôt la promenade achevée reçut le nom de l’administrateur dont elle était le bienfait et l’ouvrage.

C’était justice, et nous ne voyons rien d’exagéré dans ce plan géométral du monument qui fut alors dédié à M. l’Intendant, avec cette épigraphe : Semper honos, nomenque tuum, laudesque manebunt. Seulement, la prédiction ne se vérifia point complètement.

Il est vrai que le rédacteur de la devise dédicatoire ne pouvait supposer qu’à quelques années de là il pût se trouver des hommes assez oublieux d’un passé si récent et si honorable, pour oser fouler aux pieds, non-seulement les armoiries du généreux administrateur, — « de gueules à 3 bourdons de pèlerin d’argent », — mais son nom vénéré, et substituer au baptême de la reconnaissance populaire le baptême de l’ingratitude et de l’envie… En 1793, le parc de Blossac était le parc national.

Auparavant, et alors qu’il n’était encore qu’en voie d’achèvement, il avait subi une mutilation déplorable. Les officiers du régiment du roi, alors en garnison à Poitiers, excités par les fumées d’une longue orgie, trouvèrent très-plaisant de couper en une nuit tous les arbres récemment plantés. La plaisanterie fut avec raison jugée de très-mauvais goût : le régiment dut quitter la ville, et les principaux coupables furent punis de leur sotte équipée par la privation de leur grade. C’était justice.

D’après les projets primitifs de M. de Blossac, deux pavillons élégants devaient offrir aux promeneurs un asile contre le froid et les chaleurs ; mais ce qui eût constitué un ensemble plein de magnificence, ce qui eût honoré à jamais la mémoire de l’Intendant, en métamorphosant une portion peu brillante de la vieille ville de Poitiers, c’était le beau projet conçu par M. de Blossac de réunir la nouvelle promenade à la place Royale par une grande et large rue droite, qui eût reçu des constructions monumentales pour l’intendance et les administrations, et qui eût été bâtie sur un plan uniforme.

Ce projet gigantesque ne pouvait s’exécuter qu’à force d’argent. Or, M. de Blossac ne voulait point en demander à de nouveaux impôts : il eut donc recours à l’économie ; lui, si généreux, se fit « chiche et quelquefois absolument négatif » : par ce moyen, il avait déjà, au bout de quelques années (1778), amassé la somme, énorme alors, de 50 000 écus, justement la moitié de ce qu’il fallait, lorsque le financier Necker devint contrôleur général.

Le Génevois n’était pas obligé d’avoir un cœur poitevin : aussi ne voulut-il point écouter les suppliques de M. de Blossac. Les fonds économisés durent être retirés des mains du dépositaire qui les faisait valoir, pour être versés au Trésor, qui « offrait plus de garantie et de sûreté ».

Où trouver un banquier plus sûr et plus solvable ?
Et de fait, cet honnête et fidèle comptable
Sut si bien garder nos écus,
Qu’on ne les revit plus...

C’était préluder à la grande banqueroute par une petite.

Nous avons lu les opinions fort controversées des historiens, des politiques et des économistes sur la dose de reconnaissance que la France doit au contrôleur génevois. Si l’appoint nécessaire pour faire pencher la balance en sa faveur devait venir de la ville de Poitiers, nous doutons fort qu’elle le fournît ; et en conscience, elle aurait raison. (V, pour plus de détails, l’article de M. David de Thiais, Spectateur, 1840, et celui de M. le conseiller Pilotelle, au XXIIe vol. des Mémoires de la Société des antiquaires de l’Ouest.)

Depuis son achèvement, vers 1772, la promenade de Blossac a reçu peu de modifications matérielles. Cependant ce n’est qu’en 1786 que l’on construisit la partie du rempart qui la termine au sud, et l’on eut le bon esprit de copier le style des fortifications du moyen âge.

La tour qui forme le coin de la terrasse du bord de l’eau, et d’où l’on aperçoit, à l’extrémité de l’horizon, la pyramide de pierre du clocher de Saint-Benoît, s’appelle la tour à l’Oiseau. C’était là que les arbalétriers et arquebusiers venaient s’exercer au tir à l’oiseau.

La tour dont la base se baigne dans les eaux du Clain s’appelle la tour des Bouchers. La porte du milieu, donnant sur la Tranchée, fut aussi ouverte avant la Révolution.

Le vaste boulingrin où se réunit la population poitevine aux jours des grandes solennités, des feux de joie officiels et des feux d’artifice nationaux, était coupé en deux parties, dont l’une formait un labyrinthe assez épais qui dut être détruit plus tard.

Voici quelles étaient et quelles sont encore les dimensions du parc de Blossac :

Contenance,             9 h. 31 a. 20 c.
Longueur depuis la porte d’entrée jusqu’au rempart,                           535 m.
Dans sa plus grande largeur,                           240
Dans sa plus petite largeur,                           110
Largeur de la grande allée,                             10
Largeur des allées latérales,                               6
Longueur du boulingrin,                           160
Sa plus grande largeur,                           100
Sa plus petite,                             65
Longueur intérieure du grand carré,                             50
Largueur intérieure du grand carré,                             40
Diamètre intérieur du rond-point,                             50

C’est en 1837, sous l’administration de M. Régnault de Lapparent, maire de Poitiers, que les vieux arbres plantés par M. de Blossac, et qui dépérissaient, ont été remplacés par de jeunes tilleuls. Ils forment maintenant une large bande de verdure favorable aux promeneurs que vous y verrez se presser aux jours de fête, après midi en hiver, et le soir en été, « surtout quand le colonel du régiment « en garnison a la galanterie — (et un colonel est toujours galant) — d’ajouter le « charme d’une délicieuse musique aux plaisirs des yeux et de la promenade. »

Encore un changement à apporter à notre prose de la lre édition. Il n’y a, d’ordinaire, qu’un régiment de cavalerie qui tienne garnison à Poitiers. Or, voilà que les régiments de cavalerie n’auront désormais plus de musique. Ah ! si les Poitevins eussent été consultés quand il s’est agi de décréter cette importante mesure prise contre les musiciens..... à cause de leurs chevaux !! — 2e édition.

(Une réflexion. MM. les Prussiens usant et abusant de la musique, il se pourrait bien qu’on nous rendît les musiques militaires si chères à nos vieux souvenirs.)

Ce bassin, dont le jet d’eau encadre d’une manière si gracieuse dans les massifs verdoyants ses gerbes brillantes et argentées, a été construit en 1840, sous l’administration de M. Jolly. Il est alimenté par la machine hydraulique de l’ingénieur Cordier, et par le château d’eau situé à quelques mètres de là.

Plus tard enfin, les soins pleins de goût d’un de nos édiles (M. Pilotelle) ont ajouté à notre promenade, jusqu’alors trop nue, trop grave, trop sévère, le charme des fleurs qui mêlent leur coquetterie, leurs couleurs et leurs parfums passagers aux parfums éphémères des acacias et des tilleuls.

Pourquoi les exigences d’un budget trop restreint ne lui ont-elles pas permis de faire quelques réserves, quelques économies pour ajouter aux vases élégants qui décorent les ronds-points et les carrés une belle statue, ou tout au moins un bon buste de celui qui économisait et se faisait chiche afin de nous enrichir ?

Ce vœu, qui fut émis, il y a plusieurs années déjà, par notre ami M. Beauchet-Filleau, nous le renouvelons, et il sera exaucé, car il est fondé sur la justice, la reconnaissance et le bon goût.

Mais, par exemple, si on lui donne suite, nous y mettrons deux conditions ; c’est que : 1o les fonds qui seront affectés à cette œuvre ne seront pas confiés à un nouveau Necker ; 2o on ne prendra pas, comme on l’a fait, pour portrait authentique de M. de Blossac, le buste de Pelletier de Saint-Fargeault, qui se trouve relégué à la mairie dans la poussière des infortunes républicaines et royales, mais bien celui dont l’administration municipale possède une copie prise sur une toile conservée autrefois par la famille de l’ancien intendant du Poitou.

On ne comprendrait point que nous ne disions pas un mot des deux groupes de marbre blanc qui ornent l’entrée de la promenade de Blossac, et qui représentent, ce nous semble, la douleur et les joies maternelles.

Ils sont dus au ciseau d’Etex, artiste qui jouit d’une réputation qu’il doit sans doute à d’autres œuvres, celles-ci n’étant — à notre humble avis — que d’un mérite fort secondaire. Peut-être avons-nous tort de penser ainsi : nous sommes prêt à nous incliner devant un jugement motivé plus sûr que le nôtre.

Suivons la rue de Saint-Antoine (en 1793 rue Jean-Bart) ; à son extrémité, vous apercevez par-dessus un mur fort proprement fait, et dont la ligne de faîte est coupée au milieu par une croix de pierre, un vaste bâtiment auquel vous parviendrez en suivant la rue du Doyenné. C’est l’école normale primaire, dont nous parlerons un peu plus loin.

Aumônerie de Saint-Antoine ou de la Madeleine. — Au coin des rues de la Tranchée et du Doyenné, s’élevaient autrefois une chapelle et une aumônerie fondées, en 1364, par Pierre Daillé, escholâtre, prêtre et chanoine de Saint-Hilaire-le-Grand. Les patrons étaient Notre-Dame, saint Hilaire, sainte Marie-Madeleine.

Elle était spécialement affectée aux pauvres pèlerins de Saint-Jacques, très-nombreux à cette époque, aux vieillards et aux femmes en couches. Son revenu étant devenu insuffisant, elle fut réunie, XVe siècle (1422), à un hebdomade du chapitre de Saint-Hilaire, dont nous allons parler bientôt.

Dans les derniers temps, cet asile misérable offrait pendant trois jours un triste refuge aux voyageurs indigents que n’effarouchait pas de son grec, assez énigmatique pourtant, cette inscription gravée sur le montant de la porte d’entrée : ΝΑΥΚΡΑΤΗΣ ΕΧΕΝΗΙΣ.

En 1439, lors de la peste qui désola Poitiers, cette chapelle fut une de celles dans lesquelles le corps municipal fit brûler 10 cierges pour obtenir de Dieu la cessation du fléau.

Saint-Pierre-l’Hospitalier. — En suivant la rue de la Tranchée vers le nord, puis la rue de Saint-Pierre-l’Hospitalier (rue Buffon en 1793), nous arrivons à un bâtiment en forme de carré long, de fort triste apparence.

C’était l’église de Saint-Pierre-l’Hospitalier ou de Saint-Pierre-l’Houstaut, comme disait le peuple. Cette église, qui est appelée dans divers titres Saint-Germain et Saint-Jean, figure dans une charte du 9 juin 942, et Dufour se demande si elle ne tire pas son nom de Saint-Pierre ex hospitale ex hospite pauperi, qui fut réunie à cette église, et qui était destinée à recueillir les pauvres pèlerins, ainsi que son titre l’indique.

Elle fut donnée dès 942 par Guillaume Tête-d’Étoupes, comte de Poitou, à un prêtre de Saint-Hilaire, et elle dépendait de cette riche abbaye. C’était une des paroisses de la ville ; elle comptait 300 communiants.

École primaire tenue par les Frères de la doctrine chrétienne jusqu’en 1857, elle fit retour, à cette époque, à la fabrique de l’église de Saint-Hilaire, et le curé actuel (M. de la Forest) la restaura et en fit, à ses frais, une chapelle pour les catéchismes.

Près de Saint-Pierre-l’Hospitalier se trouve une salle d’asile tenue par les religieuses Sœurs de la Sagesse.

Notre-Dame-de-la-Chandelière. — Dans l’alignement de la façade de Saint-Pierre-l’Hospitalier est la rue de la Chandelière, ainsi nommée d’une petite église qui était située à l’extrémité de cette rue, en face de celle de la Traverse.

Elle est mentionnée sous le nom de Notre-Dame-de-la-Chandelière dans un titre de février 997, et Dufour pense que c’est d’elle qu’il s’agit dans la charte du 1er novembre 1049 de Guillaume VII, comte de Poitou, et d’Agnès de Bourgogne, sa mère. Il croit aussi que le nom de Notre-Dame de la Chandelière lui vient de ce qu’au jour de la Purification (la Chandeleur), les chanoines de Saint-Hilaire y allaient en procession pour y faire une station.

Cette paroisse, entièrement dépendante de Saint-Hilaire, comptait 400 communiants.

Chapelle de Saint-Barthélemy. — Dans la rue de Saint-Hilaire, sur la gauche (no 1), se trouvait, il y a quelque temps, la chapelle dite de Saint-Barthélemy : c’était le lieu où on croit que saint Gelaise, abbé de Saint-Hilaire, fut enterré.

Le Père Labbe rapporte, à ce sujet, que la poussière de la pierre de son tombeau « ayant la vertu d’être un remède sûr contre le mal de dents et la fièvre, cette pierre était trouée en plusieurs endroits à force d’avoir été râclée ».

L’annaliste Bouchet, tout en étant d’accord avec le P. Labbe sur la vertu de la pierre du tombeau, assurait qu’elle était efficace, en outre, contre « le mal et passion de ventre ».

Il prétend aussi que ce fut « Theomasthus, merveilleux en sainteté, évêque de la cité de Moniacentze, qui, ayant laissé son évêché, on ne sait pourquoi, s’en alla demeurer dans la cité de Poictiers, et, étant mort, il fut mis et enseveli près l’église et l’abbaye de Saint-Hilaire. J’estime », dit l’annaliste, « que ce soit l’un des tombeaux de la chapelle Saint-Barthélémy. Il y a d’autres tombeaux, et aucuns disent que ce sont les sépultures des père et mère de saint Barthélémy ».

Au-dessus de la porte, dont le style ne manquait pas de caractère, on lisait l’inscription suivante ; les lettres étaient renversées comme la pierre sur laquelle elles étaient gravées :

ic requiescit nectarius… istes (Antistes).
Ici repose Nectaire, évêque.

C’est un monument d’une haute importance, et qui prouve, à notre avis, que ce saint évêque de Poitiers fut enterré dans cette chapelle ou du moins près d’elle. Il vivait vers l’an 300 de J.-C.

Il existait sous cette chapelle un caveau dans lequel il y avait autrefois des tombeaux dont le dessin se trouve à la Bibliothèque publique. Cette chapelle a été démolie en juin 1851.

Saint-Michel. — La rue de Saint-Hilaire nous conduit naturellement au square qui précède l’antique et vénérable collégiale de Saint-Hilaire. Cette place était autrefois un cimetière où, plus anciennement encore, existait une petite église paroissiale de Saint-Michel, qui figure dans un titre de 1083, et qui fut supprimée par le chapitre, dont elle dépendait, en 1315.

Saint-Hilaire-le-Grand. — Ce monastère célèbre dès son origine, à cause du saint personnage qui lui donna son nom, fut érigé, vers le Xe siècle, en collégiale. Son Chapitre fut aussitôt comblé de dons et de faveurs qui ne firent que s’augmenter, et qui justifiaient bien cette expression populaire: le Chapitre des riches.

Et, en effet, ses privilèges étaient immenses, son domaine considérable, ses droits fort étendus. Sa juridiction comprenait les trois paroisses de Sainte-Triaise, Saint-Pierre-l’Hospitalier et de Notre-Dame-de-la-Chandelière, et il était lui-même, en vertu des bulles papales et des ordonnances de nos rois, affranchi de la juridiction épiscopale, municipale et civile.

C’était en signe de leur complète indépendance de l’évêque que les chanoines avaient coutume, dit-on, lorsque le prélat entrait dans l’église, de jeter sur ses mains un ruban violet, C’était une manière, assurément fort ingénieuse, de lui faire entendre poliment que là il avait les mains liées.

La haute faveur dont le Chapitre avait été l’objet de la part des papes et des rois l’avait sans doute déterminé à adopter pour armoiries celles du Saint-Siège unies à celles du roi de France.

Le Chapitre exerçait les droits seigneuriaux de haute, moyenne et basse justice sur le bourg de Saint-Hilaire. Les limites de ce bourg seraient tracées sur notre plan par une ligne partant de Pont-Achard, passant par la Visitation, l’ancien couvent des Ursulines (rue des Hautes-Treilles, entre les nos 8 et 10), les Halles, les Trois-Piliers, le carrefour du Calvaire, la porte de Tison, et se continuant le long de l’enceinte de la ville jusqu’à Pont-Achard.

Ce Chapitre était exempt des droits de forges exercés par le seigneur du fief d’Anguitard (v. ce mot, p. 239), et Louis XI avait défendu, par respect pour les précieuses reliques de saint Hilaire, que les criminels passassent sur le territoire du bourg.

Tous ces priviléges s’expliquent, lorsqu’on sait que les comtes de Poitou furent, dès l’origine, abbés de Saint-Hilaire, et que les rois de France héritèrent de ce titre en prenant celui de comtes de Poitou. C’est ce qui faisait tenir par les gabeurs du temps un propos fort peu gracieux pour l’honneur de la reine et du roi, si ce propos eût été autre chose qu’un méchant jeu de mots.

Lorsque les comtes de Poitiers se faisaient installer abbés de Saint-Hilaire, l’archevêque de Bordeaux et l’évêque de Poitiers mettaient entre leurs mains une lance et un étendard. Ce cérémonial fut pratiqué à l’égard de Richard Cœur-de-Lion. C’étaient, il faut l’avouer, des insignes fort peu abbatiaux, mais ils suffisaient bien à un abbé plus accoutumé aux joutes des tournois et aux batailles qu’à la récitation des heures canoniales.

Plus tard, lorsque les rois de France vinrent visiter l’abbaye, ils reçurent en y entrant, des mains du trésorier, chef du Chapitre, le surplis, l’aumusse et la chape, insignes de leur dignité. Cette cérémonie singulière eut lieu à l’occasion de la visite des rois Charles VII (1453), Henri III (1577), Henri IV (1602), Louis XIII (1614), et Louis XIV (1650). Ce dernier, étant mineur, ne fit pas le serment d’usage de maintenir les priviléges du Chapitre.

Par imitation sans doute, les principaux barons du Poitou, les seigneurs de Lusignan, Parthenay, Châtellerault et Couhé, tinrent à honneur de se faire recevoir chanoines honoraires de Saint-Hilaire, et ils assistaient à l’office vêtus de la soutane, du surplis et de l’aumusse, comme les titulaires. Les murs de l’église et les mandements du Chapitre étaient décorés des armes de France unies à celles du Saint-Siége. — Avant l’adoption de ces insignes héraldiques, le Chapitre de Saint-Hilaire avait un scel particulier qui varia dans sa forme, à en juger d’après diverses chartes au bas desquelles il a figuré.

L’empreinte que reproduit notre gravure est celle d’un sceau en cuivre possédé par M. Bonsergent, et que nous croyons du XIIIe siècle. Les mots s. ecce sci hilarii, sigillum ecclesiæ Sancti Hilarii, ne laissent aucun doute sur l’origine et la destination de ce meuble.

Le premier dignitaire après l’abbé (le roi de France) était le trésorier, qui, ainsi que le doyen, deuxième dignitaire du Chapitre, officiait avec les gants et la mitre. Nous avons vu que le trésorier était chancelier-né de l’Université.

Le 26 juin, on célébrait avec pompe, avant la Révolution, la translation des reliques de saint Hilaire, c’est-à-dire la commémoration de la découverte de sa sépulture par saint Fridolin. La veille de cette fête, le corps de ville de Poitiers, escorté par la milice bourgeoise, allait avec solennité allumer une lanterne au haut du clocher. Cette cérémonie s’appelait le Reguet. D’heure en heure, pendant la nuit, à partir de l’Angelus, on sonnait les cloches. Cette coutume a été présentée par les uns comme une allusion au globe de feu miraculeux qui apparut à Clovis ; par les autres, et c’est notre avis, comme un souvenir des phares que l’on allumait autrefois à l’occasion de certaines fêtes, pour guider dans les ténèbres les nombreux pèlerins qu’elles conviaient des contrées lointaines.

L’église de Saint-Hilaire était fréquentée par des milliers de visiteurs qu’appelaient la dévotion et le désir de gagner les larges indulgences attribuées par les papes aux pratiques spéciales accomplies dans l’église du grand docteur, et notamment à l’assistance à la messe du pardon, après matines.

Quoi qu’il en soit, cet usage, aboli en 1790, et repris sous la Restauration, n’est plus aujourd’hui observé que par la louable persévérance du sacristain, dont la main isolée, sans appareil, sans pompe, place incognito dans le clocher désert une humble lanterne. Les cloches retentissent encore cependant jusqu’à 10 heures. C’est pour elles aujourd’hui l’heure du couvre-feu.

Le Chapitre de Saint-Hilaire, après une possession longue et suivie de ses immunités, priviléges et domaines, fut lui-même exproprié et aboli lorsque la confiscation révolutionnaire établit un nouveau droit de propriété à son usage. Ses membres furent dispersés ; son antique abbatiale fut vendue aux enchères (19 000 fr. !!) ; et si elle fut conservée plus tard, c’est qu’il fallait une église paroissiale pour remplacer celles qui se groupaient autrefois autour de leur vaste métropole.

Après avoir retracé l’histoire du Chapitre royal de Saint-Hilaire, occupons-nous de son église.

Elle existait à une époque très-reculée, car elle figure dans le drame historique dont le dénoûment eut lieu, en 507, dans les plaines de Voclades. En effet, ce fut au-dessus de l’église de Saint-Hilaire que dut s’élever le globe de feu dont parlent les chroniques, et dont l’apparition subite contribua à la victoire que l’impétueux Clovis remporta sur son adversaire Alaric. Ce fut en mémoire de cette lumière miraculeuse que le vainqueur concéda aux moines de Saint-Hilaire le champ de bataille où il avait vaincu, et un grand nombre d’autres terres. Il fit même, sur la demande de l’abbé Fridolin et de l’évêque de Poitiers Adelphius, rebâtir l’église dans des proportions plus vastes, et ce fut alors que le corps de saint Hilaire fut exhumé et placé dans un tombeau neuf.

Néanmoins des auteurs rapportent à l’année 590 seulement l’élévation hors de terre du corps de saint Hilaire. On sait que c’était alors la forme employée par l’Église pour désigner aux prières des fidèles les précieuses reliques dont elle proclamait ainsi la sainteté.

Brûlée par les Sarrasins en 732, lorsque, sous la conduite d’Abd-el-Rhaman, ils ravagèrent le sud de la France, avant d’aller se faire écraser à quelques lieues de là par Charles-Martel, dans les plaines de Moussais-la-Bataille, l’église fut reconstruite, puis de nouveau détruite par les Normands, vers 863.

Ce fut alors que les reliques de saint Hilaire furent soustraites à la rage des infidèles. Plus tard, à la fin du IXe siècle, ces reliques, sinon en totalité, du moins en partie, furent transportées, par les soins du comte d’Auvergne, tuteur du comte de Poitou, au Puy-en-Vélay, dont son frère était évêque.

Ce ne fut qu’en 1657 qu’une portion du crâne et l’humérus du bras gauche furent transférés avec grande pompe à Poitiers. Les reliques de saint Hilaire qui ont échappé aux mains révolutionnaires sont, aujourd’hui, renfermées dans un reliquaire déposé, hors des jours des grandes solennités, au presbytère. Voici sur ce meuble religieux quelques détails qui ne seront pas sans intérêt pour le lecteur.

Le coffret est, en son genre, un chef-d’œuvre. Il était autrefois tout en cristal de roche, et en bois peint en or avec une délicatesse extrême. Le fond, les bases et les chapiteaux des colonnes, les pieds de la boîte elle-même étaient en vermeil. Nous ne connaissons que deux meubles qui soient du même travail. L’un, d’une dimension double de celui de saint Hilaire, est en la possession du duc de Mouchy. Il figurait à l’Exposition de Paris en 1867, avec cette mention qu’il avait contenu les langes qui servirent à la naissance de Henri IV. Son propriétaire lui attribuait une valeur de 40 000 francs. L’autre meuble, un peu plus petit que le nôtre, appartient aux PP. Jésuites du collége de Poitiers. Il est dans son état primitif, sauf une colonne qui est légèrement endommagée. Celui de saint Hilaire a été brisé probablement pendant la Révolution, ou à une époque antérieure. Le fond du coffre, les colonnettes de cristal, les bases et les chapiteaux, brisés ou volés, avaient depuis été remplacés par du bois.

En 1869, ce bijou a été restauré avec intelligence. Il a recouvré son apparence première, mais les colonnes de vrai cristal ont été remplacées par du cristal de la cristallerie de Saint-Louis, et les objets en vermeil par du bronze doré. Tout le reste, sauf trois cristaux à facettes, est en cristal de roche. Malgré ces changements, ce petit meuble a encore une valeur incontestable même pour ceux qui ne songeraient qu’à sa matière et à sa forme.

Quant aux autres reliquaires, ils étaient, avant la révolution de 1793, d’une richesse merveilleuse ; mais ils furent alors dépouillés de leurs plus précieux ornements. Un témoin oculaire, qui a vu mettre dans la balance les décorations en argent doré arrachées par la cupidité à ces meubles sacrés, a constaté qu’elles pesaient quinze livres.

Reconstruite après tant d’incendies répétés, l’église actuelle fut commencée au Xe siècle (vers 927) par l’architecte Gaultier Coorland, sur les ordres d’Adèle d’Angleterre, femme d’Ebles-le-Manzer, comte de Poitou, et terminée par Agnès de Bourgogne, troisième femme de Guillaume V, comte de Poitou et duc d’Aquitaine. Elle fut dédiée le 1er novembre 1049, avec beaucoup de solennité. Treize archevêques et évêques assistaient à cette imposante cérémonie.

Cette église se ressentit nécessairement des vicissitudes de fortune du Chapitre royal, et elle fut victime, comme tant d’autres, des ravages des protestants, ces iconoclastes des temps modernes, dignes précurseurs des démolisseurs de 1793 !

Cette église remarquable présentait, entre autres singularités, une grande nef surmontée de six dômes semblables à celui qui existe encore au-dessus du sanctuaire, et flanquée de six collatéraux de diverses largeurs, dont l’existence est encore accusée par les restes mutilés de cette œuvre colossale. Du haut de ces dômes, percés à leur sommet d’une ouverture ronde, on jetait sur les fideles, au jour de la Pentecôte, des fleurs et de larges pains à cacheter ornés de dessins particuliers, qu’on appelait pentecoteaux. Recueillis avec un pieux empressement, ces objets étaient conservés comme le rameau bénit des jours saints.

Le sixième dôme, encore existant, était séparé de celui qu’a remplacé, lors de la restauration du culte, une voûte en briques embrassant tout le diamètre de l’église. Une sorte de second transsept formait cette ligne de séparation.

Maintenant, supposez que cette nef, aujourd’hui plus large que longue, soit prolongée de quatre fois sa longueur ; supposez qu’au-dessus d’elle s’élève un dôme inscrit à son diamètre, et que ce dôme soit reproduit dans les quatre autres travées ; supposez les six collatéraux surmontés eux-mêmes de voûtes soutenues par de solides arceaux, éclairées par un demi-jour que fournissaient des fenêtres romanes à évasement intérieur ; dans un espace double de longueur de la grande nef actuelle, placez des stalles brillantes, un jubé, des autels, des décorations somptueuses, et vous aurez une idée, imparfaite encore, de cette immense basilique.

Ceux qui l’ont vue au temps de sa splendeur assurent cependant que la multiplicité de ces piliers, de ces voûtes, de ces arcs, placés dans des axes différents, jetait une certaine confusion qui empêchait de distinguer au premier coup d’œil, au milieu d’une sorte de pêle-mêle architectural, l’ensemble du plan, l’idée génératrice.

Tout cet ensemble, néanmoins, était fort grandiose, et se prolongeait jusqu’au coteau de Pont-Achard, de telle sorte que le plan actuel et la rue qui le borne étaient occupés par l’église et par le passage couvert qui conduisait aux salles de la justice seigneuriale.

Du côté du coteau, un pignon sans décoration formait la façade, où existait une porte qui ne s’ouvrait que pour certaines solennités. Le portail était placé sur le côté, presque dans l’axe de l’avant-dernière travée ; il était précédé d’un parvis qui était, dit-on, décoré autrefois des lions symboliques dont nous avons parlé à propos des églises de Saint-Porchaire, de Saint-Pierre et de Sainte-Radégonde. Ce portail, construit de 1448 à 1475 par Robert Poitevin, trésorier du Chapitre, était remarquable par ses jolies sculptures, qui représentaient des apôtres et des saints. Il fut horriblement mutilé par les protestants.

Un fort beau clocher en pierre, le plus élevé des clochers de la ville, existait en 1590, époque à laquelle il s’écroula. Il fut sans doute alors remplacé par la flèche en charpente qui, avant la Révolution, renfermait, comme celle de Sainte-Radégonde, les petites cloches dites les primes. Le clocher actuel était surmonté alors d’une toiture plus gracieuse et plus élevée, terminée par une lanterne ; mais il ne contenait pas les cloches, qui étaient trop grosses et trop lourdes.

Vendue nationalement, le 1er pluviôse an vii (20 janvier 1799), au citoyen Roy dit Cassandre, moyennant le prix ultérieurement fixé à 19 000 francs ! ! l’église de Saint-Hilaire fut bientôt en ruines. Et lorsqu’il s’agit de restituer l’antique collégiale au culte restauré (1805), on ne trouva rien de mieux à faire que d’en démolir à grands frais une partie pour conserver l’autre. Les annexes du midi et de l’ouest et celles des deux bas-côtés furent détruites, les quatre premières furent supprimées.

Réduite à moins de moitié de sa longueur, l’église royale vit son portail latéral et ses chapiteaux, dont les fleurons mis à l’envers offraient l’apparence d’une fort laide figure, s’encadrer dans un ignoble pignon. En revanche, elle hérita de la porte en bois qui fermait l’église des Bénédictins de Saint-Cyprien. Ce n’était pas la peine d’y ajouter l’immense oculus qui jetait à l’intérieur une lumière beaucoup trop vive, puisqu’elle devait éclairer d’horribles mutilations dans les membres de l’édifice et de pauvres embellissements dans ses décorations intérieures.

L’église de Saint-Hilaire contenait autrefois plusieurs tombeaux qui furent indignement profanés par les protestants, lors de la surprise de 1562. Parmi ces tombeaux, on remarquait ceux de saint Fridolin, l’un des premiers abbés de Saint-Hilaire ; de saint Fortunat, le savant évêque de Poitiers (VIe siècle) ; de Gilbert de la Porée, mort en 1154, laissant, malgré quelques erreurs, la réputation d’un savant estimé. Boulainvilliers prétend aussi que le cœur d’Aliénor d’Aquitaine y avait été déposé dans un beau mausolée.

Ces tombeaux ont disparu. Celui que l’on remarque dans la petite crypte placée en avant du chœur, et qui est en marbre blanc, de forme semi-cylindrique, rappelle par ses sculptures la décadence de l’empire romain ; on serait même tenté de croire, en y voyant la croix, l’étoile, le poisson et tous les emblèmes que les chrétiens avaient adoptés au temps des persécutions contre l’Église, qu’il dût renfermer un personnage mort avant l’époque où la conversion de Constantin rendit, avec la liberté religieuse, ces symboles inutiles et par suite moins fréquents.

Cependant, suivant quelques attributions traditionnelles fort respectables, ce tombeau aurait été primitivement celui de saint Hilaire, ou de sainte Abre, sa fille. Nous constatons cette opinion sans la partager.

Le Chapitre de Saint-Hilaire, dont un des membres était chargé d’administrer le baptême aux enfants des trois paroisses qui relevaient de sa juridiction, baptisa par immersion jusqu’à une époque assez rapprochée de nous, et dom Fonteneau parle d’une grande cuve carrée en marbre et d’une piscine ronde existant dans le transsept du côté de l’épître, qui servaient à cet usage. Ces deux objets figurent encore dans un plan de l’église de 1762.

Le pupitre du chœur se distinguait entre tous ceux des Chapitres de Poitiers. Il représentait deux aigles énormes en cuivre, ayant pour piédestal des lions de grande dimension. Tout cela a suivi les anges et les saints d’argent doré qui décoraient les reliquaires. L’impitoyable creuset de la cupidité a fait disparaître ainsi des œuvres dont la perte, au seul point de vue de l’art, est irréparable.

Nous avons parlé de la chapelle du Miracle des clefs : c’est en effet le nom que l’on doit donner à ce petit monument créé en 1837 près du transsept à droite, et dans lequel ont été déposées les statues autrefois élevées sur la porte de la Tranchée, en mémoire de l’intervention miraculeuse de la sainte Vierge, de sainte Radégonde et de saint Hilaire (v. page 276). La pensée qui a présidé à l’érection de ce monument pieux est assurément fort louable, mais on ne peut consciencieusement applaudir au monument matériel qui en est l’expression. On pouvait faire mieux.

A quelque distance de là, dans le mur oriental du


transsept, a été déposé, en 1827, le cœur de Mgr Charles-François d’Aviau du Bois de Sanzay (famille poitevine), ancien chanoine de Saint-Hilaire, mort archevêque de Bordeaux, pair de France, le 11 juillet 1826, à l’âge de 89 ans. C’était un saint prélat, dont la figure vénérable reflétait les douces vertus pastorales qui ont rendu sa mémoire bien chère à ses enfants d’adoption et à l’Église de Poitiers dont il était le fils.

Tout porte à croire qu’on avait représenté sur les piliers de l’église qui sont antérieurs au onzième siècle les personnages, surtout les saints évêques, qui avaient eu quelques rapports avec l’abbaye de Saint-Hilaire.

Sur les deux piliers qui sont les plus voisins de la crypte, on voit, à demi-effacées, de grandes figures représentant des évêques.

A gauche, en entrant, on lit, à la hauteur de la tête d’un évêque portant un livre de la main gauche et bénissant de la droite, ces mots :

Ce Quintien vivait au temps de Clovis. Il fut d’abord évêque de Rodez. En 511 il assista au premier concile d’Orléans. Il fut transféré, en 515, sur le siége de Clermont. Il est probable que ce fut aux relations qu’il eut avec saint Fridolin et l’évêque Adelphius qu’il dut d’être représenté sur les fresques pieuses ; et peut-être l’évêque qui est au-dessus de lui, et dont nous n’avons pu lire le nom, est-il Adelphius lui-même.

Avant de quitter la basilique qui garde plus spécialement que toutes les autres le souvenir de saint Hilaire, nous constatons avec bonheur que depuis quelques années des travaux importants, prélude des travaux complémentaires qui s’accomplissent actuellement, ont été faits par l’administration des monuments historiques, aidée de l’intelligente et dévouée sollicitude de M. l’abbé de la Forest, curé actuel, secondé par le zèle de ses paroissiens.

En 1856 et 1857, sous la direction de M. Joly-Leterme, les remblais qui avaient été accumulés, un siècle auparavant, dans la nef, et qui avaient enterré à près de deux mètres de profondeur les bases des colonnes, ont été enlevés, et cette opération préliminaire, accompagnée de reprises indispensables, a déjà restitué aux diverses parties du temple encore debout le caractère de sa construction primitive. À cette époque, des sculptures de divers âges, des tombes, des inscriptions, des peintures précieuses, des mosaïques fort anciennes ont été trouvées dans le sol ; puis les peintures murales que couvrait le badigeon des siècles ont remis en lumière les imitations d’agate et de marbre des colonnes, les grandes figures de saints personnages dessinées sur les pilastres ; en un mot, tout ce luxe d’ornementation intérieure que le facile pinceau des imagiers du moyen âge jetait avec tant de profusion sur les murs, trop nus à leur gré, de leurs vastes basiliques.

En 1838, les deux grands oculus ouverts à l’extrémité des deux transsepts ont été remplacés par des baies romanes du genre de celles qui les éclairaient autrefois ; 19 fenêtres, misérablement murées, ont été ouvertes et vitrées, et les chapelles indignement mutilées ont été refaites, tandis qu’à l’extérieur, la toiture recevait une monumentale restauration qui produit à l’œil le meilleur effet.

Devait-on en rester là ? Le zèle et le dévoûment qui avaient fait ces choses pouvaient-ils s’arrêter en chemin ? Non.

Et quant à nous, avec la même énergie que nous avions mise à répudier pour notre saint évêque de Poitiers l’hommage devenu si trivialement commun d’une statue publique, nous faisions appel à la piété des fidèles, au bon goût des artistes, au patriotisme de tous, afin qu’on rendît au grand docteur de l’Église, qui honore et protège la cité, le monument que nos pères avaient fait digne de lui.

« Les temps sont difficiles, nous le savons », disions-nous en 1867 ; « les sacrifices nécessaires s’imposent nombreux, pressants, sous mille formes, c’est encore vrai, et nous ne sommes plus aux jours de foi où l’enthousiasme des peuples prêtait gratuitement aux logeurs du bon Dieu les milliers de bras dont ils avaient besoin pour entreprendre et achever leurs merveilles ; mais encore aujourd’hui, à l’obole toujours puissante des masses, aux souscriptions assurées déjà peuvent se joindre des legs pieux, qui ne sauraient avoir une meilleure destination, et avec lesquels il serait bientôt permis d’acquitter envers une des gloires les plus pures du monde catholique, ce qui n’est pas seulement de la part des Poitevins un tribut d’honneur, mais une véritable dette de reconnaissance. »

Et voici ce qui a été fait depuis lors :

Pour restaurer l’église Saint-Hilaire, Mgr Pie, évêque de Poitiers, provoqua, en janvier 1859, une souscription accueillie avec faveur ; le ministère de la maison de l’empereur promit, le 13 décembre 1868, 100 000 fr. ; le ministère des cultes, 30 000 ; le Conseil municipal de Poitiers, 25 000 : le tout divisé en plusieurs annuités, et formant, avec le produit attendu des souscriptions, les 205 000 fr. du devis dressé par M. Joly-Leterme (de Saumur), architecte attaché par le ministère à la restauration des monuments historiques. Celui-ci, après avoir soigneusement, pour son projet de restauration, étudié le style de l’ancien édifice, dont on n’a pu refaire que deux travées et demie pour ne pas empiéter sur la voie publique, a confié la surveillance des travaux sous sa direction, à M. Ferrand, architecte diocésain ; et l’adjudicataire (M. Dupré, entrepreneur) s’est mis à l’œuvre en novembre 1869 et a vigoureusement poussé les travaux. Les fouilles ont fait découvrir les fondations de l’église du Xe siècle, celles des églises antérieures, et, à trois ou quatre profondeurs différentes, de nombreux cercueils en pierre, dont un seul portait, en caractères pouvant remonter au IXe siècle, l’inscription suivante :

RECESSIO VALENTINIONI
XIXL IUNIAS.

Ces fouilles, et d’autres remarques faites par M. Dupré ont démontré que l’église du Xe siècle n’avait d’abord que deux rangs de colonnes intérieures, et que les quatre autres n’ont été ajoutés qu’après coup, lorsque, vers 1080, on a remplacé par des voûtes en pierre, dont il fallait soutenir le poids, les coupoles en bois qui couvraient primitivement la nef. Les transsepts devaient être couverts de même, puisqu’on trouve des traces de peintures sur leurs murs au-dessus des voûtes actuelles. Quant au clocher, dont la décoration extérieure et surtout intérieure montre tant de réminiscences de l’art romain, il pourrait remonter jusqu’à la primitive Église, et c’est contre lui qu’est venue s’appuyer, en l’enveloppant en partie, la construction du Xe siècle.

Pour les reconstructions actuelles, on a établi de puissantes fondations, qui, sur plusieurs points, sont descendues jusqu’à 7 mètres de profondeur et ont dévoré pour 3 000 fr. de chaux hydraulique.

Les murailles et les colonnes élevées sur ces solides fondements étaient déjà en moyenne à plus d’un mètre au-dessus du sol lorsque, le 5 avril 1870, la pierre dite la première a été solennellement posée par M. Samoyault, vicaire général du diocèse. Cette pierre est celle qui forme la seconde assise à gauche du grand portail. Dessous on a placé plusieurs médailles et monnaies commémoratives.

Quand les constructions nouvelles seront achevées, l’église de Saint-Hilaire aura une travée et demie de moins que l’église ancienne. Et pourtant elle ne devra pas paraître, à notre avis, disproportionnée ; voici pourquoi.

Primitivement l’église avait 35 mètres de large, d’un mur à l’autre, dans la nef, sur une longueur de 72 mètres. Mais alors elle n’avait que deux rangées de colonnes, et la nef et chacun des bas-côtés ayant par ce fait une largeur considérable, l’harmonie des proportions exigeait pour la vue un développement considérable aussi dans la longueur.

Quand, au onzième siècle, on changea la couverture qui était de bois, testitudinem, en coupoles et voûtes de pierre, in lapidum volturas (ce sont les termes d’un manuscrit qui remonte à l’année 1130), pour soutenir ces masses, on dut multiplier les colonnes : on en construisit donc deux rangées nouvelles dans la nef principale, et les bas-côtés furent eux-mêmes divisés chacun par un rang de colonnes. La nef médiane vit donc sa largeur considérablement diminuée : c’est-à-dire qu’au lieu de 15 mètres elle n’eut plus que 8 m. 50 c. — Dès lors sa longueur devenait trop considérable. Or, les nouvelles constructions donnant à l’église une travée et demie de moins, les proportions sont celles-ci :

Longueur totale, 60 mètres.

Largeur entre les colonnes de la nef principale, 8 mètres 50.

Ces proportions ne devront rien avoir, il nous semble, de choquant pour l’œil, à l’intérieur.

Extérieurement, il est vrai, l’église aura l’air d’être carrée ; mais, au dedans, elle aura, par suite de ses divisions intérieures, un aspect suffisamment régulier.

Quant au clocher, ou plutôt à la tour (car si ce que nous appelons le clocher de Saint-Hilaire remonte à Fridolin, ce ne peut être qu’une tour, les cloches n’ayant été inventées très-probablement qu’au VIIe siècle), — dont la base, selon certains antiquaires, peut remonter à la construction faite par Fridolin, il devra se fondre dans l’église ; les murs qui la ferment au couchant et celui dans lequel est percée la porte qui communique de la sacristie actuelle à l’église seront abattus, de telle sorte qu’en entrant par la porte latérale du côté nord, on devra apercevoir la chapelle de la Sainte-Vierge. Et alors que deviendra la sacristie ? Tout naturellement elle sera supprimée ; et, comme une sacristie est indispensable, hélas ! à une église, nous proposons tout de suite, et dès à présent, d’en construire une nouvelle sur le sol du square qui a toujours été regardé comme une annexe de l’église.

(V. sur l’église de Saint-Hilaire le remarquable Essai historique de M. de Longuemar. — Mémoires des antiquaires de l’Ouest. 1856.) — Voir à l’appendice.

Prieuré, École normale et École primaire. — En arrière de l’abside fort curieuse de l’église de Saint-Hilaire se trouve l’entrée de l’Ecole primaire normale.

Ce fut, autrefois, le Doyenné du Chapitre royal de Saint-Hilaire-le-Grand. Le style d’ornementation de cet édifice, ses pilastres, ses croisées, ses médaillons, tout annonce l’époque qui l’a vu s’élever. C’est du XVIe siècle le plus pur.

Et ce devait être, car son constructeur, Geoffroi d’Estissac, évêque de Maillezais, fut doyen de Saint-Hilaire de 1504 à 1542. Ce prélat bâtisseur nous a laissé, dans l’église de Ligugé, dont il sera question plus tard, un autre échantillon de son savoir-faire en ce genre. Les deux monuments dus à sa générosité prouvent du moins qu’il ne thésaurisait point sur ses revenus, et qu’au lieu de ne songer qu’à jouir paisiblement de la riche prébende que lui valait sa haute dignité — la 2e du Chapitre, — il l’employait noblement à préparer à Dieu d’abord, à ses propres successeurs ensuite, un logement plus digne d’eux.

Nous avons remarqué avec bonheur, mais sans étonnement, dans une récente visite faite au Doyenné, les précautions intelligentes avec lesquelles on conserve aujourd’hui tout ce qui peut rester intact de l’œuvre de G. d’Estissac.

Ainsi, par exemple, les armoiries du prélat — « d’azur à 3 pals d’argent » — se reproduisent fréquemment à l’extérieur et à l’intérieur du monument, et c’est une signature authentique qu’il devra garder religieusement, quoi qu’il advienne, et même sous le règne de la République.

Devenu propriété de l’État le 17 messidor an VII, le Doyenné fut mis par l’administration des domaines à la disposition du ministère de la guerre, qui y installa la compagnie départementale de réserve, en 1811, et, par suite, ce monument devint propriété départementale.

Ce fut vers 1816 qu’il fut occupé par des missionnaires dont la parole écoutée produisit, alors, beaucoup de bien. Leur supérieur, M. l’abbé Lambert, à la voix pleine d’onction et de grâces, eut l’honneur de prêcher à la cour.

Après la Révolution de 1830 et en février 1831, on y plaça des ouvriers militaires qui l’abandonnèrent bientôt.

Enfin, en 1834, au mois de janvier, le département y établit l’Ecole normale primaire, qui a quelques chances d’y rester.

Cette école, qui sert au recrutement des deux départements de la Vienne et de la Charente, reçoit, année moyenne, 65 élèves-maîtres.

On y est admis de 16 à 20 ans et après un examen dont le programme est déterminé par un arrêté ministériel du 31 décembre 1867.

Le prix de la bourse ou pension est de 400 fr. par an. Les études y durent 3 ans.

Une école primaire, qui y est annexée — et c’est là une fort heureuse idée, parce qu’elle fournit aux élèves-maîtres la matière nécessaire à la pratique enseignante — renferme de 50 à 60 enfants.

En somme, cet établissement est, aujourd’hui, un des mieux dirigés que nous connaissions.

Un peu plus loin, dans la rue du Doyenné, se trouve une des écoles primaires communales de la ville, tenue par les Frères des Écoles chrétiennes. — Elle a été bâtie en 1857 sous la mairie de M. Grellaud, et a coûté 20 000 fr.

Chapelle Saint-Agon. — Cette chapelle était située dans la rue et près Sainte-Triaise, à gauche en entrant dans cette rue par Saint-Hilaire. Elle existait encore au XVIIe siècle. D’après Duchesne, elle avait été élevée en l’honneur de saint Agon, 4e évêque de Poitiers, « .... Duquel (saint Agon) ne reste autre mémoire à Poitiers que les précieuses remarques d’une chapelle consacrée à son nom… » — Besly (Évêques de Poitiers) en parle également. « Il y a « chappelle en son nom, dit-il, « au cimetière de Sainte-Triaise, au bourg de « Saint-Hilaire. L’église de Saint-Hilaire de Poitiers célèbre sa fête le 18 août. »

Sainte-Triaise. — Cette église paroissiale était située immédiatement après la chapelle de Saint-Agon. Le premier monument historique cité par Dufour sur cette église est de 965. D’après le même auteur, les modillons de la façade principale indiquaient une construction du XIe siècle. C’était dans le mur de cet édifice, beaucoup plus récemment construit, et du côté du cimetière, qu’était encastré le bas-relief dont nous avons donné le dessin à l’article du Musée des antiquités de l’Ouest. (V. p. 250.) Le terrain qu’occupait cette église, ainsi que le cimetière qui y était contigu, et où se trouvait la chapelle de Saint-Agon, forment maintenant un jardin particulier.

Cette paroisse, qui comptait 800 communiants, dépendait, ainsi que celles de Saint-Pierre-l’Hospitalier et de Notre-Dame-de-la-Chandelière, de la juridiction du Chapitre de Saint-Hilaire. Ces trois paroisses étaient soustraites complétement à la juridiction épiscopale, et même leurs églises n’avaient point de fonts baptismaux. C’était un hebdomadaire de Saint-Hilaire qui était chargé d’administrer ce sacrement aux enfants des trois paroisses dans l’église abbatiale. Avant la Révolution, Lecesve, dernier curé de Sainte-Triaise, s’était insurgé, sur ce point important, contre sa métropole. La Révolution lui donna gain de cause complet en le décorant de la mitre constitutionnelle. Ses débuts promettaient une telle fin.

Porte de la Tranchée. — À l’extrémité de la rue Sainte-Triaise, un peu à gauche, s’ouvre la porte de la Tranchée. Elle était autrefois située un peu plus bas ; mais, quelques années avant la Révolution, elle fut placée dans l’axe de la rue à laquelle elle a donné son nom. Ce nom, elle le devait elle-même, sans doute, à quelques fossés et tranchées qui y avaient été pratiqués au temps des guerres, pour protéger la ville, assez mal défendue de ce côté, contre les approches de l’ennemi. C’est à cette porte qu’eut lieu la déconfiture miraculeuse des Anglais, dont nous avons parlé en détail à propos de l’église de Notre-Dame-la-Grande et de Saint-Hilaire. (V. p. 276 et 332.)

Un modeste oratoire rappelant cet heureux événement existait encore, il y a quelques années, à l’angle que forment les rues de Sainte-Triaise et de la Tranchée ; nous l’indiquons sur notre plan.

Aumônerie et champ de la Madeleine. — Au delà de la porte actuelle de la Tranchée, près de la route de Bordeaux et à main gauche, se trouve un vaste terrain connu sous le nom de Champ de la Madeleine ; il doit ce nom à une aumônerie qui existait là depuis une époque inconnue, et dès l’an 1272. Il ne faut pas la confondre avec celle de Saint-Antoine et de la Madeleine dont nous avons parlé ci-dessus page 321.

L’aumônerie de la Madeleine près la porte de la Tranchée fut en 1695, sous l’épiscopat de Mgr de Saillant, réunie à l’hôpital, et son emplacement appartient actuellement à la ville.

Descendons maintenant en suivant les boulevards extérieurs, qui forment, avec le chemin de fer, une deuxième ceinture autour de la ville. Sur notre gauche, dans la direction où a été percé un tunnel de 296 mètres, nous verrons les murs ébréchés et les tours démantelées du haut desquels veillaient, en temps de guerre, les habitants en armes. De ce côté-là, ils avaient un renfort qui les rendait presque inexpugnables : c’étaient deux étangs, ou plutôt deux marais, formés par les eaux de la Boivre, et dont nous allons vous dire quelques mots.

Étangs de Saint-Hilaire et de Montierneuf. — Ces deux étangs, formés par les eaux de la Boivre, couvraient l’espace immense qui s’étend depuis la Porte-de-Paris jusqu’au delà de l’alignement des fortifications de la porte de la Tranchée. De telle sorte que là où sont aujourd’hui les riants jardins des Sœurs de la Sagesse, les prairies vertes, les arbres pleins de séve, la voie de fer, la station, l’embarcadère et ses remblais, œuvre colossale que quelques mois ont élevée, là étaient autrefois des eaux croupissantes et fétides, des bourbiers malsains.

L’étang de Saint-Hilaire fut établi par le Chapitre de la collégiale, sur l’autorisation qui lui en fut donnée, en 1143, par Louis VII, duc d’Aquitaine, comme époux d’Aliénor, pour l’ornement et la sûreté de la ville de Poitiers. Le prévôt et les habitants durent même aider de tout leur pouvoir les chanoines dans cette œuvre de défense commune.

L’étang de Montierneuf, qui suivait celui de Saint-Hilaire, avait été créé auparavant par Agnès de Bourgogne, épouse de Guillaume le Grand, comte de Poitou, dans le but de protéger aussi la ville du côté des immenses terrains vagues qui la défendaient mal (de 903 à 1030).

Ces étangs, après avoir rendu les services que l’on attendait d’eux dans les temps de luttes et de guerres, étaient devenus, en dernier lieu, la cause de sérieux dangers pour la santé publique.

Après la Révolution, un ouvrier intelligent qui avait fait ses preuves en exécutant avec succès la descente du timbre de la grosse horloge et qui devait plus tard attacher son nom à la restauration du pont de Tours et à la construction du pont d’Iéna, à Paris, M. Galland, se chargea de dessécher et d’assainir les marais de la Boivre, et il réussit. Ce fut pour lui une opération avantageuse. Ce fut pour Poitiers un bienfait.

Hospice de Pont-Achard. — C’est encore une création due à M. Galland. Ce noble ouvrier, qui ne devait sa fortune qu’à son activité et à son intelligence, voulut, en mourant, que l’œuvre de ses mains profitât aux ouvriers qui, moins heureux que lui, ne pourraient trouver un asile honorable après les labeurs d’une longue vie. À la place d’un moulin de chétive apparence, il avait construit à Pont-Achard des bâtiments considérables, une chapelle ; il voulut que tout cela devînt le patrimoine des ouvriers pauvres, et il voulut de plus reposer au milieu d’eux. L’hospice de Pont-Achard est aujourd’hui, en vertu de sa fondation, chargé de fournir neuf lits à autant de pauvres ouvriers invalides. Pendant quelques années, les Sœurs de la Sagesse y ont tenu leur institution de sourdes-muettes, transférée depuis à Larnay, près Poitiers. (V. ci-après, p. 359.) Aujourd’hui, elles y tiennent deux écoles pour les petites filles dont l’une est gratuite, et qui comptent chacune de 60 à 80 élèves.

Pont-Achard. — Le pont Achard existait dès le mois d’octobre 997. Il était connu à cette époque sous le nom de Tentenonus. Quelques années plus tard, il portait le nom de Pons Acardi, ainsi qu’il résulte d’une charte de 1017. Les mémoires domestiques de la famille Achard (encore représentée dans nos murs) prétendaient que ce pont avait été construit par Jean Achard, évêque d’Avranches, théologien distingué et favori de Henri II d’Angleterre, et par son frère Pierre Achard, gouverneur de Poitiers. Ils fixaient à l’an 1162 la date de cette fondation, qui ne peut recevoir cette attribution en présence de la charte de 1017. Nous pensons néanmoins que, tout en se trompant sur le nom du fondateur, les mémoires domestiques ont raison d’attribuer cette construction à un membre de la famille Achard.

Bruzen de la Martinière, à propos de ce pont, s’exprime ainsi dans son grand dictionnaire géographique : « Il y a à Poitiers six portes qui sont… et celle de Pont-à-Char, où les carrosses ne peuvent passer. » Admirez avec nous le jeu de mots du géographe. Malheureusement, pour se donner la puérile satisfaction d’un calembour, son ignorance a fait le contraire de ce singe de la fable qui prenait le Pirée pour un nom d’homme.

Station du chemin de fer. — Encore quelques pas dans la direction du nord, et nous voilà de retour à la station du chemin de fer, qui a été notre point de départ au début de ce voyage… un peu long…. n’est-il pas vrai ?

Nous pourrions donc, à la rigueur, nous séparer là, et nous faire les adieux courtois qui terminent toujours, entre gens bien élevés, une course faite en commun, au milieu d’un échange amical de pensées et de réflexions sérieuses ; mais nous laisserions derrière nous, et à tort, plusieurs points inexplorés et qui ont droit à notre intérêt ou à notre curiosité.

Ils ont échappé à notre examen, en raison de leur situation hors des murs. Si vous y consentez, nous vous dirons, à bâtons rompus, ce qu’ils furent, ce qu’ils sont aujourd’hui, à moins que vous ne préfériez répondre au coup de sifflet du train de Paris-Bordeaux, qui vous convie à une visite — bien rapide, celle-là — du Tunnel, au sortir duquel vous ferez à notre vieille cité votre dernier adieu.



POITIERS
extra-muros

N. B. Les chiffres posés avant chaque titre vous indiqueront la page du texte déjà lu, dans laquelle chaque nouvel article de cette sorte de supplément eût trouvé naturellement sa place, si nous eussions voulu interrompre à chaque pas notre marche générale d’ensemble pour faire çà et là ces excursions partielles.

Commençons par le nord.

209. — Le Porteau. — Près de cette propriété située sur les hauteurs qui dominent la vallée du Clain, à gauche de la route de Poitiers à Châtellerault, et d’où l’on peut jouir d’une vue magnifique, on trouve des puits d’un diamètre d’un à trois mètres, agglomérés au nombre de plus de vingt dans un espace de moins de 30 ares. Ils sont creusés dans le roc et revêtus d’un enduit composé de chaux et de ciment.

Selon l’opinion commune, aux temps des invasions barbares, ces silos ont dû servir de retraite aux hommes et aux denrées. Si vous interrogez les habitants du village, ils vous diront que ces puits communiquaient par un immense souterrain avec le château de Lusignan (à vingt-quatre kilomètres de là), et c’était l’œuvre de la fée Mélusine.

Toujours la même histoire. Mais voici une variante : ces puits ont été creusés par… la lune. Hein !!

Yous trouverez sans doute ceci excentrique, extravagant, pis encore… chut ! N’avez-vous jamais vu d’honnêtes et savantissimes savants qui,

— Pardonnez ce travers au pauvre esprit humain, —
Honteux de n’avoir sous la main,
Pour expliquer un fait, qu’une raison commune,
S’en vont en chercher… dans la lune ?

C’est près de là qu’était le fameux tonneau de Saint-Pierre-le-Puellier, dont nous avons parlé page 85.

209. — Cimetière de l’Hôpital-des-Champs. — L’ordonnance de 1776, qui interdisait d’enterrer dans les églises, devait avoir plus tard pour complément obligé le décret du 23 prairial an XII, qui prohiba les sépultures dans l’intérieur des villes, et fixa la distance à laquelle elles devaient être établies en dehors des centres de population. En vertu de cette prescription, les cimetières que chaque paroisse et chaque communauté possédait à Poitiers auprès de chaque église furent remplacés par deux cimetières, et plus tard par un troisième, dont nous dirons quelques mots.

Le cimetière de l’Hôpital-des-Champs, situé sur la rive droite du Clain, entre la ligne de fer et la rivière, à peu de distance du pont-viaduc, faisait partie d’un hôpital consacré, en 1520, aux pestiférés qui encombraient la ville de Poitiers, décimée par ce cruel fléau. Ce fut François Fumée, maire sortant, qui acheta le terrain et en fit don à la ville.

Passons à l’est.

153. — L’hospice des Incurables. — La création de cet établissement situé sur la rive droite du Clain, au delà du Pont Neuf, a été inspirée par le Père de Montfort (v. l’article de l’hôpital général, page 203), et réalisée par M. Délimeric d’Echoisi, grand-prieur d’Aquitaine, qui recueillit en 1735 quelques malades dans une maison achetée dans ce but charitable, et fit construire plus tard un hôpital plus considérable dans un jardin public.

Cet hospice, dont le nom indique la destination, est desservi par les Religieuses Filles de la Sagesse ; il est disposé pour 150 lits.

153. — Faubourg et église de Saint-Saturnin. — Ce faubourg, qui fut, comme aujourd’hui, l’un des plus considérables de la ville, est situé à l’est, sur la route du Berry. Il existait très-anciennement. Il en est fait mention au XIe siècle. En 1077, il fut donné à l’abbaye de Montierneuf par le fondateur de ce monastère, Gui-Geoffroy, lequel y joignit les redevances imposées aux tanneries nombreuses qui y étaient alors situées, et qui se replièrent plus tard sur la rive gauche, pour être mieux protégées. Il fut brûlé le 12 juillet 1116.

L’église de Saint-Saturnin ou Saint-Sornin existait dès 1149, époque à laquelle sa possession fut confirmée au monastère de Saint-Cyprien par Geoffroy, archevêque de Bordeaux.

Cette église, qui était église paroissiale (la paroisse comptait 500 communiants), existe encore en partie sur la gauche en montant vers la pierre levée ; elle n’offre rien de remarquable.

153. — La pierre levée. — Qu’était-ce que la pierre levée ? Les uns vous diront que c’était un monument druidique, un dolmen, un autel sur lequel les druides offraient au Dieu qu’ils adoraient des victimes humaines. D’autres, en admettant sa destination religieuse, nieront les sacrifices humains et s’appuieront, pour soutenir cette thèse, sur les nobles sentiments et les principes philosophiques des prêtres gaulois : comme si toutes ces belles choses avaient empêché naguère d’autres sacrifices humains ! Enfin certains, moins profondément savants, vous apprendront que sainte Radégonde portait cette pierre sur sa tête pour la poser où elle est, tandis qu’elle tenait les piliers dans son tablier de mousseline. L’un d’eux étant tombé, le diable, que l’érection de ce monument contrariait sans doute, emporta le pilier, ce qui fit


que la sainte ne put poser sa table d’aplomb : aussi n’est-elle soutenue que d’un côté.

Tout cela ne vous satisfait pas, peut-être ; écoutez donc Rabelais :



Pantagruel, « voyant que les escholiers étaient aucunes fois de loisir et ne sçavoient à quoy passer temps, en eut compassion. En ung jour print d’un grand rochier qu’on nomme Passe-Lourdin une grosse roche, ayant environ douze toises en quarré et d’épaisseur quatorze pans, et mit sus quatre pilliers au milieu d’un champ bien à son aise, afin que lesdicts escholiers, quand ils ne sçauroient autre chose faire, passassent temps à monter sus ladicte pierre, et là bancqueter à force flacons, jambons et pastés, et escripre leurs noms dessus avec ung cousteau, et de présent, l’appelle-on la pierre levée. Et en mémoire de ce, n’est aujourd’hui passé aulcun en la matricule de ladicte Université de Poitiers, sinon qu’il ait beu en la fontaine caballine de Croustelles, passé à Passe-Lourdin et monté sur la pierre levée. »

Ce monument, autour duquel se tint, dès l’origine, la foire de la Saint-Luc, est encore quelquefois l’objet d’une vénération qui prend assurément sa source dans des souvenirs religieux que l’on peut rattacher successivement aux druides des temps antiques et aux fées du moyen âge.

Cette vénération ne pouvait cependant le sauver des coups du marteau menaçant, et le vieux dolmen gaulois allait se métamorphoser en macadam, lorsque l’intervention de la Société des antiquaires de l’Ouest et les fonds du ministère de l’intérieur ont fait de ce dolmen une propriété de l’État. Il est à présumer que l’administration des ponts et chaussées ne reprendra pas, plus tard, l’idée de son ancien propriétaire.

153. — Cimetière de la Pierre-Levée. — Près de ce dolmen, à gauche de la route de Poitiers à Bourges, a été établi, en 1830, le cimetière de ce nom. Il contient déjà plusieurs monuments plus ou moins dignes de fixer l’attention.

Il en est un surtout qui mérite une mention spéciale, en raison de son étendue et de sa forme. C’est une chapelle gothique avec toiture en dalles de pierres. Des caveaux sont destinés à recevoir les membres de la famille qui l’a fait construire.

90. — Abbaye de Saint-Cyprien. — Au delà du pont de Saint-Cyprien, à gauche, dans le vaste enclos qui formait la pépinière départementale, se trouvait autrefois l’abbaye de Saint-Cyprien, qui dut à sa situation hors des murs, et au défaut de moyens de défense, ses tristes vicissitudes.

Fondée en 828 par Pépin Ier, roi d’Aquitaine, détruite par les Normands, elle fut reconstruite et dotée par Frottier, deuxième du nom, évêque de Poitiers, et consacrée en 936. Guillaume Fier-à-Bras, comte de Poitou, avait pris l’habit religieux à Saint-Cyprien, et il avait donné à cette abbaye l’église de Maillezais.

Son fils, Guillaume le Grand, ayant fait ériger cette église en abbaye, donna à celle de Saint-Cyprien, à titre d’indemnité, la forêt de Deuil, en Saintonge.

À la fin du XIe siècle, ses possessions étaient immenses ; elle comptait, d’après une charte de Pierre II, évêque de Poitiers, plus de cent églises dans le diocèse. Les confirmations des droits accordés par ce prélat furent renouvelées en 1150 par Gislebert II, et, en 1157, par Chalon ; puis, dans le même temps, pour les diocèses de Saintes, Agen et Bordeaux, par Geoffroy, archevêque de Bordeaux.

Les droits et propriétés de l’abbaye autour de son enclos étaient aussi fort considérables ; mais elle eut à lutter souvent avec l’abbaye de la Trinité sur des points contentieux. Ces possessions nombreuses expliquent comment, au XVe siècle, elle comptait entre deux et trois cents Religieux. En 1510, ce nombre était réduit par les guerres à vingt-cinq. Les Anglais, qui l’avaient déjà détruite une première fois, en 1331 (elle avait été promptement rebâtie, puis rasée en 1418), étaient passés par là ; mais quand vinrent les protestants — qui étaient Français pourtant — ce fut bien pis encore. Tout fut pillé et brûlé, de telle sorte que le couvreur seul demandait 11 480 livres pour les tuiles à fournir.

Nicolas Bouvery, abbé commendataire, entreprit de réparer ces désastres ; mais, au moment où les constructions nouvelles s’élevaient, l’autorité municipale les fit démolir par mesure de sûreté, pour empêcher les ennemis de s’en emparer (1574).

Retirés dans l’intérieur de la ville, où ils firent le service divin dans l’église de Notre-Dame-l’Ancienne, les Religieux ne retournèrent à l’abbaye que sous le gouvernement de M. de la Roche-Pozay, qui y introduisit la réforme de saint Maur, et ils s’y maintinrent malgré les protestations du corps de ville (1664).

Une simple chapelle suffit d’abord aux besoins du culte ; mais bientôt de plus somptueuses constructions s’élevèrent à grands frais.

La chapelle, monument d’ordre dorique, ayant 46 mètres de long, était, dit-on, le plus beau monument moderne du Poitou.

Les dignitaires de cette abbaye étaient à peu près les mêmes qu’à Montierneuf ; mais cependant le principal officier après l’abbé était l’aumônier, qui était chargé de faire, aux dépens du couvent, d’abondantes aumônes. Les revenus, bien diminués par les malheurs des guerres civiles, étaient, en 1714, de 13 000 livres.

Les nouveaux bâtiments étaient à peine achevés, lorsque la Révolution vint les anéantir, les raser et leur substituer… une pépinière, une magnanerie, un jardin botanique. Les frères du R. P. Lacordaire, les Dominicains, y ont planté hier leur tente. Souhaitons-leur, avec la bienvenue, des années qui ne ressemblent pas à 1331, à 1418, à 1574, et surtout à 1793 !!

90. — Couvent des Dominicains. — À la suite de la mission donnée pendant l’Avent de 1867, à la cathédrale de Poitiers, par trois Pères Dominicains du couvent de Lyon, pour le jubilé du 15e anniversaire centenaire de la mort de saint Hilaire, et du Concile provincial dont nous avons parlé, p. 142, Mgr Pie voulut réaliser le désir, souvent manifesté à la province d’Occitanie de l’Immaculée-Conception, de fonder, à Poitiers, un couvent de Frères Prêcheurs et de renouer la chaîne brisée depuis 1789. — V. p. 301.

Quelques Pères, appelés par le provincial qui assistait au Concile, commencèrent une installation provisoire dans une maison, rue de l’Hospice, le 10 janvier 1868, et, au mois de juillet, le nouveau couvent était constitué avec son prieur et un personnel assez restreint.

L’achat de l’enclos de Saint-Cyprien permit bientôt aux Religieux de s’y installer, et de prendre possession, au mois d’août 1869, de la maison abbatiale, seule construction restée debout de l’ancienne abbaye des Bénédictins.

Depuis cette époque, on a commencé à bâtir sur ces emplacements pleins de souvenirs et sur les fondations mêmes de l’ancienne chapelle des Bénédictins, le nouveau couvent destiné, nous dit-on, à devenir le collége théologique de la province d’Occitanie, dans lequel les Religieux pourront conférer, en vertu des privilèges apostoliques, tous les grades théologiques.

En attendant, nous pouvons donc donner comme une réalité ce qui n’était, dans notre 2e édition, qu’un vœu de notre cœur.

En effet, après les tristes vicissitudes auxquelles a été soumise cette ancienne demeure des fils de saint Benoît, les enfants de saint Dominique vont reprendre l’une des plus glorieuses traditions de l’antique abbaye, le chant des louanges de Dieu, par l’office divin.

De la sorte, par l’exercice et la pratique de la vie chorale, le jour et la nuit, à certaines heures, le nom du Seigneur, si déplorablement blasphémé dans le monde, sera béni et invoqué par des lèvres que la vie religieuse doit rendre dignes de ce ministère de réparation.

90. — Les Cours. — Ce fut le 15 janvier 1686, sous l’administration de Nicolas Foucault, intendant du Poitou, que, pour venir en aide à la classe indigente, on fit commencer la promenade située en face de l’abbaye de Saint-Cyprien, et qui s’appelait, comme aujourd’hui, les Cours. On acheta quelques vignes, on aplanit le terrain, on bâtit des murs de soutènement, et on y planta quatre rangs d’ormeaux. Ce travail utile employa 500 ouvriers. On aura une idée du prix des denrées et des journées d’alors, lorsqu’on saura que les hommes gagnaient 3 sols 6 deniers et les femmes 2 sols.

Les Cours n’étaient pas beaucoup plus fréquentés qu’aujourd’hui. Ils servaient, comme de nos jours, aux soldats qui y faisaient l’exercice. Au mercredi saint, il était de bon ton de venir s’y promener en brillants équipages. C’était donc le Longchamp poitevin. Il est encore plus déchu que son confrère de Paris, bien que celui-ci doive regretter, dit-on, les jours passés.

Au sud maintenant.

342. — Chapelle Saint-Jacques. — Au commencement du faubourg de ce nom, sur la route de Bordeaux, à droite, s’élevait la chapelle Saint-Jacques, construite en 1583. C’était une station pour les processions de certaines fêtes et le chef-lieu de la confrérie des pèlerins de Saint-Jacques.

Nous nous rappelons encore avoir vu, avant 1830, les membres de cette confrérie d’ouvriers assister aux processions et offices de Saint-Hilaire, vêtus de la souquenille brune, du camail de toile cirée orné de coquilles, le corps ceint d’un cordon noué, le chef couvert du chapeau rabattu par derrière, relevé à la Henri IV et chargé de médailles et de verroteries, tenant à la main le bourdon des pèlerins auquel étaient attachés la gourde et les rubans aux mille couleurs.

Parmi eux, il y en avait qui avaient réellement fait ce pèlerinage, autrefois fort commun, à Saint-Jacques de Compostelle, en Galice, et ils se distinguaient des autres affiliés par la boîte de fer-blanc dans laquelle étaient déposés les passe-ports et certificats constatant la réalité de leur pieux voyage.

Cette confrérie n’existe plus, ou, du moins, s’il en existe encore quelques membres, ils ne donnent point signe de vie.

342. — Cimetière de Chilvert. — Ce cimetière, situé à droite de l’ancienne chapelle de Saint-Jacques, occupe un emplacement confisqué sur un ancien chanoine de Saint-Hilaire, qui y possédait sa maison de plaisance… Quel enseignement ! Il renferme peu de monuments remarquables. On y voit cependant des caveaux de famille et des tombes portant des noms qui ont honoré la ville de Poitiers.

En sortant de ce cimetière, suivons, au retour, la ruelle qui aboutit directement à la route de Bordeaux, et dirigeons-nous, à droite, vers une chapelle à la flèche élégante qui sert d’oratoire aux pensionnaires de la charité.

342. — Établissement des Petites-Sœurs des pauvres. — Il est dû surtout à l’initiative d’un prêtre du diocèse, M. l’abbé Bellot, ancien vicaire de Notre-Dame et chanoine honoraire, mort l’an dernier (1871).

En 1856, il recueillit quelques dons, quelques promesses de prêts donnant droit de placer dans le futur asile un certain nombre de vieillards indigents, et, comme fondé de pouvoirs de MM. les abbés Lepailleur et Lelienne, supérieurs de l’Institut, il acheta, le 13 août, à la barre du tribunal, la maison de Bel-Air et ses dépendances, au faubourg de la Tranchée.

Depuis, d’autres dons et d’autres prêts ont permis de faire quelques annexes et de construire le grand pavillon des hommes.

La chapelle romane, dont la flèche domine le faubourg, et qui deviendra plus tard une église, continuera les traditions de la chapelle de Saint-Jacques dont elle porte déjà le nom.

C’est au commencement de 1857 que les Petites-Sœurs ont pris possession de la maison de Bel-Air, qui reçoit déjà 80 vieillards indigents de l’un et de l’autre sexe, soignés par 18 Religieuses.

Il était temps que la charité, sans cesse et toujours à propos ingénieuse dans ses admirables inventions, vînt ouvrir ces deux asiles aux vétérans de la misère que chassent impitoyablement de nos hospices le flot toujours montant des enfants trouvés et la décroissance toujours grandissante des ressources fournies aux établissements officiels.

Il est juste de dire, à l’honneur de l’excellente population poitevine, que les Petites-Sœurs ont trouvé dans toutes les classes, et particulièrement chez les marchandes de nos marchés publics, l’accueil sympathique, le concours généreux et empressé que méritait leur dévoûment.

Presque en face du séjour des pauvres se trouve un asile ouvert à des infortunes, hélas ! non moins dignes d’intérêt.

342. — Institution des sourds-muets des Frères de Saint-Gabriel. — En présence du nombre toujours croissant des sourds-muets, et touché du malheur de milliers d’âmes privées des consolations de la religion, le P. Deshayes, supérieur général des congrégations de Saint-Laurent (œuvre dont nous avons vu l’origine toute poitevine à la page 203), songea, dans l’ardeur de sa charité, à leur apporter le seul soulagement efficace qu’il fût donné à l’homme de leur offrir. Il créa des instituteurs capables de créer à leur tour des êtres intelligents là où il n’y aurait eu trop souvent, sans eux, qu’une sorte de matière inerte, livrée aux seuls instincts grossiers de la brute. Le P. Deshayes était encore curé d’Auray lorsqu’il commença à s’occuper des sourds-muets.



La Chartreuse d’Auray offrit son humble asile à Mlle Dulac, première institutrice de l’établissement des sourdes-muettes de Paris, dont la charité ne recula point devant l’œuvre si modeste qui lui était proposée.

Elle enseigna la méthode aux sœurs de la Sagesse d’Auray et à un excellent chrétien de ce pays, M. de Saint-Henri, et bientôt, sous ces élèves, devenus à leur tour maîtres habiles, de pauvres petits garçons, de pauvres petites filles reçurent le grand bienfait d’une éducation jusque-là, sinon complétement refusée, du moins rendue presque impossible à leur cruelle infirmité.

Lorsque le P. Deshayes devint supérieur général des congrégations de Saint-Laurent, loin d’oublier la pensée si chrétienne qui avait fait naître l’établissement de la Chartreuse d’Auray, il songea plutôt à la développer.

Toujours fidèle à ses nobles traditions, la ville de Poitiers lui fournit les moyens de fonder sa première école de sourdes-muettes. C’était en 1833 : le préfet d’alors (M. Boullé) accorda sa protection officielle ; M. l’abbé Lambert, vicaire général, dont nous avons déjà parlé page 339, prêta l’appui de son zèle et de son éloquence persuasive, et bientôt l’école de Pont-Achard compta jusqu’à vingt élèves.

Après la mort de M. l’abbé Lambert, M. l’abbé de Larnay recueillit le legs pieux du vénérable missionnaire, et, grâce à son dévoûment sans limites et à sa féconde activité, l’établissement grandit rapidement.

En 1847, à l’époque où les travaux du chemin de fer vinrent troubler la paix du pieux asile, on dut songer à transférer ailleurs l’institution florissante, et elle fut établie à Larnay, propriété de la famille de ce nom, située à trois kilomètres à l’ouest de Poitiers, sur la route de Nantes. De vastes constructions y furent faites ; une chapelle (style XIIIe siècle), ornée de riches vitraux, y fut bâtie sur les plans du P. Tournesac, et cela constitue aujourd’hui, sous la direction des Filles de la Sagesse, un des plus beaux établissements de ce genre. — Il mérite d’être visité, et si vous avez quelques loisirs à lui consacrer, ce ne sera pas du temps perdu.

Le département de la Vienne reçut en janvier 1838 une deuxième école de sourds-muets, établie à Loudun par le P. Deshayes, et placée sous la direction des Frères de Saint-Gabriel (dont il était, avec le pieux frère du trop fameux abbé de Lamennais, le fondateur). — V. notre Histoire des Congrégations religieuses poitevines, p. 125.

L’école de Loudun fut transférée à Poitiers en 1856, afin que cet établissement, en devenant plus central, pût être, par cela même, plus généralement utile aux familles des départements de l’Ouest.

Dès son installation, cette école s’est trouvée placée sous les favorables auspices du Conseil général de la Vienne et du Conseil municipal de la cité, qui lui ont donné les preuves incontestables de leurs sympathies en y fondant plusieurs bourses et demi-bourses.

Les Conseils généraux des Deux-Sèvres, d’Indre-et-Loire, de l’Indre et de la Charente-Inférieure ; les villes de Niort, de Parthenay, de Châtellerault, etc., et des souscripteurs particuliers, y entretiennent aussi un certain nombre d’enfants, et il est à souhaiter que cette bonne œuvre prenne des développements en harmonie avec le nombre malheureusement trop grand des enfants atteints de surdi-mutité.

Nos lecteurs nous sauront gré, nous en sommes sûr, d’entrer dans quelques détails sur ce sujet si plein d’intérêt.

La méthode que suivent, après l’avoir pratiquée et perfectionnée, les Frères de Saint-Gabriel, sous l’habile direction de leur expérimenté supérieur, a pour but de communiquer aux sourds-muets la connaissance du langage écrit, et en même temps l’usage de la parole à ceux des sujets qui sont susceptibles de profiter de ce dernier bienfait.

Généralement on croit qu’il y a impossibilité pour les sourds-muets d’apprendre à parler : c’est une erreur que les Frères de Saint-Gabriel combattent de toutes leurs forces, et qui naît de ce que l’on ne sait pas que, presque toujours, les muets sont doués de la faculté de parler, et ne sont muets que parce qu’ils sont sourds ; et malheureusement on n’a pas encore pu trouver de méthode qui modifie l’organe de l’ouïe comme on a pu modifier l’organe de la voix.

Les enfants qui, après avoir parlé dans leur premier âge, sont devenus sourds-muets à la suite de maladie, et ceux qui entendent un peu, ont généralement plus d’aptitude pour la parole. Cependant, parmi les sourds-muets de naissance, plusieurs parviennent aussi à parler, et le nombre en est plus grand qu’on ne le pense.

Les Frères de Saint-Gabriel obtiennent dans ce genre d’enseignement des résultats plus prompts et plus pratiques au moyen de la phonodactylologie, système qu’un des maîtres de l’institution de Poitiers a publié il y a quelques années, après avoir visité les principales écoles en France et à l’étranger.

Ce moyen de communication, aussi correct que l’écriture et plus correct que la parole, puisqu’il conserve l’orthographe des mots, est une combinaison de certains mouvements de l’appareil vocal avec des signes de la main et des doigts : de là, son nom de phonodactylologie.

L’élève, étant initié aux principes d’articulation et aux signes phonodactylologiques, se sert de ce système pour s’exprimer de vive voix, tant avec ses maîtres qu’avec ses condisciples. Le sourd-muet qui l’emploie le plus souvent possible se familiarise insensiblement, et presque à son insu, avec l’articulation et les expressions si variées de la langue maternelle, ainsi qu’avec la contexture grammaticale des phrases.

Le sourd-muet qui, après avoir terminé son éducation, parle, même imparfaitement, se trouve moins condamné à l’isolement ; il rentre plus facilement et plus complètement dans la famille et dans la société que le sourd-muet même très-intelligent, mais qui ne parle pas. C’est pourquoi les habiles maîtres de l’institution des sourds-muets de Poitiers encouragent particulièrement leurs élèves à acquérir l’usage si précieux de la parole.

Ils ont remarqué que les sourds-muets, habitués dans leur institution à l’exercice de la parole, aiment de plus en plus à s’exprimer de vive voix et à lire la pensée sur les lèvres ; leurs pères, leurs mères, leurs frères et sœurs, leurs parents, leurs amis et leurs patrons disent hautement que les communications avec eux sont plus faciles et plus agréables qu’avec les sourds-muets instruits seulement par signes et par écriture.

Ces résultats nous semblent précieux pour les infortunés que leurs maîtres dévoués veulent rendre à la religion, à la famille, à la société, et ils doivent suffire pour faire persévérer ces nobles éducateurs dans la voie qu’ils ont suivie jusqu’à ce jour.


Le cours complet de l’institution est de sept ans.

Chaque jour, pendant deux heures, et chaque semaine, pendant une journée tout entière, les élèves se livrent à des occupations manuelles, qui consistent à peu près exclusivement en travaux d’horticulture sous un maître jardinier très-habile.

Nombre des enfants actuellement admis, 50.

Prix de la pension pour l’année scolaire, 500 fr. ; bourses et demi-bourses en faveur des pauvres, payées par les départements, les communes ou les bienfaiteurs, 450 fr. et 225 fr.

Ami lecteur, nous serions bien trompé, si, parmi les choses réellement intéressantes que vous aurez pu noter dans notre petit livret, celle-ci n’obtenait pas sur votre carnet de voyageur une mention toute spéciale.

Les ruines de notre aqueduc romain sont si près de là qu’en vérité nous ne saurions les classer en dehors de notre extrà-muros. Donc, en sortant de chez les Frères de Saint-Gabriel, faites quelques pas hors de la ville, suivez à gauche, et bientôt vous apercevrez le curieux objet de cette pointe à travers champs.

342. — Aqueduc de l’Ermitage. — Ces restes d’un ancien aqueduc, appelés aussi les arcs de Parigny ou de Parigné, sont situés à gauche de la route de Poitiers à Bordeaux, à environ deux kilomètres et demi de la ville. Cet aqueduc amenait à Poitiers, au temps des Romains, la source de Fontaine-le-Comte. Il était souterrain dans une grande partie de son parcours ; mais à l’ermitage il avait un vallon à franchir à ciel ouvert, et on y voit les ruines de cette œuvre, gigantesque autrefois, et qui va bientôt être anéantie par l’action destructive de la pluie et des hivers.

Notre gravure reproduit les trois arcades encore debout après tant de siècles, qui encadrent le paysage au fond duquel se dessine vaguement la ville de Poitiers. Plusieurs aqueducs ou branches d’aqueducs fournissaient à la cité des eaux abondantes, et ils accusent son importance sous les Romains et les soins que mettaient nos vainqueurs à doter les vaincus des bienfaits de leur civilisation.

(V. sur ce sujet l’excellent travail de feu M. Duffaud, ingénieur des ponts et chaussées. Mém. de la Société des antiq. de l’Ouest, 1854.)

chapitre post-scriptum.

UN BAPTÊME À FAIRE.

N. B. Nous ne changerons pas un mot à ces pages qui sont celles de notre 2e édition.

Comme vous l’avez pu voir en jetant les yeux sur le plan de la ville de Poitiers joint à ce volume, plusieurs rues et places nouvellement ouvertes ou en voie d’exécution, ou simplement projetées, attendent encore le baptême officiel qui doit leur imposer un nom.

Cette situation, qui laisse entière une question, au fond très-sérieuse, et assez grave pour qu’elle relève, à ce titre, de l’autorité publique seule, nous permet de donner non pas un avis — nous n’avons pas qualité pour cela — mais des indications dont pourront user, s’ils le jugent bon et comme ils l’estimeront convenable, ceux à qui est confiée la délicate mission d’une décision suprême, à laquelle l’opinion publique ne restera point indifférente.

Aussi bien est-ce à elle que nous nous adressons.

Posons d’abord quelques principes :

1o Il faut être très-sobre de changements de noms en ce qui touche les rues, les places et les monuments publics ; ce n’est pas la seule « manie des antiquailles » qui conseille cette prudente réserve, c’est tout bonnement le devoir d’éviter les réels dangers qu’engendrerait l’instabilité de choses que des raisons d’ordre public condamnent à rester stables.

2o Il ne faut admettre ces changements que lorsqu’ils sont commandés par des motifs d’un caractère réellement sérieux.

3o Quand on s’y résigne, il ne faut pas que ce soit en vue de remplacer une indication historique ou monumentale du passé, si modeste qu’elle puisse être, par une indication du moment, dont on sera trop naturellement tenté d’exagérer la valeur, en la comparant à celle de son aînée, tandis qu’au fond elle serait ejusdem farinæ.

4o Dans une ville de province, ce sont surtout, et sauf des cas exceptionnels fort rares, les célébrités locales, de valeur même secondaire, qui ont droit à voir consacrer et perpétuer leur nom dans la mémoire des générations dont elles sont l’honneur, et auxquelles elles doivent, pour ainsi dire, faire chaque jour ce cours d’histoire populaire qui fait aimer la petite patrie au profit de la grande.

5o Avant tout, il est prudent de se défier d’un entraînement irréfléchi vers les noms empruntés à la politique du jour. Celle du lendemain — qui, en France, est ordinairement l’antipode de celle de la veille — croira faire acte utile de puissance et de force en tuant le nom de la veille, qui, pour elle, est nécessairement un nom ennemi, sauf à subir le surlendemain, à titre de juste représaille, la même sotte exécution.

Voyez, comme exemple, les regrettables mutilations dont nos monuments les plus inoffensifs sont partout les victimes, à cause de la seule épithète qu’il a fallu changer trois fois en cinq ans !!!

Passant à l’application de ces principes, que nous estimons sages, voici quelques idées.

On a bien fait de substituer à un nom fâcheux le nom de la patronne de Poitiers, sainte Radégonde. On fera bien de trouver place, là ou là, pour l’ami de cette sainte reine, pour Fortunat, le grand évêque de Poitiers, le poëte pieux qui fut, dans la Gaule chrétienne, le dernier représentant de la littérature ancienne.

Si la rue que les gamins avaient, justement alors, appelée rue « Mal-Persée » (v. p. 109), attendait un baptême définitif, nous proposerions le nom de Sainte-Croix, qui aurait, à Poitiers, le mérite de rappeler autre chose qu’un monument détruit et ressuscité.

On aurait raison de mentionner quelques noms des vieux maires de Poitiers. Celui d’Irland siérait bien à la rue qui, rayonnant de la nouvelle Préfecture, aboutira provisoirement à l’emplacement de l’ancien logis de « l’Écossais docteur » (v. p. 36), dont les descendants fournirent à notre cité, jusqu’au commencement de ce siècle, des administrateurs intègres et dévoués.

Le nom de Girouard, le sculpteur du monument de Louis XIV, de la façade des Augustins, etc., pourrait se lire convenablement non loin des lieux que son ciseau facile décorait d’œuvres qui n’étaient pas sans mérite.

Jean Bouchet, l’auteur de la première histoire du Poitou, et qui a mérité de voir un de ses nombreux ouvrages occuper une place parmi les « Mémoires relatifs à l’histoire de France », ne devrait pas être oublié.

Nous avons dit, en la page 71, à peu près ce que nous pensions du nom de la rue du Collége à remplacer par celui de rue du Lycée.

C’est un nom grec, c’est plus savant ; cela n’est pas absolument politique ; va pour le mot Lycée.

Mais quel nom donnerait-on à la petite place qui précédera la rue du Lycée, et d’où rayonneront les cinq rues dont elle sera le centre ?

Voici celui que nous proposerions, si nous avions voix au chapitre.

Vous avez pu lire, à la page 71 de ce livre, le nom du personnage qui fut, en 1604, le véritable fondateur du « Lycée » de Poitiers. Il s’appelait tout simplement

Henri IV.

Ce n’est pas là aujourd’hui, nous semble-t-il, un nom politique, ou tout au plus appartient-il à la très-vieille politique nationale, qui ne doit pas avoir d’adversaires dans la France qu’elle a faite. Eh bien ! est-ce que le nom glorieux et populaire du royal fondateur du « Lycée » de Poitiers ne serait pas convenablement inscrit au front de la place, toute petite qu’elle soit, qui formera comme l’avenue du vaste établissement d’instruction publique qui lui doit sa naissance ? « Place du Lycée » serait, nous l’avouons, plus grec ; mais place de Henri IV serait, à tous les points de vue, plus français, et même, en ce cas, beaucoup plus poitevin !

Il a été parlé, nous assure-t-on, du changement du nom de la rue des Capucins, qui s’appelait rue de Blossac.

Il existe déjà une rue de ce nom, celle qui côtoie la promenade jusqu’au boulevard de Tison, et, en vérité, notre Blossac n’a rien à gagner à l’imbroglio que causerait cette mutation parfaitement inutile, dont le besoin ne se fait nullement sentir, et qui, à nos yeux — peut-être trop… antiquaires, il est vrai — aurait le tort de faire disparaître le seul souvenir actuellement existant de l’établissement religieux qu’y provoquèrent, en 1607, « MM. du corps de ville », lesquels, sans doute alors, le croyaient bon à quelque chose.

En tout cas, ce fut l’occupation de ces terrains complètement vagues et inhabités qui forma le prolongement de la cité vers la future création du populaire intendant du Poitou. Blossac ne devrait pas dévorer aujourd’hui jusqu’au nom de sa mère.

Ajoutons que les deux rues voisines de celle des Capucins portent un nom qui n’a réellement, lui aussi, de signification qu’à l’aide de celui de sa mère.

Le nom de la Baume, seul, n’a pas de sens ; mais « la Baume des Capucins » a la signification religieuse que leur donnait la langue de nos pères. Si l’on supprimait l’un, respecter l’autre serait un acte d’ignorance inintelligente qui n’aurait pas d’excuse dans une ville dont chaque rue possède un Collége où l’on enseigne le français.

Et la rue de Blossac actuelle, que deviendrait-elle ? Rue de l’Arsenal, sans doute ?

Pour Dieu ! soyons sérieux en matière sérieuse, et ne condamnons pas la ville de Poitiers à perpétuité au souvenir désobligeant que rappelle ce nom, qui est un mensonge et une sottise. (V. p. 314.)

Arsenal ! Arsenal de quoi ? de foin : car il n’y a jamais eu que cela sous ce toit si modestement approprié à la chose ; mais un arsenal de foin est tout simplement « une grange » ; et, en vérité, notre arsenal de Poitiers n’est que cela, depuis surtout qu’il a perdu de l’ampleur de son enceinte. Appliquant donc le mot à la chose, on devrait appeler l’ancienne rue de Blosac d’un nom qui aurait au moins le mérite d’être vrai pour ceux qui en savent la véritable origine, et qui, pour les non-initiés, pourrait paraître faire revivre, à l’aide d’un heureux double sens, la mémoire d’un mathématicien célèbre, à son tour baptisé Poitevin.

Va donc, si l’on y tient, pour le nom de la rue de la Grange ! ! !

On nous pardonnera cette plaisanterie qui répond à une autre.

Parmi les souvenirs poitevins qu’il ne faut pas laisser mourir et qu’on doit, au contraire, faire vivre, parce qu’ils sont l’honneur de nos pères, nous citerons ceux qui se rattachent au siège de 1569.

Ce n’est pas là de la politique, et nous n’en sommes plus, Dieu merci, à ignorer encore que ceux-là qui combattirent alors en France ce que nos pères combattaient derrière leurs murs, défendaient réellement le véritable drapeau de la France contre l’égoïsme de quelques grands beaucoup plus ambitieux qu’ils n’étaient religieux et patriotes.

Ceci étant, deux noms — peut-être trois — nous sembleraient dignes de rappeler à nos enfants l’une des plus belles pages de l’histoire de leurs pères.

Le troisième nom serait celui de ce jeune duc de Guise qui, malgré le mauvais vouloir de Monsieur, duc d’Anjou — le futur assassin de Blois — se jetait résolûment dans nos murs, et par le courage dont il fut prodigue et par son attitude constamment résolue, fut une des principales causes de la résistance héroïque des assiégés.

Le nouveau boulevard qui couronne les vieux restes des remparts de Tison, protégés et illustrés par l’artillerie poitevine de 1569, pourrait certainement s’appeler boulevard de Guise. Ce ne serait pas une dérogeance !

Mais ce qu’il faut absolument faire revivre, ce sont au moins les noms des deux chefs civil et militaire qui présidèrent à la longue défense couronnée par la victoire.

Le maire de Poitiers fut élu le 14 juillet au milieu des préparatifs de la défense ; il fut installé le 24, le jour même où apparurent en vue de Saint-Cyprien les premiers détachements ennemis.

Celui-là n’avait pas peur du danger qui acceptait ainsi la périlleuse charge d’Herbert, le pendu de 1562, en face de l’ennemi qui lui réservait assurément, pour représailles, la potence de la place de Notre-Dame.

Un pareil début garantissait la fin : et en effet, Joseph Le Bascle, maire de Poitiers, ne faiblit pas un seul instant pendant ces soixante jours de lutte acharnée, et le noble exemple du magistrat civil fut pour beaucoup dans le résultat glorieux qui préserva des horreurs du pillage ses concitoyens sauvés.

Honneur au maire Le Bascle !!

Inscrivez donc ce nom, digne d’être mieux connu, au front du boulevard nouveau qui va aboutir à la tour historique que nous avons sauvée parce que, en 1569, elle contribua puissamment, elle aussi, à sauver nos pères.

Du carrefour des Quatre-Vents une rue nouvelle aboutira bientôt au Pré-l’Abbesse, à ce lieu de faible résistance, qui eût livré la ville aux assiégeants de 1569, si les corps et les cœurs ne se fussent pas substitués aux murailles croulantes et aux remparts défaillants ; appelez-la rue de Daillon !

Et à ceux qui vous diraient d’un certain air :

« Daillon ! qu’est-ce que cela ? » vous répondrez :

« Cela est le nom d’un homme qui fut avec honneur gouverneur du Poitou pendant près de vingt-huit années et dans des jours très-difficiles ; d’un homme qui mérita, par son expérience reconnue, ce compliment du jeune Guise, accouru sous ses ordres : « Privé des leçons et des exemples de mon père, je « n’ai trouvé que vous qui puissiez le remplacer et m’apprendre l’art de la « guerre. » C’était le nom d’un homme qui, se souvenant qu’il était le petit-fils du vigoureux soldat qui avait défendu, pendant onze mois, Fontarabie contre toutes les forces de l’Espagne, vint imiter ce noble exemple en s’enfermant dans nos murs pour s’y ensevelir, s’il le fallait, avec nos pères.

« Et il n’y vint pas seul, à ce poste périlleux ; et quoiqu’il ne fût pas Poitevin, il y amena ses trois frères, dont aucun ne s’épargna pour le salut commun ; pas même l’évêque nommé de Luçon, l’abbé des Chastelliers, qui se chargea de la police de la ville, et, à la tête de cent hommes, parcourait, à chaque alarme, les rues de la cité pour empêcher pacifiquement les mouvements anti-patriotiques des ennemis de l’intérieur.

« Et un jour, le plus jeune des quatre frères étant allé voir les brèches du « Pré-l’Abbesse, où les ennemis tiroyent incessamment, afin de voir comment « tout s’y portoit, et comme il y ordonnoit et commandoit quelque chose, un « boulet vint qui lui emporta la teste et la meist en tant de pièces qu’on n’en « sceut après rien trouver. » (Liberge.)

« Voilà pourquoi nous avons donné à cette rue le nom de Daillon, qu’elle gardera en mémoire du dévoûment et du sang prodigués là pour le salut de nos pères. »

Et, devant cette explication patriotique, les fronts des rieurs s’inclineront, et il vous sera dit: « Vous avez bien fait. »

Nous avons vu (p. 26, 176, 257,) comment et pourquoi Jeanne d’Arc fit séjour à Poitiers au mois de mars 1429. Un morceau de pierre brut et informe déposé dans un obscur musée, après avoir été, à grand’peine, sauvé de la pioche d’un paveur, voilà, dans une ville si fidèle aux vieux souvenirs, tout ce qui reste des traces de l’héroïne qui sauva la France.

Ce n’est pas assez ! La reconnaissance du pays doit autre chose à cette grande mémoire.

Nous savons que l’hôtel de la Rose, où logea la Pucelle, quand elle vint à Poitiers prouver sa mission providentielle, était situé dans la rue de Saint-Étienne. Or, à cette rue aboutit justement aujourd’hui une rue nouvelle et importante qui débouche du marché de Notre-Dame. Son nom tout naturel doit être le nom de Jeanne-d’Arc.

Qui oserait lui opposer celui de Mexico que, dans un empressement trop hâté, lui valut naguère un baptême imprudent et, Dieu merci, provisoire, puisqu’il n’a pas reçu la sanction suprême qui, seule heureusement, aurait le droit de le rendre douloureusement définitif ?

S’il est impossible de ravir à l’impitoyable plume de l’implacable histoire une triste page de nos annales, il est plus impossible encore d’imposer au patriotisme poitevin le supplice sans fin qui forcerait nos lèvres frémissantes à prononcer chaque jour et à chaque instant du jour un nom désormais fatalement lié par un trait d’union sanglant à celui de… Queretaro !

Oui, notre patriotisme vrai substituera au lamentable souvenir d’une couronne placée par la main de la France sur un front qu’elle a laissé découronner, le souvenir heureux de l’héroïne française qui, à Poitiers, vint prendre par la main le « petit roi de Bourges» pour en faire, à Reims, en face de l’intrus anglais de Paris, le vrai roi de France, mourant plus tard, couronne en tête, roi de France et Charles le Victorieux !

Oui, à Poitiers, le nom si purement français de Jeanne d’Arc étouffera patriotiquement le nom étranger que les lois les plus vulgaires de la courtoisie — qui est française, elle aussi — défendent d’ailleurs de proposer désormais à la signature de l’hôte condoléant de Salzbourg !

Et, en attendant, notre main se refuse à inscrire dans ce livre patriote un nom qui ne l’est pas !

1872. — Nous tenons à le répéter ici — et les hommes de cœur comprendront pourquoi cette déclaration — nous n’avons pas changé un iôta à ce texte de 1868 !



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AUTOUR  DE  POITIERS


Croutelle. — Ce petit bourg, situé à 7 kilomètres de Poitiers, jouit d’une réputation qui date de loin, mais à des titres divers. Rabelais nous a parlé de sa célèbre fontaine caballine, dans laquelle tout bon eschollier devait nécessairement boire avant d’être passé en la matricule de l’Université de Poictiers.

Jusque-là il n’y a pas de mal. Une fontaine caballine emporte avec soi l’idée de quelques sortiléges, et les sorciers, en général, ne sont pas trop niais, car ils ne se trompent jamais… Quant aux autres, ceux qui les consultent, c’est autre chose. Donc, de la citation rabelaisienne à celle qui a pu mettre en renom notre pauvre voisin à l’endroit de ses finesses, il y a un abîme. Comment cet abîme a-t-il pu être franchi ? Eh ! mon Dieu, tout simplement au moyen de ce qui sert à franchir les abîmes, au moyen d’un pont, et voici comment : En l’an…, nous ne vous dirons point le millésime, vu que nous l’ignorons nous-même — ce n’est pas toujours une raison, mais pour nous c’en est une — en l’an mil…, un pont fut donc construit à Croutelle, probablement sur la rivière de Croutelle ; nous n’avons pas vérifié le fait, mais il est présumable. Or, sur ce pont, une inscription fut gravée ; elle était en latin, hélas ! comme toute inscription d’alors, et ce fut bien là le malheur des Croutellois. Elle était ainsi conçue :

Hic pons factus est annoce pont a été fait en l’année

Jusque-là encore rien que de très-convenable ; mais ne voilà-t-il pas qu’une main ténébreusement maligne s’étant avisée de coiffer l’i du premier mot d’un large bonnet chinois, î, les antiquaires d’alors lurent tout couramment et sans lunettes, au grand jour, éclairé d’un soleil étincelant, ces mots :

hîc pons factus est annoce pont a été fait
icien l’année

Et les antiquaires, malgré leur gravité, de partir d’un éclat de rire homérique ; il ne pouvait être moindre.

Cet éclat de rire immense retentit au loin ; l’Olympe terrestre en fut ébranlé, et aussi la bonne réputation des sorciers croutellois, qui, atteints et convaincus d’un crime anti-français commis en latin — circonstance aggravante — se virent condamnés à être marqués à perpétuité de ce fer chaud :


Les finesses de Croutelle.

On espérait obtenir du temps et de l’oubli une commutation de peine : vain espoir ! Il y a quelques années, un député de Châtellerault l’ayant emporté sur son concurrent — lequel avait eu plus de voix que lui — grâce à la décision de la Chambre, qui avait annulé quelques bulletins, on parla beaucoup de ce député de Châtellerault fait à Paris — et notez bien que ce n’était pas la première fois que Paris faisait au lieu et place de la France, mauvaise habitude qu’il faut aujourd’hui lui faire perdre, en le mettant dans l’impuissance de recommencer. — Mais ce ne fut pas tout : les malins journalistes ne manquèrent pas de dire, d’écrire et d’imprimer d’horribles plaisanteries sur ce texte : « Dans le département de la Vienne, il n’en est pas de ses députés comme de ses ponts ; ceux-ci, les gens de Croutelle, les font chez eux ; ceux-là, les gens de Châtellerault les font à Paris, etc., etc. »

Que cet exemple d’une triste infortune ne soit pas perdu pour vous, cher lecteur ; qu’il vous serve de leçon, qu’il soit constamment sous vos yeux, dans vos pensées, dans votre esprit ; surtout puisse-t-il vous apprendre à vous défier des inscriptions latines et des accents circonflexes ! puis, comme moralité :

Pour ne rien omettre,
Concluons ici
Qu’il est bon de mettre
Les points sur les i.

Abbaye de Ligugé. — C’est à Ligugé, lieu situé à 8 kilomètres de Poitiers, humble bourgade traversée par la ligne de fer de Paris à Bordeaux (station), que, vers l’an 361, saint Martin donna à l’Occident le premier modèle de la vie monastique. « C’est donc là », dirons-nous avec notre savant et vénérable ami Mgr Cousseau, évêque d’Angoulême, « le berceau de cette institution qui, depuis, prit chez nous un si grand essor, qui couvrit l’Europe de maisons de prière, de science et de travail, et fit ainsi l’éducation des peuples modernes, enfants ingrats qui lui donnent aujourd’hui quelques tardifs regrets, après l’avoir mise au tombeau. » (Le plus ancien Monastère des Gaules. — Mém. de la Soc. des Antiq. de l’Ouest, 1839, p. 37 et suiv.)

Illustrée dès sa naissance, par la sainteté et les miracles du destructeur de l’idolâtrie dans les Gaules, de l’homme choisi de Dieu pour être le modèle des solitaires et des pasteurs de l’Eglise, l’abbaye de Ligugé fut, pour ainsi dire, avec celle de Marmoutiers, chef d’Ordre dans nos contrées, et elle ne perdit ce titre glorieux que par la domination universelle de la règle de Saint-Benoît depuis le VIIe et le VIIIe siècles.

C’est à Ligugé que saint Savin (qu’il ne faut pas confondre avec le martyr de ce nom honoré sur les bords de la Gartempe) fit le noviciat de trois années, à la suite duquel il alla s’enfermer dans une solitude des Pyrénées, au lieu où fut fondé, après sa mort, le célèbre monastère qui porta son nom.

À cette époque, la science n’était pas moins en honneur que la piété dans l’abbaye de Saint-Martin. L’abbé Ursin, auteur lui-même d’une Vie de saint Léger, évêque d’Autun et martyr (un Poitevin), occupait la chaire abbatiale de Ligugé, pendant que le moine Défensor publiait, sous son inspiration, le livre des Étincelles (scintillœ), recueil de maximes tirées de la Sainte Écriture et des Pères de l’Église, imprimé plusieurs fois pendant le XVI siècle, et tout récemment encore dans la Patrologie de l’abbé Migne (tom. lxxx, p. 598).

L’invasion sarrasine, d’abord, plus tard celle des Normands accumulèrent ruines sur ruines dans ce foyer de lumière et de sainteté ; les pieux habitants du monastère furent tués ou dispersés, et ses biens devinrent la proie des comtes de Poitou et de leurs feudataires.

Il semble pourtant qu’à travers ces désastres il s’y ranime, par moments, quelques lueurs de vie monastique jusqu’au milieu du XIe siècle, où recommence la vie historique du monastère de Ligugé.

À cette époque, en effet, on voit Theudelin, abbé de Maillezais, annexer à son abbaye, fondée plus de 60 ans auparavant, les restes de celle de Ligugé qu’il relève, mais avec la simple dénomination de prieuré.

Bien qu’il eût perdu son autonomie et son titre d’abbaye, le monastère de Ligugé ne fut pas pourtant dépourvu de toute gloire. Les papes Urbain II et Clément V l’honorèrent de leur visite, et de nombreux pèlerins vinrent aussi y vénérer la mémoire de l’Apôtre des Gaules.

En 1359, les Anglais réduisirent en cendres l’église et le monastère, et ce fut seulement à la fin du XVe siècle que Jean d’Amboise, évêque de Maillezais, releva les cloîtres et commença même probablement les travaux de l’église. Ce monument fut achevé par Geoffroy d’Estissac, évêque de Maillezais de 1518 à 1644, qui lui imprima le cachet de cette époque. — V. p. 339.

Les protestants ne pouvaient manquer de laisser des traces de leur vandalisme dans un lieu consacré à la mémoire d’un saint qu’ils avaient particulièrement en horreur, à cause de l’antiquité et de la popularité de son culte. Ils pillèrent, dévastèrent, et brûlèrent même en partie l’église qui lui était dédiée.

Là s’arrête la série des prieurs réguliers et commence celle des prieurs commendataires, dont le dernier, Gaspard Lefranc, céda, en 1606, la jouissance de ce bénéfice aux Jésuites du collége de Poitiers. Incaméré d’abord à la Chambre ecclésiastique, lors de la suppression de leur institut ; vendu plus tard nationalement, le monastère de Ligugé fut acheté en 1852 par Mgr Pie, évêque de Poitiers, l’intelligent et si zélé restaurateur de tant de monuments religieux dans son diocèse. Par le concours de l’illustre prélat et du supérieur général de la Congrégation des Bénédictins de France, le savant et pieux Dom Guéranger, abbé de Solesmes une colonie de Religieux partis de l’abbaye de Solesmes prit possession, le 25 novembre 1853, de l’antique monastère restauré, et lui rendit sa vie de mortification, d’étude et de prière.

En 1856, Mgr Pie obtint du Saint-Siége que le titre d’abbaye fût rendu au plus ancien monastère des Gaules ; mais ce n’est que le 25 novembre 1864, et par l’institution de Dom Bastide, que la série des abbés de Ligugé a pu reprendre son cours, après avoir été interrompue pendant plus de dix siècles !

Il existe encore une partie des anciens bâtiments monastiques construits au XVe siècle ; ils contiennent aujourd’hui la bibliothèque.

L’église, tout à la fois abbatiale et paroissiale, est d’une architecture élégante, dont la simplicité, à l’intérieur, contraste avec le luxe d’ornementation du portail, sur lequel la Renaissance a découpé ses riches ciselures.

À quelques pas de l’église, à l’angle N.-E. de l’enclos du monastère, existe un monument bien digne de fixer l’attention : c’est là que le thaumaturge des Gaules ressuscita, suivant le récit de Sulpice Sévère, un catéchumène mort depuis trois jours ; c’est là que, depuis quinze siècles, ce précieux souvenir et la vénération envers saint Martin attirent de fervents et souvent illustres pèlerins. Sur les ruines de l’ancien oratoire, la piété de plusieurs princes de l’Église, unie au zèle de M. de Ligron, alors curé de Ligugé, a érigé, vers 1850, une chapelle modeste, mais bien ordonnée. Le vitrail rappelle, avec le fait miraculeux de la résurrection du catéchumène, les noms de saint Hilaire et de saint Martin, le maître et le disciple. L’intervention de NN. SS. l’archevêque de Tours et les évêques de Poitiers et d’Angoulême, dans l’oeuvre réparatrice, y est signalée par les armoiries de ces vénérables prélats.

Aux pieux ou savants visiteurs qui souhaiteraient approfondir l’histoire de ces lieux si justement chers à la science et à la piété, nous conseillerons de consulter l’œuvre sérieuse que notre vénéré confrère de la Société des Antiquaires de l’Ouest, le R. P. Dom Chamard, Bénédictin de Ligugé, va publier sur ce sujet, probablement dans le cours de cette année.

C’est ainsi que les enfants de saint Benoît, marchant sur les nobles traces de leurs illustres guides, les Pitra, les Guéranger, etc., prouvent qu’ils n’entendent rien répudier du double héritage de leur glorieuse famille.

La fabrique de gluten, que nous signalions dans nos précédentes éditions, à Ligugé, a été remplacée par une fort importante filature de chanvre, occupant plusieurs centaines d’ouvriers.

Biard. — Dans notre première édition, nous pouvions signaler là un établissement industriel — chose rare — une filature de coton qui employait alors près de 800 ouvriers et ouvrières. Elle a succombé sous cette loi fatale qui ne permet pas à la France ce que l’Angleterre a eu le soin de garder, pour garantir à l’un des enfants les moyens de continuer l’œuvre paternelle, au lieu de la laisser s’émietter et se réduire à l’impuissance des infiniment petits.

C’est près du bourg de Biard que se trouve le beau champ de manœuvres du régiment de cavalerie qui tient ordinairement garnison à Poitiers.

Il sert aussi aux courses de chevaux qui, depuis plusieurs années déjà, ont lieu tous les ans à Poitiers, vers la mi-mai.

Migné. — Ce bourg, situé à environ quatre kilomètres au nord-ouest de Poitiers, mérite, de notre part, une mention particulière, car il a dû à un fait mémorable, qui eut un grand retentissement dans le monde religieux, une célébrité que n’ont pas encore oubliée les cœurs chrétiens. Nous voulons parler de l’apparition merveilleuse d’une croix dans les airs, le 17 décembre 1826.

C’était au jour de la clôture des exercices du jubilé, vers cinq heures du soir ; au moment où le prédicateur, placé au pied de la croix de bois qui venait d’être scellée en terre, rappelait la croix lumineuse apparue à Constantin marchant contre Maxence, les spectateurs aperçurent une immense croix de lumière étendue à cent pieds au-dessus de leurs têtes, sur un ciel sans nuages ; elle était couchée horizontalement de l’orient à l’occident, le pied correspondant à l’occident. Ses proportions étaient celles d’une croix latine régulière ; ses contours étaient nets, ses côtés taillés à arêtes vives. À la vue, elle paraissait longue de quatre-vingts pieds ; sa couleur, sans nom, se rapprochait du blanc argentin légèrement teinté de rose.

Cette apparition dura environ une demi-heure et ne cessa pas subitement. La tige principale se fondit peu à peu dans l’espace, à commencer par le pied, puis les quatre branches égales formèrent une croix grecque, et le tout s’effaça complètement.

Il y avait là 3 000 spectateurs, dont plusieurs existent encore et redisent, avec une unanimité qui n’a jamais varié depuis le premier jour, les détails merveilleux dont ils furent les témoins.

L’autorité ecclésiastique les fit constater par une commission composée d’hommes éminents, parmi lesquels on comptait le professeur de physique du collége royal de Poitiers, qui appartenait à la religion protestante, et qui proclama, tout le premier, que la science ne pouvait pas seule expliquer un fait qu’elle n’avait pu produire. Les incrédules tentèrent ce que la véritable science n’essaya pas, et aboutirent aux hypothèses les plus niaises et aux conclusions les plus ridicules, le tout pour justifier la thèse favorite: « Il n’y a point eu miracle. »

Plus faible d’esprit, hélas ! que les grands génies qui limitent ainsi le pouvoir du Créateur aux seules choses qu’ils puissent comprendre, nous nous inclinons respectueusement devant l’opinion émise par le prudent et pieux évêque de Poitiers, Mgr J.-B. de Bouillé, dans son mandement du 28 novembre 1827 ; et par le pape Léon XII, de sainte mémoire, dans son Bref du 18 avril 1827, et nous restons « persuadé de la vérité du miracle ». Le lieu, du reste, était assez bien choisi, puisque ce fut là que, selon les plus graves autorités, la sainte reine Radégonde et le peuple de Poitiers allaient recevoir, treize siècles auparavant, des mains de l’envoyé de l’empereur d’Orient, la parcelle précieuse du bois sacré qui fut l’instrument du salut du monde. (V. p. 98 et 145.)

À peu de distance de Migné se trouve l’établissement des sourdes-muettes de Larnay, dont nous avons parlé p. 359.

Moussais-la-Bataille. — À peu de distance et au sud du Vieux Poitiers, se trouve un village du nom de Moussais-la-Bataille. Ce fut là, selon des écrivains dignes de confiance, qui nous paraissent avoir fixé une question fort controversée, qu’eut lieu en 732 la sanglante défaite des Sarrasins, sous le commandement d’Abd-el-Rhaman, par Charles le Martel, chef des Francs d’Austrasie. L’armée musulmane se composait de 400 000 personnes de tout sexe et de tout âge : celle des Francs ne s’élevait pas à plus de 30 000 hommes. Les musulmans durent se placer en arrière du village de Moussais-la-Bataille, leur gauche appuyée au Clain, le centre à la chaussée romaine et la droite aux hauteurs de la ferme encore appelée la Bataille. Le carnage fut horrible : les femmes et les enfants périrent tous, ainsi que le plus grand nombre des combattants, leur chef en tête. Ce grand événement sauva la nationalité française.

Pour plus de détails, v. un article inséré par M. le commandant d’état-major Saint-Hipolyte dans le Spectateur militaire, et publié par extraits dans les Mémoires de la Société des antiquaires de l’Ouest de 1844.

Champ de bataille de Poitiers ou de Maupertuis. — À sept kilomètres de Poitiers, dans la direction de l’est, à peu de distance de la route de Poitiers à Limoges, près de l’ancienne voie romaine qui reliait ces deux villes, se trouve le domaine de la Cardinerie, autrefois Maupertuis. C’est une ferme de la commune de Nouaillé. C’est là que, le lundi 19 septembre 1356, 14 000 soldats commandés par le Prince Noir, fils du roi Édouard d’Angleterre, défirent complètement l’armée française trois fois plus nombreuse, et lui tuèrent 11 000 hommes, parmi lesquels treize comtes, soixante-dix barons et deux mille chevaliers.

On trouve encore sur ces lieux, où périrent 16 000 hommes, le champ de la bataille ; ce fut sans doute le point où se fit le plus grand carnage : aussi le soc de la charrue y a mis souvent à découvert des débris d’armures et des ossements, témoins muets mais irrécusables de cette lutte effroyable.

Le camp du prince Noir devait s’appuyer sur le bois de Nouaillé, ayant sa droite parallèlement à la voie romaine, et sa gauche au ruisseau du Miosson. L’armée française se développait sur une vaste étendue, depuis la Cardinerie jusqu’à deux kilomètres vers Poitiers. Cette journée fut la preuve de ce que peuvent de bonnes dispositions stratégiques, unies au désespoir d’hommes déterminés, contre la mauvaise disposition de masses nombreuses mais mal dirigées.

Nous avons vu dans quels lieux furent enterrés les cadavres des principaux personnages tués dans cette déplorable affaire (v. p. 283 et 302).

(Pour plus de détails, v. l’article de M. Saint-Hipolyte, Mémoires de la Société des antiquaires de l’Ouest, 1844.)

Abbaye de Nouaillé. — Nous venons de parler de cette abbaye, et nous en sommes trop rapprochés pour que vous ne teniez pas à la voir de vos yeux. Cette abbaye a été fondée en 799 par Aton, évêque de Saintes, chanoine de la cathédrale de Poitiers et abbé de Saint-Hilaire de la même ville.

Charlemagne et Louis le Débonnaire l’enrichirent de leurs dons, et elle reçut avec les reliques de saint Junien (830) de grands accroissements. Ravagée et ruinée par les Normands en 863, elle éprouva d’autres désastres pendant nos guerres étrangères et intestines, et fut brûlée par les protestants en 1569. Elle avait dû être en reconstruction au moment de la bataille de Maupertuis.

Les bâtiments claustraux ont été vendus et partagés à l’époque de la Révolution. Son église, qui présente les caractères du XIIIe, du XIVe et du XVIIe siècle dans ses parties essentielles, renferme des stalles et un jubé du XVIe siècle qui offrent de l’intérêt. Cet édifice est classé parmi les monuments historiques ; mais l’insuffisance des ressources dont dispose l’administration a empêché jusqu’ici les secours que son état de délabrement rendait pourtant bien nécessaires et que nous avons vainement sollicités.

Champ de bataille de Voulon. — Pendant longtemps, des écrivains nombreux ont placé à Vouillé le théâtre de la bataille qui, en 507, fit tomber Alaric Il et l’arianisme sous les coups de Clovis ; mais des études plus sérieuses, dont les premières, dues à un Poitevin, M. de Touzalin de Lussabeau (1739), furent publiées par le savant abbé Le Bœuf, et des recherches faites en ces derniers temps par Mgr de Beauregard, évêque d’Orléans, semblent démontrer que c’est une erreur. C’est dans les plaines situées au sud de Poitiers, sur la rive droite du Clain, entre Voulon et Mougon (campus Vocladensis et Mogotensis), qu’eut lieu cette action célèbre ; on y voit encore le camp de Sichar (que l’on est autorisé à regarder comme étant le camp même de Clovis, et qui pouvait contenir une armée de 100 000 hommes avec ses bagages), des tombelles couvertes de bois, des tombes en pierres sèches ou en maçonnerie ; c’étaient sans doute les sépultures des principaux Francs tués dans la mêlée.

Pour plus de détails, v. un article de M. Saint-Hipolyte. — Mémoires de la Soc. des antiq. de l’Ouest, 1844.

Chauvigny. — Si nous étions au temps des Romains, la voie ferrée qui reliait la capitale des Pictons (Poitiers) avec celle des Bituriges (Bourges) nous conduirait directement au gué des Chirets, où cette voie traversait la Vienne. De là vous verriez avec plaisir le charmant paysage à l’horizon duquel se dresse la ville des preux, avec son château en ruines et sa basilique restaurée. Mais nous sommes en plein XIXe siècle ; la route roya..., nationa..., impéria..., puis encore nationale de Poitiers à Avallon, vous conduira donc tout simplement, et par une ligne légèrement inclinée sur la gauche de la voie romaine, au but de ce voyage.

Visitez l’église de Notre-Dame et sa curieuse abside ; visitez ce précieux échantillon de l’art roman que l’on nomme Saint-Pierre de Chauvigny, et que l’administration des monuments historiques arrachait, il y a quelque temps, au désastre qui le menaçait ; accordez enfin quelques instants aux ruines de ce château. Il nous doit de n’être plus exposé à devenir une carrière civile après avoir abrité les fils de ce René de Chauvigny, ce preux des preux, qui eut l’honneur de désarçonner Saladin dans un tournoi, et qui, dans un combat sanglant, se précipita seul avec tant d’impétuosité sur les Sarrasins, qu’ils s’enfuirent en s’écriant : Les chevaliers pleuvent, devise adoptée depuis lors par la maison de cet illustre guerrier.

Tous ces souvenirs, le château de Chauvigny les gardera jusqu’à ce que l’État, qui par nos soins en est devenu propriétaire, soit rayé, lui aussi, de la liste des propriétaires.

Ce n’est point précisément là que tendrait certaine école, qui serait portée, au contraire, à faire de l’État le seul et unique propriétaire de toutes choses. Et pourquoi pas ?

On prétend bien déjà qu’il doit être le maître à peu près absolu de choses que nous regardons, nous, comme n’étant nullement de son domaine !

Civray. — Tous les antiquaires connaissent, au moins d’après des dessins, la magnifique façade de l’église de Saint-Nicolas de Civray, qui mérite à tous égards la réputation qu’on lui a faite et la protection particulière dont elle a été l’objet de la part du gouvernement, lequel n’a pas reculé devant la démolition et la reconstruction pierre par pierre de ce curieux spécimen de l’art roman.

Cette église déjà placée, dès le 28 octobre 1119, sous le vocable de Saint-Nicolas, dont vous verrez la statue et la légende figurer à la place d’honneur, en regard de la statue équestre qui servira pendant longtemps encore de texte aux dissertations des savants, est due, selon nous, à Othon, fils de Henri II, duc de Bavière et de Saxe, et de Mathilde, fille de Henri II d’Angleterre, et, par conséquent, petit-fils par sa mère de notre Aliénor d’Aquitaine, empereur sous le nom d’Othon IV. La puissance de ce prince expliquerait seule, à notre avis, la construction d’un monument aussi grandiose dans une terre qui était primitivement de fort peu d’importance.

Charroux. — À peu de distance de Civray, se trouvent les restes de l’antique abbaye royale de Charroux fondée par Charlemagne et Roger, comte de Limoges. Ce fut, au moyen âge, une puissance par ses richesses et les possessions considérables qu’elle comptait jusqu’en Angleterre. Son église répondait à cette situation, et elle est citée dans tous les ouvrages spéciaux pour sa forme peu commune, qui en faisait une sorte de copie de celle du Saint-Sépulcre de Jérusalem.

Elle a été démolie à la suite de la Révolution, et il n’en reste plus que le sanctuaire dont la coupole, supportée par les huit piliers qu’elle couronne, brave encore, debout et d’aplomb comme aux jours de sa splendeur, les outrages des hivers, et offre l’aspect le plus curieux.

Nous avons été assez heureux pour obtenir du gouvernement, en sa faveur, la seule chose possible, un abri contre l’action destructive de la pluie, et nous avons pu y faire déposer les belles statues qui décoraient les voussoirs et le tympan de la porte médiane de la façade occidentale de la magnifique basilique, que nous avons achetées pour l’État au moment où cette façade a été démolie. — V. notre notice, Mémoires des Antiquaires de l’Ouest, 1835.

Montmorillon. — Baptisé par Montfaucon et par bien d’autres du nom pompeux de Temple druidique, l’Octogone de Montmorillon a été restitué par la science des archéologues, à sa véritable origine et à sa destination primitive. On reconnaît aujourd’hui qu’il faisait partie d’un ancien établissement de charité fondé, au retour de la première croisade, sous le nom de Maison-Dieu, pour recevoir les pauvres et les pèlerins. Le caractère de son architecture est d’accord avec ces données historiques, et les figures grossières et allégoriques qui avaient causé l’erreur de Montfaucon sont évidemment un emprunt et une addition faite après coup.

Assurément, l’Octogone perd quelque chose de son prestige à se voir ainsi réduit à l’âge moyen de nos monuments vieillards ; on ne pourra guère, en le rajeunissant ainsi d’un millier d’années, venir en aide à la thèse du populaire qui affirme, avec une énergie magnifique de conviction patriotique, qu’il « a soutenu le déluge ». Mais, enfin, force lui sera de se contenter du mérite plus modeste d’avoir pu braver quelque chose comme huit cents hivers, sans que sa verte vieillesse en paraisse trop fatiguée. N’est-ce pas déjà fort honorable ?

À Montmorillon, outre le petit séminaire diocésain, qui est un établissement des plus remarquables et des plus florissants, où l’on a su conserver les traditions qui faisaient, dès 1828 déjà, sa grande renommée, et dont la chapelle a reçu, à l’heure qu’il est, sous l’heureuse impulsion de Mgr Pie, évêque de Poitiers, une magistrale décoration murale due au pinceau d’un de nos amis (M. de Galembert), vous trouverez une église en construction que nous vous conseillons de visiter.

Saint-Martial sera un vrai monument, honorable pour la mémoire de son architecte (le regrettable M. Segrétain), pour la mémoire du pasteur qui méritait de l’achever (M. l’abbé Gaufreteau), honorable aussi pour les dignes héritiers de ce double legs, et pour les généreux fidèles qui ont rendu possible cette manifestation de leur foi !

Saint-Savin — L’église de Saint-Savin est assurément le plus précieux monument d’architecture romane pure que possède le département de la Vienne, tant à raison du grandiose de ses proportions, qui dépassent celles de la plupart des édifices religieux de son époque, qu’à cause des fresques curieuses dont elle est ornée. Aussi la protection spéciale dont elle a été l’objet de la part du gouvernement, qui a dépensé de grosses sommes pour une restauration complète, se justifie-t-elle complètement.

La fondation de cette église est attribuée à Charlemagne, et la tradition populaire, qui aime à broder les canevas trop nus, raconte, par la bouche des anciens, que le grand empereur, ayant fait vœu de bâtir autant d’abbayes qu’il y avait de lettres dans l’alphabet, assigna à celle de Saint-Savin la cinquième place dans cet enfantement prodigieux. Quels sont les éléments, quelle est la base de cette singulière histoire ? Tout simplement, sans doute, l’existence de la lettre majuscule E, qui figure sur un grand nombre des assises de la flèche, et qui était destinée à aider les ouvriers dans l’appareillage.

De là une naïve légende que la piété filiale des croyants passés a transmise aux incroyants du jour.

Les fresques de l’église de Saint-Savin méritent un long examen : c’est un échantillon — ils sont bien rares aujourd’hui — de l’art au moyen âge ; et sa bonne conservation relative le rend encore plus précieux, malgré le soin qu’a pris le ministère de l’instruction publique de faire reproduire ces images curieuses par la lithochromie, dans un ouvrage où rien n’a été épargné, et dont le texte fut confié à la savante plume de P. Mérimée.

Cher lecteur,

En vérité, vous êtes arrivé si près de nous, que la pensée de vous en rapprocher encore nous excite à profiter des quelques pages non encore tachées d’encre qui nous restent pour vous engager à regagner le chemin de fer à Châtellerault, en passant par notre gracieuse et coquette ville du Blanc, l’antique Oblincum des Romains.

Villesalem. — S’il vous plaisait, en quittant Saint-Savin pour atteindre le Blanc, dévier un peu de la ligne droite, vous ne regretteriez point l’allongement de l’étape, car il vous procurerait la vue d’un vrai joyau d’architecture romane religieuse ignoré du plus grand nombre, parce qu’il gît sans renom au milieu d’une vaste solitude propice seulement aux prières de ses hôtes d’autrefois.

Des routes excellentes y conduisent pourtant.

Après la sortie de Saint-Savin, à 500 mètres environ, on suit la première route à droite ; à 4 kilomètres, on salue, en passant, le château nouvellement restauré de Villemort ; à 4 kilomètres plus loin, on traverse le bourg de Béthines, dont les nombreux cercueils en pierre accusent la très-haute antiquité, et qui dut être une de ces Ecclesiæ Matrices autour desquelles aimaient à dormir les générations religieuses qui ont enfanté des fils moins religieux que leurs pères.

La route de la Trimouille vous conduit, à 5 kilomètres de là, à son point de jonction avec la route du Blanc. Alors, tournant à droite, dans la direction de la Trimouille, à angle droit, vous apercevrez, sur la main droite, un clocher carré au pied duquel vous conduiront le chemin public et une allée particulière.

Villesalem (maison de la paix), tel est le nom de ce séjour, aujourd’hui simple hameau, qui fut autrefois un des prieurés importants du puissant Ordre de Fontevrault, et qui dut sa fondation en 1089 à Audebert de la Trémoille.

Si, après un coup d’œil général d’ensemble sur ce monument, livré, hélas ! aujourd’hui aux animaux domestiques et aux usages les plus grossiers de la vie rurale, vous en analysez les détails, vos souvenirs vous reporteront, malgré vous, vers un édifice bien plus connu qui, hier, a été l’objet de vos longues études et qui ne vous a pourtant offert rien de plus habilement fouillé par le ciseau roman que cette vieille église de Villesalem. Examinez cette porte septentrionale si bien conservée encore aujourd’hui et que, naguère, nous aimions à faire dessiner sous nos yeux, par une élève chérie, pour les Mémoires de nos confrères de la Société des Antiquaires de l’Ouest ; étudiez cette façade et ses dispositions vraiment magistrales.

Eh bien ! certes, l’église de Villesalem n’est pas la sœur jumelle de Notre-Dame de Poitiers ; bien des traits importants empruntés aux types du roman normand et au roman germanique la distinguent de celle-là, mais, si elle étalait le luxe de ses broderies de pierre sur le sol d’une grande cité, elle serait bientôt, comme sa sœur, illustre et renommée. — V. la notice de M. Jules-de Lalande insérée aux Mémoires des Antiquaires de l’Ouest, 1869.

Retournons sur nos pas, et reprenons la route de la Trimouille au Blanc, dans la direction du nord.

Le Blanc. — Si votre cœur est industriel, vous verrez là, avec un regret que nous partagerons, le froid squelette d’une usine naguère élevée à grands frais, que de vains efforts ont toujours tenté de faire vivre, et à laquelle on n’a jamais pu imprimer jusqu’ici que quelques frémissements galvaniques qui ne sont pas la vie… Pourquoi ? Non est his locus.

Bornons-nous à vous recommander ceci : après que vous aurez salué le beau pont récemment construit, qui est un vrai monument, un digne frontispice à l’aspect réellement fort avenant de notre blanche cité, allez visiter l’église de Saint-Génitour. Vous y trouverez un des exemples les plus singulièrement accentués de la déviation de l’axe de la nef, étrange imperfection volontaire, qui ne se peut expliquer qu’à l’aide de l’intention formelle des architectes du moyen âge de symboliser par ces irrégularités régulières l’inclinaison de la tête du Sauveur mourant sur la croix. (V. notre dissertation sur ce sujet.)

Fontgombaud. — Vous êtes sur la rive droite de la Creuse ; suivez-la, et, après quelques kilomètres parcourus le long de ses bords aux points de vue si pittoresques, vous arriverez aux lieux où, il y a bien des siècles, un ermite de race royale, du nom de Gombaud, creusait, près d’une fontaine, une grotte qui devait enfanter plus tard une grande abbaye.

Longtemps riche et puissante, puis pillée au XVIe siècle et vendue au XVIIIe, elle est ressuscitée au milieu du XIXe (1850), et sous la pieuse direction d’un digne successeur des Bénédictins, la jeune abbaye de Notre-Dame de la Trappe de Fontgombaud accuse sa vitalité actuelle en défrichant là le roc d’un sol inculte, ici le cœur, non moins rebelle quelquefois, des centaines d’enfants dont la jeunesse dévoyée est confiée par l’État moins à la surveillance qu’au bon exemple des disciples de saint Benoît.

Et maintenant vous avez visité — avec nous encore, car nous sommes le chroniqueur de cette résurrection bénie — les grottes des premiers ermites, les ruines de la chapelle de Saint-Julien, les bâtiments de la colonie agricole, enfin l’église abbatiale, ce chef-d’œuvre de l’art roman, que les héritiers de Pierre de l’Étoile ont trouvé tel que vous le voyez dans cette gravure fidèle, et qu’ils laisseront plus tard à leurs successeurs — soyez-en sûr — complétement restauré par leurs mains,… si, un jour ou l’autre, quelque école de libérâtres ne refuse pas le droit de vivre à des gens portant, au lieu d’une blouse bleue ou d’un paletot brun, une robe blanche !

Notre rôle est désormais fini.

Il faut que nous vous quittions.

Et, au fait, nous ne saurions nous séparer sous de meilleurs auspices.

N’est-ce pas à l’ombre des voûtes d’un pieux sanctuaire qu’il sied bien de se dire :

À Dieu !!

APPENDICE



APPENDICE

Armoiries de la ville de Poitiers.
(V. page 44.)

Quelles sont les armoiries de la ville de Poitiers ?

Cette question, qui a donné lieu à un véritable tournoi archéologique dont les publications de la Société des Antiquaires de l’Ouest contiennent le récit et le résultat, exige d’autant plus, de notre part, un examen sérieux, que les deux premières éditions de notre Guide du voyageur à Poitiers contiennent sur ce grave sujet quelques erreurs.

Il est donc de notre devoir d’en faire aujourd’hui l’humble aveu, comme il est de notre droit de maintenir énergiquement ce qui nous paraît être encore la vérité.

Tel est le sujet de cette note, qui résumera, en les accentuant selon nos convictions personnelles, les conclusions prises par le consciencieux rapporteur du débat solennel soumis à la docte compagnie, après des recherches qui ne laissent plus rien à dire sur une question désormais épuisée. — (V. les deux remarquables rapports de M. Audinet, ancien Recteur, insérés dans les Bulletins du 2e et du 3e trimestre 1869 de la Société des Antiquaires de l’Ouest.)

C’est à tort que, affectant au corps de ville de Poitiers des armoiries distinctes de celles de la cité elle-même, nous avons attribué jadis à l’un les armoiries dont le meuble principal est un « lion rampant de gueules », à l’autre, les armoiries sur le champ desquelles se dessine une « ville d’argent ».

Ces deux emblèmes héraldiques doivent être regardés, désormais, comme constituant l’un et l’autre le « sceau commun », le sceau de la ville, avec cette différence seulement que le dernier, avant de cesser complétement d’être en usage, était employé comme « grand scel » (titre de 1332), pour certaines affaires graves, « ad ardua » (titre latin de 1335), épithète qu’un titre français de 1339 traduit ainsi littéralement : « le scel dont chacun de nous use en ardueux « négoce ».

La qualification qui attribue le caractère de sceau de la commune au grand comme au petit scel, ressort suffisamment, à notre sens, des deux citations suivantes :

Dans un titre du 14 septembre 1303, on lit, à propos du premier : « Sigillum communitatis nostræ ». Sur le sceau d’un titre du 1er octobre 1406, on lit, à propos du second : « Sigillum communie Pictavis » ; ceci est clair !

Quant à la forme du grand scel, appelé aussi « sceau de grande « chevalerie », les diverses empreintes qu’on en possède et qui ont permis de le reconstituer dans son ensemble lui assignent, au XIVe siècle, d’un côté une ville représentée par trois monuments ainsi posés, dans l’ordre héraldique — de dextre à senestre : — 1o l’église, avec son clocher surmonté de la croix ; 2o la tour crénelée ; 3o la maison commune ; emblèmes peut-être (et nous le croyons) des trois ordres de l’État : le clergé, la noblesse, la bourgeoisie.

L’inscription, fruste, était celle-ci : « † Sigillum civitatis Pictavis ».

Sur le contre-scel, le maire, la tête nue, en costume complètement civil, à cheval, tient en sa main droite une sorte de bâton. Devant ses yeux brille une étoile. Trois fleurs de lis sont posées sur le champ : l’une en avant, l’autre en arrière, la 3e sous le ventre du cheval.

La légende, fruste, était celle-ci : « † S. Majoris communie Pictavis ».

Au XVIe siècle, ce grand scel, avec les mêmes légendes que celui du XIVe, représente d’un côté une ville a trois tours crénelées avec toitures en poivrières, avec girouettes sur les deux tours de dextre et senestre, dirigées en sens inverse, et sans malice assurément, par pur amour de la symétrie.

Les trois fleurs de lis figurant au contre-scel du scel du XIVe siècle se retrouvent sur le sceau du XVIe rangées en fasse en chef, savoir : l’une, comme si elle était le couronnement de la tour médiane, et les deux autres de plus grandes dimensions, aux côtés de la première.

Sur le contre-scel, le maire est à cheval, en costume militaire du temps, l’épée à la main.

Voilà donc pour le sceau dit « à la ville ». Passons maintenant au sceau dit « au lion ».

De 1386 à 1427, ce sceau, appliqué sur des titres de cette époque, était celui-ci :

« De… au Lion rampant de…. à la bordure de…. chargée de neuf besans de…. au chef de France. »


Et disons tout de suite, pour n’y plus revenir, que nous ne saurions hésiter désormais à croire que ce « chef de France » remonte bien réellement à une origine autre et bien plus ancienne que celle que nous lui avions assignée jusqu’à ce jour.

Il se rattache, évidemment, à la possession de la comté de Poitou et de sa capitale par les fils de nos rois de France et par ces rois eux-mêmes.

A partir de 1444, ce sceau fut modifié, en ce sens seulement que la bordure de l’écu se continua parallèlement sous le chef, ce qui dut faire ajouter forcément aux neuf besans du scel de 1386 trois autres besans, et éleva leur nombre total de 9 à 12. Quelques gravures du XVIe siècle portent même 14 besans, au lieu de 12.

Enfin, dans la belle médaille frappée en 1786 à la monnaie royale, au compte de la ville de Poitiers, pour être offerte au charitable intendant du Poitou, Boula de Nanteuil, le graveur, prodigue en largesses héraldiques autant que l’éminent administrateur avait pu l’être dans ses actes de bienfaisance, sema sur la bordure de l’écusson poitevin, non plus 9 ni 12, ni 14, mais bien seize besans d’or.




Il eut, du moins, le mérite, dans cette œuvre d’art fort remarquable, de ne point ajouter à cette faute, qui sans doute ne fut pas de son fait, l’erreur commise assez fréquemment par certains fantaisistes qui coiffèrent d’une couronne la tête du Lion poitevin.

Cette couronne, après tout, eût été là mieux à sa place, héraldiquement parlant, que la couronne comtale imposée comme timbre aux armoiries officielles de la ville de Poitiers, à partir de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, comme si cette ville eût été une Comté.

Et pourquoi ajouter à ces armoiries le surcroît parfaitement arbitraire de deux lions en supports ?

N’oublions pas, non plus, que, selon les temps, le chef de France vit ses fleurs de lis — sa seule signification « honorable », pour nous servir d’un terme technique — disparaître et lui laisser l’éloquente nudité de son simple champ d’azur.

Et mieux valait cent fois cette mutilation maladroite, que les sottes propositions des vaillants héraldistes du jour, offrant, selon l’heure et le vent politique, de remplacer par des tours, des abeilles ou des étoiles les signes proscrits !!

On en était un peu là, lorsque, sous une administration municipale intelligente, vint enfin la pensée de sortir de l’anarchie héraldique des derniers temps et de faire rechercher avec soin la composition authentique du vieux blason de la cité, afin de le fixer pour son emploi officiel.

Chargé de cet honorable mandat, et après en avoir conféré le plus consciencieusement qu’il fût possible avec nos plus compétents confrères, l’archiviste du département de la Vienne, le bibliothécaire de la ville de Poitiers, et l’un des dignitaires de la Société des Antiquaires de l’Ouest — mais en dehors de la savante compagnie, dont la responsabilité sur ce point ne devait dès lors être aucunement engagée — nous proposâmes d’adopter en

principe, et comme étant plus usuel, le « scel au lion », et de choisir « le type du sceau du XIVe siècle », ce qui fut fait.

Mais, quant au dessin même, il est nôtre, et nous en réclamons d’autant plus hautement la paternité que l’on a plus vivement critiqué ce fils de nos œuvres.

Au risque d’être accusé de plaider « pro domo », nous n’hésitons pas plus aujourd’hui qu’hier à engager la cité poitevine à s’en tenir là (comme elle l’a fait déjà, du reste, dans une circonstance solennelle, à propos de la belle médaille frappée en mémoire de la pose de la première pierre de son palais municipal), et voici nos raisons :

Pour les armoiries d’une ville au XIXe siècle, la couronne murale a sa signification caractéristique désormais connue des moins héraldistes, et acceptée de tous, et c’est à bon droit que ce timbre-là doit remplacer, aujourd’hui, la couronne comtale qui n’était — même au XVIIIe siècle — qu’une parfaite hérésie héraldique, que n’eussent jamais commise les spécialistes officiels de cette époque.

La ville de Poitiers n’ayant jamais été la Comté de Poitou et les couronnes — ès choses héraldiques— « étant bien réellement de leur nature, « incommunicables, comme la souveraineté dont elles sont l’emblème », une couronne comtale, pour timbre de son écu, ne saurait se justifier, héraldiquement parlant, ni par les souvenirs du passé historique de la province dont elle ne fut que la capitale, ni par l’emploi qui en a été fait jadis, sans raison et sans droit.

Les branches de chêne et de laurier qui soutiennent ces armoiries n’ont eu d’autre but, dans notre pensée, que de rappeler, avec les palmes qui figuraient sur les anciens scels, les gloires militaires et civiles de la cité, et elles n’ont rien qui puisse choquer le purisme héraldiste le plus scrupuleux.

Quant aux accessoires en arabesques qui se déroulent autour de l’écu — et qui seraient une sottise héraldique, s’ils avaient la prétention d’être des lambrequins — laissons-leur aussi leur véritable et innocente fonction de simples ornements destinés à répondre aux légitimes exigences d’un fleuron typographique.

Mais, à l’égard de l’écu lui-même, c’est toute autre chose, et c’est avec intention et après sérieuse et très-sérieuse réflexion que nous en avons proposé l’adoption, et que nous le maintenons comme plus convenable, et voici pourquoi :

A part sa forme en accolade — d’un usage général aujourd’hui — cet écusson reproduit les scels « au Lion » les plus anciens, ceux du XIVe siècle : il a donc en sa faveur son âge qui le rapproche d’autant plus de l’origine même à laquelle il a dû son existence. Or, on sait qu’en fait de blason, les pourtraictures primitives sont les plus exactes et les plus authentiques.

D’ailleurs, il nous paraît tout naturel de voir dans la manière dont le chef de France fut appliqué superposé en la partie de l’ancien écu poitevin qui constituait son propre chef, à l’époque la plus rapprochée de cette concession glorieusement honorable, une signification dont nous avons le droit, je dirais presque le devoir, de respecter la forme matérielle, pour ne pas nous exposer à en altérer le véritable caractère.

Disons donc en concluant :

Les armoiries de la ville de Poitiers sont : « d’argent au lion rampant de « gueules ; à la bordure de sable interrompue par le chef, chargée de neuf « besans d’or ; au chef d’azur chargé de trois fleurs de lys d’or, rangées en « fasce. »



Le nouvel Hôtel de Ville.
(V. page 61.)

La pièce suivante est une pièce historique à l’égard de la ville de Poitiers, et nous sommes heureux de la fixer dans ce livre, consacré surtout à l’histoire des monuments de la cité.

« Procès-verbal de la pose de la première pierre du nouvel hôtel de ville de Poitiers. »

(Cette pierre, placée à l’angle sud-ouest du bâtiment, était fort au-dessus des fondations, commencées depuis plusieurs mois.)

« Le dimanche trente et un octobre mil huit cent soixante-neuf, à deux heures de l’après-midi ;

« Son Excellence M. Bourbeau (Louis-Olivier), ministre de l’instruction publique, ancien maire de Poitiers, membre du Conseil municipal de ladite ville, officier de la Légion d’honneur, Député de la Vienne,

« A posé la première pierre de l’hôtel de ville de Poitiers, dont la construction a été commencée d’après les plans de M. Gaétan Guérinot, architecte.

Son Excellence était assistée de :

« MM. Reneufve (Olivier), préfet du département de la Vienne, chevalier de la Légion d’honneur ; Lepetit (Jacques-François-Alphonse), adjoint, remplissant les fonctions de maire ; Autellet (Charles-Maximin), adjoint, tous les deux membres du Conseil municipal et chevaliers de la Légion d’honneur, et des membres du Conseil municipal dont les noms suivent :

Messieurs Calmeil (Hyacinthe-Charles), chevalier de la Légion d’honneur ; Orillard (Louis-Arsène), chevalier de la Légion d’honneur ; Cesbron (Jean-Marie-Guillaume-Ernest) ; Bruant (François-René) ; Bréchard (Charles-Marcellin) ; Barbedette (Firmin) ; Chemineau (baron Jean-Jacques-Alfred), chevalier de la Légion d’honneur ; Petit-Vée (Antoine) ; Guignard (Pierre-Ernest) ; Pierre (Aimé-Jean) ; Bourdin-Garnier (Jean) ; Bizemont (Louis-Charles-Eugène Comte de), chevalier de l’Ordre de Saint-Grégoire-le-Grand ; Yincent-Molinière (Charles-André), chevalier de la Légion d’honneur ; Servant (Charles), chevalier de la Légion d’honneur ; Durand (Charles) ; Pontois (Alexandré-Charles-Auguste), chevalier de la Légion d’honneur ; Gaillard (Alexandre-Victor-Théodore) ; Ginot (Alexis-Fortuné) ; Vincent dit Lavigne (Louis) ; Maurice (Louis-Ovide).

« Les députés du département, MM. de Soubeyran et Robert de Beauchamp ; les autorités civiles, militaires, religieuses ; des fonctionnaires de tout ordre ; des membres de la magistrature, du barreau, du commerce, de l’industrie, ainsi qu’un grand nombre de notables habitants, invités par l’administration municipale, assistaient à la cérémonie.

« Fait double, à Poitiers, les jour, mois et an que dessus.

« Signé à la minute : O. Bourbeau, Reneufve, A. Lepetit, Autellet, A. Orillard, Bruant, Ch. Bréchard, baron Chemineau, Petit-Vée, Guignard, A. Jean-Pierre Chabrier, Comte de Bizemont, Vincent-Molinière, Ch. Servant, Ch. Durand, Pontois, Ginot, L. Vincent, Ov. Maurice, G. Guérinot.

« Pour copie certifiée conforme par nous, adjoint remplissant les fonctions de maire :

« Autellet. »

Nous reproduisons ici — et il sera bien à sa place — le dessin de la belle médaille frappée à l’occasion de cette cérémonie.

Nous l’avons fait graver, pour notre livre, d’après l’exemplaire que notre reconnaissance doit aux humbles services que nous avons été trop heureux de pouvoir rendre à notre ville natale, dans les modestes fonctions qui nous étaient confiées, il y a 34 ans, par l’administration des monuments historiques.

Le revers de cette médaille porte, au-dessous des armes de la ville de Poitiers (v. p. 44 et 393), l’inscription suivante :

sous le règne de napoléon iii
empereur des français
m. bourbeau ministre de l’instruction publique
ancien maire de poitiers
assisté de mm.
reneufve préfet du département de la vienne
lepetit et autellet adjoints
et des membres du conseil municipal
a posé la première pierre
de l'hotel de ville de poitiers
le 31 octobre 1869
g. guérinot architecte


Église de Saint-Hilaire-le-Grand.
(V. page 331.)

Au moment même où cet appendice de notre livre s’imprime (mai 1872), les travaux de restauration de l’église de Saint-Hilaire-le-Grand ont mis à nu la plaque de cuivre sur laquelle fut gravée l’inscription commémorative de la pose de la première pierre des travaux de la réparation de 1805.

Nous reproduisons exactement cette inscription, et nous sommes heureux de rappeler par elle la mémoire des hommes de bien qui eurent l’insigne honneur d’attacher leur nom à la première restauration de l’église Saint-Hilaire et de conserver à la génération actuelle un monument qui, sans leur pieux dévouement et leurs généreux sacrifices, n’existerait plus aujourd’hui.

Antisquisimi Monumenti Sacri
Convulsionibus RevoLutionis
Eversi Pars Conservata ;
Reparata Que Donis Plurium Civium
Præcipue d. d. d. d. vilbois ve d’auzances,
Delisle, Rouhet, Jahan De La Ronde,
Duval Dechassenon,
Curis d. d. d. Dechassenon, De Bleau,
De Vaucelle, Jousserand, Brissonnet,
Bonnefont Collinet, Henri, Galland,
Jahan, Bernard, Doret, Millon, Boismorand,
Ad Hæc Votis Parochialium Electorum ;
Faventibus D. D. Cochon Praefecto
Bourgeois Urbis Majore
Anno Dni 1805 Regni Napoleonis
Magni, Francorum Imperatoris Cultus
Catholici Restitutoris i° Sedem
Episcop Picatv. Occupante D. D. Depradt
Hanc Primam Lapidem Solemniter Posu-
Erunt D. D. D. De Bruneval, De Moussac,
Dargence, De Lafaire De Beauregard Diaec-
esis Vicarii Generales D Episcopo Absente
Presente, D. Guillemot Rectore Eccle-
siæ Sancti Hilarii..
Duce Meunier
Bourbon scpt.

Traduction de ce document :

« Cette partie d’un très-antique monument religieux, que la tourmente révolutionnaire avait renversé, a été conservée et réparée par les dons d’un grand nombre de citoyens, particulièrement de MM. de Vilbois, Vte d’Auzances, Delisle, Rouhet, Jahan de la Ronde, Duval de Chassenon :

« Et par les soins de MM. de Chassenon, de Bleau, de Vaucelle, Jousserand, Brissonnet, Bonnefont, Collinet, Henri, Galland, Jahan, Bernard, Doret, Millon, Boismorand, choisis dans ce but conformément aux vœux des paroissiens. Cette restauration a été favorisée par MM. Cochon, préfet, et Bourgeois, maire de la ville.

« L’an du Seigneur 1805, première année du règne de Napoléon le Grand, empereur des Français et restaurateur du culte catholique, le siège épiscopal de Poitiers étant occupé par Mgr de Pradt, cette première pierre a été posée solennellement, en l’absence de Mgr l’évêque, par MM. de Bruneval, de Moussac, d’Argence, de Lafaire de Beauregard, vicaires généraux ; en présence de M. Guillemot, curé de l’église de Saint-Hilaire.

« Meunier, chef des travaux.


« Gravé par BOURBON. »

Cette plaque, où nous avons respecté les fautes de ponctuation et de latin, qui sont assurément du fait seul du graveur, sera placée sur le pilier le plus proche de l’endroit où elle a été trouvée et où commencent les travaux de la nouvelle restauration.

TABLE DES MATIÈRES

AVIS TRÈS-ESSENTIEL.

Sachant par expérience quelle utilité une table des matières présente aux lecteurs sérieux, nous avons fait de notre mieux pour que celle-ci atteignît le but important que nous nous sommes proposé en la rédigeant.

Elle est alphabétique, et raisonnée autant qu’elle pouvait l’être.

Ainsi, par exemple, les noms des places, des ponts, des rues, etc., ne sont pas semés pêle-mêle dans cette table, selon l’ordre des lettres de l’alphabet par lesquelles commence leur nom, mais sous le titre général places, ponts, rues, etc., auquel il faut se reporter et où ils sont ensuite alphabétiquement classés.

Il en est de même des abbayes, chapitres, corporations, religieuses, églises, établissements d’instruction publique, hospitaliers, militaires, etc., dont il faudra rechercher les noms dans leur ordre alphabétique, mais seulement après avoir préalablement trouvé les rubriques générales abbayes, chapitres, corporations religieuses, etc.

Abbaye de Charroux,
386
—  de Fontgombaud,
391
—  de Ligugé,
377
—  de Montierneuf,
193
—  de Nouaillé,
383
—  de Saint-Cyprien,
352
—  de Saint- Hilaire-de-la-Celle,
81
—  de Saint-Savin,
388
—  de Sainte-Croix,
142
—  de la Trinité,
86
Académie de Poitiers,
13
— Poitevine,
77
Accession (voies d’),
29
Amphithéâtre romain (l’),
65
Anguitard (fief, tour et moyenne justice d’),
239
Aqueduc de l’Hermitage (gravure),
363
Arc (Jeanne d’) à Poitiers,
26
 — Son montoir,
176,257
 — Rue de son nom,
372
Archives départementales,
35
—    municipales,
266
Arsenal ou magasin à fourrages (l’),
313,369
Ascia (symbole funéraire de l’),
255
Aumônerie de la Madeleine
ou de Saint-Antoine,
321
—       de la Madeleine,
342
Banque de France (succursale de la),
307
Baptême à faire pour les

rues et places sans nom,
365
Bascle (Le), maire de Poiters, —
une rue de son nom,
370
Bataille de Poitiers (Maupertuis),
26,223,302,383
Bataille de Poitiers (Moussais-
la-Bataille),
23,382
—  de Voulon (aliàs Vouillé),
23,384
Bellouard (faubourg),
210
Biard,
380
Bibliothèque des Jésuites,
186
—          du séminaire,
214
—          publique,
258
—          ancienne,
41
Bicêtre,
232
Blanc (le),
390
Blossac (promenade de),
315
Boncenne,
38,60,98,215,241
Bonnivet (restes du château de),
249
Boucheries,
59,231,300
Bouchet (Jean), historien,
— une rue de son nom,
367
Boula de Nanteuil (l’intendant),
médaille gravure,
305
Bourdon de la cathédrale,
135
Bréchard,
38
Calvin à Poitiers,
27
Caserne de Montierneuf,
193
—    de Sainte-Catherine,
80
—    du Petit-Séminaire,
314
Chapitre de Notre-Dame,
275
—    de Saint-Hilaire,
63,324
—    de Saint-Pierre,
112
—    de Saint-Pierre-le-Puellier,
83
—    de Sainte-Radégonde,
153
Champ de la Madeleine,
342
Charles VII à Poitiers,
226
Charroux,
386
Château de Poitiers (le) ; ses restes,
207
Chauvigny,
385
Chevaliers du Soleil (les),
307
Cimetières anciens :
1o Des Haumosniers,
89
2o De Saint-Cybard,
191
3o De Saint-Didier,
230
4o De Sainte-Loubette,
313
5o De Saint-Michel,
165
Cimetières nouveaux :
1o De Chilvert,
356
2o De l’Hôpital-des- Champs,
348
3o De la Pierre-Levée,
352
Civaux (cimetière de),
255
Civray,
386
Claudia Varenilla, — son inscription tumulaire,
253
Clément V à Poitiers,
220
Coligny assiège Poitiers ;
27
— rocher dit la Cuirasse de Coligny,
152
Collége de la Grand’Maison,
58
—   de Montanaris,
71
—   de Puygarreau,
71
—   de Sainte-Marthe,
46,71
—   des Jésuites (ancien),
17
—   des Jésuites (nouveau),
183
—   Lycée,
74
Commune de Poitiers (la),
41
Conciles de Poitiers (les),
140
Cornay (le martyr),
215
Corporations religieuses de femmes
existantes actuellement :
Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement,
56
Assomption,
163
Bon-Pasteur,
182
Carmélites,
81,212
Filles de la Croix,
180
Filles de Notre-Dame,
86,217
Filles de la Sagesse,
203
Hospitalières (Saint-Joseph),
145,216
Religieuses de Notre-
Dame-du-Calvaire,
177
Religieuses du Sacré-Cœur,
181
Religieuses de Sainte-Croix,
92
Sœurs de la Charité,
232
—    de la Miséricorde,
191
—    des Pauvres (Petites),
356
Union Chrétienne,
163
Visitandines,
37,91
Corporations religieuses de femmes
non existantes actuellement :
Cathelinettes ou de Ste-Catherine,
80
Filles de Saint-François,
182
Religieuses de la Trinité,
86
Ursulines,
56
Corporations d’hommes existantes
actuellement :
Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement,
56
Dominicains (Jacobins),
301, 354
Frères des Écoles chrétiennes,
164,236,305,340
Frères de Saint-Gabriel,
357
Jésuites,
72,183,218
Oblats de Saint-Hilaire,
108,136
Corporations religieuses d’hommes
non existantes actuellement :
Augustins,
58
Bénédictins,
193, 352
Capucins,
313
Carmes,
171
Charitains,
203
Cordeliers,
220
Feuillants,
181
Frérots ou fratricelles, Frères des
             Sacs ou de la Pénitence,
220
Génovéfains,
82
Minimes,
172
Cour des Miracles (la),
69
Cours (promenade des),
355
Crossard (le baron),
312
Croutelle (les finesses de),
375


Daillon, — une rue de ce nom,
371
Diane de France à Poitiers,
91
—        Sa chambre,
109
Diane de Poitiers,
109
Duratius, chef poitevin sous les Romains,
20
—     Monnaie à son nom (gravure),
20


Échelle du Palais (l’),
301
Écoles chrétiennes,
164, 236, 305
— cléricale,
136
— de dessin (V. l’errata)
77
— de droit,
241
— de médecine,
187
— mutuelle,
191
— normale primaire,
339
— primaire supérieure,
175
Écoles (les Petites),
49, 192
Éléphant (auberge de l’)
91, 110
Embarcadère (l’),
29
Enceinte romaine (l’),
22, 78, 81, 88, 91
—    sous Aliénor et Henri II d’Angleterre,
25
Errata,
417
Établissements d’instruction V. aux mots
Colléges, Écoles, Facultés, Université,
et au mot Corporations religieuses de
femmes, actuelles, lesquelles sont
presque toutes enseignantes.
Établissements hospitaliers — V. aux mots
Bicêtre, Hôpital, Hospice, Hôtel-Dieu.
Établissements militaires. — V. aux mots
Caserne, Arsenal.
Établissements religieux. — V.aux mots
Abbayes, Aumôneries, Chapitres,
Corporations religieuses, Eglises,
Séminaires.
Étangs de Montierneuf et de Saint-Hilaire,
342
Évêché (l’)
111
Évêques de Poitiers (les),
136
Évreux (hôtel d’)
64
Exécutions capitales (lieu des)
208
Églises actuelles paroissiales :
Montierneuf,
193
Notre-Dame-la-Grande,
274
Gravure (l’ensemble de),
275
Gravure (l’ensemble de),
285
Saint-Hilaire,
324
Saint-Pierre (cathédrale),
112
Saint-Porchaire,
49
Sainte-Radégonde,
153
Églises non paroissiales et chapelles actuelles. —
Se reporter à l’article Corporations religieuses
actuelles.
— de Ste-Catherine,
202
— de Saint-Martin,
106
— du Jésu,
218
— du Lycée,
74
— Saint-Hilaire-entre-les-églises,
107
Églises et chapelles enlevées
au culte ou en partie détruites :
Augustins (des),
58
Cordeliers (des),
223
Hôtel-de-Ville (de l’),
44
Notre-Dame-l’Ancienne,
82
Saint-Jean (de),
98
Saint-Germain (de),
192
Saint-Luc (de),
111
Saint-Nicolas (de)
62
Saint-Paul (de),
174
Saint-Pierre-l’Hospitalier
321
Saint-Saturnin (de),
349
Saint-Savin (de),
110
Sainte-Opportune
181
Églises et chapelles non existantes :
Bicêtre (de),
232
Capucins (des),
313
Carmes (des),
171
Charitains (des),
203
Filles de Notre-Dame (des),
217
Filles de St-François (des),
182
Jacobins (des),
301
Hôtel-Dieu (l’ancien),
273
Minimes (des),
172
Notre-Dame-de-la-Chandelière (de),
322
Notre-Dame du Calvaire,
314
Notre-Dame-la-Petite (de),
300
Pas-de-Dieu (du),
143, 156
Petit-Séminaire (du),
70
Puygarreau (errata à son sujet.)
77
Résurrection (de la),
88
Saint-Agon,
340
Saint-Barthélemy,
322
Saint-Christophe,
301
Saint-Cyprien,
352
Saint-Denis,
180
Saint-Didier,
230
Saint-Étienne,
299
Saint-Grégoire,
84, 313
Saint-Hilaire-de-la-Celle,
81
Saint-Jacques,
355
Saint-Michel,
105, 323
Saint-Pelage,
89
Saint-Pierre-le-Puellier
83
Saint-Saturnin,
349
Saint-Sauveur,
56
Saint-Sépulcre,
143
Saint-Simplicien,
89
Sainte-Austregésile,
142
Sainte-Catherine,
220
Sainte-Triaise,
341
Visitation,
37
Facultés de droit,
46, 241
—    de théologie,
181
—    des arts,
46, 246
—    des lettres,
246
—    de médecine,
46, 187
—    des sciences,
245
Fief-le-Comte,
84
Foires de Poitiers (les),
308, 351
Fontaine du Légat,
167
Fouilles, preuves de l’antiquité de la ville,
22
Fripiers (les),
230


Gare et voies d’accession,
29
Gauthier de Bruges (la légende de l’évêque),
221
Gaz (l’usine à),
314
Gendarmerie (la),
217
Gilliers (les),
315
Girouard, sculpteur poitevin,
31, 59, 248
Golnitz, voyageur allemand,
40, 211
Grand’Gueule (la) [gravure],
148
Grand’Maison (la),
56
Grand-prieuré d’Aquitaine
Grands-Moulins (les),
183
Guise (le duc de) — Une rue de son nom,
370


Halles (les),
308
Halles (hôtel des),
309
Henri II — son chiffre,
110
Henri IV,
71, 91
— Une place de son nom,
367
Historique de la ville de Poitiers,
V. au mot Poitiers,
13
Hôpital général,
203
Horloge (la grosse),
273
Hospice des Incurables,
348
—   de Pont-Achard,
343
Hôtel de ville (ancien),
40
— (nouvel) — [gravure]
61
Hôtel-Dieu,
189,241
Hôtel de la Barre,
305
—  de la Lamproie,
62
—  de la Rose,
176
—  de l’Intendance,
219
—  de l’Europe,
310
—  de France,
310
—  d’Evreux,
63
Hôtel des Trois-Piliers,
310, 311
Hôtellerie Saint-Jacques,
231
Huguenots à Poitiers (les),
27


Imprimeurs à Poitiers (les),
254,262,301,307
lrland (famille),
36
— Une rue de son nom,
367
Itinéraire sommaire,
11
Jardin botanique (le),
188
Jésuites (les),
71,183,218
Jésuites (les Petits-),
72,232
Jeux de paume de l’Estude,
179
—               du Faisan,
38
—               des Flageolles,
239
—               de l’Oison.
175
—               de l’Ancienne-Comédie,
307
—               des Quatre-Vents,
182
Joseph (le P.) [gravure],
178
Jouy (erreur de M.de),
32
Juridiction consulaire (la),
219
Labyrinthe ou chemin de Jérusalem,
132
Létang (notre éditeur),
219
Ligugé,
377
Limonum, Poitiers romain,
20
Louis XIII (statue de),
254
Louis XIV,
72, 212
Louis XIV (statue de),
31, 254
Lycée (le),
71
— (chapelle du),
74
— (sacristie du),
76


Machine hydraulique (la),
167
Maison au fer de mulet,
238
—     des Trois-Clous,
172
—     du Pin,
231
—     rue de la Chaîne,
237
—     rue de la Tète-Noire,
240
—     rue des Flageolles,
239
—     rue du Marché,
299
—     rue du Pont-Joubert,
164
—     rue du Puygarreau,
78
Magnanerie ancienne,
312
Mandille (la),
150
Marché de Notre-Dame,
299
—      de Saint-Hilaire,
68
Messageries (les),
311
Migné,
380
Minage (le),
38, 231, 309
Miracle de saint Hilaire,
38
— (Monument du),
38
— des Clefs,
276
Monfort (le P. Grignon de), fondateur
des Filles de la Sagesse,
203
Montbernage (faubourg de),
21, 169
—           (ses fromages),
170
Montmorillon,
387
Musée des antiques et médailles,
268
— des antiquités de l’Ouest,
248
— d’histoire naturelle,
257
— des tableaux,
267


Nectarius, évêque de Poitiers,
323


Orgues de la Cathédrale,
132
Oudin (notre imprimeur),
307


Palais de justice,
224
Parlement de Paris à Poitiers (le),
26
Philippe le Bel à Poitiers,
220
Pichot (son projet de voies d’accession),
29
— son papier carbonifère,
170
Pierre-Levée (la), gravure,
350
Place d’Armes,
31,58,307
—  du Marché au blé,
309
—  du Marché de Notre-Dame,
299
—  du Marché de Saint-Hilaire,
68
—  de Montierneuf,
193
—  de Notre-Dame,
299
—  du Pilori,
237
—  de la Préfecture,
33
—  de Saint-Didier,
230
—  de Saint-Hilaire,
324
—  de Saint-Pierre,
111
Plan du Calvaire,
314
— de la Celle,
81
— de l’Etoile,
240
— des Petits-Jésuites,
232
— de Saint-Simplicien,
89
Poids-le-Roi (le),
59
Poitevins, leur origine,
17
— Etymologie de leur nom,
18
Poitiers (historique de),
13
— sous les Romains,
21
— sous la domination visigothe,
23
— sa circonscription ancienne et moderne,
        sa population, sa situation,
13
Poitiers sa physionomie ancienne et moderne,
14
—      origine de son nom,
18
—      Siège par Coligny,
27
Police (bureaux de la),
45
Pompes funèbres,
45
Pont-Achard,
344
— Guillon,
208
— Joubert,
165
— Neuf,
151
— Rochereuil,
206
— Saint-Cyprien,
90
— Saint-Porchaire,
48
Porteau (le),
347
Porte de Paris,
209
—   de Pont-Achard,
344
—   de Pont-Joubert,
166
—   de Rochereuil,
206
—   de Saint-Cyprien,
90
—   de Saint-Lazare,
208
—   de la Tranchée,
341
—   de Tison,
315
Poste aux chevaux,
210
—   aux lettres,
307
Préfecture (l’ancienne),
111
—       (la nouvelle),
33
Pré-l’Abbesse (le),
183
Prévôté (la), gravure,
233
Prison départementale,
37
Procession du Miracle des Clefs,
276
Promenade publique de Blossac,
315
—         des Cours,
355
Puits de Leyre,
79


Rabelais (gravure),
351
Relique de la vraie Croix,
98, 146
Rues : Aguilherie (de l’),
48, 220
—    Arceau (de l’).
81
—    Arènes (des),
69
—    Argent (d’),
89
—    Arsenal (de l’),
369
—    Balance-d’Or (des),
79
—    Barbatte,
164
—    Bascle (Le),
370
—    Bart (Jean),
321
—    Baume (de la),
312
—    Beauvais (de),
315
—    Blossac (de),
369
—    Boncenne,
215
—    Bonnevaux (du Petit-),
69
—    Boucheries (des Vieilles-),
231
—    Bouchet (Jean),
367
—    Bourbon-Orléans (de),
301
—    Bourcani (de),
69
—    Bourg-Marin,
77
—    Bretonnerie (de la),
193
—    Buffon (de),
321
—    Buissons (des),
191


—    Capucins (des),
313
—    Carmélites (des),
212
—    Carolus (des),
153
—    Carmes (des),
171
—    Chaîne (de la),
337
—    Chandelière (de la),
322
—    Chasseigne (de),
191
—    Chaudron-d’Or (du),
220,307
—    Chaussée (de la),
210
—    Cheminées (des Trois-),
177
—    Cloche-Perse,
238
—    Collége (du),
71, 77, 79
—    Comédie (de l’Ancienne-),
71, 307
—    Coq (du),
109
—    Cordeliers (des),
220
—    Corne-de-Bouc (de),
64, 69


—    Doyenné (du),
321


—    Écoles (des Grandes-),
47
—    Écossais (des),
36
—    Égoûts (des),
81, 82
—    Enfer (d’),
79
—    Engin (de l’),
315
—    Éperon (de l’),
220, 305
—    Etoile (de l’),
240
—    Étude (de l’),
179
—    Évreux (d’),
64


—    Feuillants (des),
181, 182
—    Filles-Saint-François (des),
165, 181
—    Flageolles (des),
239
—    Fossés (des),
191
—    Fumiers (des),
191


—    Gaillards (des),
180
—    Galère (de la),
307
—    Gervis-Vert (du),
80, 175
—    Girouard (de),
367
—    Grand’Rue,
172, 174, 175 275
—    Grille (de la),
81
Rues : Halles (des),
308
—    Hedera,
80
—    Hospice (de l’),
187, 191
—    Hôtel-Dieu (de),
240


—    Impériale-ex,
33, 58
—    Industrie (de l’),
218
—    Intendance (de l’),
48
—    Irland,
367


—    Jabruelhe (de la),
176
—    Jacobins (des),
220, 301
—    Jardiniers (des),
91
—    Juifs (des),
78


—    Lamproie (de la),
62
—    Las Cazes,
174
—    Latte ou Latte-d’Or (de la),
211
—    Lubac,
69
—    Lycée (du),
71, 367


—    Mairie (de la),
48, 219
—    Maison commune (de la),
48
—    Mal-Persée,
109, 367
—    Marché (du),
299
—    Maure (du Petit-),
176
—    Messagerie (de la),
311
—    Mexico (ce nom est impossible),
372
—    Minage (du),
38
—    Minimes (des),
172
—    Montgautier (de),
174, 175
—    Moulin-à-Vent (du),
211, 231
—    Mouton (du),
312
—    Municipalité,
48


—    Neuve,
38
—    Neuve-Saint-Paul,
174
—    Noyer-Arraché (du),
79


—    Oleron (d’),
80
—    Orbaux (des),
211


—    Paille (de),
70
—    Pâtureaux (des Trois-),
210
—    Pénitentes (des),
69
—    Penthièvre (de),
79
—    Pigeon-Blanc (du),
163
—    Piliers (des Trois-),
311
—    Plat-d’Etain (du),
191, 308
—    Pont-Joubert (du),
163
—    Pont-Neuf (du),
146
—    Pré-l’Abbesse (du),
183
—    Prévôté (de la),
233
—    Psallette-St-Pierre,
119
—    Psalette-Sainte-Radegonde (de la),
165
—    Puygarreau (du),
77


—    Queue-de-Vache,
275


—    Raison-Partout (de),
88
—    Regratterie (de la),
230
—    Roche-d’Argent,
89
—    Rochereuil (de),
206
—    Rois (des Trois-),
210
—    Rois-Mages (des Trois),
210
—    Rousturière,
47


—    Saint-Antoine,
321
—    Saint-Auzone,
69
—    Saint-Cybard,
191
—    Saint-Cybard (Sous-),
190
—    Saint-Denis,
180
—    Saint-Didier,
230
—    Saint-Étienne,
176, 299
—    Saint-Fortunat,
275
—    Saint-François,
220, 228
—    Saint-Germain,
191
—    Saint-Léger,
174
—    Saint-Michel,
165, 171
—    Saint-Paul,
109, 175
—    Saint-Pélage,
89
—    Saint-Pierre,
109
—    St-Pierre (derrière),
119
—    Saint-Porchaire,
308
—    Saint-Savin,
110
—    Saint-Simplicien,
89, 90
—    Sainte-Catherine,
81
—    Sainte-Croix (de),
367
—    Sainte-Marthe,
62
—    Ste-Opportune,
180, 181
—    Sainte-Radégonde,
164
—    Sainte-Triaise,
341
—    Séminaire (du Petit-),
314
—    Seminaire (derrière le Petit),
313
—    Souci (du),
80


—    Terrière,
47
—    Tête-Noire (de la),
240
—    Tison (du rempart de),
313
Rues Tranchée (de la),
315
—    Tranchepied (de),
211
—    Traverse (de la),
312
—    Treilles (des Basses-),
37
—    Treilles (des Hautes-),
37, 56
—    Trinité (de la),
86
—    Tripaille (de la),
70
—    Trottoir (du),
237
—    Truie-qui-file (de la),
312
—    Tyrans (des Trois-),
210


—    Vents (des Quatre-),
181
—    Visitation (de la),
36
—    Baptême à faire pour les rues qui n’ont
           pas encore de nom,
365


Sabinus (l’aruspice),
252
—    Cippe funéraire de (gravure),
252
Saint Fortunat, évêque de Poitiers,
145
—     Une rue de son nom,
367
Saint Hilaire, évêque de Poitiers,
38, 107, 137, 324
Saint-Savin,
388
Sainte Loubette, sa légende,
82
—     (le sureau de),
82
—     (la levée de),
84
—     (le cimetière de),
313
Sainte Radégonde,
93
—     son pupitre (gravure),
94
—     sa croix (gravure),
95
—     son reliquaire (gravure),
96
—     son église (gravure),
154
—     (son tombeau) (gravure),
161
Sainte-Triaise (bas-relief de),
250
Salles d’asile,
172, 322
Salle de spectacle,
59
Salpêtrière (la),
172
Sculpture religieuse (atelier de),
162, 293
Séminaire (le grand),
189, 212
—       (le petit),
314
Société d’agriculture, belles-lettres,
sciences et arts,
270
—     de médecine,
272
—     des antiquaires de l’Ouest,
271
—     des archives historiques,
271
—     dikazologique,
272
—     philanthropique,
192
Sourds-muets,
357, 382
Station du chemin de fer,
344


Templiers (les), leur destruction décidée
à Poitiers,
220, 303
Tour de la Poudrière (gravure),
203
Tunnel (vue du), gravure,
345


Université de Poitiers (l’),
45, 181, 303
—      de Paris, à Poitiers,
26


Vieux Poitiers (le),
23
Villesalem,
389
Vreux (les),
61



ERRATA.
──

On lit peu les errata, et l’on a tort, car il en est d’essentiels ; peut-être cette négligence regrettable tient-elle à ce que les auteurs oublient eux-mêmes la précaution, (que je vais prendre), d’indiquer, avant tout, l’opération fort simple que voici :

Tout voyageur intelligent (et je n’aurai affaire, je le sais, qu’aux voyageurs de cette sorte) est infailliblement muni de son crayon ; c’est une aide indispensable à la mémoire de ceux qui veulent se souvenir, et les intelligents aiment à se souvenir ; donc, après avoir coupé les feuillets vierges de ce livret immaculé, prenez votre crayon, et faites avec icelui un trait — qui ne tachera pas trop les blanches marges du volume, aux pages suivantes :

77. — Premier alinéa.

82. — Dernier alinéa.

112. — Premier alinéa.

160. — Quatrième alinéa.

275. — Premier alinéa.

Ce signe — que vous retrouverez plus tard forcément dans le cours de votre lecture, vous forcera, à son tour, à vous reporter à cette page 417, où vous lirez les corrections essentielles qu’ont exigées des erreurs ou des omissions importantes, les seules qui méritent réellement d’être signalées aux intelligents.

───────

P. 77, premier alinéa. — Tout ce qui est décrit dans ces lignes a été jeté bas pour faire place au nouvel hôtel de ville. L’École de dessin a trouvé un asile provisoire dans l’école communale de Saint-Germain. (V, p. 192, premier alinéa), en attendant qu’elle soit établie définitivement et beaucoup plus convenablement dans l’école primaire supérieure dont nous avons parlé p. 175.

(Délibération du conseil municipal du 25 mai 1872.)

P. 82, dernier alinéa — Au lieu de « le sceu † » lisez le seuf (sureau), etc.

P. 112, premier alinéa. — Depuis l’impression de ces lignes, une clôture et une porte convenables ont remplacé devant le nouvel-ancien Évêché les faibles barrières que 1830 avait substituées à l’œuvre solide du XVIIe siècle.

P. 160, 4e alinéa — L’autel dont il est ici question a été remplacé par celui que Mgr Pie, évêque de Poitiers, a consacré en 1872. Cet autel, véritable œuvre d’art, a été exécuté dans l’atelier de sculpture religieuse dont nous avons parlé, p. 162, et sur les dessins du consciencieux et pieux architecte M. Perlat à qui il fait le plus grand honneur.

P. 275 premier alinéa. — Pour mettre d’accord le texte de cette page 275, premier alinéa, avec celui de la page 367, il faut remarquer que, par les motifs indiqués p. 365 et 373, je n’ai pas voulu changer un seul mot à ce dernier, et que c’est depuis 1868 que le nom de la rue Queue-de-vache a été remplacé par celui de Saint-Fortunat.


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  1. Allusion à l’opinion émise par MM. A. Le Prévost, P. Mérimée, de la Borde, de la Saussaye, Ozanam, Joanne, etc., et que résume ce passage textuel d’une lettre de M. A. Le Prévost à « M. Mérimée : le Guide du voyageur à Poitiers est, à mon avis, le « modèle du genre. »
  2. M. de Longuemar.
  3. M. Hachette, dont le Guide (édition de 1867) contient cette appréciation signée de M. Joanne : « Le Guide du voyageur à Poitiers est un des meilleurs ouvrages que Paris puisse envier à la province. »
  4. M. Foucart, auteur de Poitiers et ses Monuments.
  5. M. Le Touzé de Longuemar.
  6. M. Beauchet-Filleau.
  7. Parmi eux, nous devons citer, tout particulièrement, le savant chef de notre Académie, M. Chéruel.